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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

Séance du mardi 9 octobre 2007

2ème séance
Séance de 15 heures
6ème séance de la session
2ème partie
Présidence de M. Marc Le Fur, Vice-Président

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La séance est reprise à 16 heures 25 sous la présidence de M. Le Fur.

PRÉSIDENCE de M. Marc LE FUR
vice-président

MUSÉE UNIVERSEL D’ABOU DABI

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation d’accords entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des Émirats arabes unis relatifs au musée universel d’Abou Dabi.

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État chargé de la coopération et de la francophonie – Le 6 mars 2007, la France et les Émirats arabes unis ont signé un accord de coopération en vue de la création d’un musée universel à Abou Dabi. À l’automne 2005, les autorités de l’Émirat d’Abou Dabi avaient sollicité l’appui de la France et du musée du Louvre pour créer un musée national du niveau des plus grandes institutions. En attendant que cet objectif soit atteint, elles demandaient que la France les aide à réaliser un musée de renommée internationale qui aurait pour nom le « Louvre d’Abou Dabi ». L’Émirat témoignait ainsi de la priorité qu’il attache à la culture et au dialogue des civilisations, ainsi que de son ambition de devenir, pour l’art et l’enseignement supérieur, un acteur clé de cette région au carrefour du Golfe, du Moyen-Orient et du sous-continent indien. Ainsi, l'île de Saadiyat accueillerait également le musée Guggenheim, des théâtres et salles de concert, un musée maritime et un musée du patrimoine émirati.

En sollicitant la France, l'Émirat rendait hommage au prestige de nos institutions muséales et témoignait du crédit de notre savoir-faire au niveau international. Le Gouvernement a décidé d’accéder à ces demandes, trouvant dans un tel partenariat l’occasion de démontrer l'ouverture sur le monde que nous voulons donner à notre politique culturelle, et de promouvoir le dialogue entre l'Orient et l'Occident.

La négociation a porté sur le rôle que jouerait le musée en vue de promouvoir le dialogue des cultures, les moyens de garantir la qualité scientifique et artistique du musée, la rémunération des musées français impliqués dans le projet. La France a posé comme principe qu’il s’agirait d’un musée universel, dont les collections couvriraient toutes les périodes et toutes les aires géographiques, et qu’il devait répondre aux critères de qualité et de déontologie les plus exigeants, concernant le discours scientifique et culturel ou la conception et la réalisation du bâtiment. Un comité scientifique est chargé de définir ces critères et d'en assurer le respect. Les contreparties financières – un milliard d’euros sur trente ans – bénéficieront dans leur totalité aux musées de France, le Louvre en tête.

Pour accompagner ce projet, a été créée l'Agence France Muséums, émanation de douze établissements publics patrimoniaux, dont le Louvre est membre de droit. L’État y est représenté par deux censeurs, l'un du Ministère de la culture, l'autre du Ministère des affaires étrangères, qui seront garants de la bonne exécution de l'accord et des intérêts de la France lors de la conclusion de nouveaux projets internationaux de nature muséale et patrimoniale. L'agence aura pour tâche de mettre en œuvre et d'accompagner le projet jusqu'à sa réalisation.

Le temps que le musée constitue ses propres collections, l'agence coordonnera une politique de prêts d'œuvres issues des collections du Louvre, de l'ensemble des musées nationaux et des autres musées français qui souhaiteront participer au projet. Par ailleurs, elle concevra et mettra en place une programmation d'expositions temporaires pendant quinze ans. Pour accompagner la formation de la collection émirienne, des experts français indépendants proposeront une stratégie d'acquisition.

Enfin, la France conseillera Abou Dabi pour la mise en place de la future structure de gestion du musée, participera à la formation de ses cadres et, de manière générale, accompagnera pendant vingt ans le fonctionnement du musée, afin de lui permettre de conforter sa place dans le paysage des institutions internationales.

L'ampleur et la nature de ce projet novateur, inédit en France comme à l'étranger, a suscité des questions, concernant plus particulièrement le risque d'entorse au principe d'inaliénabilité des collections publiques, le dépouillement des musées français de leurs œuvres majeures, la censure et les risques de marchandisation.

Le principe de l'inaliénabilité des collections publiques n'a jamais été remis en cause depuis la Révolution et il est inscrit dans la loi. Il n'est par conséquent question ni de louer ni de vendre des œuvres du patrimoine national. Le public et les touristes qui viennent en France ne seront pas privés de la contemplation de nos chefs-d'œuvre. Au reste, je rappelle que 200 à 300 œuvres seront prêtées chaque année pendant dix ans, pour des durées allant de six mois à deux ans, cependant que la France prête annuellement quelque 30 000 œuvres, dont 1 400 par le seul musée du Louvre.

Enfin, il n'y aura ni censure ni interdit dans le choix des œuvres. Le choix sera arrêté par l'équipe scientifique française, qui gardera le contrôle du contenu et de l'intégrité du programme des expositions.

Ce sont certainement les contreparties financières sont ont suscité le plus de critiques, notamment dans les milieux artistiques. Or, loin d’être nouveau, le principe de contreparties financières est couramment pratiqué pour les opérations d'envergure allant au delà du simple prêt. Lors de la séance au Sénat du 25 septembre dernier, Mme Albanel – que je remercie pour sa présence car elle témoigne de l'attachement du ministère de la culture à ce projet – a notamment rappelé que les travaux de l'Orangerie et l'exposition Mélancolie du Grand Palais avaient ainsi bénéficié de dotations générées par le prêt de collections à l'étranger. Il ne s'agit pas, contrairement à ce qu'on a pu dire un peu vite, d'un dévoiement de l'art dans un monde dominé par les puissances de l'argent, mais bien d'un partenariat de long terme qui permet à la France d'obtenir une juste rémunération pour service rendu.

M. Olivier Dassault – Très bien.

M. le Secrétaire d'État – Et ces fonds vont permettre d'achever ce que ni l'aide de l'État, ni les ressources propres des musées n'étaient en mesure de faire, comme la création d'un centre pour accueillir les réserves du Louvre et des autres musées de la capitale, l'achèvement du grand Louvre ou l'enrichissement des collections des musées participants.

Quant à la crainte qu'ils puissent suppléer à l'engagement de l'État, elle est totalement infondée. L'accord est en effet très clair : les fonds versés viendront s'ajouter aux actions déjà menées en faveur des œuvres, des collections et du public, l'État continuant à jouer son rôle aux côtés des musées.

Enfin, lors de la séance au Sénat que j’évoquais précédemment, des critiques ont été émises sur les conditions de secret ayant présidé à l'élaboration du projet du musée et à la création de l'Agence France MuséuM. Mme Albanel a rappelé que cette extrême discrétion avaient été souhaitée par les Émiratis eux-mêmes, et que la poursuite du projet se ferait dans la plus totale transparence. Le Parlement sera tenu informé de tous les développements de l'opération.

Au delà de la controverse, la coopération que nous entamons avec les Émirats Arabes Unis représente un défi sans précédent. Notre pays dispose de formidables atouts pour le relever, de même que pour s'imposer dans le contexte concurrentiel de la mondialisation de l'univers de l'art. La France peut en effet compter sur l'expertise et la richesse de ses établissements comme sur la prise en compte, dans sa stratégie internationale, de la place aujourd'hui dévolue aux musées, véritables lieux de rencontre des citoyens du monde. L’on peut aussi compter sur notre volonté politique de faire de ce mouvement un instrument puissant du dialogue des civilisations et de l'universalité de la culture.

Mme Albanel apportera tout à l'heure les éclaircissements nécessaires pour répondre à vos interrogations. Pour ma part, je tenais à dire que ce projet est un défi que notre pays se devait de relever, au nom de la diversité culturelle et du rapprochement des civilisations (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe Nouveau centre).

M. Patrick Balkany, rapporteur de la commission des affaires étrangères – Le projet de loi qui nous est soumis vise à approuver trois accords signés le 6mars 2007 entre la France et les Émirats arabes unis. L'accord principal fixe, pour trente ans et six mois, les conditions de la participation de la France à la création d'un musée universel à Abou Dabi ; deux accords additionnels précisent le régime de responsabilité et le régime fiscal de ce projet.

La France et, plus particulièrement, le musée du Louvre vont jouer un rôle prépondérant dans cette aventure culturelle, rendue possible par l'excellence des acteurs français de la politique muséale qui recevront, pour toute la période de validité de l'accord, environ un milliard d'euros de la part des autorités émiriennes. Au cours des négociations, celles-ci ont du reste évolué, puisque l'on est passé de l'ouverture d'une simple antenne du Louvre à la création d'un musée universel, soit un lieu où des œuvres de toute nature, de tout style, de toute époque et de tout format seront présentées au public le plus large possible.

Les Émirats arabes unis et, en particulier, l'Émirat d'Abou Dabi, sont des partenaires important pour la France puisqu'ils constituent la première destination de nos exportations dans la région. Or, ils souhaitent diversifier leur économie et, parmi les secteurs qu'ils ont choisi de développer, la culture et le tourisme figurent en première place. Les liens déjà étroits qui unissent nos deux pays ne peuvent donc qu'être renforcés par un tel projet, qui contribuera de surcroît au rayonnement de la culture française dans la région.

La France participe à la conception du musée, à sa construction et au lancement de son activité. Ces missions seront réalisées par une agence spécialisée, l'Agence France-Muséums, société par actions simplifiée dont le musée du Louvre et onze autres établissements publics sont actionnaires. S'agissant du bâtiment, l'agence est consultée en amont et à chaque étape du chantier. Quant à la conception muséographique, elle garantira le respect par le musée d'Abou Dabi des critères très sévères de qualité et d'exigence scientifique applicables au musée du Louvre. L'Agence s'assure également que les conditions de transport, de sécurité, de conservation et d'exposition des œuvres sont conformes aux normes que s’imposent les musées français les plus exigeants.

Pour faire respecter ces principes, l’AFM disposera d'un instrument juridique puissant, avec la possibilité de mettre les autorités émiriennes en demeure de prendre des mesures, sous peine de sanctions pouvant aller jusqu'à la résiliation de l'accord. Protection supplémentaire, les œuvres issues des collections de musées français présentées à Abou Dabi sont insaisissables sur le territoire des Émirats arabes unis.

M. Patrick Bloche – Heureusement !

M. le Rapporteur - Le musée universel d'Abou Dabi disposera d'œuvres françaises, au moins au cours de ses premières années d'activité.

La participation de l'Agence France Muséums à l'activité du musée est sans doute la partie la plus originale du projet et il convient de bien situer la portée des trois accords du 6 mars 2007. En effet, ceux-ci n'organisent pas un partenariat pérenne entre le Louvre et l'Émirat d'Abou Dabi et ne constituent pas davantage un simple contrat de service entre une agence française et les Émirats arabes unis. Ce à quoi la France s'est engagée, c'est à aider un pays à réaliser ses ambitions culturelles, au titre desquelles la création d'un musée de renommée mondiale figure en première place.

À cet effet, l'agence conseillera les autorités émiriennes dans l’élaboration d’une stratégie d’achat d'œuvres pour les collections permanentes du musée universel. En attendant qu’elles soient définitivement constituées, l'ouverture progressive des galeries du musée sera rendue possible grâce aux prêts consentis par l'Agence France-Muséums : trois cents œuvres pendant trois ans, puis deux cent cinquante, puis deux cents au bout de sept ans d'activité du musée seront ainsi prêtées, aucun des prêts ne pouvant durer plus de deux ans.

Les autorités émiriennes ont montré toute l'importance qu'elles attachent à la réalisation de ce projet : le budget annuel consacré à l'acquisition d'œuvres sera de 40 millions d'euros. En plus des prêts, l'agence devra organiser, quatre expositions par an pendant quinze ans. En contrepartie de cette aide au développement initial du musée, les Émirats arabes unis se sont engagés à verser 550 millions d'euros à l'agence, dont 165 millions pour rémunérer ses prestations ; 190 millions seront reversés par l'agence aux musées qui ont accepté de participer au système de prêts d'œuvres. L'organisation des expositions précédemment évoquées donnera lieu à un versement annuel de 13 millions pendant quinze ans : 8 millions couvriront les frais occasionnés par les expositions et 5 millions reviendront aux musées français.

Le projet de musée universel d'Abou Dabi permettra donc aux musées participants de bénéficier de plus de 250 millions d'euros. Inutile d'insister sur les perspectives de développement de notre politique culturelle qu'autorise un tel transfert, équivalent à une fois et demie le budget hors rémunérations alloué à nos musées dans le projet de loi de finances pour 2008.

Le musée du Louvre est un actionnaire important de l'Agence France Muséums et il sera sollicité pour participer à ses missions. Ayant souhaité apporter une aide renforcée aux autorités émiriennes, il les a autorisées à utiliser le nom du Louvre dans l'appellation du musée universel, afin de faire bénéficier ce dernier d'une renommée mondiale. Conscient toutefois que cette association ne devrait pas nuire à ses propres intérêts, le musée du Louvre s'est assuré que le droit ainsi conféré serait suffisamment encadré pour interdire toute dérive. La convention passée avec les autorités émiriennes apporte donc des garanties suffisantes à cet égard.

En contrepartie du droit d'utiliser le terme « Louvre » dans l'appellation du musée universel, les Émirats arabes unis se sont engagés à verser 400 millions d'euros au musée du Louvre, lequel recevra également 25 millions au titre du mécénat. Les salles d'un étage du pavillon de Flore se verront également attribuer le nom d'une personnalité éminente des Émirats arabes unis.

Ce projet ambitieux a pu susciter quelques inquiétudes, que mon exposé, je l'espère, aura apaisées. Le Louvre à Abou Dabi permet d'augmenter considérablement les ressources de tous les musées de France. Il peut donner à notre politique culturelle une envergure nouvelle et contribuer à la démocratisation de l’accès à la culture. Ce projet est une chance pour la France car il donne un bel exemple de dialogue des cultures et de rapprochement des civilisations. Je me félicite donc que la Commission des affaires étrangères ait donné, à l'unanimité, un avis favorable à l'adoption de ce projet de loi (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères – La création d'un musée universel à Abou Dabi représente une chance pour notre politique culturelle et l'ensemble de nos musées. Ce projet exceptionnel, qui garantit l'intervention de nos meilleurs experts pendant trente ans, nous apportera une ressource financière d'environ un milliard d'euros, laquelle permettra de mener sur notre territoire de nouvelles actions culturelles.

J’ai mal compris les très vives critiques qu’il a suscitées. Afin d'apaiser les dernières inquiétudes, je voudrais revenir sur certains points des accords du 6 mars 2007.

Ce musée contribuera à renforcer l'influence de la culture et de la langue françaises dans le monde : il sera réalisé conformément aux conceptions françaises, les œuvres exposées seront issues des collections de tous les musées français, et elles devront inclure des œuvres contemporaines – ce qui permettra à des artistes français de se faire connaître.

À ceux qui jugeraient que nos liens avec les Émirats arabes unis auraient pu être renforcés plus efficacement, je rappellerai que nos exportations vers ce pays dépassent les 3 milliards d'euros ; cette coopération culturelle viendra compléter les relations commerciales. Il a fallu convaincre, face à des concurrents redoutables, de l'intérêt d'un tel projet ; au départ, les autorités émiriennes avaient choisi de prendre pour modèle les accords que passe la Fondation Guggenheim lorsqu’elle aide à la construction d'un musée – laquelle fondation participe d’ailleurs à Abou Dabi, sur l'île aux musées, à la construction d'un musée d'art moderne. Les talents combinés de plusieurs négociateurs ont permis de susciter chez nos partenaires une ambition nouvelle, mais sans l'implication de Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture à l'origine de cette initiative, le musée universel d'Abou Dabi n'aurait été qu'une simple antenne du Louvre.

La création d'une agence spécifique était le meilleur moyen de combiner le développement de l'activité internationale de nos musées et la protection des plus petits d’entre eux. On ne saurait présenter l'Agence France-Muséums comme l'instrument de la domination du Louvre : sans elle, comment les petits musées pourraient-ils renforcer leur présence hors de nos frontières ? Imagine-t-on un musée régional négocier avec les autorités chinoises pour la création d'un musée en Chine ?

L'Agence France-Muséums, en sa qualité d'interlocuteur unique, offrira aux autorités gouvernementales étrangères la garantie de notre savoir-faire. Véritable « force de frappe » culturelle, elle sera dotée de moyens suffisants pour défendre tous les musées français qui souhaitent développer leur activité à l'étranger. De plus, les sommes reçues par l’Agence et redistribuées aux musées de France pourront servir à relancer une politique d'acquisition d'œuvres.

Positive pour la culture et la langue françaises, avantageuse pour nos artistes, preuve de la qualité de notre savoir-faire comparé à celui des grandes institutions américaines, facteur d'accroissement du tourisme à destination de la France, aide et encouragement au développement international de nos musées, élément de diversification de leurs ressources, la création d'un musée universel à Abou Dabi renforce la place de la France dans le monde de la culture. Nos musées vont trouver dans cette aventure culturelle une source nouvelle de financement. Ces accords équilibrés sont bénéfiques pour tous, et la commission des affaires étrangères ne s'y est pas trompée en émettant un vote unanime (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Olivier Dassault – Écrira-t-on au fronton du musée d'Abou Dabi, comme le disait André Malraux, que « La vérité que cherche l'oeuvre d'art, c'est la vérité universelle de ce qui est singulier » ? À n'en pas douter, en tout cas, le musée qui est en train de naître est une aventure singulière et remarquable, illustration de ce que peut accomplir la volonté politique lorsqu'elle s'accompagne d'une amitié solide et sincère et se double d'une vision éclairée.

Synonyme de dialogue des cultures et de rayonnement international de nos savoir-faire, le musée d'Abou Dabi renforce et prolonge les liens politiques et culturels entre la France et les Émirats arabes unis. Conçu par la France, avec pour architecte Jean Nouvel, il sera universel, ouvert à toutes les périodes, à toutes les aires géographiques et à tous les domaines de l'art. Aux critiques que ce projet a suscitées, il faut répondre au moins dans un souci pédagogique, car je crois avec Montaigne que « les belles âmes, ce sont les âmes universelles, ouvertes et prêtes à tout ».

Durant les dix premières années à partir de l'ouverture du musée, la France prêtera des œuvres issues de l'ensemble des collections nationales, par rotation. Les prêts se feront exclusivement sur la base du volontariat, et sous le contrôle d'une commission scientifique. Pendant ce temps, les Émirats acquerront des œuvres afin de constituer leur propre collection nationale. Par ailleurs, la France organisera pendant quinze ans quatre expositions temporaires par an. L'engagement de la France ira donc décroissant jusqu'à ce que ce musée acquière une totale autonomie.

Cette coopération culturelle s’accompagne de contreparties financières sans précédent au profit du Louvre et des musées participant à ce partenariat. Ces ressources viendront en surcroît de l'effort budgétaire de l'État, qui sera maintenu. L'accord intergouvernemental est par ailleurs assorti d'une convention fiscale assurant l'absence d'imposition des sommes versées par les Émirats arabes unis.

Le Louvre bénéficiera directement de 400 millions d'euros pour le droit d'usage de son nom, qui se fera dans des conditions strictement encadrées ; le versement de cette somme sera étalé sur vingt ans. Les institutions participant aux prêts d'oeuvres dans les galeries permanentes bénéficieront de 190 millions sur dix ans, et les musées participant à l'organisation des expositions recevront 195 millions sur quinze ans. Enfin, l'Agence internationale de Musées de France, désormais baptisée France-Muséums, filiale commune des établissements publics muséaux créée pour porter ce projet, bénéficiera de 165 millions en contrepartie de l'expertise qu'elle va fournir.

Les sommes ainsi recueillies seront exclusivement utilisées pour des projets nouveaux, actuellement non financés – j'insiste sur ce point –, en matière d'investissement, de restauration, d'acquisition ou d'amélioration de l’accueil du public. De nouvelles perspectives de développement s’ouvrent pour le Louvre. Signe supplémentaire de coopération, l'accord prévoit que l'une des galeries du Pavillon de Flore réaménagé porte le nom d'une personnalité éminente des Émirats arabes unis.

Sur le fait que le nouveau musée puisse s'appeler « Louvre Abou Dabi » jusqu'en 2037, que n'avons-nous entendu ! C’est pourtant une manière de souligner l'ambition universelle de ce projet et le rôle de l'expertise française. Des conditions très strictes sont précisées par une licence d'utilisation du nom, assurant que l’image et la réputation du musée du Louvre seront préservées. Nos partenaires s'engagent à demander l'autorisation du musée du Louvre avant toute utilisation du nom, y compris pour les opérations de communication et de promotion du futur musée ; cela vaut également pour leur charte graphique et, le cas échéant, pour toute exploitation commerciale. Le droit français s'appliquera dans tous les cas, ainsi que la juridiction des tribunaux français compétents.

Interrogé sur cette question polémique, M. Henri Loyrette, directeur de l'établissement public du Musée du Louvre, auquel nous devons rendre hommage pour son travail et sa ténacité, a donné la plus complète des réponses : « Les Émiriens ont fait le choix que la Révolution a fait en 1793, celui d'un musée universel, privilégiant, à l'heure du repli identitaire, les intérêts de ce qu'on appela la République des Lettres. Le nom du Louvre, l'expertise du Louvre en sont le garant et le symbole. » Et M. Loyrette de citer Jacques Chirac, pour lequel l'Émirat d'Abou Dabi avait choisi un musée « dont la vocation, depuis l'origine, est d'atteindre l'universel, c'est-à-dire l'essence de l'homme, à travers la contemplation des œuvres d'art. Avec ce projet qu'il doit pouvoir contrôler dans son avancement et son déploiement, le Louvre est fidèle à sa vocation initiale et à ses missions bicentenaires. »

M. Michel Françaix – Ah… j’ai bien fait de venir ! (Sourires)

M. Olivier Dassault – M. Loyrette poursuivait ainsi : « Il proposera à ce carrefour des peuples et d'abord au monde arabe, si proche, si lointain, le contenu de “ce grand livre” où Cézanne disait que nous devions tous apprendre à lire car, ajoutait le peintre, “il y a tout dans le Louvre, on peut tout aimer et tout comprendre par lui”. Car là est bien l'essentiel, définitivement, sans hésitation, par ce Louvre que nous allons élever ensemble sur ces terres lointaines, dans le commerce d'estime égale, d'intelligence, de compréhension, d'entente mutuelle, tout ce qui naît de l'artiste revient à nous par la considération des œuvres. »

Le Louvre d’Abou Dabi participera au rayonnement international de la France et de notre politique culturelle, et pour reprendre une formule d’Axel Poniatowski…

M. Michel Françaix – Ah… là, c’est autre chose !

M. Olivier Dassault – Il s’agira d’une « force de frappe culturelle »…

M. Marcel Rogemont – Et vous en savez quelque chose ! (Sourires)

M. Olivier Dassault – J’aime beaucoup cette expression !

Notre politique culturelle n'est pas neutre, elle est le reflet de notre âme et l’un de nos meilleurs atouts de singularité, dans une concurrence mondiale accélérée. Fort de l'amitié sincère et profonde qui nous unit aux Émirats arabes unis, je vous invite à voter ce projet de loi qui scellera le rapprochement de nos peuples car, comme l’écrivait Jules Michelet, « Chaque homme est une humanité, une histoire universelle » (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Patrick Roy – Quelle rafale de citations ! (Sourires)

M. Patrick Bloche – Les plaidoiries des avocats de la défense m’amèneraient presque à regretter la modération de mon propos !

Pour les élus du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche, ce texte ne saurait donner lieu à un énième épisode de la querelle des anciens et des modernes, opposant d’un côté les conservateurs égoïstes, repliés sur leurs trésors et de l’autre les généreux, prêts à faire profiter le monde entier de nos oeuvres éclairantes. La question du Louvre d’Abou Dabi est bien plus complexe et mérite un débat lucide et approfondi. D’autant plus qu’elle s’inscrit dans un contexte où jamais la refondation de notre politique culturelle n’aura été aussi absente, et où jamais l’annonce du budget par la ministre de la culture n’aura autant ressemblé à une oraison funèbre.

Nous sommes évidemment favorables à la circulation des œuvres. La coopération entre les grands musées est d’ailleurs une tradition ancienne et les échanges quotidiens, signes de vitalité et d’ouverture sur le monde, font la fierté de nos établissements. Ainsi, la France, forte de son patrimoine artistique et d’un savoir-faire professionnel que le monde entier lui envie, est présente sur le théâtre de la mondialisation culturelle. Son ambitieuse politique de coopération est une pierre de plus à l’édifice du dialogue entre les cultures.

Le Louvre est engagé dans plusieurs projets « hors les murs », à Lens – dans une région qui connaît de lourdes difficultés économiques –, à Atlanta – en coopération avec le High Museum of Art – et à Tokyo – pour le Museum Lab. Ces projets n’ont suscité aucune polémique, car ils s’inscrivent dans une volonté de développement et sont pilotés par l’institution elle-même. Ils procèdent aussi d’une dynamique plus large, celle du rayonnement international des musées français.

En cela, le projet du Louvre d’Abou Dabi est particulièrement ambitieux pour les Émirats arabes unis qui y voient une occasion de se positionner comme centre culturel du monde arabe et préparer leur sortie de l’ère pétrolière.

Ce projet soulève de nombreuses questions, auxquelles nous attendons que le Gouvernement réponde. Nous sommes inquiets des dérives marchandes qu’il peut contenir.

M. Marcel Rogemont – Exact !

M. Patrick Bloche – En effet, l’Agence France-Muséums sera chargée de fournir des prestations d’assistance et de conseil, de programmation des expositions temporaires, de recrutement et de formation du personnel. Le musée portera le nom de « Louvre Abou Dabi » pendant – rendez-vous compte – trente ans et six mois ! La France s’engage en outre à prêter 300 œuvres pendant quatre ans, puis 250 pendant trois ans, puis 200 jusqu’à la dixième année d’exploitation. En contrepartie, notre pays recevra pas moins d’un milliard d’euros sur trente ans, sans d’ailleurs que le Parlement soit éclairé sur les points essentiels de ce contrat lucratif. Est-ce bien raisonnable ?

M. Jean-Marc Roubaud – Oui !

M. Patrick Bloche – Bel aveu sur le rôle du Parlement…

Nos interrogations sont partagées par les conservateurs du patrimoine et les acteurs culturels français. J’en veux pour preuve une pétition ayant recueilli 3 000 signatures, revendiquant « le maintien de l’intégrité des collections des musées français ».

Malgré les éclaircissements apportés sur les moyens de mise en œuvre de ce projet et sur ses conséquences, nous continuons de nous interroger sur la manière dont le Louvre pourra faire face à cette nouvelle « décentralisation ». Il semble en effet que les réserves du Louvre ne disposent plus guère de « chefs d’œuvre » : nos partenaires se contenteront-ils d’œuvres considérées comme mineures ou nous verrons-nous privés, pour des périodes relativement longues, de quelques-unes des œuvres majeures de notre patrimoine ? S’agissant des personnels, si aucun conservateur, restaurateur ou régisseur n’est disponible à Abou Dabi, qui garantira l’accueil du public, la conservation et la diffusion des œuvres prêtées ? Quid de la sécurité matérielle des œuvres ? Nous nous inquiétons aussi de l’impact écologique du projet, au moment où le Grenelle de l’environnement est dans toutes les bouches : que penser de la destruction d’une grande partie de la réserve naturelle de 27 kilomètres carrés, sur laquelle doit être implanté le complexe ? Enfin, le contexte politique et social d’Abou Dabi soulève la question du choix des œuvres : M. Balkany a confirmé que l’accord des organes de direction du musée universel est requis pour la présentation des œuvres. Rien ne garantit donc que toutes les œuvres puissent y être exposées.

M. Marcel Rogemont – L’Origine du Monde de Courbet n’y aura pas sa place !

M. Patrick Bloche – Enfin, quelle est la signification réelle d’un projet qui associe des contreparties industrielles et financières à un partenariat culturel ? Le musée universel n’est pas, comme à Lens ou à Atlanta, le simple déploiement d'une antenne du Louvre. Catherine Tasca l’a rappelé au Sénat : ce projet, qui n'émane pas de l'institution elle-même, mais d'une impulsion présidentielle, marque un tournant préoccupant de notre politique d'échanges culturels internationaux. C'est bien l'Élysée qui a demandé au Louvre de concevoir et d'organiser la muséographie d'un musée généraliste de 30 000 à 40 000 mètres carrés à Abou Dabi. Cette négociation d’État à État, au-delà du rayonnement culturel de la France, pose la question de l'autonomie des institutions culturelles dans la définition de leur projet d'établissement. Contrairement à d'autres projets culturels comme celui du Centre Pompidou en Chine, il s’agit ici du « fait du prince », un prince qui déciderait, non pas en fonction de considérations culturelles, mais d'intérêts financiers et industriels. L'importance de la somme en jeu pose la question des contreparties accordées, d'autant plus que le contexte financier de nos musées en région est préoccupant.

Nous nous interrogeons donc sur le sens et la finalité du projet. En quoi le musée universel d’Abou Dabi contribue-t-il au rayonnement culturel de la France ? Au-delà de la simple aubaine financière, quel en est l'intérêt et quels en sont les risques ? Ses fondements sont-ils économiques et culturels ou sont-ils la contrepartie de projets industriels ? L’internationalisation des institutions culturelles françaises est souhaitable, mais elle doit intervenir dans un cadre défini qui assure un partenariat équilibré et exigeant, tant sur le plan scientifique qu’environnemental.

Nous ne saurions approuver un projet qui manque manifestement de cet équilibre. Pire encore : l’opacité qui a présidé à l’opération, de sa genèse à son examen par le Parlement, favorise les soupçons de marchandisation de nos collections nationales, alimentant une polémique qui ne pouvait que porter préjudice au projet, quelle qu’en soit la qualité. Nos exigences de garanties et de transparence n’ayant pas été satisfaites, nous nous abstiendrons sur ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

M. François Rochebloine – Cet accord confère une dimension inédite à la notion d’échange culturel – notion traditionnelle, en France, en matière de politique de coopération culturelle internationale. En effet, il repose, d’une part, sur une interprétation entièrement nouvelle de l’idée de diffusion, chère aux initiateurs de la politique culturelle depuis Malraux ; il remet en question, d’autre part, les usages qui régissent la conservation des œuvres d'art dans nos musées. C’est pourquoi les milieux de l’art y ont diversement réagi, certains craignant que les inconvénients de ces innovations ne l’emportent sur les avantages escomptés.

Si la très grande discrétion qui a entouré les négociations préalables à la signature de l'accord s’explique sans doute en partie par l'ampleur des bouleversements que celui-ci préfigure, il est permis de regretter que le Parlement n’ait été informé d’un accord aussi peu banal et aussi lourd de répercussions sur notre politique culturelle – nationale et internationale – que parce que son autorisation était indispensable à la ratification et à la mise en œuvre du texte. Ainsi a-t-il été associé à la responsabilité politique d’une aventure conçue sans lui et qui se poursuivra également sans lui. Je souhaite par conséquent que, au cours des mois à venir, le Parlement soit pleinement informé de manière à pouvoir mesurer les conséquences des innovations contenues dans l'accord, en particulier – pour ne citer que l’une des plus controversées – la possibilité d'aliéner ou de louer à titre durable des éléments du patrimoine artistique national.

Le projet Louvre-Abou Dabi est l’un des moyens privilégiés que le Gouvernement souhaite mettre au service du rayonnement culturel de la France dans le monde, qui constitue à ses yeux une grande cause – je m’en réjouis. Mais, si novateur soit-il, il est également risqué ; il est de notre responsabilité de parlementaires de prendre sans exagération, mais non sans précision, la mesure de cette innovation comme de ces risques.

Le développement d'une politique culturelle ambitieuse et l'encouragement au rayonnement de la culture française au-delà de nos frontières font l'unanimité dans notre Assemblée. Or, comme rapporteur sur le budget alloué à l'action extérieure de l'État et au rayonnement culturel et scientifique pour 2007, j'ai pu constater qu’en la matière, l'influence de la France dans le monde avait été sérieusement entamée au cours des dernières décennies. C'est pourquoi je suis par principe favorable aux initiatives qui visent à inverser cette tendance. Toutefois, ici comme ailleurs, la mondialisation – entendue comme la circulation élargie non seulement des produits, mais des idées – peut faire l’objet d’un bon ou d’un mauvais usage ; il y va de l'image de marque de notre pays dans le monde, à laquelle s’apparente la culture française.

Or le projet Louvre-Abou Dabi constitue une occasion privilégiée de promouvoir sur la scène internationale le savoir-faire unique de la France en matière de musées et d'ingénierie culturelle et patrimoniale. En outre, il vient soutenir les efforts diplomatiques visant à développer notre influence dans cette région et, plus largement, au Moyen-Orient et en Asie. Enfin, il introduit les valeurs propres à la politique culturelle française dans les circuits d'échanges culturels qu’amplifie la mondialisation.

Qualité de l'architecture contemporaine, habitude de la gestion scientifique des collections, grande expérience artistique – autant de qualités françaises que ce projet, établi pour une durée de trente ans, permettra de valoriser concrètement, en faisant découvrir notre patrimoine, notre histoire et notre création artistique dans sa diversité et dans sa richesse. Les garanties indispensables qu’apporte le texte témoignent du reste d’une expérience approfondie des techniques de conservation et de mise en valeur des œuvres d'art. Ces garanties sont d’abord quantitatives – le nombre d'œuvres d'art prêtées au nouveau musée est limité à trois cents par an au cours des premières années, soit un pour cent du nombre total des œuvres d'art prêtées chaque année par les collections françaises. En outre, les œuvres particulièrement importantes pour l'histoire culturelle de la France – la Joconde, la Vénus de Milo – ne pourront être prêtées, non plus que celles dont la fragilité interdit le déplacement. Une commission scientifique contrôlera les modalités des prêts envisagés, qui se conformeront aux règles habituellement définies par les musées nationaux. Des dispositions particulières ont été prévues afin de permettre le rapatriement sans délai des œuvres prêtées au cas où leur intégrité serait menacée et afin d’en garantir l'insaisissabilité.

Le nom du nouveau musée rend hommage au prestige international du Louvre, premier des musées français ; mais une convention d’application spécifique veille à la protection de cette appellation, prévue pour une période de trente ans et six mois, contre des utilisations préjudiciables et dévalorisantes.

Ce projet s’apparente en outre à une véritable opportunité financière : environ un milliard d'euros – sur trente ans – sera versé directement par les autorités des Émirats aux musées français participant au projet, supplément de ressources bienvenu alors même que se confirme l’intérêt que nos concitoyens portent à leurs collections.

Néanmoins, les responsables de ces musées, qui participent régulièrement à des projets internationaux – organisation d’expositions, prêts d’œuvres dans le monde entier –, savent bien que les œuvres d'art sont fragiles et que chaque déplacement les expose à des dangers. De quelle manière la conception du nouveau musée tient-elle compte de ces risques ?

En outre, nos musées ne regorgent malheureusement pas d'œuvres cachées qu'il serait facile de prêter – au département des peintures du Louvre, plus de 6 000 tableaux ont été déposés dans les musées de région ; les 6 000 restants sont pour la plupart exposés, le musée ne disposant en réserve que d’œuvres secondaires ou en mauvais état. Les centaines de milliers d'œuvres qui ont été évoquées sont en fait des dessins et des gravures ou des séries archéologiques d'étude. Or l’importance de la contribution financière consentie par nos partenaires leur permettra d’exiger le dépôt temporaire et le prêt aux expositions d'œuvres de premier ordre. Comment répondrez-vous à leurs attentes sans rendre les collections du Louvre moins intéressantes ?

L'utilisation des crédits étrangers consentis en échange du prêt de collections suscite également des interrogations : ils ne doivent pas servir de substitut aux dotations budgétaires des institutions culturelles, notamment dans les collectivités territoriales, mais bien de complément spécialement affecté aux opérations d'investissement, notamment d'acquisition et de restauration.

Face à la forte concurrence internationale qui règne sur le marché de l'art comme entre les grands musées du monde, notre pays dispose de formidables atouts – un patrimoine d'une richesse exceptionnelle, une expertise reconnue. S’il semble pertinent de permettre à nos grands musées nationaux, en particulier au musée du Louvre – le plus grand musée du monde, qui attire plus de 8 millions de visiteurs –, de développer des coopérations internationales et de valoriser leurs richesses tout en contribuant à la diffusion du modèle de musée universel, cela ne doit pas se faire dans n'importe quelles conditions. Le cas de la Fondation Guggenheim illustre les dérives d'une approche strictement commerciale.

Cette coopération culturelle d'une ampleur inédite devrait aussi favoriser le dialogue des cultures et des civilisations entre Orient et Occident, dans une région du monde où les échanges culturels et artistiques peuvent beaucoup apporter au dialogue politique. Toutefois, étant donné les risques inhérents au projet, l'Agence France-Muséums, prestataire de services en matière d'expositions temporaires, devrait, comme l'a préconisé le rapporteur du projet au Sénat, rendre chaque année des comptes au Parlement.

Enfin, si le groupe Nouveau centre est en principe favorable au projet, il insiste sur la nécessité de préserver l’exception culturelle française, que nous défendons farouchement depuis des années, y compris à l'OMC. Les pouvoirs publics doivent continuer de se refuser à faire de la culture une marchandise comme les autres (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Nouveau centre et du groupe UMP).

M. Christian Kert – Madame la ministre, au début de l'année, une vive polémique a opposé votre prédécesseur à certains professionnels du monde des musées, qui craignaient de voir le projet Louvre-Abou Dabi aboutir à la création d'une nouvelle espèce de musées : ceux que l'on vendrait ! Quelques mois plus tard, si certaines interrogations demeurent – MM. Bloche et Rochebloine en ont fait état –, ces inquiétudes se sont en grande partie apaisées, grâce à la pédagogie dont votre prédécesseur et vous-même avez su faire preuve.

Je ne reviendrai pas sur les modalités de votre démarche, connues de tous. Répétons en revanche qu'il s'agit bien de créer un musée universel, destiné à œuvrer au dialogue entre Orient et Occident, et qui présentera des objets majeurs dans les domaines de l'archéologie, des beaux-arts et des arts décoratifs – une œuvre « mutualisée », en quelque sorte, puisque les musées français qui le souhaiteront pourront s’y associer, même si le nom retenu sera celui, prestigieux, du Louvre.

Rappelons à ceux qui craignaient, non sans raisons, que la France se jette à Abou Dabi dans un véritable guêpier que la Sorbonne vient d’y créer une antenne dans un esprit de laïcité, de mixité et de liberté qui fait honneur au pays d'accueil et confirme que culture et éducation peuvent aider les civilisations à mieux se comprendre.

N’est-ce pas cela, la mission universelle de la France ? Le rayonnement culturel international de notre pays, qui a la chance de jouir d'un vaste patrimoine artistique et de talents humains exceptionnels, n’en est-il pas un enjeu majeur ? Plusieurs orateurs ont ainsi rendu hommage à nos conservateurs ou à nos restaurateurs d’œuvres d'art, dont la France peut être fière. Pourquoi n'exporterions-nous pas, à l’heure de la mondialisation, ce savoir-faire « à la française » ? Oui, il est bon qu’il soit sollicité. Qu'aurions-nous pensé, d’ailleurs, si on en avait appelé au talent d'autres pays ?

À ceux qui redoutaient que le Louvre s'exporte à l'étranger au lieu d'irriguer la France, rappelons que ce musée a toujours voulu mettre les œuvres d'art à la disposition du plus grand nombre. C'est ce qu’il a fait en implantant une de ses antennes à Lens et ce qu'il se propose de poursuivre en exposant dans les musées de nos régions les œuvres conservées dans les musées d'Ile-de-France.

Ne redoutons pas que le monde en appelle à notre histoire ! On nous demande à Shanghai, à Atlanta, à Abou Dabi ? Tant mieux ! Nos musées n’exposent qu’une faible part de nos collections. Les prêts – gratuits ou rémunérés – ne les videront pas.

Il n'est pas question de remettre en cause le caractère inaliénable de notre patrimoine. Il s’agit de le faire rayonner dans le monde, soit par des expositions temporaires, soit par des projets d'implantation comme celui-ci, véritable cas d'école puisqu'il sera situé dans un site exceptionnel, au carrefour de l'Orient et de l'Occident, et qu'au-delà de sa vocation artistique, il aura l'ambition de barrer la route à certaines tentations.

Auteur d’un rapport sur la conservation et la restauration des œuvres d'art et du patrimoine, comment resterais-je insensible au fait que les recettes tirées de ce projet seront consacrées à la conservation préventive des collections, à la restauration des oeuvres ou à des acquisitions supplémentaires, toutes opérations pour lesquelles nous cherchons en permanence des fonds via des partenariats ou du mécénat qui vient souvent de l'étranger ? Juste retour des choses, c'est la France qui devient aujourd'hui un partenaire privilégié à l'étranger ! L'image nous plaît.

Nos collègues sénateurs ont souhaité que le Parlement participe au suivi de l'opération. Nos deux commissions des affaires culturelles me semblent particulièrement bien placées, Madame la ministre, pour vous accompagner – sous une forme qui reste à définir – dans cette valorisation du capital patrimonial de la France (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Marcel Rogemont – En espérant que vous pourrez les dissiper, je voudrais vous faire part de mes réticences sur ce projet. La commission des affaires culturelles avait diligenté en 1999-2000 une mission d'information sur les musées, qui avait insisté sur la nécessité d’accroître l’autonomie de gestion de nos musées et sur leurs capacités de rayonnement international. Une plus grande autonomie de gestion permettrait en effet, avait-elle estimé, de responsabiliser davantage nos musées sur le plan culturel et sur le plan économique. Or le projet qui nous est proposé trouve son origine dans une négociation entre États, qui aborde en rafale (Sourires) la construction d’une île pour touristes fortunés avec hôtels, golf, musées – dont le musée Guggenheim et, pourquoi pas, celui du Louvre, le tout n'étant probablement qu'un aspect mineur d'une négociation plus vaste. Ce qui me gêne, c'est que le projet est imposé au Louvre, et pas par son ministre de tutelle.

Sur le plan économique, le projet est-il intéressant pour le Musée? Les sommes évoqués sont évidemment importantes. Mais le premier capital qui intéresse la culture, c’est l’Homme. Si argent il y a, il doit être au service de l’Homme et de son édification. Il ne faudrait pas que l’outil argent supplante tout le reste. Une action culturelle peut-elle n’être que financière, reportant la question du sens à plus tard ?

Interrogeons-nous maintenant sur les objectifs que nous assignons à nos actions culturelles. Celles-ci sont souvent jugées à l’aune de la démocratisation culturelle, de l’égal accès de tous aux œuvres. Ce projet répond-il à ces objectifs ? C’est pour le moins problématique... Les «petites mains» qui sont au service des classes sociales cibles de ce complexe touristique seront-elles invitées au musée ? Quelles garanties pouvez-vous nous donner sur l’accès de tout un chacun à ce musée, sachant que l'accès à l'île sera sans doute soumis à des règles contraignantes ? Le musée sera-t-il réservé à ceux qui fréquenteront cet espace touristique de luxe ? Si oui, mieux vaudrait exposer les œuvres en France !

J’en viens au rayonnement de nos musées. Je suis favorable à ce qu’un musée comme le Louvre agisse comme il le fait dans une ville de France, et pourquoi pas à l'étranger. Il peut être une tête de réseau dans des formes multiples, dont celle d'une collaboration intense à la vie d'un musée, même si cette action ne peut que l’appauvrir puisque ses réserves ne sont pas peuplées d'oeuvres majeures. Mais il faut que cette action soit inscrite dans une démarche voulue et assumée par le Musée lui-même. On ne peut pas vouloir la responsabilité des acteurs culturels et accepter au détour d'une négociation une telle initiative.

Si vous aviez ouvert le débat de la présence des musées nationaux à l'international et sollicité auprès des principaux musées des initiatives, la question aurait été différente. D'ailleurs, le projet a été présenté par le ministre délégué à la francophonie et non par vous-même, Madame la ministre. C’est dommage.

Je vous poserai pour finir trois questions. D’abord sur le fonctionnement de l’agence : quel sera son coût ? Parrainera-t-elle d'autres projets ? De quelle autonomie disposeraient dès lors nos musées? Nous n’avons pas besoin d’une nouvelle Réunion des musées nationaux ! Sur l’évolution du projet culturel, pouvez-vous vous engager à informer régulièrement la commission ? Enfin, que préconisez-vous pour que le musée assume sa mission de démocratisation ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)

La discussion générale est close.

Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication – Je remercie tous les orateurs dont les interventions ont permis d’éclairer ce projet et vais m’efforcer de répondre aux questions qui demeurent. M. Balkany a justement insisté sur le choix de développement qu’a fait Abou Dabi : c’est celui de la culture, et cela mérite d’être souligné. Christian Kert a d’ailleurs évoqué le projet de la Sorbonne qui prendra également place dans cette île. Il y aura bien sûr des golfs et des hôtels, Monsieur Rogemont, mais il y aura d’abord cinq musées. C’est un lien fort qui se crée entre les civilisations.

Les garanties juridiques et scientifiques qui entourent le projet sont importantes. Le comité scientifique, présidé par Henri Loyrette, réunit des conservateurs de très haut niveau. Le directeur scientifique du projet est Mme Laurence des Cars, conservateur au Musée d’Orsay. C’est dire l’exigence scientifique qui présidera à l’ensemble du projet.

Olivier Dassault a insisté sur l’encadrement strict de l’usage du nom du Louvre. Cet usage n’est pas une perte pour le Louvre, dont le rayonnement demeurera intact. Le musée ne sera d’ailleurs pas une antenne du Louvre, mais bien un musée à part entière. Et ce nom de Louvre est d’abord un bel hommage rendu à notre plus grand musée.

Le président Poniatowski l’a rappelé, ce projet ne se fait pas au détriment de nos musées, mais renforce au contraire le rayonnement de notre culture et de notre langue. Il permettra en effet à de petits musées – comme le musée Toulouse-Lautrec d’Albi – de s’exporter en participant à cette belle aventure.

Ce rayonnement sera renforcé par le choix de l’architecte, Jean Nouvel. Il a réalisé l’esquisse. C’est après la présentation du projet scientifique, d’ici à la fin décembre, que ce beau projet architectural prendra sa forme définitive.

Une telle entreprise ne va-t-elle pas permettre à l’État de se désengager ? Non, bien entendu.

M. Patrick Bloche – C’est fait.

M. Marcel Rogemont – Il n’avait pas besoin de cela.

Mme la Ministre – Pas du tout. L’État maintient son effort et, Monsieur Bloche, je n’ai pas du tout le sentiment d’avoir prononcé l’oraison funèbre du ministère de la culture en présentant son budget, puisqu’il augmente de 3 %,...

M. Patrick Bloche – Nous verrons.

Mme la Ministre – …et ce dans des temps où nous réfléchissons sur de nouvelles pratiques budgétaires pour mener des réformes différées depuis vingt ans.

De plus, l’accord précise bien que les fonds considérables qui seront versés serviront à restaurer, à acquérir, et à financer des projets importants pour le Louvre. On croit celui-ci achevé, mais il reste notamment à permettre au centre de recherches de libérer le pavillon de Flore pour les œuvres, à réaliser un centre de réserves bien nécessaire, ou à améliorer l’accueil sous la Pyramide, conçue pour 3 000 à 4 000 visiteurs quand il en vient maintenant deux fois plus. L’argent ira aux musées pour les musées !

Monsieur Bloche, vos critiques, vos réserves étaient quand même modérées. Vous avez vous-même souligné que les échanges internationaux étaient déjà courants, ainsi que les échanges d’expositions assortis de contreparties. Ainsi, l’envoi d’une exposition des œuvres de l’Orangerie au Moyen-Orient et en Australie a procuré 7 millions pour les travaux du Musée ; l’envoi d’œuvres de Picasso à Berlin a contribué à financer l’exposition « Mélancolie ». D’autres expositions, au Japon, ont permis d’acquérir et de restaurer des œuvres. Il n’y a donc là aucune dérive marchande. Au-delà des œuvres elles-mêmes, c’est l’expertise, le savoir-faire muséographique que nous apportons qui donne lieu à contrepartie.

Vous avez aussi fait valoir que, jusqu’ici, les musées pilotaient eux-mêmes ce genre de projets. Mais ce sont bien eux qui le portent, à travers l’Agence. On a beaucoup prétendu que ce projet avait été imposé par une sorte d’oukase. En réalité, c’est d’abord Abou Dabi qui avait la volonté de réaliser un projet culturel. Qu’il y ait eu négociation d’État à État n’a rien de blâmable en soi…

M. Jean-Marc Roubaud – Évidemment.

Mme la Ministre – …dès lors que ce projet bénéficie entièrement à nos musées. S’il a d’abord été entouré d’une certaine discrétion, c’est à la demande d’Abou Dabi, qui menait en même temps d’autres négociations, puisque cinq musées vont s’installer sur cette île. Dès que cela a été possible, M. Donnedieu de Vabres s’est exprimé devant la commission des affaires culturelles du Sénat et a réuni tous les directeurs de musée pour leur exposer le projet. L’Agence répondra à toutes les invitations du Parlement, et je m’engage à ce que le travail sur le projet Abou Dabi se fasse, dans les années à venir, dans la plus totale transparence.

S’agissant des personnels, ils seront recrutés par les Émiratis. Pour notre part, nous enverrons des experts et l’accord prévoit que nous formions des scientifiques.

On a aussi également suggéré que le projet porterait atteinte à une réserve naturelle. Pas du tout. En réalité, il est implanté sur une île déserte.

On a aussi laissé entendre que les visiteurs français de nos musées seraient privés des chefs-d’œuvre exportés. Il faut savoir que 30 000 prêts sont consentis chaque année entre musées, français et étrangers, que le Louvre n’expose que 35 000 œuvres sur les 170 000 qu’il détient, sans les dessins, et qu’il s’agit ici de 300 œuvres par an, puis de 250, puis de 200. De plus, ces prêts dureront de six mois à deux ans, alors qu’entre musées français, ils vont parfois jusqu’à cinq ans. En revanche, nous allons permettre aux 150 millions de visiteurs potentiels de cette région, sans compter les touristes, de découvrir des œuvres. Je précise aussi que le projet porte non sur 40 000, mais sur 6 000 m² ; à titre de comparaison, le Louvre de Lens fera 22 000 m².

Monsieur Rochebloine, je vous assure qu’on ne prête pas des œuvres contre les conservateurs – je le dis en présence de Mme la directrice des musées. L’accord précise clairement que les œuvres emblématiques ou fragiles ne seront pas prêtées et qu’on n’imposera rien. Bien entendu, le prêt se fera dans les meilleures conditions de sécurité et nous y veillerons particulièrement.

M. Rogemont s’est inquiété de l’autonomie des musées. Ce projet ne la met nullement en cause, et les musées participant au conseil d’administration sont vraiment parties prenantes, désormais, après les interrogations initiales. Quand au Guggenheim de Bilbao, outre qu’il avait organisé une exposition Serra, j’y ai vu cet été une exposition Kiefer.

M. Marcel Rogemont – Vous avez eu de la chance.

Mme la Ministre – Je ne crois vraiment pas que le Guggenheim fasse dans la médiocrité.

M. Bockel a présenté le projet. C’est assez logique en effet que celui-ci soit porté par le ministère des affaires étrangères puisqu’il s’agit d’une convention internationale.

S’agissant du public, il n’y a aucune restriction. Rien ne dit que seuls les riches pourront accéder au musée et nous souhaitons que le plus grand nombre y soit convié.

M. Patrick Roy – C’est gratuit ?

M. Patrick Bloche – Et pour aller dans l’île ?

Mme la Ministre - Je suppose qu’il y aura des moyens de s’y rendre et que le coût n’en sera pas complètement dissuasif.

Enfin, l’Agence a été redéfinie pour garder une dimension légère et se concentrer sur ses missions et sur le projet du Louvre. Quand ce dernier sera très avancé, il n’est pas impossible qu’elle s’occupe aussi d’autres projets internationaux, mais ce n‘est pas à l’ordre du jour. Les musées ayant vocation à gérer eux-mêmes des projets bilatéraux, elle n’aurait une expertise intéressante à apporter que si plusieurs pays étaient partenaires.

C’est donc un très beau projet, qui sera l’occasion d’un dialogue des cultures et d’une découverte mutuelle. Il assurera le rayonnement de la France tout en procurant des ressources considérables, qui ne donneront pas lieu pour autant à un désengagement de l’État (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe Nouveau centre).

ARTICLES PREMIER À 3

M. le Président – J’appelle les articles du projet dans le texte du Sénat.

Les article 1 à 3, mis aux voix, sont successivement adoptés.

M. le Président – Nous en venons aux explications de vote.

M. Patrick Roy – On nous présente cet accord comme un instrument du rayonnement de la France. Cela nous tient à cœur, en particulier à Patrick Bloche, qui pour sa part, est allé assurer de belle manière le rayonnement français en Nouvelle-Zélande (Sourires). La France a effectivement une culture à exporter. On a dit aussi qu’il n’y a là aucune nouveauté puisque déjà 30 000 œuvres sont prêtées et qu’il existe des partenariats avec de nombreux pays, et même chez nous, avec le beau projet de Lens.

Les Émirats arabes unis sont en pleine expansion, et même si Abou Dabi n’est pas Dubaï, qui est devenu en un quart de siècle l’une des métropoles les plus novatrices du monde, la France doit accompagner cette mutation, et participer ainsi au dialogue entre les cultures, dans une région au carrefour de l’Orient et de l’Occident.

Enfin, ce projet est également un instrument de promotion de la francophonie, et nous ne pouvons que nous en féliciter.

Nous regrettons toutefois, comme l’a rappelé M. Bloche, la relative opacité qui a entouré cet accord et qui ne pouvait que susciter des soupçons.

M. Jean-Marc Roubaud – La ministre vous a pourtant répondu !

M. Patrick Roy – Ensuite, on sait maintenant que les réserves du Louvre ne sont pas aussi considérables qu’on a pu le dire, et la question se pose donc de savoir si le musée d’Abou Dabi se contentera d’œuvres mineures, ou si nos musées accepteront de se défaire un temps de pièces majeures. La question du transport et de la conservation, s’agissant de pièces uniques, n’est pas non plus sans susciter certaines appréhensions.

Si je ne doute pas que les habitants aisés des Émirats, ainsi que les touristes, n’auront aucune difficulté à accéder au musée, je suis moins sûr, connaissant le pays, que ce soit aussi le cas des travailleurs immigrés, dont les conditions de rémunération et d’hébergement sont particulièrement précaires. Enfin, les dérives marchandes du projet ne sont pas pour nous rassurer. Pour toutes ces raisons, le groupe SRC s’abstiendra (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

M. Christian Kert – Si j’étais l’un de nos collègues socialistes, je réfléchirais à deux fois ! On a vraiment l’impression qu’ils ont envie de voter ce texte, mais qu’ils s’interdisent de le faire pour des raisons politiques.

M. Patrick Bloche – Non ! Certaines de nos interrogations sont restées sans réponse.

M. Christian Kert – Le groupe UMP se réjouit, quant à lui, que le débat se soit déroulé dans un climat apaisé, ce qui n’était pas le cas en début d’année. Et votre réponse, Madame la ministre, devrait lever les inquiétudes de nos collègues. Je pensais donc que la raison l’emporterait ; ce sera peut-être pour une autre fois ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)

J’en profite pour vous remercier de la façon dont vous avez réagi à l’acte de vandalisme du musée d’Orsay, en vous rendant sur place et en proposant des mesures pour éviter que de tels actes se reproduisent.

Nous voterons avec enthousiasme un projet fidèle à la vocation de la France, propre à favoriser la compréhension entre les civilisations – la situation géographique des Émirats se prête particulièrement bien à un tel dialogue – et à faciliter l’accès de tous aux œuvres du génie humain. « Adore l’idée, disait Flaubert, car elle seule est vraie, elle seule est éternelle. » Comment ne pas voter pour une idée porteuse d’éternité ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe Nouveau centre)

M. François Rochebloine – Madame la ministre, je vous remercie d’avoir répondu à nos interrogations. Le groupe Nouveau Centre votera ce projet, qui nous permet d’exporter la richesse culturelle de la France à Abou Dabi (Applaudissements sur les bancs du groupe Nouveau centre et du groupe UMP).

M. le Rapporteur – Très bien !

L'ensemble du projet de loi, mis aux voix, est adopté.

RÉPRESSION DU TERRORISME

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification du protocole portant amendement à la convention européenne pour la répression du terrorisme.

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État chargé de la coopération et de la francophonie – La France, qui peut se prévaloir d'un dispositif législatif satisfaisant en matière de prévention et de répression du terrorisme, a toujours voulu compléter son action nationale par une coopération bilatérale, européenne et multilatérale. C'est pourquoi elle est partie à la convention pour la répression du terrorisme du 27 janvier 1977, que vient amender le présent protocole, signé par notre pays le 15 mai 2003.

La convention de 1977 complétait les accords d'extradition et d'entraide en vigueur entre les États membres du Conseil de l'Europe, en vue de lever la difficulté que représentait la possibilité laissée aux États d’invoquer la nature politique des actes pour refuser l’extradition ou l’entraide. Elle établissait ainsi un mécanisme de « dépolitisation » des infractions, disposant que les actes considérés comme actes terroristes ne pouvaient être qualifiées d'actes politiques.

Le protocole élargit le champ d'application de ce mécanisme de dépolitisation à l'ensemble des infractions établies par les conventions des Nations unies ratifiées par la France, et, s’agissant des infractions de cette nature, inclut la tentative et la complicité dans le champ de la convention.

Il organise une procédure simplifiée pour faire entrer de nouvelles infractions dans le champ de la dépolitisation sans passer par un nouveau protocole. Il prévoit également l'ouverture de la convention aux États observateurs auprès du Conseil de l'Europe, ainsi qu’à d'autres États.

Il encadre plus étroitement la possibilité qu’ont les États d’émettre des réserves à la dépolitisation des infractions, possibilité qui n’est, en tout état de cause, pas applicable en matière d'entraide pénale. Chaque État devra désormais indiquer les infractions pour lesquelles il souhaiterait émettre une réserve, laquelle devra être renouvelée tous les trois ans, avec obligation de motivation.

Il instaure en outre la règle « extrader ou punir » ainsi que l'obligation de faire part des décisions prises à l'État requérant et au comité conventionnel chargé du suivi du protocole et susceptible d'émettre un avis en l'absence de décision formelle ou en cas de refus d'extradition.

Si, en 1987, la France avait assorti le dépôt de son instrument de ratification de déclarations visant à garantir le respect du droit d'asile et à empêcher l'usage de la convention à des fins de répression politique ou idéologique, le protocole n'appelle pas les mêmes réserves, car la convention ainsi révisée prévient l’utilisation du droit d’asile à de telles fins.

Ce protocole s'inscrit dans la logique des conventions des Nations unies en matière de lutte contre le terrorisme. Il marque une nouvelle étape dans la mise en cohérence des normes internationales en vigueur en matière de lutte contre le terrorisme, un phénomène qui ne peut être combattu que par un effort commun (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Marc Roubaud, rapporteur de la commission des affaires étrangères – Les récentes attaques terroristes en Afghanistan et en Algérie, ou les attentats manqués de Londres et Glasgow, au mois de juillet, démontrent que la lutte contre le terrorisme reste une priorité pour la communauté internationale.

Dans son rapport annuel sur le terrorisme, publié le 30 avril dernier, le département d'État américain indique que le nombre des actes terroristes a augmenté de 25 % en 2006. Il recense ainsi 14 338 actes de terrorisme dans le monde, pour un bilan de 20 498 civils tués. La violence en Irak est la cause de 45 % des actes terroristes recensés et de 65 % des décès dus au terrorisme dans le monde. Le nombre de ces actes a en outre augmenté de 50 % en Afghanistan, passant de 491 à 749 entre 2005 et 2006. La plupart des actes terroristes continuent d'avoir lieu au Moyen-Orient et en Asie du Sud, même si le nombre en a diminué de 10 % dans cette dernière région. Et les attentats de Madrid en 2004 et de Londres en 2005, ainsi que les projets déjoués en Allemagne, au Royaume-Uni et au Danemark montrent bien que le territoire de l'Union européenne constitue une cible et que notre pays n'est pas à l'abri.

L’élaboration du protocole que nous examinons fait suite aux attaques terroristes qui ont frappé les États-Unis le 11 septembre 2001, attentats que le Comité des ministres du Conseil de l'Europe a immédiatement condamnés avec la plus grande vigueur. Préparé par un comité d'experts gouvernementaux, ce protocole a été ouvert à la signature des États signataires de la convention de 1977 le 15 mai 2003 et la France l’a signé le jour même.

Comme l’a souligné le ministre, ce protocole vient élargir le champ d’application de la convention de 1977, en incluant dans les infractions dites dépolitisées la tentative de commettre un acte de violence dirigé contre la vie ou l'intégrité corporelle des personnes, la complicité, l'organisation et l'ordre de commettre de telles infractions. Il vise en outre à accroître l'efficacité de la convention en encadrant plus strictement la possibilité qu’a un État partie d'émettre une réserve. En pratique, il oblige l'État qui émet une réserve à indiquer expressément les infractions auxquelles elle s'applique.

Le protocole permet aussi d'inclure dans le champ de la convention de 1977 les infractions établies par dix conventions des Nations unies. Grâce à cette articulation, ne pourront plus être considérées comme des infractions politiques les infractions liées à des attentats terroristes à l'explosif et au financement du terrorisme, les actes illicites dirigés contre la sécurité de la navigation maritime, ainsi que contre la protection physique des matière nucléaires. Cette liaison entre conventions européennes et textes à vocation universelle traduit une volonté de cohérence, qui ne peut manquer de renforcer l'efficacité des efforts collectifs contre le terrorisme.

Enfin, le présent protocole ajoute à la convention de 1977 des dispositions relatives à la possibilité pour un État de refuser l'extradition d'une personne, au motif qu'elle risque d'être exposée, dans l'État requérant, à la torture, à la peine de mort ou à une peine privative de liberté sans possibilité de remise de peine.

Le protocole renforcera l'efficacité de la convention européenne pour la répression du terrorisme, en empêchant que les auteurs d'actes terroristes échappent aux poursuites pénales et aux sanctions prévues pour de tels actes. C'est la raison pour laquelle je vous invite, au nom de la commission des affaires étrangères, à voter le présent texte (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. François Loncle – Il y a quelques semaines, nous avons examiné le traité relatif à l'approfondissement de la coopération transfrontalière en vue de lutter contre le terrorisme et la migration illégale ; aujourd'hui, nous avons à ratifier le protocole portant amendement à la convention européenne pour la répression du terrorisme.

Le groupe socialiste, radical et citoyen votera ce texte. En son nom, je souhaite cependant accompagner cette approbation de trois réflexions.

La première concerne le terrorisme : ce type de crime doit-il être combattu ? Oui, cent fois oui ! Nous avons tous en mémoire les images d'attentats dévastateurs, en Afghanistan, en Espagne, en Grande-Bretagne, en Colombie, en Inde, en Indonésie, en Irak, au Pakistan, en Russie, aux États-Unis, ou, hélas aussi, dans notre pays. Et ce type de crimes n’est pas nouveau. Dans son histoire, la France en a souffert, pendant la guerre d'Algérie, de la part du FLN et de l'OAS. Des années plus tard, les bombes posées par des criminels originaires du Proche-Orient dans les années 1980 et d'Algérie en 1995 ont tué plusieurs dizaines de personnes.

La convention antiterroriste que l'on nous propose aujourd'hui d'amender date de 1977. Or, en matière de lutte antiterroriste comme pour bien d'autres questions, il convient d'éviter, dans l'enceinte du Parlement comme au sommet de l'État, les emballements médiatiques. Les moyens mobilisés pour gagner la bataille doivent être les plus efficaces. Et ce ne sont pas nécessairement les plus spectaculaires ou les plus immédiatement répressifs.

Ma deuxième réflexion concerne la définition du terrorisme : qu'est-ce que le terrorisme ? Qui est terroriste ? Ici encore, il convient d'être le plus précis possible. Nos sociétés ont une exigence d'efficacité mais qui soit respectueuse du cadre démocratique. Cela suppose une certaine homogénéité de critères, donc un partenariat entre pays ayant en partage les valeurs démocratiques. À cet égard, je rappelle que la convention européenne pour la répression du terrorisme va bien au-delà de la Communauté européenne puisqu’elle engage 47 pays, dont la Russie et la Turquie. Dès lors, est-on bien sûr que certains choix politiques ne seront pas qualifiés de terroristes par les autorités de ces pays ? Ou d'autres ?

Ma dernière réflexion a trait au défi lancé par les terroristes à ce qui fait notre identité, soit la démocratie. Est-on bien sûr que l'accumulation de lois internationales limitant le champ du politique en matière d'extradition et de coopération policière internationale ne nous fait pas entrer dans une spirale qui pourrait dénaturer l'esprit de nos lois ? Si le phénomène n'est pas seulement français, le risque de dérive est bien réel.

Adopté récemment, le traité concernant le terrorisme, en accolant, dans son intitulé, terrorisme et immigration clandestine, mêle dangereusement les genres. Et il y a d'autres exemples, comme le contrôle a priori des citoyens par des moyens technologiques de plus en plus sophistiqués. La prévention peut-elle s’exercer au prix de nos libertés individuelles ? D'une intrusion ne respectant pas notre droit à la vie privée ? Prenons garde à ne pas dériver vers une société orwellienne, régentée par un Big Brother informatique.

Mon propos vise à alerter sur notre double obligation en matière de sécurité citoyenne. Oui, nous avons le devoir de protéger les Français, et tout doit être fait pour anticiper, prévenir et punir, en coopération avec d'autres pays. Mais nous devons aussi éviter de tomber dans le piège tendu par les terroristes eux-mêmes, en refusant les mesures les plus expéditives. Ne favorisons pas l'érosion progressive de nos valeurs. En toutes circonstances, la répression du terrorisme doit respecter les principes démocratiques. Ainsi, je ne suis pas persuadé que nos amis américains, presque universellement soutenus après le 11-Septembre, avaient besoin de Guantanamo pour exorciser le cauchemar du World Trade Center.

Ces réserves ayant été faites, et, je l'espère, écoutées, le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche confirme son approbation du présent texte (Applaudissements sur tous les bancs).

M. le Rapporteur – Très bien.

M. Jean-Claude Mignon – Je salue l’intervention de François Loncle. Je souscris pleinement à ses observations et à ses réserves.

Le projet de loi soumis à notre examen revêt une importance particulière, puisqu’il vise à offrir aux 47 États membres du Conseil de l'Europe les outils nécessaires pour faire face aux nouvelles menaces terroristes. Depuis longtemps, le Conseil de l'Europe porte une attention très vive à ce sujet, et la convention européenne pour la répression du terrorisme de 1977 conjugue avec équilibre les impératifs de la lutte contre le terrorisme et la protection des droits de l'Homme.

Elle laisse ainsi aux États membres une appréciation assez large dans la qualification des infractions commises. C'est pourquoi l'usage de la catégorie des infractions dites politiques est courant et permet souvent de se soustraire à toute procédure d'extradition. Si ce principe est sain dans certaines circonstances, force est de constater que les temps ont changé. Depuis la chute du mur de Berlin et la disparition du bloc soviétique, les mouvances terroristes ont pris une ampleur sans précédent. Souvenons-nous de l'attentat dans le métro parisien, en 1995. Souvenons-nous aussi qu'avec l'attaque du 11-Septembre, le terrorisme s'est révélé d’une force destructrice inouïe. Peu de temps après, il frappera encore à Londres, à Madrid et dans d’autres pays.

Dans ce contexte, le droit international a dû s'adapter, et, dans le domaine judiciaire, une réelle volonté d'améliorer la coopération internationale s'est imposée. C'est cet aspect qu'il nous est demandé de favoriser aujourd'hui. La ratification du présent protocole est indispensable pour renforcer la coopération judiciaire entre les États membres du Conseil de l'Europe, notamment en matière d'extradition. Trop souvent, en effet, les terroristes se cachent derrière des motifs politiques ou sont protégés par des États peu scrupuleux utilisant ces mêmes motifs. Or, nous devons toujours veiller à examiner la nature de l'acte commis et non les motifs fabriqués après-coup. Les déclarations sont une chose, la nature de l'acte en est une autre. Les victimes et les familles des victimes des attentats de Paris, Londres ou Madrid en savent quelque chose.

Il est cependant impératif de ne pas porter atteinte aux droits de l'Homme et sans doute serait-il donc inopportun de dépolitiser toutes les infractions. Comme vous le savez, et comme je le mesure moi-même en tant que président de la délégation française à l'assemblée de Strasbourg, le souci des droits de l'Homme est placé au cœur des travaux du Conseil de l’Europe. Néanmoins, promouvoir les droits de l'Homme ne signifie pas protéger les responsables d'attentats !

Aussi, je ne peux que saluer la pertinence des travaux du Conseil de l'Europe qui ont permis d'actualiser la convention en prenant appui sur les accords signées dans le cadre des Nations unies, et donc reconnus par la communauté internationale. Ils ont aussi permis d'assouplir la procédure d'amendement de la convention, afin de l'adapter aux évolutions rapides des menaces terroristes. Ils autorisent des États ayant le statut d'observateur auprès du Conseil de l'Europe à adhérer à cette convention. Enfin, ils permettent d'instaurer un mécanisme de suivi pour assurer une application efficace de la convention.

Je vous appelle donc à voter en faveur de ce projet de loi, afin que la France montre sa volonté de coopération judiciaire internationale et européenne, sa détermination à lutter contre les auteurs des actes terroristes et son attachement aux valeurs qui ont fait le Conseil de l'Europe (Applaudissements sur tous les bancs).

M. le Secrétaire d'État – Je remercie votre rapporteur d’avoir illustré de manière très convaincante les motifs qui fondent notre démarche, en évoquant le contexte international au-delà du traumatisme du 11-Septembre. Merci, ensuite, à Jean-Claude Mignon pour sa bonne pédagogie sur l’utilité de ce texte et le bon usage qui devra en être fait.

Certains d’entre vous connaissent de l’intérieur le Conseil de l’Europe et son Assemblée parlementaire, dont le rôle est irremplaçable. À ce sujet, je voudrais répondre à M. Loncle, que je remercie du soutien de son groupe, qu’au-delà des garanties très claires apportées par le texte, on peut compter sur le Conseil de l’Europe pour veiller à ce qu’on évite tout amalgame. Par ailleurs, nous ne sommes pas ici dans le domaine des emballements médiatiques puisque ce travail a été engagé après les attentats du 11-Septembre.

S’agissant enfin de la définition du terrorisme, le débat au sein des Nations unies n’est pas encore tranché, même s’il existe un consensus très large pour que soient visés des faits particulièrement graves comme le détournement ou la destruction d’aéronefs ou les attentats à l’explosif. Ce texte montre que l’Europe a un peu d’avance et pourra inspirer d’autres instances.

Je me réjouis que l’ensemble des parlementaires se retrouvent sur un sujet qui concerne l’intérêt supérieur de notre pays. Ce débat, certes bref, mais de qualité, est un beau message que nous adressons tant à nos concitoyens qu’aux autres États signataires (Applaudissements).

M. le Président – J’appelle maintenant l’article unique du projet de loi dans le texte du Sénat.

Je ne suis saisi d’aucune demande d’explication de vote.

L'article unique du projet de loi, mis aux voix, est adopté.

SERVICE INTERNATIONAL DE RECHERCHES

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation du protocole sur la modification de l’accord instituant une Commission internationale pour le Service international de recherches.

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État chargé de la coopération et de la francophonie – Ce protocole sur la modification de l'accord de Bonn de 1955 nous ramène aux crimes du régime nazi.

Il a pour objet l'accès à la documentation relative aux personnes détenues dans les camps de travail, de détention, de concentration ou d'extermination, et aux civils déplacés du fait des opérations militaires puis des conséquences de la guerre.

Plus de trente millions de documents avaient été saisis par les Alliés qui, à la fin de la guerre, ont créé un bureau de recherches destiné à aider les familles à retrouver leurs proches ou à être informées de leur décès. Le 1er janvier 1948, la création du Service international de recherches, installé à Bad-Arolsen, avait pour but de « rechercher les disparus, rassembler, classer, conserver et rendre accessibles aux gouvernements et aux individus intéressés toute documentation relative aux Allemands et non-Allemands » détenus dans les camps nazis, ainsi que les documents concernant les non-Allemands déplacés en raison des opérations militaires.

Le 6 juin 1955, un accord intergouvernemental créant une Commission internationale pour le SIR – CISIR – afin d’assurer la coordination entre les États signataires a été signé à Bonn ; le même jour, un accord a été conclu avec le Comité International de la Croix-Rouge, chargeant celui-ci de la direction et de l'administration du SIR. Aujourd'hui, la CISIR rassemble l'Allemagne, la Belgique, la Grèce, Israël, l'Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Pologne, le Royaume-Uni, les États-Unis et la France.

La portée du protocole signé à Berlin le 26 juillet 2006 est double : d'une part, il permet aux chercheurs d’accéder aux archives conservées à Bad-Arolsen ; d'autre part, il autorise la numérisation de ces documents et la transmission d'une copie unique à chacun des onze États membres qui le souhaitent, afin que ceux-ci puissent les rendre accessibles selon les règles nationales de communication des archives – fixées en France par le code du patrimoine.

Ainsi les survivants et leurs familles auront-ils plus facilement accès aux informations. Quant aux historiens, n’en doutez pas, ils apprécieront de disposer de ce nouvel outil pour leurs travaux (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Tony Dreyfus, rapporteur de la commission des affaires étrangères - Comme vous venez de le rappeler, en 1945 les troupes alliées sont entrées en possession de nombreuses archives témoignant des persécutions subies par les peuples d'Europe, et celles-ci ont été rassemblées au sein du SIR, créé le 1er janvier 1948 et installé en Allemagne, à Bad-Arolsen, dans l'objectif d'aider les familles séparées pendant la guerre.

Dans la mesure où les accords de Bonn de 1955 n'ont jamais été soumis à autorisation parlementaire ni publiés au Journal officiel, l'approbation de ce protocole est l'occasion de régulariser la situation.

Le SIR de Bad-Arolsen, issu du bureau central de recherches installé à Londres dès 1943 auprès de la Croix-Rouge britannique par le Quartier général des Forces alliées, exerce un mandat humanitaire au service des victimes de l'Holocauste. Le gouvernement fédéral allemand s'est engagé à en assumer la responsabilité financière, et sa direction et son administration ont été confiées au CICR. Les accords de Bonn placent le SIR sous la surveillance d'une Commission internationale qui compte onze États membres.

On dénombre plus de cinquante millions de dossiers, concernant dix-sept millions et demi de personnes. Les documents archivés occupent quelque 25 000 mètres d'étagères et on compte près de 225 000 mètres de microfilms. Le fonds comporte trois groupes de documents : ceux relatifs aux camps de concentration et d'extermination, ceux relatifs aux camps de travail, qui concernent tant les déportés que les travailleurs volontaires, et ceux relatifs aux mouvements de populations civiles non allemandes, liés aux opérations de guerre et aux suites du conflit.

Détenant des documents qui peuvent ouvrir droit à des indemnisations, le SIR continue d’être beaucoup sollicité. En 2005, 150 828 requêtes ont été enregistrées et 226 535 réponses ont été fournies. Le nombre de demandes en attente de traitement s'élève encore à plus de 400 000.

Le protocole soumis à notre examen vise à permettre l'ouverture des archives de Bad-Arolsen à la recherche historique, conformément à un indispensable devoir de mémoire. Depuis 1996, une infime partie de ce fonds – à peine 2 % – est ouverte aux chercheurs : il s’agit de documents non nominatifs qui contiennent des informations générales sur les lieux de détention, sur les camps nazis, sur le travail forcé, sur les mesures de persécution. Les noms de persécutés y figurant sont occultés avant la consultation par des tiers.

Le protocole qui vous est soumis permettra un élargissement de la possibilité de consultation. Jusqu’ici, seules les personnes directement concernées avaient accès à ces fonds ; les avocats, notamment dans le cas de procédures d’indemnisation, ou les chercheurs, n’étaient pas autorisés à les consulter. L’ouverture des archives permettra désormais de rechercher la responsabilité d’établissements publics, de banques, de compagnies d’assurances, voire de pays, impliqués directement ou indirectement dans les persécutions. Il faudra prendre garde à ce que les préoccupations pécuniaires ne l’emportent pas sur le devoir de mémoire. Mais les procédures engagées, notamment aux États-Unis, donnent à penser que ce protocole aura une importance pratique et juridique non négligeable. Je vous demande donc de l’approuver (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Martine Aurillac – De nombreuses archives témoignant des persécutions subies par les peuples d'Europe ont été rassemblées au sein du Service international de recherches, créé le 1er janvier 1948 et installé en Allemagne, dans l'objectif d'aider les familles séparées pendant la guerre à se reformer. L’accord de Bonn du 6 juin 1955 lui a donné sa forme actuelle. Saluons l’effort important de mémoire qu’a engagé l’Allemagne sur cette période très sombre.

Depuis soixante ans, le SIR fournit des renseignements permettant d'élucider le sort de nombreux disparus et persécutés, mais la consultation de ses archives est réservée aux personnes directement concernées. La question de l’élargissement de l’accès à ces fonds se pose depuis plusieurs années. Le protocole modifiant l’accord de Bonn permettra d'ouvrir ces archives aux chercheurs, tant sur le site de Bad-Arolsen que dans les différents États parties, puisqu’il sera possible de recevoir une copie numérisée des documents.

Ce projet de loi permet également de clarifier une situation juridique confuse, dans la mesure où l'accord de Bonn n'a jamais été soumis à autorisation parlementaire, ni même publié au Journal officiel. L'approbation du présent protocole est donc l'occasion d'en autoriser la ratification.

Le SIR dénombre près de 50 millions de dossiers, concernant 17,5 millions de personnes : victimes juives du régime nazi, travailleurs forcés, résistants, Tziganes et autres groupes. Plus de soixante ans après la fin de la guerre, le SIR demeure très sollicité. Les demandes ont même augmenté ces dernières années, du fait de la création par le gouvernement allemand d'une fondation visant à indemniser les victimes de la persécution nazie.

La France, qui a constamment plaidé en faveur d'un plus large accès au fonds de Bad-Arolsen, a joué un rôle déterminant dans les négociations qui ont abouti à la signature, le 26 juillet 2006 à Berlin, du présent protocole. L’entrée en vigueur de cet instrument est subordonnée à l'achèvement des procédures d'approbation ou de ratification des États contractants. Or la France est l'un des derniers pays à ne pas avoir approuvé cet accord, ce qui empêche la transmission de la copie des archives aux États parties qui en font la demande.

L'ouverture des archives à la recherche scientifique est un moyen de contribuer à l’exercice du devoir de mémoire et sera la meilleure réponse au négationnisme. Le groupe UMP votera ce protocole (Applaudissements sur tous les bancs).

M. le Secrétaire d'État – Monsieur Dreyfus, j’apprécie l’illustration concrète que vous avez donnée des effets de ce texte, et, en ce qui concerne le fonds d’indemnisation, de l’urgence qu’il y avait à ouvrir l’accès des archives, avant qu’il ne soit trop tard. Madame Aurillac, il est important que vous ayez mis en exergue les conséquences qu’emportera ce texte pour les historiens et pour leur travail sur ces pages noires de notre histoire. D’aucuns verront dans l’adoption, à l’unanimité, de ce texte, un signe important (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

L'article unique du projet de loi, mis aux voix, est adopté.

Prochaine séance : demain, mercredi 10 octobre, à 15 heures.

La séance est levée à 18 heures 55.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Marie-Christine CHESNAIS

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne deux heures après la fin de séance.

Le compte rendu analytique des questions au Gouvernement
est également disponible, sur Internet et sous la forme d’un fascicule spécial,
dès dix-huit heures

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

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