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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

Séance du jeudi 7 février 2008

1ère séance
Séance de 9 heures 30
119ème séance de la session
Présidence de M. Rudy Salles, Vice-Président

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La séance est ouverte à neuf heures trente.

RATIFICATION DU TRAITÉ DE LISBONNE (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi autorisant la ratification du traité de Lisbonne modifiant le traité sur l’Union européenne, le traité instituant la Communauté européenne et certains actes connexes.

DISCUSSION GÉNÉRALE (suite)

Mme Nicole Ameline – Les destins des peuples sont aujourd’hui mêlés et aucune nation ne peut répondre seule aux défis du monde. Aimer la France, c’est vouloir lui donner toute sa place en Europe. À ceux qui ont douté, jusqu’à l’aveuglement, de la légitimité de la procédure parlementaire dans le processus de ratification, je veux rappeler que le traité de Lisbonne résout la crise institutionnelle de l’Europe sans trahir la confiance des Français, et que c’est la démocratie qui s’exprime ici. Nous n’avons de cesse, depuis plusieurs années, de demander le renforcement des compétences du Parlement ; quel paradoxe, alors que le traité simplifié reconnaît explicitement le rôle des parlements nationaux, de remettre en cause leur légitimité !

Le Président de la République, à qui nous devons cette sortie de crise, permet à la France de retrouver sa place en Europe et – j’ose le dire – sa fierté. Que retiendra-t-on de ce moment historique ? Le cortège des peurs qui ont toujours accompagné les grands projets européens ? Certainement pas ! Les divisions et querelles internes, les postures idéologiques ? Pas davantage. L’histoire retiendra l’initiative française et le courage d’un président, l’engagement des pays européens pour une nouvelle phase de la construction européenne, et l’appel des jeunes démocraties, qui, comme la Hongrie, ont été les premières à croire en cette Europe nouvelle. L’histoire retiendra que la France a été au cœur de cette relance, dans son intérêt et celui de l’Europe toute entière. Notre groupe, qui, dans son immense majorité, l’a compris, votera cette loi de ratification, après avoir massivement approuvé la révision constitutionnelle.

Convaincus que le « non » français a été pris en considération dans le refus de tout ce qui pouvait conduire à un super-État européen, convaincus qu’au-delà du réajustement institutionnel, le débat reste ouvert sur les priorités, les frontières, le sens de ce magnifique projet, convaincus que ce traité ouvre un champ immense et neuf – celui de la « réconciliation », pour reprendre le mot employé hier soir par le ministre des affaires étrangères : réconciliation entre ceux qui ont dit « oui » et ceux qui ont dit « non », réconciliation de nos concitoyens avec l’idée européenne et de la France avec son propre héritage, car l’Europe c’est la renaissance de la liberté sur les plages de Normandie, c’est la réconciliation franco-allemande, c’est la réunification d’un continent qui parlait et pensait français au XVIIIe siècle –, convaincus, enfin, que nous portons une responsabilité historique, l’Europe n’ayant jamais progressé sans la France, comment pourrions-nous rester à l’écart ?

Les enjeux du monde actuel ont été décrits par le Président de la République : comment éviter une confrontation entre l’Islam et l’Occident au profit d’un dialogue des civilisations ? Comment intégrer dans l’ordre économique mondial les nouveaux géants – le Brésil, l’Inde, la Chine ? Comment répondre au réchauffement climatique ? Face à ces enjeux, nous avons besoin d’une Europe moderne, intelligente, forte, démocratique, d’une Europe qui s’affirme comme une puissance mondiale…

M. Jacques Myard – C’est une auto-critique !

Mme Nicole Ameline – …et dont le modèle inspire le reste du monde. L’alternative à ce projet ne peut être que l’isolement ou la dissolution.

Une Europe forte exige des institutions fortes. Nous ne pouvons plus nous satisfaire d’un fonctionnement a minima, qui compromet la crédibilité de l’ensemble. Avec le traité de Lisbonne, la tendance s’inverse. L’extension du vote à la majorité qualifiée crée une nouvelle dynamique, la vision d’une Europe active et plus efficace, s’appuyant sur des coopérations renforcées. Comment ne pas saluer également le renforcement de la co-décision et du rôle des parlements nationaux, sachant bien que, sans légitimité démocratique, l’Europe ne peut progresser ? Comment ne pas saluer, enfin, les progrès liés à la Charte des droits fondamentaux, à l’affirmation des droits sociaux et au respect des services publics ?

L’Europe est la meilleure réponse à la mondialisation, au moment où l’humanité se redécouvre vulnérable, face aux séismes financiers ou au scandale moral de la grande pauvreté. Nous avons besoin d’une vision européenne de la mondialisation, qui crée un lien entre compétitivité et progrès social, confiance et développement. Si l’ouverture économique est une chance, l’Europe doit aussi protéger ses citoyens ; l’outrance des propos que nous entendons depuis quelques jours ne doit pas occulter l’inquiétude réelle de nos concitoyens ni leur tentation du protectionnisme. Poursuivre l’humanisation de la mondialisation, en accentuant l’effort sur les régulations économiques et sociales, et notamment en réaffirmant les normes dans l’esprit des travaux de l’Organisation internationale du travail, est notre défi le plus grand.

Ces institutions nouvelles serviront un projet politique ambitieux. La personnalisation de l’Europe, par la désignation d’un président, est à cet égard essentielle. Est-il concevable de priver le plus grand marché du monde d’une influence politique ? Le Président de la République, à quelques mois de la présidence française, a tracé les lignes de forces qui permettront de donner corps à une Europe concrète. Cette transition historique ne sera pas de tout repos, car le traité soulève des interrogations, eu égard, par exemple, à la complexité de la nouvelle gouvernance européenne, aux dérogations – jusqu’où peuvent-elles aller sans remettre en cause la cohésion de l’ensemble ? –, ou encore au décalage dans le temps de l’application du traité.

M. François Loncle – C’est l’Europe à la carte !

Mme Nicole Ameline – Le temps est à l’action, et le groupe UMP soutiendra pleinement l’Europe des grands chantiers de la sécurité énergétique, du plan climat, de l’immigration, d’une relation à l’OTAN rénovée, de la recherche et de l’innovation, du regard neuf et indispensable que représente une Union méditerranéenne, enfin de la nécessaire prospective – et la création d’un comité des sages est à cet égard une excellente initiative.

Si l’Europe doit répondre aux défis mondiaux, elle doit aussi, et surtout, continuer à s’enraciner dans le cœur des Européens, et pour cela continuer à offrir un horizon de paix, de liberté et de dignité. Elle doit se tourner vers les jeunes générations en accompagnant la mobilité et les échanges culturels. L’Europe n’est jamais autant elle-même que lorsqu’elle exprime un message universel sur un monde plus juste. Cette ratification est la condition du retour de la France en Europe et de l’Europe en France. La France doit être digne de cette Europe nouvelle, et nous devons en être fiers (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP).

Mme Sylvia Pinel – Le traité de Lisbonne est l'aboutissement d'un long processus engagé il y a plus de six ans, le 15 décembre 2001, avec la déclaration de Laeken, après l'échec du traité de Nice. Cette déclaration a donné naissance à un projet de traité constitutionnel, adopté en 2004 avant d'être écarté à l'issue des référendums français et néerlandais de 2005. Après deux ans de réflexion, l'idée d'un traité simplifié est apparue comme la solution pour sortir du blocage institutionnel. Le Conseil européen des 21 et 22 juin 2007 a alors convoqué une conférence intergouvernementale pour rédiger un projet de traité modificatif, lequel a été signé à Lisbonne, le 13 décembre, par les dirigeants des 27 États membres.

L'entrée en vigueur du traité de Lisbonne est prévue pour le 1er janvier 2009. À ce jour, la Hongrie, la Slovénie et Malte sont les seuls États à l'avoir ratifié. C'est aujourd'hui au tour de la France, membre fondateur, et à ses parlementaires nationaux, expression de la souveraineté nationale, que revient la décision de se prononcer. Devons-nous adopter ce projet de loi autorisant la ratification du traité de Lisbonne ? Ou plutôt, pourquoi ne pas ratifier ce traité ? Il est grand temps de dépassionner le débat et d'appréhender minutieusement ce traité, sans préjugés ni calculs de politique intérieure. Nous devons nous interroger sur l'essentiel : ce traité est-il bénéfique pour l'Union européenne, pour son fonctionnement démocratique, pour son rayonnement international, pour le bien-être de ses citoyens ? Le moment est donc venu de procéder à une exégèse davantage juridique que politique du traité, sans quoi le risque est grand de commettre une faute politique, laquelle serait alors bien plus grave qu'une erreur juridique.

Le traité de Lisbonne comporte seulement sept articles, mais 152 pages, 350 dispositions de droit primaire, 13 protocoles et 59 déclarations. Est-il compréhensible pour qui ne possède pas une expertise juridique ? Je referme la parenthèse.

L'idée d'une Constitution abrogeant les traités antérieurs a été abandonnée. Ce traité reprend donc la méthode traditionnelle de modification d'un traité et amende à la fois le traité de Rome et le traité de Maastricht. Il est d'ailleurs destiné à disparaître, puisque toutes ses dispositions ont vocation à s'intégrer dans ces deux traités antérieurs.

En revanche, je regrette la disparition des symboles de l'Union, comme le drapeau, l'hymne et la devise. L’essentiel n’est cependant pas là, mais dans les outils juridiques contenus dans le traité, qui sont autant de réformes institutionnelles propres à relancer l'Europe sociale et politique. Les avancées les plus significatives sont donc autant de raisons d'appeler à la ratification de ce traité. Dotée de la personnalité juridique qui lui faisait défaut, l’Union européenne pourra désormais conclure un accord international et adhérer à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. Le processus de décision au Conseil sera simplifié, et la minorité de blocage devra comprendre au moins quatre de ses membres. Il y aura enfin une présidence permanente : un président sera élu à la majorité qualifiée pour une durée de deux ans et demi renouvelable une fois ; de même, un Haut représentant de la politique étrangère européenne conduira la politique étrangère et de sécurité commune de l'Union et présidera le Conseil des affaires étrangères. Le nombre des commissaires européens sera réduit à 18, et ils seront choisis selon un système de rotation égale entre États. La répartition des compétences entre l'Union et les États membres sera clarifiée : le traité énumère les domaines relevant des compétences exclusives, des compétences partagées et des compétences d'appui.

La démocratie européenne sera renforcée par l’institution de l'initiative citoyenne et l’accroissement du rôle des Parlements nationaux, avec un contrôle plus poussé du principe de subsidiarité. La Charte des droits fondamentaux aura une force juridique contraignante.

M. le Président – Je vous prie de conclure.

Mme Sylvia Pinel – Bref, le traité de Lisbonne procède à une clarification institutionnelle devenue urgente. Nous devons donc saisir cette opportunité pour nous tourner à nouveau vers l'avenir.

M. François Rochebloine – Très bien !

Mme Sylvia Pinel – Plus de quarante ans après la signature du traité de Rome par l'un des leurs, la majorité des députés radicaux de gauche – dont l'engagement européen n'est plus à démontrer – ne s'opposeront pas à la ratification de celui de Lisbonne. Avec plusieurs de mes collègues, je me prononcerai quant à moi pour sa ratification (Applaudissements sur plusieurs bancs).

M. Jacques Myard – L’honneur du député est de parler et d’agir selon ses convictions. Son devoir est de se lever pour défendre la souveraineté et l’indépendance de la nation, qui sont les fondements de notre liberté collective et individuelle. Je tiens ici à rendre un vibrant hommage à l’honnêteté intellectuelle du président Giscard d’Estaing, qui n’avance pas masqué et dit nettement que ce traité n’est pas un « mini-traité », mais un traité substantiel, qui reprend à 98 % les dispositions du traité constitutionnel rejeté par le peuple. Voilà un homme qui ne ment pas, à la différence de certains sur ces bancs !

M. Nicolas Dupont-Aignan – Très bien !

M. Jacques Myard – Ce texte pose à mon sens deux questions. Est-il adapté au fonctionnement d’une Europe à 27 ?

M. Benoist Apparu – Oui !

M. Jacques Myard – Cette organisation européenne est-elle apte à défendre nos intérêts dans le monde actuel ?

M. Benoist Apparu – Encore oui !

M. Jacques Myard – Il est clair que ce texte poursuit l’objectif d’un super-État dont le droit primera sur celui des États membres : la Déclaration 17 reprend le fameux article 6 du traité constitutionnel, en dépit des décisions du Conseil constitutionnel intégrant l’ordre juridique communautaire dans l’ordre juridique français, dont la norme supérieure demeure la Constitution française. Il y a là un conflit potentiel que vous devrez résoudre dans les larmes !

M. Nicolas Dupont-Aignan – Tout à fait !

M. Jacques Myard – Il est tout aussi clair que ce texte poursuit la fuite en avant du transfert continu de compétences à Bruxelles – 54 nouvelles compétences ! Ce Parlement est devenu une chambre d’enregistrement, un théâtre d’ombres, et vous devrez en répondre, car l’acquis communautaire – qui croît d’environ 10 000 pages tous les deux ans – va faire de l’Europe une monstrueuse obèse qui mourra de thrombose...

M. Nicolas Dupont-Aignan – Bravo !

M. Jacques Myard – …alors même que nous avons besoin de coopération européenne.

On nous propose de créer un haut représentant pour l’action extérieure. Quel rôle pourra-t-il jouer dans ce bloc hétéroclite des 27 ? Quant au président de l’Union européenne, sans doute un retraité – certains s’y voient déjà –, comment pourra-t-il s’imposer à des chefs d’État qui ont dans la main la gâchette nucléaire ?

Vous poursuivez donc un projet dépassé. L’Europe doit certes exister, mais elle doit – parce qu’elle s’est élargie – s’en tenir à l’essentiel.

Le traité ne dit rien de la Banque centrale européenne, dont le Président de la République fustige pourtant l’autisme. Il n’évoque pas davantage la politique industrielle, dont nous avons tant besoin.

Et pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? En-dessous de ce président élu pour deux ans et demi, il y aura toujours un Conseil des ministres qui tournera tous les six mois !

J’en viens au décalage entre ce traité et la réalité du monde. Le monde d’aujourd’hui est radicalement différent de celui de la conférence de Messine : la France a les moyens de s’y faire entendre sans aliéner son indépendance dans une construction européenne décalée. Renault préfère se marier à une geisha qu’à une Allemande, Alcatel-Lucent est une alliance franco-américaine…

M. le Président – Il faut conclure, Monsieur Myard.

M. Jacques Myard – C’est tout de même un point important !

Quant aux valeurs communes que nous aurions avec les Européens, nous les partageons avec tous les démocrates du monde. Pourquoi donc se limiter à cet isthme étroit ? C’est une faute stratégique ! Et les nouveaux comtes de Chambord pleurent leur drapeau alors qu’ils sont déjà tombés dans les oubliettes de l’Histoire !

M. Nicolas Dupont-Aignan – Très bien !

Mme Élisabeth Guigou – Vous ne serez pas surpris de m'entendre plaider pour le oui au traité de Lisbonne. Bien que modeste dans ses ambitions, il a en effet un triple mérite.

Tout d’abord, il sort l'Union Européenne de l'impasse institutionnelle où elle était enfermée depuis une quinzaine d’années : la question de l’adaptation des institutions à l’élargissement de l’Union est posée depuis le traité de Maastricht. Le traité d'Amsterdam n'avait apporté que de timides réponses à cette situation ; celui de Nice en a apporté de mauvaises, puisque le processus de décision se trouve bloqué. Il faut en sortir : le traité de Lisbonne permet de surmonter ce blocage, mais aussi le blocage politique né des « non » français et néerlandais.

Il apporte aussi des réponses à beaucoup des critiques soulevées en France lors du référendum de 2005. Nous devons d’ailleurs rendre hommage à ceux qui ont posé à cette occasion les questions que nous ne pouvons plus esquiver désormais.

Le traité de Lisbonne n'est pas une constitution, mais un traité qui modifie les traités précédents. Il ne les annule pas, ne les remplace pas, ne les surplombe pas. Il ne grave pas dans le marbre les politiques mises en place par les traités antérieurs, répondant ainsi au reproche lancinant entendu en 2005.

M. Hervé de Charette, rapporteur de la commission des affaires étrangères Qui n’était pas fondé !

Mme Élisabeth Guigou – Il rend les décisions plus faciles à prendre, avec le système de vote à la double majorité des États et des citoyens, et avec l'extension du vote à la majorité qualifiée.

Je regrette cependant qu’on ait supprimé les symboles de l’Union.

M. Hervé de Charette, rapporteur Moi aussi.

Mme Élisabeth Guigou – Ils n’avaient pas été institués par la Constitution européenne, mais par le traité de Maastricht, voire avant ce dernier. Heureusement qu’on n’est pas allé jusqu’à supprimer le passeport européen ! Je souhaite donc que la France s’associe au manifeste signé par seize autres pays en faveur de ces symboles.

Le traité améliore la démocratie en donnant de nouvelles prérogatives aux parlements nationaux, qui pourront s'opposer à des projets de directives sortant du champ de compétences de l'Union, ainsi qu'au Parlement européen, dont le pouvoir de codécision et le contrôle est étendu. Il donne aux citoyens un droit d'initiative.

Il crée aussi une nouvelle hiérarchie des valeurs et des objectifs de l'Europe. En subordonnant le « traité sur le fonctionnement de l'Union européenne » au « traité de l'Union européenne, il fait accéder à un rang supérieur les principes du traité de l'Union européenne – protection des citoyens dans le monde, cohésion économique, sociale et territoriale, plein emploi, progrès social, niveau élevé de protection de l'environnement, lutte contre l'exclusion sociale et les discriminations, justice et protection sociale, égalité entre les hommes et les femmes, solidarité entre générations. Ce nouveau classement ramène la concurrence libre et non faussée au rang de simple objectif de l'Union. Cette nouvelle hiérarchie n'est pas que cosmétique : elle pourrait donner à la Cour européenne l'occasion de placer les valeurs au-dessus du marché.

Le traité de Lisbonne conserve ce qui était positif dans le projet de traité constitutionnel : une présidence stable du Conseil européen – la présidence française aura une grande responsabilité dans la définition de ses compétences et le choix de la personne ; un Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, qui sera en même temps vice-président de la Commission.

J’ai été contente d’entendre M. Axel Poniatowski insister sur l’exigence de parité : sur les trois postes existant désormais, il serait bon d’en confier au moins un à une femme…

M. Hervé de Charette, rapporteur Êtes-vous candidate ?

Mme Élisabeth Guigou – La partie II donne force juridique à la Charte des droits fondamentaux dans 25 États sur 27 ; de la partie III, très contestée au moment du référendum, je veux souligner que le traité de Lisbonne ne garde que les innovations que la gauche européenne réclamait depuis longtemps : une base juridique permettant une directive cadre sur les services publics, un protocole qui précise les valeurs communes de l'Union concernant les services publics d'intérêt général, une clause sociale horizontale, l'extension du vote à la majorité qualifiée – et donc de la codécision pour le Parlement européen – à la coopération judiciaire et policière pour lutter contre la criminalité transfrontalière, la possibilité de créer un parquet européen pour poursuivre les délinquants qui portent atteinte aux intérêts financiers de l'Union – pensons à ce que coûte au budget européen et aux budgets nationaux la fraude à la TVA ! Enfin, l'Europe de la défense devient possible, le traité permettant à ceux qui le souhaitent d’aller de l’avant.

Bien sûr, ce traité est insuffisant, mais c’était le cas de tous ceux qui l’ont précédé : de traité insuffisant en traité insuffisant, on a fini par construire l’Europe ! Celui-ci ne modifie pas le système de vote pour les questions fiscales et sociales, il ne crée pas une meilleure gouvernance économique capable d'équilibrer le pouvoir de la Banque centrale ; mais il est meilleur que le traité de Nice, et le rejeter reviendrait à refuser ses progrès sans présenter d'alternative.

Comme tous les traités, il ouvre des possibilités mais ne remplace pas la volonté politique. Saurons-nous en faire preuve dans nos responsabilités respectives ? Saurez-vous, Monsieur le ministre, faire de la présidence française une étape vers une Europe plus solidaire, plus performante sur la croissance et l'emploi, plus efficace sur la scène internationale ? Un semestre, c’est court, mais la France a toujours su obtenir des progrès sur des objectifs importants.

Quant à nous, saurons-nous, avec la gauche européenne, réussir les élections de 2009 et rendre l'Europe plus proche des citoyens ? Aurons-nous la volonté collective de mener à bien des projets concrets en matière de recherche, de formation des jeunes ? Je pense à Erasmus : qu’attend-on pour conditionner la délivrance d’un diplôme de master à une formation de six mois dans un autre pays de l’Union européenne ? (Applaudissements sur divers bancs) Il faut aussi agir en commun sur la maîtrise du réchauffement climatique ou la sécurité. Au-delà de ces projets concrets, il faut, pour redonner du sens à l'Europe, qu’elle apporte des réponses aux peurs des citoyens, comme elle a magnifiquement réussi à le faire il y a cinquante ans.

Saurons-nous humaniser la mondialisation, en maximiser les bénéfices, en maîtriser les effets pervers ? Nous devons, sans arrogance, être à l’avant-garde du dialogue des civilisations et des cultures. Faisons de l'Europe un acteur de la paix et de la solidarité dans le monde, qui tire la rive sud de la Méditerranée et l'Afrique vers le développement et la démocratie. Avec le traité de Lisbonne cette ambition devient possible : la réaliser ne dépend que de la volonté des Européens que nous sommes (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC, ainsi que sur plusieurs bancs des groupes NC et UMP).

M. Serge Letchimy – Ce débat me fait penser à deux grands poètes, dont l’un s’est dressé contre le nazisme et l'autre contre la colonisation. « Je choisis le plus large contre le plus étroit », écrit Aimé Césaire. Et pour René Char, « la lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil ».

Il y a deux Europe possibles : l’une, étroite, que ce traité reprenant l'essentiel du projet avorté de Constitution ambitionne de continuer à mettre en œuvre ; l'autre, plus large, qui constitue mon horizon. Oui, la lucidité est une blessure, mais une blessure stimulante parce qu’elle permet de continuer d'agir sans renoncer au rêve. Quant à votre Europe, Monsieur le ministre, c’est celle de la finance et du libéralisme économique le plus indécent ; ce n’est que par le biais d’un recours juridictionnel que l’on peut mettre en avant les valeurs auxquelles Mme Guigou a fait référence. C'est l'Europe de la croissance à tout prix, même si elle menace la survie de la planète et de l'espèce humaine, l'Europe de l'État réduit au minimum. C'est l'Europe qui s’éloigne de la laïcité, comme l’ont montré les discours de Riyad et de Latran : l’homme qui espère, ce n'est pas seulement celui qui croit, c’est aussi celui qui lutte pour un monde meilleur ! C’est, enfin, l’Europe forteresse obsédée par la répression des flux migratoires. Tant que l’Europe verra à ses frontières de pauvres gens escalader des barbelés, tant que des êtres humains agoniseront sur ses plages ou sauteront par des fenêtres pour fuir la police, elle se trahira elle-même. Cette Europe-là n'est pas la mienne !

Peut-on stopper cette Europe-là en disant « non » au traité de Lisbonne ? Malheureusement, je ne le pense pas. Pour lutter contre l’Europe étroite, nous avons besoin de l’Europe ! Notre combat pour l'Europe la plus large se fera avec l’Europe et dans l'Europe.

Cette Europe la plus large relève moins de la géographie que de principes. Ce n'est pas la construction d'un nouvel empire dominateur, c'est la mise en relation de tous ceux qui partagent les mêmes idéaux de progrès, de respect de la diversité et de la dignité des peuples, bien loin du discours du Président de la République à Dakar. Notre perspective est d'habiter le monde de la manière la plus juste, la plus sobre et la plus humaine possible. L'Europe à laquelle je crois est l'utopie qui manque actuellement à la mondialisation. C'est celle par laquelle la République française « une et indivisible » pourrait devenir une « République unie », riche de ses diversités. Comme l’a dit Glissant, on peut « changer en échangeant avec l'autre sans pour autant se perdre ou se dénaturer ».

Soyons lucides sur les régressions de notre époque, mais soyons aussi déterminés à utiliser les quelques avancées de ce traité pour continuer à nous battre en faveur d’une Europe de progrès, imprégnée des valeurs d’égalité et de solidarité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR)

M. Lionnel Luca – Quarante-huit heures après avoir révisé la Constitution en Congrès, nous nous apprêtons à adopter sans vrai débat un texte tout aussi important, sinon plus, que le traité constitutionnel qui avait, il y a deux ans, suscité une formidable passion chez nos concitoyens.

Comme l'indiquait M. Valéry Giscard d'Estaing le 16 janvier dernier, il s’agit de poursuivre la « conquête sournoise des compétences européennes », méthode qui « constitue une dérive malsaine, n'est pas démocratique et irrite l'opinion publique ». On en mesurera l’effet boomerang l'année prochaine lors des élections européennes !

L'engagement du Président de la République de passer par la voie parlementaire aurait pu se justifier s'il s'était agi d'un traité simplifié ; or il n'en est rien. Toujours selon M. Valéry Giscard d'Estaing : « il est plus long que le précédent. Il s'agit bien avec ce catalogue, d'un texte ayant le même contenu, mais faisant l'objet d'une présentation différente, dont la lecture est cependant pratiquement impossible ». On a changé le flacon, mais pas le contenu, en le rendant abscons.

Contrairement à ce que l’on voudrait nous faire croire, il ne s’agit pas d’un traité ordinaire qui s'ajouterait aux autres, mais une étape décisive : l'Union européenne se substitue désormais à la Communauté européenne et se trouve désormais dotée de l'essentiel des attributions ordinairement dévolues aux États.

Comme l'explique le professeur, ancien recteur d'académie, Armel Pecheul, « la nation se dilue au profit d'une citoyenneté européenne en gestation, la souveraineté des États devient résiduelle, le contrôle des gouvernants n'est plus politique, il est exclusivement juridique ».

L'Union européenne entend devenir un partenaire international des États non-membres ainsi que des organisations internationales. Elle est appelée à se substituer aux États membres dans le concert des nations puisque selon le nouvel article 19, les États membres du Conseil de Sécurité – la France et la Grande-Bretagne – s'effaceront au profit du Haut représentant – que les journalistes finiront bien par appeler ministre des affaires étrangères. Mais pour quelle politique étrangère commune ? Celle de la Grande-Bretagne, alignée sur les États-Unis lors la guerre en Irak, ou celle de la France, en résistance avec l'Allemagne contre l'aventure américaine ?

L'inscription dans le traité d'une alliance de l'Union européenne avec l'OTAN, c'est-à-dire d'un système militaire sous commandement étranger, fût-il ami, met à mal le concept d'une Europe de la défense indépendante – mais la veut-on ?

L'article 28 B nouveau évoque « des missions qui peuvent contribuer à la lutte contre les terrorismes, y compris par le soutien apporté à des pays tiers pour combattre le terrorisme sur leur territoire ». Comment présenter encore la Constitution européenne comme un gage de paix, et l’Union a-t-elle la même conception de la lutte contre le terrorisme que les États-Unis ?

Sur le plan interne, la modification la plus sournoise vient de ce que les dispositions du chapitre 2, relatif aux actes juridiques de l'Union, et surtout la déclaration n° 27 considèrent qu’avec la jurisprudence de la Cour de justice, la primauté du droit communautaire est un principe fondamental du droit.

La Charte des droits fondamentaux, agrégée au traité par l'article 6 à l'aide d'un renvoi à une annexe, est ainsi dotée de la valeur juridique qui lui faisait défaut jusqu'alors, même si la Cour de justice l'avait déjà intégrée parmi les éléments de contrôle de la légalité communautaire. Avec ce nouvel instrument, la Cour devrait voir ses pouvoirs renforcés.

Le droit des minorités, inscrit parmi les droits de l'homme, figure ainsi parmi les valeurs de l'Union et va s'opposer aux articles 1 et 3 de notre Constitution et notre conception de l'égalité vole en éclats. Le droit européen reconnaît des droits particuliers, ce qui prépare le droit à l'autonomie future.

De même l'article 10, qui affirme « la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites » heurte frontalement le principe constitutionnel français de la laïcité ; la seule limite posée par la Cour européenne des droits de l'homme est celle de « la sauvegarde du régime démocratique » ! Notre récente loi sur la laïcité est condamnée à terme : pratique de la polygamie, mariages arrangés, choix alimentaires ou sanitaires, signes ostentatoires, seront érigés « en droits de l'homme » puisqu'ils ne portent pas en eux-mêmes une atteinte grave au régime démocratique. Ainsi donc nos propres droits fondamentaux risquent d'être ravalés au second rang.

Échappant de plus en plus au contrôle des États et des nations, sans lesquels il n'existe guère aujourd'hui de légitimité démocratique, cette construction pâtira aussi de l'absence de tout contrôle populaire. En revanche, elle sera davantage encore soumise aux contrôles d'intérêts économiques supranationaux.

Toutes ces questions me préoccupent. Cela étant, comment s'opposer à ce texte alors qu'il n'y a aucune alternative crédible proposée par les 26 autres chefs d'États européens qui semblent prisonniers d'une pensée dogmatique héritée de la guerre froide, qui n'est pas sans rappeler « le sens de l'histoire » marxiste ? Comment ne pas accorder sa confiance au Président de la République bien qu’il se soit éloigné de ses engagements, alors que la France assumera la présidence de l'Union dans quelques semaines ?

M. André Schneider – C’est déjà mieux.

M. Lionnel Luca – En fait, le seul élément vraiment positif dans ce traité modificatif, qui me fera m'abstenir, c'est qu'à la différence du traité précédent, la signature du premier ministre turc n’y figure plus clandestinement. Compte tenu du vote du parlement turc, cette nuit, en faveur du voile islamique, c’est une bonne chose.

M. Jacques Myard – Très bien !

M. Armand Jung – Dans la presse régionale de ce matin, je ne trouve pas trace de notre débat. Pourtant, l’Europe est un des plus beaux combats de notre temps. Le traité de Lisbonne n’apporte pas tous les progrès que nous espérions. Mais pour la première fois, l'Europe est définie par un modèle de civilisation fondé sur des valeurs : la démocratie, l'État de droit, mais aussi l'égalité, la solidarité, la protection sociale et le développement durable. Toutes ces valeurs sont les nôtres, elles sont celles de la République.

Les socialistes ont été parmi les architectes de l'Europe, avec la conviction d'œuvrer pour la justice sociale et la grandeur de notre pays. J'ai bien conscience du doute qui s’est installé en mai 2005, car chaque jour, aux côtés des Strasbourgeois, et notamment des plus modestes, je ressens les inquiétudes, la méfiance et le tentation du repli sur soi.

Mais si nous voulons changer l'Europe, changeons de majorité en France et en Europe. Ne nous défaussons pas sur l'Europe de la responsabilité de tous nos maux. J'ai toujours combattu les thèses souverainistes véhiculées par les conservateurs mais parfois aussi par certains milieux de gauche. Ceux qui s'opposent aujourd'hui au traité de Lisbonne sont les mêmes qui, hier, dénonçaient la C.E.C.A., craignaient la réconciliation franco-allemande, accusaient l'Europe d'être une hydre supranationale, s'opposaient à l'adhésion de l'Espagne, du Portugal et de la Grèce et ont absurdement stigmatisé le « plombier polonais » lors du débat référendaire, ce qui s'apparente à une forme de rejet de l'autre.

Mme Catherine Coutelle et Mme Élisabeth Guigou – Très bien !

M. Armand Jung – À Lisbonne, dans sa précipitation et sa volonté d'apparaître comme le « Zorro de l'Europe », le Président de la République a manqué l'occasion d'une rupture plus audacieuse. À sa conception de l'Europe comme une « France en grand », j'oppose une Europe citoyenne, sociale et solidaire, mais je regrette que le traité de Lisbonne ait abandonné tous les symboles, l’hymne européen, le drapeau européen qui a sa place dans cet hémicycle…

M. Hervé de Charette, rapporteur – Très bien !

M. Armand Jung – Strasbourg, symbole de la réconciliation franco-allemande et capitale parlementaire de l’Europe n’est pas mentionnée.

M. André Schneider – Très bien.

M. Armand Jung – Le 2 juillet 2007, Nicolas Sarkozy déclarait : « il faut montrer que Strasbourg est la capitale de l’Europe et s’en donner les moyens ». Depuis, il n’y a pas eu de moyens supplémentaires, ni de reconnaissance symbolique.

Mais le traité de Lisbonne institutionnalise la charte des droits fondamentaux qui était l'un des combats de la gauche et de la confédération européenne des syndicats. Cette conquête essentielle pour une harmonisation sociale emporte à mes yeux toutes les préventions vis-à-vis des insuffisances du traité. C'est la principale raison pour laquelle tous les partis socialistes d'Europe ont décidé d'appeler à le voter.

Dès lors, le débat sur le recours à un référendum plutôt qu'à une procédure parlementaire est dépassé. Par principe, je suis plutôt favorable à la saisine directe des citoyens, mais proclamer « Référendum ! Référendum ! » en espérant secrètement le rejet du traité, est une posture qui mène à l'inaction et à l'isolement (« Très bien ! » sur certains bancs du groupe UMP).

Strasbourg, l’Alsace et la gauche sont mon engagement. Ils m’ont fait aimer l’Europe. C’est pourquoi j’ai voté, sans hésitation et sans reniement, la modification de la Constitution. Aujourd’hui, je voterai pour la ratification de ce traité qui est l'instrument d'une sortie de crise, car c’est l’urgence du moment (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur certains bancs du groupe UMP.

M. André Schneider – Voilà un bon Alsacien !

M. Christophe Caresche – Il faut ratifier ce traité, pour deux raisons essentielles. Pour l’Europe d’abord, qu’il dotera d’institutions plus démocratiques et, nous l’espérons, plus efficaces, et qu’il fera sortir d’une crise larvée qui dure depuis des années. Nous pourrons ainsi débattre du contenu des politiques européennes. Pour la France, ensuite : le « non » n’a pas provoqué en Europe un élan ni de propositions alternatives. Dès lors, nous n’avons pas à choisir entre ce traité, certes imparfait et un autre, mais entre ce traité et l’isolement de la France, sa marginalisation.

M. Hervé de Charette, rapporteur – C’est exact.

M. Christophe Caresche – Cela étant, ce traité n’est pas un aboutissement. On ne sait pas trop, même s’il n’y a pas de rupture, comment les institutions vont fonctionner. Cela dépendra beaucoup des personnes qui en seront responsables, d’où la nécessité de bien les choisir. Il n’est pas certain qu’une personnalité, estimable par ailleurs, mais venant d’un pays dont la fibre européenne n’est pas très sensible et qui vient encore d’obtenir des clauses dérogatoires, soit la mieux placée pour donner un nouvel élan à l’Europe.

Les parlementaires européens devront, bien sûr, se saisir des nouvelles compétences que le traité leur donne, de même que les parlementaires de chaque pays, puisque le contrôle de la subsidiarité est renforcé. Notre délégation pour l’Union européenne fait un excellent travail, et je rends hommage à son président, Pierre Lequiller. Mais, sur fond de réforme constitutionnelle, il faudra discuter de la meilleure façon pour l'Assemblée nationale d’utiliser ces nouvelles compétences.

Cependant, cet accord institutionnel ne résout pas les questions fondamentales que l’Europe se pose depuis des années. Les objectifs que se fixaient les pères fondateurs sont atteints. Le sens que nous donnons à l’Europe, ses orientations, ses priorités, est une question qui se pose de nouveau. On l’a bien vu à propos du « non » français. Je reprendrai donc volontiers la proposition de notre collège députée européenne Pervenche Berès, de réunir une convention pour débattre de ce qu’est notre projet commun (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC).

M. Pierre-Alain Muet – Pendant un demi-siècle, l’Europe s’est construite sur le plan économique sans aborder la vraie question : que voulons-nous faire ensemble ? Cette question fondamentale méritait un grand débat démocratique. Le mini-traité n’a pas l’ambition du traité constitutionnel, que j’ai soutenu même si je n’approuvais pas la présence d’une troisième partie ni la référence à la concurrence libre et non faussée.

S'il est moins ambitieux, le traité de Lisbonne a au moins l'avantage d'exclure ces deux aspects. Mais il a l'inconvénient, pour pouvoir éviter la voie référendaire, de ne pas affirmer clairement sa vocation constitutionnelle.

Je voterai ce traité sans hésiter, comme la majorité des membres du parti socialiste, qui a toujours été profondément européen : qu’on pense à Jaurès, œuvrant contre les nationalismes, à Blum qui milita pour une Europe politique, à Jacques Delors qui relança l’Europe en panne ou à François Mitterrand, qui sut s'appuyer sur le couple franco-allemand et osa prendre des risques politiques pour ancrer la construction européenne dans l'opinion. Car c'est en permettant aux citoyens de se prononcer sur les grandes étapes de cette évolution, et non en la leur dissimulant, que nous rendrons l'Europe populaire.

Par rapport à celui de Nice, le traité de Lisbonne comporte des avancées : un protocole sur les services publics, et les dispositions institutionnelles concernant le président du Conseil européen, le rôle des parlements nationaux, le droit d'initiative citoyenne, le président de la Commission et les coopérations renforcées. Il a le mérite limité, mais incontestable, de sortir l'Europe de l'ornière et de lui permettre d’agir à vingt-sept. D’une certaine façon, il marque la réunification définitive d'un continent affranchi de l'héritage de Yalta. Nous n'aurons plus désormais l'excuse de la lourdeur des processus pour ne pas avancer, ni la menace du veto pour justifier l'inaction. Mais pour que l'Europe ait un sens, elle doit apporter des réponses concrètes aux problèmes de la mondialisation. L’Europe sociale doit donc être une priorité.

Mais il y a aussi des reculs dans ce traité : la charte des droits fondamentaux n'en fait plus partie intégrante, et les symboles de l’Europe ont été abandonnés sous la pression britannique. Or, les symboles comptent. Plus que tous les sommets franco-allemands, c’est l’image de Mitterrand et de Kohl main dans la main à Verdun qui incarne la formidable réconciliation des peuples. Quant à l’hymne européen, il rappelle qu'avant d'être un grand marché, l'Europe fut d'abord une réalité culturelle, que la musique qui naissait à Vienne, Venise ou Paris était d'abord européenne avant d'être autrichienne, italienne ou française. Je regrette l’abandon de ces symboles qui manifestent que l'Europe est autre chose qu'une zone de libre échange, et je déplore que la France n’ait pas signé le protocole annexe qui les concerne (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe SRC).

M. Hervé de Charette, rapporteur Très bien !

M. Pierre-Alain Muet – Car l'identité européenne est plus profonde qu'on ne le pense. Là où les gouvernements prirent des positions différentes, une opinion publique européenne s'est clairement affirmée contre la guerre en Irak. C'est pourquoi nous sommes opposés à la nomination d'un président qui, dans ses fonctions nationales, y aurait participé.

Ce traité est une étape nécessaire. Je le voterai sans réserve, mais sans illusions, car l’essentiel reste à faire, notamment en matière sociale, pour que l’Europe redevienne une ambition partagée par tous (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC).

M. Daniel Fasquelle – C’est avec une certaine émotion que je participe à ce débat. Il y a en effet trois avancées dans ce traité, qui sont trois bonnes raisons de le voter.

La première est qu’il sort enfin l’Europe de l’impasse dans laquelle l’avait mise les votes français et néerlandais. Beaucoup pensaient qu’elle ne s’en remettrait pas, mais l’énergie du Président de la République et son travail avec Angela Merkel ont permis de convaincre l’ensemble de nos partenaires. La seconde est que l’Europe va enfin pouvoir fonctionner. Nous n’avons pas été capables d’approfondir l’Europe par les traités d’Amsterdam et de Nice, mais nous avons malgré tout poursuivi l’élargissement, obligeant l’Union à fonctionner à vingt-sept avec les institutions prévues pour six. Il était donc plus qu’urgent de modifier les institutions et le traité entérine une solution qu’on cherchait depuis 1995. Enfin, nous franchissons, après le traité de Maastricht, une nouvelle étape importante. Le 9 mai 1950, Robert Schuman proposait de créer d’abord des solidarités de fait avant de construire l’Europe politique. Le marché unique étant achevé, il était essentiel de passer à cette seconde étape. Ainsi l’Europe, géant économique, cessera-t-elle enfin d’être un nain politique.

Ne boudons donc pas notre plaisir : ce traité comporte trois succès majeurs. Mais n’oublions pas qu’il reste maintenant un triple défi à relever. Le premier est celui de la diversité. Ainsi que l’a dit Jacques Delors, l’Europe sera pluraliste ou ne sera pas. Certes le nouveau traité clarifie les compétences respectives de l’Union et des États, mais il faudra rester vigilant pour éviter tout empiétement sur les souverainetés nationales. Il est indispensable de protéger l’unité de l’Europe, mais aussi sa diversité, y compris culturelle et linguistique. Le second défi, c’est que nos concitoyens ont souvent le sentiment que l’Europe les expose à une concurrence déloyale. Il est vrai qu’elle se montre parfois prisonnière du libre-échange. Sur ce point aussi le traité est rassurant, qu’il s’agisse de la charte des droits fondamentaux, de la clause sociale horizontale, de la protection des services d’intérêt général ou des progrès de l’Europe de la défense. Mais tout dépendra de l’usage qui sera fait des textes et de l’énergie que nous mettrons à progresser au plan interne et à défendre nos intérêts à l’extérieur, notamment à l’OMC. Le troisième défi est de rétablir la confiance des citoyens en l’Europe. Le traité va nous y aider, mais c’est surtout la façon dont nous allons le faire vivre qui changera les choses.

Il est donc essentiel d’adopter ce traité qui lève trois points de blocage, mais il le sera tout autant de veiller à ce qu’il reste conforme aux vœux des Français et des Européens (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP).

M. Marc Dolez – Le respect de la souveraineté populaire aurait voulu que le Président de la République s’appuie sur son peuple pour exiger une réorientation économique, sociale et politique de la construction européenne. Mais le traité de Lisbonne est quasiment identique à celui qui avait été rejeté il y a deux ans.

Mme Claude Greff – Il faut apprendre à lire !

M. Marc Dolez – Toutes les raisons de dire non demeurent. En effet, le cadre ultra-libéral des politiques économiques de l’Europe reste inchangé. Grâce à un tour de passe-passe, la référence à la concurrence libre et non faussée disparaît des objectifs de l’Union, mais elle fait l’objet d’un protocole additionnel qui spécifie que le système garantit que la concurrence n’est pas faussée… La concurrence reste le fil conducteur de la construction européenne, le libre-échange son horizon indépassable, avec toutes les contraintes qui en découlent comme l’interdiction de toute restriction à la circulation des capitaux, la libéralisation de l’énergie, des transports ou de la poste ou la suppression des obstacles au commerce international.

M. Hervé de Charette, rapporteur – Vous me rassurez !

M. Marc Dolez – Les services publics font, eux, l’objet d’une véritable mystification. Le protocole 9, qui titre sur les services d’intérêt général, ne concerne en fait que les services d’intérêt économique général.

M. Hervé de Charette, rapporteur – En effet.

M. Marc Dolez – Le traité les soumet rigoureusement aux règles de la concurrence et interdit en pratique toute aide d’État. Et le président de la commission, M. Barroso, lève toute illusion qui subsisterait en déclarant inutile d’envisager une loi-cadre européenne pour clarifier la place des services publics d’intérêt général.

Le traité ne donne pas à l’Europe les outils politiques nécessaires pour encadrer cette toute-puissance des lois du marché. Elle reste un nain politique. Elle n’envisage aucune remise en question de la politique monétaire. La stabilité des prix fait une entrée remarquée dans les objectifs de l’Union, l’indépendance de la banque centrale est confirmée, l’Eurogroupe ne se réunira que de manière informelle. L’Europe sociale ne peut pas se construire, puisque toute harmonisation est interdite. L’harmonisation fiscale ne peut pas se produire, puisque la règle reste l’unanimité. Rien ne permet donc de lutter contre le dumping social et fiscal, contre les délocalisations et le saccage de notre industrie. Et sur la scène internationale l’Europe restera soumise aux orientations des États-Unis puisque c’est dans le cadre de l’OTAN que se concevra sa politique de sécurité et de défense.

Toutes les raisons de dire non demeurent donc. Un certain nombre de socialistes en sont convaincus. N’ayant pas obtenu un référendum, certains ont décidé de ne pas participer au vote. D’autres, dont je suis, ont décidé de maintenir leur position de 2005…

M. Jean-Paul Lecoq – Bravo !

M. Marc Dolez – …d’être les garants du « non » du peuple français – un « non » qui est l’expression de notre ardente volonté d’une autre Europe, démocratique, indépendante et sociale (Applaudissements sur certains bancs du groupe SRC).

M. Christian Hutin – Très bien !

La discussion générale est close.

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État chargé des affaires européennes – Je ne reviendrai pas sur les motions de procédure débattues hier soir et auxquelles le ministre des affaires étrangères et européennes a répondu. Je ne reviendrai pas non plus sur les améliorations apportées par le traité de Lisbonne, soulignées par nombre des orateurs. Comme y ont insisté le président de la commission des affaires étrangères, le rapporteur, Mme Guigou ou bien encore M. Laffineur, ce traité présente l’immense mérite de sortir l’Europe de l’impasse institutionnelle et politique dans laquelle elle se trouvait depuis septembre 2005, et il comporte des avancées majeures. Il facilitera notamment la prise des décisions, le champ de la majorité qualifiée ayant été étendu. Il permettra de mettre en œuvre des politiques communes concrètes dans des domaines aussi sensibles que la sécurité, la coopération policière et judiciaire, et de mieux relever des défis globaux.

Ce traité permettra aussi à la France d’être beaucoup plus influente sur la scène internationale, autorisant une meilleure articulation entre la politique étrangère et de sécurité commune et l’action de l’OTAN. Il permettra à l’Union de nourrir en matière de défense des ambitions correspondant à celles qui doivent être celles d’un espace économique de cinq cents millions d’habitants.

M. Jacques Myard – Et moi, et moi, et moi !

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État – Il permettra aussi, autre progrès important, de renforcer les politiques de codéveloppement, avec nos partenaires africains en particulier. Bref, il permettra à l’Europe de mieux maîtriser son destin et de mieux faire entendre sa voix sur le plan international.

Il ne constitue pas un projet en lui-même, cela a été souligné. Ce n’est qu’un instrument, mais il sera ce que nous en ferons, notamment dans les domaines économique, social et même fiscal. En effet, en dépit des règles d’unanimité qui continuent de prévaloir dans certains domaines, ce traité autorise des coopérations renforcées, permettant de dépasser la dialectique entre approfondissement et élargissement.

Enfin, nombre d’entre vous y ont insisté, il prend en compte les aspirations et les craintes exprimées lors du référendum du 29 mai 2005.

M. Jacques Myard – Non.

M. Jean-Claude Sandrier – Non.

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État Il comporte des avancées certaines en matière sociale avec le protocole sur les services publics, la clause sociale transversale, le fait que « la concurrence libre et non faussée » n’est plus un objectif en soi, mais seulement un outil.

M. Jean-Claude Sandrier – Plaisanterie ! Les Anglais ont durci la rédaction !

M. Roland Muzeau – Il faut dire la vérité aux Français !

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État Les deux n’ont pas du tout la même portée juridique, notamment en ce qui concerne le contrôle de la Cour européenne de justice sur les aides d’État (Interruptions de M. Myard).

On le voit, ce traité répond aux craintes de ceux qui avaient voté non en mai 2005.

M. Roland Muzeau – Il fallait les consulter à nouveau dans ce cas.

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État Ce traité marque également des avancées démocratiques grâce au renforcement du rôle du Parlement européen…

M. Jacques Myard – Et l’abaissement du rôle des parlements nationaux ?

M. Nicolas Dupont-Aignan – L’Ancien régime est de retour !

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État Non, le rôle des parlements nationaux également est renforcé. Ils pourront notamment rendre des avis motivés et intervenir sur les décisions de la Commission européenne : c’est une avancée (Interruptions sur les bancs du groupe GDR).

Ce traité enfin, et c’est le plus important, marque la réconciliation des peuples européens dans une Europe élargie nouvelle, qui, après la chute du mur de Berlin, se devait de retrouver les voies de son union. En cela, le traité de Lisbonne est parfaitement fidèle à l’idéal européen.

Je souhaiterais maintenant répondre à deux interrogations qui se sont fait jour au cours du débat. Tout d’abord, celle, exprimée notamment par M. Rochebloine, sur les frontières de l’Europe. Le traité de Lisbonne ne règle pas cette question. Un groupe de réflexion sera mis en place, qui rendra ses conclusions en 2010. Il éclairera notamment les dirigeants sur ce qui fonde véritablement l’identité européenne et, partant, détermine ce que peuvent être les frontières de l’Union. S’agissant de l’article 88-5 de notre Constitution, je ne suis pas favorable au recours systématique au référendum avant tout nouvel élargissement, ce qui n’interdit pas d’y recourir dans les cas les plus importants. C’est au Président de la République qu’il appartiendra de choisir la voie la plus appropriée.

M. Pierre Gosnat – Cela n’est pas très clair.

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État Pour ce qui est de la Turquie, la position de la France est connue. Le Président de la République l’a exprimée à plusieurs reprises : la Turquie n’a pas vocation à adhérer à l’Union européenne.

M. François Rochebloine – Très bien !

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État – Autre point abordé par plusieurs d’entre vous, de diverses sensibilités, et notamment par Mme Guigou, M. Moscovici, M. Muet, M. Lequiller, M. de Charette et M. Poniatowski, celui des symboles européens. Nous souhaitons rejoindre au plus vite les pays qui, au travers d’une déclaration commune, ont témoigné de leur attachement à ces symboles. Le plus important pour nous est de les faire vivre, comme cela a été le cas le 14 juillet dernier, ou comme ce l’est encore lorsque le drapeau européen flotte aux côtés du drapeau français au fronton du ministère des affaires étrangères. Je suis personnellement tout à fait favorable aux propositions qui ont été faites en ce domaine. C’est dire que le ministre des affaires étrangères et moi-même soutiendrons le moment venu une initiative en ce sens, qui n’est, hélas, pas possible pour le moment (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC, sur les bancs du groupe NC et sur plusieurs bancs du groupe UMP).

Au terme de ce débat de qualité, dont je vous remercie, j’insiste sur le fait que le traité de Lisbonne ouvre de nouvelles perspectives pour l’Europe, la renforce en favorisant l’union entre ses peuples, ranime l’idéal européen…

M. Jacques Myard – Ce sera son dernier soupir, hélas.

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État Il permettra que soient mises en œuvre les politiques communes dont nous avons besoin. Soyez assurés que la prochaine présidence française de l’Union, qui sera modeste dans son style mais ambitieuse dans ses objectifs, s’efforcera de faire vivre au mieux ce traité qui conditionne l’avenir de l’Europe et des générations futures, à travers les échanges et le dialogue interculturel qu’il permet, tout en garantissant que nous puissions, dans l’unité, gérer la diversité des identités auxquelles nous restons attachés (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC).

MOTION D’AJOURNEMENT

M. le Président – J’ai reçu de M. Nicolas Dupont-Aignan une motion d’ajournement déposée en application de l’article 128, alinéa 2, du Règlement.

M. Nicolas Dupont-Aignan – J’associe à cette motion Mme Besse, MM. Villain, Labaune et Lassalle.

Lors d’une question préalable, prononcée le 15 janvier, j’ai réfuté les arguments dont vous usez pour justifier l’injustifiable. Vous affirmez que le traité de Lisbonne diffère de la constitution Giscard. Il suffit de lire ces textes pour constater qu’ils sont identiques.

M. Roland Muzeau – Eh oui !

M. Nicolas Dupont-Aignan – Vous dites que votre candidat à la présidentielle l’avait promis. Mais Nicolas Sarkozy n’a jamais parlé d’un retour de la constitution, il a évoqué un mini-traité, en même temps qu’il promettait de lutter contre l’euro cher et le libre-échange déloyal, de mener une politique industrielle, de conforter l’attachement à l’identité nationale.

Pour vous, l’Europe était dans l’impasse. Mais de quelle Europe s’agit-il ? De l’Europe de paix et de progrès, fondée sur la coopération entre les États ? Ou de celle où priment les oligarchies ? De la « bonne » Europe qui marche, ou de la « mauvaise », kidnappée par les bureaucrates de Bruxelles, les banquiers de Francfort ou les juges de Luxembourg ? Ne confondez pas l’idée européenne avec ce que les oligarchies en ont fait, une supranationalité artificielle.

Loin de sauver l’Europe, vous allez creuser le fossé qui la sépare des citoyens, d’autant que vous vous passez de la légitimité populaire. À court d’arguments, vous affirmez que les Français sont incapables de trancher.

M. Pierre Lequiller, président de la délégation pour l’Union européenne – Nous n’avons jamais dit cela !

M. Nicolas Dupont-Aignan – Relisez les déclarations ! Ce faisant, vous ressuscitez le suffrage censitaire et l’esprit d’Adolphe Thiers, qui voulait dépouiller la « vile multitude » du droit de vote.

Vous savez bien que si le référendum est escamoté, c’est que les partisans du traité de Lisbonne n’ignorent pas que le peuple n’a aucune intention de se déjuger. N’est-ce pas ce que reconnaissait Nicolas Sarkozy devant les présidents de groupe du Parlement européen ? Il est loin le temps où le même, à la tribune de l’UMP, le 9 mai 2004 expliquait : « Si l’Europe reste la seule affaire des responsables politiques et économiques, sans devenir la grande affaire des peuples, elle sera vouée à l’échec. Elle ne peut se construire sans les peuples, parce que l’Europe, c’est le partage consenti d’une souveraineté et la souveraineté, c’est le peuple. À chaque grande étape de l’intégration européenne, il faut donc solliciter l’avis du peuple ».

M. Jean-Paul Lecoq – Il avait raison !

M. Nicolas Dupont-Aignan – Il poursuivait ainsi : « Nous ne devons pas craindre la confrontation populaire. Si nous n’expliquons pas, comment s’étonner du fossé qui risque de s’amplifier chaque jour davantage entre la communauté européenne et la communauté nationale ? »

Le ministre des affaires étrangères se disait « pressé d’en finir » hier, mais avec quoi ? Avec le peuple qui n’approuve pas la direction choisie ? Si vous vous soustrayez à son vote, par un tour de passe-passe, vous n’échapperez pas à sa colère et au jugement de l’histoire ! Nos petits-enfants s’exclameront : « Fallait-il que la démocratie soit malade, les élites éloignées du peuple pour le trahir ainsi ! »

Et quel texte ! Il consacre l’un des transferts de souveraineté les plus importants, menant à une dépossession sans égale de nos pouvoirs : reconnaissance de la primauté du droit européen ; généralisation du vote à la majorité qualifiée ; abandon progressif de la logique républicaine au profit de la Charte des droits fondamentaux ; perte d’indépendance de notre politique étrangère ; fin de l’égalité de vote avec notre partenaire historique, l’Allemagne ; octroi de pouvoirs dérisoires aux parlements nationaux, par le biais d’« avis » ; monuments d’hypocrisie que sont les clauses passerelles.

Si je vous demande d’approuver cette motion d’ajournement, c’est pour nous laisser le temps de lire – ou de relire – ce texte de 3 000 articles, chef d’œuvre d’embrouillamini juridique.

M. Roland Muzeau – Eh oui !

M. Nicolas Dupont-Aignan – Je ne doute pas qu’alors, en républicains sincères, vous vous interrogerez sur cette organisation institutionnelle abracadabrantesque, où les compétences et les pouvoirs d’ordre législatif sont transférés au Conseil, pouvoir exécutif, à la Commission, la Cour de justice et la BCE – organes non élus ?

Dans l’Europe à 27, la France se retrouvera en minorité, sur la quasi-totalité des sujets qui comptent. Le renforcement des pouvoirs du Parlement européen est une farce, puisque l’on ne peut représenter un peuple européen qui n’existe pas, surtout lorsque l’on est élu sur des logiques nationales et que l’on ne parle pas la même langue que ses homologues.

D’un côté, les démocraties nationales s’évanouissent, de l’autre, aucune démocratie européenne n’émerge. Cela crée un vide sidéral, qui favorise l’irresponsabilité politique, conforte les lobbies, le règne des juges et des experts. L’inefficacité de ce système suscite la colère des peuples et rend la construction européenne de plus en plus illégitime.

Pourtant, la construction européenne, dans un contexte de mondialisation, est indispensable. Voulez-vous lancer l’Union dans cet engrenage fatal, ou préparer une Europe des nations, une Europe des projets, la seule qui puisse fonctionner ? Saurez-vous faire vôtre l’analyse du Général de Gaulle : « Tandis que la Communauté se bâtira sur les faits, je serai amené à intervenir pour repousser les menaces qui pèsent sur notre cause. La première tient à l’équivoque originelle de l’institution. Celle-ci vise-t-elle à l’harmonisation des intérêts pratiques des six États, à leur solidarité économique vis-à-vis de l’extérieur et, si possible, à leur concertation dans l’action internationale ? Ou bien est-elle destinée à réaliser la fusion totale de leurs économies et de leurs politiques respectives afin qu'ils disparaissent en une entité unique ayant son gouvernement, son parlement, ses lois, et qui régira à tous égards ses sujets devenus des concitoyens au sein de la patrie artificielle qu'aura enfantée la cervelle des technocrates ? Il va de soi que, faute de goût pour les chimères, je fais mienne la première conception ».

Nous avons à choisir entre une chimère de plus – une Europe fédérale qui s’évanouit à mesure que vous croyez vous en approcher – et une Europe de la coopération, adaptée à la mondialisation. Je veux dire à mes collègues de l’UMP qu’il ne s’agit pas d’une histoire de gauche ou de droite. Et les Français, en élisant Nicolas Sarkozy, ne lui ont pas donné mandat de faire revoter la Constitution européenne ; ils lui ont donné mandat de redresser le pays !

Pensez-vous sincèrement qu’il le pourra si les politiques européennes – source de nos difficultés – sont confortées ? Vous avez pourtant applaudi le Président lorsqu’il a remis en cause la BCE, la concurrence déloyale, l’absurde politique intégriste de la concurrence qui guide la Commission.

M. Jean-Paul Charié – C’est pour cela que nous changeons les textes !

M. Nicolas Dupont-Aignan – Il ne peut y avoir de réformes intérieures sans croissance minimum, et il ne peut y avoir de croissance sans déficit provisoire. Si la France veut conserver une industrie de pointe et refuse de devenir un parc d’attractions, ce texte adopté à la va-vite est une défaite en rase campagne. Jamais un grand pays maître de son destin n’aurait accepté un tel texte sans contrepartie. Quel gâchis après la victoire du « non » et l’élection du Président ! Il n’y a rien sur le statut de la BCE, sur la politique communautaire, ni sur l’intéressant projet d’Union méditerranéenne.

Vous ne pourrez pas continuer longtemps de dire aux marins-pêcheurs que vous entendez leur accorder des quotas supplémentaires, aux métallos que l’État va les soutenir et aux écologistes que les OGM seront interdits !

M. Jacques Myard – Il n’a pas tort…

M. Nicolas Dupont-Aignan – La présidence française de l’Union s’annonce pittoresque.

M. Roland Muzeau – Pitoyable, plutôt.

M. Nicolas Dupont-Aignan – Une fois la signature de ce chèque en blanc acquise, pensez-vous que nos partenaires auront encore besoin de nous ? Angela Merkel a déjà fermé la porte, et les tapes dans le dos ne suffiront pas. On se rendra vite compte qui, de Jean-Pierre Jouyet ou d’Henri Guaino, exprime la ligne présidentielle.

Vous ne pourrez plus satisfaire à la fois les oligarchies de Bruxelles, de Francfort ou de Luxembourg, et les électeurs : le grand écart risque de mal finir ! Je crains que ce soient encore nos compatriotes qui trinquent, victimes d’un euro cher, des délocalisations et d’une immigration non contrôlée.

Mais cela n’est rien à côté de ce qui nous attend. Avez-vous mesuré à quel point ce traité va nous faire perdre prise sur l’Europe et ruinera davantage encore notre désir d’y jouer un rôle, et que nous devrons subir la loi de la majorité qualifiée sur des sujets essentiels pour nous, comme la laïcité ou le service public ? Que direz-vous à vos électeurs quand une majorité de nations considérera que l'effondrement démographique de l’Allemagne et de l’Italie exige une nouvelle immigration, alors que la France ne parvient déjà pas à trouver du travail à ses jeunes de banlieue ? Que leur direz-vous quand le vote majoritaire ouvrira les vannes de l’immigration, que vous aviez promis de maîtriser ? Que direz-vous quand, à la veille d'un conflit au Moyen-Orient, la France devra, avant de s’exprimer au Conseil de sécurité, passer un oral devant un conseil des ministres à majorité atlantiste ? Imaginez-vous M. de Villepin demandant l’avis de MM. Aznar, Berlusconi et Blair avant de prononcer un discours à l’ONU ? (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP)

M. Benoist Apparu – Cela n’a rien à voir !

M. Nicolas Dupont-Aignan – Que direz-vous quand un juge donnera raison aux indépendantistes corses ou au communautaristes musulmans en vertu de la Charte des droits fondamentaux, laquelle remet en cause notre conception de la laïcité et la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ?

Savez-vous ce dont vous vous privez, le pouvoir que vous allez perdre ? Vous rendez-vous compte que vous allez priver nos concitoyens de la maîtrise de leur destin ? Connaissez-vous les 52 domaines de compétences pour lesquels vous abandonnez le droit de veto sans espoir de retour ? Oserez-vous retourner devant vos électeurs pour défendre cette mascarade, ce spectacle impotent que sera devenu le jeu politique national – ce « théâtre d’ombres », comme dit M. Myard ? Oserez-vous faire campagne contre l'entrée de la Turquie en Europe alors que le traité de Lisbonne fait sauter le verrou du traité de Nice sur les nouvelles adhésions…

M. Benoist Apparu – Tant mieux !

M. Nicolas Dupont-Aignan – …et que l’on vous fera bientôt voter la levée du référendum, consacrant notre impossibilité de nous y opposer ? Oserez-vous dire à vos électeurs que vous vous opposez à l’homoparentalité, alors que vous savez parfaitement que ce ne sont plus les représentants du peuple français qui décident, mais un groupe de juges si zélés qu'ils outrepassent allègrement leurs compétences, comme il y a quelques semaines ?

Mes chers collègues, vous vous êtes engagés devant les Français à faire preuve de volontarisme politique. Alors, de grâce, donnez-vous en les moyens ! N'enfermez pas la France dans le carcan de politiques qui ne servent ni son intérêt, ni celui de l'Europe ! Nos amis anglais ou allemands n'hésitent jamais à articuler leur vision de l'Europe à leur intérêt national, et leurs dirigeants ne tiennent pas un discours chez eux et un autre à Bruxelles. Les Français nous jugeront sur notre capacité à créer de l'emploi durable, à augmenter le pouvoir d'achat, à ralentir l'immigration, non à notre volonté de plaire à MM. Trichet, Barroso ou Bush ! Posez-vous à nouveau, en votre âme et conscience, cette question : « Ma compréhension de ce texte, de ses principes et de ses mécanismes, est-elle si parfaite que je puisse m'autoriser à contredire le peuple qui les a rejetés ? »

Mais je voudrais aussi m'adresser à ceux de nos collègues de gauche qui démissionnent. Je m’interroge en effet sur la pertinence de demander un référendum par une motion dont vous êtes sûrs qu’elle échouera, alors que l’avant-veille, à Versailles, vous aviez la possibilité, avec les quelques gaullistes qui demeurent, les communistes et les souverainistes, de bloquer la machine parlementaire et d’imposer le référendum que vous aviez tant promis ? En vérité, vous n'avez pas osé rompre avec cette construction européenne qui, de reculades sociales en reculades sociales, vous a coupés du peuple. Vous voulez croire que l'Europe peut être sociale, alors qu'avec les mécanismes que vous laissez passer, elle ne sera que le cheval de Troie d'une mondialisation sans règle.

Le 29 mai, il y a eu un vote de défiance à l'encontre d'une politique d'ouverture de l'Europe à tout va, de la part de cette majorité de Français qui comprennent, parce qu’ils en souffrent, que plusieurs dizaines de millions d'Européens sont déjà tirés vers le bas par l'armée de réserve de la Chine et de l'Inde, dans le contexte d'un libre-échange déloyal. Que nous proposent les institutions communautaires, alors que notre continent joue un rôle d'ajustement des déséquilibres mondiaux ? L'euro fort, le moins-disant environnemental et social, la libéralisation des marchés, une politique de la concurrence ayatollesque ! Pourquoi Airbus, la fierté de l’Europe, modèle de coopération interétatique, qui produit 400 avions de ligne par an et montre que l’Europe est capable d’exister au niveau industriel, quitte-t-elle la zone euro et prive-t-elle ainsi nos travailleurs de milliers d’emplois de pointe ?

M. Jean-Paul Lecoq – Eh oui !

M. Nicolas Dupont-Aignan – C’est parce que, pour la pensée européiste qui nous gouverne par le biais d’institutions non élues, nous ne sommes jamais assez adaptés à un marché qui dicte tout et dont il est interdit de corriger les dérives !

En réalité, loin de sauver l'Europe, ce traité va amplifier ses contradictions, en particulier dans notre pays. C’est la France qui souffrira le plus de l’application uniforme d’une Charte des droits fondamentaux sans âme ni racines qui confortera les communautarismes et les minorités nationales et rendra obsolète notre Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

M. Jean-Claude Sandrier – Eh oui !

M. Nicolas Dupont-Aignan – C’est la France qui souffrira le plus de l’abandon de l'exception linguistique et culturelle – c'est désormais la Cour de justice qui dira si un accord à l'OMC constitue une menace et autorisera ou non la France à user d'un droit de veto – ; d’une politique migratoire communautarisée ; de la disparition des tarifs réglementés de l'énergie ; de l’instauration de services économiques d'intérêt général à la majorité qualifiée qui laminera le service public à la française…

M. Jacques Myard – Il a raison !

M. Nicolas Dupont-Aignan – … ; de l’accélération de la remise en cause du monopole de l'assurance maladie, créant une santé à deux vitesses…

M. Jean-Paul Lecoq – Tout à fait !

M. Nicolas Dupont-Aignan – … ; de la mise en minorité sur la PAC et de la sujétion définitive de nos territoires ruraux concernant la fixation des dates d'ouverture de la chasse ; de la création d'un service diplomatique européen qui viendra concurrencer les diplomaties nationales et accumulera les cafouillages ; de la libéralisation effrénée des jeux de hasard, dont M. Myard souligne les dangers terrifiants, avec l’irruption des mafias dans le secteur ; de l’abandon du sport à la logique du « tout fric », dont on commence pourtant à mesurer les ravages dans le football et contre laquelle avait tenté de lutter l’ancien ministre des sports, M. Lamour ; enfin, de la mise sous tutelle de l’OTAN de la défense européenne, qui est un non-sens absolu !

M. Roland Muzeau – Trahison !

M. Nicolas Dupont-Aignan – Vous imaginez gagner du temps en vous passant du peuple ; vous pensez que c’est la condition pour relancer l’Europe, mais en réalité vous allez lui en faire perdre beaucoup. Ce traité, certes légal mais illégitime, dégoûtera les peuples, aussi bien par ses méthodes que par ses résultats. Inefficacité et illégitimité sont les deux facettes d'une même médaille !

Or vous avez peur, car vous savez que l’effet boomerang sera terrible. C'est pourquoi il faut préparer dès à présent « l'Europe d'après » : celle qui ose affirmer ses frontières ; celle qui rend leur pouvoir souverain aux institutions nationales ; celle qui favorise les coopérations renforcées à la carte sans la tutelle de la Commission ; celle qui libère la monnaie unique de son dogmatisme monétariste ou alors rend leur liberté monétaire à chaque pays – croyez-vous que l’on peut continuer longtemps avec un euro qui plonge l’Italie, l’Espagne et la France dans des déficits extérieurs colossaux ?

M. Roland Muzeau – On bat tous les records !

M. Jacques Myard – Ça ne peut pas durer !

M. Nicolas Dupont-Aignan – L’euro va exploser parce qu’il est mal géré. L’Europe d’après, enfin, est celle qui regarde la mondialisation en face et agit pour en limiter les conséquences néfastes pour les Européens. La guerre économique globale que nous appelons « mondialisation » exige de la souplesse, de la réactivité, de la capacité d'attaque comme de défense, des alliances au gré des secteurs et des spécialisations, un investissement massif dans la recherche, la science, les échanges universitaires, la conquête de l'espace... Ce n'est pas avec un mammouth supranational, digne de la défunte Union soviétique, que l'Europe tirera son épingle du jeu !

M. Jacques Myard – L’avenir est aux petits ! (Sourires)

M. Nicolas Dupont-Aignan – Je regrette profondément que le Parlement, usurpant le pouvoir du peuple souverain, s'apprête à commettre une erreur fatale, conduisant les Français à la protestation, à la révolution, bref à la violence, plutôt qu'à la réforme. Le peuple a dit oui en 1992, et son verdict a été respecté. Il a dit non en 2005, plus nettement, mais vous prétendez bafouer sa volonté. Quel recours s'offre donc à lui ? Quel sentiment d'humiliation et d'injustice allez-vous faire naître dans les esprits ? Songez que les jeunes générations, les classes moyennes, les patrons de PME, bref les forces vives du pays, basculent toutes, les unes après les autres, dans le refus et la contestation de cette Europe.

J’ai confiance dans le peuple français, dans sa lucidité, dans sa capacité d’indignation, dans sa passion pour la liberté, l’égalité et la fraternité. Je sais que nous nous retrouverons bientôt, car il ne supportera pas ces chaînes. Il a toujours été un aiguillon de l’histoire européenne : il ne manquera pas de refuser cette construction mort-née. Il aura rendez-vous avec sa propre histoire, pour construire l’Europe qui respecte les identités, celle qui s’appuie sur les peuples et la démocratie et qui est synonyme de progrès social (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR, et sur quelques bancs du groupe UMP et du groupe SRC).

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État – Permettez-moi de dire en quelques mots pourquoi le Gouvernement ne souhaite pas l’adoption de cette motion d’ajournement. Tout d’abord, ce traité n’est pas une « Constitution bis » : il s’inscrit dans la ligne des autres traités modificatifs qui jalonnent l’histoire européenne. Je n’en souhaite pas moins rendre hommage à l’engagement européen du président Giscard d’Estaing, comme à celui d’autres personnalités, telles que Jacques Delors.

M. François Rochebloine – Très bien !

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État – La nomination d’un Haut représentant pour la politique étrangère ne porte aucunement atteinte aux prérogatives qui sont celles de la France au Conseil de sécurité de l’ONU, Monsieur Dupont-Aignan. Prétendre le contraire est fallacieux ! Le Haut représentant n’intervient dans les enceintes de l’ONU que lorsque le Conseil lui donne mandat pour cela.

Contrairement à ce qui a été dit, le Traité permet également à un ou plusieurs parlements nationaux de se prononcer sur les clauses passerelles instaurant des transferts de souveraineté à la majorité qualifiée. Votre rôle est même renforcé en ce domaine.

M. Marc Dolez – C’est faux !

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État – Quant à Airbus, où cette entreprise en serait-elle aujourd’hui sans la construction européenne ? Comment cette aventure aurait-elle été possible ?

M. Jacques Myard – Il n’y a même pas d’accord international !

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État – Qui a défendu les intérêts d’Airbus face à Boeing, si ce n’est les institutions européennes ? (Exclamations sur les bancs du groupe GDR)

De même, comment pouvez-vous dire que c’est l’Europe qui soumet le sport à la seule loi de l’argent ? Le traité de Lisbonne reconnaît justement la politique sportive et le sport comme des valeurs européennes ; il nous offre la possibilité de faire en sorte que le sport ne soit plus soumis aux lois du marché ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP) Je ne peux vous laisser dire de telles contrevérités !

M. Jacques Myard – Et les arrêts de la Cour ?

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État – La présidence française de l’Union sera « pittoresque » avec ce traité, avez-vous dit. Mais où en serions-nous si le Président de la République n’avait pas pris l’initiative de le négocier ? Comment pourrions-nous alors assumer la présidence de l’Union dans six mois ? Quelle crédibilité aurions-nous pour porter nos politiques ? (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP)

Quatre pays ont déjà ratifié le traité.

M. Jean-Claude Sandrier – Et alors ?

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État – Il est d’ailleurs symbolique que ce soient des pays de l’ancien bloc de l’Est – dont l’attachement à l’Europe était mis en doute par certains– qui l’aient fait les premiers.

M. Jean-Claude Sandrier – Ne sommes-nous plus bons qu’à copier les autres ?

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État – Et il est très significatif que ce soit de Budapest, lieu de la première insurrection contre le totalitarisme en Europe, que soit venu le premier signal de la ratification du traité de Lisbonne (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP). À notre tour ! Le débat a eu lieu, la Constitution a été révisée : la voie est ouverte à la ratification. Elle sera un signal fort pour nos partenaires européens à quelques mois de la présidence française de l’Union. Je souhaite donc que votre Assemblée le lance aujourd’hui (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC et sur quelques bancs du groupe SRC).

M. François Loncle – Je salue votre engagement sur les symboles de l’Union, Monsieur le secrétaire d’État.

M. Jacques Myard – Le comte de Chambord !

M. François Loncle – Je regrette cependant que vous ayez cru devoir le prendre à titre personnel. Seize pays ont signé un texte, auquel beaucoup de citoyens s’associent, contre ce retrait des symboles qui marque un recul par rapport aux traités précédents. Or si vous vous exprimez à titre personnel, c’est parce que certains personnages de l’État prennent aujourd’hui des décisions et se répandent dans les médias sans la moindre légitimité – je veux parler de M. Guaino et de M. Guéant (Interruptions sur les bancs du groupe UMP). Je vous mets en garde contre cette pratique qui n’a que trop duré ! Personnellement, je n’ai toujours pas « digéré » l’effroyable discours de Dakar rédigé par M. Guaino ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC)

J’en viens à la motion d’ajournement. J’ai écouté M. Dupont-Aignan avec intérêt, car il défend avec constance des idées qui sont respectables. Je comprends qu’elles puissent gêner de l’autre côté de l’Hémicycle : elles constituent aussi un réquisitoire contre les contradictions – pour ne pas dire la démagogie – du Président de la République au sujet de l’Europe.

Vous avez parlé d’un texte « illisible », très difficile à mettre à la portée de tous nos concitoyens. Heureusement, la commission des affaires étrangères et la délégation pour l’Union européenne ont pu jouer les traducteurs !

En ce qui concerne la procédure, je rappelle que le vote d’un projet de loi de ratification par le Parlement n’empêche pas le Président de la République de le soumettre ultérieurement à référendum. Le président Mitterrand a eu le courage de le faire pour le traité de Maastricht, cher président Lequiller. Le référendum est donc encore possible !

Sur le fond, Monsieur Dupont-Aignan, vous avez quelque peu noirci le tableau. Certes, il y a eu un « non » de gauche, mais celui-ci n’avait rien de souverainiste : c’était un « non » européen, celui des partisans d’une autre Europe.

Pierre Moscovici l’a dit hier soir, un traité ne saurait remplacer un projet. C’est désormais vers celui-ci qu’il faut se tourner, et c’est pourquoi nous ne voterons pas cette motion d’ajournement (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC).

M. Jean-Paul Lecoq – Aucun titre de la presse régionale n’a titré sur notre débat d’hier soir et de ce matin, et pour cause : il supprime celui qui aurait dû avoir lieu avec le peuple (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Paul Charié – Nous sommes ses représentants !

M. Jean-Paul Lecoq – Le choix de la voie parlementaire confisque le débat à notre peuple, qui avait pourtant su faire son choix en pleine connaissance de cause en 2005. Valéry Giscard d’Estaing – membre du Conseil constitutionnel – et bien d’autres nous ont montré qu’il s’agissait aujourd’hui du même texte qu’en 2005. Le seul argument que vous énoncez à l’appui du contraire est que le mot « Constitution » en est absent. Demeurent en revanche tous les principes, comme l’a démontré Nicolas Dupont-Aignan de façon admirable (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP).

Le Traité ne répond pas aux attentes du peuple. Il ne répond pas au problème de la « casse » des entreprises et des délocalisations. Le Président de la République a déclaré aux travailleurs de Gandrange que l’État allait investir dans leur entreprise : ou il n’a pas lu le traité, ou il leur a menti ! Le principe de la concurrence « libre et non faussée » s’applique en effet sans ambiguïté aux entreprises privées (Murmures sur les bancs du groupe UMP).

Se pose aussi la question de la soumission de la défense européenne à l’OTAN. Si le traité de Lisbonne avait été en vigueur au moment de l’intervention en Irak, les soldats français y auraient été envoyés, que le peuple le veuille ou non ! (Exclamations sur de nombreux bancs du groupe UMP)

Vous nous dites que le traité permettra aux citoyens d’interpeller la Commission européenne. Mais les citoyens français vous interpellent pour demander un référendum (Protestations sur les bancs du groupe UMP), et vous ne les écoutez pas. Comment, dès lors, pourraient-ils croire aux vertus démocratiques de ce traité ?

Quant à la Charte des droits fondamentaux, Nicolas Dupont-Aignan et d’autres nous en ont montré les dangers, non pour son contenu mais en termes de pouvoir de décision, lequel appartiendra à la seule Cour européenne de justice. Nous aurons également très prochainement l’occasion de constater ce que devient, dans ces conditions, la laïcité.

Une autre partie du pouvoir est entre les mains de la Banque centrale européenne. Tout le monde s’accorde pourtant à dire qu’il faudrait changer la nature des relations avec elle : le rapporteur, dans son honnêteté intellectuelle, est allé jusqu’à formuler l’espoir que ce traité le permettrait, mais pour le moment nous savons que c’est impossible.

Parce que nous faisons confiance au peuple et voulons que son choix soit respecté, nous voterons en faveur de cette motion d’ajournement (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR).

M. François Rochebloine – Notre collègue Dupont-Aignan, fidèle à ses convictions politiques, propose de repousser le moment où notre assemblée devra faire un choix décisif. Pourtant, nos débats ne me paraissent vraiment pas pouvoir être qualifiés d’insuffisants, et l’on ne peut soutenir de bonne foi que le problème posé par le blocage des institutions européennes n’a pas été abordé sous tous ses aspects devant le pays. L’intérêt politique de la France est que le traité simplifié entre en vigueur. Vous l’aurez compris, le groupe Nouveau centre s’oppose à l’ajournement ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP)

La motion d’ajournement, mise aux voix, n'est pas adoptée.

M. le Président – Je rappelle que la Conférence des présidents a décidé que les explications de vote et le vote par scrutin public sur l’article unique du projet de loi auront lieu cet après-midi à 15 heures.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu cet après-midi à 15 heures.

La séance est levée à 11 heures 50.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Marie-Christine CHESNAIS

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne deux heures après la fin de séance.

Le compte rendu analytique des questions au Gouvernement
est également disponible, sur Internet et sous la forme d’un fascicule spécial,
dès dix-huit heures

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

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