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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

Séance du mardi 15 avril 2008

1ère séance
Séance de 9 heures 30
141ème séance de la session
Présidence de M. Marc-Philippe Daubresse, Vice-Président

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La séance est ouverte à neuf heures trente.

ÉLECTION D’UN DÉPUTÉ

M. le Président – M. le Président de l'Assemblée nationale a reçu, le 14 avril 2008, de Mme la ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales, une communication transmise en application de l’article L.O. 179 du code électoral l’informant que, le 13 avril 2008, M. Dominique Souchet a été élu député de la 5ème circonscription de Vendée.

COMBATTRE L’INCITATION À L’ANOREXIE

L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à combattre l’incitation à l’anorexie.

Mme Valérie Boyer, rapporteure de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales Cette proposition de loi visant à lutter contre l’anorexie permettra au Parlement de se prononcer peut-être pour la première fois sur une question majeure et trop longtemps occultée. Face au déni qui accompagne souvent cette affection, à la souffrance des malades et à l’impuissance de leurs proches, les pouvoirs publics devaient se mobiliser. L’anorexie n’est pas seulement un grand enjeu de santé publique ; c’est aussi le symptôme d’un véritable malaise dans la civilisation.

Je commencerai par vous dire ce que ce texte n’est pas. Il ne s’agit en aucun cas de stigmatiser les malades ou de faire croire qu’un texte de loi répondra seul à leur affection, qui relève avant tout de la compétence des professionnels. Certes, nous proposons de créer une nouvelle incrimination pénale, mais ce texte est dissuasif avant d’être répressif. Il s’inscrit d’ailleurs dans le cadre général d’une politique volontariste de protection de la santé des jeunes. Il ne s’agit pas non plus de faire croire que les incitations à l’anorexie sont les seules causes de cette maladie psychique complexe. Il va de soi que notre assemblée n’a pas vocation à se substituer aux médecins, psychothérapeutes et autres professionnels compétents. Pour autant, c’est aussi le rôle du Parlement que de prévenir les dérives qui menacent la santé des plus vulnérables et, plus largement, de s’interroger sur les représentations du corps – notamment féminin – dans notre société.

L’anorexie et la recherche d’une maigreur extrême sont des troubles graves et invalidants du comportement. Amaigrissement important, rapport angoissé à l’alimentation, au poids et à l’image du corps sont quelques-unes des caractéristiques de cette maladie qui touche près de 40 000 personnes en France, jeunes filles pour la plupart, et qui entraîne souvent des conséquences graves – ostéoporose, anémie, déficience musculaire voire problèmes cardiaques. De toutes les maladies psychiques, l’anorexie aurait l’un des taux de mortalité les plus élevés, avoisinant 5 % à dix ans et près de 20 % à plus long terme. Ses causes sont multiples : des facteurs psychologiques interagissent avec d’autres, environnementaux ou socio-culturels.

Au fond, c’est notre représentation du corps qui est en question. La pression sociale, exercée notamment par les médias, encourage des pratiques alimentaires abusives, voire pathologiques. Comment ne pas s’interroger sur ces troubles dans une société qui prône le contrôle de soi, la minceur, la performance ou l’éternelle jeunesse ?

Hélas, les incitations à la maigreur excessive se multiplient, notamment via les sites dits « pro-ana », où l’on fait l’apologie ouverte de l’anorexie en diffusant d’inquiétantes recommandations qui peuvent influencer les comportements alimentaires de personnes vulnérables. Certaines pratiques confinant à la manipulation mentale sont même proches d’une véritable dérive sectaire.

Faut-il observer, impuissants, l’essor incontrôlé de ces pratiques dangereuses et, par notre silence, consentir à faire de ces corps décharnés des icônes ? Non, bien au contraire : il faut lutter contre ce fléau. C’est pourquoi la présente proposition de loi prévoit d’incriminer l’incitation à la recherche d’une maigreur excessive. Ainsi, le délit d’encouragement à la restriction de l’alimentation au point d’exposer une personne à un danger de mort et de compromettre directement sa santé sera désormais puni d’une peine maximale de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. Toute incitation ayant un objet autre que la maigreur excessive, comme le jeûne religieux, les actes thérapeutiques, les régimes diététiques ou les grèves de la faim revendicatives, sera naturellement exclue du champ de la loi. Par ailleurs, si l’incitation en question entraîne la mort, la peine sera portée à trois ans de prison et 45 000 euros d’amende. L’échelle des peines est ainsi rapportée à la gravité des actes commis, comme c’est le cas pour la provocation au suicide – modèle qui s’appliquera également si le délit est commis via la presse écrite ou audiovisuelle.

Deux amendements adoptés par la commission étendent le champ de la loi en sanctionnant toute publicité en faveur de produits, de méthodes ou d’objets utilisés pour parvenir à une maigreur excessive. Cette infraction sera également punie de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. Ainsi, cette proposition de loi permettra non seulement de lutter contre les provocations directes à des comportements anorexiques, mais aussi d’incriminer la diffusion de contenus préconisant une maigreur excessive, notamment sur Internet.

La création d’une sanction pénale est un symbole fort, mais ne résout pas pour autant l’ensemble des problèmes liés à l’anorexie. Il ne s’agit que de l’un des maillons de la chaîne des mesures visant à protéger la santé des jeunes, particulièrement les femmes.

Le Gouvernement a engagé plusieurs actions ambitieuses en ce sens, dont le Plan santé des jeunes et le Plan national nutrition santé, qui ont pour objectif d’encourager l'adoption de certains comportements alimentaires. Je me félicite par ailleurs de la signature, le 9 avril, de la Charte d'engagement sur l'image du corps et contre l'anorexie, préparée par le groupe de travail présidé par le professeur Marcel Rufo, pédopsychiatre, et le sociologue Jean-Pierre Poulain. Elle constitue en effet le premier engagement significatif des professionnels du mannequinat, de la communication, de l'habillement et de la santé et des pouvoirs publics dans ce domaine.

Il est cependant possible d'aller plus loin. C'est pourquoi je vous proposerai cinq amendements visant à renforcer le suivi médical des mannequins ; à faire accompagner les photographies commerciales retouchées – par un logiciel de traitement d'image ou par tout autre moyen technique – de la mention « photographie retouchée », afin d'éclairer le consommateur sur ces pratiques qui conduisent à diffuser une représentation altérée de l'image du corps ; à assurer un suivi régulier de l’indice de masse corporelle en milieu scolaire et un dépistage des troubles du comportement alimentaire à l'occasion des visites médicales de prévention des sixième, neuvième, douzième et quinzième années ; à dispenser un enseignement spécifique sur les troubles du comportement alimentaire au cours des études médicales. D'autres actions pourraient être envisagées, telles que des actions d'information et de sensibilisation sur l'anorexie ou une grande enquête de santé publique permettant de mieux connaître les conséquences d'une extrême maigreur, en particulier à long terme. Je pense aussi au développement des maisons des adolescents, pour mieux dépister les troubles du comportement alimentaire et apporter un soutien aux familles, ainsi qu’à une initiative européenne.

Il me semble donc que nous pourrions nous retrouver pour adopter cette proposition de loi qui permettra de prévenir certaines dérives, mais aussi, je l'espère, d'ouvrir un large débat sur ce problème majeur de santé publique (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative  L'anorexie est devenue un véritable enjeu de santé publique. Je tiens donc à rendre hommage à votre engagement, ainsi qu'au remarquable travail de votre rapporteure, Valérie Boyer.

L'anorexie est une maladie qui n'est pas toujours reconnue comme telle, et dont le traitement est rendu plus difficile encore par un phénomène social récent, l'obsession de la maigreur, entretenu par nos modes. Le paradoxe de l'anorexie réside dans le rôle qu'elle fait jouer à la volonté : elle se donne les apparences d'une volonté pure dont l'exercice prétend accomplir le triomphe de l'esprit sur le corps. La pulsion de vie est ainsi comme absorbée par la pulsion de mort.

Les faits sont là : l'anorexie figure parmi les plus mortelles des maladies psychiques. Le taux de mortalité à dix ans est de 5 %. Il avoisinerait les 20 % à plus long terme, car la santé de celles et de ceux qui en réchappent demeure fragilisée.

La France compte aujourd’hui 30 000 à 40 000 anorexiques, en majorité des jeunes filles et des jeunes femmes. Si l'anorexie entraîne dans un premier temps amaigrissement et anémie, souvent associées à une aménorrhée, ses conséquences somatiques à moyen ou long terme peuvent être lourdes : perte de capacité musculaire, problèmes cardiaques, ostéoporose… Le parcours des anorexiques est considérablement affecté. Leur famille et leur entourage sont également suspendus à la maladie, car la nourriture et les conflits autour de l'alimentation prennent le pas sur toute autre considération.

Les médecins sont en première ligne pour soigner celles et ceux qui sont atteints de cette maladie, mais nous pouvons faire œuvre de prévention. Cette proposition de loi n'a pas pour ambition de répondre à elle seule à toutes les interrogations que soulève l'anorexie : elle s’inscrit dans un ensemble de mesures volontaristes. Pouvoirs publics, acteurs de la société civile et représentants du monde médical travaillent en effet tous dans le même sens. Le Plan santé des jeunes, que j'ai présenté au Conseil des ministres en février, nous donne ainsi les moyens de lutter contre l'anorexie sur plusieurs fronts, dont celui de la prévention.

Les visites médicales à l'école et à l'université, qui comportent un bilan de l'état de santé physique et psychologique, doivent permettre de dépister les troubles du comportement alimentaire. Je m’engage à faire figurer ce dépistage dans le référentiel des consultations médicales obligatoires chez les enfants de douze ans. De même, le dépistage et la prise en charge de l'anorexie entreront dans le contrat cadre de partenariat en santé publique entre les ministères de la santé, de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur. Ces visites permettront de renforcer le dépistage aux deux moments clés d'apparition de la maladie, c’est-à-dire le seuil de l'adolescence et l'entrée dans l'âge adulte.

J'ai également souhaité que l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé mette davantage l'accent sur le dépistage de l'anorexie et de la boulimie. Il faut doter tous les médecins de guides pour les aider à mieux assurer leur mission de prévention. Dans le même esprit, j’ai confié au professeur Martin une mission sur la formation des professionnels de santé en matière de nutrition. Il doit me remettre son rapport prochainement. J'examinerai alors les recommandations à mettre en œuvre avec le ministère de l'enseignement supérieur. Les études médicales doivent permettre aux étudiants d'intégrer ces problématiques de santé publique.

Passé le stade de la prévention, l'amélioration de la prise en charge des anorexiques constitue également une priorité. J’ai donc demandé à la Haute Autorité de santé de travailler à des recommandations précises pour permettre aux médecins de mieux prendre en charge cette maladie complexe. Le déni de la pathologie – quand ce n'est pas le refus de soins – retarde en effet souvent cette prise en charge. De nombreuses complications somatiques accompagnent l'anorexie mentale. Sa prise en charge requiert donc une meilleure coordination des soins somatiques et psychiatriques et une plus forte articulation entre l'hôpital et la médecine de ville. Il faut en effet un dépistage le plus précoce possible, un suivi coordonné des patients, des échanges d’expériences à partir d'un socle commun de bonnes pratiques.

Les recommandations de bonnes pratiques nous permettront également d'envisager les parcours de soins les plus appropriés. Les hospitalisations se font aujourd’hui dans divers services spécialisés – médecine interne, psychiatrie, pédiatrie, endocrinologie, maisons des adolescents avec hospitalisation. Les maisons des adolescents ont ici un rôle à jouer, et je souscris au souhait de Mme Versini, Défenseure des enfants, qu’il y en ait au moins une par département à la fin de la législature. Ces structures permettent en effet d’aider au repérage de la pathologie, d’orienter les personnes dépistées, de les prendre en charge ou de les accompagner, voire de les hospitaliser lorsqu’elles sont adossées à des centres hospitaliers. Je rends ici hommage à l’action de Mme Bernadette Chirac et à la Maison de Solenn, qui fait figure de modèle.

Les causes de l’anorexie sont protéiformes et mal connues. Seule la conjugaison de plusieurs actions nous permettra donc de mettre en œuvre une démarche efficace pour la combattre. C'est pourquoi je me réjouis de pouvoir désormais compter sur l'engagement volontaire des professionnels de l'image du corps dans notre pays. Des représentants du monde de la mode, des médias et de la publicité ont travaillé pendant un an sous la direction du pédopsychiatre Marcel Rufo et du sociologue Jean-Pierre Poulain, avec des experts et des représentants des associations. Je viens de signer avec les membres de ce groupe de travail une charte d’engagement volontaire, la charte « Anorexie-image du corps », qui marque un tournant. Elle distingue deux populations à risque. La première est celle des professionnels qui vivent de l'image de leur corps – mannequins, danseurs, professionnels de la diététique ou de l'esthétique – et sont donc soumis à des contraintes dans l'exercice de leur métier. Notre responsabilité est de tout faire pour éviter que cela porte préjudice à leur santé. La deuxième catégorie de population est plus large : il s'agit de jeunes personnes tiraillées entre le désir de se conformer aux canons esthétiques de notre temps et celui de sortir du rang. Les professionnels s'engagent donc à faire évoluer les comportements et à refléter la diversité des morphologies de notre société dans les représentations qu'ils en donnent. Le succès récent de certaines campagnes publicitaires mettant en scène des formes de beauté différentes leur prouve d’ailleurs qu’ils ont tout à y gagner.

Ils s'engagent également à ne pas stigmatiser les physiques hors norme et les personnes qui souffrent de surpoids. Le prestige de la mode française dans le monde nous oblige d’ailleurs à la responsabilité sur ce point. Nos exigences éthiques pourraient même stimuler l'imagination des créateurs. Nous universaliserions ainsi nos valeurs tout comme nous exportons nos modes.

Je n'ai cependant pas souhaité assigner d’objectifs irréalistes aux rédacteurs des magazines. Nous savons bien qu'un grand nombre de nos concitoyens ne sont pas satisfaits de leur poids. J'ai simplement demandé aux représentants des organes de presse de s'engager à assortir leurs propositions de régimes de conseils sanitaires avisés, appelant chacun à la mesure et alertant les lecteurs contre toute dérive possible.

Je travaille également avec Xavier Bertrand à donner un contenu prescriptif aux visites médicales imposées aux jeunes mannequins adultes ou mineurs de plus de seize ans. Des seuils précis de poids et d'indice de masse corporelle seront ainsi requis pour défiler. Il ne s’agit pas ici de tendre un doigt accusateur vers les responsables supposés de l'anorexie, mais de nous mobiliser contre un phénomène récent, l'apparition sur l’Internet de sites « pro-ana » encourageant l'anorexie et la travestissant pour lui donner les atours d'une supposée éthique.

Grâce à certains de vos collègues – Valérie Boyer, mais aussi Pascale Gruny, que je remercie pour son remarquable travail – vous êtes désormais au fait du contenu de ces sites, de ces blogs ou de ces forums où des jeunes filles et ceux qui les manipulent, rédigent des journaux intimes à l'adresse d' « Ana », personnification de l'anorexie. Ces sites sont un réel danger pour les lecteurs fragiles. Face à ce qui constitue une menace pour la santé et l'ordre public, j'ai la conviction que nous devons prendre des mesures dissuasives et interdire tout propos incitant à des restrictions alimentaires déréglées. Cette interdiction ne devra pas se limiter à l’Internet : elle devra concerner tous les médias.

Cette proposition de loi n’est pas dictée par l'actualité. Mûrement réfléchie, elle répond à un enjeu décisif de santé publique. Je ne peux que soutenir la création d'une incrimination spécifique pour la provocation à l'extrême maigreur : donner aux jeunes filles des conseils pour mentir à leurs médecins, leur indiquer les aliments les plus faciles à régurgiter, les inciter à se mortifier après toute absorption de nourriture ne relève pas de la « liberté d'expression » ; ce sont des messages de mort, et il faut pouvoir poursuivre et condamner ceux qui les diffusent. D’autres pays européens, notamment l’Espagne et l'Italie, ont témoigné de leur volonté d’agir, et je souhaite que la présidence française de l'Union soit l'occasion de proposer à nos partenaires de s'engager sur un socle commun de mesures.

Ce texte est une avancée importante, qui permettra également d'ouvrir plus largement le débat public autour de cette maladie et d'éveiller les consciences (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Pascale Gruny – L'anorexie est une maladie, qui touche aujourd'hui en France 30 000 à 40 000 personnes. Caractérisée par un besoin irrépressible de maigrir et par l’incapacité à voir son corps tel qu'il est, elle entraîne de lourdes difficultés scolaires et sociales. Le taux de mortalité serait l'un des plus importants parmi les troubles psychiatriques – 5 % de décès par dénutrition après dix ans d'évolution, et un risque de suicide multiplié par 22.

Depuis longtemps, les pouvoirs publics ont mis en place des politiques de prévention, de soutien et de prise en charge médico-sociale. Je me réjouis que nous soyons de plus en plus capables de soigner cette maladie, mais j'apprécie surtout le fait que nous travaillions à ce qu’il y ait de moins en moins de malades ; la charte d'engagement volontaire sur l'image du corps, commandée en janvier 2007 par votre prédécesseur, Xavier Bertrand, et qui vient de vous être remise, Madame la ministre, est une étape dans l’approche globale de la prévention. Cette proposition de loi en complète les engagements par un volet répressif qui jusqu'alors n'existait pas.

Comme le dit très bien Valérie Boyer, on peut parler à propos des sites Internet pro-ana de « pratiques à la limite de la manipulation mentale » et de « dérives sectaires ». En deux clics, vous êtes devant des recettes miracles à base de quarts de pomme et de litres d'eau, ou devant les dix commandements de l'anorexique, tels que : « Tu ne seras jamais trop mince » ou encore : « Tu ne mangeras point de nourriture calorique sans te punir après coup ». Les jeunes filles qui se rendent sur ces sites imaginent leur trouble alimentaire comme un choix de vie et se confortent réciproquement dans cette idée. Quoi de plus dangereux qu'être malade et nier sa maladie en y étant incité par des personnes extérieures, inconnues et manipulatrices ?

Nous sommes bien dans une situation analogue aux infractions de mise en danger d'autrui et de provocation au suicide, respectivement punissables d’un an et de trois à cinq ans d’emprisonnement. Une échelle de peines allant de deux ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende en cas d'infraction simple à trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende si la recherche de la maigreur excessive a entraîné la mort de la personne est donc cohérente. Au-delà de la responsabilité via l’Internet, la rédaction de l'article unique permettra de s'attaquer aux fautes commises par la presse écrite ou audiovisuelle. Pour le reste, je sais que Mme Bachelot a entendu nos préoccupations et je lui fais toute confiance pour donner suite à nos propositions.

La voie pénale, nouveauté dans le domaine de la lutte contre l'anorexie, doit en effet faire partie d'une politique plus globale. Le professeur Marcel Rufo parle de « chercher d'autres solutions pour aider les adolescents à apprivoiser leur appétit de vivre et à retrouver un autre rapport au monde ». Il faut ainsi développer des campagnes d'information et de prévention à grande échelle, prendre des mesures spécifiques à l'attention des mannequins. Je soutiens aussi la création de nouvelles structures adaptées aux troubles du comportement alimentaire, mettant notamment l’accent sur le soutien aux familles. En effet les anorexiques prétendent ne pas avoir besoin d'aide alors que tout leur comportement est source de préoccupations ; plus elles rejettent la sollicitude des autres, plus elles les inquiètent et les désemparent. Elles ne sont pas dans une démarche systématique de refus de la vie mais l'idée de mort plane autour d'elles, et il n'est pas de situation plus angoissante pour des parents.

Je vous renouvelle ma confiance et mon soutien, Madame la ministre, pour améliorer l'offre de prise en charge médicale et psychologique. Il me semble par exemple tout à fait opportun de mettre l'accent sur les aspects médicaux du dépistage, en intégrant dans les études médicales l'enseignement de la prise en charge des troubles du comportement alimentaire et en systématisant son dépistage lors des visites médicales scolaires.

Je resterai attentive au suivi des engagements pris et à la mise en application de cette proposition de loi, que je soutiens au nom du groupe UMP (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Marie Le Guen – L’anorexie est une maladie grave, qui met en danger la santé de nombre de jeunes filles, et souvent leur vie. C’est d’abord à ces malades et à leurs familles que je veux penser, ainsi qu’aux équipes soignantes qui font face avec courage à ces situations et connaissent la violence des confrontations avec le malade. Je ne crois pas que l’anorexie puisse être considérée comme un problème de nutrition, ni que la cause en soit un phénomène d’imitation : l’un des défauts de ce texte est de faire une confusion entre un problème de société, celui de la norme sociale en matière de poids, et la maladie qu’est l’anorexie, qui d’ailleurs alterne souvent avec la boulimie.

L’approche clinique nous montre qu’elle fait partie des comportements à risques dont la fréquence augmente chez les adolescents des pays développés. C’est avant tout un problème de santé mentale, auquel la société ne doit pas apporter des réponses fausses.

L’approche « santé publique », notamment à travers les travaux de l’épidémiologiste Marie Choquet, montre que ce comportement est le résultat d’une montée de la violence en tant que pathologie sociale de notre société. Les filles expriment cette violence en la tournant contre elles-mêmes, par des tendances à l’automutilation, à l’anorexie, au suicide, alors que les garçons la tournent davantage vers l’extérieur, par des comportements d’addiction ou de délinquance.

Nous avons besoin de réponses aux problèmes de santé mentale et de santé publique chez les jeunes. Certaines équipes viennent déjà en aide aux personnes concernées et à leurs familles, mais il manque une véritable politique en ce sens, applicable sur l’ensemble du territoire : il faut améliorer l’accès à des soins de qualité, renforcer le dépistage – car les premiers symptômes ne sont pas toujours détectés à temps – et accroître nos efforts pour la santé scolaire, grande oubliée des politiques de santé dans notre pays (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC).

La santé des adolescents doit également faire l’objet d’une réflexion globale, menée sous l’angle de la santé publique. Nous en avons déjà débattu à l’occasion de la loi relative à la prévention de la délinquance, question dont certains aspects relèvent effectivement de l’ordre public et de la répression – mais dont d’autres sont une question de santé publique : tous les pays développés, notamment les Pays-Bas, les États-Unis et le Canada, ont d’ailleurs compris la nécessité de la prévention et l’utilité d’un dépistage précoce dans le respect des libertés des jeunes et des malades.

Avec cette majorité, on est malheureusement loin du compte : vous n’acceptez de traiter des problèmes de santé publique qu’à travers le code pénal ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC ; protestations sur les bancs du groupe UMP) Vous faites l’impasse sur l’amélioration de l’offre de soins, sur la prévention et sur le dépistage. Rien non plus en matière de santé scolaire et d’offre de soins pour les adolescents ! Vous présupposez maintenant, alors que l’on ne trouve rien qui aille dans ce sens dans la littérature scientifique, que l’imitation serait un facteur déterminant dans le développement de l’anorexie.

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la santé – Ce n’est pas ce qui est dans la loi !

M. Jean-Marie Le Guen – Elle part pourtant de l’idée que la maladie serait le résultat d’une incitation… Ce n’est pas un bon diagnostic !

Par ailleurs, vous voulez utiliser le code pénal pour lutter contre l’anorexie, alors qu’il existe déjà toutes les incriminations nécessaires, comme la mise en danger d’autrui et l’incitation au suicide. Il suffirait que vos services, Madame la ministre, parviennent à convaincre les procureurs d’engager des poursuites quand elles sont juridiquement fondées.

Cette loi est inutile à mes yeux, car elle ne traite pas de l’essentiel : vous faites un amalgame entre le problème posé par l’anorexie, qui relève de la santé mentale, et l’influence exercée par la société. Ce dernier facteur n’est en jeu qu’en cas d’obésité, trouble du comportement alimentaire qui s’explique en partie par des problèmes de santé mentale, mais aussi par des pressions sociales et économiques – c’est cela qui permet de parler d’ « épidémie » d’obésité. Dans ce cas seulement, il est légitime d’intervenir sur l’environnement, notamment commercial, des jeunes.

J’en viens à la question des modèles sociaux. Sur ce point, il n’y a pas toujours de lien entre pathologie et normalité. Les normes sociales – faut-il être maigre ou gros ? – méritent effectivement débat, et il me semble que la « charte » est une démarche positive. Toutefois, s’agissant des campagnes contre l’exhibition des mannequins anorexiques, le problème n’est pas tant de lutter contre l’incitation à l’anorexie, que contre des normes sociales stigmatisantes et contre l’exploitation commerciale de personnes en grande souffrance. Ces campagnes sont une forme de voyeurisme et un déni de compassion, et c’est d’abord pour des raisons éthiques qu’elles sont condamnables.

On ne saurait trop insister sur la gravité de l’anorexie, ni sur la souffrance qui l’accompagne, chez les jeunes eux-mêmes, mais aussi dans leurs familles. Nous avons besoin de politiques publiques pour leur venir en aide, et il me semble également légitime d’éviter les stigmatisations culturelles. Toutefois, la nouvelle incrimination qui nous est proposée ne répond pas au problème. Elle est inutile, et pourrait bien jouer le rôle d’un exutoire en masquant les véritables causes du problème : la montée des comportements violents, y compris contre soi. Je pense aux automutilations, aux suicides, à la toxicomanie…

Cette proposition de loi n’apporte rien d’utile et nous éloigne de la réalité des drames auxquels nous sommes confrontés. Elle contribue à masquer les insuffisances des politiques de santé publique et d’offre de soins, dont je ne nie pas la difficulté : pour disposer immédiatement de structures de soins adéquates, il ne suffit pas d’appuyer sur un simple bouton !

Au lieu de consacrer notre énergie à de fausses réponses, reposant sur de mauvais diagnostics, mieux vaudrait l’utiliser pour faire comprendre à tous que notre jeunesse souffre de problèmes de santé mentale, souvent mal dépistés et mal soignés faute d’une offre de soins suffisante. Nous ne portons pas sur nos jeunes un regard adapté ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC)

Mme Jacqueline Fraysse – L'anorexie mentale est une affection grave, qui touche entre 30 000 et 40 000 personnes, essentiellement des jeunes. Outre le danger de mort à terme, la dépression qui accompagne cette maladie entraîne des tendances suicidaires dans un nombre non négligeable de cas.

Pour éviter les drames traversés par nombre de familles, il est légitime que nous intervenions. Toutefois, ce texte est hors sujet. Connue de longue date, l’anorexie mentale n’a pas commencé avec l’apparition des magazines, de la publicité et de la télévision. Elle relève avant tout de l'état psychologique de la personne concernée.

Sans doute l’image du corps véhiculée par certains médias et par les professionnels de la mode peut-elle agir comme un facteur aggravant : la maigreur érigée en modèle devient la norme. Nul n’ignore les sacrifices que l’on peut consentir pour entrer dans la norme, surtout pendant l’adolescence, période de recherche identitaire.

C’est pourquoi nous trouvons intéressante et utile l’instauration d’un groupe de travail pluridisciplinaire rassemblant des médecins, des mannequins, des professionnels de la mode et des médias, sous la responsabilité des professeurs Marcel Rufo, pédopsychiatre, et Jean-Pierre Poulain, sociologue.

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la santé – Merci !

Mme Jacqueline Fraysse – Grâce à une « charte d'engagement volontaire sur l'image du corps », nous pourrions éviter que les conceptions dominantes de la beauté n’incitent les jeunes à une maigreur excessive. C’est une démarche intéressante, mais à condition qu'elle prenne place dans un ensemble plus large de dispositions, notamment en matière de santé publique et d'éducation à la santé – ce qui n’est hélas pas le cas.

Nous sommes donc extrêmement réservés sur le contenu de ce texte, très réducteur face à l'ampleur et la complexité du problème, et nous doutons de son utilité. En effet, l'article 223-14 du code pénal, adopté après la parution de l’ouvrage Suicide, mode d’emploi, dispose déjà que « la propagande ou la publicité, quel qu'en soit le mode, en faveur de produits, d'objets ou de méthodes préconisés comme moyens de se donner la mort est punie de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende ». Si la loi ne fait pas expressément référence à l'anorexie, il est clair que « l'incitation à ne plus se nourrir » entre dans son champ d'application.

Il est inutile de créer un nouveau délit à chaque exemple d'incitation dangereuse pour la santé. En effet, pourquoi ne pas créer également un délit d’incitation à la boulimie, qui pourrait s'appliquer au mouvement « pro-mia », pendant du mouvement pro-ana, ou bien aux feeders, ces psychopathes qui, exerçant une domination psychologique sur leurs femmes, les obligent à des excès alimentaires, à l’origine d’une obésité pouvant altérer gravement leur santé, voire entraîner leur mort ? Ce ne serait pas sérieux, d’autant que l'article 121-3 du code pénal prévoit déjà la possibilité de sanctionner une personne pour « mise en danger délibérée de la personne d'autrui », de manière directe ou indirecte. Les moyens juridiques de lutte contre ces incitations dangereuses pour la santé existent donc déjà.

Nous nous interrogeons par ailleurs sur le caractère applicable du présent texte, et donc sur son efficacité. La notion de « maigreur excessive », des plus floues, rend presque impossible de prouver que l'encouragement à des restrictions alimentaires de la part d’un site Internet a eu pour effet « d'exposer à un danger de mort ou de compromettre directement la santé ». Il est certes légitime d’interdire les sites faisant ouvertement l'apologie de l'anorexie comme ceux du mouvement pro-ana, mais il serait illusoire de prétendre lutter contre un phénomène aussi complexe que l’anorexie en créant des sanctions supplémentaires.

C'est facile et cela donne bonne conscience. Mais surtout, cela coûte moins cher que de payer des professeurs ou des intervenants extérieurs pour enseigner la nutrition aux enfants et aux jeunes, que de former et de payer des médecins pour suivre les adolescents qui en ont besoin et traiter les maladies psychiatriques.

Vous présentez ce texte au moment où vous réduisez partout l’accès aux soins en fermant les lieux de santé de proximité et en instituant des franchises médicales, inaccessibles aux moins fortunés, donc aux jeunes ; au moment où vous vous apprêtez à supprimer 11 000 postes de fonctionnaires, personnels enseignants et encadrants dans l'Éducation nationale… (Interruptions sur les bancs du groupe UMP)

M. Guy Teissier – Hors sujet !

Mme Jacqueline Fraysse – Cela vous agace peut-être, mais c’est au cœur du sujet.

Comment, en effet, dans ces conditions, conduire une véritable politique de prévention et de santé publique, alors que celle-ci passe par des campagnes d'information dans l’ensemble des établissements scolaires, de l’école à l’université, ainsi que par la présence de personnels qualifiés pour repérer les jeunes en souffrance et les aider à s’exprimer auprès de psychologues scolaires par exemple, dont nos établissements manquent si cruellement ?

Vous proposez de mesurer l’indice de masse corporelle de chaque enfant en milieu scolaire, ce qui est une bonne idée. Mais avec quels moyens la mettrez-vous en œuvre ? Avec quelles infirmières, quels médecins scolaires, en nombre si insuffisant qu’ils ne parviennent déjà pas à remplir leurs missions actuelles ? Les déclarations d’intention ne suffisent pas, il faut des moyens.

M. Jacques Domergue – Il n’y a pas besoin de médecins ni d’infirmières pour calculer un indice de masse corporelle !

Mme Jacqueline Fraysse – Notre pays figure parmi ceux qui enregistrent le plus grand nombre de suicides, entre 10 000 et 12 000 par an selon la DREES. C'est la première cause de mortalité chez les jeunes, un bien triste record qui devrait nous conduire à étudier cette question très sérieusement.

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la santé – C’est ce que je fais.

Mme Jacqueline Fraysse – Dans une société où la violence gagne du terrain de manière préoccupante, nos jeunes rencontrent très tôt des difficultés – sociales, financières, de formation et d’insertion… – et une précarité qui contribuent à les déstabiliser. Toutes les études les concernant soulignent leur mal-être et leur pessimisme face à l'avenir. Ce constat devrait nous conduire à mobiliser notre énergie et nos moyens pour prendre les dispositions nécessaires.

Ce n'est hélas pas votre choix. Vous privilégiez au contraire les cadeaux fiscaux aux plus aisés, au détriment de l'intérêt général (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), de la prévention et de la santé publique, de la jeunesse.

Nous n’avons décidément pas les mêmes priorités. Certes, notre société est en profonde mutation. Les moyens modernes d'expression et de communication peuvent beaucoup plus que par le passé influer sur la construction de la personnalité des jeunes et perturber les plus fragiles d’entre eux. C’est pourquoi nous ne nous opposerons pas à ce texte, même s’il vise davantage à se donner bonne conscience par des mesures d’affichage dissimulant l’indigence de notre politique de santé publique, qu’à lutter efficacement contre un véritable et douloureux problème. Mais nous ne le voterons pas, car une sévérité accrue du code pénal ne saurait tenir lieu de politique de santé (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC).

M. Jacques Domergue – Il ne faut pas détourner l’attention de la finalité de ce texte, comme cherchent à le faire nos collègues socialistes et communistes.

Nous vivons dans une société malade, dont beaucoup de maux sociaux se traduisent par des conduites addictives. Nous avons déjà légiféré à plusieurs reprises sur le tabac, l’alcool, l’obésité… Devons-nous aujourd’hui le faire à propos de l’anorexie mentale ?

Notre collègue Le Guen a bien marqué l’opposition entre l’anorexie et la boulimie, mais la conduite anorexique expose aussi à des accès de boulimie. Tous les professionnels de santé savent que le passage de l’une à l’autre est relativement fréquent, ces malades exprimant de façon très particulière un trouble social ou psychique. L’obésité est beaucoup plus répandue que l’anorexie et touche le plus souvent les couches sociales défavorisées, alors que l’anorexie touche plutôt des couches sociales favorisées, notamment des jeunes filles très intelligentes, perfectionnistes, autodestructrices et souvent suicidaires.

Nous avons été amenés à légiférer sur l’obésité face à certains lobbies de l’industrie agro-alimentaire. En matière d’anorexie, il y a de même certains mouvements qui peuvent y inciter. Or, il est une phase de la maladie où celle-ci est réversible, tant sur le plan psychiatrique que clinique et, hélas, un stade où elle devient irréversible. Ce texte vise à aider les professionnels, notamment de l’image, à éviter de tomber dans certains excès et empêcher que certains schémas ne retentissent sur les personnes les plus fragiles.

Le législateur doit-il intervenir ? Oui, lorsque certaines pratiques risquent d’accentuer l’anorexie et de mettre en danger les personnes concernées. Oui, lorsque des pressions peuvent s’exercer – et certains sites Internet sont aujourd’hui très dangereux en ce qu’ils peuvent entraîner certains anorexiques dans la phase irréversible de la maladie.

La France n’est d’ailleurs pas la seule à s’intéresser à ce sujet. L’Espagne a déjà pris des mesures en faveur des mannequins, où des standards ont été définis, éloignés de ceux qui pourraient être dangereux. L’Italie a de même pris des mesures, exigeant notamment que les mannequins produisent un certificat médical attestant qu’elles n’ont pas de trouble du comportement alimentaire. Les États-Unis songent également à légiférer sur le sujet. Mais le calcul d’un indice de masse corporelle – qui n’exige pour être calculé, Madame Fraysse, ni infirmières ni médecins supplémentaires – suffit-il ?

Le législateur peut intervenir en fixant, à l’attention de ceux qui seraient tentés d’exploiter la situation, les bornes à ne pas dépasser. Cette proposition de loi entend être davantage préventive que curative, en montrant l’importance que revêt cette pathologie dans notre société. Sans prétendre normaliser les comportements, elle instaure un meilleur équilibre et nous évite de verser dans une irréversibilité fatale (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Catherine Coutelle – Nul ne conteste que l'anorexie mentale, qui atteint près de 40 000 personnes et conduit, dans 10 % des cas, à un décès, soit un enjeu de santé publique. Il est urgent d’agir, mais cette proposition de loi ne va pas dans le bon sens.

Alors qu’il ne figurait pas à l’agenda prévisionnel du mois d’avril, ce texte, déposé le 3 avril, est discuté ce matin, l’urgence étant déclarée. Votre initiative, Madame la rapporteure, bouscule l’ordre du jour et relègue à jeudi la discussion sur la Révision générale des politiques publiques. Pourquoi cette précipitation ? Des événements d’une exceptionnelle gravité, à l’image de la mort du mannequin brésilien en 2006, seraient-ils survenus récemment ?

Face à ce que vous considérez comme une priorité de santé publique, face à ce phénomène multiforme qui peut être mutilant et mortel, pourquoi ne pas avoir pris le temps de conduire une mission, qui aurait auditionné et permis de mieux cerner la question ? Vous-même reconnaissez que « nous avons encore beaucoup à apprendre sur ce sujet, et le présent texte n'a pas pour ambition de traiter de tous les problèmes soulevés par l'anorexie ».

Sans doute l’existence de ce texte est-elle légitimée par la signature de la Charte d'engagement volontaire sur l'image du corps et contre l'anorexie, qui met en place des règles éthiques afin de lutter contre l'image de maigreur excessive renvoyée par les mannequins. Mais si cette charte est un premier pas, elle n’est guère contraignante et d'aucuns souhaiteraient déjà aller plus loin.

Faut-il pour autant légiférer ? Lors du lancement en janvier 2007 du groupe de travail conduit par MM. Rufo et Poulain, Xavier Bertrand avait déclaré : « il est important de s'interroger sur le véritable impact de ces images sur les comportements. La loi n'est pas l'alpha et l'oméga pour régler ce type de sujet. Je ne suis pas persuadé, sur ce dossier-là, qu'il faille légiférer ». Depuis, la « rupture » s’est produite, et nous légiférons en urgence.

Quel est l’objet de ce texte, et quelle est son utilité ? Vous souhaitez combattre l'incitation à l'anorexie par le biais des moyens de communication, en complétant un article du code pénal. Mais l'anorexie n’existait-elle pas avant l’Internet ? Est-ce un levier efficace pour lutter contre ces troubles du comportement alimentaire ?

Le phénomène serait en augmentation et toucherait 1 % des 12-19 ans – principalement des jeunes filles – dans sa forme anorexique et 2 à 3 % dans sa forme boulimique, celle qui augmente le plus. D’origine psychique, les TCA provoquent des conduites de restriction alimentaire ou de boulimie, entraînées par la préoccupation tyrannique de l'apparence, la peur de vieillir et de voir le corps se transformer à la puberté. Désir mis à mal, désarroi immense, sentiment d’incompréhension : la personne tente d’anesthésier une souffrance indicible.

Selon la psychiatre Virginie Megglé, iI n’existe pas une forme d’anorexie ni une cause unique : les degrés sont divers et il convient de discerner les causes des événements déclencheurs. À ces facteurs complexes qui rendent difficile le traitement s'ajoute la détection souvent tardive de la pathologie par les proches – c’est la raison pour laquelle il faut augmenter le nombre de médecins et d’infirmières scolaires – et le comportement de la personne concernée, qui pense contrôler son corps, comme en témoigne le contenu des blogs. La prise en charge par des équipes pluridisciplinaires, avec le soutien de la famille, est le traitement le plus efficace, même s’il s’inscrit dans la durée et n’exclut pas les rechutes.

Il est regrettable que cette proposition de loi ne comporte aucune mesure visant à lutter contre les TCA – campagnes de prévention, développement de structures, accompagnement des familles. Vous avez d’ailleurs, Madame la rapporteure, la prudence de rappeler que ce texte « n'a pas pour objectif de répondre à l’ensemble des questions soulevées par cette maladie complexe, notamment celle relative à sa prise en charge psychologique et médicale, qui relèvent en premier lieu de professionnels compétents ».

Vous n’abordez le problème que par le biais de la répression. L'INSERM souligne que la pression sociale exercée par les médias sur l'image du corps pourrait contribuer à entraîner des pratiques alimentaires abusives et Eliette Abecassis, que vous citez, parle de « corsets invisibles ». Quant au professeur Jeammet, de l'Institut Montsouris, il souligne que la mode, qui n'a pas créé l'anorexie, peut favoriser le trouble en faisant l’apologie de l’extrême minceur et qu’elle est, au même titre que la danse et la gymnastique, un milieu à risque.

Comme l’explique Virginie Megglé, « face à l'anorexie il y a le visible et l'invisible ». Mais vous ne traitez que le visible. Pourquoi ne pas avoir complété ce dispositif par une politique de santé publique d'envergure ? Pourquoi vous être contentée d’un volet répressif, ni pertinent ni suffisant ?

Vous visez plus particulièrement Internet et les sites « pro-ana », appartenant au mouvement lancé aux USA vers 2000 et apparu en France il y a deux ans. Il est à craindre que cette proposition de loi et la couverture médiatique qui en est faite ne leur fasse une publicité inattendue : on recense déjà 92 000 réponses – et 5 620 blogs – lorsque l’on indique les mots « pro-ana » à un moteur de recherche.

Pour le professeur Rufo, il faut éradiquer ces sites en tant qu'outils de propagande mais Véronique Megglé nous met en garde : « ces filles sont déjà rejetées par la société ; elles se sentent exclues, faut-il les stigmatiser encore ? Si l'on interdit ces modes d'expression, cela réapparaîtra sous d'autres formes, plus néfastes ; les interdire ne servirait qu'à donner bonne conscience aux politiques. En revanche il est important de mettre en garde les adolescentes sur les dangers de ces sites ». En quoi votre texte peut-il être utile et efficace ? Pensez-vous obtenir la fermeture de tous les sites « pro-ana » ?

Les TCA sont un sujet de santé publique important, angoissant pour les familles qui y sont confrontées, et grave pour les jeunes filles et les jeunes hommes qui en sont atteints. Ils mériteraient d'être traités avec une autre ambition et d'autres moyens. Ce texte ne serait-il qu'un coup de pub pour lutter contre la pub ? Il n’est en tout cas pas à la hauteur des attentes, car ce n’est pas seulement aux sites Internet qu'il faut s'attaquer, mais c'est à l'anorexie elle-même (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC).

Mme Valérie Rosso-Debord – Depuis Renoir et ses nus bien en chair, la notion du « beau » et les symboles de la féminité ont évolué. Ce qu’interroge ce texte, c’est d’abord la maigreur comme standard de la beauté féminine, obtenue grâce à la maîtrise du corps par l'esprit. Cette conception du corps et de l'image de soi nie la réalité de la femme et l’installe dans un caractère androgyne et asexué. Mais, si l'on demandait à chacun d'entre nous ce qu'il trouve beau chez une femme ou chez un homme, chacun aurait une réponse différente – et c’est heureux.

Valérie Boyer a su trouver les mots justes pour proposer de combattre l'incitation – selon moi doctrinaire – à l’anorexie. De votre côté, Madame la ministre, vous avez engagé un travail efficace avec les professionnels de la mode, pour les rendre à la fois responsables et conscients de leur impact sur les jeunes.

Nul n'est habilité à définir les canons de la beauté, mais sous prétexte d'ériger des standards médiatisés, on pousse des jeunes filles ou des jeunes garçons – 10 % des anorexiques – à s'installer progressivement dans la maladie.

Répondre efficacement à ces incitations était devenu un devoir, d'autant que les incitateurs à l'anorexie, les « pro-ana », se servent insidieusement de l'action des pouvoirs publics en faveur de la promotion de la nutrition et du bien-être par le sport chez les étudiants pour justifier leur discours et leur propagande.

Il nous faut également être plus à l'écoute des adolescents. C'est dans cet esprit que j'ai proposé, à Nancy, la mise en place d'une maison des adolescents, lieu d'accueil et d'orientation où serait détecté le plus en amont possible ce type de pathologies.

Madame la rapporteure, je souhaite vous féliciter pour votre travail. Cette co-production législative avec le Gouvernement est une avancée, qui souligne que, pour notre majorité, toutes les questions doivent être abordées sans tabou. Une réponse concrète est ainsi apportée au drame vécu par 40 000 familles de notre pays (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

La discussion générale est close.

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la santé Selon certains orateurs, nous posséderions déjà les instruments juridiques nous permettant d’incriminer la mise en danger de la personne. Je m’inscris totalement en faux contre cette affirmation : l’article 223-1 du nouveau code pénal parle de « danger immédiat », alors que l’anorexie est un phénomène de mort lente, un danger en devenir. Cette disposition, qui concernait à l’origine les conducteurs dangereux, ne nous permet pas d’intervenir.

Mme Valérie Rosso-Debord – Très bien !

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la santé L’incitation au suicide ne s’applique pas non plus, car l’anorexie peut être traitée. Nous n’avons actuellement aucun moyen juridique pour combattre les sites incitant à l’anorexie, et je remercie donc Mme Boyer de son initiative (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

ARTICLE UNIQUE

L'article unique de la proposition de loi, mis aux voix, est adopté.

APRÈS L'ARTICLE UNIQUE

Mme Valérie Boyer, rapporteure – Le recours à des logiciels de traitement d’image pour modifier l’apparence corporelle d’une personne sur des photographies commerciales contribue à diffuser une représentation erronée de l’image du corps. L’amendement 1 propose que ces photographies soient accompagnées de la mention : « Photographie retouchée afin de modifier l’apparence corporelle d’une personne ». En cas de non-respect de cette obligation, la publicité sera considérée comme une pratique commerciale trompeuse au sens du code de la consommation.

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la santé Un grand nombre de photos sont retouchées pour des raisons très diverses ; certains candidats politiques, par exemple, font retoucher les photos de leurs affiches de campagne (Sourires). Il serait très difficile de distinguer les retouches visant à inciter à l’anorexie de celles qui relèvent d’une démarche créative. La mention générale d’une retouche renseignerait insuffisamment le consommateur et pourrait en outre être attentatoire à la liberté d’expression. Enfin, certaines photos étant achetées par les magazines, le contrôle d’une telle disposition et l’imputation des responsabilités serait très difficile. Si je souscris à la philosophie de l’amendement, ces raisons me conduisent à demander son retrait.

M. Jean-Marie Le Guen – Cet amendement confirme mon analyse, à savoir que ce texte a essentiellement pour objet d’édicter des normes. Il est certes légitime, dans certains cas, que la société fixe des normes de santé publique. Sur l’alcool ou le tabac, par exemple, j’ai toujours défendu une position normative, parce qu’un travail scientifique existait, reconnu au niveau international, avec un rapport entre les risques quant à la liberté et les bénéfices pour la sécurité sanitaire très clairement en faveur de cette dernière. Mais nous ne sommes ici plus dans le même cas de figure : au contraire, vous êtes dans l’inflation pénale et dans la normalisation sociale, avec une absence complète de précaution. Cet amendement, par l’atteinte à la liberté d’expression qu’il représente, pousse une telle démarche jusqu’à la caricature, en n’étant que le prolongement logique de cette proposition bancale.

Mme Valérie Boyer, rapporteure – La ministre ayant répondu à nos interrogations, nous retirons l’amendement.

L'amendement 1 est retiré.

Mme Valérie Boyer, rapporteure – L’amendement 2 vise à organiser le dépistage des troubles du comportement alimentaire dans le cadre des visites médicales scolaires, qui assureront un suivi de l’indice de masse corporelle. Par ailleurs, le contrat-cadre de partenariat en santé publique, conclu entre les ministères de l’éducation et de la santé, pourrait inclure ces troubles au nombre de ses objectifs prioritaires, en particulier en milieu universitaire.

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la santé Cette disposition ne relève pas du domaine législatif.

Certains orateurs de l’opposition ont présenté la présente proposition de loi comme l’alpha et l’oméga de la politique de santé publique du Gouvernement. Je rappelle que j’ai présenté en Conseil des ministres un plan extrêmement ambitieux. Je me suis engagée à combattre le suicide chez les populations à risque, notamment les jeunes homosexuels, pour qui ce taux est six fois plus élevé ; avec le cinéaste André Téchiné, nous menons un travail sur ce sujet. Mme Boyer nous propose aujourd’hui un outil complémentaire, mais ce n’est pas l’alpha et l’oméga de notre politique ! Je remercie d’ailleurs ceux qui ont rendu hommage à la démarche de la charte volontaire et aux travaux conduits sous l’égide de MM. Rufo et Poulain.

La loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance a introduit l’obligation d’assurer quatre visites médicales pour tous les enfants au cours de leur scolarité. Elle dispose que le ministre de la santé détermine le contenu de ces visites par voie réglementaire et que le Haut Conseil de la santé publique est saisi du sujet. C’est une mesure qui avait fait consensus. Je serai attentive à ce que le dépistage des troubles alimentaires soit pris en considération.

En ce qui concerne les étudiants, le contrat-cadre de partenariat en santé publique entre les ministères de la santé et de l’éducation est en cours de révision. Un comité de pilotage, au sein duquel siégeront les services universitaires de médecine préventive, sera établi dans les prochains jours. La question des troubles alimentaires sera également étudiée dans ce cadre.

Enfin, l’INPES travaille à la réalisation d’un outil à destination des professionnels de santé, qui pourrait servir de support pour le dépistage des troubles du comportement alimentaire. Vous voyez donc, Madame la rapporteure, que nous menons un travail déterminé. Nous vous avons entendue.

Mme Valérie Boyer, rapporteure – Compte tenu de ces précisions, l’amendement est retiré.

Mme Catherine Coutelle – Ce n’est pas la peine de présenter des amendements, dans ce cas !

M. Jean-Marie Le Guen – C’est du cinéma !

L'amendement 2 est retiré.

Mme Valérie Boyer, rapporteure – L’amendement 3 prévoit qu’un enseignement spécifique soit consacré au dépistage et à la prise en charge des troubles du comportement alimentaire au cours des études de médecine.

Mme Michèle Delaunay – C’est déjà le cas !

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la santé Ne caricaturez pas la démarche de Mme Boyer ; ces amendements sont importants, car ils me permettent de répondre…

M. Jean-Marie Le Guen – Nous comprenons bien que c’est important ! (Sourires sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR ; protestations sur les bancs du groupe UMP)

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la santé Oui, il est important de répondre à certains propos caricaturaux.

Les nombreux médecins présents aujourd’hui ne me démentiront pas : l’adaptation du contenu des études médicales aux nouvelles problématiques de santé est essentielle. Les professionnels sont d’ailleurs les premiers à reconnaître qu’elles ne sont pas toutes couvertes dans le cursus.

Dès lors, l’amendement 3 est bienvenu, mais il ne relève pas de la loi. Le professeur Martin nous remettra bientôt un rapport sur la formation des professionnels médicaux et non médicaux en matière de nutrition. M. Bertrand et moi-même en tiendrons compte pour mieux adapter les programmes de formation. Il est donc préférable de ne pas segmenter notre action en la matière.

Mme Valérie Boyer, rapporteure – Je vous remercie d’avoir souligné l’importance d’une réforme des études médicales en ce sens.

L'amendement 3 est retiré.

M. Jean-Marie Le Guen – Où donc est passé votre enthousiasme législatif ? Est-ce notre débat qui vous frustre et vous incite à vous retirer si souvent ? Ou peut-être eût-il fallu préparer davantage ce texte avant de nous le soumettre ?

Mme Valérie Boyer, rapporteure – L’amendement 4 rectifié vise à mieux protéger la santé des mannequins en leur imposant des visites médicales plus fréquentes, à raison de deux par an au moins, et à soumettre leur aptitude à exercer à leur indice de masse corporelle.

Par ailleurs, d’autres dispositifs contraignants, tels qu’un seuil d’IMC en deçà duquel les mannequins seraient déclarés inaptes au travail, seront sans doute nécessaires pour garantir une application efficace de la Charte sur l’image du corps et contre l’anorexie signée l’année dernière.

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la santé Là encore, c’est un sujet qui relève du domaine règlementaire, et il reviendrait sans doute à M. Bertrand de répondre.

M. Jean-Marie Le Guen – Il est contre la loi !

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la santé Le plan « santé des jeunes » prévoit déjà des dispositions complétées par décret imposant le suivi médical des mineurs employés dans le spectacle et la mode, ainsi que des mannequins adultes. Ainsi, les mineurs soumis à obligation scolaire et employés par une entreprise de spectacle ou de mode doivent subir un examen médical variant selon leur âge – tous les trois mois pour les moins de trois ans, tous les six mois jusqu’à six ans et tous les ans au-delà. La rédaction du cahier des charges de cet examen est en cours. S’agissant des mannequins adultes ou mineurs non soumis à l’obligation scolaire, le décret prévoit que l’autorisation d’embauche donnée à l’issue de la visite médicale est valable un an s’il n’y a qu’un seul employeur et six mois s’ils sont plusieurs. Cette périodicité peut en outre être modifiée si le médecin constate un indice de masse corporelle inquiétant.

Enfin, suite aux travaux menés sur l’image du corps et en partenariat avec la médecine du travail, nous avons décidé de renforcer le contenu des visites médicales des mannequins de plus de seize ans en élaborant un référentiel des mesures requises. Ainsi, des seuils de poids et de masse corporelle seront requis pour obtenir une aptitude à défiler. Nous avons également convenu d’augmenter la fréquence des visites médicales et d’exiger des organisateurs de manifestations qu’ils puissent fournir un certificat d’aptitude des mannequins datant de moins d’un mois. Vous le voyez, ces mesures de nature règlementaire sont suffisamment fortes !

M. Jean-Marie Le Guen – Je comprends que l’on s’attache à améliorer les conditions de travail d’une catégorie professionnelle certes très menacée, mais n’est-il pas réducteur de s’attaquer au problème de la santé au travail par le biais des mannequins ? Il est vrai que c’est une profession reconnue en plus haut lieu : la sollicitude qu’on lui témoigne est toujours bienvenue…

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la santé C’est d’un goût douteux…

M. Jean-Marie Le Guen – Ce qui est d’un goût douteux, Madame la ministre, c’est d’aborder un problème de santé publique tel que l’anorexie avec pour seul objectif l’approbation de la presse « people » ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Ce n’est pourtant pas là que l’on parle le mieux de santé publique !

J’ajoute que soumettre la décision d’aptitude au travail à l’indice de masse corporel, c’est-à-dire à un critère biologique plutôt qu’à un ensemble de critères cliniques, est une innovation législative sans précédent, qui dénature l’activité des médecins !

Mme Valérie Boyer, rapporteure – Compte tenu des explications détaillées de Mme la ministre, je retire mon amendement (Exclamations sur les bancs du groupe SRC).

L'amendement 4 rectifié est retiré.

TITRE

Mme Valérie Boyer, rapporteure – L’amendement 5 précise que la proposition de loi vise à lutter contre les incitations non seulement à l’anorexie, mais aussi à la maigreur extrême. Certaines personnes peuvent en effet y être encouragées sans pour autant devenir anorexiques, notamment lorsqu’elles sont sous l’emprise d’un mouvement sectaire.

J’ajoute que je suis choquée de voir mes propos caricaturés, déformés même, bien que je comprenne la frustration de ceux ici qui ne peuvent sur certains sujets s’exprimer autant qu’ils le souhaitent. Cette proposition de loi s’inscrit dans une politique globale de protection de la santé. La France peut s’enorgueillir d’avoir lancé deux programmes ambitieux – le plan « santé jeunesse » et le plan national « nutrition santé » – qui traitent largement des troubles de l’alimentation et qui font de notre système de santé publique un modèle à plus d’un titre ! D’autre part, la Charte contre l’anorexie signée la semaine dernière est une grande nouveauté : elle dote la France d’un dispositif de pointe en matière de prise en charge des souffrances liées à cette maladie. Enfin, le nouveau délit que nous créons aujourd’hui doit non seulement permettre de sanctionner les comportements extrêmes, mais aussi de les dissuader. Je vous remercie donc de participer au débat, mais de grâce, cessez de tout caricaturer ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Marie Le Guen – En matière de lutte contre les mouvements sectaires, notre législation est adaptée – quoique parfois fragilisée. Si chacun d’entre nous souhaite à juste titre la renforcer, faut-il pour autant le faire par le biais de la maigreur extrême ? En élargissant le titre de la loi à ce concept vague, on quitte le domaine médical et strictement défini de l’anorexie. Qu’est-ce que la maigreur extrême ? Mélanger ainsi les notions, fût-ce au nom d’un combat légitime, me semble dangereux au plan législatif. Je le soupçonnais au début de notre débat : mes doutes sont confirmés.

L'amendement 5, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

EXPLICATIONS DE VOTE

Mme Jacqueline Fraysse – Nous ne voterons pas ce texte, car il est hors sujet et ne permet pas, comme il le prétend, de résoudre un problème complexe.

Il s’agit d’une question de santé publique, or en la matière nous manquons cruellement de moyens. La misère de la médecine scolaire en est une illustration. Vous proposez de contrôler l’IMC des enfants et des jeunes, mais vous ne dites pas avec quels personnels, encore moins avec quels moyens !

Ignorez-vous, par ailleurs, que les études médicales comportent un enseignement de psychiatrie dans lequel l’anorexie mentale a toute sa place ? Il est facile de proclamer – la main sur le cœur – qu’il faut renforcer cet enseignement, mais cela ne trompe personne !

Ce débat et le retrait des amendements de Mme Boyer me confortent donc dans l’opinion que j’ai exprimée tout à l’heure : ce texte est bien un texte d’affichage destiné à vous donner bonne conscience face à l’insuffisance de votre politique de santé publique. Nous ne cautionnerons pas cette démarche dangereuse.

M. Jean-Marie Le Guen – Ce débat nous a confirmé que nos réticences étaient fondées. Derrière la réaction – ou la « surréaction » – du Gouvernement et de la majorité à un vrai problème de santé publique, il y a une grande confusion. Ce texte ne fait qu’alimenter l’inflation législative, puisque nous disposons déjà des moyens de renforcer la lutte contre l’anorexie mentale et le soutien aux familles, qui en est une dimension essentielle. Bref, vous êtes à côté de la plaque. On peut certes imposer des règles contraignantes à la société au nom de la santé publique, mais encore faut-il le faire à bon escient.

Mme Pascale Gruny – Pour ma part, je ne céderai pas à la polémique. Ce texte nous a donné l’occasion de débattre d’un sujet préoccupant pour les jeunes et leurs familles, et d’y apporter de nouvelles réponses après la Charte signée il y a quelques jours. Les amendements de notre rappporteure nous ont permis d’obtenir de nombreuses réponses de Mme la ministre. Nous pouvons donc être fiers de ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) qui recevra à n’en pas douter le soutien des familles. Le groupe UMP le votera donc (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

L'ensemble de la proposition de loi, mis aux voix, est adopté.

Prochaine séance cet après-midi à 15 heures.

La séance est levée à 11 heures 35.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Marie-Christine CHESNAIS

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne deux heures après la fin de séance.

Le compte rendu analytique des questions au Gouvernement
est également disponible, sur Internet et sous la forme d’un fascicule spécial,
dès dix-huit heures

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

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