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N° 246

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 3 octobre 2007.

DÉCLARATION

du Gouvernement sur le Grenelle de l’environnement,

PRÉSENTÉE

PAR M. Jean-Louis BORLOO,

ministre de l’écologie, du développement et de l’aménagement durables.

Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs les députés,

Je suis heureux, avec Nathalie Kosciusko-Morizet, Dominique Bussereau, Michel Barnier et Christine Boutin, de faire devant la représentation nationale un point sur ce qui est entré dans le langage commun comme le « Grenelle de l’environnement ».

Ce Grenelle, point de rencontre démocratique inédit, est l’enfant de la campagne présidentielle, au cours de laquelle l’environnement a été placé au cœur du débat. Le candidat Nicolas Sarkozy s’était engagé sur deux points : d’une part, doter notre pays d’un puissant ministère regroupant des fonctions jusqu’alors séparées – les infrastructures et l’écologie – afin de coordonner de manière stratégique l’action publique ; organiser, d’autre part, un grand débat avec l’ensemble des parties prenantes, partant de l’idée qu’un sujet aussi essentiel que l’environnement ne pouvait pas être l’apanage d’un ou deux acteurs mais bien de l’ensemble des acteurs de la société française.

Ce Grenelle a été lancé au mois de juillet, il a réuni cinq collèges, les entreprises, les organisations syndicales, les organisations non gouvernementales à vocation environnementale ou écologique, les collectivités territoriales et l’État, pour aborder l’ensemble des problématiques de santé, de biodiversité, de transformation climatique, de gouvernance et de production et d’emploi, concernées par la mise en place d’une nouvelle politique de l’environnement.

Cinquante-trois réunions ont eu lieu, des groupes de travail ont été formés, associant personnalités engagées, militants de toujours, responsables d’entreprise, syndicalistes, maires et présidents d’agglomération, qui ont pu débattre et mener des échanges approfondis, l’objectif n’étant pas d’arriver sur tout à des consensus mais d’essayer de déterminer les enjeux, les objectifs et quelques moyens, alternatifs le cas échéant, pour atteindre ces objectifs.

Mille pages de rapport sont à la disposition du Parlement et des Français, et plusieurs réunions auront lieu dans les territoires à compter du 5 octobre, la première étant organisée à Bourges, ville dont Serge Lepeltier est le maire. D’autres contributions encore nous permettront de définir, sur un sujet crucial, une véritable stratégie.

Des personnes d’une indéniable qualité se sont engagées avec force, acceptant de laisser au vestiaire quelques certitudes pour faire avancer les débats. La société française, quant à elle, a déjà tranché : un sondage récent, publié dans un grand quotidien, indiquait que 93 % des Français se disent déterminés à faire des efforts au quotidien en faveur de l’environnement. Ils savent en effet l’importance de ce sujet.

Ce changement d’attitude est une grande évolution. Car nos concitoyens ont compris que la lutte contre le réchauffement de la planète ou contre les pollutions ne se résumait pas à une série de déclarations d’intention, à un dialogue entre experts ou chefs d’État, à des lois ou traités internationaux, mais qu’il s’agissait d’abord d’un ensemble de décisions individuelles et collectives, de réflexes de la vie quotidienne. Ils ont compris qu’il y avait un lien entre leur façon d’être au quotidien, leurs actes d’achat et de consommation, et des phénomènes qui se constatent à grande échelle.

Il faut dire que certains signes ne trompent pas : notre environnement se dégrade, et chacun peut le constater de visu. Il y a bien sûr la banquise qui fond – guère plus loin de Paris que ne l’est Agadir, c’est-à-dire tout proche de nous –, le climat qui se dérègle comme cet été, où l’on a souffert d’une canicule au sud de l’Europe en même temps que d’inondations records au Royaume-Uni. 40 % des espèces vivantes sont menacées, et ce de plus en plus vite ; il y a les pollutions qui touchent notre vie quotidienne, les PCB, qui ont conduit récemment le Gouvernement à interdire la consommation des poissons d’une partie du Rhône ou le chlordécone aux Antilles.

Nous savons tous que l’ensemble de ces phénomènes a un lien avec l’activité de l’homme. Il y a donc très logiquement aujourd’hui une demande sociale pour l’action en faveur de l’environnement, et une prise de conscience individuelle des devoirs dont elle s’accompagne par nature. Les Français savent que la défense de leur qualité de vie et de celle des générations futures suppose que soient amplifiées dès à présent un certain nombre d’actions.

Qui se satisfait de la pollution des milieux naturels – l’eau que nous consommons ou l’air que nous respirons ? Qui se satisfait d’une production excessive de déchets ou encore de files de camions roulant au pas sur des autoroutes congestionnées, alors même que nos voies ferrées voient passer de moins en moins de marchandises sur des trains dédiés au fret ? Qui ne se soucie pas du gaspillage d’énergie dans les bâtiments, lequel explique une part non négligeable de la hausse des charges locatives et de la croissance de nos émissions de gaz à effet de serre ? Qui ignore l’intérêt de préserver notre indépendance énergétique ? Personne. Les rapports issus des discussions du Grenelle ne disent pas autre chose : les constats de fond sont partagés, même si la façon de répondre aux problèmes ne fait pas toujours l’objet d’un consensus.

Voilà la raison pour laquelle je préfère à un discours inutilement pessimiste, voire moraliste, l’expression de convictions que chacun partage. Tout le monde est d’accord pour lutter contre les excès de l’étalement urbain ; tout le monde a envie d’avoir des fleuves propres, une eau et un air – intérieur et extérieur – de meilleure qualité ; tout le monde est d’accord pour que l’habitat, ancien comme neuf, consomme moins d’énergie – je rappelle que, dans notre pays, les bâtiments utilisent 42 % de notre énergie finale ; tout le monde est d’accord pour avoir moins de décharges, alors que l’on peut facilement trier et recycler les déchets ; tout le monde a envie que les transports en commun soient de meilleure qualité, mieux cadencés et plus confortables ; tout le monde a envie de voir moins de camions au pas sur les routes. En bref, tout le monde a compris que les ressources ou l’espace ne sont pas illimités et que, pour continuer à croître et conserver notre niveau de vie, il faut un changement de notre modèle de développement. Le développement durable, c’est cela. Ce n’est pas le laisser-faire, mais ce n’est certainement pas non plus l’idéologie de la restriction ou de la décroissance.

Reste maintenant à savoir comment nous allons transformer l’essai et convertir cette aspiration au changement de la société en actions publiques et privées. Le Grenelle de l’environnement doit précisément nous aider à définir les chantiers et programmes sur lesquels toute la collectivité doit concentrer ses efforts, efforts que le Parlement examinera, évaluera et modifiera.

Cette démarche de concertation la plus large possible avec les parties prenantes – qui se prolongera ces jours-ci par une consultation des Français sur Internet et des réunions de présentation des rapports des groupes dans une quinzaine de villes – était indispensable.

La conviction du Gouvernement est en effet que le changement n’est possible que si toute la société bouge en même temps, que si toute la chaîne qui relie le producteur au consommateur se mobilise, que si tout le monde décide de passer à l’action au même moment.

Vu sous cet angle, l’environnement n’est pas seulement l’affaire de l’État, qui est, certes, un acteur important, mais un acteur parmi d’autres. Il faut aussi convaincre tout un chacun. Cela nécessite de convaincre les entreprises que l’écologie n’est pas un facteur de dégradation de leur compétitivité, mais une opportunité de gagner de nouveaux marchés et d’offrir de nouveaux services, de créer de nouveaux emplois. Cela nécessite d’affirmer que l’écologie n’est pas l’ennemie du pouvoir d’achat, ou un luxe réservé à une minorité fortunée d’habitants de grandes zones urbaines, mais qu’elle est un investissement clef pour l’avenir. Cela nécessite de convaincre les Français que cela ne devrait pas coûter plus cher de prendre le tramway plutôt que l’automobile ; que cela ne coûte pas plus cher d’investir dans les économies d’énergie que de la gaspiller en payant éternellement le prix fort ; que le développement durable n’est pas un drame et encore moins une régression, mais une formidable opportunité d’investissement, de gains de productivité et de pouvoir d’achat, tout en améliorant son confort, sa santé, et son bonheur.

Il ne s’agit pas de choisir entre croissance économique et protection de la planète, mais de lier les deux. Ce nouveau chemin de croissance, cette autre croissance est à notre portée, car nous avons les technologies pour le faire, nous avons les filières industrielles pour le faire, nous avons les ingénieurs et les créateurs d’entreprises pour le faire, nous avons aussi les services publics, les collectivités locales, quelles qu’elles soient, pour le faire.

Les rapports de synthèse des groupes de travail du Grenelle de l’environnement et le diagnostic partagé qu’ils reflètent dessinent les orientations possibles pour l’action publique et collective. Ils sont d’abord le reflet de fortes convictions que je crois utile de rappeler.

D’abord, tout le monde reconnaît que personne ne détient la vérité absolue pour la bonne et simple raison que certaines connaissances scientifiques sont incomplètes ; que les risques sont parfois mal connus ; que les relations de cause à effet ne sont pas toujours nettement établies. Mais cette connaissance incomplète, qui est dans la nature des choses, ne doit en aucun cas servir de prétexte à l’inaction.

Évidemment, il n’existe pas de solution unique et miracle. En clair, nous ne pouvons pas compter sur une adaptation ou une correction spontanée des grands équilibres économiques pour répondre aux urgences d’aujourd’hui et de demain. Le marché a besoin d’être organisé, guidé et orienté. Il paraît au moins aussi illusoire de compter exclusivement sur les nouvelles technologies qui permettraient brusquement de basculer vers un chemin de croissance soutenable. Nous croyons évidemment à la technologie, et le Gouvernement encouragera vigoureusement la recherche, mais nous ne croyons pas qu’elle constitue, à elle seule, la solution.

Troisième conviction : l’action doit, par ailleurs, être collective, comme la réflexion qui la précède, et les sujets ne doivent pas être traités indépendamment les uns des autres. Qu’il s’agisse de recherche fondamentale, de consommation, de recherche appliquée, de compétitivité, l’action isolée est condamnée à l’échec.

Je ne veux en aucun cas préjuger des conclusions de la table ronde finale qui se tiendra à la fin du mois d’octobre, mais, à la lecture des rapports, quelques orientations consensuelles me semblent d’ores et déjà se dégager. Il s’agit, tout d’abord, de rappeler le potentiel de croissance de certains secteurs d’activité : c’est le cas des énergies renouvelables, du secteur du bâtiment – pour lequel un grand chantier thermique est nécessaire, notamment dans l’ancien –, des services à l’énergie, en vue de la maîtrise de la demande, ou du secteur des transports, en commençant par les transports collectifs. Nous voulons absolument prendre date avec nos principaux concurrents sur ces nouveaux segments à très haute valeur ajoutée et qui constitueront, en partie, le fondement de la croissance de demain.

Le deuxième impératif, c’est que la protection de l’environnement ne doit pas être le prétexte à une hausse globale de la fiscalité. Je veux absolument que les choses soient claires sur ce sujet. Il ne faut pas confondre l’idée d’utiliser la fiscalité comme signal pour orienter ou pour inciter les Français à adopter un comportement et l’idée – que je combats fermement – de faire de la fiscalité écologique une variable d’ajustement budgétaire. Je ne veux pas faire du « rendement caché » car, quand on y réfléchit, la meilleure taxe écologique est celle qui disparaît à terme. Ce serait, de surcroît, inefficace.

Je crois que nos compatriotes et leurs représentants ne le comprendraient pas, et puis cela reviendrait à rompre le contrat passé entre notre majorité et les Français. Toute taxation appelle donc une compensation et un allégement et la feuille de route établie par le Président de la République est de ne raisonner qu’à taux de prélèvements obligatoires constant.

Troisième principe : personne ne doit être laissé dans une impasse. On ne peut pas, d’un côté, proposer aux Français des évolutions dans leur mode de transport, leur demander de changer de voiture contre une moins polluante, si, de l’autre côté, on n’est pas capable de leur proposer de vraies solutions alternatives efficaces, confortables et crédibles. Je ne veux pas d’interdiction sans solution, pas d’injonction sans accompagnement. Cela implique évidemment d’inscrire chaque action et chaque inflexion dans un cadre global et cohérent. Ainsi, et pour prendre un seul exemple, des mesures incitant à l’abandon de certains types de véhicules n’ont de sens que s’il existe, de l’autre côté, une offre structurée, proposant un produit de qualité équivalente, mais à un moindre coût énergétique. Nous voulons décloisonner tous les sujets et tous les modes opératoires.

Enfin, quatrième principe : l’ensemble des participants sont d’accord pour considérer que seule une action territoriale, une action des opérateurs au plus près des réalités quotidiennes – le quartier, la ville, l’agglomération, le département ou la région – permettra de changer les comportements en profondeur et d’apporter des solutions réelles, efficaces. Les grands objectifs, les grands principes, les bonnes intentions ne remplaceront jamais un métro, un tramway, un service de bus adapté aux rythmes de vie, des pistes cyclables.

Le Grenelle a permis de se mettre d’accord sur ces diagnostics partagés et sur des principes d’action communs. Reste maintenant à définir les quinze à vingt chantiers structurants pour les années à venir. Bien sûr, il est encore trop tôt pour annoncer l’issue de la table ronde et je ne souhaite pas préempter les conclusions de la phase de concertation. Ce n’est ni mon rôle, ni les termes du contrat passé entre le Gouvernement et les parties prenantes, ni l’esprit dans lequel je me présente devant la représentation nationale. Je crois qu’il ne faut pas se méprendre sur les objectifs. Le Grenelle n’est pas une machine à fabriquer du consensus contre l’avis des acteurs, c’est un moyen de répondre à un grand enjeu de société et aux préoccupations des Français.

Sans être exhaustif, je voudrais vous parler de quelques axes majeurs qui nécessiteront, bien sûr, un réglage fin des mesures concrètes. On doit s’attaquer aux problèmes les plus importants, qu’il s’agisse des émissions de gaz à effet de serre ou des pollutions diverses qui portent atteinte à notre santé.

Il faut évidemment engager un vaste plan de maîtrise de la consommation d’énergie avec, comme toile de fond, cette idée assez simple que la réduction de la demande est la voie la plus efficace et la moins coûteuse pour réduire la facture énergétique de chaque Français et de la France.

Il faut bien entendu commencer par les secteurs où il y a des gisements d’économies importants, où l’on dispose de vraies marges de manœuvre pour obtenir des résultats visibles. C’est le cas des bâtiments anciens. Il faudra donc se mettre d’accord sur des objectifs de réduction de la consommation du parc existant à des échéances déterminées, ce qui suppose un plan de mise aux normes, la généralisation des constructions HQE ou encore une politique de labellisation lisible et identifiable. Je crois qu’il faut dire la vérité aux Français, expliquer qu’il ne s’agit pas seulement d’un coût, mais d’un investissement – les mesures financières permettant cette mutation –, avec, en face, un vrai retour sur investissement grâce à la réduction de la facture énergétique. Cela, indépendamment des créations d’emplois attendues dans les secteurs du bâtiment et des services à l’énergie si l’offre des entreprises est au rendez-vous.

On sait aussi que la restauration de la compétitivité des transports publics massifiés jouera un rôle clef. Derrière ce terme un peu obscur se cache une refondation de notre politique des transports. Il ne s’agit pas seulement de programmer de nouvelles infrastructures, il s’agit, au contraire, de faciliter la mobilité des personnes et des marchandises par des modes de transport faiblement émetteurs : le rail – fret et voyageurs –, la voie fluviale, le transport maritime et les transports en commun. Pour que tout cela soit possible, il faudra simultanément une offre de services nouveaux, une organisation plus concurrentielle du secteur et une nouvelle façon de programmer nos infrastructures. Plus de tramways et de trains de fret là où leur compétitivité globale est meilleure que celle des autres modes de transport. S’y ajoutera un volet technologique, indispensable pour réduire les pollutions des véhicules, combiné à une évolution de la réglementation.

On sait aussi que la biodiversité doit devenir une dimension essentielle de l’action publique et privée. C’est probablement un des consensus partagés, transversaux, les plus novateurs de ce Grenelle. Peut-être était-ce un sujet moins connu que d’autres, même si, sur ces bancs, d’aucuns y sont déjà très largement impliqués. Mais on sait aujourd’hui qu’avec l’extinction de certaines espèces, l’effet du réchauffement climatique, mais aussi une gestion inadaptée de l’espace et des ressources, on remet en cause, de façon irréversible, l’avenir.

Il faudra également aider les Français à mieux consommer avec cette idée que le meilleur moyen de militer pour la planète, c’est encore de consommer intelligemment. Il s’agit d’apporter des réponses simples – très opérationnelles et qui ne coûtent pas plus cher – à la question que tout le monde se pose : « Comment je fais, au quotidien, pour améliorer ma santé, celle de mes enfants, améliorer et protéger mon environnement ? ». Comment ? Eh bien grâce à des écolabels, à l’étiquetage énergie, aux bilans carbone sur les produits, à une publicité responsable, à la limitation du nombre d’intermédiaires entre le producteur et le consommateur, au développement des produits bio dans la restauration collective. On voit bien qu’on est à la fois sur des sujets de santé, de pouvoir d’achat, de réduction des coûts – et pas seulement énergétique –, de constitution de nouvelles filières agricoles.

Enfin, il faut engager – et c’est un objectif que je partage avec mon ami Michel Barnier, que je remercie d’être présent à cet instant – une réflexion sur l’avenir de notre agriculture.

Il ne faut pas opposer artificiellement, lorsque ce n’est pas nécessaire, agriculture et écologie. Là comme ailleurs, elles se complètent naturellement. Notre filière agroalimentaire est majeure pour l’économie française : il ne faut pas la fragiliser, mais l’aider à poursuivre son évolution, importante, de production, aller vers l’autonomie énergétique, vers une production plus respectueuse encore de l’environnement. Ce sont ces travaux qui sont en cours et qui font l’objet de débats très approfondis – sans anathèmes, en essayant de se comprendre les uns et les autres – sur les difficultés liées aux phytosanitaires et aux pesticides, d’un côté, et la nécessaire évolution dans ce domaine, de l’autre. Je suis convaincu que nous allons trouver un chemin positif et heureux dans ce domaine.

Beaucoup d’autres sujets sont encore sur la table, comme la nécessité de rattraper le retard inacceptable de notre pays en matière d’assainissement : 146 stations d’épuration ne sont pas encore en conformité, ce qui représente 36 millions d’équivalents habitants ! Je souhaite que le Grenelle soit l’occasion de lancer un grand plan de rénovation de notre système d’assainissement, avec des objectifs précis et quantifiés sur l’état d’avancement des travaux.

Et puis l’État doit se montrer, dans ce domaine, exemplaire. Je ne veux pas vous jouer un refrain connu, mais fixer avec vous un principe simple : l’État n’imposera rien ou n’incitera à rien s’il ne se l’applique pas lui-même avec rigueur.

Nous avons, nous État et services publics, une obligation de résultat. On ne peut pas demander à l’ensemble des acteurs de la société française, les persuader que cette évolution est pertinente, performante et rentable à terme si nous ne commençons pas à le démontrer nous-mêmes dans la sphère du domaine public. Parce que, ensuite, l’État a un vrai rôle à jouer dans le lancement ou la valorisation de nouvelles filières qui ont du mal à décoller ou à décrocher leurs premiers marchés : je pense notamment à certains moyens de transport, à certaines flottes, notamment automobiles, ainsi qu’aux produits issus de l’agriculture biologique.

Pour ma part, je retiendrai trois messages. Le premier concerne le rôle du Parlement vis-à-vis du Grenelle. Qu’on ne se méprenne pas : nous nous sommes engagés dans un processus profondément original. Le Grenelle est un point de départ. Il y aura des chantiers, des programmes, des lois, des engagements, des contrats et un processus de suivi permanent des résultats. À toutes les étapes, le Parlement et ses commissions seront pleinement associés. Si les parlementaires ont participé au Grenelle, si nous avons eu et aurons encore des échanges profonds avec différentes commissions − permettez-moi de saluer ici le président Ollier – si le Grenelle a été l’occasion de constater que, malheureusement, trop de textes législatifs étaient soit inconnus, soit inappliqués, que certains rapports de commission étaient eux aussi peu connus, le Parlement n’est pas l’un des cinq collèges du Grenelle : il est le Parlement de la République française.

C’est l’alpha et l’oméga de notre démocratie. Il doit fixer le cap général de l’équité. Ce n’est pas directement une partie prenante : c’est plus, c’est mieux que cela. C’est devant le Parlement de la République que devront in fine être débattues les évolutions les plus importantes de la société française.

Le deuxième message, c’est que notre action n’a évidemment pas de sens si, sur de tels sujets, elle n’est pas européenne et internationale. La France doit être exemplaire dans tous ces combats-là, mais elle ne peut pas être un acteur isolé. Nous devons reprendre la main. La présidence française du Conseil de l’Union européenne l’an prochain et la conférence de Bali en décembre nous offrent une fenêtre de tir que nous ne devons pas manquer.

Enfin, je veux être clair sur ce que n’est pas le Grenelle de l’environnement. Pour passer à l’action, il ne faut plus entretenir de conflits artificiels que la société française elle-même considère déjà comme dépassés. C’est une question de responsabilité et, au fond, de bon sens.

Le développement durable, c’est de la croissance, de la cohésion sociale et du respect de l’environnement. Les économies et les territoires qui auront agi le plus tôt seront les plus durables et les plus compétitifs. La révision de nos critères de programmation des infrastructures ne signifie pas l’interruption de l’effort d’équipement de notre pays.

Le 24 septembre dernier, au cours de la conférence sur les changements climatiques qui se tenait à New York, le Président de la République a rappelé qu’il fallait éviter de franchir le point de non-retour. Ce point de non-retour a été évalué à 2 degrés en 2050. Si la température mondiale augmente en moyenne de 2 degrés à cette échéance, nous serons incapables de revenir en arrière.

Il convient, mesdames et messieurs les députés, de démontrer qu’une économie durable est possible. L’économie actuelle prélève plus sur l’écosystème qu’il n’est possible. Très objectivement, certaines ressources sont rares − qu’il s’agisse de l’énergie, de l’air, du niveau climatique, de la qualité des terres arables, de la biodiversité de l’eau − et nous continuons à prélever plus que l’écosystème ne le permet.

C’est l’enjeu que nous devons relever. Ce qui explique le concept du Grenelle, la mobilisation de toutes les parties prenantes de notre pays, est assez simple. La question est de savoir si une croissance durable sur un système global est possible. En réalité, aujourd’hui, cela n’a pas été démontré à l’échelle d’un grand système, d’un État.

Il y a des victoires, des avancées dans tel ou tel pays, sur tel ou tel sujet. Mais la démonstration que l’on peut avoir une croissance soutenue, heureuse, sobre et respectueuse de la nature n’a pas encore été faite. Que notre beau pays, qui jouit d’un climat tempéré, de tous les bienfaits de la nature, qui a des rivières, des fleuves, des mers, de la géothermie, des forêts, des ingénieurs, qui est riche et puissant, que ce pays puisse, en quelques années, démontrer qu’un développement durable est possible, tel est notre enjeu véritable.

Nous n’y parviendrons, mesdames et messieurs les députés, que par une mobilisation opérationnelle, pragmatique, méthodique de 62 millions de nos compatriotes, de tous âges. Ne nous y trompons pas, nous avons un allié extraordinaire : c’est la grande puissance des moins de vingt ans. Ils ont à leur disposition des outils de communication, de conviction, d’influence, qu’aucune génération avant eux n’avait eus. Celle-ci est née avec Internet, avec l’idée que la planète n’est pas un monde strictement infini et que les ressources sont rares. C’est à cela que nous appelle le Grenelle de l’environnement.

M. Steiner, que tout le monde respecte sur ces bancs, patron du programme national des Nations unies pour l’environnement, disait à Rio, il y a trois semaines, devant cinquante-deux chefs d’État, que cette conférence des parties prenantes, que les Français appellent leur Grenelle, peut être un laboratoire et que, si ce laboratoire fonctionne, ce sera une bonne nouvelle pour la gouvernance internationale. Tel est l’enjeu. Je crois que nous avons les capacités de le relever.

Je voudrais, pour conclure, rappeler un vieil adage africain : « La terre, nous ne l’héritons pas de nos ancêtres, nous l’empruntons à nos enfants. ».


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