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N° 496

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 12 décembre 2007.

DÉCLARATION

du Gouvernement préalable au
Conseil européen
du 14 décembre 2007

par M. Bernard KOUCHNER,

ministre des affaires étrangères et européennes.

Monsieur le président,

Mesdames et messieurs les députés,

L’Europe avance. Nous l’avons espéré depuis 2005, nous l’avons préparé depuis le mois de juin : voici enfin revenu le temps de la construction, du projet et du progrès. Voici enfin venu le temps du traité simplifié voulu par le Président de la République, mis au point avec la présidence allemande.

En cette fin de semaine, à Lisbonne et à Bruxelles, l’Europe va tourner une page de deux ans et demi de doutes et d’interrogations. Elle va à nouveau se concentrer sur des politiques d’avenir pour nos concitoyens, politiques de sécurité intérieure et extérieure de l’Union, politiques de liberté et de justice, politiques de croissance économique, de défense de l’environnement et de maîtrise de l’énergie.

Grâce à l’efficacité de la présidence portugaise, cette semaine sera donc historique pour l’Union européenne.

Demain, les présidents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission proclameront une charte des droits fondamentaux modifiée.

Le lendemain, nous participerons, le Président de la République, le Premier ministre et moi-même, à la cérémonie de signature du nouveau traité, dit « de Lisbonne ». Ce traité, je le répète, nous offrira enfin les outils pour une Union européenne tournée vers l’avenir.

Une Union tournée vers l’avenir, ce sera d’abord une Union fonctionnant mieux, avec des procédures et des institutions adaptées, avec un président stable, avec un Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, avec une Commission réduite et un plafonnement du nombre de Parlementaires européens, avec, enfin, l’extension de la majorité qualifiée, notamment dans le domaine de la justice et des affaires intérieures.

Tournée vers l’avenir, l’Europe bénéficiera surtout d’un fonctionnement plus démocratique, avec un rôle renforcé des Parlements nationaux, avec l’extension de la codécision et du rôle du Parlement européen, avec l’opposabilité de la Charte des droits fondamentaux.

L’Europe, enfin, sera désormais mieux à même de mettre en œuvre de nouvelles politiques, qui répondront aux préoccupations des citoyens. Je pense à des coopérations renforcées plus faciles à déclencher, à une clause de solidarité énergétique, à des compétences nouvelles, par exemple en matière de sécurité civile, à la possibilité d’engager des missions de défense européenne avec les États membres volontaires.

Cette Europe ambitieuse doit être en état de marche le plus rapidement possible.

L’Union européenne se fixe pour objectif de voir les 27 ratifier ce traité dans le courant de l’année 2008, pour une entrée en vigueur au 1er janvier 2009. Comme le Président de la République l’a indiqué, la France souhaite montrer l’exemple avant sa présidence : dès le lendemain de la signature, le Conseil Constitutionnel sera saisi. Un projet de loi constitutionnelle sera ensuite discuté devant les assemblées en janvier, pour une adoption en Congrès le plus rapidement possible.

Alors s’engagera la ratification du traité par la voie parlementaire, dont le Gouvernement souhaite qu’elle puisse se dérouler avant la pause parlementaire des élections municipales de février. Je reviendrai donc vers vous à cette occasion pour vous présenter le traité plus en détail et en débattre largement.

Puisque nous parlons d’avenir, je voudrais m’arrêter un instant sur le mandat du groupe de réflexion sur l’avenir de l’Union, que le Président de la République a proposé à nos partenaires. Ce groupe de sages chargés de réfléchir à l’Union européenne de 2020 à 2030 devra bénéficier d’un mandat clair, c’est-à-dire assez général pour lui permettre de traiter de toutes les questions qui détermineront notre avenir collectif à vingt-sept, mais sans relancer une nouvelle réflexion institutionnelle ni interférer avec les travaux d’ores et déjà à l’ordre du jour de l’agenda européen.

Le groupe pourrait rendre ses conclusions en juin 2010.

Nous devrions nous entendre vendredi sur ce mandat et le principe d’un format réduit, de huit ou neuf membres. Les travaux devraient commencer avec la désignation des membres, dès vendredi ou rapidement après.

Comme l’a souhaité le Président de la République, la mise en place de ce groupe devrait permettre la poursuite des discussions en cours sur la Turquie. Le Conseil européen ne devrait pas aborder cette question.

C’est au Conseil « affaires générales » que nous avons examiné hier le rapport annuel de la Commission sur le sujet. En ce qui concerne les Balkans, la présidence slovène travaillera dans les mois qui viennent à intensifier la relation entre l’Union européenne et ces pays, qui bénéficient, je le rappelle, d’une perspective d’adhésion.

S’agissant de la Turquie, nous avons regretté l’absence de progrès sur la mise en œuvre du protocole additionnel à l’accord d’Ankara et sur la normalisation des relations avec Chypre. Nous avons donc invité ce pays à engager les réformes nécessaires, notamment en matière de liberté d’expression et de religion.

J’ai par ailleurs rappelé notre accord pour que les discussions en cours entre la Turquie et l’Union européenne se poursuivent, sous réserve de ne pas toucher aux quelques chapitres qui impliquent nécessairement une adhésion. L’accord obtenu hier est compatible avec le « partenariat renforcé » souhaité par le Président de la République.

Dernier point sur l’avenir de l’Union, la stratégie de sécurité de l’Union européenne de 2003 doit notamment intégrer des enjeux dont nous percevons mieux l’importance qu’en 2003 : questions environnementales, sécurité énergétique, migrations. Nous souhaitons que Javier Solana y travaille, avec la Commission, pour que des décisions viennent, sous notre présidence – qui, je vous le rappelle, commence le 1er juillet –, compléter cette feuille de route stratégique de l’Union politique dans les prochaines années.

Ces éléments nous le prouvent : l’Europe est aujourd’hui à un tournant important de son histoire.

Forte de ces innovations institutionnelles et stratégiques, elle va pouvoir se plonger dans l’avenir avec audace et détermination. C’est une bonne nouvelle pour l’Europe. C’est aussi un défi pour la présidence française de l’Union, qui sera chargée d’animer et de mettre en œuvre une grande partie de ces travaux. C’est pour cela qu’il me semblait important d’y revenir aujourd’hui devant vous.

Je voudrais en venir maintenant rapidement aux sujets politiques dont les chefs d’État débattront à Bruxelles. Il est en effet important que la représentation nationale soit associée très précisément à des travaux qui portent en eux les priorités de la future présidence française de l’Union : espace de liberté et de sécurité d’une, part, domaine économique, social et environnemental, de l’autre. Je précise que tous ces dossiers bénéficient de l’excellente concertation établie avec la Commission et la présidence portugaise, que, une fois de plus, je veux saluer ici.

Dans le domaine de la justice et des affaires intérieures, tout d’abord, je voudrais noter l’entrée de neuf nouveaux États membres dans l’espace Schengen, le 21 décembre 2007 pour les frontières terrestres et le 30 mars 2008 pour les frontières aériennes. Grâce aux efforts remarquables accomplis en trois ans par ces pays, cette entrée marque un progrès dans la constitution d’un espace commun de liberté, de sécurité et de justice.

Autre sujet important : celui des migrations. La présidence portugaise a travaillé à la mise en œuvre d’une approche globale, engagée en décembre 2006. Ce sujet sera l’une des priorités de notre présidence. Nous l’aborderons autour de trois principes : la lutte contre l’immigration illégale, la coopération dans le domaine de l’immigration légale et les actions de développement en faveur des pays sources. Cela suppose un dialogue constructif avec nos partenaires des pays tiers et l’élaboration de règles claires entre eux et les Européens.

Je voudrais à ce propos saluer les efforts de la présidence portugaise dans les relations avec les pays tiers sur ces sujets, notamment la première réunion ministérielle euro- méditerranéenne sur les migrations.

J’en viens maintenant au domaine économique, social et environnemental. Ce conseil devrait poser les jalons du nouveau cycle triennal de mise en œuvre de la stratégie de Lisbonne pour la croissance et l’emploi de 2008 à 2010, qui sera décidé au Conseil européen de mars prochain. Ces objectifs convergent largement avec le programme de réformes engagé par notre pays : c’est en effet par la compétitivité et l’économie de la connaissance que l’Europe relèvera le défi de la mondialisation.

La France a fait prévaloir l’importance de la dimension extérieure de la stratégie de Lisbonne, en insistant sur le rôle de l’Union dans la régulation des marchés internationaux. Nous avons ainsi obtenu la définition d’une feuille de route pour améliorer la transparence des marchés et renforcer la stabilité financière.

Dans le même registre, nous souhaitons que la déclaration du Conseil européen sur la globalisation, tout en reconnaissant les opportunités que celle-ci représente, fasse clairement référence au rôle protecteur de l’Europe et au bénéfice des politiques communes pour tous nos concitoyens.

Je voudrais, pour boucler ce tour d’horizon des sujets économiques à l’ordre du jour du Conseil, mentionner l’accord politique obtenu par la présidence portugaise sur les conditions de poursuite du programme de radionavigation par satellite Galileo.

Je retiens notamment que 200 millions d’euros supplémentaires y ont été affectés au titre du budget pour 2008.

Tous ces sujets me paraissent aller dans le sens d’objectifs que nous partageons tous ici : une plus grande compétitivité de notre économie et une meilleure protection de nos concitoyens.

Dernier point économique, enfin, l’énergie.

Ce domaine constituera également l’une des priorités de notre présidence. Il nous reviendra en effet, après la présidence slovène, de mettre en œuvre le plan d’action de l’Union sur l’énergie et le climat qui a été adopté sous la présidence allemande. Je vous rappelle pour mémoire qu’il incluait le triple objectif, pour 2020, de 20 % de réduction des émissions de CO2, de 20 % de réduction de la consommation d’énergie et d’une part de 20 % d’énergies renouvelables dans la consommation finale. Des efforts importants mais nécessaires devront donc être faits.

L’un des sujets sensibles de ce dossier sera bien évidemment la question de la libéralisation du marché intérieur du gaz et de l’énergie.

Le Conseil, comme vous le savez, demeure divisé sur la question de la séparation patrimoniale, une option à laquelle, avec d’autres partenaires dont l’Allemagne, nous nous opposons. Nous ferons avec l’Allemagne des propositions dès le mois de janvier.

Je voudrais, pour terminer cette présentation succincte, vous dire quelques mots du volet international de ce Conseil.

Nous nous trouvons dans bien des dossiers à des tournants importants.

J’en retiendrai trois : les relations avec l’Afrique à la suite du sommet tenu à Lisbonne ce week-end, le Kosovo et l’Iran.

Le sommet Union européenne-Afrique de ce week-end était la première rencontre de ce niveau et dans ce format depuis le sommet du Caire en 2000. Le partenariat stratégique et le plan d’action pour 2008-2010 qui ont été adoptés fournissent, pour la première fois, un cadre concret et global de coopération entre l’Europe et l’Afrique – avec notamment une place particulière consacrée à la paix et à la sécurité. Nous aurons à coeur de le mettre en œuvre sous notre présidence.

À Lisbonne, les pays africains ont également exprimé leurs inquiétudes sur la négociation d’accords de partenariat économique qui leur paraissent menaçants. Nous sommes revenus hier au Conseil sur ce sujet, en cherchant à apaiser au mieux ces craintes. Notre objectif, partagé par le Conseil, est qu’aucun pays africain n’y perde par rapport au régime actuel. Cela passera, pour le plus grand nombre d’entre eux, par la conclusion d’accords intérimaires sur les échanges de biens dès le 1er janvier prochain. La négociation d’accords plus complets se poursuivra en 2008.

Pour ce qui est du Kosovo, après le rapport de la troïka qui solde cinq mois supplémentaires de négociations, l’Union européenne doit maintenant prendre ses responsabilités et d’une certaine façon perdre ses illusions. Elle m’y semble prête.

Les discussions restent certes difficiles mais de nombreux progrès ont été accomplis et des efforts de pédagogie immenses ont été déployés entre Européens depuis six mois !

Avec mes amis D’Alema, Miliband, Steinmeier et Moratinos, membres européens du groupe de contact, nous avons écrit à nos vingt-trois collègues européens pour maintenir l’unité dans cet instant décisif. Je crois que les Européens ont pris la mesure des enjeux et admettent que le statu quo n’est plus possible. J’ai bon espoir que l’Union européenne se déclare prête à assumer ses responsabilités pour la stabilité de la région et la mise en œuvre d’un règlement final sur le statut du Kosovo. Elle devrait donner son accord pour mettre sur pied une mission de politique européenne de sécurité et de défense pour assister le Kosovo, notamment dans le renforcement de la justice et de la police. Nous devrions également, je l’espère, confirmer à cette occasion la perspective européenne de la Serbie.

Un mot enfin sur l’Iran. Après l’échec des discussions de Javier Solana et de Mohamed El Baradei, l’Union européenne confirmera à Lisbonne sa double approche : d’une part, le souhait de parvenir à une solution négociée avec les Iraniens – les Français y sont particulièrement attachés et la négociation se poursuit.

Nous voulons parvenir à une solution négociée avec les Iraniens sur l’enrichissement de l’uranium et le programme, qui n’est pas transparent.

D’autre part, la nécessité d’accroître la pression par des mesures supplémentaires dans le cadre des Nations unies et de conduire une réflexion sur des mesures possibles en appui de ce processus.

Ces deux dimensions vont de pair et doivent être articulées intelligemment si nous voulons, comme cela semble aujourd’hui possible, éviter que cette crise ne s’exacerbe.

Je ne peux conclure ce petit tour de politique internationale sans parler des événements d’Algérie qui sont intervenus ce matin.

Permettez-moi au nom du Gouvernement, mais j’en suis sûr, au nom également de tous les députés présents ici, de saluer d’abord la mémoire des victimes des deux attentats terroristes qui ont endeuillé deux endroits précis d’Alger, dont le nombre s’élève, pour l’heure, à au moins cinquante-sept, mais le décompte des victimes n’est pas encore achevé. Le Président de la République a présenté ses condoléances au Président Bouteflika, j’ai fait de même auprès de mon homologue, le ministre algérien des affaires étrangères, et au peuple algérien. Nous avons exprimé également notre volonté de lutter, à leurs côtés, contre le terrorisme. Nous l’avions affirmé lors de notre voyage en Algérie il y a quelques jours, nous le redisons aujourd’hui, dans la douleur et dans la colère. Je vous remercie.


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