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N° 968

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 18 juin 2008.

DÉCLARATION

du Gouvernement sur la présidence française
de l’
Union européenne,

PRÉSENTÉE

PAR M. François FILLON,

Premier ministre.

Monsieur le président,

Mesdames et messieurs les députés,

La présidence française du Conseil de l’Union européenne va commencer dans moins de deux semaines. Elle suscite beaucoup d’espoirs parce que la France est attendue et respectée.

Cette présidence devra répondre à des interrogations de fond ; elle interviendra dans une période sensible, qui exigera du sang-froid et de la détermination ; elle débutera quelques jours après la décision des Irlandais de ne pas ratifier le traité de Lisbonne.

La vérité, mesdames et messieurs les députés, c’est que le résultat de ce référendum lance un défi à l’Europe. Je vous propose de l’aborder sans détours et surtout sans craindre de défendre à haute voix la cause européenne.

C’est l’Europe qui a mis un terme à des siècles d’affrontements entre nos nations ; c’est l’Europe qui a permis notre essor économique et social ; c’est l’Europe qui, sans un seul coup de feu, a rassemblé vingt-sept nations ayant décidé, de façon libre et souveraine, d’unir leur destin.

Moi qui fus hostile au traité de Maastricht et qui milite en faveur d’un patriotisme éclairé, j’affirme que la cause européenne mérite l’engagement déterminé de la France. En effet, si le défi lancé à l’Union est institutionnel, nous devons être vigilants car il prend, jour après jour, un caractère de plus en plus existentiel.

Après le « non » d’une majorité de Français et de Néerlandais, le « non » d’une majorité d’Irlandais nous somme de ranimer la flamme dangereusement vacillante de l’Europe. Que l’Europe, l’une des entreprises les plus audacieuses de notre histoire contemporaine, l’une des œuvres politiques les plus bénéfiques pour notre continent, cette œuvre que plusieurs régions du monde observent avec envie, que cette Europe-là soit si peu considérée, voilà qui révèle un problème de sens.

Ayons le courage de le reconnaître : si l’Europe est mal aimée, c’est parce qu’elle est devenue le bouc émissaire de tous nos maux, y compris ceux qui ont bien peu à voir avec l’Union. Mais ayons aussi le courage de l’avouer : si l’Europe est mal comprise, c’est également parce que l’Union n’a pas su trouver les mots et les actes propres à susciter une adhésion plus puissante que la somme des contestations.

L’Europe a besoin de retrouver un dessein politique, d’être portée par une âme commune. Au-delà des questions institutionnelles, elle doit tout à la fois nous protéger, nous séduire et nous grandir.

La carte du monde se couvre de défis nouveaux.

Défi : l’exceptionnelle montée en puissance des continents asiatique et indien, dont les forces bousculent nos héritages.

Défi : la prédation écologique, qui dérègle les équilibres naturels de la vie terrestre.

Défi : le regard d’une Afrique qui se tourne vers les richesses du Nord.

Défi, enfin, la cohabitation des civilisations, que le monde d’aujourd’hui s’ingénie, tout à la fois, à rapprocher et à diviser.

Dans ce monde prometteur et instable, l’Europe n’est pas condamnée à se taire et à subir. Face à ces défis, le « non » irlandais peut être considéré comme « injuste », comme le disent certains commentateurs ; moi, je pense qu’il doit être analysé, respecté et considéré comme un appel supplémentaire à l’action et à la conviction.

Or la première de ces convictions, c’est que l’Union européenne ne doit pas rester paralysée. L’amertume et l’immobilisme n’auront pas leur place dans la présidence française de l’Union !

Il y a un problème – un de plus, serais-je tenté de dire.

Eh bien, à nous de le relever. À nous de mesurer ce qui s’est exprimé en Irlande. À nous d’éviter toute interprétation hâtive, toute décision précipitée.

Lors du Conseil européen des 19 et 20 juin, nous allons, tous ensemble, examiner avec le Premier ministre irlandais comment gérer cette situation.

À ce stade, je veux rappeler, avec Bernard Kouchner et Jean Pierre Jouyet, notre adhésion de fond au traité de Lisbonne. N’en déplaise aux partisans du statu quo et aux promoteurs de l’introuvable plan B, ce traité est meilleur que celui de Nice.

Il constitue un bon équilibre entre deux nécessités : d’une part, le renforcement des institutions communes, de l’autre, l’affirmation de l’identité des États membres.

J’ai entendu certains membres de l’opposition rebondir sur le vote irlandais pour dénoncer l’initiative du traité simplifié défendue avec résolution par Nicolas Sarkozy et Angela Merkel. Il s’agit d’une démarche politicienne qui n’est pas digne de l’enjeu. Nous n’avons aucune leçon à recevoir de la part de ceux qui n’ont pas été capables de se fixer une ligne claire sur l’Europe. Aucune leçon à recevoir de ceux qui dénoncent l’Europe pour masquer leur inconsistance politique. Aucune leçon à recevoir de ceux qui n’eurent ni le courage de défendre le traité constitutionnel, ni la sagesse de soutenir le traité de Lisbonne !

Ce traité, a déjà été ratifié par dix-huit États membres. Et le moment venu, il nous faudra étudier comment obtenir l’indispensable ratification de tous.

Cela pourra prendre du temps. Le référendum irlandais bouscule le processus institutionnel. Mais, sur le fond, le signal qu’il nous envoie s’ajoute aux enjeux complexes qui déterminent l’orientation de la présidence française : des marchés financiers encore instables ; un prix du pétrole record, avec de sérieuses conséquences pour l’économie mondiale et pour les populations les plus fragiles ; une conjoncture économique américaine qui semble se dégrader ; un dérèglement climatique aux risques chaque jour plus évidents.

Tous ces enjeux, nous devrons en tenir compte, et nous le ferons en entendant le message politique que nous adresse le peuple irlandais, et que nous, Français, sommes bien placés pour comprendre. Il faut apprendre à faire l’Europe autrement : voilà le message ! Et faire l’Europe autrement, c’est montrer aux citoyens européens que l’Europe ne se réduit pas à des querelles institutionnelles. C’est montrer qu’elle sait se mobiliser et agir.

Après le référendum irlandais, les priorités de la présidence française de l’Union se révèlent plus pertinentes que jamais. L’objectif doit être de répondre aux préoccupations concrètes des citoyens européens. C’est précisément l’orientation que nous avions choisie pour la présidence française, et c’est bien celle qui paraît la plus nécessaire dans le contexte actuel.

Première priorité : répondre au défi climatique. Là, l’Europe doit montrer l’exemple ; elle doit se doter avant la fin de cette année d’un plan précis de réduction des émissions de gaz carbonique et de développement des énergies renouvelables. Elle doit le faire parce que c’est une priorité pour l’humanité tout entière. Elle doit le faire avec l’objectif d’entraîner le reste du monde à sa suite, en l’associant à un acte responsable, de manière à préserver la planète.

Ce rendez-vous, est d’ores et déjà fixé : il aura lieu en 2009, à la conférence de Copenhague. Les décisions que nous prendrons lors de la présidence française de l’Union européenne seront de nature à permettre, ou non, un accord à Copenhague, et à inciter, ou non, les autres régions du monde à adopter une attitude responsable sur ces sujets.

Pour cela, il faut que les décisions européennes de réduction du gaz carbonique soient elles-mêmes très ambitieuses. Il faut que l’Europe mette en place des incitations financières pour encourager les pays en développement à s’associer à cet effort. Il faut enfin des moyens – y compris des moyens de dissuasion –pour convaincre certains États tiers de ne pas fuir leurs responsabilités dans la lutte contre le changement climatique.

Le défi climatique n’est pas dissociable du défi énergétique. Pendant trop longtemps, l’Union européenne s’est désintéressée de cette question. C’est maintenant un problème central. La France veut une stratégie européenne pour l’énergie. Il s’agit d’abord de renforcer l’indépendance de notre continent. À côté de cette indispensable réponse structurelle, qui doit prendre la forme d’un très important plan d’économies d’énergie à l’échelle de l’Europe tout entière, nous devons trouver des réponses coordonnées pour soulager à court terme les populations qui souffrent le plus de la hausse du prix du pétrole.

Au niveau national, j’ai proposé que les partenaires sociaux se concertent pour qu’une réponse soit trouvée rapidement au renchérissement du coût du transport pour les salariés. Au niveau européen, le Président de la République a demandé que soit étudiée la possibilité de plafonner les ressources additionnelles de TVA au-delà d’un certain seuil pour le prix du baril.

Mesdames et messieurs les députés, tous les États membres partagent cette préoccupation mais, pour le moment, ils ont répondu sans concertation à cette urgence. Eh bien, l’Union européenne, si elle veut être mieux entendue par les peuples, doit prendre l’habitude, avant de répondre non aux questions qui sont posées, d’étudier les sujets en concertation avec l’ensemble des États pour dégager des solutions concrètes.

La question de la TVA sur le pétrole constituera d’ailleurs une des priorités du débat qui aura lieu demain au Conseil européen.

Le défi énergétique impose aussi de mieux organiser la production d’énergie en Europe : il faut relancer les investissements de capacité de production et d’interconnexion ; il faut encourager les énergies renouvelables mais aussi toutes les énergies non carbonées, comme l’énergie nucléaire ; il faut s’organiser pour pouvoir répondre à une possible rupture d’approvisionnement dans un État membre ; enfin, il faut relancer une coopération constructive avec les principaux fournisseurs de l’Europe, au premier rang desquels se trouve la Russie.

Au défi énergétique s’ajoute désormais le défi alimentaire. L’Europe a déjà fortement réformé sa politique agricole pour en supprimer certaines conséquences néfastes sur les marchés tiers. Mais la politique agricole commune doit encore s’adapter, et cela dans un environnement qui a changé. Le monde peine à répondre à la demande de produits alimentaires. Des risques croissants pèsent sur l’environnement. Nos sociétés refusent à juste titre la désertification des territoires ruraux. Les agriculteurs – qui ne se résignent pas à vivre comme des assistés –souhaitent cependant une meilleure protection face aux aléas climatiques et sanitaires.

Tout cela, le bilan de santé de la politique agricole commune devra le prendre en compte. Il faudra dégager des principes pour guider la politique agricole commune du futur, sans pour autant toucher à son budget, programmé jusqu’en 2013.

Si les agriculteurs européens ont toujours accepté les adaptations nécessaires, ils ont aussi besoin – et c’est le discours de la France – d’une certaine stabilité sans laquelle aucun investissement ne peut être lancé. Si nous avons mis la politique agricole commune au cœur des priorités de la présidence française, ce n’est pas parce que nous voulons imposer une vision française de la politique agricole commune, c’est parce que nous voulons que, longtemps avant l’échéance de 2012, puisse s’engager un débat serein, avec recul et hauteur de vue, sur l’évolution à long terme de cette politique agricole commune.

Troisième défi de la présidence française : la maîtrise des flux migratoires. Tout ce qu’un État membre fait dans ce domaine a désormais des conséquences sur ses voisins. L’Europe ne doit pas être une forteresse, mais elle ne doit pas non plus être une passoire.

Le temps des actions unilatérales, de l’immigration subie et des régularisations massives est révolu. Il ne s’agit pas, dans notre esprit, de donner plus de compétences à l’Union européenne mais de conclure un pacte pour une action coordonnée entre les États membres et l’Union européenne. Nous voulons agir ensemble en faveur d’une immigration choisie parce que c’est la meilleure garantie pour un meilleur accueil des étrangers et pour une lutte plus efficace contre l’immigration clandestine. La France fera tout pour parvenir rapidement à la conclusion de ce pacte européen sur l’immigration et l’asile.

Le quatrième défi est celui de la défense et de la sécurité européennes. Vous savez que les États membres dépensent ensemble chaque année l’équivalent de 40 % du budget américain de la défense, avec un résultat opérationnel global dont le moins que l’on puisse dire est qu’il n’est pas à la hauteur de nos ambitions.

Ce n’est pas digne d’une Europe souveraine et influente.

La présidence française sera l’occasion de proposer de nouvelles solutions pragmatiques pour augmenter les capacités militaires et civiles des États européens. En matière de projection de forces, de capacités maritimes, d’observation spatiale, d’industries de défense, de planification et de conduite des opérations militaires, nous proposerons que l’Europe assume mieux ses responsabilités.

Nous entendons aussi la demande de nos citoyens pour une Europe plus sociale, pour une Europe en croissance, pour une Europe du plein emploi.

Sous notre présidence, l’Europe va renforcer le pouvoir des comités européens d’entreprise. Elle va aussi relancer l’indispensable lutte contre les discriminations. Retour à l’emploi, protection des services sociaux d’intérêt général, droit à la santé, plan d’action en faveur des PME : sur tous ces sujets, la présidence française sera active.

Nous voulons également optimiser les moyens européens pour faire face à l’instabilité des marchés financiers. Il s’agit notamment de renforcer la coordination entre superviseurs financiers en Europe, de mieux définir le risque de liquidité pour les banques et d’améliorer le fonctionnement des agences de notation financière.

Mesdames et messieurs les députés, cette présidence française ne sera pas que la présidence du Gouvernement français. Elle sera aussi celle du Parlement national. Dans la situation actuelle, nous avons plus que jamais besoin de vous, besoin de votre engagement, besoin de votre unité. Votre action sera déterminante. Votre rôle auprès des autres parlements nationaux ainsi qu’auprès du Parlement européen sera important.

Il nécessitera une étroite coordination entre nous.

Cette présidence sera aussi celle des Français.

Les collectivités territoriales, les artistes, les entreprises, les citoyens, beaucoup ont déjà des projets prometteurs ; chacun aura son rôle à jouer.

Cette présidence sera enfin celle de tous les Européens. Sans les autres États membres, sans le Parlement européen, sans les peuples européens, nous serons naturellement impuissants. La France doit se montrer grande et entraînante pour l’Europe, et non pas seulement pour elle-même.

Avec Bernard Kouchner, Jean-Pierre Jouyet et tous les membres du Gouvernement, nous avons une responsabilité. Sous l’impulsion du Président de la République, nous l’assumerons avec la gravité et la détermination d’une nation dont l’ambition se conjugue avec celle de ses partenaires.


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