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N° 1383

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 14 janvier 2009.

DÉCLARATION

du Gouvernement sur la situation au Proche-Orient,

PRÉSENTÉE

PAR M. Bernard KOUCHNER,

ministre des affaires étrangères et européennes.

Monsieur le président,

Mesdames et messieurs les députés,

Je mesure la gravité de la préoccupation de la représentation nationale, et à travers elle du pays tout entier, face à la terrible crise de Gaza. Je partage votre émotion devant le gâchis de tant de vies, d'efforts et d'espérances. Je partage votre inquiétude devant le recul de la modération et du dialogue, au bénéfice de la violence.

Je ne partage pas, en revanche, le sentiment de ceux qui croient que les efforts diplomatiques n'ont servi à rien, même si les résultats attendus sont, hélas ! trop lents à se manifester.

La France, vous le savez, s'est pleinement engagée dès le premier jour et au plus haut niveau, pour rechercher une sortie de crise. Les combats n'ont pas encore cessé, mais nous avons créé et maintenu une pression qui, utile aujourd'hui, sera efficace dans quelques jours.

Je voudrais vous dire en quelques mots ce que nous avons fait, dans quel esprit, et avec quels résultats.

Nous avons agi tout de suite, dès le 27 décembre. Nous l'avons fait dans un esprit d'équilibre et de justice. Nous l'avons fait avec nos partenaires européens, en les mobilisant sous notre présidence, le 30 décembre, en appuyant ensuite les efforts de la présidence tchèque qui prenait le relais. Nous l'avons fait avec la double volonté d'obtenir un cessez-le-feu immédiat, pour épargner des vies et de la souffrance, tout en recréant les conditions d'un cessez-le-feu durable, qui garantisse la relance du processus de paix.

La France est lucide sur le partage des responsabilités dans le déclenchement des combats, et cette lucidité est la première condition de nos efforts.

Dès le 27 décembre, le jour où Israël a lancé l'offensive, nous avons condamné les provocations qui ont conduit à l'escalade. Nous avions aussi condamné le refus par le Hamas de reconduire la trêve de juin dernier et de rencontrer le président de l'Autorité palestinienne, comme la reprise des tirs de roquettes contre le sud d'Israël.

Mais nous avons condamné aussi l'usage disproportionné de la force par Israël, rappelant qu'il n'y avait pas et qu'il n'y aurait pas de solution militaire au conflit israélo-palestinien, y compris à Gaza. Nous avons appelé au plein respect du droit international humanitaire, notamment des conventions de Genève, qui prohibent toute punition collective des populations civiles en temps de conflit, comme au plein respect du droit de la guerre, qui définit l'usage licite de certaines armes. Cette position équilibrée est la seule sur laquelle on puisse bâtir la paix.

Bâtir la paix, cela veut dire d'abord obtenir l'arrêt des tirs de roquettes sur Israël, le retrait des troupes israéliennes et l'ouverture des points de passage, la levée du blocus. Cela passe nécessairement par la lutte contre la contrebande à la frontière entre l'Égypte et Gaza. Cela passe aussi par la reprise du dialogue interpalestinien entre le Fatah et le Hamas, sous l'égide d'Abu Mazen, démarche dans laquelle l'Égypte joue un rôle essentiel. Toutes ces lignes étaient en place dans le document adopté par les vingt-sept ministres des affaires étrangères de l'Union européenne, réunis à ma demande le 30 décembre, soixante-douze heures après le début des combats. À partir de là, nos efforts se sont déployés dans deux directions : sur le terrain et à l'ONU.

Sur le terrain tout d'abord. Face à l'urgence de la situation et au caractère intolérable des violences, le Président de la République a pris la décision et le risque de se rendre dans la région, en complément de la troïka européenne conduite par la présidence tchèque, rencontres auxquelles je participais. Le déplacement du Président de la République des 5 et 6 janvier l'a conduit successivement en Égypte, dans les territoires palestiniens, en Israël, en Syrie et au Liban, puis encore une fois en Égypte.

Je veux insister sur ce point : la France est l'un des rares pays qui peut parler avec les acteurs de la région, non seulement les parties prenantes – Israël et les Palestiniens –, mais encore l'Égypte, la Syrie ou le Qatar, qui sont des médiateurs indispensables.

Cette ouverture nous donne un rôle et une responsabilité particuliers. Cela ne veut pas dire que nous dialoguons avec n'importe qui, et à n'importe quelle condition. Nous avons du dialogue une conception exigeante. Le dialogue, c'est le moyen de favoriser la paix et la modération. C'est une opération réciproque, où chacun doit faire un effort. Mais on ne peut dialoguer avec ceux dont l'ambition principale et avouée est de détruire le processus de paix. Nous n'ignorons pas la réalité du Hamas, ni son succès électoral, ni son poids dans l'opinion palestinienne. Nous sommes prêts à engager avec lui un dialogue officiel dès qu'il renoncera à la violence, qu'il souscrira aux accords conclus par l'OLP et reconnaîtra Israël, comme nous le demande l'OLP elle-même. Nous avons dès à présent des contacts indirects pour lui faire passer des messages via des pays comme la Norvège, la Russie, la Turquie, la Syrie, le Qatar ou l'Égypte. Notez-le : nous ne sommes pas en compétition avec les pays que je viens de citer, ces actions parallèles sont complémentaires.

Le 6 janvier, à l'issue de cette tournée au Moyen-Orient, les présidents français et égyptien ont présenté à Charm el-Cheikh une initiative de paix fondée sur trois éléments principaux, qui reprennent et développent les paramètres que nous avions acceptés à vingt-sept à Paris.

D'abord, la cessation immédiate des hostilités en vue de l'ouverture d'un ou de plusieurs corridors humanitaires permettant l'acheminement effectif de l'aide ; l’invitation sans délai au Caire des parties israélienne et palestinienne pour discuter des garanties de sécurité susceptibles d'éviter une répétition de l'escalade et de permettre la levée du blocus, notamment en ce qui concerne l'arrêt de la contrebande d'armes vers le Hamas ; enfin, la relance des efforts égyptiens en vue d'obtenir une réconciliation palestinienne, indispensable à la relance du processus de paix.

Cette démarche doit aussi aboutir à la libération tant attendue de prisonniers palestiniens et israéliens.

Cette initiative a reçu un accueil positif de la part du président palestinien comme des autorités israéliennes. Mais elle a surtout provoqué un contexte favorable à des avancées. J'en retiens trois.

Premièrement, l'annonce par Israël d'une trêve quotidienne de trois heures, afin de permettre l'acheminement de l'aide humanitaire. C’est insuffisant, bien sûr, mais c'est déjà une avancée qui n’aurait pas été possible sans l'initiative franco-égyptienne.

Deuxièmement, la reprise des discussions entre l'Égypte et le Hamas, et le déplacement d'une délégation du Hamas au Caire.

Troisièmement, le déplacement en Égypte du collaborateur du ministre de la défense israélien Ehud Barak, le général Amos Gilad, et la reprise des négociations israélo-égyptiennes sur le contrôle de la frontière avec Gaza et la contrebande d'armes.

Voilà ce que furent nos efforts sur le terrain. Et nous poursuivons jour après jour nos contacts, nos avancées, nos reculs, nous affinons nos plans collectifs. Mais il restait à donner à cette initiative une reconnaissance plus large et une force plus grande, en obtenant le vote d'une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU. C’est ce qui a été fait, le 8 janvier, résolution qualifiée d’historique par M. Ban Ki-moon. C'est la première fois depuis 2004 que le Conseil de sécurité vote sur ce conflit du Moyen-Orient une résolution qui ne soit pas dénuée de substance. C'est la première fois que nos partenaires arabes acceptent de voter un texte qui condamne le terrorisme, qui dénonce aussi la contrebande d'armes, qui demande que la sécurité d'Israël soit garantie par un cessez-le-feu durable, en même temps que la réouverture de Gaza.

Nous n'avons pas obtenu le vote des Américains, auquel on pouvait croire pourtant jusqu'au dernier moment. Mais nous avons évité le veto, et ceci constitue une avancée très importante pour l’avenir. D'autant que Mme Rice a déclaré publiquement et fortement qu'elle soutenait le texte et ses objectifs. C'est notre premier motif de faible satisfaction : avoir rassemblé la communauté internationale autour d'une ligne équilibrée et modérée, qui est la condition indispensable du retour à la paix.

Cette ligne équilibrée se décline en une proposition concrète de sortie de crise, les principaux paramètres envisagés par les Européens le 30 décembre puis développés par l'initiative franco-égyptienne du 6 janvier : cessez-le-feu immédiat et durable conduisant à un retrait israélien et à l'ouverture de corridors humanitaires, négociations des conditions d'un cessez-le-feu permanent et durable grâce à la lutte contre la contrebande d'armes et la réouverture de Gaza, relance du processus politique de paix.

J'entends ceux qui disent : cette résolution ne sert à rien puisqu'elle n'est pas suivie d'effets et que les combats continuent.

Les combats continuent, hélas ! Mais la résolution 1860 fait peser sur les belligérants une pression supplémentaire – le poids de la communauté internationale tout entière rassemblée. Et si nous n'avons pas eu le vote des États-Unis, je le répète, du moins nous avons eu l'abstention doublée d'une déclaration de soutien du texte et de ses objectifs.

Et le Secrétaire général de l'ONU, après une assemblée générale extraordinaire à New York demain, se rendra sept jours au Moyen-Orient pour trouver les moyens de faire appliquer la résolution, résolution qui n'exerce pas seulement une pression sur les belligérants mais prépare également l'avenir.

Elle renforce notre crédibilité et notre poids auprès de nos principaux interlocuteurs. Elle envoie le message à nos amis américains que nous ne sommes pas restés immobiles en attendant le président Obama. Lorsque Barak Obama arrivera à la Maison Blanche, il aura devant lui un texte qui fait l'accord de toute la communauté internationale et qui sera pour lui, je l'espère, une inspiration et une incitation. C'est le sens de la déclaration d'Hillary Clinton hier. C'est le résultat du document transatlantique que la présidence française de l'Union européenne a fait parvenir, dès leur nomination, aux responsables de la politique extérieure des États-Unis.

Cette résolution renforce aussi le poids de l'ONU – imaginons ce qui serait advenu si le Conseil de Sécurité avait échoué à se rassembler autour d'une résolution. Elle renforce enfin le poids de la France, qui présidait les débats du Conseil. Les uns et les autres savent maintenant que nous avons agi avec obstination, que nous continuerons de le faire mais que nous ne sommes, hélas, que partiellement écoutés.

Nos efforts, je le répète, n'ont pas produit l'effet visible et immédiat que nous attendons tous : l'arrêt des combats.

Je dis bien l’arrêt. Mais nos initiatives ont suscité une convergence des vues qui finira par l'emporter si nous sommes assez audacieux et inventifs, et totalement déterminés. Dans la volonté patiente, obstinée, que l'on déploie pour surmonter l'obstacle, se dessinent des équilibres nouveaux, qui feront avancer l'histoire.

Toutefois, nous ne négligeons pas l'urgence. L'urgence, c'est la situation des populations sur place. On compte, pour l'instant, plus de 900 Palestiniens tués et 4 000 blessés.

Plus du tiers sont des femmes et des enfants.

Le bombardement de trois écoles gérées par l'ONU, le 6 janvier, a causé la mort d'une cinquantaine de civils et soulevé la vague d'indignation que vous savez. Côté israélien, dix soldats ont été tués au cours des combats. Des roquettes ont continué de s'abattre sur le sud d'Israël, tirées par dizaines depuis Gaza et causant la mort de trois civils israéliens. Il faut rappeler que la portée de ces roquettes a été étendue très récemment à plus de quarante kilomètres. Elles menacent désormais trois des plus grandes villes du pays, soit 1 million de civils, et se rapprochent de Tel Aviv.

L'urgence, c'est aussi la situation sanitaire et alimentaire, déjà critique en raison du blocus imposé par Israël depuis la prise du pouvoir par le Hamas. Mais elle s'est dramatiquement dégradée sous l'effet des opérations militaires.

La moitié de la population n'a plus accès à l'eau potable tandis qu’un million de personnes sont privées d'électricité et que le déficit alimentaire s'accroît. Seulement neuf boulangeries fonctionnent sur les quarante-sept de Gaza et l'insécurité empêche le programme alimentaire mondial de travailler.

Les organisations internationales et les ONG ont en effet les plus grandes difficultés à opérer sur place. L'ONU a repris ses activités humanitaires à Gaza : elle avait dû les suspendre après qu'un de ses convois eut été touché par des tirs d'obus israéliens le 8 janvier, provoquant la mort d'un de ses chauffeurs.

Notre action se déploie dans deux directions. C’est tout d'abord l’aide directe, à travers l'envoi d'équipes chirurgicales, sur place et alentour, et de matériel humanitaire à Gaza, via l'Égypte et Israël. Nous tentons également d'installer un hôpital de campagne, pour donner sur place les premiers soins aux blessés. On nous propose un bateau hôpital : c'est une éventualité que nous examinons.

C’est ensuite l’aide financière : le ministère des affaires étrangères a alloué un peu plus de 3 millions d'euros de financements depuis le début de l'année, notamment aux organisations des Nations unies et aux ONG.

Il nous faut déjà penser à l'après cessez-le-feu. Il en sera question dès la rencontre de suivi de la Conférence de Paris que j’organise demain jeudi 15 janvier.

Demain nous réunissons au Quai d'Orsay M. Tony Blair, représentant du Quartet, Mme Benita Ferrero-Waldner, commissaire européenne, et mon homologue norvégien M. Jonas Stoere. Nous mobiliserons l'ensemble des parties prenantes et nous réaffirmerons avec force que le blocus de Gaza doit être levé et la ville reconstruite, développée et intégrée au sein du futur État palestinien, auquel nous consacrons tous nos efforts.

Nous travaillons avec la présidence de l’Union européenne, la Commission, nos partenaires, les États-Unis et la Banque mondiale : la préparation d'une conférence chargée, demain, de la reconstruction est déjà en cours.

Voilà comment se conjuguent nos efforts, à Gaza, dans la région, au sein de l'Union européenne, à l'ONU et dans le cadre du Quartet.

Une dynamique est lancée, les contacts se poursuivent, je le répète, quotidiennement. Nous ne cesserons pas de chercher la voie étroite qui conduit du terrain des luttes au champ des fraternités.

J'ai la conviction que nos efforts aboutiront. Les contours d'un cessez-le-feu commencent à se dessiner même si nous devons encore faire face à des obstacles importants.

Je suis encouragé par les débats et les interrogations que je perçois ces jours-ci.

Enfin, au nom du Gouvernement, je veux mettre en garde contre toute importation du conflit en France. Les manifestations sont légitimes, tout comme la passion et la solidarité. Je m'en félicite, même, car elles témoignent de la vitalité du débat démocratique et de l'ouverture vers les autres, vers l’ailleurs, loin du repli sur soi. Ces solidarités doivent toutefois s'exprimer dans le respect de la loi, sans débordement. Le Gouvernement sera particulièrement vigilant. Les Français de toutes confessions et de toutes origines doivent donner l'exemple et montrer qu'une coexistence sereine est possible. Le Gouvernement combattra fermement tout acte antisémite ou raciste. Les organisations religieuses se rencontrent et dialoguent, mettant en garde contre les excès.

J'ai la certitude, mesdames, messieurs les députés, malgré les épreuves, les guerres et les haines, que la paix l'emportera.

Le processus de paix va devenir une réalité tangible, répondant à l'espoir des Palestiniens qui sont désespérés par la progression inexorable de la colonisation. La France travaillera avec le président Obama, avec Abu Mazen et avec le prochain Premier ministre israélien, à ce que ce rêve, déjà vieux de soixante ans, incarné, ne l'oublions pas, par la résolution 181 de l'Assemblée générale des Nations unies de 1947, devienne une réalité : un État palestinien viable et démocratique, vivant en paix et en sécurité aux côtés d'Israël, avec Jérusalem pour capitale commune des deux États.


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