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13/05/2008 Allocution en hommage à Aimé Césaire à l’occasion d’une lecture publique d’une sélection de ses textes

Mesdames,

Messieurs,

Chers collègues,

J’ai l’honneur de vous accueillir à l’Hôtel de Lassay pour rendre hommage à un ancien collègue qui fut aussi une des grandes voix du XXe siècle.

À Fort-de-France, ville dont il fut le maire de 1945 à 2001, c’est l’hommage de la Nation qui a été rendu à Aimé Césaire. Ici, ce soir, c’est le salut de l’institution parlementaire qui lui est adressé.

Élu pour la première fois à l’Assemblée nationale constituante le 4 novembre 1945, réélu sans interruption jusqu’en 1993, Aimé Césaire a siégé plus longtemps qu’aucun autre député de l’après-guerre. En presque un demi-siècle de mandat parlementaire, il a connu les moment forts et contrastés de notre vie publique nationale. Les grands espoirs de la Libération d’abord, intenses en métropole mais aussi dans les îles françaises des Antilles, dont il fit tout de suite connaître la détresse et les besoins. Puis la Guerre froide et ses déchirements, quand Aimé Césaire passa d’une culture d’affrontement idéologique à la critique ouverte du système soviétique, dont il se désolidarisa après l’écrasement de Budapest en 1956. Vinrent ensuite la chute de la Quatrième République et l’avènement de la Cinquième : Aimé Césaire observa les changements à l’œuvre avec attention et, prenant au mot le gaullisme réformateur, déplora la permanence des vieilles routines administratives outre-mer. Il a connu enfin les alternances des années 1980-1990 et leurs répercussions sur l’organisation territoriale de la République. Dans l’ensemble des débats sur la décentralisation, comme dans les premières discussions sur la mémoire de l’esclavage, le chantre de la négritude a su faire entendre sa différence au Palais Bourbon.

Refusant de préférer la consigne à la conscience, Aimé Césaire s’est inscrit dans cette longue lignée d’hommes de lettres, de poètes, de dramaturges qui, à l’exemple de Lamartine et de Victor Hugo, n’ont pas voulu s’enfermer dans leur tour d’ivoire, mais ont mis leur savoir et leur talent au service de la République. Ni l’inspiration ni l’érudition n’auraient suffi à rassasier cet humaniste en quête d’un idéal, qui toute sa vie s’est senti le porte-parole de ceux qui, sans avoir ses dons, partageaient ses colères et ses doutes.

Avec vigueur, avec passion, avec humour aussi car il savait se montrer caustique et souligner l’absurde des situations qu’il dénonçait, Aimé Césaire nous a montré à tous le pouvoir de la parole. Dans une Cinquième République qu’on s’est complu à décrire comme technocratique et peu ouverte à la délibération, le député-maire de Fort-de-France a prouvé qu’on ne perdait jamais son temps à gravir les marches de la tribune, pour dire ce qu’on avait à dire. Ce qu’il fit, nettement, avec conviction, mais toujours avec courtoisie et une belle hauteur de vues.

Tel fut Aimé Césaire, rebelle civique, lettré de combat, et j’ai la certitude de traduire la pensée générale en constatant qu’il nous manque beaucoup.

Pour saluer sa mémoire, l’Assemblée nationale a reçu le concours d’un jeune écrivain et d’une prestigieuse compagnie.

Je remercie David Alliot qui, sans attendre la parution très prochaine de sa biographie d’Aimé Césaire, a accepté d’en détacher un chapitre pour nous permettre d’éditer la version originelle du Cahier d’un retour au pays natal, œuvre majeure dont le tapuscrit est conservé à la bibliothèque du Palais Bourbon. Un fac-simile de ce document exceptionnel sera remis à chacun, à l’issue de cette soirée.

Je veux encore dire ma gratitude à Muriel Mayette, qui non seulement a mobilisé pour cette lecture publique toutes les ressources de la Comédie-française dont elle a la charge, mais qui a accepté de prendre part personnellement à cet hommage. Avec Mariann Mathéus, Pierre Vial et Bakary Sangaré, qui tous les trois ont connu Aimé Césaire, elle va nous faire entendre quelques discours et quelques vers emblématiques.

Madame l’Administratrice générale, en 1789, quand les députés du Tiers-état se furent constitués en Assemblée nationale, ils ne pouvaient plus se réunir à Versailles et durent se mettre à la recherche d’une nouvelle salle de séance. Une commission parlementaire, présidée par le docteur Guillotin, passa en revue les monuments parisiens susceptibles d’être réquisitionnés pour accueillir les élus de la Nation. Et, parmi ces lieux, je ne vous étonnerai pas en vous disant que le Théâtre-Français les intéressa beaucoup. Il s’en est fallu de peu que nous siégions chez vous. L’Histoire en a voulu autrement. Aujourd’hui, c’est la Comédie-française qui vient dans nos murs, pour honorer un grand citoyen.