Conférence-débat franco-allemande
« L'Europe économique et financière »

Mercredi 23 juin 2010

 

 

 

 

Intervention de M. Hans-Gert Pöttering

 

Cher Bernard Accoyer, Monsieur le Président de l’Assemblée nationale,

Cher Edouard Balladur, Monsieur le Premier ministre,

Cher Jean-Pierre Jouyet, (ancien secrétaire d’Etat aux Affaires européennes), Monsieur le Président de l’Autorité des marchés financiers

Mesdames, Messieurs !

C’est toujours avec plaisir que je me rends à Paris, en particulier lorsque j’y suis convié par le président de l’Assemblée nationale. Cher Bernard Accoyer, permettez à un ancien président du Parlement (européen) de saluer chaleureusement en vous l’actuel président de l’Assemblée nationale. Merci de cette invitation et merci de me permettre de vous faire part de quelques réflexions. C’est pour moi une occasion particulière : on n’a pas souvent la chance de s’entretenir avec un ancien premier ministre de la Grande Nation. Cher Edouard Balladur, veuillez vous aussi accepter mes chaleureuses salutations. Enfin, je voudrais saluer le principal intervenant de cette soirée, Monsieur Jean-Pierre Jouyet, président de l’Autorité française de surveillance des marchés financiers. Cher Monsieur Jouyet, nous attendons avec beaucoup d’intérêt vos réflexions sur la situation économique et financière de l’Europe.

Il y a moins de deux ans, en septembre 2008, l’économie mondiale était au bord du gouffre, après l’effondrement de la banque Lehman Brothers. Aujourd’hui, la menace d’une dépression semble écartée, et le plus dur est derrière nous. L’élan propre à cet effondrement dramatique de l’économie a été rompu.

Pourtant, il nous reste beaucoup à faire pour tirer les bons enseignements de la crise. Nous devons aussi aux turbulences autour de l’euro et de sa stabilité d’être confrontés, aujourd’hui encore, à un vaste défi – que je qualifierais d’historique.

Il nous faut simplement nous rappeler les fondements et les principes de l’économie sociale de marché, marqués par la conviction que l’économie de marché a besoin d’être fermement encadrée, que la liberté économique et la liberté d’entreprendre ne doivent jamais être des fins en soi, mais qu’elles ont au contraire besoin de règles. « L’économie est au service des hommes », nous devons redonner aujourd’hui tout son sens à ce principe de l’économie sociale de marché. 

A peine un an après la crise des banques en 1931, au plus profond de la crise économique qui sévissait alors, Walter Eucken et Alexander Rüstow, deux concepteurs précoces de l’économie sociale de marché, plaidaient pour qu’on oppose à l’ « enlisement du capitalisme » un « interventionnisme libéral », « […] un Etat fort, un Etat au-dessus de l’économie, au-dessus des intérêts particuliers, un Etat à la place qui doit être la sienne. » 

Cette primauté de l’Etat sur l’Economie, recommandée par les précurseurs moraux de l’économie sociale de marché, nombre d’acteurs économiques l’ont quelque peu perdue de vue. Nous avons pu mesurer dans toute leur portée dramatique les conséquences fatales d’un libéralisme économique livré a lui-même, surtout dans un secteur aussi crucial pour l’ensemble de l’activité économique que celui de la finance. 

La cause, il faut la chercher dans le manque d’encadrement des activités financières, et donc au fond dans une certaine forme de défaillance des Etats, surtout dans le monde anglo-saxon ; Une politique de l’argent facile, qui a nourri l’illusion que les prix de l’immobilier pouvaient continuer de croître indéfiniment, qui s’est trop fiée au sens des responsabilités des acteurs économiques, et qui a renoncé à une réglementation plus ferme ; Un système financier dans lequel la liberté s’est déconnectée de la responsabilité et où certains acteurs ont abusé sans vergogne de la culture du risque, inhérente à l’économie de marché, tout en occultant les risques liés au crédit. 

L’Etat se devait d’intervenir, et d’aplanir la voie du retour au bon fonctionnement du marché. En cela, les Etats n’ont pas pêché par excès de zèle, ils ont simplement apporté les garanties nécessaires à la bonne organisation de l’économie de marché. Sans cela, les conséquences - les faillites massives d’entreprises pourtant fondamentalement solides, les millions d’emplois détruits et l’effritement des recettes fiscales des Etats - auraient pu menacer la stabilité de notre démocratie et la pérennité de notre modèle, l’économie sociale de marché, fondée sur la liberté. Les gouvernements à travers le monde se devaient de prendre des mesures pour stabiliser l’économie pendant cette crise, et c’est ce qu’ils ont fait. 

Par la démesure de quelques-uns, le système financier a rompu son contrat avec la société. Le secteur de la finance se doit maintenant de tout faire et d’agir en première ligne pour instaurer à nouveau ce contrat social dans les prochaines années. La tâche de l’Etat, tout en assurant la gestion de la crise dans sa phase aiguë, consiste à fournir un nouveau cadre pour organiser les finances mondiales. Lors du sommet du G20 à Toronto, il faudra donc que les nombreuses bonnes initiatives visant à encadrer les activités financières soient mises en œuvre de façon énergique.

L’ère de la mondialisation croissante requiert que nous nous accordions sur des règles communes à l’échelle mondiale. L’économie sociale de marché est un formidable fil conducteur pour cette recherche d’un accord global sur les principes et les règles qui doivent régir l’activité économique mondiale. Le principe de l’économie sociale de marché n’a pas été inscrit en vain dans le Traité de Lisbonne ; Il s’agit maintenant de lui donner vie et sens. 

Face à une tâche aussi ample – puisqu’il s’agit de tirer les bons enseignements de la crise - l’Union européenne et surtout la France et l’Allemagne vont devoir assumer une grande responsabilité. Quiconque pense pouvoir diviser nos deux gouvernements sur ces questions méconnaît la confiance profondément ancrée entre nos deux pays ; Une confiance et une histoire commune qui nous permettent d’aborder sereinement nos divergences de vue lorsqu’elles existent. Au bout du compte, nous sommes unis par la conviction que la voix de l’Europe dans le concert de l’économie mondiale plaide pour « une corrélation entre liberté du marché et équilibre social » (pour paraphraser Alfred Müller-Armack), et que la compétitivité de l’économie européenne n’est pas une fin en soi, mais qu’elle doit au contraire profiter aux citoyens de l’Union ; en leur apportant davantage de prospérité, en leur permettant davantage d’y prendre activement part, et en leur offrant la perspective d’une vie meilleure.

Je vous remercie de votre attention !