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Commission des affaires étrangères

Mardi 24 juin 2014

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 74

présidence de Mme Elisabeth Guigou, Présidente

– Table ronde, ouverte à la presse, sur le Venezuela, en présence de Mme Paula Vasquez-Lezama, chargée de recherche au CNRS et à l’EHESS, et de M. David Weinberger, chargé de recherche au département « Sécurité » de l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice

Table ronde, ouverte à la presse, sur le Venezuela, en présence de Mme Paula Vasquez-Lezama, chargée de recherche au CNRS et à l’EHESS, et de M. David Weinberger, chargé de recherche au département « Sécurité » de l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice.

La séance est ouverte à dix-sept heures.

Mme la présidente Elisabeth Guigou. Nous avons le plaisir d’accueillir aujourd’hui Mme Paula Vasquez-Lezama, chargée de recherche au CNRS et à l’EHESS et M. David Weinberger, chargé de recherche au département « Sécurité » de l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice, pour une table ronde consacrée à la situation au Venezuela. Merci à tous deux d’avoir accepté notre invitation. Je précise que cette réunion est ouverte à la presse.

Cela fait plus de quatre mois que le Venezuela est le théâtre d’un mouvement de contestation de grande ampleur, tel qu’il n’en avait pas connu depuis les évènements ayant conduit à la destitution pendant 48h du président Hugo Chavez en avril 2002.

Les manifestations étudiantes et pacifiques qui ont essaimé au début du mois de février dernier pour dénoncer les pénuries et la criminalité ont rapidement été relayées par des groupes déterminés à obtenir le départ anticipé du président Maduro. Son principal opposant, Leopoldo Lopez, a été arrêté le 18 février et est toujours détenu à ce jour. Prétextant l’imminence d’un « coup d’État », les autorités ont durement réprimé les manifestations en tirant à balles réelles à plusieurs occasions. Le bilan de ces troubles est aujourd’hui de plus de 40 morts, de centaines de blessés et de plus de 3000 arrestations. Alors que ce cycle de violences ne semble pas devoir s’enrayer, vous nous direz comment vous envisagez l’évolution de la situation et quelles sont, selon vous, les conditions d’une sortie de crise.

Le président Nicolas Maduro paraît plus que jamais fragilisé. Ses soutiens traditionnels, les couches défavorisées du pays, sont de plus en plus prompts à remettre en cause sa politique, dont ils ne perçoivent toujours pas les bénéfices. Elu en 2013 avec une très courte majorité alors même qu’il avait été désigné par Chavez comme son dauphin, Maduro dispose-t-il selon vous de la légitimité nécessaire pour renouer un dialogue avec ses opposants ?

Plus généralement, vous nous direz si nous assistons, selon vous, à l’essoufflement d’un modèle politique et économique fondé sur la redistribution des revenus pétroliers. Les immenses réserves du pays en pétrole, qui sont les premières au monde, semblent constituer autant un risque qu’une opportunité, puisqu’elles n’ont pas encouragé la diversification de l’économie et qu’elles ont accru la dépendance du pays à ses exportations. Dans ce contexte, face à quels défis économiques se trouve pour vous le Venezuela ?

Enfin vous nous direz comment vous envisagez le rôle des puissances régionales dans l’élaboration d’un scénario de sortie de crise, notamment au sein de l’Union des Nations sud-américaines (UNASUR). Alors que la politique étrangère du Venezuela envers les États-Unis reste marquée par une rhétorique « anti-impérialiste » qui complique les relations entre les deux pays, comment l’Union européenne peut-elle, pour sa part, se positionner ?

Pour répondre à ces multiples questions, je vais, si vous le voulez bien, commencer par donner la parole à Mme Paula Vasquez-Lezama, puis à M. David Weinberger, pour une durée comprise entre 10 et 15 minutes chacun.

Mme Paula Vasquez-Lezama, chargée de recherche au CNRS. Depuis février 2014, le Venezuela vit une crise profonde. On décompte aujourd’hui 42 morts, 2 000 arrestations, dont des leaders d’opposition et une centaine d’étudiants emprisonnés dans des prisons de haute sécurité. Cette crise illustre l’essoufflement d’un modèle politique qui fut une référence en raison de sa politique envers les plus défavorisés.

Pour bien comprendre la situation, il importe de considérer le caractère révolutionnaire de ce régime. On peut en effet se demander si le régime instauré par Hugo Chavez est ou non une démocratie. Selon moi, il s’agit d’un questionnement théorique sur la définition même du terme de démocratie. Après 14 ans d’existence du système politique « chaviste », toute une série de transformations sociales importantes ont été élaborées et traduites sous l’appellation officielle de « Révolution bolivarienne ». La Constitution de la République bolivarienne du Venezuela, a été adoptée en 1999. Au moment où l’Assemblée constituante a vu le jour, la catégorisation d’un modèle socialiste n’était pas à l’œuvre. Il s’agissait plutôt d’un modèle extrêmement nationaliste, ce qui n’est pas nouveau car le Venezuela a nationalisé son industrie pétrolière en 1973 et est un membre fondateur de l’OPEP. A partir de 2005, Hugo Chavez a commencé à développer une rhétorique politique portant sur le « socialisme du XXIème siècle ». La question se pose aujourd’hui de savoir si le « chavisme sans Chavez » est encore possible.

Trois phases peuvent être distinguées. La première, qui s’étend de 1998 à 2004, est caractérisée par la promotion de la « démocratie participative ». La seconde par la radicalisation de la révolution suite au coup d’Etat porté contre Chavez en avril 2002. Enfin, la troisième recouvre la période 2004-2010 et correspond au lancement du « socialisme du XXIème siècle » et à la mise en œuvre des « missions ». Ces dernières désignent les politiques sociales destinées à redistribuer les revenus du pétrole, qui ont abouti à la formation d’un véritable État parallèle et à la suppression des corps intermédiaires. Les « missions » débouchent sur la création de programmes directement gérés par l’exécutif et qui bénéficient de budgets considérables. Elles ont eu un impact important dans la diminution des inégalités sociales. En effet, si l’on mesure les inégalités via le revenu et sa distribution, on observe qu’elles ont diminué entre 2004 et 2011 grâce aux allocations des « missions ».

Le Venezuela est confronté à trois crises profondes. La première est économique et sociale. Tout d’abord, depuis novembre 2012, le pays est plongé dans une pénurie sans précédent de biens élémentaires et la population vénézuélienne est soumise à une restriction très forte portant sur tous les produits, du ciment au shampoing. Cette pénurie est liée au verrouillage du système des changes et de l’accès aux devises par les importateurs. L’inflation atteint aujourd’hui 62 %. Le PIB est en baisse. L’échec du modèle économique a été reconnu par les membres du Gouvernement Maduro eux-mêmes. Avant-hier, le Ministre de l’économie, Giorgio Giordani, bras droit d’Hugo Chavez depuis 1993 et ministre pendant 14 ans, a démissionné. C’est lui qui a bâti la politique économique du pays, la transformation de la compagnie nationale du pétrole PDVSA (Petroleos de Venezuela SA) − machine financière du gouvernement –, le contrôle de l’accès aux devises par les importateurs, ainsi que l’étatisation et l’expropriation des entreprises privées. L’économie non pétrolière vénézuélienne a été extrêmement affaiblie du fait de la politique économique menée par Giorgio Giordani. On perçoit cette crise profonde dans ce que l’on pourrait appeler la « coalition chaviste ». Giorgio Giordani a évoqué dans une lettre « une sensation de vide de pouvoir dans le Gouvernement de Nicolas Maduro » mais on peut se demander à qui cela s’adresse. Il affirme ne pas être d’accord avec des consultants français engagés par le Président Maduro pour élaborer la politique économique. L’économie pétrolière n’est plus viable parce que l’on a agi au détriment de l’investissement, et qu’il n’est pas possible de répondre à tous les besoins d’une économie complexe par la redistribution du revenu pétrolier, a fortiori si des réinvestissements ne sont pas réalisés pour acquérir de nouveaux puits et moderniser la société PDVSA. Aussi, des sociologues ont qualifié le modèle politique de Chavez d’« utopie d’un milliardaire ».

L’avenir du pays est préoccupant, car la production pétrolière nationale a chuté de 17 % entre 1999-2014, voire de 20 % selon certains spécialistes. Ainsi, l’objectif affiché par le Gouvernement en 2005, de produire 3 millions de barils par jour n’a jamais été atteint – aujourd’hui, PDVSA ne produit que 1,8 millions de barils par jour. Par ailleurs, la société PDVSA présente une dette de 43 milliards de dollars, liées à des activités annexes aussi diverses que l’achat et la redistribution de nourriture ou de logements. Enfin, l’économiste José Guerra souligne que PDVSA est également endettée vis-à-vis de la banque Centrale vénézuélienne à hauteur d’un montant de 73 milliards de dollars.

La deuxième crise est d’ordre politique. David Weinberger abordera plus longuement dans sa présentation les questions de la criminalité, de la délinquance et de la crise sécuritaire interne. Le Venezuela est aujourd’hui une sorte d’État en faillite. Le modèle vénézuélien est paradoxal : l’Etat y est fort dans la mesure où il intervient dans tous les domaines économiques et sociaux, mais il est incapable de faire face aux problèmes endémiques d’insécurité du pays.

Enfin, la troisième crise est celle de l’opposition vénézuélienne, incapable de canaliser l’immense mécontentement diffus de la population. Il existe des divisions au sein de la Table de l’Unité Démocratique (MUD), qui n’a pas toujours été solidaire, notamment vis-à-vis des mouvements étudiants qui ont quelquefois dérivé vers la violence.

On retiendra principalement de l’année 2014 la militarisation de l’Etat. Cette tendance, déjà présente auparavant, s’est accentuée. Dans tous les ministères, l’appareil étatique et les institutions civiles, des militaires actifs assument des rôles importants. Pour ne citer qu’un exemple, le directeur des ressources humaines du Ministère de l’éducation nationale est un commandant important de l’armée de terre. La Constitution de 1999 prévoit explicitement leur participation à la mise en œuvre des politiques de développement. L’ancien Président Chavez a beaucoup joué dans ses discours de l’image du « peuple en armes », qui doit défendre l’intégrité de la nation, à la fois contre des ennemis intérieurs et extérieurs. De ce point de vue, Hugo Chavez n’a pas été un Président fédérateur mais a construit un modèle politique basé sur la catégorisation ami-ennemi, ce qui s’est en outre traduit par la création de bataillons de réserves civils dès 2007, puis, à compter de 2009, de milices bolivariennes.

La dernière traduction, la plus dramatique, de ce modèle, est l’apparition des « collectifs » paramilitaires, groupes particulièrement actifs et violents et qui ont été armés par des voies plus ou moins régulières par l’État. Ces collectifs se comportent de manière extrêmement violente contre les manifestants et disposent d’armes qui proviennent de la compagnie d’armement vénézuélienne CAVIM. Ces derniers développements, doublés de l’influence importante des militaires laissent augurer une sortie violente de la crise, dans le cas où le Gouvernement de Maduro ne parviendrait pas à contrôler ses propres bras armés, ce qui est particulièrement inquiétant.

Peu à peu, le Venezuela tend à s’isoler. Les restrictions de vols, notamment de compagnies françaises et américaines, en sont un des signes. C’est le cas de compagnies telles que Lufthansa, Alitalia, Air Canada qui ne proposent plus de vols en direction du Venezuela, tandis qu’Air France est passé d’un vol par jour à quatre vols par semaine. Ceci est lié à la crise et au verrouillage du système du contrôle des changes.

M. David Weinberger, chargé de recherche au département « Sécurité » de l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice. Je vous remercie pour votre invitation. Sociologue de formation, je travaille à l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice depuis 2008. C’est dans ce cadre que je me suis intéressé au Venezuela. La mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives nous avait en effet commandé une étude sur les trafics empruntant la voie aérienne légère. Or, le Venezuela est fortement impacté par ce type de trafics et je me suis donc rendu, avec mon collègue Nacer Lalam, à Caracas, dans le cadre d’une mission officielle. Sur place, nous avons trouvé une situation fortement dégradée, avec des coups de feu tirés en pleine nuit, des rues presque désertes, des tentatives de kidnapping.

Le Venezuela est très fortement impacté par le trafic de cocaïne ; c’est la conséquence directe de l’intensification de la répression en Colombie, où elle est menée avec l’appui des Etats-Unis. Ces derniers investissent environ 50 millions de dollars par an dans la lutte antidrogue en Colombie. On a donc observé un déplacement des groupes criminels colombiens vers le Venezuela.

On dénombre ainsi au Venezuela entre dix et quinze mille personnes armées qui s’adonnent à différents types d’activités criminelles, dont le trafic de cocaïne. Parmi elles, on retrouve : les acteurs classiques du conflit colombien, c’est-à-dire les guérillas « d’extrême-gauche » : FARC et ELN, auxquels s’ajoutent les forces du Front Bolivarien de Libération (FBL), qui sont une guérilla du même type, mais d’origine vénézuélienne ; les descendants des groupes paramilitaires « d’extrême-droite » UAC, qui se sont constitués en petits groupes très structurés que l’on nomme BACRIM (bandes criminelles emergentes) et très organisés ; enfin, des nouveaux opérateurs vénézuéliens qui prennent en charge les opérations de logistique (transport de la cocaïne à l’intérieur du pays, franchissement des frontières et des contrôles, acheminement vers les zones de consommation, notamment les Etats-Unis et l’Europe).

La situation sécuritaire au Venezuela est très complexe. L’argent de la cocaïne a un effet déstabilisateur important, et les tensions diplomatiques entre l’Amérique du Nord et le Venezuela, et, à un degré moindre entre l’Europe et le Venezuela, ont un effet négatif sur la lutte antidrogue puisqu’elles réduisent la coopération en matière policière et en matière de justice. En vingt-cinq ans, le taux d’homicides au Venezuela a été multiplié par cinq. En dix ans, il a été multiplié par deux. Il est aujourd’hui l’un des plus élevé au monde, avec environ 50 à 70 homicides pour 100 000 habitants. Les homicides augmentent de 10% par an au Venezuela, ce qui est particulièrement inquiétant.

La réponse publique apportée à ces phénomènes criminels est en plein désarroi. Une réforme des corps de sécurité intérieure a été engagée depuis l’adoption de la constitution de 1999, suite à l’élection de Chavez. Elle a conduit à réduire les possibilités de contrôle civil des actions de police et à compliquer l’identification des responsabilités institutionnelles en matière de sécurité intérieure. La police civile a vu ses marges de manœuvre considérablement réduites, au profit des forces de sécurité intérieure militarisées. La police civile se résume aujourd’hui à la police judiciaire, la police scientifique et à la sécurité civile. La garde nationale bolivarienne a en charge la quasi totalité des missions de sécurité intérieure : contrôle du territoire, des frontières, des aéroports, des ports, lutte antidrogue.

La corruption à tous les niveaux de l’État a fortement augmenté au cours des dernières années. Les membres de la garde nationale bolivarienne sont mis en cause dans la plupart des faits divers concernant des trafics de cocaïne importants. De nombreux travaux ont été menés sur le Cartel de los Soles, mettant en cause des hauts gradés de la garde nationale bolivarienne. Il est cependant difficile de mesurer avec précision le niveau de corruption réelle. Il existe dans le domaine du trafic de drogue un ensemble déstructuré de forces diverses, en concurrence les unes avec les autres, prêtes à acheminer de la cocaïne en contrepartie d’une rémunération significative.

En conclusion, la situation sécuritaire au Venezuela est extrêmement dégradée et pose problème à l’ensemble de la société civile. Une très grande majorité de la population ne fait plus confiance à sa justice, et la méfiance grandit à l’encontre de la police. Une rupture très nette se fait jour entre les Vénézuéliens, d’une part, et les autorités et les institutions du pays, d’autre part.

M. Pierre Lellouche. Je vous remercie Mme la Présidente d’avoir bien voulu retenir ma suggestion d’organiser une réunion sur le Venezuela dont la situation se dégrade fortement depuis des mois. M. Victorien Lurel, il fut un temps, se réjouissait de l’œuvre d’Hugo Chavez. J’aurais aimé qu’il vous écoute car cela aurait influencé le jugement qu’il portait sur la révolution bolivarienne. Cette expérience révolutionnaire s’est soldée par une dilapidation des ressources du pétrole et le peuple vénézuélien en subit aujourd’hui les conséquences.

Comment le peuple vénézuélien va-t-il s’en sortir ? La seule issue est-elle la violence ? Il faut rappeler que le leader de l’opposition a été enfermé. Que pensez-vous du rôle de la France et de l’Europe ? Pourraient-elles avoir une influence utile sur la situation ?

Tandis que les autres Etats d’Amérique Latine se trouvent plutôt sur la bonne voie et se développent rapidement, bien que de façon non uniforme, le Venezuela apparaît comme le pays malade du continent sud-américain. Quels seraient les moyens à mobiliser pour y remédier et influer sur le processus interne au Venezuela ?

M. François Loncle. La révolution bolivarienne n’a pas été noire sur toute la ligne. La dégradation de la situation au Venezuela est évidente et empire aujourd’hui, même si elle était déjà visible lors des dernières années de la présidence Chavez dont ressortent malgré tout, des éléments intéressants. D’autres personnalités françaises que M. Lurel – Jacques Chirac et Bernard Kouchner – ont pu porter des jugements étonnants sur ce régime.

Quel est l’état des relations entre le Venezuela et Cuba ? La situation de Cuba suscite des espoirs et présente des aspects positifs, notamment en ce qui concerne les relations de ce pays la France. En témoigne la récente visite de M. Fabius. Pendant longtemps, à l’époque où Fidel Castro et Hugo Chavez étaient à la tête de ces pays, la relation qui existait entre les deux pays était tout à fait privilégiée. La situation a-t-elle changé ? Les dirigeants cubains réalisent-ils la dégradation de la situation à Cuba ou continuent-ils d’en faire un acteur privilégié, auquel cas ils commettraient selon moi, une grave erreur ?

Mme Paula Vasquez-Lezama. Le parcours de l’opposition vénézuélienne a été catastrophique après 2002. Elle a payé très cher le coup d’État perpétré contre Hugo Chavez et a connu un retrait lors des élections législatives de 2005. L’opposition a démontré son incapacité à saisir intelligemment la situation dans laquelle se trouvait le pays. La population ne comprenait pas ce qui se passait. J’ai un grand respect pour l’électorat qui avait vu dans l’arrivée d’Hugo Chavez au pouvoir l’incarnation d’un ordre social plus juste.

La montée de l’opposition est un phénomène intéressant car l’opposition des années 2012 et 2014 n’est pas celle des années 2002 et 2005. Il y a une évolution essentielle. La Table de l’Unité Démocratique agit comme un parti politique qui évolue dans une démocratie. La question du régime est cruciale car il existe actuellement une mise en cause de la séparation des pouvoirs au Venezuela. Luisa Estella Morales, Présidente de la Cour Suprême vénézuélienne, a elle-même affirmé que ceci constitue un problème car les tribunaux ne peuvent pas agir en suivant les lignes chavistes. Le statut a attribué à l’opposition qui se veut institutionnelle et démocratique, dans le jeu politique au Venezuela, constitue un problème. C’est cette situation qui suscite actuellement désespoir et violence dans le pays. Aussi, Maria Corina Mochado et Leopoldo Lopez ont lancé une offensive non institutionnelle sur laquelle je suis plutôt sceptique car aujourd’hui, l’opposant vénézuélien Leopoldo Lopez est en prison tandis que Maria Corina Machado, députée de l’opposition, a été destituée de son poste à l’Assemblée Nationale au Venezuela. La difficulté aujourd’hui réside dans la détermination du statut à donner aux opposants politiques au Venezuela.

Une dimension géopolitique est à prendre en considération. Il existe un axe majeur La Havane- Managua- Caracas où des intérêts étatiques importants se manifestent. A titre d’exemple, un étudiant en géopolitique a récemment produit une analyse remarquable sur la vente d’armes russes au Venezuela et au Nicaragua. Il y a une importante présence russe au Venezuela, et également chinoise. La seule usine de kalachnikovs aujourd’hui présente sur le continent latino-américain se trouve au Venezuela. Cette zone présente donc des enjeux essentiels pour l’Union Européenne.

Au sujet de la relation entre Cuba et le Venezuela, deux éléments sont particulièrement significatifs d’un lien fort entre les deux pays, à commencer par l’état civil. Dans le cas d’un renouvellement de passeport ou de carte d’identité, c’est un fonctionnaire cubain qui vous accueillera et vous les remettra, ce qui témoigne d’un degré d’ingérence important de l’État cubain, sans précédent dans l’histoire du Venezuela. Dans le cas de l’achat d’un bien, c’est à un notaire et à un secrétariat cubain qu’un citoyen vénézuélien va s’adresser. Les deux pays coopèrent de façon « fusionnelle » sur ces questions, de sorte que Cuba apparaît bien comme un allié étant donné son fort degré d’intromission au Venezuela.

M. David Weinberger. Ce sont entre 150 et 230 tonnes de cocaïne qui transiteraient à travers le Venezuela, ce qui représente des milliards d’euros. Quel que soit le type de régime, l’idéologie ou les choix politiques auxquels on a à faire, ce raz-de-marée est voué à déstabiliser le pays, comme cela est arrivé dans divers types de régime dans le monde.

La situation géopolitique locale n’a pas aidé le Venezuela à trouver des appuis. L’ancien Président de la République de la Colombie, Alvaro Uribe était très proche de paramilitaires dont certains étaient impliqués dans le narcotrafic. A l’époque, le Président Hugo Chavez était persuadé qu’Alvaro Uribe allait l’envahir par la voie terrestre : c’était une de ses inquiétudes majeures. Cette crispation locale dans la région nord de l’Amérique du Sud et le raz-de-marée du trafic de cocaïne ont déstabilisé de manière importante le Venezuela.

Aujourd’hui, la solution réside sans doute dans le dialogue. Le Président Colombien, Juan Manuel Santos, agit en ce sens et s’est d’abord rapproché de Chavez puis de Nicolas Maduro. Des discussions ont actuellement lieu afin d’intégrer les FARC dans la tentative de réduction de la production locale de cocaïne. L’enjeu du marché de la cocaïne est central dans cette zone. Cette question pourrait constituer un axe important de coopération entre le Venezuela et l’Europe.

Mme la Présidente Elisabeth Guigou. Je vous remercie de vos interventions fort intéressantes et éclairantes mais également inquiétantes. Nous percevons déjà les effets ravageurs que peut avoir le trafic de drogue dans nos quartiers en France, ce qui a fortiori, à l’échelle d’un pays, en l’occurrence le Venezuela, doit avoir impact encore plus marqué, notamment du fait de ses effets de contagion avec les pays voisins d’Amérique Latine. Nous allons suivre de plus près cette situation.

La séance est levée à dix-sept heures cinquante.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mardi 24 juin 2014 à 17 heures

Présents. - M. Philippe Baumel, M. Jean-Claude Buisine, Mme Élisabeth Guigou, M. Serge Janquin, M. Pierre Lellouche, M. François Loncle, M. Axel Poniatowski

Excusés. - Mme Nicole Ameline, Mme Danielle Auroi, M. Alain Bocquet, M. Guy-Michel Chauveau, Mme Seybah Dagoma, M. Jean Glavany, Mme Thérèse Guilbert, M. Jean-Jacques Guillet, Mme Françoise Imbert, M. Pierre-Yves Le Borgn', M. Patrick Lemasle, M. Lionnel Luca, M. Jean-Philippe Mallé, M. Thierry Mariani, M. Patrice Martin-Lalande, M. Jacques Myard, M. Jean-Luc Reitzer, Mme Odile Saugues, M. Guy Teissier, M. Michel Vauzelle