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Commission d’enquête sur les conditions d'abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français

Jeudi 2 juin 2016

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 21

Présidence de Mme Françoise Dubois Vice-présidente et de M. Olivier Falorni, Président

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Maria Celia Potdevin, chargée de mission alimentation et agriculture de l’association de consommateurs Consommation logement et cadre de vie (CLCV)...

La séance est ouverte à neuf heures vingt.

Mme Françoise Dubois, présidente. Nous recevons ce matin Mme Maria Celia Potdevin, chargée de mission alimentation et agriculture au sein de l’association de consommateurs Consommation, logement et cadre de vie (CLCV).

La CLCV est une association de consommateurs qui a été créée en 1952. Elle fédère un réseau de 360 associations locales et compte 31 000 adhérents. À la suite des révélations sur l’abattoir d’Alès, l’association a publié, le 10 novembre 2015, un communiqué dénonçant les conditions indignes dans lesquelles étaient abattus les animaux. L’association demande davantage de transparence autour des contrôles effectués dans les abattoirs, qui doivent être communiqués aux associations concernées et au public. Elle est aussi favorable aux contrôles inopinés et à un meilleur étiquetage de l’origine de la viande, de la naissance à la mort de l’animal.

Avant de vous donner la parole, je dois vous rappeler que nos auditions sont ouvertes à la presse et diffusées en direct sur le portail vidéo de l’Assemblée nationale.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative aux commissions d’enquête, je vais vous demander de lever la main droite et de prêter le serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Maria Celia Potdevin prête serment.)

Mme Maria Celia Potdevin, chargée de mission alimentation et agriculture au sein de l’association de consommateurs Consommation logement et cadre de vie (CLCV). La question du bien-être animal n’est pas uniquement un effet de mode à la CLCV : dès les années quatre-vingt-dix, nous nous étions intéressés à cette question, en produisant notamment un rapport pour la Direction générale de l’alimentation (DGAL) sur le bien-être animal, réalisé entre autres à partir de l’étude des conditions de transport des chevaux et de leur incidence sur la qualité de la viande mise en vente. Nous avions en particulier mis au jour les conditions indignes dans lesquelles étaient transportés certains chevaux en provenance de Pologne.

Depuis, le sujet est régulièrement abordé au travers de nos actions locales : nous sommes présents dans 72 départements en métropole et outre-mer, au contact des consommateurs qui nous interrogent souvent sur le bien-être animal et sur les labels qui le garantissent. Des questions nous parviennent également via notre site internet Le point sur la table, dédié aux questions alimentaires ; elles portent en particulier sur les conditions de vie des poules pondeuses, sur la castration des porcs ou sur l’abattage rituel. En plus de nos communiqués de presse, qui sont des prises de position, nous sommes donc amenés à publier régulièrement des articles qui informent le public sur les pratiques en vigueur dans notre pays ou chez nos voisins, par exemple en matière de logos valorisant le bien-être animal.

Si nous nous sommes penchés sur cette question, c’est en partie parce que le secteur de la viande a connu ces dernières années plusieurs crises et qu’il est indispensable, pour rassurer le consommateur et enrayer la baisse de consommation, de redéfinir la notion de qualité, qui doit, plus globalement, prendre en compte les conditions dans lesquelles l’animal a vécu depuis sa naissance jusqu’à celles de la mise en rayon de la viande qui en est issue, ce qui passe nécessairement par les conditions d’abattage.

Aux différents scandales sanitaires – ESB ou grippe aviaire – qui ont écorné l’image de la viande est venu s’ajoute un phénomène de paupérisation de la population, qui conduit les Français à consommer de moins en moins de viande, car c’est un produit cher, pour se reporter sur des aliments à calories vides. Néanmoins, malgré la surmédiatisation des méfaits de la viande sur la santé ou sur l’environnement, la consommation de viande sous label Bio continue, elle, de progresser : les consommateurs qui optent pour ce type de produits – cela vaut également pour les œufs – invoquent, entre autres raisons, les garanties qu’apporte ce label en matière de respect du bien-être animal lors de la phase d’élevage. Même si, dans notre pays latin, nous sommes encore loin de l’engouement des Européens du Nord pour le bien-être animal, cette préoccupation prend donc de l’ampleur en France.

Dans un travail que nous menons actuellement avec l’INRA sur les attentes des consommateurs en matière d’étiquetage des produits alimentaires nous constatons, nous aussi, une progression du bien-être animal et, plus généralement, de la responsabilité sociale des entreprises (RSE) dans la liste des critères invoqués par les consommateurs dans leurs motivations d’achat. Néanmoins cela ne se concrétise pas forcément lors de l’acte d’achat, les mentions figurant sur les denrées valorisant assez peu cet aspect.

En ce qui concerne les événements qui ont déclenché la mise en place de cette commission d’enquête, la CLCV, qui avait déjà réagi aux rapports de l’OAV sur le traitement des animaux d’élevage, a été particulièrement choquée par les vidéos diffusées récemment, qui ont révélé aux Français que des pratiques indignes perduraient dans certains abattoirs français, le plus scandaleux étant que l’un des trois abattoirs mis en cause était certifié bio. Or si un consommateur accepte de payer plus cher une viande sous label bio, c’est parce que celui-ci est censé correspondre à un cahier des charges impliquant notamment le respect du bien-être animal pendant la phase d’élevage, respect dont on peut imaginer qu’il s’étend également à la phase de l’abattage. Il ne semble pas que cela ait été le cas…

Le non-respect de la réglementation en matière de bien-être animal est inacceptable. Nous avons donc réagi immédiatement. Nous sommes en effet profondément attachés au respect de la réglementation européenne, qui impose de prendre toutes les mesures nécessaires à l’atténuation des souffrances des animaux destinés à la consommation, et ce lors de l’élevage, pendant le transport et au moment de l’abattage, et ce d’autant plus que, en tant qu’ingénieure agronome, je puis affirmer qu’il existe une relation indéfectible entre la « qualité » du moment de l’abattage – même si l’on se doute qu’il n’a rien d’agréable – et la qualité sanitaire et organoleptique de la viande. Nous sommes une association de consommateurs, non une association de défense des animaux : mais nous soutenons que de bonnes conditions de mise à mort de l’animal contribuent aussi au bien-être des travailleurs, dans un secteur d’activité où les cadences sont de plus en plus rapides.

Nous souhaitons donc la généralisation dans tous les établissements du responsable protection animale (RPA), censé veiller à l’application du règlement européen. Nous réclamons sa présence effective sur les postes allant de la réception des animaux jusqu’à l’abattage.

Cependant, nous nous interrogeons sur sa réelle marge de manœuvre dans certains établissements, notamment ceux qui connaissent des difficultés financières, en particulier dans certains territoires enclavés où l’abattoir reste le dernier maillon, et ne survit que parce que l’on veut éviter de devoir parcourir des distances trop importantes pour faire abattre les animaux. En effet, le RPA se trouvant sous la même autorité hiérarchique que les autres salariés – celle du responsable de l’abattoir –, nous craignons qu’il ne soit pas toujours en mesure d’exiger de ces derniers de modifier leurs pratiques. Nous demandons donc que les responsables protection animale puissent bénéficier du statut de lanceur d’alerte, tel qu’il a été défini par le projet de loi sur la corruption et que nous souhaitons voir transposé à d’autres secteurs que ceux de la finance.

Nous pensons par ailleurs que la formation des RPA est un peu courte. Il est difficile, en deux jours, de sensibiliser une personne aux bonnes pratiques en matière de bien-être animal, tout en lui enseignant les codes d’une communication efficace avec les salariés et la direction d’un abattoir. Cette formation devrait donc, à nos yeux, être allongée et renforcée, par exemple par des études de cas concrets, qui permettraient d’apprendre à gérer certaines situations de crise.

En ce qui concerne les personnels sur la chaîne d’abattage, leur travail n’est pas toujours correctement valorisé. Il serait souhaitable que leur formation initiale comprenne un module sur le bien-être animal et qu’ils soient incités à profiter d’une formation continue. Dans ces métiers en effet, les dérives peuvent résulter de la routine, et une remise à plat régulière des pratiques permettrait de prévenir ce type de risques.

En ce qui concerne l’installation de caméras de surveillance, nous y sommes plutôt favorables dès lors qu’elles sont installées dans le respect de la réglementation en vigueur, car elles peuvent éviter que s’installe un climat de suspicion généralisé dans lequel les mauvaises pratiques de quelques abattoirs finiraient par peser sur l’ensemble de la filière et sur la perception d’un produit de consommation aussi essentiel que la viande. Cela se fait d’ailleurs dans d’autres pays, sans poser de problèmes particuliers.

S’agissant des niveaux de contrôle, les rapports de la Cour des comptes et de l’OAV ont mis en évidence, dans notre pays, de graves lacunes dans l’inspection vétérinaire en abattoir. Nous avons donc déjà demandé que les inspections soient renforcées et qu’elles se fassent de manière inopinée, afin que la pression des contrôles assure la fiabilité de notre chaîne alimentaire. Dans un souci de transparence, nous avions également réclamé, pour ce secteur comme pour d’autres, que les résultats des inspections soient rendus publics et que les manquements soient sanctionnés. Nous n’avons pas changé d’avis depuis cette époque.

La plupart des abattoirs traitant de gros volumes de viande ont mis en place des certifications de type ISO ou IFS. Celles-ci portent prioritairement sur les conditions sanitaires – et c’est bien normal –, mais, à notre sens, elles devraient également comporter un volet sur les traitements réservés aux animaux. En ce qui concerne les normes IFS Food, il s’agit de certifications dont il est assez difficile de maîtriser tous les détails, et je n’ai pas eu le temps d’examiner s’il était possible d’y intégrer des critères relatifs au bien-être animal.

Ce que nous préconisons est également valable pour les entreprises qui mettent en place des procédures d’analyses de risques le long de la chaîne de travail (HACCP – Hazard Analysis Critical Control Point) ; l’intégration de la problématique du bien-être animal dans ces pratiques d’autocontrôle, à côté des enjeux sanitaires ou liés à la santé au travail, constituerait un facteur de progrès.

Cependant, les procédures d’autocontrôle et de certification ont un coût, et les petits abattoirs n’ont pas forcément les moyens de les mettre en œuvre. Ce n’est pas une raison de se voiler la face pour autant et de leur permettre de faire n’importe quoi. Il est hors de question pour nous de les laisser déroger aux règles définies en matière de bien-être animal et de sécurité sanitaire.

Il importe donc que le ministère de l’agriculture et l’ensemble des professionnels entendent les évolutions de la société et prennent toutes les mesures qui s’imposent pour que les pratiques en abattoir évoluent de manière à ce que le bien-être fasse partie des exigences incontournables, au même titre que l’hygiène.

En ce qui concerne les dispositifs d’étiquetage, la question d’un « label » portant sur le bien-être animal est une question délicate. De nombreux labels ornent déjà les emballages, et il nous semble que, si un label portant sur le bien-être animal devait être mis en place, il devrait être porté par l’institution et ne pas relever d’initiatives privées ou émanant d’associations, comme c’est le cas en Allemagne ; nos consommateurs sont en effet plus sensibles aux labels institutionnels qu’aux labels d’origine privée, dont on voit bien qu’ils ont du mal à percer en France. Ce label devrait par ailleurs, selon nous, couvrir tous les aspects de la vie de l’animal et pas uniquement les conditions d’abattage. Bien sûr, pour être crédible il devrait s’appuyer sur un cahier des charges et un plan de contrôle solides, et des contrôles par une tierce partie indépendante.

Mme Françoise Dubois, présidente. Quelles sont, selon vous, les solutions à adopter pour améliorer le bien-être animal dans les abattoirs ?

Êtes-vous favorables à la mise en place d’un étiquetage mentionnant si l’animal a été étourdi avant sa mise à mort ?

Comment pourrait-on améliorer la transparence au sein des abattoirs ? Y a-t-il d’autres mesures à envisager que la publication du résultat des inspections et la vidéosurveillance ?

Mme Maria Celia Potdevin. Avant d’en arriver à défendre l’idée d’un label qui couvrirait toutes les phases de la vie de l’animal jusqu’à sa mise à mort, nous nous sommes posés la question de la pertinence de faire figurer sur l’étiquetage le procédé d’abattage, avec ou sans étourdissement, pour en arriver finalement à la conclusion que le consommateur était sans doute trop éloigné des pratiques utilisées dans l’agriculture ou la transformation industrielle pour en avoir une compréhension suffisante. Il n’est pas certain que cela lui apporte grand-chose, si ce n’est un peu plus d’angoisse. Se pose également la question de la fiabilité des indicateurs en matière de souffrance ou de mal-être animal ; il s’agit d’un domaine où les investigations scientifiques doivent être poussées plus loin. Ainsi, on parle en ce moment de l’abattage des animaux de boucherie mais sans nous interroger sur l’abattage des poissons d’élevage. Les poissons ne font pas de bruit, et nous nous sentons sans doute plus distants d’eux que des mammifères d’élevage, notamment parce qu’ils vivent dans un milieu différent du nôtre. Certains s’interrogent pourtant déjà sur les conditions de vie des truites dans les bassins d’aquaculture, ce qui rejoint les questions soulevées par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) dans son rapport sur l’élevage des insectes à des fins alimentaires, à propos de la nécessaire prise en compte des conditions d’élevage et d’abattage, y compris dans ce secteur. Il nous paraît donc essentiel d’étendre les recherches sur le bien-être animal aux autres espèces vouées à la consommation, afin que les problèmes que nous rencontrons aujourd’hui avec les animaux de boucherie ne se reposent pas avec les espèces que nous serons amenés à consommer dans le futur.

M. Hervé Pellois. Je comprends qu’un label sur le bien-être devrait être assez général et prendre en compte les différentes phases de la vie et de la mort de l’animal. Or, s’il est facile d’évaluer et de contrôler le respect du bien-être de l’animal lors de la période de l’élevage, au moment du transport et lors de la phase de préparation à l’abattoir, le moment de l’abattage est un moment critique. En effet, si la plupart des animaux sont généralement abattus correctement, que faire dans le cas où, à la suite d’une erreur de manipulation, une bête doit être étourdie à deux reprises – et donc souffrir ? Comment délivrer un label « bien-être dans ces conditions » ? L’abattage suppose des gestes très techniques, et la réussite à 100 % n’est pas assurée.

Présidence de M. Olivier Falorni, président de la commission d’enquête

M. Jean-Luc Bleunven. Tenir compte du bien-être animal dans les procédures de labellisation aura un impact sur l’ensemble de la filière, puisque je considère, comme vous, que ce bien-être doit concerner la totalité de la chaîne de production jusqu’à l’abattage. Il me semble pourtant que cela ne pourra que se traduire par une augmentation du prix final, alors que les pressions qui s’exercent aujourd’hui sur la filière tendent à écraser les prix et à aboutir à la production d’une viande de qualité médiocre. Toute la question est de savoir si le consommateur sera prêt à mettre le prix nécessaire à ce surcroît de qualité que représente le bien-être de l’animal. Qu’en pensez-vous ?

M. Jean-Yves Caullet, rapporteur. Un certain nombre d’installations classées – centrales nucléaires, centres de traitement des ordures ménagères – disposent d’une commission locale d’information et de surveillance (CLIS). Pensez-vous que mettre en place auprès des abattoirs ce type de structure regroupant des consommateurs, des opérateurs, des élus et des personnalités qualifiées serait de nature à accroître la transparence sans courir le risque de fournir à l’opinion des éléments bruts, sans le recul nécessaire pour les analyser ?

Selon vous, la pression à la baisse qui s’exerce in fine sur le prix de vente des pièces de boucherie a-t-elle une incidence déterminante sur les conditions d’abattage des animaux, sachant qu’il nous a été dit que le coût de l’abattage n’entrait que pour une faible part dans la formation du prix global ?

En matière d’étiquetage, le plus simple serait sans doute d’intégrer le bien-être animal dans les labels existants – le label bio ou le label rouge, par exemple. Mais, n’est-ce pas finalement un travail de Sisyphe, avec des consommateurs de plus en plus éloignés, physiquement et cognitivement, de la production de leur alimentation ? Est-il possible de combler par un étiquetage de combler ce fossé grandissant ?

Vous avez évoqué enfin le fait que tout devait être mis en œuvre pour que les problèmes rencontrés aujourd’hui avec l’abattage des animaux de boucherie ne se posent pas demain avec d’autres espèces. Les progrès de la science et des techniques ne poussent-ils pas à toujours plus d’exigences ?

Mme Maria Celia Potdevin. Je vous remercie pour ces nombreuses questions très intéressantes. Je vais commencer par répondre sur les labels, qui se multiplient au point qu’il devient compliqué de s’y retrouver. La création d’un label supplémentaire est toujours délicate. Pour qu’il vive et qu’il soit reconnu, il faut remplir de multiples conditions.

On pourrait envisager d’intégrer le bien-être animal dans le label bio. Ce serait peut-être le label pour lequel ce serait le plus simple. Malheureusement, cette question est du ressort européen. Il ne me semble pas que l’abattage soit évoqué dans les discussions en cours sur l’évolution du label bio européen, à la différence du transport ou des conditions d’élevage : l’abattage est un peu la boîte noire dont personne ne veut parler. Le plus simple serait peut-être de l’intégrer, soit dans la pratique minimale exigible, soit dans la labellisation bio.

Vous avez évoqué le label rouge. Mais vous allez vous heurter à une difficulté avec l’INAO, dans la mesure où il s’agit d’un label de qualité organoleptique, qui n’est pas prévu pour prendre en compte de telles préoccupations. Il en va de même pour les labels d’origine. Il n’est pas évident de trouver le moyen d’intégrer le bien-être animal dans les labels existants, sauf dans le bio, à condition que le législateur européen en soit d’accord.

S’agissant du sérieux du label, vous vous interrogez sur le devenir des animaux pour lesquels un souci est apparu lors de l’abattage. Ainsi que je l’ai expliqué, ce qui fait la force d’un label, c’est le cahier des charges et le plan de contrôle. Je prends le cas du poulet label rouge : lorsqu’il se produit des « loupés » dans l’élevage, on déclasse. Déclasser un lot ne signifie pas nécessairement remettre en cause toutes les pratiques de l’établissement ; on prend les mesures correctives si nécessaire et le lot suit un circuit économique différent. Certes, cela représente une perte financière puisque le produit n’est pas vendu au même prix. Mais ce sont des choses qui arrivent tous les jours dans toutes les certifications : un écart par rapport aux exigences entraîne un déclassement du lot ou de l’animal, mais pas nécessairement la perte du label.

Il est très difficile aujourd’hui de savoir ce qu’est un juste prix. La CLCV considère qu’un juste prix est un prix équitable pour tous les maillons de la chaîne de valeur. Tirer les prix vers le bas n’est pas la meilleure solution.

Vous avez fait remarquer que le coût de l’étiquetage est faible. En effet, une bonne partie du coût final de la viande est absorbée par l’étape de transformation. Dans les travaux de l’observatoire des prix, il apparaît que les ateliers de découpe entrent pour une bonne part dans la formation du prix de la viande : le steak haché, c’est une étape de plus… Le coût de l’abattage n’est pas un élément bloquant. Affirmer que l’intégration du bien-être animal va inévitablement se traduire par une forte augmentation des prix me semble fortement exagéré. Il faut d’abord une prise de conscience des opérateurs que le souci du bien-être animal devient une nécessité.

Le fossé est grandissant entre le consommateur et ce qu’il mange, vous l’avez dit. Nous sommes éloignés des animaux que nous mangeons et des agriculteurs qui nous fournissent à manger. Cette distance biaise la perception qu’a le consommateur de ce qu’est un aliment, de la formation de son prix, du travail nécessaire pour le lui fournir de la part des agriculteurs et des opérateurs qui forment la chaîne de valeur.

Néanmoins, s’interdire de s’interroger aujourd’hui sur ce que pourrait être le bien-être animal des espèces que nous mangerons demain me semble nier le principe même du bien-être animal.

M. le rapporteur. Ce n’est pas du tout ce que j’ai dit. Je pense que la question du bien-être animal, quelles que soient les techniques, sera toujours posée et que le souci de la mise à mort de l’animal dans les meilleures conditions demeurera. Je voulais dire que cette question est permanente, et non la nier, au contraire.

Mme Maria Celia Potdevin. Pardonnez-moi, j’avais peut-être mal interprété votre question qui renvoie à l’expertise scientifique que j’évoquais précédemment. Si on connaît assez bien les déterminants de la souffrance chez une volaille, pour de nombreuses autres espèces, on manque vraiment d’indicateurs, notamment pour les animaux que nous n’élevons pas encore ou que nous élevons mais qui nous semblent très éloignés, comme les poissons. Je suis parfois surprise des questions des consommateurs sur les conditions d’élevage ou d’abattage des espèces qui semblent calquer nos sentiments humains sur les leurs. Faute d’expertise scientifique pour documenter le confort d’un poisson dans un bassin ou son degré de souffrance quand on l’abat, nous sommes incapables de leur apporter une réponse. C’est la raison pour laquelle j’ai insisté sur l’accumulation de connaissances et la nécessité d’anticiper. Si dans dix ans, le problème de l’élevage des insectes et de leur souffrance lors de leur abattage se pose, on ne pourra pas demander aux chercheurs de l’étudier : il faut s’y intéresser dès maintenant.

Nous connaissons bien les CLIS où certains de nos membres sont amenés à siéger. Cet organe de transparence permet à des relais dans la société de mieux connaître les boîtes noires qui peuvent exister autour de nous, en posant des questions à un professionnel qui va prendre le temps d’expliquer. À l’instar des comités de surveillance qui sont installés auprès de nombreux organismes, dont les hôpitaux, ce pourrait être une bonne solution de créer un lieu d’échange. Il n’y a rien de pire que deux mondes qui s’ignorent et qui ne se parlent pas. Il faut un lieu où ces questions peuvent être débattues, mises à plat, en toute sérénité. Dans des débats de cette nature, on a besoin de sérénité pour construire son information, ce qui n’est pas toujours le cas.

Lorsqu’on visite un abattoir, on ne visite plus jamais la partie dédiée à la tuerie. Je sais bien que ce lieu ne peut pas être montré à tout le monde. Mais je me demande parfois si le fait de ne jamais pouvoir le visiter ne nuit pas aux abattoirs : est-ce parce que ce n’est pas montrable ou parce qu’il s’y passe des choses anormales ? Dans la tête des gens, le raccourci peut être fait. Il serait intéressant que des personnes expertes puissent relayer auprès d’autres ce qu’il se passe dans les abattoirs : ce n’est pas forcément agréable, mais si on veut manger de la viande, c’est inévitable.

Mme Françoise Dubois. Nous manquons de temps, mais je souhaite revenir sur la formation du personnel. Nous devons étudier cette question de très près car, comme vous l’avez dit, la formation pour nombre de personnels semble insuffisante, voire inexistante. Doter les RPA du statut de lanceur d’alerte me paraît être une bonne idée. La formation est sans doute beaucoup trop courte et incomplète.

Mme Maria Celia Potdevin. Ce problème nous semble essentiel. Tant qu’il ne sera pas réglé, il n’y aura pas de personnel compétent et performant. Les RPA sont censés être les garants des bonnes pratiques.

Mme Annick Le Loch. La CLCV est une grande organisation de consommateurs, soucieuse des prix à la consommation et du pouvoir d’achat. Vous l’avez dit, la viande est un produit cher. Quel regard portez-vous sur la crise des éleveurs ? Les producteurs de viande bovine notamment ont des revenus extrêmement faibles. Notre modèle, qui n’a rien à voir avec le modèle américain qui repose sur une concentration d’animaux tout à fait exagérée, connaît des difficultés majeures. Certains distributeurs se livrent aujourd’hui à une guerre des prix à tous les niveaux. Si demain, l’un d’entre eux décide de faire du bio low cost, pourra-t-on intégrer les coûts de l’abattage, en particulier le bien-être animal ?

Quel regard portez-vous sur cette filière qui ne va pas bien aujourd’hui ?

M. William Dumas. Nos éleveurs et nos viticulteurs ont fait d’énormes progrès dans bien des domaines. Les circuits courts prennent de l’importance. Je le vois dans mon département où est organisée, deux ou trois fois par an, l’opération « bienvenue à la ferme » qui permet aux consommateurs de rencontrer les éleveurs. Une partie des gens ne regardent plus le label, ils préfèrent rencontrer directement ceux qui produisent et constatent que les animaux sont bien soignés.

Je vous livre une anecdote en écho à vos propos sur l’impossibilité de voir les postes d’abattage. Je faisais partie du jury d’un festival taurin au cours duquel des Suisses ont présenté un film sur la filière économique taurine : les taureaux ne sont pas seulement faits pour les raseteurs dans l’arène, les manadiers doivent pouvoir abattre les taureaux qu’ils produisent et le taureau de Camargue bénéficie d’une IGP. La vue du sang par les 700 ou 800 spectateurs présents a provoqué des réactions terribles. Nous avions attribué à ce film le deuxième prix : cela a suscité un tollé. Il faut faire attention, car les gens aujourd’hui ne sont pas prêts à voir le sang.

M. le président Olivier Falorni. Je pose une dernière question à laquelle vous ne pourrez peut-être pas répondre : avez-vous une opinion sur les abattoirs mobiles ? Les avis sont très tranchés sur cette idée, certains la considérant comme totalement farfelue, d’autres en faisant un exemple intéressant, voire un modèle. Je sais que je sors un peu de votre champ de compétence…

Mme Maria Celia Potdevin. Je vais me débarrasser tout de suite du sujet des abattoirs mobiles, qui, il est vrai, ne fait pas exactement partie de notre champ de compétence. Il me semble que ce n’est pas à nous qu’il n’appartient pas de se prononcer. Plusieurs questions se posent : la qualité du contrôle sera-t-elle identique dans ces gros camions à celle d’un abattoir fixe ? Comment les conditions d’hygiène et les conditions environnementales – le traitement des effluents – seront-elles garanties ? C’est à la filière de s’exprimer.

Nous avons été amenés cet été à nous prononcer sur la crise de l’élevage, que l’on ne saurait nier. Pour moi qui suis ingénieur agronome, un tel phénomène est assez perturbant : il me semble dommageable que celui qui produit de la nourriture ne soit pas en mesure de vivre décemment. Il y a là quelque chose d’illogique.

Nous avons réfléchi aux moyens de garantir une vie décente des agriculteurs grâce à leur travail. Deux modèles s’opposent : celui de la concentration et celui du circuit court. Si la concentration n’est pas dictée par la volonté de faire du chiffre pour faire du chiffre mais répond à un réel besoin, il ne faut pas la dénigrer par principe. Si le modèle économique est aberrant – s’il ne s’agit plus de produire et de vendre de la viande mais de produire et de vendre du méthane, comme dans certains élevages de porc en Allemagne –, je ne pense pas que cela soit la bonne solution pour l’agriculture, en tout cas pour l’agriculture telle que la conçoivent les Français. Le circuit court est un moyen de réassurance important. Mais il ne faut pas oublier que certaines personnes sont très éloignées du circuit court car elles habitent dans les grands centres-villes. Le circuit court permet en effet de très bons échanges entre les consommateurs et les producteurs. C’est une manière de réduire le fossé qui s’est creusé entre deux mondes qui s’ignorent désormais.

La CLCV a mis en place plusieurs structures qui favorisent les échanges, organisent des rencontres, et mettent à disposition des flyers sur lesquels sont recensés les points de vente collectifs, les adresses de producteurs à proximité. Ces structures existent en province dans les villes moyennes autour desquelles sont encore installés des agriculteurs. Lorsqu’on est dans de grandes métropoles, il est plus compliqué de récréer ce lien. D’où l’idée d’une labellisation, qui est la première porte d’entrée pour le consommateur qui fait ses achats en grande surface – c’est malheureusement là qu’il effectue en premier lieu ses achats alimentaires. Le consommateur qui se pose des questions sur son alimentation et qui veut aller vers plus de qualité va en premier lieu se tourner vers les labels. Ensuite, il sera amené à se poser plus de questions ; dans ce cas-là, notre travail consiste à mettre en relation agriculteurs et consommateurs. Et il est vrai que cela marche très bien.

J’habite en Nord-Pas-de-Calais et je suis responsable d’une association locale sur le littoral de la Côte d’Opale. Nous avons organisé un cycle de rencontres avec des producteurs, dont certains en démarche bio, des points collectifs, des producteurs en démarche bio mais aussi des entreprises agroalimentaires de taille humaine présentes sur le territoire qui travaillent en label rouge, pour expliquer le fonctionnement et pour briser cet aspect « boîte noire ». Les producteurs aussi posent des questions aux consommateurs. Ce temps d’échange est très important pour les uns et pour les autres. Cela contribue à la réassurance ; celle-ci ne passe plus par le label mais par la connaissance de la pratique de celui qui vend. Malheureusement, cette possibilité n’est pas donnée à tous puisque tout le monde n’a pas une ferme à proximité de chez soi.

M. le président Olivier Falorni. Nous avions souhaité entendre les grandes associations de consommateurs ; vous nous confortez dans notre choix car votre intervention apporte un éclairage très intéressant. Je tenais à vous en remercier.

Mme Maria Celia Potdevin. Je souhaitais également vous remercier au nom de Mme Reine-Claude Mader, la présidente de la CLCV, d’avoir fait l’effort d’écouter une association de consommateurs alors qu’il nous semblait au départ que seul l’avis des associations responsables du bien-être animal était sollicité. Il nous paraît important que notre parole qui représente celle de tout le monde, y compris la vôtre puisque vous êtes tous consommateurs, puisse être portée.

La séance est levée à dix heures dix.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur les conditions d'abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français

Réunion du jeudi 2 juin 2016 à 9 heures

Présents. - M. Jean-Luc Bleunven, M. Jean-Yves Caullet, Mme Françoise Dubois, M. William Dumas, M. Olivier Falorni, M. Jacques Lamblin, M. Thierry Lazaro, Mme Annick Le Loch, M. Hervé Pellois, M. Fabrice Verdier

Excusés. - M. Christophe Bouillon, M. François Rochebloine, M. Arnaud Viala, Mme Paola Zanetti