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Commission des affaires culturelles, et de l’éducation

Mardi 12 janvier 2016

Séance de 18 heures

Compte rendu n° 24

Présidence de M. Patrick Bloche, président

– Examen pour avis des articles 17, 18, 22, 23 et 42 du projet de loi pour une République numérique (n° 3318) (M. Emeric Bréhier, rapporteur)

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION

Mardi 12 janvier 2016

La séance est ouverte à dix-huit heures cinq.

(Présidence de M. Patrick Bloche, président de la commission)

——fpfp——

La commission des affaires culturelles et de l’éducation examine pour avis, sur le rapport de M. Emeric Bréhier, les articles 17, 18, 22, 23 et 42 du projet de loi pour une République numérique (n3338).

M. le président Patrick Bloche. La commission des affaires culturelles s’est saisie pour avis des articles 17, 18, 22, 23 et 42 du projet de loi pour une République numérique, puisqu’ils comportent des dispositions qui relèvent, à divers titres, de ses compétences. Les articles 17 et 18 visent à favoriser la circulation des savoirs scientifiques en renforçant les droits des chercheurs et en donnant un statut aux données de la recherche. Les articles 22 et 23, qui traitent de l’activité des plateformes en ligne, concernent bien évidemment le monde culturel : ces nouveaux opérateurs sont porteurs de nombreux enjeux pour la diffusion des créations et des biens culturels à l’ère numérique. Enfin, l’article 42, relatif aux compétitions de jeux vidéo, relève du champ de compétence de notre commission en raison du caractère créatif de ces œuvres protégées au titre du droit d’auteur et de la proximité que de telles compétitions entretiennent avec les compétitions sportives.

Je salue tout particulièrement le travail de notre rapporteur pour avis Emeric Bréhier. Dans des délais extrêmement réduits, il a procédé à de nombreuses auditions, seul ou avec le rapporteur au fond de la commission des lois, Luc Belot. À peine plus d’un mois s’est écoulé depuis l’adoption du projet de loi en conseil des ministres, qui incluait la période des fêtes d’années. Je vous remercie d’autant plus, monsieur le rapporteur pour avis, de nous proposer quelques amendements visant à améliorer le texte sur les points qui nous intéressent directement.

Ce projet de loi, examiné dès demain par la commission des lois, qui a prévu d’y consacrer trois séances, le sera ensuite en séance publique à partir du mardi 19 janvier. Ce matin, la Conférence des présidents a souhaité repousser le terme du délai de dépôt des amendements du vendredi 15 janvier au samedi 16 janvier à treize heures.

M. Emeric Bréhier, rapporteur pour avis. À l’évidence, le numérique a bouleversé le secteur culturel et sportif, de même qu’il a bouleversé notre économie et l’exercice des libertés individuelles et des droits fondamentaux. Comme l’a expliqué le Président Bloche, plusieurs articles du projet de loi concernent directement les compétences de notre commission : les articles 17 et 18 ont trait à l’édition scientifique et à la recherche ; les articles 22 et 23 portent sur les plateformes numériques ; l’article 42 est relatif aux compétitions de jeux vidéo.

L’article 17 a fait couler beaucoup d’encre – parfois virtuelle – au cours de la consultation citoyenne organisée autour du projet de loi. Nos concitoyens ont d’ailleurs eu beaucoup plus de temps que nous pour examiner le texte. Si cette consultation s’est, à l’évidence, révélée très utile, on peut regretter que si peu de temps ait été alloué au travail parlementaire. Ces délais contraints ne nous ont toutefois pas empêchés d’entendre de nombreux représentants de l’édition scientifique et de la recherche. Tous s’accordent à dire que l’article 17 présente une avancée majeure pour la connaissance scientifique. Évitons donc les faux procès : les éditeurs eux-mêmes sont acquis à l’idée qu’il convient de permettre aux chercheurs, nonobstant la cession de leurs droits à l’éditeur, de mettre à disposition du public leurs écrits scientifiques afin qu’ils puissent être lus par tous. Deux limites doivent cependant préserver l’activité d’édition scientifique : d’une part, la forme de l’écrit mis à disposition du public ne peut être celle qui a été retravaillée et publiée par l’éditeur ; d’autre part, sauf si l’éditeur y consent, la mise à disposition ne peut être effectuée avant un certain délai, pour lui laisser la possibilité d’en tirer un profit commercial.

C’est sur ce dernier point que le débat a achoppé, les éditeurs considérant qu’un délai de six mois pour les sciences, la technique et la médecine, et de douze mois pour les sciences humaines et sociales est trop court pour leur permettre de générer suffisamment de bénéfices sur l’écrit publié. À l’inverse, certains chercheurs souhaiteraient aller plus loin, et permettre que l’écrit soit mis à la disposition du public dès la publication de l’article dans une revue. En somme, le dispositif prévu par le projet de loi satisfait tout le monde dans son principe, mais personne dans ses modalités ; c’est, je crois, la preuve qu’un équilibre a été atteint !

Malgré ce débat très vif, le dispositif est porteur de nombreux progrès pour la recherche, notamment la recherche française. Celle-ci sera beaucoup plus visible par la communauté internationale des chercheurs, y compris ceux issus des pays en développement, et du monde économique. Il permet aussi d’envisager une mutation plus profonde du système mondial de l’édition scientifique : un libre accès immédiat aux articles scientifiques publiés dans les revues à comité de lecture. Ce dispositif prend le chemin de ce qu’on appelle la « voie verte », tout en incitant les acteurs de l’édition à trouver le moyen de passer rapidement à la « voie dorée » ou, en tout cas, à un modèle de négociation où les universités et les organismes de recherche paient une seule fois pour accéder aux fonds des éditeurs, pour publier en accès immédiat et pour exploiter ledit fonds par le biais de l’exploration de textes et de données (ou TDM, pour text and data mining) ou encore « droit de fouille ». C’est donc une évolution particulièrement importante que dessine cet article.

L’article 18 a soulevé moins de remarques lors des auditions que Luc Belot et moi-même avons menées, mais il est tout aussi utile aux organismes de recherche dont certaines activités peuvent nécessiter l’appariement de données distinctes par le biais du numéro d’identification qui figure sur nos cartes Vitale. Le dispositif actuel est en effet trop complexe du point de vue administratif pour être mis en œuvre, puisqu’il suppose que soit pris un décret en Conseil d’État, ce qui n’est pas à la portée de tous les organismes de recherche. Dans le dispositif proposé, du reste très protecteur des données personnelles, l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) pourra réaliser ces appariements après déclaration auprès de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), tandis que les organismes de recherche devront obtenir son autorisation pour chaque projet de recherche.

Les articles 22 et 23 du projet de loi sont porteurs d’évolutions très intéressantes au regard de l’enjeu juridique et économique que représente l’activité des grandes plateformes telles Google, Facebook ou YouTube. Ces acteurs bénéficient aujourd’hui, en Europe, d’une responsabilité allégée qui les place dans la même situation juridique que les hébergeurs des années 2000. Or ces plateformes sont aujourd’hui bien plus que de simples hébergeurs de contenus mis en ligne par des tiers. Facebook tend à devenir une plateforme vidéo, et YouTube une chaîne de télévision, lorsque Google diversifie massivement ses activités. Désormais, ce sont des acteurs à part entière de l’activité, notamment culturelle. Leur résonance est mondiale, le nombre de leurs utilisateurs connaît une croissance exponentielle, et leur usage est quasi inévitable. Leur niveau de responsabilité doit donc, à l’évidence, être rendu aussi conforme à la réalité de leur pouvoir économique que le permet le cadre européen actuel. Il est temps, me semble-t-il, de commencer à dessiner le statut qui sera le leur demain. Je vous proposerai d’ailleurs un amendement qui va un peu plus loin que le texte actuel en matière de contenus illicites.

Enfin, la consultation citoyenne a fait naître un nouvel article, relatif aux compétitions de jeux vidéo, parfois dites de sport électronique. Celles-ci se développent dans le monde entier, et leur poids économique est de plus en plus important. Malheureusement, il est très difficile de les organiser en France de façon parfaitement légale, puisqu’elles risquent d’être assimilées à des loteries, prohibées. Elles remplissent en effet les quatre critères qui définissent les loteries : l’offre publique, l’espérance d’un gain, la part, même infime, de hasard et le sacrifice financier exigé des joueurs. Ces compétitions ne sont pourtant pas, à mon sens, des jeux d’argent et se rapprochent parfois du sport lui-même, la recherche de la performance étant au cœur d’un certain nombre de ces jeux. L’article 42 du projet de loi a donc pour objet d’habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour permettre leur organisation en toute légalité sur le territoire français. Je ne suis pas, pour ma part, opposé au principe du recours aux ordonnances – c’est souvent un moyen très utile d’avancer rapidement sur des sujets techniques. Toutefois, le Parlement me paraît en l’occurrence à même de trouver une solution satisfaisante dans le délai imparti. C’est pourquoi je vous proposerai un amendement, que je suis prêt à sous-amender pour tenir compte de remarques qu’ont formulées certains collègues et qui vont dans le sens de ce que nous avons élaboré avec Luc Belot, rapporteur de la commission des lois.

M. Michel Pouzol. Au nom du groupe Socialiste, républicain et citoyen, je me félicite que les travaux de notre commission commencent, cette année, par l’examen du projet de loi pour une République numérique défendu par Axelle Lemaire. Pour la première fois depuis le début du quinquennat, un texte émanant de l’exécutif a en effet été en partie coconstruit avec les internautes. C’est là le symbole du souci de transparence affiché par le Gouvernement, mais aussi le témoignage d’une grande volonté de concertation. Au total, ce sont 21 330 contributeurs qui ont déposé plus de 8 500 arguments, amendements et propositions d’articles sur le site republique-numerique.fr. Cette réussite a déjà poussé le Gouvernement à enrichir son texte et j’espère que nous allons faire de même aujourd’hui avec l’esprit de consensus et l’intelligence collective qui caractérisent notre commission.

Ce texte offre à notre pays, à nos entreprises et à nos concitoyens une réelle occasion de développement, de croissance et de partage. L’objectif du Gouvernement est double : donner une longueur d’avance à la France dans le domaine du numérique, en favorisant l’ouverture des données et des connaissances, et s’appuyer sur les individus pour renforcer leur pouvoir d’agir et leurs droits dans le monde numérique.

La Commission a donc choisi de s’intéresser principalement à trois sujets : l’accès aux publications et données de la recherche scientifique publique ; l’amélioration de la transparence et les bonnes pratiques des plateformes en ligne ; le développement et l’encadrement des compétitions de jeu vidéo, qui, si elles ne sont pas sportives au sens strict du terme, ne le sont pas moins au sens philosophique.

Le monde académique produit un nombre considérable d’informations sous la forme de publications scientifiques et de données de toute nature. L’accès à ces informations constitue un enjeu à la fois scientifique, social et économique. Si le web a été créé, c’est notamment, rappelons-le, parce que les universités américaines voulaient communiquer entre elles et échanger beaucoup plus facilement leurs informations, leurs travaux et leurs recherches, et c’est là le cœur même du monde numérique. Le partage des connaissances constitue un outil indispensable à la réalisation de cette émancipation. D’autre part, comment concevoir de bâtir une société innovante sans fournir à l’économie et aux PME des opportunités nouvelles, qui fassent espérer des créations d’emplois ? Or, malgré les possibilités ouvertes par la diffusion numérique, l’accès à ces informations n’est pas toujours aisé. En effet, chaque année la quantité de données provenant de la recherche croît de 30 % et la quasi-totalité des données produites au cours des vingt dernières années ont été détruites, faute d’une réelle politique de sauvegarde.

Tout en se conformant aux recommandations de la Commission européenne relative à l’accès aux informations scientifiques et à leur préservation, l’article 17 vise à favoriser la libre diffusion des résultats de la recherche publique. C’est d’une logique implacable : les données issues de la recherche, financée majoritairement sur des fonds publics, doivent être librement réutilisables, sans pour autant déroger aux principes du droit d’auteur, auquel notre commission est très attachée.

Le projet de loi s’attarde ensuite sur la réglementation des plateformes en ligne. Je tiens à souligner combien il importe de s’attaquer au sujet si épineux de la protection des données personnelles. Les dispositions de l’article 22 viennent donc renforcer, dans le code de la consommation, les obligations de ces plateformes à l’égard de leurs consommateurs, notamment en matière d’information et de circulation des données. Elles devront désormais faire apparaître clairement l’existence d’une relation contractuelle avec les personnes référencées. Le renforcement des principes de transparence et de loyauté de ces plateformes est fondamental. Je souhaite que nous puissions y travailler collectivement, en commission et à l’occasion de la séance publique.

L’article 42 porte sur un sujet assez spécifique, mais qui tient particulièrement à cœur à notre rapporteur : la réglementation des compétitions de jeu vidéo, ou e-sport. Ces compétitions diffusées à la télévision et sur internet sont en plein essor et rassemblent des milliers, voire des centaines de milliers de fans. Nées dans les années 90 aux États-Unis et en France, elles se multiplient partout dans le monde et le marché se développe considérablement. Amazon, plateforme qui ne compte pas le mécénat dans ses habitudes, l’a bien compris : au mois d’août 2014, le géant américain a racheté la société Twitch, plateforme qui diffuse les matchs en direct, pour la bagatelle de un milliard de dollars, soit 910 millions d’euros ; c’est dire le potentiel de ce marché. L’objectif est donc d’établir des règles afin d’organiser ces compétitions, en évitant toute dérégulation des jeux de cercles électroniques et en prévenant tout risque en termes de santé publique, mais aussi de fraude fiscale et de blanchiment d’argent, puisque des sommes importantes circulent à l’occasion de ces compétitions.

Le travail de nos collègues, particulièrement celui d’Emeric Bréhier, permettra, j’en suis certain, de régler quelques questions que nous avons volontairement laissées de côté lors de l’examen du projet de loi relatif à la liberté de création, ce véhicule législatif étant plus adapté. Le groupe Socialiste, républicain et citoyen votera ce texte de façon unanime et enthousiaste.

Mme Virginie Duby-Muller. Nous entamons enfin aujourd’hui l’examen du projet de loi pour une République numérique, annoncé depuis plus de trois ans. Le groupe Les Républicains estime qu’il y a urgence : le numérique est au cœur de notre société. Citoyens, entreprises, administrations, tous sont désormais connectés et les améliorations permises par le numérique n’ont plus à être vantées. Le numérique représente une véritable ouverture sur le monde, une innovation permanente et d’innombrables créations d’emplois. Ce texte doit aussi être fondateur d’un nouveau socle législatif pour le numérique afin d’adapter notre République à cette révolution.

Pourtant, monsieur le rapporteur pour avis, c’est, malgré son titre prometteur, un projet de loi bancal qui nous est présenté aujourd’hui. Certaines mesures vont certes dans le bon sens, notamment le renforcement des droits des consommateurs, la portabilité d’un fournisseur à un autre, le droit à l’oubli pour les mineurs, la possibilité de décider du sort de ses données après son décès et le chapitre relatif à l’économie du savoir, qui favorise la libre circulation des résultats de la recherche publique en encourageant l’accès aux résultats scientifiques et leur partage. Pourtant, il faut noter l’absence du text and data mining, droit de lire de l’ère numérique, demandé par de nombreux chercheurs et qui représente un potentiel de retombées économiques pour la France, alors même que la Commission européenne s’est fixé l’objectif de réfléchir à une directive européenne d’ici à six mois.

Cet exemple illustre parfaitement les difficultés présentées par le projet de loi. De nombreux enjeux clés sont éludés ou traités de manière incohérente au regard de la réglementation européenne, et le texte n’est finalement pas à la hauteur des enjeux. Il n’a d’ambition que dans son titre. Dans un avis très critique, où il déplore également l’insuffisance d’une étude d’impact qui n’évalue pas l’incidence de plusieurs dispositions, le Conseil d’État a d’ailleurs proposé de le renommer « projet de loi sur les droits des citoyens dans la société numérique ». Mais vous avez précisément déposé, monsieur le rapporteur pour avis, un amendement AC19 qui prévoit que les mesures prévues à l’article 17 fassent l’objet d’une étude d’impact. En découvrant cet avis du Conseil d’État, vous avez aussi décidé de supprimer ou d’édulcorer un certain nombre de propositions. Des mesures sont donc en décalage, sinon en contradiction, avec les directives et règlements européens. Des décisions franco-françaises et franco-centrées sur le numérique nuiraient pourtant à nos entreprises et feraient fuir les investisseurs. C’est pourquoi mon collègue Patrick Hetzel a déposé des amendements de suppression des articles 22 et 23. Aujourd’hui, c’est, au minimum, à l’échelle européenne que doit s’engager une réflexion sur de nouvelles obligations, aussi pertinentes puissent-elles être. Anticiper les résultats de travaux en cours serait simplement contre-productif.

J’appelle aussi votre attention, monsieur le rapporteur, sur les dangers de votre amendement AC21 rectifié à l’article 42. Définissant le jeu vidéo comme « un support physique ou en ligne, s’appuyant sur une trame scénarisée ou des situations simulées », votre amendement nous expose à un bouleversement du système des jeux en ligne. Rien n’empêchera un opérateur de jeux d’argent de scénariser du casino en ligne, du poker en ligne, du loto en ligne, en les faisant sortir de la régulation, puisque c’est l’objet du III de votre amendement. Par ailleurs, les professionnels du secteur comprennent mal le choix du ministre de la jeunesse comme autorité habilitée à délivrer l’agrément. Pourquoi pas, plutôt, le ministère de l’intérieur ou du budget, pour la partie physique, et l’Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL) ? Il s’agit en effet de disposer des moyens et des compétences pour assurer la fiabilité et la transparence des compétitions, prévenir les activités frauduleuses ou criminelles et les atteintes à la santé publique, en l’espèce l’addiction et le jeu pathologique. Nous vous alertons sur ce point et nous agirons en séance publique. Si votre amendement est adopté, nous serons vigilants, le cas échéant, en amendant.

Ce texte ne signe pas le « grand soir » du numérique. Nous avons besoin d’un texte global qui appréhende les multiples enjeux du numérique : le secteur est diversifié et affecte tous les pans de notre société. À la place, on nous soumet une kyrielle de textes et un patchwork de mesures. Après le projet de loi relatif à la gratuité et aux modalités de réutilisation des informations du secteur public de Clotilde Valter et avant le projet de loi Macron II sur les nouvelles opportunités économiques, nous avons désormais ce texte, et cet empilement de mesures. Ainsi, l’article 22 introduit un nouvel article dans le code de la consommation, après celui créé par la loi Hamon.

Le calendrier d’examen du texte étant très serré, les auditions ont été menées de manière précipitée, alors même que la version définitive du projet de loi n’était pas disponible. Nous pouvons donc légitimement nous interroger sur la stratégie numérique du Gouvernement. Espérons que les débats permettront d’étoffer et de renforcer le texte : c’est indispensable pour consolider notre République numérique.

Mme Gilda Hobert. Le présent projet de loi, qui apporte des réponses juridiques dans un domaine en constante mutation, est un bel exemple de création participative. Dans votre projet d’avis, monsieur Bréhier, vous mettez justement l’accent à la fois sur la protection des données et des droits et sur la promotion de la liberté d’accès. Vous pointez la difficulté de leur mise en pratique au travers de l’étude de l’article 17. Le monde académique subit en effet, à certains égards, la révolution numérique – je dis « subit », car, devant un marché de l’édition scientifique qui était estimé en 2014 à 21,8 milliards d’euros, et à côté d’éditeurs au poids plus qu’important, il fallait agir, mais vous écrivez que les éditeurs semblent plutôt favorables à une évolution, ce dont on ne peut que se réjouir.

Le projet de loi vise précisément à trouver un équilibre. Votre projet d’avis est éclairant sur ce qui pourra à terme protéger les chercheurs et permettre une meilleure diffusion du savoir académique. Il est en effet bien étrange de voir un chercheur payer à la fois pour que son article soit édité et pour le consulter, et sans disposer d’aucun moyen de pression. L’universitaire doit publier, c’est l’objectif de son travail : il recherche donc les éditeurs les plus prisés, lesquels se trouvent de facto dans une situation très favorable et voient leurs marges de manœuvre s’accroître. Quant au libre accès total, on en voit les limites : aucune évaluation par les pairs et aucune forme de rentabilité de l’article. Cela ne semble souhaitable pour aucune des parties. Je souscris donc aux propositions faites, en particulier sur le modèle de libre accès institutionnel, qui permet d’accorder une place plus importante aux pouvoirs publics, garants de la bonne utilisation des ressources académiques.

L’article 17, qui prévoit la gratuité des articles financés principalement sur fonds publics, me paraît tout à fait opportun. Le délai de six mois pour les sciences, la technique et la médecine, et de douze mois pour les sciences humaines et sociales peut répondre à une logique de retour sur investissement. Cette différence de délai ne risque-t-elle pas, cependant, de les mettre parfois en concurrence ?

En ce qui concerne les plateformes en ligne, les GAFA (Google-Apple-Facebook-Amazon) occupent une place centrale. Il ne faudrait pas que leur monopole asphyxie d’autres forces vives, moins puissantes et moins bien armées, mais indispensables à la diversité et à la liberté qui est l’apanage du numérique. Ainsi, la loi sera le garant de l’équité et remédiera en particulier aux faiblesses juridiques dont ils se saisissent trop souvent. Point positif, on constate que nos entreprises audiovisuelles commencent à tirer parti de la révolution numérique. Je pense particulièrement à l’Institut national de l’audiovisuel (INA) qui a notamment signé des accords avec YouTube et Dailymotion, mais il s’agit là d’une instance reconnue et solide. Comment, selon vous, pourrait-on soutenir, dans leur passage au numérique, celles qui sont plus nouvelles, plus fragiles ?

Quant à l’article 42, il prévoit d’adapter le cadre juridique afin de faciliter l’organisation des compétitions de jeux vidéo, tout en les encadrant. Certes, le jeu vidéo est, à l’image du numérique, en pleine expansion, et génère des profits exponentiels : de véritables compétitions émergent. Aussi cet article semblait-il s’imposer, mais, en dépit du caractère de compétition de jeux dont les participants sont de tous âges, cette activité ne me paraît pas pouvoir être assimilée à un sport, et le terme e-sport ne me paraît pas non plus très adapté. On ne peut mettre sur le même plan un athlète qui allie la recherche de la performance technique et physique à un mental solide, qui repousse sans cesse ses limites, et des joueurs qui, au-delà de réels atouts de stratégie, de technicité, de vélocité, ne répondent pas aux mêmes exigences.

Le groupe Radical, républicain, démocrate et progressiste se prononcera en faveur de ce texte.

M. Jean-Pierre Allossery. La mesure la plus soutenue dans les consultations qui ont accompagné la construction du projet de loi est l’organisation de compétitions de jeux vidéo. Vous le signalez dans votre projet d’avis, monsieur Bréhier, ces compétitions ont acquis une envergure financière et médiatique sans précédent. Cependant, inadapté à leur organisation, le cadre juridique en vigueur est loin d’être favorable à leur développement sur le territoire national. Aussi l’article 42 a-t-il pour objet d’habiliter le Gouvernement à prendre par ordonnance les mesures relevant du domaine de la loi et modifiant le code de la sécurité intérieure afin de définir le régime particulier applicable aux compétitions de jeux vidéo pour en permettre l’organisation. Il me semble cependant important d’attendre les conclusions de la mission parlementaire qui travaille sur un cadre juridique précis pour ce type d’activité : elles doivent être publiées au mois de mars.

Dans le même esprit, je suis également réservé sur l’amendement substituant à l’habilitation à légiférer par ordonnance un régime d’agrément délivré par le ministre chargé de la jeunesse. Non seulement ce type d’activité ne concerne pas que les jeunes, mais il y aurait là un symbole regrettable, alors même que ce ministère mène des actions de fond pour lutter contre les addictions au jeu vidéo. Enfin, en fonction de quels critères précis le ministère pourrait-il délivrer l’agrément, alors que les conclusions de la mission parlementaire n’ont pas été rendues ? Je comprends votre amendement, monsieur le rapporteur pour avis, mais soyons patients et vigilants jusqu’au mois de mars prochain, et permettons au Gouvernement de prendre par ordonnance les mesures nécessaires afin de définir le régime particulier applicable aux compétitions de jeux vidéo.

M. Christian Paul. Je me réjouis, comme Michel Pouzol, que le début de cette année nous permette d’examiner ce texte : c’est un agenda parlementaire optimiste et positif, à condition que nous sachions, bien sûr, enrichir ce texte avant de l’adopter. Vous l’avez tous dit avant moi, chers collègues : la révolution numérique, c’est l’occasion de progrès considérables. Un certain nombre sont inscrits dans ce texte, et je ne parlerai, ici, que des dispositions dont notre commission s’est saisie.

Je relève deux progrès très importants : l’ouverture, dans de meilleures conditions, de l’accès aux travaux scientifiques et l’inscription dans notre droit d’un principe de régulation qui a émergé au cours des deux ou trois dernières années, celui de la loyauté des plateformes. S’il a émergé, c’est bien parce qu’il y avait des interrogations très fortes sur les moteurs de recherche, notamment Google, et sur les pratiques d’autres grandes plateformes, telles que Facebook ou Twitter. On note là des progrès considérables. Mesurons la portée historique du texte : c’est, n’en doutons pas, la grande loi numérique de la législature. L’histoire ne repassera pas les plats de sitôt. N’évitons donc pas les sujets importants, ne nous arrêtons pas aux premiers obstacles.

Attachée aux libertés numériques et, plus généralement, à l’accès libre à la culture, attachée également à la protection des auteurs, notre commission doit porter son attention sur trois sujets, non simplement en amendant le texte, mais en lui apportant une substance nouvelle. Le premier, essentiel, c’est la possibilité de reconnaître en droit positif les biens communs informationnels. Manquer à cet impératif serait extrêmement dommageable au texte et aux parlementaires de la majorité comme de l’opposition. C’est un sujet sur lequel nous pouvons peut-être converger, au prix d’un travail collectif que la brièveté des délais ne nous a pas permis d’avoir jusqu’à présent.

Le deuxième sujet concerne l’exploration des données à des fins scientifiques, ou data mining. C’est un domaine où il faudrait aussi prendre position.

Le troisième sujet se situe à la rencontre de la propriété intellectuelle et des libertés : c’est l’exception de panorama, que nous connaissons bien, avec Patrick Bloche, puisque l’Assemblée en débattait déjà il y a une dizaine d’années. J’espère que les esprits ont mûri et que nous pourrons marquer des points à l’occasion de ce débat.

Ce texte comporte de très bonnes choses, qu’il nous faut approfondir et enrichir, et d’autres pour lesquelles l’imagination et la capacité d’action du Parlement sont fortement requises.

M. le rapporteur pour avis. J’entends les remarques et je ne doute pas que nous saurons trouver un chemin commun. Il n’est cependant pas interdit au Parlement de proposer des éléments allant parfois plus loin que le texte du Gouvernement. Celui-ci nous indiquera dans l’hémicycle s’il est d’accord ou non avec les amendements que nous pourrions adopter ce soir ou qui pourraient être proposés dans l’hémicycle, mais, à ce stade, aucun représentant de l’exécutif ne participe à nos travaux et nous ne sommes pas ici pour porter un jugement sur la stratégie numérique du Gouvernement, mais pour amender son texte. Mon rôle n’est pas de défendre la stratégie du numérique qu’il a mise en place. Nous sommes ici pour faire la loi, et donc pour porter un jugement sur l’ensemble des articles dont notre commission s’est saisie.

Si je suis très heureux de savoir qu’une mission, enfin, a été confiée par le Gouvernement à certains de nos collègues, dont un membre de notre commission, à propos de l’organisation des compétitions de jeux vidéo, nous ne sommes pas obligés d’en attendre les conclusions pour proposer des solutions. Ayons même la faiblesse de penser que les propositions issues de nos travaux pourraient amener cette mission parlementaire à envisager certaines pistes. Nous aurions alors vraiment fait œuvre utile.

La Commission en vient à l’examen des articles dont elle s’est saisie pour avis.

Article 17 (art. L. 533-4 [nouveau] du code de la recherche) : Accès aux travaux de recherche financés par des fonds publics

La Commission examine l’amendement AC6 de Mme Isabelle Attard.

Mme Michèle Bonneton. Cet amendement vise à garantir que les publications nées d’une recherche financée principalement sur fonds publics rendues gratuitement accessibles le seront en format ouvert afin qu’elles soient réellement accessibles à tous. Le format ouvert se comprend au sens de l’article 4 de la loi no 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique.

Suivant l’avis favorable du rapporteur pour avis, la Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’amendement de précision rédactionnelle AC22 du rapporteur pour avis.

Elle en vient ensuite à l’amendement AC7 de Mme Isabelle Attard

Mme Michèle Bonneton. Il s’agit de supprimer la distinction faite entre, d’une part, les sciences, la technique et la médecine, et, d’autre part, les sciences humaines et sociales, pour que le délai de six mois s’applique dans tous les cas. Faire la distinction pourrait d’ailleurs être très difficile dans le cas de recherches pluridisciplinaires auxquelles s’appliquent des délais différents, et cela pourrait mettre ces disciplines en concurrence.

M. le rapporteur pour avis. Je suis défavorable à cet amendement, pour des raisons assez simples. Le marché des revues des STM (sciences, technique, médecine) et celui des SHS (sciences humaines et sociales) sont extrêmement différents. Celui des STM est assez concentré, entre quelques grandes sociétés, le second est très éparpillé et rassemble des structures de petite ou moyenne taille. Il est donc nécessaire de prévoir des délais distincts pour ces deux grandes catégories ; c’était le cas dans la version du texte qui précédait la consultation citoyenne, qui prévoyait des délais de douze et vingt-quatre mois – mais je suis favorable à des délais plus courts. Maintenons donc deux délais distincts.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement AC17 du rapporteur pour avis.

M. le rapporteur pour avis. Il est apparu, au cours des auditions, que des durées inférieures aux délais inscrits dans le texte pouvaient être prévues pour certaines disciplines, à l’intérieur de ces deux grandes catégories que sont les STM et les SHS, et ce en raison de leur culture propre ou de l’avancée plus rapide des pratiques d’accès ouvert. Je pense, par exemple, à l’informatique. Aussi, il m’a semblé opportun de permettre au ministre chargé de la recherche de fixer des délais inférieurs pour certaines disciplines ou familles de disciplines. Les délais fixés par la loi seraient alors des délais par défaut pour les disciplines qui ne seraient pas couvertes par cet arrêté. L’amendement vise donc à permettre un peu de souplesse.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle en arrive à l’amendement AC18 du rapporteur pour avis.

M. le rapporteur pour avis. La formulation actuelle de l’alinéa 3, qui interdit l’exploitation dans le cadre d’une activité d’édition à caractère commercial, me paraît être une source importante de contentieux. Par ailleurs, il ne faudrait pas que certains acteurs puissent tirer profit de cette restriction aux activités d’édition pour exploiter commercialement l’article 17 du projet de loi, quand les éditeurs ne pourraient pas, eux, le faire. Pour éviter cette distorsion, je propose donc de viser toutes les activités commerciales, quelle que soit leur nature. C’est bien le but recherché par cet alinéa : que personne ne puisse exploiter les écrits mis à disposition du public par les chercheurs. L’amendement élargit donc la portée de l’alinéa.

La Commission adopte l’amendement.

Elle se saisit ensuite de l’amendement AC19 du rapporteur pour avis.

M. le rapporteur pour avis. Cet amendement prend en compte les inquiétudes d’un certain nombre de représentants de l’édition en demandant au Gouvernement de remettre au Parlement, dans un délai de trois ans, un rapport évaluant les conséquences – négatives ou positives – des dispositions de ce texte sur le milieu de l’édition. Ce rapport permettra également de déterminer s’il convient de renforcer le plan de soutien dont le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche discute actuellement avec les éditeurs dans leur grande diversité.

M. Benoist Apparu. Pardonnez-moi, monsieur le président, mais la doctrine de cette commission n’est-elle pas de ne pas demander de rapports ?

M. le président Patrick Bloche. Je plaide coupable : nous en demandons régulièrement. C’est la commission des Lois qui n’en réclame jamais, mais nous ne sommes pas la commission des lois. Il s’agirait en l’occurrence d’un rapport très classique, comme on en rédige un très grand nombre chaque année.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle émet un avis favorable à l’adoption de l’article 17 modifié.

Après l’article 17

La Commission examine les amendements identiques AC11 rectifié de Mme Isabelle Attard et AC16 rectifié de M. Christian Paul.

Mme Isabelle Attard. L’amendement AC11 rectifié porte sur le data mining, la fouille automatique de données, qui permet de découvrir des résultats inaccessibles par une méthode manuelle. Cette technique permet par exemple de trouver les occurrences d’un mot dans un corpus, mais elle n’est pas réservée à la linguistique.

Un chercheur doit pouvoir y recourir. Or les contrats des maisons d’édition limitent aujourd’hui la possibilité d’effectuer de telles recherches. Interdisons cette déviance et autorisons systématiquement la fouille automatique pour les besoins de la recherche publique, évidemment à l’exclusion de toute finalité commerciale. Quand on parle d’efficacité et de numérique, les éditeurs ne doivent pas imposer leurs règles et empêcher cette recherche automatique.

M. Christian Paul. Je souscris tout à fait aux propos que vient de tenir Mme Attard. Aujourd’hui, les travaux de la recherche publique – mais cela vaut aussi pour la recherche privée – sont amenés à traiter des masses de données considérables, au moyen d’algorithmes. Avec cette notion de data mining dont on parle depuis quelques années, il s’agit de pouvoir faire de l’exploration de données, de textes, à des fins scientifiques. Si, depuis 2001, quelques exceptions à la règle de l’interdiction de l’exploration de données, pour des raisons qui tiennent à la propriété intellectuelle, ont été mises en place, elles n’en sont pas moins très limitées, relevant du droit de citation ou de l’utilisation très éphémère de ces données. Nous sommes nombreux à souhaiter qu’un pas supplémentaire soit franchi avec cet amendement qui vise à permettre des copies ou des reproductions numériques à partir d’une source licite, ou bien des copies ou reproductions numériques des bases réalisées dans cette finalité d’exploration des données. D’autres pays européens ont pris une avance considérable, de même que les États-Unis. Aujourd’hui, la frilosité de notre droit empêche notre recherche publique de disposer des mêmes armes que dans d’autres pays.

M. le rapporteur pour avis. Je suis plutôt favorable à ce que j’appellerai le droit de fouille, qui relève du travail habituel de l’universitaire et du chercheur. Toutefois, j’émettrai un avis défavorable à ces amendements identiques, contraires au droit européen. La directive concernée ne prévoit en effet qu’un nombre limité d’exceptions, parmi lesquelles ne figure pas celle que vous envisagez. Évidemment, Mme Attard a raison : en France, le droit de fouille est relativement limité, en nombre d’occurrences, par les contrats passés avec les éditeurs. C’est moins le cas dans le dernier contrat passé par un grand éditeur avec un autre pays européen, les Pays-Bas, il y a quelques semaines.

Cela dit, le droit européen pourrait évoluer à brève échéance, la Commission européenne ayant récemment indiqué qu’elle cherchait précisément un moyen d’inclure cette exception dans le cadre de la révision de la directive « Droit d’auteur ». Il me paraît donc plus raisonnable d’attendre avant d’adopter un dispositif en France ; sinon, nous risquons de devoir le modifier très prochainement. Aussi suis-je défavorable à ces amendements.

Mme Isabelle Attard. Appelons un chat un chat et donnons les noms des maisons d’édition dont les pratiques ne sont pas forcément normales. Les Pays-Bas ont cassé leur contrat avec Elsevier, à qui la France a donné 172 millions d’euros en cinq ans, ce qui crée un rapport de force complètement différent. Cette maison d’édition a dû mettre de l’eau dans son vin, modifiant ses contrats et sa façon de traiter les scientifiques, quels qu’ils soient. Je comprends la préoccupation exprimée par M. le rapporteur pour avis : il ne s’agit pas de prendre des dispositions contraires au droit européen, mais nous pouvons être en avance. En tout cas, la recherche ne saurait être entravée par la volonté de quelques maisons d’édition d’avoir la main sur les contenus scientifiques. Ce n’est pas acceptable.

L’amendement AC11 rectifié est retiré.

M. Christian Paul. Comment ne pas suivre l’exemple d’Isabelle Attard ? Je suis cependant un peu moins prompt à retirer cet amendement, que nous redéposerons peut-être en vue de la séance plénière, dans une rédaction plus compatible avec le droit européen. Ce ne serait pas la première fois que notre pays inspire la législation européenne. Ainsi, au début de l’année 2014, sur une question fiscale, nous avons pris des positions très courageuses, dont j’espère qu’elles inspireront très vite la législation européenne. En l’occurrence, il s’agit non de fiscalité, mais de propriété intellectuelle, et la question est importante non seulement pour les ayants droit, mais aussi pour ceux qui ont besoin de recourir à ces techniques d’exploration de données. Je veux bien qu’on prolonge la réflexion quelques jours, mais que ce soit avec le souci de faire progresser notre droit à l’occasion de l’examen du texte dans l’hémicycle.

L’amendement AC16 rectifié est retiré.

Article 18 (art. 22, 25, 27 de la loi no 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés) : Procédure d’accès à certaines données publiques à des fins statistiques par l’intermédiaire du numéro d’inscription au répertoire (NIR)

La Commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article 18 sans modification.

Après l’article 18

La Commission examine les amendements identiques AC10 rectifié de Mme Isabelle Attard et AC15 de M. Christian Paul.

Mme Isabelle Attard. On discute de la liberté de panorama dans toute l’Union européenne. Des touristes qui se prennent en photo devant le viaduc de Millau, par exemple, ne peuvent pas publier leurs photos de vacances en raison d’un droit d’auteur sur le viaduc de Millau, mais ce n’est pas le seul ouvrage dans ce cas.

Il s’agit d’accorder une exception au droit d’auteur en vertu de laquelle il serait permis de reproduire et de diffuser l’image d’œuvres protégées se trouvant dans l’espace public, notamment les œuvres d’architecture et de sculpture. C’est là l’une des exceptions optionnelles prévues par la directive européenne 2001/29/CE relative au droit d’auteur. Nombre de nos voisins européens ont fait le choix d’appliquer cette exception, et l’opinion publique est unanime : prendre des photos dans l’espace public devrait être une liberté pleine et entière. Celui qui choisit de construire un bâtiment dans l’espace public ne devrait pas pouvoir privatiser la vue de tous au nom du droit d’auteur. La liberté de panorama aurait en outre des retombées économiques pour le tourisme en France, et pour les artistes eux-mêmes à travers l’obtention de nouvelles commandes. La reproduction photographique des œuvres en milliers ou en millions d’exemplaires représente effectivement une publicité considérable dont personne ne se plaint, à part, peut-être, quelques-uns.

M. Christian Paul. À l’Assemblée nationale, nous débattons de la question depuis une dizaine d’années. Prenons donc une décision d’intérêt général et adoptons ces amendements identiques. Il ne s’agit pas de choisir l’intérêt des photographes contre celui des architectes. Nous voulons trouver une solution équilibrée, qui permette de ne pas privatiser l’espace public. Aujourd’hui, c’est vrai, des créations architecturales, artistiques, ne devraient pas pouvoir être totalement privatisées quand il s’agit de les reproduire. Cette liberté de panorama est aussi une exception prévue par la directive de 2001. La rédaction des amendements identiques précédents doit peut-être être améliorée, mais, ici, l’exception est prévue, même si la France n’y a pas consenti. Franchissons donc ce pas. Seule une minorité de pays européens ne l’a pas fait. Ce serait vraiment un progrès d’intérêt général que de reconnaître la liberté de panorama à l’occasion de l’examen de ce texte.

M. le rapporteur pour avis. Je n’ai connaissance d’aucun procès qui aurait été intenté à un touriste ayant publié ses photos de vacances sur un réseau social. Cela dit, la situation particulière des œuvres architecturales et des sculptures dans l’espace public ne justifie pas, à mes yeux, que l’on cesse de rémunérer les artistes et les architectes pour leurs œuvres. Car il s’agirait bien de permettre à certains acteurs, notamment sur internet, et pas simplement des vacanciers, de reproduire sans autorisation et de tirer profit sans frais de toutes les œuvres qu’ils souhaitent. Vous prétendez que cette exception favoriserait la diffusion des œuvres : j’avoue mon scepticisme. Un certain nombre de ces plateformes, notamment YouTube et Dailymotion, ont passé des accords avec les sociétés d’auteurs pour assurer la juste rémunération des artistes. Je ne vois pas pourquoi d’autres acteurs
– Wikipedia, si Mme Attard veut appeler un chat un chat – ne pourraient pas faire de même. Par ailleurs, rien n’empêche le titulaire du droit d’auteur de permettre la reproduction de son œuvre à titre gratuit. Certains grands architectes le font, précisément pour faire connaître leur travail. J’aurais donc tendance à vouloir laisser aux artistes la liberté de choisir la façon dont leurs œuvres pourraient être au mieux médiatisées. Quant à l’argument selon lequel une telle exception permettrait l’accès à la culture, il oublie que ces œuvres, qui se situent précisément dans l’espace public, sont librement accessibles à tous.

De surcroît, il n’y a pas, en matière d’architecture et de sculpture, d’industrie forte pour soutenir les artistes. En particulier, la rémunération des plasticiens est constituée d’une myriade de petits revenus liés au droit d’auteur qu’il importe absolument de préserver. La Société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques (ADAGP) répartit ainsi 27 millions d’euros chaque année, pour les œuvres d’environ 10 000 artistes, dont 69 % de plasticiens. Les sommes en jeu ne sont donc pas négligeables pour ces artistes. Aussi, prévoir une telle exception sans compensation pour les auteurs me semble particulièrement préjudiciable.

Enfin, monsieur Paul, la France ne présente pas de singularités qu’en cette matière, et ce n’est pas si choquant.

Mme Isabelle Attard. Les propos du rapporteur pour avis ne sont pas tout à fait exacts. C’est bien le droit d’auteur qui a récemment été invoqué pour faire retirer une photo de la petite sirène de Copenhague d’un réseau social.

Ensuite, on parle du droit d’auteur pour les plasticiens et les architectes, mais cela représente bien peu par rapport à l’avantage de nouvelles commandes suscitées par une popularité grandissante et une présence partout sur les réseaux sociaux et sur le net. Il faudrait pouvoir disposer d’éléments tangibles avant de s’opposer à ce genre de diffusion et d’entraver la mise à disposition sur un réseau social.

En outre, Wikipedia n’utilise que des images libres de droits, pour que les contenus ainsi diffusés puissent être librement réutilisés. Wikipedia ne gagne pas d’argent sur les photos des œuvres d’architectes.

Quant à la liberté laissée aux artistes de mettre à disposition leurs œuvres dans le domaine public, elle n’existe pas ! La législation française ne prévoit pas la possibilité de mettre de manière volontaire ces œuvres dans le domaine public, et c’est précisément l’objet d’autres amendements.

M. Christian Paul. Nous prolongerons évidemment ce débat dans l’hémicycle, mais je souscris à ce qui vient d’être dit à propos de Wikipedia. On n’imagine pas Wikipedia négocier avec la tour Eiffel ou avec le Centre Pompidou la reproduction de ces édifices. C’est tout à fait contradictoire avec l’idée d’apport volontaire de textes et d’images sur Wikipedia.

Ensuite, je ne plaide pas pour porter atteinte aux ayants droit, mais pour trouver une solution d’intérêt général. Le droit en vigueur est un frein à certaines activités, notamment la diffusion des œuvres, la photographie urbaine. Dans certains cas, retrouver les ayants droit est d’ailleurs extrêmement difficile. Il s’agit d’un droit profondément archaïque. Trouvons une solution. Je suis à la disposition du rapporteur pour parvenir à une formulation acceptable par tous, mais je souhaite vraiment que nous, membres de la commission des affaires culturelles, ne renoncions pas sur ce point à la première difficulté rencontrée.

M. le rapporteur pour avis. Chers collègues, mes explications ne vous convainquent pas, mais je ne suis pas convaincu par les vôtres. Je suis à votre disposition pour essayer de trouver une solution, mais, en l’état, je reste défavorable à vos amendements.

La Commission adopte les amendements.

Puis elle en vient à l’amendement AC12 de Mme Isabelle Attard.

Mme Isabelle Attard. L’objectif est d’étendre au livre numérique le mécanisme de rémunération des livres imprimés. Aujourd’hui, des bibliothèques négocient avec les éditeurs, paient un certain prix pour avoir la possibilité de mettre à disposition, pour des prêts, des livres imprimés. En revanche, ce n’est absolument pas le cas pour les livres numériques. Les bibliothèques sont obligées de traiter avec un éditeur à la fois et n’ont accès qu’à une partie de l’offre : 14 % de l’offre commerciale disponible pour le grand public. Ainsi, 86 % de la production éditoriale numérique leur sont totalement inaccessibles, et toute évolution de ce chiffre dans les prochaines années reste soumise à la volonté des éditeurs. Cet amendement permettrait de résoudre ce problème en mettant sur le même plan les livres imprimés et les livres numériques et en fixant un mécanisme de rémunération, décidé par nous-mêmes. Il permettrait aussi de simplifier les procédures, de simplifier les prêts et finalement d’assurer l’avenir de la lecture.

M. le rapporteur pour avis. Je remercie Mme Attard, dont l’amendement aborde une question importante. Sur le fond, j’y suis assez favorable. Toutefois, il présente certains problèmes de rédaction. Le III, notamment, ajoute à un article portant sur la répartition de la rémunération des dispositions relatives aux modalités de mise à disposition des livres numériques et à la rémunération elle-même, prévue par un autre article du code de la propriété intellectuelle.

Par ailleurs, j’avoue mal comprendre, à ce stade, si vous souhaitez appliquer le système actuel de rémunération en deux parties au prêt de livres numériques – l’une basée sur le nombre d’utilisateurs, l’autre sur le prix public des livres achetés par les bibliothèques – ou si le décret prévu au III de votre amendement a vocation à trouver une autre forme de rémunération, en lien avec la précision que vous apportez à l’article L. 133-1.

Je vous suggère donc de retirer votre amendement. Nous pourrons y retravailler ensemble ou avec la commission des lois, pour parvenir à une rédaction qui puisse passer le cap de la séance publique.

Mme Isabelle Attard. Souhaiteriez-vous sous-amender l’amendement ?

M. le rapporteur pour avis. Les modifications seraient trop importantes.

L’amendement est retiré.

La Commission examine, en discussion commune, les amendements AC8 et AC9 de Mme Isabelle Attard et AC 13 de M. Christian Paul.

Mme Isabelle Attard. Voilà des mois, sinon des années, que je reviens sur ce sujet au sein de notre commission : le domaine public. La première version du projet de loi parlait de « domaine commun informationnel », formule bien plus appropriée. Aussi, l’amendement AC8 propose de reprendre la première version du projet de loi. Il s’agit en effet de définir le domaine public de manière positive. Aujourd’hui, nous n’en avons qu’une définition en creux : lorsqu’il ne reste rien d’autre, il reste le domaine public. Il s’agit de définir un droit positif de certaines données, telles des œuvres d’art, qui constituent un patrimoine commun de l’humanité, régulièrement rendues inaccessibles par un usage abusif du droit, notamment celui des marques ou celui des bases de données. Soixante-dix ans après la mort de l’auteur, une œuvre est dans le domaine public. Or des ayants droit déposent des marques de façon à faire durer la poule aux œufs d’or. L’auteur a pourtant pu vivre de ses droits, comme ses enfants, ses neveux, ses petits-enfants, ses arrière-petits-enfants et ses cousins, et nous ne remettons pas cela en question – nous ne touchons pas au délai de soixante-dix ans.

Les ayants droit d’Arthur Conan Doyle ont par exemple créé une marque Sherlock Holmes et peuvent empêcher la sortie d’un film ou d’une pièce de théâtre, ou en retirer des recettes substantielles. Ce droit des marques permet d’attaquer le domaine public, domaine commun informationnel, tout simplement parce que celui-ci n’a pas de définition dans notre droit. De même, le département de la Dordogne a réclamé un droit d’auteur sur les reproductions de la grotte de Lascaux, 17 000 ans après la mort de ses créateurs, et la Bibliothèque nationale de France (BNF) impose des licences d’utilisation commerciales pour des œuvres qui remontent à plusieurs siècles. Des cinéastes qui publient sur YouTube voient leur compte supprimé à la suite de plaintes fallacieuses de grands studios, alors qu’il s’agit de leur principale source de revenus.

Dans le même ordre d’idées, nous assistons au développement du copyfraud. Des établissements culturels publics ou privés font payer des droits pour l’accès à des œuvres qui appartiennent à ce domaine commun informationnel. C’est un abus caractérisé, alors que nous sommes plus de soixante-dix ans après la mort du créateur, mais cette pratique est courante. Tout doit être fait pour défendre ce domaine commun informationnel.

Nous proposons également de donner aux artistes la liberté de faire ce qu’ils veulent, de disposer de leurs créations et de les mettre dans le patrimoine commun de l’humanité dès aujourd’hui, sans attendre soixante-dix ans après leur mort. Aujourd’hui, ils sont obligés de passer par des solutions contractuelles de type Creative Commons. Cela devrait être beaucoup plus aisément accessible à tous.

M. Christian Paul. Outre mon amendement AC13, j’évoquerai par anticipation l’amendement AC14, car les deux visent à la reconnaissance en droit positif des communs informationnels. Mes propositions ne contrarient en aucun cas les droits d’auteur et ne constituent en aucun cas une privation de droits exclusifs légitimement acquis. Nous refusons tous que le droit d’auteur soit bricolé, quand bien même il doit être adapté à la révolution numérique. Ces amendements permettraient cependant de régler séparément la question.

Ce que nous entendons voir figurer dans le domaine commun informationnel, ce sont des informations, des faits, des idées qui sont inappropriables ; ils n’entrent donc pas en conflit avec le respect d’autres droits. Ce sont également des œuvres tombées dans le domaine public, ou des informations administratives rendues publiques dans le cadre des lois en vigueur, notamment la loi de 1978 créant la commission d’accès aux documents administratifs (CADA). Il s’agit bien de protéger l’accès de tous et d’éviter les restrictions.

L’amendement AC14 est un amendement protecteur de la volonté des auteurs. De nombreux auteurs, à travers le monde, font le choix de publier leurs œuvres dans le cadre de licences ouvertes. Ces licences sont en anglais, car c’est souvent dans les pays anglo-saxons que cela a été expérimenté, mais je me souviens cependant que, ici même, il y a sept ou huit ans avaient été accueillis pour la première fois les défenseurs français des Creative Commons et que c’est à l’Assemblée nationale qu’ont été lancées les licences Creative Commons.

Il est temps de reconnaître aux auteurs, aux détenteurs de droits de création, la capacité de leur donner un statut de bien commun pour tous les usages ou, s’ils le souhaitent, pour certains usages seulement. La secrétaire d’État avait eu raison de se battre pour que cette loi comporte la reconnaissance des communs informationnels. Ce serait une avancée considérable en droit français si nous parvenions à nous mettre d’accord pour adopter ce texte. Et ce n’est pas à la secrétaire d’État qu’il faut reprocher que l’article 8 initial, que je propose de rebâtir, ait disparu. Ce serait vraiment à l’honneur du Parlement que notre commission inscrive les biens communs informationnels dans cette loi.

M. le rapporteur pour avis. L’amendement AC8 de Mme Attard, le plus large, prévoit diverses sanctions et me paraît imparfaitement rédigé. La définition des infractions et la proportionnalité des peines pourraient soulever beaucoup de problèmes.

Il est vrai que la question est débattue par le Parlement, et ailleurs, depuis plusieurs années. Des avancées ont été réalisées, en quelque sorte en contournant les textes, avec les licences Creative Commons, qui ont donné aux artistes la possibilité de céder tout ou partie de leurs droits, y compris patrimoniaux. Il n’est donc pas interdit, dès lors qu’il y a un contrat entre deux personnes, dont l’artiste, de céder une grande partie de ses droits, y compris leur utilisation commerciale. Les Creative Commons se sont assez largement développées dans notre pays ces cinq dernières années, et encore plus ailleurs, par exemple outre-Manche.

Cela dit, les amendements proposés ne résolvent pas tous les problèmes. D’ailleurs, si l’article 8 du pré-projet de loi offrait une certaine reconnaissance au domaine commun informationnel, le Gouvernement a décidé de le retirer : certaines questions juridiques n’avaient pu être résolues avant l’adoption du texte en conseil des ministres. Donnons-nous donc encore un peu de temps pour aboutir à une rédaction qui puisse à la fois faire droit à ce souci de reconnaissance et prendre en compte certaines craintes, interrogations, remarques.

Je demande donc le retrait de ces amendements, en m’engageant à travailler à la question au cours des prochains jours. Évidemment, vous serez libres, chers collègues, de les redéposer d’ici à la séance publique.

M. Christian Paul. Nous devons, en la matière, nous montrer ambitieux. Le rapporteur pour avis ne le conteste d’ailleurs pas. Notre responsabilité de parlementaires est de ne pas laisser passer cette occasion historique. Si la grande loi numérique de la législature contourne la question des biens communs informationnels, nous serons à côté de l’époque – et à côté de la plaque !

Je ne suis pas dogmatique et suis disponible pour que nous travaillions ensemble, y compris avec des collègues d’autres groupes, car je sais qu’on peut améliorer la rédaction de ces amendements, mais si notre commission marquait, par son vote de ce soir, son intention ferme de reconnaître les biens communs informationnels, ce serait un signal important qui nous permettrait de discuter ensuite avec le Gouvernement dans de meilleures conditions que si nous donnions nous-mêmes l’impression d’en rabattre trop fortement.

Mme Isabelle Attard. N’oublions pas que ce projet de loi a fait l’objet d’une élaboration innovante, avec la consultation des internautes. L’article 8, sur les propositions de domaine commun informationnel, a obtenu un vote favorable à 80 %, et celles concernant la lutte contre le copyfraud ont recueilli 98 % d’avis favorables. Ce sont là aussi des arguments. À quoi bon lancer une consultation si c’est pour ne pas tenir compte de l’avis des personnes consultées ?

Au cours de l’examen en commission du projet de loi sur la liberté de la création, Fleur Pellerin avait repoussé les amendements sur le domaine commun informationnel, en indiquant que cela figurerait dans la loi numérique. Axelle Lemaire a vaillamment défendu le domaine commun informationnel. Ce serait également à l’honneur du Parlement de ne pas céder à tel lobby qui prend peur alors que nous ne touchons pas au droit d’auteur, à tel autre qui utilise le droit des marques ou le copyfraud – qui constitue une atteinte aux biens communs de l’humanité. Continuellement, quel que soit le sujet, les tribunaux sont soumis à ce genre d’attaques, parce que nous n’avons pas défini positivement le domaine public. Je suis prête à discuter, mais non à retirer ces amendements. Ayons, comme la secrétaire d’État, le courage de défendre ces biens communs, soutenons-la. Le rôle de notre commission est de ne pas céder à quelque pression que ce soit, de réfléchir pour l’intérêt général. Adoptons au moins l’un des amendements en discussion, que ce soit mon amendement de repli ou un amendement de Christian Paul, pour envoyer un message de soutien à la secrétaire d’État.

M. le rapporteur pour avis. Je confirme que je suis défavorable à tous ces amendements. Je suis prêt à travailler la question, mais donnons-nous le temps de le faire.

Par ailleurs, je rappelle qu’un projet de loi présenté par le Gouvernement est un texte collégial. Ne saucissonnons pas la responsabilité gouvernementale entre les différents ministres !

M. Marcel Rogemont. Je souscris aux arguments de Christian Paul.

La Commission rejette successivement les amendements AC8 et AC9.

Puis elle adopte l’amendement AC13.

Contre l’avis du rapporteur pour avis, elle adopte ensuite l’amendement AC14 de M. Christian Paul.

Article 22 (art. L. 111-5-1 du code de la consommation) : Principe de loyauté vis-à-vis des consommateurs

La Commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article 22 sans modification.

Article 23 (art. L. 111-5-2 [nouveau] du code de la consommation) : Autorégulation des principaux opérateurs de plateforme en ligne

La Commission se saisit de l’amendement AC20 du rapporteur pour avis.

M. le rapporteur pour avis. Il me semble aujourd’hui nécessaire de renforcer les obligations, quasi inexistantes, qui pèsent sur les grandes plateformes, en particulier en matière de contenus illicites. L’article 23 du projet de loi fournit un support adéquat, en leur imposant une forme d’autorégulation, qui existe aujourd’hui, mais mérite d’être largement renforcée. Je vous propose donc de soumettre ces plateformes à plusieurs obligations nouvelles : désigner un représentant légal en France pour assurer un meilleur dialogue avec les autorités ; mettre en œuvre des bonnes pratiques en matière de lutte contre les contenus illicites ; évaluer leur propre action à partir d’indicateurs spécifiques. Nous aboutirions ainsi à une plus grande transparence dans le domaine de la lutte contre les contenus illicites. Un certain nombre de plateformes mettent déjà en œuvre de tels dispositifs, mais pourraient le faire plus encore compte tenu de leur capacité économique et de leur diffusion.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle émet un avis favorable à l’adoption de l’article 23 modifié.

Article 42 : Compétitions de jeux vidéo

La Commission en arrive à l’amendement AC21 rectifié du rapporteur pour avis.

M. le rapporteur pour avis. Il s’agit ici de proposer une piste permettant au Gouvernement d’avancer plus vite que ne le prévoit le texte de loi. J’ai bien entendu les remarques de certains collègues sur la caractérisation du sport électronique et j’ai modifié mon amendement en conséquence. La législation sur les loteries est efficace et nous protège de nombre de tentatives malhonnêtes. Elle encadre aussi utilement les jeux d’argent en ligne comme le poker. Il serait risqué de tenter d’introduire dans la loi une exception générale à la prohibition des loteries pour le sport électronique, car certains jeux d’argent qui n’en sont pas pourraient être tentés d’en prendre les apparences pour bénéficier d’un statut légal…

C’est pourquoi il m’a semblé opportun de créer un dispositif qui réponde spécifiquement au besoin exprimé et qui participe également aux objectifs visés par la législation sur les loteries, à savoir : l’intégrité de la compétition, la santé publique, la protection des mineurs, la lutte contre le blanchiment. En délivrant un agrément aux organisateurs qui sont capables d’assurer le respect de ces principes, et seulement pour certaines compétitions identifiées par un arrêté, il me semble que l’on répond au problème sans encourir de risques trop importants. Par ailleurs, les objectifs visés par le texte proposé, et l’ordonnance prévue, seraient atteints.

M. Pascal Deguilhem. L’intention du rapporteur pour avis est excellente. Il s’agit de répondre aux exigences posées tout en évitant le recours, qui n’est jamais plaisant, aux ordonnances. Le législateur est dans son rôle lorsqu’il propose des dispositions qui encadrent juridiquement les compétitions de jeux vidéo. Je note l’évolution du rapporteur, qui voudrait éviter de les caractériser en tant que sport électronique, mais le risque est de revenir à la catégorie des jeux, sur laquelle le ministère de la jeunesse n’est pas forcément compétent.

La caractérisation en termes de sport ne me paraît pas adéquate – il n’est en aucune façon question de performances physiques. De plus, l’organisation du sport se caractérise par des fédérations, à tous les niveaux, et des règles acceptées et comprises par tout le monde et dans toutes les compétitions, dans le monde entier. Avec le jeu vidéo, il me semble que nous sommes trop loin de l’activité sportive.

Par ailleurs, le ministère de la jeunesse et des sports agrée dans son domaine de compétence, grâce à son expertise et à des moyens appropriés. La question des moyens peut toujours être réglée si on le souhaite, mais je ne crois pas que le ministère de la jeunesse puisse apprécier, notamment, les listes de logiciels. Cela me semble un peu loin de ses compétences, et peu conforme à son discours. Si l’intention est bonne, le véhicule choisi l’est moins. Je ne suis pas donc pas favorable à l’amendement dans sa rédaction actuelle.

M. Michel Ménard. Je partage le point de vue de Jean-Pierre Allossery et de Pascal Deguilhem. Je comprends bien l’intention du rapporteur, mais l’amendement définit le jeu vidéo comme « un support physique ou en ligne, s’appuyant sur une trame scénarisée ou des situations simulées ». Il me semble que rien n’empêchera un opérateur de jeux d’argent de scénariser du casino ou du loto en ligne, et ainsi de les affranchir de la régulation des jeux en ligne, comme cela est prévu dans la troisième partie de l’amendement. De plus, l’amendement prévoit un agrément délivré par le ministère de la jeunesse, qui n’a pas les compétences pour lutter contre la fraude et le blanchiment. L’agrément et le contrôle devraient plutôt relever du ministère du budget et du ministère de l’intérieur, et, par ailleurs, de l’ARJEL, pour la partie en ligne. Il me semble qu’il serait préférable de ne pas inscrire de dispositions dans la loi tant que les premiers résultats de la mission dont nous avons parlé tout à l’heure ne sont pas rendus. Pour ces raisons, il me paraîtrait plus raisonnable que l’amendement soit retiré. À défaut, je voterai contre.

Mme Virginie Duby-Muller. Je partage les remarques de mes collègues sur les problèmes que pose cet amendement. Un jeu vidéo avec argent est, par définition, un jeu d’argent : il serait donc plus pertinent que cet agrément soit délivré par les autorités compétentes, ministère du budget, ministère de l’intérieur et, pour la partie en ligne, ARJEL. Sa délivrance par le ministère de la jeunesse témoigne d’une conception trop restrictive et pose des problèmes de moyens et de compétences. En l’état, votre amendement ne nous paraît pas pertinent.

M. le rapporteur pour avis. Je vais retirer l’amendement, mais il me semble, chers collègues, que vous commettez une erreur fondamentale. Croire que les compétitions de jeux vidéo relèvent uniquement de la législation applicable aux loteries ou au poker en ligne et de la régulation de l’ARJEL est une erreur, qui ne prend pas en compte l’évolution culturelle dont vous vous réclamiez tout à l’heure. Cet amendement entendait ouvrir des pistes, pour le Gouvernement et pour la mission à laquelle Michel Ménard a fait référence. Nous passons à côté de notre rôle, qui est aussi, comme on dit, de « cranter » les sujets pour qu’ils puissent être abordés dans l’hémicycle. J’entends les remarques sur la compétence du ministère chargé de la jeunesse, mais si nous n’avions pas cette discussion, nous n’aurions pas non plus cette mission, attendue depuis quatre mois.

Je retire l’amendement, en me fiant à votre sagesse, mais l’agrément qui aurait pu être délivré aurait pris en compte les remarques faites lors de l’audition de l’ARJEL, sur l’intégrité, la fiabilité et la transparence des compétitions, la protection des mineurs, la prévention des activités frauduleuses ou criminelles, des atteintes à la santé publique. Il s’agissait par ailleurs de s’appuyer sur des dispositifs mis en place, notamment par l’industrie du jeu vidéo, et validés par les autorités ministérielles, relatifs notamment à l’âge minimal des joueurs. Enfin, nombre de collectivités locales – y compris Paris – organisent de grandes compétitions de jeux vidéo et rencontrent de plus en plus de difficultés, alors même que notre pays est un des meilleurs producteurs de jeux vidéo, à tel point que nous avons décidé il y a un an et demi d’élargir le crédit d’impôt à cette industrie pour relocaliser une partie de la production. Je comprends vos interrogations, mais nous risquons de perdre quelques mois de plus.

M. Pascal Deguilhem. Je suis d’accord pour « cranter » : encore faut-il savoir sur quelle base !

L’amendement AC21 rectifié est retiré.

La Commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article 42 sans modification.

Elle émet enfin un avis favorable à l’adoption de l’ensemble des dispositions dont elle est saisie, modifiées.

La séance est levée à vingt heures cinq.

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Présences en réunion

Réunion du mardi 12 janvier 2016 à 18 heures

Présents. – M. Jean-Pierre Allossery, M. Benoist Apparu, M. Patrick Bloche, Mme Michèle Bonneton, Mme Marie-Odile Bouillé, M. Emeric Bréhier, M. Jacques Cresta, M. Pascal Deguilhem, M. Pascal Demarthe, Mme Virginie Duby-Muller, M. William Dumas, Mme Gilda Hobert, M. Christian Kert, M. Dominique Le Mèner, M. Michel Ménard, M. Christian Paul, M. Michel Pouzol, Mme Régine Povéda, M. Marcel Rogemont, Mme Julie Sommaruga

Excusés. – M. Hervé Féron, Mme Lucette Lousteau, Mme Martine Martinel, M. François de Mazières, M. Christophe Premat, M. Rudy Salles, M. Stéphane Travert

Assistaient également à la réunion. – Mme Isabelle Attard, Mme Claudine Schmid