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Commission des affaires culturelles, et de l’éducation

Mercredi 10 février 2016

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 28

Présidence de M. Patrick Bloche, président

– Table ronde sur le dopage dans le sport professionnel :

Ÿ M. Bruno Genevois, président de l’Agence française de lutte contre le dopage,

Ÿ M. Bernard Amsalem, président de la Fédération française d’athlétisme

Ÿ Docteur Emmanuel Orhant, responsable médical de l’Olympique Lyonnais

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION

Mercredi 10 février 2016

La séance est ouverte à neuf heures trente.

(Présidence de M. Patrick Bloche, président de la commission)

——fpfp——

La commission des affaires culturelles et de l’éducation entend, dans le cadre d’une table ronde sur le dopage dans le sport professionnel, M. Bruno Genevois, président de l’Agence française de lutte contre le dopage, M. Bernard Amsalem, président de la Fédération française d’athlétisme, et le docteur Emmanuel Orhant, responsable médical de l’Olympique Lyonnais.

M. le président Patrick Bloche. Messieurs, de par vos fonctions, vous êtes tous trois concernés par les enjeux de la lutte contre le dopage. Je vous remercie sincèrement de vous être rendus disponibles pour que nous puissions échanger avec vous. Cela correspondait à une demande forte de tous les groupes composant notre commission.

L’organisation de la réunion de ce matin a été souhaitée par le bureau de la commission dès novembre dernier, lorsqu’a éclaté le scandale touchant l’athlétisme russe et la Fédération internationale d’athlétisme. Il ne s’agissait, malheureusement, que d’un nouvel épisode dans la série consternante des révélations de dopage touchant de nombreuses disciplines sportives internationales.

Bien entendu, il ne s’agit pas de faire le procès de telle personne ou de telle discipline. Nous sommes des législateurs, nous ne sommes pas des procureurs et encore moins des donneurs de leçons. Il s’agit plutôt d’avoir un échange ouvert et direct sur ce que ces pratiques révèlent du sport professionnel d’aujourd’hui, sur les faiblesses de son organisation nationale et internationale, et sur les moyens dont disposent les diverses parties prenantes pour endiguer un processus nuisible au sport professionnel et à la pratique sportive en général.

Avant de vous céder la parole, je soulèverai quelques questions qui viendront inévitablement dans le débat. Quel rôle devraient avoir les fédérations nationales et internationales en matière de prévention du dopage ainsi que de lutte et de répression ? Comment renforcer le respect des standards internationaux établis par l’Agence mondiale antidopage (AMA), notamment en matière de contrôle et d’analyse médicale ? Comment l’Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) entend mettre en œuvre les nouveaux pouvoirs qui lui ont été confiés par le nouveau code mondial antidopage ? Le passeport biologique est-il véritablement efficace pour lutter contre le dopage ?

M. Bruno Genevois, président de l’Agence française de lutte contre le dopage (AFLD). Je suis très heureux d’être parmi vous, car j’ai déjà eu l’occasion, dans mes fonctions, d’avoir des contacts avec des membres de votre assemblée : M. Régis Juanico et Mme Marie-George Buffet, au titre de leurs avis budgétaires ; M. Pascal Deguilhem dans le cadre du projet de loi habilitant à transposer par voie d’ordonnance le code mondial antidopage ; Mme Brigitte Bourguignon, au sein du Comité de préfiguration du profil biologique du sportif ; Mme Sophie Dion, qui m’a invité à diverses manifestations.

À la tête de l’Agence depuis octobre 2010, je me propose de vous livrer des réflexions liées à mon expérience et quelques aperçus sur l’actualité la plus récente.

Dans la durée, j’ai acquis la conviction que le monde du sport a accepté pleinement de lutter contre le dopage à la condition d’en avoir la maîtrise sur les points essentiels. Dans ce contexte, la France, en raison d’une tradition d’intervention de l’État et de mission de service public, prolonge et amplifie les efforts du monde du sport, et place parfois celui-ci devant ses responsabilités.

Le monde du sport a accepté de lutter contre le dopage, notamment avec la création, en 1999, de l’Agence mondiale antidopage, sous la forme d’une fondation de droit privé suisse, qui est administrée conjointement par les États et le monde du sport, les décisions devant être prises à la majorité des deux tiers. C’est au sein de l’AMA que sont élaborées les normes et le code mondial antidopage dont la dernière révision, de novembre 2013, vient de faire l’objet d’une transposition très complète. Le monde du sport veut aussi avoir la maîtrise du contrôle des compétitions internationales les plus importantes. Mais, paradoxalement, les grands tournois de tennis qui se déroulent dans quatre pays, pourtant dotés chacun d’une organisation nationale antidopage très performante, ne sont contrôlés par aucune d’entre elles. Il faut donc dialoguer pour s’insérer dans ce cadre. Le monde du sport veut encore avoir la maîtrise des sanctions, à travers le Tribunal arbitral du sport (TAS), dont la France refuse à juste titre la juridiction. Le TAS joue un rôle cependant très utile, car il est à la dimension du sport, qui est universelle, tout comme doit l’être la lutte contre le dopage. Certains instruments sont absolument indispensables, telle une liste unique, à l’échelon mondial, des substances et méthodes interdites.

La France amplifie et prolonge les efforts du mouvement sportif avec un organe spécialisé. Ce fut d’abord le Conseil de prévention et de lutte contre le dopage, créé par la loi du 23 mars 1999, dite « loi Buffet », puis l’Agence française de lutte contre le dopage, créée par la loi du 5 avril 2006. Mais l’AFLD n’entend pas faire cavalier seul. Elle joue son rôle en liaison avec les ministères compétents, les fédérations nationales et les fédérations internationales. Nous disposons de moyens d’action conséquents, et même si le président de la Fédération française d’athlétisme ne partage peut-être pas complètement ce point de vue, la répartition des pouvoirs entre l’Agence et les fédérations me semble reposer sur des bases satisfaisantes. Notre compétence disciplinaire est complémentaire et subsidiaire par rapport à celle des fédérations, et je trouve, pour ma part, souhaitable que celles-ci restent en première ligne et qu’elles ne se désintéressent pas de la lutte contre le dopage, même si cela peut poser certains problèmes.

Je dirai maintenant quelques mots de l’actualité la plus récente.

Au plan national, j’observe un contraste entre le renforcement incontestable des moyens juridiques dont nous disposons pour lutter contre le dopage et la persistance des interrogations, voire des inquiétudes, s’agissant des moyens financiers.

Dans le domaine juridique, la version du code mondial antidopage adopté en novembre 2013 à la conférence de Johannesburg a été transposée de manière très complète. Le Parlement, à l’unanimité, a adopté la loi d’habilitation du 30 décembre 2014. Un travail très approfondi entre le ministère et l’AFLD, avec un droit de regard très aigu de l’AMA, a débouché sur l’ordonnance du 30 septembre 2015. Celle-ci vient d’être complétée par deux décrets datant du 29 janvier 2016, l’un portant diverses dispositions en matière de lutte contre le dopage, l’autre visant les sanctions disciplinaires et dictant le règlement type que les fédérations vont devoir retranscrire dans un délai de six mois. Cela nous dote de moyens supplémentaires, parmi lesquels il faut distinguer entre ceux qui sont immédiatement opérationnels et ceux dont l’efficacité sera à vérifier au vu de la pratique.

Est immédiatement opérationnelle ce que l’on appelle « l’aide substantielle ». Elle consiste à permettre aux organes disciplinaires d’assortir une sanction pour méconnaissance de la législation antidopage d’un sursis à exécution partielle si l’intéressé donne des informations permettant de lutter contre le dopage. C’est une forme de dénonciation, mais très encadrée. Craignant des dérapages, l’Agence souhaitait en avoir le monopole. Le ministère, à juste titre, a dit qu’il fallait qu’il y ait tout de même une certaine identité des pouvoirs entre les fédérations, en première ligne, et l’Agence. Nous pourrons toujours évoquer des dossiers qui nous paraîtront être traités dans des conditions incertaines. Ce nouvel instrument est opérationnel dans la mesure où, permettant d’alléger les sanctions, des sportifs s’en sont d’ores et déjà réclamés devant des instances disciplinaires. Il peut être intéressant, même s’il faut le manier avec beaucoup de prudence. Je me souviens des remarques qu’avait faites Mme Buffet lors de la discussion du projet de loi.

Un autre élément assez porteur est le renforcement des quantums de sanctions, dès lors qu’il est assorti d’une clause de sauvegarde, inspirée de ce que suggérait le Conseil constitutionnel dans une décision d’août 2007 relative aux peines planchers. On peut sanctionner de manière plus sévère des tricheurs volontaires, mais sans faire preuve d’un automatisme aveugle. Une clause permet donc, par une décision spécialement motivée, de nous évader éventuellement d’un barème trop strict.

Deux dispositifs nous semblent plus difficiles à mettre en œuvre, et donc d’une efficacité qui reste à démontrer. Le premier est improprement appelé « l’association interdite ». Il vise l’interdiction, pour un sportif, d’avoir recours, pour son activité de sportif, au concours d’un tiers qui a fait l’objet précédemment d’une condamnation pour des faits de dopage, au pénal, au plan disciplinaire ou même dans le cadre de la discipline professionnelle ordinale. Ce dispositif est très moral, si l’on pense au Dr Ferrari ou à un quelconque docteur Mabuse, mais il peut néanmoins être difficile d’application, même si l’AMA va mettre à notre disposition des moyens d’information.

Un autre dispositif difficile à mettre en œuvre est celui des contrôles antidopage de nuit pour lutter contre la prise de minidoses de produits dopants. Un point d’équilibre a été trouvé : le sportif peut y consentir par avance, dans des conditions libres et éclairées ; en l’absence de consentement, on peut avoir recours à l’intervention du juge des libertés et de la détention pour des contrôles entre 23 heures et 6 heures. Cela risque d’être d’un maniement délicat, mais peut aussi être dissuasif. Nous verrons à l’usage.

Je conclurai sur le problème qui me reste : au regard de ces moyens juridiques, notre situation est toujours plus difficile sur le plan financier. Nous avons un budget de l’ordre de 9 millions d’euros, qui est alimenté pour les neuf dixièmes par une subvention budgétaire. Or, ces trois dernières années, cette subvention a été réduite dans la loi de finances et affectée, dans les faits, par des mesures de surgel et de mise en réserve qui n’ont pas été levées en cours d’année.

Nous avons pu maintenir notre activité en utilisant notre fonds de roulement. Je l’ai fait d’autant plus volontiers que j’avais vu d’autres dispositions de la loi de finances « vampiriser » le fonds de roulement des chambres de commerce et d’industrie. Mieux valait que le nôtre profite à la lutte contre le dopage. Mais j’en suis arrivé à un point où, pour la préparation du budget de 2017, je vais devoir trouver des financements complémentaires. J’ai pris mon bâton de pèlerin pour aller frapper aux portes de la direction des sports et du cabinet du Premier ministre, où l’on se montre très ouvert dans la mesure où l’on veut montrer que notre pays, qui est candidat à l’organisation des Jeux olympiques et qui va organiser l’Euro de football en 2016, prend au sérieux la lutte contre le dopage, y compris au plan budgétaire. J’espère, dans ce combat, pouvoir compter sur les parlementaires. Jusqu’ici, et c’est heureux, la lutte contre le dopage dépasse les clivages politiques. C’est, pour le président de l’AFLD, un facteur de réconfort – je ne dirai pas un stimulant, puisque cela fait partie des substances interdites par la législation !

M. Bernard Amselem, président de la Fédération française d’athlétisme (FFA). Commençant mon intervention par l’affaire russe, je dirai qu’elle est absolument désastreuse pour l’image de l’athlétisme mondial et de sa fédération. La Fédération mondiale d’athlétisme, au conseil d’administration de laquelle je siège, a pourtant été précurseure en matière de lutte contre le dopage. Elle fut à l’origine de la création de l’AMA et du passeport biologique. Aujourd’hui, au plan international, quatre fédérations seulement ont mis en place ce passeport biologique, et celle de l’athlétisme fut la première. Et voilà que, par la médiocrité des hommes, une fédération exemplaire se retrouve dans une situation catastrophique.

Pendant un an, l’AMA a enquêté sur des suspicions de corruption et de dopage, à partir de témoignages à la télévision allemande d’athlètes russes qui avaient fui la Russie. Elle a découvert que le système russe était celui que l’on avait connu dans les années 1980 en RDA et en Union soviétique : étatique, très contrôlé. Le rapport mentionne explicitement que les agents du KGB intervenaient pour détruire des preuves, cacher des faits de dopage. On pensait pourtant que la situation avait évolué. La connaissance de certaines pratiques dans des centres d’entraînement en Russie, en particulier à Saransk, laissait bien planer des suspicions sur quelques disciplines, comme les lancers ou la marche, mais on ne pensait pas que le système était généralisé.

La Russie a été suspendue, pour l’instant à titre provisoire. Il sera décidé de prolonger ou non cette suspension lors d’un conseil d’administration qui aura lieu début mars, et la question se pose de savoir si les Russes iront ou pas aux Jeux de Rio. À titre personnel, je souhaite que l’on aille jusqu’au bout. L’athlétisme souffre tellement de cette mauvaise image que la Fédération mondiale doit reprendre la situation en main de manière exemplaire. Du reste, la Russie n’est pas seule concernée. Un deuxième rapport évoque, sans trop de précisions, d’autres pays où de nouvelles enquêtes se justifieraient.

J’ajoute que l’on peut imaginer que tous les sports russes ont « bénéficié » du même traitement. Je m’étonne donc que l’AMA n’ait pas cherché au-delà de l’athlétisme. J’observe, d’ailleurs, que l’on pointe depuis toujours les mêmes sports, que ce soit au plan national ou international : le cyclisme et l’athlétisme. C’est assez agaçant pour leurs dirigeants, qui font des efforts considérables et qui aimeraient bien que la lutte contre le dopage s’exerce dans tous les sports. D’après les statistiques 2014 de l’AFLD, 30 % des contrôles effectués en France concernent le cyclisme et l’athlétisme. Au regard du nombre de licenciés des fédérations, il y a des différences notables de traitement. La première fédération française, avec 2 millions de licenciés – les fédérations d’athlétisme et de cyclisme en comptant, pour leur part, 500 000 chacune – n’a eu que 778 contrôles en 2014, soit à peine un contrôle par joueur professionnel. Or, dans ce sport, il n’y a pas que des joueurs professionnels. Ce n’est pas très sérieux, monsieur le président. Je suis conscient qu’il y a un problème de moyens, mais je vous donnerai quelques solutions pour en trouver.

L’affaire russe mobilise beaucoup d’énergie à la Fédération mondiale. Le président Sebastian Coe, qui a été élu au mois d’août, est en train de procéder à des réformes fondamentales. D’abord, un audit de la Fédération et de ses services est lancé, ainsi qu’un audit de tous les membres des commissions, en particulier sur leur intégrité – du ménage va être fait. Ensuite, à côté de la Fédération, une structure disposant d’une certaine autonomie va être créée, qui ne sera chargée que des problèmes d’intégrité – dopage, malversations, manque de transparence financière, problèmes de gouvernance, et autres. Je suis chargé, auprès de Sebastian Coe, de suivre ce dossier. Tout cela devrait être mis en place au cours de l’année 2016. Mais il faudra beaucoup de temps pour redorer l’image de notre sport : plusieurs années, voire une génération, tant les dégâts sont importants.

Sur le plan national, les réglementations internationales ont été transposées au niveau français. Vous avez oublié, monsieur le président de l’AFLD, parmi les nombreux éléments intéressants que vous avez cités, le rapport de la Cour des comptes du 11 février 2015 dont certaines préconisations, que je partage totalement, permettraient sans doute d’améliorer encore l’efficacité de l’Agence, en particulier sur l’organisation des contrôles en France.

L’une de ces préconisations est le rattachement des conseillers interrégionaux antidopage, aujourd’hui placés sous l’autorité du directeur régional de la jeunesse et des sports, à l’AFLD. Je le vois sur le terrain, et encore dimanche dernier sur un cross : les contrôles ne sont pas ciblés ; ils sont réalisés de façon aléatoire, ce qui revient très cher alors que vous déplorez l’insuffisance de vos moyens financiers. Le rattachement de tous les délégués interrégionaux, outre qu’il permettrait d’améliorer l’efficacité de la lutte contre le dopage au plan national, irait dans le sens d’une autre suggestion de la Cour des comptes, qui est de cibler les stratégies pour limiter les coûts et gagner en efficacité.

Une préconisation me tient particulièrement à cœur : l’implication des fédérations en matière de prévention. Très peu de fédérations engagent des procédures de prévention auprès des jeunes sportifs. Cette action ne figure même pas dans les priorités des conventions d’objectifs que nous signons chaque année avec le ministère des sports ou n’est que vaguement évoquée. Elle ne fait l’objet ni d’aide ni d’accompagnement financier. Au passage, j’observe que la convention d’objectifs porte essentiellement sur le haut niveau, la performance, et peu sur l’aspect sociétal du sport, les activités d’animation du territoire, les activités favorisant le vivre-ensemble, qui sont pourtant d’actualité. J’aimerais donc que les conventions d’objectifs évoluent en ce sens.

Que les politiques de prévention impliquent davantage les fédérations relève de votre autorité, monsieur le président. Peu de fédérations s’y intéressent. En athlétisme, nous faisons de la prévention depuis une dizaine d’années en organisant des colloques, des interventions d’athlètes repentis, qui expliquent comment ils en sont arrivés à cette dérive, bien souvent parce qu’ils étaient fragiles, seuls. Tous les athlètes ne sont pas encadrés par des mafias, ce sont souvent des démarches individuelles, en tout cas en France. Ces témoignages auprès de jeunes sportifs, dans des centres de formation, sont très efficaces.

En matière de prévention, il y a un effort considérable à faire si l’on veut vraiment faire prendre conscience que le dopage est un problème, le numéro un du sport français. C’est encore un sujet tabou, sur lequel on échange peu. Les fédérations n’en parlent qu’à partir du moment où elles y sont confrontées, alors qu’il faudrait, au contraire, le faire à l’occasion des différentes actions qu’elles mènent.

Faute de temps, je ne m’attarderai pas sur les autres préconisations de la Cour des comptes, pour en venir aux propositions que j’avais faites lors de notre audition au Sénat, mais qui n’ont pas été intégrées à son rapport.

La première concerne le secret médical des médecins attachés aux clubs professionnels, qui doit pouvoir être levé, car ils sont dans un lien de subordination avec la structure qui les emploie. Parfois, le médecin voit des choses. Il est autorisé à en parler à un autre médecin ou à le dire au président de la fédération, puis l’affaire est prise en main par une autre personne. Je ne dis pas que les médecins entretiennent ce genre de pratiques. Je dis simplement qu’ils sont les mieux placés pour voir et qu’ils ne peuvent en parler qu’à une personne qui n’est pas susceptible de prendre une décision efficace. Cet aspect du code de déontologie des médecins est un sujet sur lequel il y a quelque chose à faire si l’on veut lutter efficacement contre le dopage.

Ma deuxième proposition – mais je pense que l’ordonnance en a tenu compte – concerne le suivi médical réglementaire des sportifs, qui a toujours été considéré comme un moyen de contrôler la santé des athlètes, mais qui, pour nous, constitue aussi un moyen de lutte contre le dopage. Il s’agit de contrôles qui se font, selon les disciplines, entre trois et six fois par an, avec une analyse des paramètres par des médecins extérieurs à la fédération. Cela permet de déceler une pathologie, mais parfois aussi une suspicion de dopage. C’est donc un vrai outil de prévention et de lutte contre le dopage. J’aimerais qu’il soit utilisé comme tel, et non pas, d’une manière un peu hypocrite, seulement comme un moyen du suivi de la santé des athlètes.

Ma troisième proposition concerne l’externalisation des sanctions, dont je suis partisan. Je pense qu’il ne faut pas laisser aux fédérations, qu’elles soient nationales ou internationales, la responsabilité de la sanction, car cela les met en position d’être juge et partie. Voyez ce qui s’est passé chez nous : c’est le directeur du service de la lutte anti-dopage, le docteur Dollé, qui a, semble-t-il, collaboré à cacher les résultats positifs en échange d’argent. Je peux le dire puisqu’il a été mis en examen par le juge van Ruymbeke et que nous nous sommes portés partie civile ; c’est moi qui représente la fédération internationale auprès du juge.

Je vois plusieurs avantages à l’externalisation. L’un est d’éviter ce qui s’est passé à la Fédération internationale. Un autre est d’assurer une égalité de traitement pour tous les sports, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Permettez-moi d’illustrer mes propos par un exemple non pas de dopage, mais de no-show. Quand les athlètes sont ciblés sur une liste, ils doivent indiquer où ils sont pour qu’il soit possible de les contrôler. S’ils ne sont pas présents à l’endroit où ils étaient censés être, ils reçoivent un avertissement pour no-show. Au bout de trois no-show, ils encourent une suspension, qui est en France d’un an à deux ans. Mais alors qu’en athlétisme, la suspension est d’un an minimum, dans d’autres sports elle est de trois mois. Telle est la décision qui a été prise, il y a un an et demi, contre un joueur de rugby international, dont je tairai le nom, et qui n’a pas été requalifiée par l’AFLD. Pourquoi cette inégalité de traitement, alors que la loi est la même pour tout le monde ? Avec l’externalisation des sanctions, je pense que la loi sera appliquée partout de la même manière.

Enfin, en France comme dans beaucoup d’autres pays, le nombre des contentieux liés au sport – dopage, paris truqués, transferts de joueurs de football professionnels, dont la Commission européenne a montré qu’ils permettaient de blanchir l’argent sale de la mafia – justifierait une instance spécialisée. Ce ne serait pas forcément l’AFLD qui a beaucoup de travail et n’a sans doute pas le budget pour cela. Comme il y a des conseils de prud’hommes spécialisés dans les contentieux du travail, il pourrait y avoir une juridiction spécialisée dans toutes les problématiques du sport, qui défendrait les valeurs du sport.

Dans certaines affaires, nous sommes très fragilisés par des différences entre la loi française et la loi internationale qui, pour des avocats un peu malins, constituent des failles à exploiter. Ainsi, il y a quatre ou cinq ans, nous avons perdu devant le tribunal civil contre un marathonien qui avait été contrôlé positif, pour des raisons de procédure. Nous avons eu gain de cause en appel, mais cela entraîne des dépenses supplémentaires pour une fédération. Nous sommes allés plusieurs fois jusqu’au Conseil d’État, voire devant la juridiction européenne. Aujourd’hui, dans notre fédération, les questions de dopage occupent deux personnes à plein temps toute l’année, plus trois avocats spécialisés selon les niveaux de procédure. Ce sont des budgets importants qu’il serait plus judicieux de consacrer au développement du sport.

Pour ce qui est des sanctions, je propose de fixer la première à quatre ans de suspension ; en cas de récidive, la suspension est à vie. Qui a été sanctionné une fois pour avoir triché et triche une deuxième fois n’a plus sa place dans le sport. Il faut aller plus loin dans les sanctions. C’est nécessaire si l’on veut se débarrasser de cette gangrène du sport.

Enfin, il faut infliger des amendes financières. En France, quel que soit le délit, celui qui triche doit payer une amende. Pourquoi serait-ce différent en cas de dopage ? Cela procurerait à l’AFLD des moyens financiers. Mais surtout, cela permettrait de dédommager les athlètes propres qui, il y a dix ans – puisqu’on peut remonter jusque-là – ont été brimés parce que des athlètes qui ont triché se sont retrouvés devant eux sur des podiums.

Dr Emmanuel Ohrant, responsable médical à l’Olympique Lyonnais. L’Association des médecins de clubs de foot professionnel, dont je suis le président, est le relais entre les médecins de clubs et les instances nationales que sont la Fédération nationale de football et la Ligue de football professionnel, via la Commission médicale fédérale. Notre rôle est d’assurer le suivi médical du joueur de football professionnel, prévu par le code de la santé publique. Le ministère des sports l’a complété par le décret n° 2004-120 du 6 février 2004 sur la promotion des activités physiques et sportives et sur le suivi du sportif de haut niveau. Cette surveillance médicale a été reprise et intégrée au règlement de la Ligue de football professionnel, à l’article 116.

Les clubs de ligue 1 et de ligue 2 sont tenus d’assurer le suivi médical des joueurs professionnels, tant sur le plan biologique et cardiologique, que traumatologique. Des protocoles sont définis par l’Association des médecins de clubs en lien avec les groupes d’experts de la commission médicale fédérale. En cas de non application de ce suivi, des sanctions sont prévues par ce même règlement.

La Ligue de football professionnel prend en charge la remontée et le traitement des informations de façon anonyme. Ces données sont utilisées au niveau national pour dresser un bilan du suivi médical de haut niveau. L’Association des médecins de clubs de foot professionnel utilise ces résultats et met en place des études épidémiologiques permettant d’avoir un profil physiologique, biologique et cardiologique des footballeurs professionnels.

Nous nous assurons du consentement éclairé du sportif pour ce suivi et l’utilisation à des fins scientifiques des données. Depuis 2010, ces dernières sont analysées par le médecin fédéral national, le professeur Pierre Rochecongar. Devant toute anomalie, il est demandé un avis aux experts de la commission médicale nationale : le professeur Le Bouc pour l’endocrinologie, le professeur Audrain pour l’hématologie et le professeur Aliot pour la cardiologie. Ces résultats sont alors présentés par le médecin fédéral national à la Ligue de football professionnel et à la Fédération française de football. Le médecin de club dispose ainsi des données épidémiologiques concernant chaque joueur dont il a la responsabilité. Ces validations à différents étages permettent de s’assurer de l’intégrité physiologique du sportif.

L’Association des médecins de clubs de foot professionnel est garante, auprès de la Ligue de football professionnel, du respect du suivi médical, mais elle assure également une formation médicale continue, tout au long de l’année, lors des rassemblements. Ce fort investissement de tous les médecins nous permet de garder un niveau de qualité dans le domaine de la prévention et du traitement. Notre présence quotidienne auprès du sportif, notre formation obligatoire incluant les aspects médico-légaux, et notre indépendance totale sont un gage de sécurité. Nous savons tous que la prévention est la première arme légale contre le dopage.

Depuis 2004, l’Agence mondiale antidopage, en vertu du code mondial antidopage, a harmonisé les règles, le règlement et la politique antidopage dans le monde entier. L’AMA publie la liste des interdictions au 1er janvier de chaque année.

Dans le football, il existe une complète harmonie. L’UEFA (l’Union des associations européennes de football), la Fédération française de football et la Ligue de football professionnel reprennent intégralement ce code antidopage. Dans le football français, la lutte contre le dopage s’effectue à plusieurs niveaux. Outre par l’AFLD, les clubs inscrits dans les compétitions européennes sont contrôlés par l’UEFA, lors des compétitions, mais aussi à l’entraînement hors compétition. En 2014, l’AFLD a réalisé 778 contrôles urinaires dans le football, soit 9 % de tous les contrôles. Il s’agit du quatrième sport le plus contrôlé après le cyclisme, l’athlétisme et le rugby. Aucun footballeur n’a été détecté positif sur le territoire français durant une compétition nationale.

Les médecins de clubs jouent un rôle de prévention et d’information vis-à-vis du dopage. Il est essentiel que le joueur soit averti qu’il est de sa responsabilité de s’assurer qu’aucune substance interdite ne pénètre dans son organisme. Nous avons organisé, dans le football professionnel, un double contrôle des données biologiques de chaque joueur : un suivi local par le médecin de club et un suivi national lors des remontées anonymes. Dans ce cadre, le médecin fédéral national transmet au médecin de club les anomalies détectées. Le médecin de club a alors un rôle essentiel : il doit s’assurer que les résultats sont compatibles avec la pratique de l’activité physique, mais il doit aussi éliminer toute suspicion de dopage.

Enfin, si l’article L. 1110-4 du code de la santé publique protège le secret médical pour tout individu, il existe une dérogation dans le cadre de la lutte anti-dopage, et la loi n° 99-223 du 23 mars 1999 relative à la protection de la santé des sportifs et à la lutte contre le dopage fait obligation au médecin de déclarer le dopage d’un sportif.

En conclusion, au sein du football professionnel français, chaque joueur a la garantie que tout est mis en œuvre pour lui permettre l’exercice de son métier avec le maximum de sécurité physique et mentale, et selon les règles de l’Agence mondiale antidopage.

Mme Brigitte Bourguignon. Messieurs, vos interventions nous rappellent que la lutte contre le dopage est un combat incessant et complexe. Le « toujours plus haut, toujours plus fort » a ses revers. Trop d’affaires révélées a posteriori détruisent l’image du sport. Les médailles retirées nous font douter de la sincérité des résultats et gâchent la fête. Trop de jeunes champions en devenir sont tentés et ont accès trop facilement, trop rapidement à des produits parfois sophistiqués. Sans doute sont-ils insuffisamment informés des risques de ces substances pour leur santé, et les dégâts physiques en sortie de carrière sont tout aussi insuffisamment dénoncés.

Si le cyclisme et l’athlétisme sont particulièrement ciblés, voire stigmatisés, certaines disciplines semblent encore « épargnées » par la lutte antidopage. Doit-on en déduire qu’elles sont exemptes de comportements illicites ou que leurs dérives sont moins médiatisées ? Pourtant, en France, et dans ce concert mondial aux fausses notes régulières, nous n’avons pas à rougir de notre politique de lutte contre le dopage. Depuis toujours, la France a eu un rôle moteur, volontariste, dont nous pouvons être fiers. Ainsi, le 30 septembre dernier, notre pays a approuvé une ordonnance prise sur le fondement de la loi du 30 décembre 2014, afin d’assurer dans notre droit interne le respect des principes du code mondial antidopage. Cette ordonnance renforce l’efficacité des contrôles antidopage et, par là même, le rôle et les prérogatives disciplinaires de l’AFLD. Plus récemment, le Gouvernement a élaboré un plan national de prévention du dopage et des conduites dopantes pour la période 2015-2017, avec des objectifs précis, destinés à répondre de manière plus ambitieuse aux enjeux de la lutte contre le dopage. Parmi les actions en direction du sport de haut niveau, l’État a l’intention, en 2016, de mettre en place des formations spécifiques pour mobiliser les professionnels qui accompagnent les sportifs aux actions de prévention du dopage, et de publier un guide des bonnes pratiques destiné aux acteurs souhaitant construire des actions de prévention.

L’ordonnance dont nous a parlé M. Genevois se traduit-elle par une amélioration de la lutte antidopage ? Les contrôles de nuit, contraignants, intrusifs, recueillent-ils l’adhésion des sportifs ciblés ? Ces derniers parviennent-ils à les contourner ?

Au sein de la fédération française d’athlétisme, comment se traduit le combat contre le dopage ? Quel en est le plan ?

Docteur Ohrant, ne pensez-vous pas que l’on parle davantage du répressif, de la détection, que de la sensibilisation, de l’information et de la prévention ? J’entendais aussi vous interroger, mais ce point a été évoqué, sur la possibilité de lever le secret médical qui limite probablement la lutte antidopage.

En ce qui concerne l’AFLD, j’aimerais avoir le sentiment de M. Genevois sur le passeport biologique créé en 2007, et présenté à l’époque comme l’arme absolue. C’est un outil de ciblage, de dissuasion, de détection indirecte du dopage, puisque, dans son volet hématologique, il permet de déceler les variations sanguines anormales. On note que le comportement d’un grand nombre de sportifs a changé depuis sa mise en place. Néanmoins, on en voit les limites. Certaines méthodes de contournement sont connues. Quelles améliorations apporter ? Quelles sont les techniques de pointe en cours ?

Un sénateur avait proposé, dans un rapport en 2013, la pénalisation de la détention de produits dopants pour les personnes non ciblées, comme cela existe déjà dans d’autres pays européens. Il avait également suggéré d’encourager l’harmonisation de la lutte contre le trafic de produits dopants. Qu’en pensez-vous ?

Mme Sophie Dion. La France a toujours été exemplaire en matière de lutte contre le dopage. C’est particulièrement important à l’heure où elle est candidate aux Jeux olympiques et va organiser de grandes manifestations sportives sur son territoire – le respect de la législation antidopage fait d’ailleurs partie du cahier des charges. Reste que la situation est assez complexe et que la répartition des pouvoirs entre le monde sportif et l’AFLD n’est pas aussi simple que cela : l’AMA édicte les normes, l’AFDL les transpose et les fédérations essayent d’appliquer les règles.

La question de la prévention est essentielle. Tout le monde comprend bien qu’il vaut mieux prévenir plutôt que sanctionner. Mais je relève qu’il est sans doute plus compliqué de faire de la prévention dans les sports individuels, comme l’athlétisme et le cyclisme. Les sportifs isolés sont plus exposés à des conduites déviantes. Dans la mesure du possible, il faudrait faire en sorte de rassembler les sportifs en un lieu unique, pour éviter ces conduites déviantes et des problèmes avec leur entraîneur.

Monsieur le président Amsalem, j’ai compris que vous souhaitiez la mise en place d’une juridiction spécialisée dans le sport, qui serait une juridiction de première instance. Mais comment l’organiser ? J’aimerais savoir ce que vous proposez.

Monsieur le président Genevois, que pouvez-vous nous dire sur la répartition des pouvoirs entre les fédérations et l’Agence, et le renforcement de leur collaboration en matière de contrôles, d’une part, et sur le régime juridique du dispositif faisant appel à la dénonciation, dont je comprends le principe, même si, moralement, je le trouve un peu choquant, d’autre part ?

S’agissant des contrôles antidopage de nuit, entre 23 heures et 6 heures, je les considère comme attentatoires aux droits et libertés de la personne. Les sportifs sont des personnes comme les autres ; ils doivent se voir garantir les droits les plus élémentaires. J’aimerais savoir si les décrets ont précisé les choses et ce que vous en attendez.

Mme Isabelle Attard. L’année 2015 a été marquée par le scandale de l’athlétisme russe, extrêmement choquant par l’étendue de la corruption, et dont les dégâts ont été constatés bien au-delà des limites de la Russie et même du sport, jusqu’au financement des campagnes politiques au Sénégal, par exemple. Mais si ces révélations concernaient l’athlétisme, nous savons bien que le dopage existe dans tous les sports.

Nous parlons ici du sport professionnel, mais le rapport des sénateurs pointait aussi le sport amateur. Si la « bulle » du dopage éclate dans le sport professionnel, c’est parce qu’elle prend naissance dans le sport amateur. Même des cyclistes de moins de quinze ans prennent des produits dopants !

Cela étant, avez-vous l’impression que la situation ait évolué de façon positive au cours des années ? Personnellement, ce n’est pas ce que je ressens. Je me dis que nous devrions peut-être réfléchir à l’organisation de notre lutte antidopage. Sans doute ne nous y prenons-nous pas de la bonne façon. Ayant été dans le sport de haut niveau, je me dis que l’entraînement en altitude pourrait très bien s’apparenter à une forme de dopage. Au fond, quelle différence y a-t-il entre s’entraîner à 1 800 mètres d’altitude et pratiquer des autotransfusions ? La différence est dans la quantité, dans les normes, pas dans le principe.

Finalement, comme en matière de drogue, nous sommes en train de parler de punir les junkies en laissant en liberté leurs dealers, fournisseurs et financiers. Finalement, ceux que nous sommes censés protéger, les sportifs, sont ceux qui sont punis en première ligne, et j’ai l’impression que l’on tourne en rond. Se doper, pour les sportifs aujourd’hui, ce n’est pas une manière de gagner, c’est avant tout une manière de ne pas perdre. Dans le sport de haut niveau, il n’est pas rare que l’athlète craigne de se retrouver à la rue du jour au lendemain si ses performances ne sont plus « au top ». Le dopage est donc extrêmement tentant, voire indispensable. Il est difficile de reprocher à un sportif de se doper, sachant les pressions qui sont exercées au sein des équipes, des clubs et des fédérations elles-mêmes. Les scandales qui ont éclaté le prouvent.

Je reprendrai les propos de Lionel Dricot qui a réfléchi, selon moi de manière intelligente, à la question : « le fait de mentir et d’être hypocrite me choque plus. J’aurais le plus grand respect pour un sportif qui avouerait et expliquerait en détail le " système " sans y être acculé par un juge. » Je pense, en effet, qu’on ne met pas suffisamment l’accent sur l’impact que peuvent avoir sur les jeunes et sur les sportifs en général les témoignages de ceux qui reconnaissent s’être dopés et qui dénoncent le système.

Les sanctions devraient être dirigées vers les médecins qui aident ou encouragent un patient à prendre des produits potentiellement nocifs pour sa santé, et pas seulement dans le monde du sport. Ils devraient être radiés de l’ordre des médecins, jugés comme des trafiquants de drogue, et les sponsors et les financiers qui sont au courant de ces pratiques et qui laissent faire devraient être condamnés de la même manière.

Je reste persuadée qu’il est injuste et contreproductif de s’attaquer aux sportifs. J’aimerais avoir votre sentiment. Nous devons protéger tout le monde contre toute substance dangereuse. L’émission de télévision Cash Investigation sur les pesticides a récemment montré que pour protéger les victimes, il faut s’attaquer à ceux qui font les produits et à ceux qui financent le système au plus haut niveau.

M. Laurent Degallaix. La France est l’un des pays les plus engagés dans la lutte contre le dopage. Pour autant, les dernières révélations sur le dopage en athlétisme, mais également dans d’autres disciplines sur lesquelles les projecteurs ne sont sans doute pas suffisamment dirigés, nous ont rappelé que ce combat ne peut s’inscrire que dans un cadre international.

Les pouvoirs publics ne doivent pas être en retrait devant cet enjeu sanitaire et sportif majeur. Car si le dopage est un désastre en termes de santé publique, il est également un fléau moral puisqu’il s’attaque aux valeurs du sport que sont l’effort et le dépassement de soi. Après les mises en cause de la Russie et de ses athlètes par l’Agence mondiale antidopage, la crédibilité de toutes les compétitions ayant eu lieu ces dernières années en Russie apparaît largement écornée. Je comprends que vous déploriez un effet désastreux en termes d’image.

Pourriez-vous, monsieur Genevois, nous donner des indications sur l’état de ce dossier et nous préciser si des mesures spécifiques ont été prises en France depuis la révélation de ce scandale, telles l’accroissement des contrôles antidopage ou un meilleur ciblage ? On sait que les méthodes, les techniques de dopage évoluent ; les moyens de contrôle évoluent-ils de la même manière ?

En 2014, notre arsenal législatif et réglementaire a été renforcé. Le dopage dépassant les clivages politiques, le groupe UDI avait soutenu les avancées introduites par le nouveau code mondial antidopage. Je pense plus particulièrement aux dispositions permettant de favoriser le renseignement et le partage d’informations. Où en est donc la collaboration entre les différentes agences au niveau international ?

Enfin, même si ce n’est pas vraiment le sujet de notre table ronde de ce matin, je voudrais appeler votre attention sur les risques que le dopage fait courir à la pratique du sport amateur ou semi-professionnel. Les produits sont souvent les mêmes que chez les professionnels, mais ils sont utilisés de manière anarchique et non réglementée, de surcroît en quantité souvent impressionnante, car il est facile de se procurer ces produits sur internet, auprès de certains pharmaciens ou responsables de salles de sport. Des mesures particulières ont-elles été prises, en matière de prévention ou de communication, de la part des fédérations afin de lutter contre ces pratiques ?

Mme Gilda Hobert. L’Euro 2016 et les Jeux olympiques de Rio, qui font espérer des moments éblouissants de partage, de joie et de déception, voient planer sur eux l’ombre du dopage et le doute qui l’accompagne. Et ce ne sont pas les fâcheuses affaires qui ont éclaté, au plan international, dans des sports aussi populaires que le cyclisme ou aussi prestigieux que l’athlétisme, qui vont gommer certaines interrogations. De notre échange avec vous, messieurs, nous attendons la dissipation de certains malentendus et l’espoir de temps de fair play et de conduites irréprochables à venir.

On sait les efforts et l’abnégation au quotidien que requiert la pratique d’un sport de haut niveau ou d’un sport professionnel. On sait que la pression s’exerce tant individuellement sur le sportif qui cherche avant tout à exceller dans sa discipline, que collectivement, notamment dans les affaires de dopage à grande échelle, dont l’athlète ne représente qu’un maillon. Et comme cela a été dit, la lutte contre le dopage a un cadre mondial, car elle est universelle.

L’AFLD répond à des contraintes fixées par ordonnance en matière de prévention, de contrôles ciblés et de sanctions, ce qui fait de la France un pays moteur en matière de lutte contre le dopage. L’Agence doit aussi investir dans la recherche scientifique, alors même que les subventions versées par l’État ont baissé depuis plusieurs années. Cette situation, si elle impacte vos marges de manœuvre, ne semble pas affecter votre détermination, monsieur le président Genevois.

La lutte contre le dopage est complexe et répond à des problématiques transversales. J’aimerais savoir lequel de ces aspects vous paraît primordial : la concurrence inter-entreprises ou inter-clubs professionnels, qui fausse la donne et peut impacter fortement les engagements financiers – la raison économique ? La manipulation du public par l’image renvoyée par un club, un sponsor ou un athlète – la raison éthique ? L’incontournable problème de santé des sportifs – la raison sanitaire et humaine ? Cette dernière me paraît tout à fait importante ; des accidents vasculaires cérébraux dus à la prise d’EPO aux troubles du foie et aux cancers imputables aux agents anabolisants, des séquelles graves touchent tous les sports.

Néanmoins, le dernier rapport de l’AFLD met en exergue quelques disparités et une répartition inégale de résultats d’analyses anormaux selon les sports : 23 % pour le cyclisme, 12 % pour l’athlétisme. Ce sont des chiffres très élevés qui font souvent la une des médias. Vous avez signalé, monsieur Amsalem, ce qui vous paraît une injustice de traitement. Y aurait-il donc inégalité dans l’observation du dopage selon les fédérations, selon les sports ? On sait que le dopage est pratiqué durant les compétitions, les entraînements et les stages, d’où la multiplication des contrôles dit inopinés. Pour autant, je suis d’accord pour dire que les contrôles nocturnes sont discutables.

En tant que lyonnaise, je suis attachée à la bonne image de l’Olympique Lyonnais et de ses joueurs. En déclarant qu’aucun cas avéré de dopage n’avait été déploré, vous avez, docteur Ohrant, répondu par avance à l’une de mes questions. Vous avez également parlé de l’importance de la prévention. Comment ne pas y souscrire ? Plus généralement, pensez-vous que les résultats obtenus dans la lutte contre le dopage sont à la hauteur des dépenses engagées et des efforts consentis par tous les acteurs du monde du sport professionnel ? À la suite des affaires de corruption et de fraude qui ont également touché l’encadrement d’équipes sportives, que proposeriez-vous pour permettre à tous de travailler de concert et avec plus d’efficacité ?

La France s’apprête à accueillir l’Euro 2016, dans le cadre duquel six matches, dont une demi-finale, se dérouleront dans le Parc Olympique Lyonnais. Elle enverra ainsi un signal fort aux jeunes qui désirent devenir des sportifs de haut niveau ainsi qu’à tous ceux pour qui le sport reste un vecteur du vivre-ensemble. Mais la lutte anti-dopage est, elle aussi, un moyen de tendre vers le sport que nous aimons et que nous entendons soutenir.

Marie-George Buffet. Je conteste l’idée que rien n’aurait bougé en matière de lutte contre le dopage. Au cours de la dernière décennie, nous avons su passer d’une période de banalisation du dopage à la prise de conscience, par le mouvement sportif et les autorités publiques, de la nécessité de lutter contre ce fléau. Ce n’est pas rien. Lors du Tour de France de 1998, tout le monde riait lorsque la voiture Festina a été arrêtée ; aujourd’hui, la lutte contre le dopage est une préoccupation permanente, qu’on observe dans tous les sports et qui a pris un caractère universel avec la création de l’Agence mondiale antidopage. On a tout de même marqué des points !

Bien sûr, le combat est permanent, car les causes profondes du dopage demeurent 
– enjeux financiers, calendriers sportifs, place de l’exploit sportif dans la société, enjeux politiques ou géopolitiques des résultats sportifs. De grands clubs sont achetés par certains fonds d’État, et les grands événements sportifs constituent le moyen d’assurer un gouvernement ou un régime. Malgré tout, un élément nouveau a permis à la lutte contre le dopage de progresser : le partage des missions entre les États et le mouvement sportif national et international. On oublie vite, mais avant la création de structures indépendantes, c’était le politique qui était en première ligne, c’était le ministre qui devait décider des sanctions face à l’opinion publique. La création de ces structures indépendantes est un acquis qu’il faut préserver, et nous devons entendre ce qu’a dit le président de l’AFLD sur ses difficultés financières. Si l’on veut élargir le nombre de contrôles et faire en sorte que l’ensemble des disciplines soit contrôlé de façon réelle, il faut y mettre les moyens, surtout si l’on décide de rattacher les contrôleurs interrégionaux à l’Agence.

Pour l’instant, les sanctions sont prononcées dans le cadre sportif. Faut-il s’inspirer de la méthode américaine, aller jusqu’à une judiciarisation complète de la lutte contre le dopage ? Pour ma part, je suis très réservée, bien que je me demande si ce n’est pas là le moyen d’obtenir des résultats. Selon moi, il faut conserver des liens avec le mouvement sportif, peut-être à travers des tribunaux spécialisés. Le président de l’AFLD a certainement une opinion à ce sujet.

J’ai été surprise d’entendre le président Amsalem déplorer l’absence de pression sur la prévention de la part des fédérations sportives. Peut-être faudrait-il demander au ministère de revoir les moyens alloués dans les conventions d’objectifs signées avec les fédérations. S’agissant du combat que la Fédération française d’athlétisme mène, depuis quelques années déjà, contre le dopage, comment pourrait-il être renforcé ?

Pour finir, je suis très heureuse de la présence ici d’un représentant de l’Association des médecins de clubs de foot. Docteur Ohrant, je souhaiterais vous entendre à propos de la levée du secret médical. Vous nous avez dit agir en toute indépendance ; sans remettre en cause votre comportement, on a tout de même constaté, dans l’histoire récente de la lutte contre le dopage, des problèmes liés à l’encadrement médical. Comment faire pour que les médecins d’équipes ne soient pas soumis à une pression qui les conduit à accompagner ou à fermer les yeux sur certaines pratiques ? Quelles garanties mettre en place pour leur assurer une réelle indépendance et leur permettre d’être partie prenante dans la lutte contre le dopage ?

Mme Valérie Corre. Le thème de cette table ronde est difficile pour tous les amoureux du sport, qui voient les scandales se succéder. Toutes ces affaires abîment durablement et systématiquement l’image des sportifs et de tout le mouvement sportif, ce qui est bien regrettable.

La France a toujours été exemplaire en matière de lutte contre le dopage. Elle dispose d’une législation forte et d’une organisation à peu près établie, même si quelques sujets de débats demeurent entre vous, comme on vient de le voir. Quelle est l’influence réelle de la France au sein de l’Agence mondiale antidopage ? Quels moyens avons-nous pour la renforcer ?

L’autre sujet qui m’interroge est l’articulation des contrôles antidopage efficaces avec le respect des libertés individuelles. À la question des contrôles de nuit, on pourrait ajouter celle de la géolocalisation. Si l’on comprend l’intérêt d’un tel système, on en voit bien aussi les limites. Pour ma part, je n’aimerais pas devoir justifier un mois à l’avance de l’organisation de mon agenda. Du reste, j’en serais bien incapable. Quant à la dénonciation, elle a également sa place dans ce questionnement.

Mme Dominique Nachury. Monsieur Genevois, vous avez parlé de tricheurs volontaires ; faut-il en déduire qu’il y a des tricheurs contraints ?

Le Dr Orhant a indiqué que le médecin a l’obligation de déclarer le constat du dopage d’un sportif, mais, selon M. Amsalem, ce sont les personnes destinataires de l’information qui posent problème. J’aimerais avoir des précisions sur ce point et peut-être quelques pistes de progression.

Un autre type de dopage existe, dit mécanique, qui consiste à cacher un moteur en cyclisme ou en voile, à porter une combinaison magique en natation ou encore à utiliser des boules truquées en pétanque. De tels procédés sont certes ingénieux, mais que penser de l’image qu’ils renvoient du sport et des sportifs ?

Mme Colette Langlade. Le dopage fait courir autant de risque au sport professionnel que les paris sportifs et la corruption qu’ils engendrent. Dans certaines disciplines sportives, c’est la crédibilité même des compétitions qui est en jeu. Il importe de prendre toute la mesure de la crise.

C’est la gouvernance sportive elle-même qui est en cause dans le développement de systèmes organisés de dopage au sein de fédérations, et de moyens de contourner les contrôles effectués. Quelles sont les réformes à mener à ce niveau ?

Afin de mieux contrôler l’action des fédérations en matière de sanctions pour dopage, la proposition avait été faite de confier l’appel de la décision disciplinaire rendue en première instance à l’AFLD et non plus à la fédération nationale. Qu’en pensez-vous ?

M. Paul Salen. Il m’est très agréable d’entendre le franc-parler du président Amsalem !

Pour lutter contre le dopage, il faut sanctionner mais surtout prévenir. Malheureusement, la prévention existe peu actuellement. Sans doute faudrait-il délivrer des recommandations aux jeunes sportifs amateurs et à leurs familles. Le président d’un comité départemental de cyclisme me disait voir, lors des courses de fête patronale, des parents doper leurs enfants. Comment lutter contre ce phénomène ?

Connaissant bien le milieu du football, je suppose, docteur Orhant, que, comme d’autres médecins, vous avez été sollicité par le président ou l’entraîneur de votre club pour pratiquer une infiltration sur un joueur, avant un match. Où commence le dopage ? Selon vous, s’agit-il de dopage ?

M. Jean-Pierre Allossery. Le mois dernier, l’homologue britannique du président Amsalem a déploré que l’intégrité de l’athlétisme ait été mise à l’épreuve en 2015. Il a appelé à une prise de conscience des fédérations nationales, mais également de tous les acteurs du monde sportif, sponsors et médias compris. Il a proposé des mesures chocs, comme l’arrêt du soutien des sponsors aux athlètes coupables de s’être dopés ainsi que l’effacement et la remise à zéro des records mondiaux. Cette dernière proposition me paraît difficile à mettre en œuvre. Que penser de cette déclaration ? Comment restaurer la crédibilité de l’athlétisme ?

M. Xavier Breton. Récemment, lors d’une compétition de cyclo-cross, un vélo aurait été équipé d’un moteur et de roues électromagnétiques. Quels sports pourraient être concernés aujourd’hui par le dopage technologique ? L’AFLD se préoccupe-t-elle de ce nouveau phénomène ? Quels moyens mettre en œuvre pour lutter contre cette nouvelle forme de dopage ?

Mme Marie-Odile Bouillé. Existe-t-il des études montrant qui, des hommes ou des femmes, se dopent le plus ?

M. Guénhaël Huet. Comme Mme Buffet, je pense que des progrès ont été réalisés en matière de dopage, qui n’est plus considéré comme banal. Les résultats sont tangibles. J’en veux pour preuve que les sportifs français se distinguent dans plusieurs disciplines, alors même qu’ils étaient « en dehors des clous » depuis plusieurs années.

Si notre pays est en pointe dans la lutte contre le dopage depuis un certain temps déjà, il demeure toujours des difficultés techniques. Une sorte de course ou de dialectique s’est instaurée entre médecins, les uns inventant des produits ou des techniques nouvelles, les autres luttant contre le dopage. De plus, même si, en France, c’est l’AFLD qui est au centre de la lutte contre le dopage, le nombre important d’intervenants complique les choses du point de vue administratif.

Le ciblage de certains sports, que je ne veux pas citer pour ne pas les stigmatiser, relève de l’inégalité de traitement, mais il est de surcroît inefficace. En concentrant systématiquement la lutte contre le dopage sur deux ou trois sports, on permet à d’autres de se livrer à des pratiques frauduleuses pendant ce temps.

On parle beaucoup du dopage dans le sport professionnel, qui est une vitrine médiatique, mais Mme Attard vient de rappeler qu’il sévit également dans le milieu amateur. J’ai même le sentiment qu’il y est encore plus dangereux, car, si les sportifs professionnels sont encadrés, suivis médicalement, ce n’est pas le cas d’un certain nombre de sportifs amateurs. Quel est votre avis sur ce sujet ?

M. Bruno Genevois. Madame Bourguignon, l’instauration du profil biologique des sportifs remonte à la loi du 12 mars 2012. C’est effectivement un mode de détection indirecte du dopage, par l’appréhension de ses effets sur l’organisme plutôt que par l’analyse d’un échantillon urinaire et sanguin isolé. Deux décrets du 27 décembre 2013 ont assuré la mise en place du module hématologique, qui permet de détecter de façon indirecte la prise d’EPO ou des manipulations sanguines. Un décret du 9 juin 2015 a complété le dispositif en mettant en place, conformément aux lignes directrices de l’Agence mondiale antidopage, le module stéroïdien. Il s’agit de détecter de façon indirecte, à partir de plusieurs prélèvements urinaires, la prise d’anabolisants. Nous avons grand espoir que l’Agence mondiale parvienne à élaborer techniquement le module endocrinien, qui devrait permettre de détecter de façon indirecte le recours à l’hormone de croissance, très difficile à détecter par échantillon isolé.

La réflexion de l’Agence sur ce point est double. Ne faudrait-il pas étendre le champ d’application de ce profil biologique ? En 2012, le législateur a choisi de le limiter aux sportifs professionnels au niveau espoir et à ceux antérieurement condamnés pour faits de dopage. Mais une série de sportifs amateurs assez proches de ces critères pourraient, en effet, être soumis à ce système. On a même un cas positif indirect, mais il n’entre pas dans le champ de l’article L. 232-15 du code du sport. De surcroît, l’Agence mondiale antidopage est destinataire de tous les renseignements émanant de notre laboratoire. Un jour, elle nous demandera pourquoi on ne fait rien s’agissant du module stéroïdien. C’est pourquoi nous vous demanderons peut-être de réfléchir à un élargissement de nos missions.

Le problème des contre-mesures est tout à fait d’actualité. J’ai interrogé sur ce point le directeur scientifique de l’AMA, Olivier Rabin, pour savoir comment déjouer les manœuvres visant à éviter le profil biologique. Il m’a fait une réponse d’attente. J’espère obtenir une réponse complète lors du symposium de l’Agence mondiale antidopage, qui aura lieu à Lausanne au mois de mars prochain.

Mme Sophie Dion m’a interrogé sur les contrôles antidopage de nuit. Je n’oublie pas que, lors de l’examen du projet de loi d’habilitation, elle a rappelé l’enseignement du grand civiliste Jean Carbonnier sur le respect du domicile. Elle trouvera un écho de ses préoccupations dans l’avis du collège de l’AFLD sur le projet d’ordonnance du 23 avril 2015. Il y a eu un arbitrage du secrétaire général du Gouvernement et un examen par la section de l’intérieur du Conseil d’État. Un équilibre a été trouvé par l’ordonnance du 30 septembre 2015 qui vient d’être ratifiée par la loi de modernisation de notre système de santé. Le directeur des contrôles n’entend faire usage de ses pouvoirs qu’au vu d’un dossier suffisamment constitué.

Mme Isabelle Attard a souligné que le sportif visé n’était pas toujours le principal responsable. C’est la philosophie même de la loi du 23 mars 1999. Le sportif est au bout de la chaîne, il est souvent victime plus qu’auteur. D’où la distinction faite par le législateur entre les sanctions : sportives, elles visent le sportif ; pénales, elles concernent ceux qui trafiquent. Cette approche reste vraie dans son principe.

Plusieurs intervenants ont noté un recul du dopage organisé tel qu’on a pu le connaître à une époque, au moins dans les pays dotés d’une organisation nationale antidopage performante.

M. Laurent Degallaix, insistant sur la dimension internationale de la lutte contre le dopage, a souhaité savoir comment l’Agence établit des relations avec ses homologues. Les échanges sont facilités par l’article L. 232-20-1 du code du sport, qui nous permet d’asseoir des procédures sur des renseignements émanant d’autres agences. Il existe aussi un organisme transnational, l’INADO (Institute of National Anti-Doping Organisations), qui regroupe les agences nationales antidopage et essaie de coordonner leurs actions. Cet institut a demandé à être représenté au sein du conseil de fondation de l’Agence mondiale antidopage, mais sans succès à ce jour.

Au sujet du contrôle des salles de sport, nous avons vu se succéder, au cours de l’année 2015, deux textes quelque peu contradictoires. L’un est l’ordonnance du 30 septembre 2015, qui transpose le code mondial antidopage et étend la notion de sportif au sens du code, à la personne qui participe à une manifestation faisant l’objet d’une déclaration auprès de l’autorité préfectorale, quand n’était auparavant concerné que celle qui s’entraînait ou participait à une manifestation organisée par une fédération agréée ou délégataire de service public. Bien alertés, nos conseillers interrégionaux antidopage ont engagé des contrôles sur une manifestation non fédérale. Résultat : dix cas positifs et dix refus de contrôle. C’est à la fois très prometteur, si je puis dire, et inquiétant. Cela prouve la nécessité du système. J’ai eu connaissance de l’autre texte parce que, suivant l’actualité au Journal officiel, j’ai vu apparaître une ordonnance du 17 décembre 2015 de simplification administrative qui abroge le régime déclaratif – et me prive par là même d’un moyen d’action qui s’annonçait très prometteur. J’ai écrit au directeur des sports et alerté les autorités compétentes. On m’a assuré que le projet de loi de ratification de l’ordonnance du 17 décembre 2015 comporterait une disposition nous permettant d’exercer un contrôle sur ce type de manifestation.

Pour répondre à la question de Mme Gilda Hobert sur la recherche en matière de lutte contre le dopage, l’Agence y consacre 10 % de son budget ; nous souhaiterions faire davantage. Dans les critères de recrutement du directeur du département des analyses, le collège a insisté sur la nécessité de conduire des recherches, et il vient d’adopter une délibération en faveur de l’accueil de jeunes chercheurs au sein de l’Agence.

La raison d’être de la lutte contre le dopage est double. Du point de vue éthique, elle vise à faire en sorte que les données du sport ne soient pas faussées par une lutte, non entre sportifs, mais entre laboratoires créateurs de molécules dopantes. Du point de vue sanitaire, l’impératif n’apparaît vraiment que pour les substances interdites en toutes circonstances, et pas seulement en compétition. Au plan international, nous ne rassemblons pas la majorité avec cette conception exigeante : le mouvement sportif est plus sensible au respect de l’éthique quand nous le sommes davantage à la santé publique.

Je rejoins Mme Buffet sur nombre de points qu’elle a évoqués. Nous sommes en effet passés d’une période de banalisation du dopage à une prise de conscience et une lutte effective. Il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain, au moins en France. Elle m’a interrogé sur les méthodes américaines. Nous avons l’aide substantielle, qui est définie par l’article L. 230-4 du code du sport comme le fait pour une personne de divulguer, dans une déclaration écrite signée, les informations en sa possession en relation avec des infractions aux règles relatives à la lutte contre le dopage, et de coopérer à l’enquête et à l’examen de toute affaire liée à ces informations, notamment en témoignant à une audience. Nous allons nous trouver à la croisée des chemins lorsque nous aurons des éléments qui permettront d’avoir des prolongements sur le plan pénal intéressant l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique (OCLAESP), ce qui nous permettrait de réduire la sanction. Nous verrons à l’usage, et nous serons aussi efficaces et prudents que possible, sachant que notre département des contrôles est en lien permanent avec l’OCLAESP, et, depuis 2014, avec les douanes, en vertu d’une convention.

Mme Valérie Corre demande quelle est l’influence de l’AFLD sur l’AMA. Nous menons une stratégie de persuasion dans le cadre des symposiums et forums auxquels nous assistons. Nous bénéficions également de la présence au sein de l’AMA de Mme Valérie Fourneyron, comme présidente d’un comité très important, et de celle du conseiller scientifique de l’AFLD, Xavier Bigard, comme membre du groupe d’experts « Liste » chargé d’établir la liste des substances. Pour le reste, il faut accepter de jouer le jeu de l’échange, de la mondialisation, de la force de conviction.

Pour ce qui est du contrôle dit de géolocalisation, nous essayons de le pratiquer avec un maximum de discernement. Un sportif n’est inscrit dans le groupe cible qu’après le respect d’une procédure contradictoire, conformément à la loi française. Nous réexaminons chaque année son maintien ou non. Au plan juridique, le Conseil d’État a écarté des contestations dont il avait été saisi sur le fondement de la Convention européenne des droits de l’Homme et de la Constitution ; nous avons également deux affaires pendantes devant la Cour européenne des droits de l’Homme, qui devrait rendre ses arrêts dans le courant de l’année 2016.

Le caractère intentionnel ou non du dopage a été soulevé. La réglementation repose sur l’idée que le sportif a une responsabilité objective. Si l’on retrouve dans ses urines ou son sang une substance interdite, il y a une présomption très forte de dopage. Il peut la lever en invoquant des raisons médicales et en produisant une autorisation d’usage thérapeutique ou une ordonnance justifiant la présence de la substance. Il peut aussi y avoir des éléments accidentels, par exemple le voisin de club qui a donné une boisson comportant certaines substances. Cette responsabilité objective se distingue de l’élément intentionnel quand on sait que l’intéressé a cherché à se doper. Si cet élément intentionnel existe, le code mondial antidopage est beaucoup plus sévère.

Je n’aime pas, madame Nachury, l’expression de dopage mécanique. Les cas de dopage sont prévus dans le code mondial antidopage comme étant la présence de substances interdites, le refus de contrôle, le fait de se soustraire aux obligations de localisation, l’association interdite. Mieux vaut parler de tricherie technologique. Notre attention a été appelée sur ce sujet à l’occasion des contrôles effectués sur le Tour de France, puisque nous les faisons en liaison avec l’OCLAESP. J’ai transmis cette préoccupation à l’Union cycliste internationale, mais la réponse appartient en première ligne aux fédérations internationales dans le cadre de leur réglementation.

L’Agence appuie son action sur la doctrine qu’aucune discipline sportive ne peut prétendre être à l’abri de tout dopage, et nous évitons de stigmatiser tel ou tel sport. Il reste que les statistiques établies à l’échelon mondial par l’AMA font apparaître que la discipline où, par rapport au nombre de pratiquants, les plus nombreux cas de dopage ont été relevés est l’haltérophilie. Mais cette discipline n’est pas très médiatique. Les autres disciplines les plus exposées sont le lancer du poids et les sports d’endurance, comme le cyclisme et le demi-fond en athlétisme. Nous devons agir en fonction de ces réalités.

Le dopage peut être plus fréquent dans deux périodes de la carrière de l’athlète : lorsqu’il est encore jeune et qu’il veut acquérir un statut de haut niveau professionnel, et lorsque, plus âgé, il a atteint ce que les spécialistes appellent le pic de performance et qu’il veut s’y maintenir coûte que coûte. Le dernier programme annuel de contrôles arrêté par l’Agence vise à élargir ces contrôles aux sports collectifs, bien entendu en fonction de renseignements ciblés.

La différence qui a pu être observée dans les sanctions que nous avons infligées en matière de contrôle de localisation s’explique par les circonstances : un rugbyman s’était retrouvé privé des championnats du monde de rugby alors que ceux-ci ne se déroulent que rarement. Le collège de l’Agence a été sensible à l’aspect qualitatif et a estimé qu’il ne fallait pas aller jusqu’à une suspension d’un an, comme cela avait été le cas pour Marc Raquil en athlétisme. Dorénavant, avec l’ordonnance qui encadre davantage nos décisions, et l’arrêt du Conseil d’État du 10 novembre 2011 visant l’harmonisation de la répression entre toutes les disciplines, nous partageons la même préoccupation avec le président Amsalem.

Pour ce qui est de savoir si le dopage est plutôt féminin ou masculin, d’après des éléments fournis par l’Agence mondiale en 2011, au moins depuis la chute du mur de Berlin, les cas de dopage ont été proportionnellement relevés davantage chez les hommes que chez les femmes. Mais les choses évoluent.

Enfin, je crois que la prévention et la répression sont, l’une et l’autre, indispensables. J’ai été frappé par l’attitude des responsables de la Fédération française de tennis : ils nous avaient demandé d’intervenir, y compris dans les championnats cadets et juniors, pour faire comprendre que les messages de prévention qu’ils diffusaient n’étaient pas des paroles en l’air. Cela implique une répartition des tâches entre le ministère et l’Agence dans le cadre des conventions d’objectifs. Nous sommes très attentifs à ces aspects, étant précisé toutefois que l’Agence a récupéré des compétences en matière de prévention avec la loi du 1er février 2012, qui a coïncidé avec la période où ses moyens financiers ont été plafonnés.

M. Bernard Amsalem. Madame Buffet, vous avez raison, la lutte contre le dopage a progressé depuis 1998, mais en même temps que ceux qui cherchent à contourner la règle et l’éthique du sport. Des nouveaux produits sont apparus, avec différents procédés d’administration, sous forme de cocktails ou, pour l’EPO, de microdoses qui ne laissent aucune trace deux heures après l’injection. C’est d’ailleurs ce qui motive les contrôles de nuit dont plusieurs d’entre vous se sont émus : si un athlète se fait une injection d’EPO à vingt-trois heures et qu’il est contrôlé à six heures du matin, aucune trace ne pourra être décelée. Cela dit, en tant que citoyen, je suis aussi choqué que vous par ce genre de procédure, qui constitue une atteinte aux libertés individuelles.

La lutte contre le dopage reste un combat permanent, alors que les moyens financiers de l’Agence et des fédérations sont de plus en plus contraints. La prévention ne doit pas s’adresser uniquement au monde sportif, car celui-ci est le reflet de la société : il n’y a pas de raison pour que celui qui triche en tant que citoyen ne cherche pas à tricher aussi dans le sport. La France, madame Attard, est le pays le plus consommateur de psychotropes ; c’est donc tout naturellement que notre problème « culturel » de consommation médicamenteuse rejaillit sur l’échantillon représentatif des sportifs. Voyez quels médicaments consomment les cadres d’entreprises pour traiter le stress. Certes, ce ne sont pas des sportifs de haut niveau et la dimension éthique n’est pas la même, mais il y a tout de même un problème.

Aujourd’hui, l’AFLD n’a pas les moyens financiers de mener une action forte. J’en appelle à la représentation nationale pour lui donner des moyens supplémentaires en déplafonnant les ressources affectées au Centre national pour le développement du sport (CNDS). Cela fait des années que le mouvement sportif demande le relèvement du plafond du prélèvement sur les bénéfices de la Française des jeux et sur certains droits de télévision, à la fois pour financer les équipements sportifs et lutter contre le dopage. J’ai envie de dire : à vous de jouer !

Pour sa part, la Fédération française d’athlétisme a pris le problème du dopage à bras-le-corps depuis une douzaine d’années. Avec le corps médical et l’ensemble des observateurs, nous avons mis en place des outils de prévention, notamment des méthodes de profilage : à partir de courbes types représentant l’évolution des performances d’un sportif en fonction de son âge, on peut déduire si l’athlète pose ou pas des problèmes. Ainsi, la courbe de profilage de Tim Montgomery, un sprinter américain qui a battu le record du monde au stade Charléty à la fin des années 1990, était clairement anormale. Nous avons mis en place cet outil pour tous les sportifs de haut niveau, et nous l’analysons attentivement. Parfois, une blessure peut être à l’origine d’une courbe anormale. Si ce n’est pas le cas, nous demandons au médecin qui suit le sportif en externe de la Fédération d’être un peu plus vigilant, de pratiquer davantage de contrôles inopinés et de bien examiner tous les paramètres. Ces méthodes sont à l’origine de 80 % des suspensions des athlètes en France. Nous travaillons aussi en étroite collaboration avec les services de l’AFLD et de l’OCLAESP.

Les systèmes du dopage et de la drogue ne sont pas comparables, madame Attard. La drogue est tenue par de grandes mafias et les enjeux financiers sont énormes ; le dopage est le fait de toutes petites mafias, parfois d’un seul individu qui va proposer, dans un centre d’entraînement, par exemple, un produit ou une méthode – nous avons récupéré une méthode envoyée par e-mail pour se doper avant une compétition. En général, on connaît les individus en cause, car l’athlétisme est un monde qui parle, contrairement à celui de la drogue où l’omerta est de rigueur. Quand j’assiste à un championnat, je discute avec tout le monde et je récolte des renseignements que je transmets ensuite à l’OCLAESP. Il est possible de le faire dans tous les sports. C’est ainsi que les services de gendarmerie ont arrêté quelques individus, certains ayant écopé de peines de prison.

Certains d’entre vous ont souligné les stages isolés dans les sports individuels. Cela n’existe plus dans l’athlétisme. Dorénavant les stages sont collectifs, ce qui permet de suivre les athlètes. Les quelques individus qui partent seuls au Kenya ou ailleurs font l’objet d’un suivi particulier. Depuis que nous faisons cela, nous rencontrons moins de problèmes. Il y a quelques mois, avec le laboratoire de Châtenay-Malabry, nous avons trouvé un produit inconnu, utilisé par un marcheur français qui n’est pas de premier plan. Ce produit, en provenance de Russie, permettait d’accélérer la production d’EPO par le corps.

Je ne suis pas d’accord pour dire que l’entraînement en altitude peut être assimilé au dopage. Certes, en altitude, l’oxygénation du sang permet de produire l’équivalent de l’EPO, mais c’est un phénomène naturel, il n’y a pas d’ajout de produit extérieur. Par contre, ce dont il faut se méfier dans les lieux de stages en altitude – à Font-Romeu, à Ifrane au Maroc, à Saint-Moritz en Suisse –, ce sont les individus qui viennent proposer aux sportifs des produits dopants. Et on les voit ! Les services des douanes devraient peut-être être plus présents, car c’est un contrôle que nous ne pouvons pas faire. Lorsque nous avons des informations, nous les signalons pour déclencher des actions.

Le sport prend une dimension si importante qu’il nécessiterait une juridiction spécialisée, ainsi que l’a évoqué Mme Dion. Si la France organise les Jeux olympiques de 2024, il faudra qu’elle promeuve des Jeux « propres ». Grâce à la loi Buffet, elle a toujours été en avance en matière de lutte contre le dopage. Elle pourrait prendre encore de l’avance, innover en créant une juridiction spécialisée dans les problèmes de tricherie et en laissant aux fédérations la prévention et le suivi médical. Je pense depuis longtemps que la sanction doit être externalisée pour éviter les conflits d’intérêts au sein des fédérations. Sans cette juridiction spécialisée, on ne gagnera pas le combat contre le dopage, qui demande des moyens et des structures dont nous manquons aujourd’hui. Cette juridiction permettrait aussi de traiter tous les sports de la même manière, l’équité étant l’une des valeurs du sport.

Pour ce qui est de l’évolution de la réglementation, l’aide substantielle ressemble au système américain. Le sprinter Justin Gatlin a été contrôlé positif à deux reprises. La première fois, il a été suspendu pendant deux ans ; la deuxième fois, il a négocié avec la justice américaine et n’a eu qu’un an de suspension, ce qui lui a permis de participer aux championnats du monde, l’année dernière, terminant deuxième derrière Usain Bolt et battant même son record personnel alors qu’il n’est théoriquement plus dopé. Ce n’est pas admissible ! C’est pourquoi je préconise que la deuxième sanction soit définitive ; ces gens-là n’ont plus leur place dans le sport. Je ne propose pas, comme les Allemands, un durcissement allant jusqu’à des peines de prison, car il ne s’agit pas de délinquants au sens propre du terme. Mais il faut être plus vigilant et plus répressif pour envoyer un signal aux autres. Nous sommes la seule fédération en France à avoir condamné un athlète contrôlé positif à deux reprises, à une suspension de dix ans. La loi française permet d’aller jusqu’à la perpétuité, mais les juridictions françaises n’aiment pas les sanctions à vie et, dix ans, cela signifie que sa carrière est terminée.

La géolocalisation pose effectivement la question des libertés individuelles. Qui est capable de dire à l’avance où il se trouvera tous les jours des trois prochains mois ? C’est pourtant ce que l’on demande aux sportifs de faire, en renseignant, chaque trimestre, leurs données dans le système d’administration et de gestion antidopage ADAMS. C’est quasiment impossible ! Même si l’athlète est supposé se trouver régulièrement dans son centre d’entraînement, il peut lui arriver de changer de programme de manière impromptue. Si l’on veut aller plus loin dans la géolocalisation, pourquoi ne pas prévoir un bracelet électronique ? Je suis sûr que des entreprises spécialisées dans le numérique pourraient apporter des solutions en mettant au point un bracelet spécifique, par exemple.

Plusieurs d’entre vous nous ont interrogés sur la gouvernance internationale. En France, l’encadrement est assuré par une loi et une agence. À l’international, il n’existe aucune structure au-dessus des fédérations internationales. Elles sont livrées à elles-mêmes et tout est possible : corruption dans le football, problèmes de dopage dans l’athlétisme, matches truqués en tennis, et j’en passe. Depuis longtemps, je préconise la création, au-dessus des fédérations internationales, d’une structure qui contrôlerait et régulerait un système aujourd’hui en proie à des difficultés de gouvernance et de démocratie. Moi-même, j’ai vu ces pratiques en athlétisme au niveau international. Certaines fédérations se font même acheter par des gens très riches. Il y a quelques mois, j’ai interpellé Thomas Bach, le président du Comité international olympique. Il est d’accord avec le constat. C’est à lui, tête de réseau du sport mondial, de mettre en place un outil de surveillance, de contrôle pour faire en sorte que ne soient autorisés à participer aux Jeux olympiques que les sports « propres ». Cela pourrait également être un moyen de sélectionner les sports olympiques. Pour le moment, les choses ne bougent pas beaucoup, mais je ne crois pas qu’il faille aller jusqu’à demander aux gouvernements de s’impliquer.

Monsieur Allossery, je vous invite à prendre la déclaration de mon homologue britannique, qui veut laver plus blanc que blanc, avec méfiance. En Angleterre, la presse se montre féroce avec les problèmes de la Fédération internationale d’athlétisme, dont le président Sebastian Coe est lui aussi anglais. Sur fond de surmédiatisation et de règlements de comptes politiques, les relations entre le président de la fédération britannique et Sebastian Coe sont extrêmement difficiles. Cela dit, je suis à moitié d’accord avec la remise à zéro des records. Je l’avais, pour ma part, proposée au moment du changement de siècle, sans succès. Peut-être est-elle envisageable aujourd’hui, car on se rend compte que certains records sont désormais inatteignables. Il en est ainsi des records du monde du 400 mètres en 47 secondes et 60 centièmes de Marita Koch, et du lancer de poids féminin à plus de 23 mètres de l’ex-athlète soviétique, devenue française, Natalya Lisovskaya. Aujourd’hui, quand on dépasse vingt mètres, c’est déjà formidable. Et que dire du record du 100 mètres féminin détenu par Florence Griffith-Joyner – qui en est morte, d’ailleurs ? Aujourd’hui, il est impossible de parcourir 100 mètres en 10 secondes et 49 centièmes ; quand une athlète court en 10 secondes et 80 centièmes, c’est formidable.

Il y a eu beaucoup plus de records pollués dans les années 1980-1990 que dans les années 2000, car la lutte contre le dopage progresse, même si ce n’est pas de la même manière dans tous les pays. L’athlétisme est un sport universel pratiqué dans tous les pays du monde, y compris dans les pays économiquement faibles. D’ailleurs, c’est le seul sport où les logiques économiques peuvent s’inverser : sa pratique ne nécessitant pas de moyens, un athlète d’un pays pauvre peut être champion olympique ou champion du monde. Certains Kényans ou Éthiopiens gagnent des courses en courant pieds nus.

Alors que ce sont de grands pourvoyeurs d’athlètes de haut niveau, des pays comme la Jamaïque ou le Kenya n’ont toutefois pas les moyens d’avoir une agence indépendante, un laboratoire. Il faudra bien que les autres pays les aident financièrement à se doter de moyens de contrôle, sinon ce sont les mafias qui vont s’installer. C’est exactement ce qui se passe au Kenya où certaines mafias gagnent de l’argent sur le dos des athlètes qu’elles piquent à l’EPO. Un reportage diffusé sur une chaîne allemande a montré de quelle façon scandaleuse des athlètes alignés les uns derrière les autres se font piquer à l’EPO par un médecin avant de participer à des marathons. Que faire ? Le gouvernement kényan dit ne pas avoir les moyens de mettre en place des contrôles. Cela doit alerter le mouvement sportif, mais aussi les gouvernements, l’ONU, l’UNESCO.

Dr Emmanuel Orhant. Tout à l’heure, je suis intervenu en tant que président de l’Association des médecins de club et en tant que membre de la commission médicale fédérale. Je vais maintenant m’exprimer en tant que médecin.

La première loi contre le dopage avait des visées éthiques mais aussi de protection de la santé, car il s’agit bien de la santé des sportifs. C’est pourquoi je considère que la prévention est essentielle. Elle est facile à mettre en œuvre pour un médecin de club de football professionnel. Moi-même, je suis tous les jours avec les sportifs et je fais tout pour que les joueurs soient au maximum de leurs performances, à travers la gestion des entraînements, la préparation physique, la récupération, la complémentation alimentaire. La chose est beaucoup plus complexe dans le sport amateur où les sportifs pratiquent le nomadisme médical : s’ils ne trouvent pas, auprès du médecin, la réponse qui leur permettrait d’être en forme, ils vont la chercher auprès d’autres personnes.

Le rôle du médecin est d’informer ces sportifs, quel que soit leur âge, et leur entourage, notamment les éducateurs. À Lyon, nous avons un centre de formation où nous organisons régulièrement, pour les jeunes et leurs parents, des formations sur les dangers du dopage. Nous ne leur parlons pas d’éthique, mais nous expliquons les risques pour leur santé. Là encore, la démarche est facile au sein de clubs de football professionnels, d’organisations, d’associations, de fédérations bien organisées, mais elle est parfois très difficile chez les sportifs amateurs qui veulent devenir des professionnels. Ce sont pourtant ceux qu’il faut aller chercher.

Plutôt que de compter sur la dénonciation, comme cela a été évoqué, il est tout aussi utile d’écouter les bruits de couloir pour initier les enquêtes. Ce sont toujours les mêmes personnes qui gravitent autour des sportifs. Quand elles sont grillées dans un sport, elles se tournent vers un autre, on le sait. Il y a quelque temps, les présidents de club de football professionnel et de fédération ont reçu une liste de médecins interdits au niveau mondial. Le président de mon club a été très satisfait de me la montrer.

Je ne porterai pas de jugement sur le ciblage nocturne ; je dirai seulement que le ciblage est nécessaire. Il ne s’agit pas, toutefois, de contrôler les deux équipes qui sont arrivées en finale de la coupe de la Ligue ou de la coupe de France – on a peu de chances de trouver quelque chose. Il faut plutôt effectuer des contrôles lors des stages en France et à l’étranger, cibler les personnes de retour de compétitions internationales qui se sont déroulées en Afrique, par exemple – on sait ce qui se passe lors de la coupe d’Afrique des nations –, ou des joueurs qui ont des performances exceptionnelles. En football américain, en tennis et autres, on commence à avoir les statistiques des sportifs sur le plan physique. Pourquoi ne pas cibler des personnes qui ont des capacités hors norme par rapport à ce qu’ils ont déjà présenté ou par rapport à l’ensemble des joueurs ? Nous disposons aujourd’hui des outils informatiques pour pratiquer un ciblage intéressant.

Le sujet de la levée du secret médical est difficile pour les médecins qui sont légalement tenus au secret professionnel. En début d’année, je fais signer à tous mes sportifs un consentement éclairé pour le transfert anonyme de toutes leurs données biologiques, physiologiques, cardiologiques au niveau de notre fédération. Ce consentement éclairé n’est pas un consentement d’utilisation à des fins de dénonciation – il serait difficile d’avoir l’accord du joueur. Notre but est d’avoir un passeport biologique, des courbes normales par rapport à notre population de joueurs et par rapport aux données habituelles du joueur. Si les courbes sont anormales, le médecin fédéral national nous en informe. C’est à ce moment que l’on doit s’interroger sur le secret médical. Selon la loi, le médecin peut dénoncer une conduite dopante en déclarant, de façon anonyme, le sportif concerné à l’antenne médicale régionale de lutte contre le dopage. Après une enquête diligentée par des experts endocrinologues, hématologues, des informations nous reviennent. Si elles ne sont pas cohérentes avec des données physiologiques normales pour le sportif ou la catégorie sportive, il faut alerter. Cette organisation professionnelle rend la dénonciation plus facile : du fait que plusieurs médecins donnent un avis, le secret médical est un peu dilué, et la pression est moindre.

Le sportif est réputé responsable de tout ce qu’il prend et doit donc être sanctionné. Mais les sanctions financières et pénales doivent aussi s’appliquer à son entourage, que ce soit l’entraîneur ou le médecin. On sait que ce sont toujours les mêmes qui proposent des produits ; il faut les sanctionner financièrement pour qu’ils n’aient plus les moyens d’acheter des produits dopants à l’étranger – en Espagne, en Italie ou en Afrique où il est encore plus facile de s’en procurer.

J’ai toujours eu la chance de faire partie de clubs professionnels dont les présidents et les entraîneurs soutenaient la lutte contre le dopage. Dans le cyclisme, lorsque plusieurs coureurs d’une même équipe sont contrôlés positifs, l’équipe tout entière est sanctionnée. Ce n’est pas le cas dans le football. Cette année, lorsqu’un joueur d’une équipe d’Europe de l’Est a été contrôlé positif, l’entraîneur de l’équipe anglaise adverse a trouvé anormal que le club tout entier ne soit pas sanctionné, arguant qu’il pourrait s’agir d’un dopage organisé. De fait, si un joueur puis un deuxième au sein de la même équipe étaient contrôlés positifs, peut-être faudrait-il sanctionner tout le club. En touchant ainsi à leur portefeuille et à leur équipe, on conduirait peut-être des présidents de clubs à s’inquiéter de la santé de leurs sportifs.

M. le président Patrick Bloche. Merci messieurs pour vos interventions. Grâce à vos apports personnels et à vos expériences, notre débat a été extrêmement riche et passionnant.

La séance est levée à onze heures quarante-cinq.

——fpfp——

Présences en réunion

Réunion du mercredi 10 février 2016 à 9 heures 30

Présents. – M. Jean-Pierre Allossery, M. Benoist Apparu, Mme Isabelle Attard, Mme Véronique Besse, M. Patrick Bloche, Mme Marie-Odile Bouillé, Mme Brigitte Bourguignon, M. Emeric Bréhier, M. Xavier Breton, Mme Marie-George Buffet, M. Jean-Noël Carpentier, Mme Dominique Chauvel, M. Jean-François Copé, Mme Valérie Corre, M. Jacques Cresta, M. Bernard Debré, M. Laurent Degallaix, M. Pascal Demarthe, Mme Sophie Dion, Mme Sandrine Doucet, Mme Virginie Duby-Muller, M. Yves Durand, Mme Martine Faure, M. Michel Françaix, Mme Annie Genevard, M. Jean-Pierre Giran, Mme Claude Greff, M. Michel Herbillon, Mme Gilda Hobert, M. Guénhaël Huet, M. Christian Kert, Mme Anne-Christine Lang, Mme Colette Langlade, M. Dominique Le Mèner, Mme Annick Lepetit, Mme Lucette Lousteau, Mme Martine Martinel, M. François de Mazières, M. Michel Ménard, Mme Dominique Nachury, Mme Maud Olivier, M. Christian Paul, M. Michel Piron, Mme Barbara Pompili, M. Michel Pouzol, Mme Régine Povéda, M. Franck Riester, M. Paul Salen, Mme Julie Sommaruga, M. Claude Sturni, Mme Michèle Tabarot, Mme Sylvie Tolmont, M. Stéphane Travert, M. Patrick Vignal

Excusés. – Mme Laurence Arribagé, Mme Huguette Bello, M. Ary Chalus, M. Pascal Deguilhem, Mme Sophie Dessus, Mme Sonia Lagarde, M. Christophe Premat, M. Rudy Salles

Assistaient également à la réunion. – M. François Loncle, M. François Vannson