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Commission des affaires culturelles, et de l’éducation

Mercredi 1er juin 2016

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 40

Présidence de M. Patrick Bloche, Président

– Audition de M. Jean-Christophe Thiery, président du groupe Canal+ et de M. Maxime Saada, directeur général

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION

Mercredi 1er juin 2016

La séance est ouverte à neuf heures quarante.

(Présidence de M. Patrick Bloche, président de la Commission)

——fpfp——

La commission des Affaires culturelles et de l’Éducation procède à l’audition de M. Jean-Christophe Thiery, président du groupe Canal+ et de M. Maxime Saada, directeur général.

M. le président Patrick Bloche. Nous accueillons ce matin M. Jean-Christophe Thiery, président du groupe Canal+ et M. Maxime Saada, directeur général, accompagnés de M. Gérald-Brice Viret, directeur de Canal+.

Ces derniers mois, l’avenir du groupe Canal+ et de ses chaînes, gratuites et payantes, a fait régulièrement la une des médias. L’annonce de 264 millions d’euros de pertes en 2015 pour Canal+ France ainsi que la baisse de son nombre d’abonnés – même si cette baisse est un mouvement amorcé depuis quelques années déjà –, mais également certains propos du président Vincent Bolloré sur l’état de santé de la chaîne Canal+ ou de iTélé, ont légitimement généré de l’inquiétude quant à l’avenir du groupe, dont la place dans le paysage audiovisuel français est bien particulière en raison, notamment, de sa forte contribution au financement du secteur du cinéma et de la place consacrée au sport sur la chaîne Canal+.

On ne peut pas, enfin, ne pas évoquer cet « esprit Canal », dont nous sommes familiers depuis plus de trente ans et auxquels nous sommes tous très attachés. Qu’il me soit d’ailleurs permis, à cet instant, de rendre hommage à André Rousselet, qui vient de nous quitter et qui a joué le rôle que l’on sait dans la création de Canal+.

Notre commission étant compétente en matière de culture et de médias, mais également de sport, vous comprendrez aisément que nous soyons heureux de vous recevoir ce matin pour échanger avec vous sur la situation et les perspectives de votre groupe.

Nous serons bien sûr intéressés par ce que vous nous direz de votre stratégie globale de relance à court et moyen termes, et notamment sur l’intérêt que pourrait représenter, si l’Autorité de la concurrence l’autorise, l’accord de distribution exclusive des chaînes de beIN Sports.

Alors que Vincent Bolloré amorce une réduction drastique des plages en clair et au moment d’un grand « mercato » amenant nombre de départs du groupe – le dernier annoncé étant celui de Bruce Toussaint –, nous souhaitons également évoquer la situation de Canal+ et les évolutions qui pourraient être mises en œuvre aussi bien en matière de programmation que de commercialisation.

Enfin, beaucoup d’interrogations se sont exprimées concernant iTélé, son format, son personnel mais aussi – pourquoi ne pas le dire – son indépendance ; aussi, alors même que le Parlement est en train de débattre d’une proposition de loi sur le pluralisme, la liberté et l’indépendance des médias, nous aimerions connaître les intentions du groupe concernant cette chaîne d’information en continu qui bénéficie d’un canal gratuit de la TNT.

M. Jean-Christophe Thiery, président du groupe Canal+. Monsieur le président, je vous remercie de nous avoir conviés devant cette commission pour vous présenter les récentes évolutions qu’a connues notre groupe.

Vous avez présenté Maxime Saada, qui est le directeur général du groupe Canal+, ainsi que Gérald-Brice Viret, qui cumule les fonctions de directeur de Canal+ et de directeur général des antennes du groupe.

Canal+ aujourd’hui, ce sont 11,2 millions d’abonnés dans le monde, dont près de 6 millions en métropole, les 5 autres millions se partageant entre les territoires d’outre-mer, l’Afrique – où le groupe connaît un développement accéléré –, l’Asie et en particulier le Vietnam mais aussi l’Europe, notamment la Pologne.

Ce sont également 7 000 collaborateurs, dont 4 000 en France, et plusieurs dizaines de milliers d’emplois indirects dans les métiers du sport, du cinéma et des prestations techniques.

C’est un chiffre d’affaires de 5,5 milliards d’euros en 2015, qui se ventile entre les chaînes Canal+, Canalsat et Canal+ Overseas – approximativement 1,5 milliard pour chacune de ces activités –, Studiocanal – 600 millions d’euros – et nos trois chaînes gratuites, D8, D17 et iTélé – 300 millions d’euros.

Canal+ est en outre l’acteur majeur du financement de la création française, notamment du cinéma, mais également du sport.

Pour ce qui concerne la création, si l’on cumule l’ensemble de nos obligations d’investissement et les taxes dont le produit lui est affecté, notre engagement financier s’élève à 800 millions d’euros, investis chaque année dans les métiers de la création : en 2015, notre groupe a ainsi investi 230 millions d’euros dans le cinéma français. Il en est le premier financeur, avec 175 millions d’euros consacrés au pré-achat de films – en 2015, nous avons financé par le pré-achat 128 films, soit la moitié environ des films produits ; un film sur deux en France se fait grâce aux investissements du groupe Canal+.

Quant au sport, le groupe y investit autour de 800 millions d’euros, principalement à travers l’acquisition de droits, essentiellement dans le football ou le rugby. Ces investissements sont vitaux pour les clubs et pour la représentation de nos équipes dans les compétitions européennes.

Le groupe Canal+ se partage aujourd’hui entre quatre activités principales. La télévision payante en France métropolitaine d’abord, d’une part en tant qu’éditeur des six chaînes Canal+ et des dix-neuf chaînes thématiques du groupe, d’autre part en tant que distributeur des chaînes de nos bouquets Canalsat. La télévision payante dans les territoires d’outre-mer et à l’étranger ensuite, au travers de notre filiale Canal+ Overseas – COS. La télévision gratuite, avec les trois chaînes que j’ai mentionnées, qui représentent 6 % de l’audience nationale. La production et la distribution de films enfin, par le biais de notre filiale Studiocanal, leader européen dans la production de films – une vingtaine de films produits ou coproduits chaque année –, l’acquisition et la distribution de films : avec cinq mille longs métrages, Studiocanal possède aujourd’hui le plus large catalogue européen de films.

Selon l’activité, la profitabilité est très contrastée. Si Studiocanal, Canalsat et Canal+ Overseas – qui connaît une croissance accélérée notamment en Afrique, où le cap de 2 millions d’abonnés a été franchi en fin d’année dernière – atteignent des niveaux de rentabilité très satisfaisants, si D8 – qui a réalisé la meilleure audience des chaînes nationales, samedi dernier, avec la retransmission de la finale de la Champions League et a vocation à se rapprocher sur ce terrain des grandes chaînes historiques –, et D17 bénéficient d’une dynamique très positive, iTélé en revanche, du fait d’un contexte concurrentiel extrêmement difficile, subit de lourdes pertes – 20 millions d’euros en 2015. Or ces pertes ne peuvent que s’aggraver du fait du passage en gratuit de LCI et du lancement prochain de la chaîne d’information du service public. Quant à Canal+, elle est dans une situation très compliquée : depuis 2012, la chaîne connaît des pertes, et ses déficits vont en s’aggravant – 264 millions d’euros en 2015, – 400 millions d’euros prévus en 2016.

Pour l’essentiel, les difficultés de notre groupe et de notre chaîne Canal+ en particulier ont pour origine le bouleversement du paysage concurrentiel : la concurrence en matière d’offre audiovisuelle a en effet explosé au cours des dix dernières années. Nous subissons désormais la concurrence des chaînes gratuites de la télévision numérique terrestre (TNT). Il a à peine dix ans, les chaînes gratuites offertes aux Français étaient au nombre de six ; elles sont aujourd’hui vingt-six. Pour ne prendre qu’un exemple, celui des films, les téléspectateurs ont aujourd’hui accès à une soixantaine de films par semaine, contre dix tout au plus avant 2005.

Nous subissons également la concurrence du piratage, pratiqué par un tiers des internautes. Il en résulte une perte importante d’attractivité pour nos contenus qui devraient être exclusifs. Nous estimons que le piratage représente une perte de plus de 500 000 abonnés pour la chaîne, soit un chiffre d’affaires de 200 millions d’euros. Il va sans dire que cela réduit à due proportion les capacités du groupe à financer la création.

Il faut également compter avec des acteurs transnationaux dotés d’une force considérable, qui commencent à investir très lourdement dans les contenus. Outre les GAFA
– Google, Amazon, Facebook et Apple –, qui ont cumulé 435 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2015 et qui, pour Apple et Google, disposent d’une trésorerie de 265 milliards de dollars, Netflix est déjà présent dans 190 pays, avec 80 millions de clients dans le monde, sachant qu’en France, où elle conduit une stratégie très offensive fondée sur des investissements dans des contenus originaux, son activité n’est encadrée par aucune contrainte réglementaire. Le groupe américain Discovery quant à lui, qui pèse 45 milliards de dollars de capitalisation boursière, est propriétaire d’Eurosport et a acquis les droits de diffusion des Jeux olympiques de 2024 et 2028 pour l’ensemble du territoire européen. Enfin, depuis 2012, la chaîne qatarie BeIN Sports a, malgré des pertes importantes – plusieurs centaines de millions d’euros par an – liées à sa stratégie de conquête des 2,5 millions d’abonnés dont il peut se prévaloir aujourd’hui, acquis des droits sportifs premium jusqu’alors détenus par notre groupe.

Enfin, nous subissons la concurrence des opérateurs de télécommunications, qui ont opté pour des stratégies de convergence et investissent dans des contenus premium, notamment sportifs, pour proposer à leurs clients des offres attractives. Ce fut entre autres le cas pour les droits de la Premier League anglaise, en fin d’année dernière, qui ont été acquis au prix fort par Altice. Tous ces opérateurs peuvent amortir leurs investissements sur des bases d’abonnés bien plus larges que les nôtres : 23 millions d’abonnés pour Orange et 13 millions pour SFR Numéricable. Leurs chiffres d’affaires sont également sans rapport avec les nôtres : 40 milliards d’euros pour Orange, soit sept fois le chiffre d’affaires du groupe Canal+.

Tous ces bouleversements ont pour conséquence l’érosion des piliers clés qui faisaient l’attractivité du pôle payant de notre groupe, qu’il s’agisse du sport, du cinéma ou des séries.

Dans le sport, en l’espace de cinq ans, nous avons ainsi perdu les quatre principaux championnats étrangers de football – la Premier League anglaise, la Bundesliga allemande, la Serie A italienne, la Liga espagnole –, ainsi qu’une bonne partie de la Ligue des champions. Nous avons également perdu l’essentiel de nos droits en basketball, en handball, quasiment tout le tennis et la natation.

Dans le cinéma, la TNT gratuite, le piratage, la VOD – vidéo à la demande – et la SVOD – vidéo à la demande avec abonnement – ont considérablement banalisé nos contenus exclusifs et, en matière de séries enfin, nous devons faire face aux investissements considérables de nos concurrents américains et à l’ambition qu’ils affichent de distribuer eux-mêmes leurs contenus, en exclusivité. À titre d’exemples, Netflix a prévu de dépenser 5 milliards de dollars dans ses programmes cette année, Amazon ayant opté pour une stratégie identique, appuyée sur un investissement du même ordre – Café Society, le dernier film de Woody Allen a ainsi été financé par Amazon. Dans le même temps, nous produisons nos créations originales, dont nous sommes légitimement fiers mais auxquelles nous consacrons un budget beaucoup plus modeste, de l’ordre de 60 millions d’euros en 2016.

Cette situation explique les pertes croissantes des chaînes Canal+. En effet, Canal+ connaît un effet ciseaux très marqué depuis quelques années, dans la mesure où, d’une part, la télévision est une industrie de coûts fixes, qui ne cessent d’augmenter du fait de la pression concurrentielle accrue – le coût de nos programmes a ainsi augmenté de 150 millions d’euros en trois ans – et où, d’autre part, le nombre des abonnés à Canal+ et Canalsat connaît parallèlement une baisse importante – en moyenne 300 000 abonnements en moins chaque année depuis 2012. Il en résulte des pertes non soutenables à terme.

Pour remettre Canal+ sur la voie du succès, nous avons deux priorités. La première est de redonner à nos abonnés des programmes premium, la seconde est de remettre ces mêmes abonnés au cœur de toutes nos actions.

Nous nous devons donc en premier lieu de proposer à nos abonnés le meilleur des programmes, en exclusivité. Dans le sport tout d’abord, cela implique de conclure des accords stratégiques qui permettent de remédier à la fragilisation de ce pilier, sur lequel reposent nombre d’abonnements – le sport est en effet la seconde motivation après le cinéma pour s’abonner à Canal+.

C’est dans ce contexte que nous avons entamé il y a plusieurs mois des discussions avec BeIN Sports, dans l’optique d’une coopération prenant la forme d’un accord de distribution exclusive des chaînes BeIN. Ce projet nous permettrait de proposer à nos abonnés une offre élargie incluant les meilleures compétitions sportives, sans léser ni le consommateur ni les fournisseurs d’accès à internet (FAI), au sein desquels la chaîne pourrait continuer d’être distribuée. Comme vous le savez, nous sommes dans l’attente de la décision de l’Autorité de la concurrence sur ce projet.

Il nous faut également offrir à nos abonnés les meilleurs programmes de cinéma. Canal+ est le premier financeur du cinéma en France, et nous entendons le rester afin de consolider ce second pilier de notre offre. Nous menons actuellement une réflexion pour éditorialiser davantage dans nos grilles de rentrée les programmes cinématographiques. Dans le contexte d’une offre de films qui a explosé, la valeur ajoutée aujourd’hui tient en effet dans l’éditorialisation et l’événementialisation de notre offre cinéma.

Nous entendons en second lieu remettre nos abonnés au cœur de nos actions, ce qui passe par une redéfinition – en cours – du rôle et de la durée des plages en clair. Il est en effet difficile à un abonné qui paie pour des contenus exclusifs de comprendre que sa chaîne payante diffuse cinq à six heures de contenus gratuits quotidiens, qui profitent à tous, et ce d’autant plus que les plages en clair n’ont que peu de lien avec l’offre cryptée proposée aux abonnés. Du reste, aucun des grands acteurs internationaux de la télévision payante, souvent dans une situation plus florissante que la nôtre – c’est notamment le cas de HBO ou de Sky –, n’a de plage en clair.

Au-delà de ces orientations, nous pensons que le groupe Canal+ a vocation à servir une ambition plus large, fixée par son conseil de surveillance et son président, Vincent Bolloré : constituer avec Vivendi un leader international dans la création et la distribution de contenus, diffusant dans le monde entier la culture francophone, européenne et latine. Nous pensons en effet qu’il n’y aura pas d’avenir pour un Canal+ isolé et que l’avenir de notre groupe se joue dans une intégration réussie au sein du groupe Vivendi.

Aujourd’hui, le marché mondial des contenus est dominé par les Américains
– GAFA et grands studios – mais également par des acteurs asiatiques. Présent dans l’image avec Canal+, dans la musique avec Universal, leader mondial de cette industrie, dans le spectacle avec l’Olympia, dans les jeux vidéo avec l’acquisition en cours de l’éditeur Gameloft, Vivendi peut, face à eux, devenir le leader de l’édition et de la distribution de la culture francophone et européenne.

Ce projet est d’autant plus important qu’il prend corps dans un contexte critique, marqué par l’absence de grand acteur européen dans le champ de la distribution de contenus culturels : dans le classement mondial, aucune plateforme européenne ne figure parmi les vingt premières plateformes internet ou les quinze premières plateformes pour mobile, qui sont pourtant amenées à jouer dans le futur un rôle majeur dans la distribution des œuvres audiovisuelles. Vivendi entend donc relever ce défi dans la création comme dans la distribution de contenus, grâce à la diversité de ses actifs, car je ne vois pas qui d’autre serait aujourd’hui, en France ou en Europe, capable de le faire à sa place.

L’intégration de Canal+ au sein de Vivendi doit renforcer notre capacité à produire des contenus premium exclusif, sachant que Vivendi a déjà effectué de nombreux investissements en Europe pour renforcer ses capacités audiovisuelles : entrée au capital de Banijay-Zodiak, l’un des plus grands producteurs et distributeurs indépendants de programmes télévisuels au monde, à hauteur de 26 % ; acquisition de 30 % de la société Mars Films, l’un des leaders français en matière de production et de distribution cinématographiques. Quant à notre filiale Studiocanal, elle mène une politique particulièrement active dans le domaine des séries télévisées, avec sa prise de participation majoritaire dans la société de production allemande Tandem Communications, leader européen dans la production et la vente de séries télévisées internationales, et sa prise de participation dans la société anglaise Red Production Company, spécialiste des séries télévisées de qualité en langue anglaise.

Enfin, Vivendi lance des initiatives inédites avec la production de nouveaux formats. Nous avons créé une société, Studio+, qui produit et réalise actuellement un ensemble de mini-séries digitales conçues pour les mobiles. D’ici la rentrée, nous proposerons ainsi à plusieurs opérateurs de télécommunication français ou étrangers des dizaines de mini-séries, d’une durée totale d’une heure, divisées en dix épisodes d’environ cinq minutes.

L’intégration de Canal+ au sein de Vivendi renforcera également la capacité de sa filiale à distribuer ses œuvres via un plus grand nombre de canaux et dans un plus grand nombre de pays. Vivendi est en effet en train d’étendre ses canaux de distribution dans le digital – le groupe a acquis Dailymotion, deuxième site mondial de partage de vidéos en ligne, même si la société est encore loin derrière Google –, mais également dans la télévision, avec le projet d’acquisition de la chaîne à péage italienne Mediaset Premium et d’autres projets de coopération avec le groupe Mediaset, dont la taille est comparable à celle du groupe Canal+. Vivendi étend également ses canaux de distribution dans les télécommunications, au travers des prises de participation dans Telecom Italia et l’espagnol Telefónica, à hauteur respectivement de 24,9 % et 0,95 %. Il se développe enfin dans le commerce « B to C » (Business to Consumer), avec une prise de participation dans le capital de la Fnac et des projets de partenariat.

Le groupe Canal+ est en train de concentrer ses efforts sur le redressement de son activité de télévision payante en France. Nous faisons face à une situation préoccupante, qui nous impose de réinventer un modèle, l’ancien modèle n’étant plus adapté à un environnement concurrentiel radicalement différent de ce qu’il était il y a quelques années. C’est un enjeu crucial pour la chaîne, pour notre groupe, mais aussi, plus largement, pour la création française et l’exception culturelle de notre pays, à laquelle nous savons que vous êtes tout particulièrement attachés – tout comme nous –, car elle est une part importante de notre identité.

Nous pensons que la réussite du groupe Canal+ passera par son intégration harmonieuse au sein du groupe Vivendi, qui se déploiera sur les marchés mondiaux en développant des contenus issus de notre culture française et européenne.

M. le président Patrick Bloche. Face aux nombreux défis que vous avez à relever, vous avez pour ambition de réinventer le modèle de Canal+. C’est précisément cette ambition qui soulève de nombreuses questions, lesquelles ne sont pas uniquement dictées par la nostalgie mais par la crainte que l’identité de la chaîne, le fameux « esprit Canal », en fasse les frais, et que le groupe Canal+ ne soit plus à terme qu’un groupe comme les autres. Si nous vous disons cela, c’est parce que nous aimons Canal+.

M. Stéphane Travert. Nous sommes en effet tous attachés à Canal+, à l’esprit associé au nom de cette chaîne, à son histoire faite d’innovations qui ont largement contribué, depuis 1984, à modifier en profondeur le paysage audiovisuel français. Et, au nom du groupe socialiste, écologiste et républicain, je souhaite ici m’associer à l’hommage rendu par Patrick Bloche à André Rousselet, qui a bien retracé, dans l’autobiographie qu’il venait de publier, À mi-parcours, comment est né l’ « esprit Canal ».

Deux grandes questions dominent l’actualité du groupe Canal+ depuis sa reprise par Vivendi, dont le président du conseil de surveillance est Vincent Bolloré : l’avenir économique du groupe et son indépendance éditoriale. En effet, le 3 septembre dernier, dans la foulée d’un conseil de surveillance, une grande réorganisation a été opérée au sein du groupe, dans le cadre de l’intégration du groupe Canal+ au sein de Vivendi. Cette réorganisation s’est traduite par le rachat des parts des actionnaires minoritaires – TF1, M6 et Lagardère –, puis par une offre publique d’achat (OPA) visant les actions de la Société d’édition de Canal Plus (SECP), enfin par les premières modifications dans le management et le directoire, avec votre arrivée en juillet, Monsieur Saada, puis en septembre, celle de M. Thiery en remplacement de M. Méheut, artisan du redressement de Canal+ qu’il dirigeait depuis treize ans. Au total, ce sont vingt dirigeants qui ont quitté le groupe, ainsi que des journalistes emblématiques de la chaîne – Yann Barthès ou Bruce Toussaint d’iTélé, qui ne seront plus salariés du groupe à la rentrée de septembre. Ces grands bouleversements qui ont secoué le groupe depuis septembre 2015 ont suscité de vives inquiétudes que je souhaiterais évoquer ici.

Tout d’abord, s’agissant de l’avenir économique du Groupe Canal +, Vincent Bolloré a évoqué, jeudi 21 avril, un risque de faillite, en raison de l’accumulation des pertes de la branche de télévision payante en France. Si les chaînes en clair D8 et D17 sont « dans la rentabilité » d’après le président de Vivendi, la chaîne d’informations en continu iTélé est, elle, dans le rouge. Après une perte de 16 millions d’euros en 2014 et de 20 millions en 2015, iTélé devrait encore subir une perte de 24 millions d’euros cette année, alors même que la concurrence s’intensifie avec l’arrivée sur la TNT de LCI, qui appartient au groupe TF1, et le projet de chaîne publique d’information en continu. Pourriez-vous nous indiquer comment vous envisagez de positionner iTélé à la rentrée 2016 ?

Malgré ces pertes imputables à iTélé, le groupe Canal+ reste dans son ensemble nettement rentable. Avec le bouquet Canalsat, les chaînes gratuites et payantes en France, les activités en Pologne, au Vietnam et en Afrique, le groupe a en effet affiché l’an dernier un bénéfice opérationnel, certes en baisse mais confortable, de 454 millions d’euros.

Vincent Bolloré a indiqué vouloir faire de Vivendi un champion européen, capable de lutter face aux géants numériques américains comme Google, Apple, Facebook et Amazon. À ce titre, et ce n’est pas anodin, il vous a nommé, monsieur Saada, à la tête de la plateforme vidéo Dailymotion. Pourriez-vous nous indiquer de quelle façon vous envisagez de créer la synergie entre la télévision et internet ? Cette stratégie est-elle le résultat d’une érosion du modèle Canal, largement concurrencé, dans le domaine du sport, par BeiN Sport, et par Netflix dans le domaine des séries et de la fiction ? Allez-vous concentrer vos efforts sur la création originale, comme vous avez commencé à le faire avec des fictions qui ont été de beaux succès ?

Enfin et pour terminer sur le volet économique, le président de Vivendi a indiqué vouloir imposer une cure d’austérité au groupe. Les dépenses ont déjà été réduites, en commençant par les frais engagés pour le festival de Cannes, d’où « Le Grand Journal » était absent, contrairement aux années précédentes. Cette cure d’austérité menace-t-elle à terme l’investissement du groupe dans la création cinématographique ? Confirmez-vous vouloir privilégier les clients abonnés, au détriment des programmes en clair, qui sont pourtant la vitrine de la chaîne ?

En ce qui concerne l’indépendance éditoriale des journalistes des chaînes du groupe Canal+, vous n’êtes pas sans savoir que des soupçons de censure pèsent sur de nombreux programmes de la chaîne Canal+ : des Guignols aux reportages d’investigation, le « ton canal » semble s’éroder au profit des investisseurs économiques – Vincent Bolloré aurait notamment censuré un documentaire sur l’évasion fiscale d’une filiale du Crédit mutuel, banque partenaire du groupe. Je sais que le groupe Canal+ n’est pas le seul dans ce cas, puisque le dirigeant de M6, Nicolas de Tavernost, nous avait déclaré ne pas supporter que l’on dise du mal de ses clients sur sa chaîne.

C’est pourquoi notre assemblée a adopté en première lecture, suivie par le Sénat la semaine dernière, la proposition de loi de notre président Patrick Bloche, relative à l’indépendance des médias. Il ne s’agit ni d’une loi punitive ni d’une loi anti-Bolloré, mais d’une loi qui vise à rappeler le rôle essentiel des journalistes au cœur du processus de fabrication de l’information et des programmes, et à leur garantir le droit de refuser toute pression visant à leur faire modifier la forme ou le contenu d’un article, d’une émission ou d’une contribution. Elle définit le rôle essentiel joué par le CSA afin de garantir le triptyque que nous mettons au cœur de cette loi : honnêteté, indépendance et pluralisme de l’information et des programmes. Il s’agit là d’une avancée certaine pour l’autorité de régulation, puisqu’aujourd’hui elle n’émet des recommandations qu’au regard du respect du seul principe du pluralisme. Pourriez-vous nous donner votre point de vue sur le rôle du CSA et la façon dont s’exerce la liberté journalistique au sein des rédactions de Canal+ et d’iTélé ?

Mme Virginie Duby-Muller. En février dernier, Vivendi annonçait une perte opérationnelle de plus de 264 millions d’euros pour Canal+ France et une importante chute du nombre d’abonnés, même si ce nombre est en croissance à l’étranger. Le Groupe est entré en effet dans une période de turbulence : un changement d’actionnaire, un marché toujours plus concurrentiel, le départ de plusieurs têtes d’affiche, un plan de réduction des effectifs... Comme d’autres acteurs du secteur, vous vous trouvez aujourd’hui devant la nécessité impérative de vous réinventer pour garder à flot la belle machine qu’est votre entreprise : un modèle singulier, audacieux, conquérant – et nous savons tous ici ce que la création et notre beau cinéma français vous doivent.

Pour enrayer la fuite des abonnés, vous estimez donc que le salut viendrait du sport et de l’accord de distribution exclusive conclu avec BeIN Sports en février dernier : l’avenir de la chaîne est ainsi suspendu à la décision de l’Autorité de la concurrence. Toutefois, on croit comprendre que cet accord n’est pas sans susciter quelques difficultés, ce qui explique d’ailleurs le report du rendu de la décision. Les opérateurs distribuant actuellement BeIN craignent en effet de voir Canal+ récupérer demain l’ensemble des abonnés de la chaîne sportive au détriment de leur offre de bouquet. Êtes-vous confiant dans la décision que prendra l’Autorité de la concurrence ? Peut-on imaginer, comme l’indique Le Monde, que l’Autorité assortisse son accord de conditions restrictives, ce qui impliquerait une renégociation partielle de l’accord, notamment au sujet des injonctions auxquelles est soumis Canal depuis la fusion de Canalsat avec TPS ?

BeIN est par ailleurs loin d’être la seule concurrence à gérer. Côté fiction, il vous faut également composer avec Netflix et consorts. Pour gagner en agilité, vous venez d’annoncer un partenariat avec Samsung, qui permet d’intégrer votre offre au téléviseur de ce constructeur sans passer par un décodeur – un tournant donc. Vous avez également annoncé une offre sans abonnement d’ici la fin de l’année. Est-ce un modèle économique viable pour le groupe ?

En ce qui concerne le cinéma enfin, Canal+ est, à juste titre, considérée comme le poumon du secteur, puisqu’elle représente près de la moitié du financement de la télévision vers le cinéma. Historiquement, c’est parce que Canal+ était prioritaire pour la diffusion des films qu’elle avait, en contrepartie, un devoir d’investissement. Or, aujourd’hui, il semble que l’avenir de Canal+ passe moins par la fiction que par le sport. La ministre de la Culture a récemment apporté son soutien à la chaîne tout en réaffirmant sa volonté que le groupe maintienne ses investissements dans le cinéma : quelles précisions pouvez-vous nous fournir sur ce point ?

Enfin, vous avez signé un accord de distribution avec Molotov ; c’est un revirement du groupe, qui ne souhaitait pas voir ses chaînes intégrer le bouquet de cette nouvelle interface de télévision totalement délinéarisée. Pouvez-vous nous expliquer l’intérêt pour un bouquet payant comme le vôtre de rejoindre le projet de Pierre Lescure, qui risque de devenir à la fois un outil de diffusion et un concurrent ?

Vous avez par ailleurs récemment démenti le projet de vente d’iTélé : où en êtes-vous sur ce dossier ? Comment comptez-vous vous adapter à la concurrence des autres chaînes, notamment BFM TV ? Que pensez-vous du projet de création d’une chaîne publique d’information en continu ?

Enfin l’Assemblée nationale et le Sénat ont récemment adopté en première lecture la proposition de loi visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias. Nous avons beaucoup débattu de la notion d’intime conviction professionnelle. Que recoupe selon vous une telle notion ? Ne va-t-elle pas exacerber les contentieux entre les journalistes et leur direction ? Le rédacteur en chef conserve-t-il encore un pouvoir hiérarchique sur les journalistes qui relèvent de sa responsabilité ?

M. Rudy Salles. À mon tour, je tiens à remercier M. Thiery, M. Saada et M. Viret pour leur venue ce matin devant notre commission. Nous sommes très attachés au pluralisme, et il nous paraît important que la représentation nationale rencontre régulièrement les différents acteurs qui composent notre paysage audiovisuel.

Les mutations culturelles et technologiques qui secouent notre quotidien se font plus particulièrement sentir dans notre relation à la culture, et l’évolution de la place de Canal+ dans le paysage audiovisuel français témoigne justement de ces mutations. Depuis 2012, on constate une forte érosion de la base d’abonnés, et le nombre de souscriptions nouvelles reste nettement inférieur à celui des résiliations. Le constat est sans appel : la chaîne « traditionnelle » Canal+ peine à garder ses abonnés, et Vincent Bolloré a récemment averti que les pertes ne pourraient pas être financées « indéfiniment ».

À ce jour, Canal+ diffuse environ cinq heures de programmes gratuitement, mais la tranche en clair du soir est fragilisée. Parallèlement, on évoque le retour du cryptage à l’ancienne : cela signifie-t-il la fin du clair sur Canal+ ? Cette tranche en clair était la vitrine de ce que l’on nommait l’ « esprit Canal », qui mériterait sans doute aujourd’hui de se remettre en question.

L’environnement économique et concurrentiel est de plus en plus difficile avec l’arrivée de nouveaux acteurs comme BeIN Sports, Netflix et autres services de vidéos à la demande. Il est évident que le groupe Canal+ est la première victime de la concurrence de ces nouveaux services. Comment s’organise la riposte ? Les résultats de Canalplay sont-ils satisfaisants par rapport à ceux des services de VOD propres aux opérateurs – Bouygues ou Orange – ou à ceux du géant américain Netflix ? Canal+ étant un partenaire majeur pour le cinéma, le développement de ce nouveau service nous semble aussi indispensable que cohérent avec le soutien historique de Canal+ à la création.

Enfin, je ne pourrai conclure mon intervention sans évoquer la proposition de loi visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias actuellement en navette entre le Sénat et notre assemblée. Vous n’êtes pas sans savoir que ce texte est directement lié à la question de l’indépendance éditoriale de Canal+ vis-à-vis de son actionnaire, le rachat du groupe par Vincent Bolloré ayant fait l’objet de vifs débats. Lors de l’examen de cette proposition de loi, nous avons estimé que ce texte témoignait d’une conception désuète de la mission de régulation dans un paysage audiovisuel bouleversé notamment par le développement de l’économie numérique et électronique ; pour autant, nous avons soutenu la mise en place de comités d’éthique. Si ce texte était adopté, quel serait son impact sur le fonctionnement de vos rédactions ?

Mme Marie-George Buffet. Si je me suis dans un premier temps interrogée sur les motifs de cette audition par notre commission, davantage habituée à auditionner les responsables de l’audiovisuel public dans le cadre du suivi des contrats d’objectifs et de moyens, je dois admettre que, compte tenu du rôle de Canal+ dans le soutien à la création et de nos débats sur l’indépendance et le pluralisme des médias, elle trouve tout son sens.

Vous nous avez tracé un tableau très noir de la situation de Canal+, qu’il s’agisse de la chute du nombre d’abonnés ou de sa situation financière. D’où, selon vous, la nécessité de donner à la chaîne une nouvelle orientation. Si vous avez insisté sur la mise en place de programmes premium et sur l’intégration de Canal+ dans le groupe Vivendi, vous n’avez pas réellement précisé comment se traduirait sur le fond cette nouvelle orientation : pouvez-vous nous en dire plus sur ce que sera la nouvelle « couleur » de Canal+ et sur la manière dont la chaîne compte affirmer son originalité ?

Par ailleurs, que va devenir iTélé, à court et moyen termes ? Est-elle vouée à disparaître ? à se transformer ? Vous parlez de concurrence, mais je ne pense pas que cela soit de nature à effrayer des gens qui évoluent dans le monde des affaires.

En ce qui concerne le sport enfin et le projet d’accord avec BeIN Sports, qui s’inscrit dans la bulle financière formée autour des droits de retransmission et dont on ne sait jusqu’où elle pourra se développer, ne pensez-vous pas qu’en s’appropriant la diffusion de la plupart des grands événements sportifs, à l’exception de ceux, rares, qui sont encore protégés par la loi française, Canal+ risque d’affaiblir l’intérêt des masses pour le sport et, par voie de conséquence, les gains financiers qu’elle pouvait espérer en tirer ?

Mme Colette Langlade. Votre chaîne d’information en continu iTélé connaît de lourds déficits, et son audience pâtit de la concurrence avec sa rivale BFM TV. L’absence de stratégie claire, le remplacement brutal de plusieurs cadres dirigeants et les rumeurs de vente imminente inquiètent fortement les salariés et les journalistes de la chaîne, qui jouent un rôle important dans notre paysage audiovisuel.

Si les annonces esquissées lors du dernier comité d’entreprise au sujet de la relance de la chaîne et d’une refonte de l’offre commerciale de la régie publicitaire sont encourageantes, de même que le démenti des rumeurs de vente, ces perspectives auront néanmoins un prix pour la chaîne, qui devrait se voir amputée d’un quart de ses effectifs – soit une cinquantaine de postes – ce qui ne peut que se traduire par un appauvrissement de l’offre éditoriale. Je souhaiterais donc des éclaircissements sur les ambitions de l’actionnaire majoritaire pour iTélé et sur les perspectives d’avenir qui s’ouvrent devant la chaîne.

M. Laurent Degallaix. Je remercie M. Jean-Christophe Thiery et M. Maxime Saada de leur présence. Je n’oublie pas M. Gérald-Brice Viret. Monsieur, compte tenu des nombreux départs que le groupe vient de connaître, votre nom pourrait presque lui servir de slogan. (Sourires.)

Le rapprochement prévu entre Canal+ et BeIN Sports inquiète assez fortement les abonnés. BeIN Sports diffuse actuellement un certain nombre d’événements sportifs internationaux et nationaux, tels que les matchs de football de Ligue 1, de Ligue 2 et de Ligue des champions, ou les grands tournois de tennis comme celui de Wimbledon. Cela a certainement entraîné la migration d’une partie de vos abonnés vers BeIN. Dans un contexte économique difficile, les abonnés craignent de devoir, demain, payer deux fois pour continuer à regarder les mêmes programmes : une fois pour BeIN puis une fois pour Canal+. Les clubs sportifs sont également inquiets des répercussions que pourrait avoir un rapprochement sur les droits de diffusion.

Vous avez évoqué un résultat opérationnel de l’ordre de -264 millions d’euros. Si ces chiffres sont sincères, à y regarder de plus près, la façon de les présenter peut aussi offrir au groupe l’opportunité de faire une révolution à marche forcée. Certaines données ont été regroupées, ce qui n’était pas le cas lors des années précédentes. Si l’on ne prenait pas en compte divers éléments, comme tous les frais de fonctionnement, de publicité et de marketing de Canalsat, le résultat opérationnel de Canal+ ne serait pas négatif pour un montant de 264 millions d’euros, mais positif pour 100 millions !

M. Marcel Rogemont. Il y a trente ans, M. Rousselet lançait Canal+, une chaîne tout à fait particulière dans le paysage audiovisuel français, qui, depuis, est devenu un petit groupe menant sa vie avec force et vigueur, dont l’environnement a profondément évolué sur le plan concurrentiel et financier.

Je profite du fait que je parle finances pour faire une remarque. Sachant que l’on nous annonce une perte de 264 millions d’euros pour Canal+, mais que le résultat opérationnel de sa société éditrice s’élève à 100 millions, et que certains laissent entendre que la présentation des comptes dépendrait des affectations de coûts entre Canal+ et Canalsat, on peut finir par se demander si ces données ne soulignent pas précisément la singularité de Canal+, qui bénéficie de dispositifs fiscaux particuliers en échange d’une mission de service public. Cette façon de présenter les comptes, si tant est qu’elle soit délibérée, ne vise-t-elle pas à nous interroger sur l’architecture financière et les obligations de Canal+ ? M. Michel Herbillon et moi-même, qui coprésidons le groupe d’études de l’Assemblée sur le cinéma et la production audiovisuelle, pouvons témoigner que l’absence de Canal+ du festival de Cannes a été vécue comme une désertion par les nombreuses personnes que nous avons auditionnées. Une profonde inquiétude se fait jour. Pouvez-vous réagir sur ce sujet ?

Je m’interroge sur le fait que Vivendi ait vendu SFR à Altice alors que vous indiquiez dans votre propos initial, monsieur Thiery, à quel point les opérateurs de télécoms constituaient pour vous des concurrents.

J’ajouterai moins une question qu’un sentiment personnel. J’avais, pour ma part, les yeux de Chimène pour le projet de Jean-Marie Messier, mais je trouve intéressant que l’on nous propose aujourd’hui un projet français tourné vers l’international par une volonté puissante. Je rappelle que les industries culturelles françaises exportent plus que l’automobile. Il est très important qu’émerge, sur le plan français voire européen, un groupe qui soit en mesure de créer et de diffuser. Je n’ai pas d’inquiétude sur ce terrain. Je m’interroge seulement sur la place que peut avoir Canal+, dans sa singularité, à l’intérieur de ce groupe.

M. Paul Salen. En son temps, la création de Canal+ a révolutionné le monde de la télévision : c’est peut-être pour cela que nous y sommes si attachés. À l’époque, la concurrence était très faible, ce qui a peut-être habitué le groupe à vivre dans un certain confort.

Aujourd’hui, il est confronté à de grosses difficultés liées au piratage ou à la concurrence transnationale ou nationale, avec les chaînes françaises gratuites. Vous perdez 300 000 abonnés par an depuis 2012, ce qui représente, à ce jour, près d’un million d’abonnements. Vous expliquez que, pour vous redresser, vous comptez beaucoup sur l’entrée de Canal+ dans le groupe Vivendi, mais, comme mes collègues, je reste un peu sur ma faim. Quels grands changements envisagez-vous pour améliorer votre situation ? Quelles véritables nouveautés prévoyez-vous ? Par ailleurs serez-vous capables de conserver iTélé qui enregistre des pertes importantes ? Comment procéderez-vous ?

Pour ma part, je reste persuadé que la diffusion en clair de Canal+ constitue une bonne plage de publicité et un bon moyen de communiquer pour donner envie de rester sur Canal+ et de s’abonner.

M. Michel Françaix. Je pense à une formule de Tocqueville selon laquelle, « ce qu’il y a souvent de plus difficile à apprécier et à comprendre, c’est ce qui se passe sous nos yeux ».

Il s’est passé quelque chose en 1984. Ce fut la première révolution de la télévision. J’étais, à l’époque, un petit chargé de mission à l’Elysée où je travaillais pour André Rousselet. Tout le monde considérait que ce qui était fait était scandaleux. La priorité était alors d’empêcher que le service public soit le seul acteur de la télévision française – il exerçait jusque-là un véritable monopole. Aujourd’hui, nous en sommes au point où certains voudraient que le service public disparaisse complètement et qu’il n’y ait plus que des chaînes privées. Je fais partie de ceux qui pensent que l’équilibre est une bonne solution.

Vous nous dites à juste titre que cette époque est révolue. Nous sommes en effet passés de la pénurie à l’abondance de chaînes – on en compte vingt-six là où il n’y en avait que six. Vous vous demandez par exemple comment réussir à faire vivre toutes les chaînes d’information en continu du PAF de demain. Sur tous ces points, vous avez sans doute raison : un modèle est mort, et le suivant n’est pas encore né. Cela s’appelle une crise.

Vous cherchez à la résoudre en affirmant deux choses. Le national, c’était bien, dites-vous, nous essaierons de nous en occuper encore un peu, mais la seule chose qui nous intéresse, c’est l’international. Peut-être d’ailleurs avez-vous raison ! Vous ajoutez : la singularité de Canal+, c’était bien, mais cela n’a plus aucun intérêt. Maintenant, il faut façonner l’audiovisuel moderne, et intégrer Canal+ à Vivendi. Lorsque nous vous demandons comment seront conservés l’esprit et l’image de Canal+, vous nous répondez : ils seront peut-être conservés, mais ce n’est plus d’actualité ; il n’y a plus de Canal+, il y a un groupe Vivendi qui doit être relativement rentable.

Je fais partie de ceux qui pensent que l’on pourrait peut-être faire la synthèse entre, d’une part, le groupe puissant et le développement à l’international – nous sommes heureux de cette réussite unique –, et, d’autre part, quelque chose d’humain et de proche – si nous pouvions sentir cela, je ne serais pas mécontent.

Mme Isabelle Attard. Vous nous avez parlé de la perte de vos abonnés. Elle remonte à 2012, mais surtout à septembre 2015, date du coup de balai sur Canal+ avec le départ de vingt dirigeants du groupe, ce qui fait beaucoup de changements. Je m’interroge sincèrement sur ce que Vincent Bolloré et vous souhaitez faire d’une chaîne qui nous tient à cœur. Les gens s’abonnaient à Canal+ en raison de sa spécificité, d’un esprit, du désir de voir quelque chose de différent. Si vous voulez en faire une chaîne classique, alors nous n’aurons plus aucun intérêt à nous abonner, et nous irons directement sur D8 ou sur Netflix.

Pouvez-vous nous dire combien vous avez perdu d’abonnés depuis le mois de septembre ? Votre modèle économique est fondé sur les abonnements. Vous vous adaptez au nombre d’abonnements qui rentrent et vous produisez selon ce qu’ils rapportent. Comment faire en perdant des abonnés ?

Vous avez récemment présenté vos résultats par entité au lieu de le faire au niveau du groupe. Cette présentation des chiffres me gêne. Vous avancez par exemple de bons chiffres s’agissant de Canal+ Overseas. Sachant que son activité se fonde sur les contenus de Canal+, cette entité contribue-t-elle aux dépenses de la chaîne premium ? Il est trop facile, lorsque l’on veut tuer son chien, de dire qu’il a la rage.

Une charte éthique était en discussion à Canal+. Avez-vous avancé sur le sujet ?

Monsieur Gérald-Brice Viret, quel peut-être l’avenir de l’investigation sur Canal+, lorsque l’on sait que huit thèmes de documentaires sur dix ont été refusés ? Que produisez-vous spécifiquement en interne ? Je ne parle évidemment pas du Petit Journal qui n’est pas strictement produit en interne.

M. Bolloré, qui a des parts dans la société de production de Cyril Hanouna, H2O, s’est engagé à verser à cette dernière 50 millions d’euros par an pendant cinq ans. Est-il possible de savoir en échange de quoi, et quelles en seront les contreparties ?

M. Christophe Premat. Au-delà de la question financière, avez-vous la volonté de renouveler l’offre que représente iTélé, et comment comptez-vous assurer son avenir ?

Votre groupe a signé la charte de la diversité en 2004. A-t-elle vocation à être renouvelée ? Assurez-vous un suivi de l’application de ses prescriptions, et des éventuelles plaintes ? Avez-vous mis en place une médiation dans ce domaine ? Quelles conséquences la charte a-t-elle sur la diversité des programmes ? C’est une question importante au moment où la fondation Lilian Thuram travaille énormément sur la diversité dans le sport, dans l’éducation et dans les médias.

Votre stratégie internationale de pénétration des marchés étrangers passe par des accords avec des pays où diffuser Canal+. En tant que député des Français établis hors de France, je reçois beaucoup de demandes concernant l’accès aux contenus de Canal+ en ligne, et l’on m’interroge également sur votre politique de sous-titrage.

M. Frédéric Reiss. Dans le contexte marqué par la mondialisation et l’appétit féroce des GAFA, je tiens à souligner la volonté de Vivendi de continuer à s’investir dans la création et le cinéma français. Monsieur Thiery, j’ai bien noté que vous êtes en train de réinventer un modèle avec des enjeux cruciaux : la survie de Canal+ et celle d’iTélé.

En général, un chef d’entreprise essaie de valoriser sa stratégie : c’est bon pour le moral des collaborateurs et, en conséquence, pour les clients, en l’espèce, les abonnés. Aujourd’hui, nous ne pouvons qu’être perplexes. Appliquez-vous un principe de réalité ou médiatisez-vous de mauvais chiffres et noircissez-vous le tableau volontairement, comme l’on dit un certain nombre de collègues, pour mieux rebondir et, peut-être, gagner la bienveillance du CSA dans les nouvelles alliances qui se dessinent ?

Mme Martine Martinel. Messieurs, vous avez évoqué les nouveaux modèles économiques et la transformation du paysage audiovisuel, mais, sans que la nostalgie soit de mise, je ne sais si vous mesurez à quel point vous nous obligez à faire le deuil d’une époque et par là même le deuil de nous-mêmes. Nous avons l’impression qu’une politique assez violente est menée non seulement en interne – on pense au nombre d’évictions récentes – mais aussi en externe, à l’égard du téléspectateur, contre la diversité, l’exception culturelle, le ton, l’impertinence et l’originalité auxquels il est attaché. Si Canal+ se met à ressembler à toutes les autres chaînes, quel est l’intérêt de rester abonné ?

Comme un grand nombre d’entre nous dans cette salle, je suis une abonnée de la première heure. Alors que vous avez beaucoup développé votre politique à l’international, quelle politique comptez-vous mener pour proposer des programmes attractifs en France et quels choix ferez-vous s’agissant des programmes diffusés en clair ?

M. Bernard Debré. L’avenir d’iTélé, dont le déficit atteint 20 millions d’euros, est préoccupant. L’apparition très surprenante d’une chaîne publique d’information rendra probablement la concurrence encore plus rude. iTélé est financé par l’argent privé, et ses déficits sont analysés et jugés, alors que la future chaîne publique sera financée sur fonds publics et que ses déficits seront sans doute regardés de moins près. C’est une concurrence qui me paraît déloyale. La création de cette chaîne publique d’information en continu risque-t-elle de porter un coup fatal à iTélé ?

M. Jacques Cresta. Messieurs, permettez-moi, à mon tour, de saluer la mémoire d’André Rousselet, fondateur de Canal+ et proche de François Mitterrand, qui nous a quittés ce week-end.

Alors que le groupe Canal+ a connu depuis un an d’importants changements en termes de gouvernance et de programmation, je souhaite vous interroger sur deux sujets qui me semblent essentiels.

Tout d’abord, et puisque vous êtes aujourd’hui auditionné par des députés habitués à suivre ou à participer aux débats télévisés des chaînes de direct, j’aimerais vous interroger sur l’avenir de la chaîne iTélé, et sur la place de la politique dans ses programmes. En effet, à la rentrée prochaine, la chaîne iTélé, rebaptisée C-News, devrait couvrir « plus de sport, plus de cinéma, plus de culture, plus déconomie, plus d’international » Si ces orientations annoncées par Vincent Bolloré en mai sont intéressantes, je m’inquiète cependant de l’absence de la politique parmi ces perspectives. La chaîne iTélé est en effet connue et appréciée pour ses émissions de débats sur l’actualité, qui permettent au grand public de voir se confronter des représentants de couleur politique différente et de comprendre leurs divergences. Je pense en particulier aux émissions du soir : Tirs Croisés, On ne va pas se mentir, ou Galzi jusqu’à minuit. Ces émissions sont essentielles à la vitalité d’une grande démocratie comme la France. Quelles assurances êtes-vous aujourd’hui en mesure de nous donner sur la permanence de ces programmes à la rentrée prochaine ?

Par ailleurs, le groupe Canal+ est, depuis sa création, un acteur majeur du financement du cinéma en France via son obligation d’investir 12,5 % de son chiffre d’affaires dans le pré-achat de films, dont 9,5 % de longs-métrages d’expression française. Or, lors du dernier festival de Cannes, l’absence de Canal+ a été l’objet de vives inquiétudes de la part des professionnels du cinéma. Monsieur le président, monsieur le directeur général, doit-on craindre un désengagement de Canal+ dans le financement du cinéma en France, ce qui serait particulièrement dommageable pour notre production artistique ?

M. Christian Kert. Monsieur Thiery, vos propos sur les grands groupes internationaux ont quelque chose d’un peu inquiétant. La situation que vous décrivez vous place sur la défensive, mais avez-vous le sentiment qu’elle vous conduit à adopter un nouveau modèle économique ? Les groupes français de l’audiovisuel vont-ils réellement pâtir dans les années qui viennent d’une concurrence qui, à certains égards, peut apparaître comme déloyale ?

Mme Julie Sommaruga. Monsieur Thiery, vous l’avez entendu, nous sommes nombreux à être attachés à l’esprit Canal. L’un des enjeux de la réorganisation consécutive aux difficultés que vous rencontrez consiste à ne pas perdre l’identité de votre chaîne. De ce point de vue, nous pouvons avoir des inquiétudes sur les contenus futurs et sur les choix éditoriaux qui s’éloigneraient du « ton Canal ».

Dans votre présentation, j’ai eu du mal à comprendre comment vous allez préserver l’originalité de la chaîne et son indépendance de ton. Pouvez-vous nous en dire plus ? Pourriez-vous également nous éclairer davantage sur les changements que vous souhaitez opérer, en étant précis sur le contenu de ces changements ?

Mme Véronique Besse. Deux chiffres, significatifs du climat actuel et du regard très sévère que nos concitoyens portent sur l’exercice de leur métier par les journalistes, méritent d’être rappelés : seuls 27 % des Français estiment que les journalistes sont indépendants des pressions politiques et de l’argent, et seuls 26 % pensent qu’ils sont en phase avec la réalité et qu’ils parlent des vrais problèmes des Français. La critique est sévère : les Français ne croient ni à l’indépendance des médias ni à leur connexion à la vie réelle.

L’arrivée de M. Bolloré, directeur d’un grand groupe financier, à la tête du groupe Canal+ ne semble pas pouvoir améliorer la situation. Elle confirme même le sentiment des Français quant à la porosité des milieux financiers et de la presse.

Que comptez-vous faire pour rétablir la confiance entre les Français et les médias, et plus précisément pour éviter les conflits d’intérêts entre, d’un côté, les grands groupes financiers et les industriels, et, de l’autre, les médias ?

Mme Dominique Nachury. Je m’associe à l’hommage rendu par le président de notre commission et par nos collègues au fondateur de Canal+, André Rousselet.

Vincent Bolloré s’est engagé à créer un comité d’éthique et le CSA a demandé qu’il soit composé de personnalités indépendantes. Ce comité s’est-il réuni et sa composition initiale a-t-elle été modifiée ?

Monsieur Thiery, vous avez annoncé des pertes atteignant 264 millions d’euros en 2015, et une prévision encore supérieure pour 2016. Cela peut-il avoir des conséquences sur le financement du cinéma ?

Un changement de nom des chaînes du groupe Canal+ est évoqué pour davantage de clarté – et d’autres modifications sont peut-être prévues. Pouvez-vous nous en dire plus ?

M. Maxime Saada, directeur général du groupe Canal+. J’ai senti dans cette salle un grand attachement à Canal+, ce dont je me réjouis, mais aussi beaucoup d’inquiétudes, parfois légitimes.

J’ai intégré, en avril 2004, le groupe Canal+ qui sortait alors d’une passe difficile : sa dette de 5 milliards d’euros avait été recapitalisée par Vivendi, déjà, à hauteur de 3 milliards, et deux plans sociaux venaient d’avoir lieu sous la houlette de Bertrand Meheut qui m’a recruté, et avec lequel j’ai fait l’essentiel de ma carrière au sein du groupe. Rodolphe Belmer, qui était mon ami, m’a fait venir chez Canal+. Je rappelle ces éléments pour vous dire que je suis attaché à un certain nombre de personnes qui ont quitté Canal+.

Je crois aussi que je connais la réalité du groupe. J’ai été, à mon arrivée, directeur de la stratégie pendant trois ans, puis directeur du marketing, directeur commercial, et patron de la distribution, c’est-à-dire de tout ce qui produit le chiffre d’affaires réalisé en France métropolitaine par le groupe, avant de prendre la direction des antennes, sous la responsabilité de Rodolphe Belmer, il y a trois ans.

Je salue la mémoire d’André Rousselet. Nous sommes tous très émus chez Canal+ ces jours-ci, car ce dernier a, encore aujourd’hui, une importance considérable dans l’esprit des équipes.

La stratégie internationale ne se fonde pas sur une volonté de se focaliser sur l’international : elle est une question de survie. On ne peut plus aujourd’hui exister en tant que groupe média si l’on n’a pas d’approche internationale. La concurrence des GAFA n’est pas potentielle : elle est malheureusement bien réelle aujourd’hui même.

Nous sommes par exemple régulièrement privés de programmes par ces acteurs qui peuvent acheter sur une base mondiale, alors que nous ne nous appuyons que sur quelques territoires. Nous n’avons pas accès à certaines séries produites par les Américains ou d’autres pays étrangers parce que Netflix fait des offres sur cent pays. Même si notre offre est très attractive sur le territoire français, voire supérieure à celle de nos concurrents pour notre pays, l’ayant droit va préférer un Netflix ou un Amazon. Depuis plus d’un an, avec l’arrivée de Netflix en France, il nous est arrivé régulièrement de perdre des programmes. Cela concerne également les autres acteurs nationaux – vous avez certainement appris que TF1 et Netflix avaient passé un accord pour la diffusion d’une série. Tout le PAF est fragilisé face à des acteurs internationaux qui peuvent acquérir des programmes sur une base mondiale.

C’est également vrai dans le domaine des droits sportifs : Eurosport a raflé les Jeux olympiques au nez et à la barbe de France Télévisions. Ce n’est pas nous qui sommes privés des JO pour les deux prochaines éditions – nous avons un accord avec France Télévisions qui nous les sous-licencie –, mais le service public, sous réserve d’un éventuel accord avec l’entreprise américaine Discovery, maison mère d’Eurosport. Nous pensons en conséquence que, pour survivre, et pour avoir accès à des programmes qui sont parfois considérés comme les meilleurs de leur catégorie, il est absolument nécessaire d’avoir une empreinte géographique qui dépasse le cadre du territoire français.

Nous sommes évidemment très attachés à la singularité de Canal+. Nous ne pensons pas faire une télévision « comme les autres » ni une télévision « classique ». Cela dit, toute une partie des gens qui faisaient la chaîne, à l’époque où régnait ce que certains appellent aujourd’hui « l’esprit Canal », récusent totalement ce terme. C’est le cas, par exemple, de Dominique Farrugia des Nuls, pour ceux qui le connaissent. J’étais avec lui hier…

M. le président Patrick Bloche. Nous sommes à la commission de la culture ; nous en avons un peu ! (Sourires.)

M. Maxime Saada. Pour moi, « l’esprit Canal », nous pourrions en parler pendant des heures. Il me semble que le point clef en la matière, c’est d’abord de recruter des gens qui ont du talent et de les mettre à l’antenne – c’est notre métier –, et c’est ensuite leur donner le plus de liberté et de moyens possibles pour qu’ils produisent ce qu’ils ont envie de produire. Je crois que ceux qui regardent la chaîne aujourd’hui ont tous les jours la démonstration de la liberté éditoriale à laquelle nous sommes attachés. Il n’y a pas une chaîne dans le PAF qui pratique autant la dérision à l’égard de ses dirigeants que Canal+. Cela n’existe pas ; il n’y a pas d’autre exemple que celui-là.

Sur les questions relatives à la censure, je suis très l’aise – ni M. Jean-Christophe Thiery ni M. Gérald-Brice Viret n’étaient là lors de la discussion sur la diffusion de l’enquête consacrée au Crédit mutuel. Je préside le comité qui choisit les investigations : il n’y a jamais eu aucune censure, aucune instruction d’où qu’elle vienne. Je suis très attaché à l’investigation. Il est totalement inexact que huit documentaires sur dix aient été refusés. Nous avons mis en place un processus, il y a des années, qui consiste à nous interroger : il y a les investigations que nous voulons mener, et celles pour lesquelles nous avons des doutes. Il peut y avoir de nombreuses et bonnes raisons d’avoir des doutes : le sujet comporte-t-il des révélations, a-t-il déjà été traité par ailleurs – la notion d’inédit est importante pour Canal+ ? Lorsque l’on me propose une investigation sur YouTube alors que j’ai été nommé un mois auparavant président de Dailymotion, je refuse parce que cela me semble très déplacé. Les refus de lancer une investigation ont toujours eu de bonnes raisons. Aucun fait précis et concret n’est démontré pour justifier l’accusation de censure. Nous rencontrons régulièrement la société des journalistes du groupe Canal+. Ils nous disent qu’ils n’ont jamais eu une liberté aussi importante. Certains ont même évoqué le fait qu’ils étaient en autogestion sur iTélé. Cela semble difficilement compatible avec l’idée d’une censure.

Nous avons été interrogés sur le projet Vivendi. Je veux insister sur le fait que les synergies dont nous parlons se font toujours dans le respect du pluralisme. Nous avons par exemple été très attentifs, parce que nous savions qu’il y avait des inquiétudes sur ce sujet, à ce que les groupes musicaux et les artistes qui passent à l’antenne soient issus de l’ensemble des labels autres que Universal Music – même au-delà de leur parts de marché. Les artistes Sony ou Warner passent régulièrement sur la chaîne, en particulier sur la scène du Grand Journal.

Le fait que Canal+ appartienne au groupe Vivendi a en revanche été déterminant pour remporter deux appels d’offres récents : celui relatif au festival de Cannes, pour lequel nous avons signé une exclusivité pour cinq ans, et celui portant sur le Top 14, le championnat de France de rugby, que nous diffuserons jusqu’en 2023. Nous avons séduit et nous avons gagné notamment sur des aspects qualitatifs, parce que nous avions la possibilité de favoriser l’exposition de ces événements, par exemple via Dailymotion ou en organisant des concerts via Universal Music. Cette année, la finale du Top 14 se déroulera exceptionnellement à Barcelone parce qu’il n’y a plus de stade disponible en France en raison de l’Euro de football. L’enjeu est considérable pour un sport qui n’a jamais rempli un stade de 90 000 personnes comme le Camp Nou de Barcelone. Nous avions la responsabilité d’aider la Ligue nationale de rugby à remplir le stade. Nous l’avons fait, grâce à Universal Music, en organisant un concert, comme celui programmé aux États-Unis pour le Super Bowl qui est le plus grand show télévisé du monde. Grâce aux artistes, nous avons sans peine réussi à écouler 90 000 places. Nous avons de la même manière fait venir Will I am pour l’inauguration du nouveau Parc Olympique lyonnais, le stade de Jean-Michel Aulas et de l’Olympique lyonnais. Ce sont là de vraies synergies entre Universal Music et Canal+.

Pour revenir à Dailymotion, le projet Vivendi s’appuie sur deux éléments fondamentaux : l’investissement dans les contenus, et les plateformes de distribution de ces derniers.

S’agissant d’abord des contenus, nous avons l’absolue conviction qu’il y a une place à prendre au plan mondial pour devenir la vitrine de la culture française, européenne et latine. Nous avons des accords avec la plupart des grands acteurs américains du cinéma, Disney, Universal, Warner, Fox, Paramount… Nous constatons que la culture américaine a toujours tendance à « s’américaniser » davantage. Ceux qui n’aiment pas les superhéros vont être déçus : il y aura de plus en plus de films de superhéros sur nos écrans, qui s’adresseront principalement à des adolescents ou à des pré-adolescents. Cependant, nous pensons que la place de la culture européenne augmentera car nombreux sont ceux, y compris aux États-Unis et dans tous les pays anglo-saxons, qui aspirent à avoir accès à des programmes et des films à forte valeur ajoutée culturelle. Nous avons la chance de disposer en France de l’un des patrimoines culturels les plus enviés du monde, et d’avoir, de même, de véritables richesses en Italie, en Angleterre, en Espagne… Elles font la force de notre continent, et elles sont très attractives pour toutes les populations du monde entier, que ce soit en Europe même, en Afrique, en Asie ou aux États-Unis. Paddington, Imitation Game, Legend sont des succès mondiaux à partir d’histoires très « domestiques » – britanniques en l’espèce. La série Baron noir se vend par exemple comme aucune série française ne s’est jamais vendue à travers le monde ; elle raconte pourtant une histoire très française… C’est en tout cas une bonne nouvelle.

L’une de nos filiales, Red Production Company, a produit Happy Valley, une série extrêmement britannique que je vous recommande. Il y a quelques années, nous n’aurions pas fait d’audience en la diffusant. Les abonnés étaient intéressés soit par la production française soit par la production américaine. Aujourd’hui, avec ce genre de séries, comme Gomorra, très italienne, nous rencontrons des succès phénoménaux, que ce soit en France ou à l’international. Nous sommes convaincus de notre capacité à exporter cette culture et à en faire un succès au plan mondial. L’investissement dans les contenus passe par la revendication de cultures nationales, et non par une homogénéisation d’une production copiée sur celle des Américains, ce qui n’est pas du tout ce que nous avons envie de faire !

Nous avons ensuite besoin de plateformes pour distribuer ces contenus. C’est la logique adoptée par Dailymotion, ou celle des accords que nous avons signés avec un certain nombre d’opérateurs, en particulier en Europe du Sud, notamment Telecom Italia et Telefónica, qui nous donnent accès à des centaines de millions d’abonnés en Amérique latine. Nous voulons produire des contenus et avoir des partenaires qui les distribuent. En France, nos premiers distributeurs sont Orange, Free, Bouygues Télécom, et peut-être SFR. C’est la vocation de Dailymotion qui a la chance d’être une plateforme française et mondiale très puissante puisqu’elle accueille 400 millions de visiteurs par mois dans le monde. Elle peut nous servir à exporter et à revendiquer des contenus partout dans le monde. Aujourd’hui, nous voulons « premiumiser » la plateforme en la nettoyant de tous ces contenus de faible qualité ou pirates, et y substituer des contenus à plus forte valeur ajoutée, notamment culturelle.

Avant 2014, le groupe Canal+ n’avait jamais communiqué de chiffres par entité : nous communiquions au niveau du groupe, en comptant parfois les abonnés africains pour obtenir un ensemble qui comprenait les abonnés de Canal+, Canalsat, Canal+ Overseas et Canalplay. S’agissant des abonnés, la situation de Canal+ est mauvaise depuis 2004. Je suis arrivé à Canal cette année-là, et je me suis occupé directement du portefeuille abonnés pendant près de sept ans. Depuis 2004, Canal+ a été une seule fois à l’équilibre en termes d’abonnés : une unique fois nous avons réussi à avoir un solde positif d’abonnés à mille près par rapport au début de l’année précédente. La situation de Canal+ a toujours été compliquée.

Cela s’est accentué, non pas en septembre 2015, mais, globalement, avec l’arrivée de BeIN Sports qui a dépensé des centaines de millions d’euros pour acquérir des droits sportifs – nous estimons qu’ils ont dû débourser 500 millions. Cela a provoqué un très important nombre de départs, mais aussi la « non-venue » de nouveaux abonnés potentiels. En 2012, les chaînes Canal perdaient 21 millions d’euros ; en 2015, elles ont perdu 264 millions d’euros. En 2016, elles perdront 408 millions d’euros et, si nous ne redressons pas la situation, nous savons d’ores et déjà que les pertes de 2017 seront de l’ordre de 475 millions euros, car nous absorberons les effets en année pleine de notre acquisition des droits de la Ligue 1 et de la Ligue 2, pour 70 millions d’euros supplémentaires. Le portefeuille moyen de Canal+ s’élevait, en 2012, à 4 425 000 abonnés ; à la fin de 2015, on en comptait 4 109 000, et, en 2016, 3 880 000, soit 545 000 abonnés perdus en cinq ans.

La communication par entité, avec une répartition entre Canal+ et Canalsat, répond aux injonctions de l’Autorité de la concurrence qui nous demandait davantage de transparence sur les coûts et les résultats respectifs de Canal+ et de Canalsat. Cette répartition est validée par l’Autorité de la concurrence et le mandataire social qui la représente, avec lequel nous avons des échanges constants – cela a été reconnu par le CSA, de même que les difficultés du groupe, dans son rapport sur l’opération BeIN. À la fin de l’année 2015, je rappelle que la dette du groupe Canal+ s’élève à 1,154 milliard d’euros – comme nous l’indiquions, nos concurrents ne sont pas dans cette situation.

Selon nous, BeIN perd 300 millions d’euros par an. Avant de parler de l’accord entre Canal et BeIN, il faut bien voir que, sans accord, il existe un risque potentiel sur chacune des deux entités. De mon point de vue, le pire pour les consommateurs, pour les fédérations et les ayants droit divers du sport, serait que les deux entités disparaissent. On peut toujours dire que l’argent n’est pas un sujet pour les Qataris, mais pendant combien de temps peut-on supporter 300 millions de pertes annuelles, même lorsqu’on a du pétrole ou du gaz ?

L’accord avec BeIN n’est pas un rapprochement capitalistique, mais un accord de distribution exclusive. Il ne vise pas à baisser les coûts des droits. En la matière, il n’y aura d’ailleurs aucun gros sujet dans les quatre ou cinq prochaines années. L’accord ne cherche pas à faire des économies. Il part de l’idée que nous perdons tous les deux de l’argent. BeIN dispose de 2,5 à 3 millions d’abonnés tandis que nous sommes en décroissance d’abonnés. Aux bornes des deux groupes, nous constatons que nous n’avons pas été très efficaces. Nous avons notamment été pénalisés par la fragmentation des droits : il était difficile à un prospect de savoir quelle entité diffusait quel match. De nombreux abonnés nous interrogent : les gens sont complètement perdus. Or nous savons que, souvent, en télévision payante, lorsque l’on est perdu, on n’achète pas. BeIN et Canal constatent ensemble qu’en France, seuls 20 % des téléspectateurs paient pour la télévision alors que la pénétration de la télévision payante en Grande-Bretagne atteint 45 %. Il existe donc un potentiel en la matière : nous pouvons convaincre des gens de payer pour la télévision si nous le faisons de façon plus efficace. Avec BeIN, nous avons une logique de développement qui ne consiste ni à réduire les coûts ni à léser le consommateur. Nous nous sommes d’ailleurs engagés auprès de l’Autorité de la concurrence à continuer à proposer BeIN en offre isolée – le produit aujourd’hui vendu à 13 ou 14 euros –, sans obliger le consommateur à passer par Canal+ ou Canalsat. Je comprends qu’il y ait pu y avoir des inquiétudes en la matière.

Je comprends aussi que l’on puisse être inquiet s’agissant des droits sportifs. C’est un vrai sujet. Nous dépensons exactement 822 millions d’euros à ce titre, soit à peu près la moitié des investissements de Canal+ dans les programmes. L’inflation en la matière est incessante. Il y a de quoi être inquiet lorsque l’on voit ce qui se passe sur les marchés étrangers, et que l’on constate l’intégration verticale par des opérateurs télécoms. Ces derniers disposent de bien plus de moyens que nous : nous estimons que SFR a payé au moins deux fois plus que nous pour les droits de la ligue anglaise. Ils peuvent peut-être l’amortir avec leurs 13 millions de clients ; nous n’aurions pas pu le faire.

À Canal+, nous sommes extrêmement attachés au cinéma. Pas seulement parce nous l’aimons, mais aussi parce qu’il reste, de loin, la première motivation de l’abonnement : plus de 85 % de nos abonnés ont choisi Canal pour le cinéma, en particulier pour le cinéma français. Nous considérons que le cinéma fait partie intégrante de notre projet, et qu’il s’agit d’un avantage compétitif très important pour Canal+. Il n’est donc pas question pour nous, tant que nous en aurons la capacité, de réduire nos investissements dans le cinéma français. D’ailleurs, sur les premiers mois de l’année, nous sommes allés au-delà de nos obligations : nous avons investi davantage dans le cinéma français que ce qui nous est imposé. Gérald-Brice Viret reviendra sur notre présence à Cannes, mais elle n’a en rien affecté notre investissement en faveur du cinéma. Ne plus organiser de soirée pendant le festival, ou ne plus s’installer dans un lieu où l’on accueille les représentants du cinéma, ce n’est pas désinvestir, bien au contraire.

Oui, il y aura sans doute des nouvelles offres Canal+ à la rentrée. Nous avons le sentiment qu’il y a bien un sujet de compétitivité et d’attractivité : il est compliqué aujourd’hui de ne proposer qu’une offre monobloc à 40 euros. Nous avons essayé divers modèles. Vous évoquiez la viabilité économique des offres sans engagement : c’est une vraie question. Il est compliqué, lorsque l’on investit pour 1,5 milliard dans les programmes, de proposer des offres qui n’engagent pas les gens. BeIN perd aujourd’hui environ 300 millions d’euros par an avec une offre sans engagement. C’est compliqué, mais nous ne pouvons pas ne pas bouger car nous avons un vrai problème d’attractivité. Nous tenterons un certain nombre de choses à la rentrée ou à la fin de l’année pour essayer de séduire des populations qui n’ont pas les moyens ou pas l’envie de dépenser 40 euros par mois pour Canal+.

Nous avons été interrogés sur notre accord avec Molotov. Nous avons toujours eu vocation à rendre nos offres accessibles à tous les distributeurs qui le demandaient. Nous n’avons jamais dévié de la même politique : si quelqu’un veut proposer nos chaînes, pourquoi ne pas l’accompagner ?

Quant à l’enregistrement numérique et au cloud, ce sont des innovations intéressantes pour nos clients. Il faut simplement veiller à ce qu’elles ne remettent pas en cause le droit d’auteur et la chronologie des médias à laquelle nous sommes très attachés.

L’offre Canalplay, qui rassemble environ 600 000 abonnés, accuse une perte d’une quinzaine de millions d’euros. Il est très compliqué pour nous d’exercer cette activité car l’une des injonctions auxquelles nous sommes soumis est de ne pas diffuser de contenus exclusifs, ce qui rend la concurrence avec Netflix difficile. Par ailleurs, SFR a choisi du jour au lendemain de ne plus distribuer Canalplay, ce qui a entraîné une perte immédiate de 250 000 abonnés.

S’agissant de Canal+ Overseas, je précise que cet opérateur n’est en rien dépendant des contenus de Canal+ : les émissions en clair ne font pas d’audience sur le territoire africain, voire sont contreproductives ; les achats de droits sportifs sont désolidarisés de ceux que nous effectuons en France, l’offre sportive étant plus riche qu’en France car la concurrence est moins rude. Canal+ Overseas contribue largement au financement des contenus dont il dispose. Il vient même subventionner iTélé à hauteur de un million d’euros.

M. Gerald-Brice Viret, directeur général des antennes du groupe Canal+. Canal+, dont les chaînes sont reçues par 12 millions de Français, dont 4 millions d’abonnés, est au cœur de la nouvelle galaxie Canal. Depuis sa création en 1982 par André Rousselet, elle suit une ligne éditoriale singulière qui lui a permis, lui permet et lui permettra de se différencier des autres chaînes. Soyez assurés que Canal+ sera toujours plus à l’avant-garde. Ce sont près de huit créations originales que nous proposons à nos abonnés cette année, de Versailles au Baron noir, en passant par Section Zero, qui rassemblent près de 2 millions de spectateurs par épisode. Cette impertinence, cette indépendance, nous savons que nous en sommes garants.

Canal+ se doit d’être présente dans le quotidien des téléspectateurs. Le Petit Journal sera reconduit à la rentrée prochaine avec un nouveau présentateur, tout comme le Grand Journal. Nous venons de lancer une nouvelle émission littéraire et nous créerons de nouvelles émissions de cinéma. Au total, vingt-cinq émissions sont en préparation. Vous le verrez, nous vous réserverons bien des surprises, toujours marquées par notre souci d’affirmer notre différence.

Canal+ comprend cinq chaînes : une chaîne consacrée au cinéma, une chaîne dédiée aux sports, une chaîne de séries, une chaîne familiale, une chaîne de visionnage en décalé. L’usage de la télévision évolue et nous nous situons à l’avant-garde de la télévision de rattrapage, grâce à l’application myCanal, que je vous invite à utiliser.

À l’instar de Sky au Royaume-Uni, ou de FranceTélévisions, le groupe Canal+ comprend trois chaînes gratuites à la très forte empreinte éditoriale. Nous avons demandé au CSA l’autorisation de les renommer : C8 au lieu de D8, CStar au lieu de D17, CNews au lieu d’iTélé. Nous attendons avec impatience sa réponse afin d’avancer dans nos projets.

Avec C8, nous comptons marcher sur les platebandes de M6 et en faire la future grande chaîne de notre groupe, qui s’adressera à toutes les générations. Samedi, elle a été la chaîne la plus regardée par les Français grâce à la diffusion gratuite de la finale de la ligue des champions – UEFA. Elle bénéficiera de l’apport d’animateurs comme Cyril Hanouna ou Julien Courbet et nous lancerons une émission politique avec Laurence Ferrari.

Quant à CStar – D17 –, c’est la première chaîne musicale de France, très puissante auprès des jeunes de quinze à trente-quatre ans. Nous comptons accentuer son orientation pluraliste puisque, je peux vous l’assurer, nous diffusons tous les artistes sur cette chaîne.

CNews, autrement dit iTélé, n’est pas à vendre, je le redis, elle constitue un actif très important puisqu’elle s’adresse aux CSP+ et à une majorité de Français susceptibles de s’abonner demain à Canal+. Vous connaissez ses concurrentes : BFM, LCI, et la nouvelle chaîne d’information de France Télévisions, ainsi que France 24 en Île-de-France. Nous devrons revoir son modèle. Elle s’investira dans l’actualité politique : elle jouera ainsi un rôle primordial pendant la campagne présidentielle et couvrira la primaire à droite, notamment à travers l’organisation de débats. Elle sera aussi axée sur l’économie, l’international, la culture, et bénéficiera bien sûr des forces du groupe, grâce au sport, Canal + étant la première chaîne thématique d’information sportive.

Cette galaxie renforcera la cohérence de la marque Canal+. Avec les chaînes premium gratuites, nous aurons la possibilité de promouvoir en permanence nos chaînes payantes. Et nous donnerons la priorité aux abonnés de nos chaînes payantes avec plus des films et une moindre part d’émissions en clair.

M. Jean-François Thiery. Maxime Saada et Gerald-Brice Viret ont déjà balayé beaucoup des questions que vous aviez posées, mesdames, messieurs les députés, mais n’ont pas encore évoqué la proposition de loi qui porte votre nom, monsieur le président, ni la place du comité d’éthique au sein de notre groupe.

Toutes nos chaînes sont engagées au service d’une information indépendante, pluraliste et impartiale. Nous nous inscrivons dans les grandes orientations de votre proposition de loi, monsieur le président. Nous nous appuyons sur une charte, établie en 2002, qui prévoit expressément que le principe de la liberté éditoriale du groupe Canal+ est assuré en toutes circonstances. Ces dispositions ont été renforcées en 2008 par une charte d’éthique financière, qui garantit explicitement le pluralisme d’expression et la liberté éditoriale.

Nous avons également mis en place au début de l’année 2016 un comité d’éthique, dont les travaux ont déjà commencé. Nous avons proposé à six personnalités au parcours exceptionnel d’y siéger : Michèle Reiser, Jacqueline de Guillenchmidt, Colette Neuville, Jean-Marie Coulon, René Ricol et Jean-Marie Colombani. Ces deux derniers, je le précise, ont estimé plus sain de ne pas intégrer cette instance.

S’agissant d’iTélé, j’apporterai des précisions supplémentaires. L’information représente un tout petit marché : 3 % de parts d’audience, si l’on cumule celles de iTélé et de BFM. C’est un métier extraordinairement difficile et très coûteux : iTélé compte 200 journalistes. La diffusion de LCI sur la TNT gratuite et la création d’une chaîne d’information publique conduiront à une surabondance d’offres. La rentabilité sera un objectif difficile pour toutes ces chaînes, BFM mise à part, qui est la seule chaîne d’information à gagner de l’argent. Néanmoins, le groupe Canal+ souhaite conserver une chaîne d’information, comme l’a souligné le président du conseil de surveillance de Vivendi, Vincent Bolloré. Elle constitue un actif important pour notre groupe et il n’est absolument pas question de réduire les effectifs, comme certains l’ont dit. L’enjeu pour nous est de trouver un modèle rentable pour cette chaîne. Il est important à cet égard de l’intégrer dans le groupe Canal+ pour la faire bénéficier de tous les avantages qui y sont liés. Notre ambition est de ramener cette chaîne à l’équilibre. D’ici à un an, je rêve qu’elle ait pleinement développé ses contenus liés au sport, à la culture, et au cinéma, en prenant appui sur le digital – elle doit profiter de cette pépite qu’est Dailymotion.

Certains d’entre vous ont émis des doutes sur l’intérêt que nous portions aux investissements en France, que ce soit en matière de cinéma ou même pour la chaîne Canal+. Je voudrais réaffirmer avec force notre détermination à réussir en France. L’actionnaire de référence du groupe Vivendi, le groupe Bolloré, fêtera bientôt son bicentenaire. Il a toujours investi dans notre pays et se lance dans des investissements extrêmement coûteux de créations d’usines, et donc de création d’emplois, sur notre territoire. C’est à mon sens un argument supplémentaire pour vous rassurer sur nos intentions.

Nous croyons très sincèrement que, pour réussir en France, il faut renforcer l’intégration au sein du groupe Vivendi : cela nous permettra de diffuser les meilleurs contenus pour nos abonnés, de les exporter et d’accéder à un ensemble de canaux de distribution des opérateurs de télécommunication en France ou à l’étranger, lesquels correspondent à un besoin vital pour notre développement international, développement international que peu d’autres groupes de télévision dans notre pays sont susceptibles de mener à bien.

La situation de Canal+ n’est pas facile. Nous devons réinventer un modèle dans un monde qui connaît des mutations accélérées. Nous comptons nous développer en renforçant nos investissements dans la création française et en confortant l’exception culturelle française. Je sais que vous y êtes particulièrement attachés, mesdames, messieurs les députés, et je voulais vous convaincre aujourd’hui que nous l’étions aussi.

M. Patrick Bloche. Merci, monsieur le président, monsieur le directeur général, monsieur le directeur, pour votre présence.

*

Puis la Commission en vient à l’examen de la proposition de résolution de MM. Bruno Le Roux, Marcel Rogemont, Mme Martine Martinel, M. Patrick Bloche et plusieurs de leurs collègues relative à la création d’une commission d’enquête sur les conditions d’octroi d’une autorisation d’émettre à la chaîne Numéro 23 et de sa vente (n° 3711), présentée par M. Marcel Rogemont, rapporteur.

M. le président Patrick Bloche. Le sujet que nous abordons maintenant ne nous est pas inconnu : nous avons eu souvent l’occasion ces derniers mois d’avoir des échanges sur les autorisations d’émettre sur fréquences hertziennes. Nous avons même voté des dispositions législatives les concernant, notamment une taxation des revenus tirés de la revente de ces fréquences.

Je laisse sans plus tarder la parole à M. Marcel Rogemont, qui a dû fournir un travail express sur ce sujet qu’il connaît bien, car c’est la semaine dernière que nous l’avons désigné comme rapporteur de cette proposition de résolution.

M. Marcel Rogemont, rapporteur. Ce sujet nous occupe depuis 2012. Mes chers collègues, le spectre hertzien fait partie du domaine public et reste une ressource rare ; seul l’État peut mettre des fréquences à disposition temporaire et conditionnelle d’acteurs publics et privés pour qu’ils diffusent leurs programmes.

Afin que les attributions de fréquences en matière audiovisuelle échappent aux accusations de partialité, le législateur a mis en place des règles et procédures ayant pour objectif d’assurer qu’existe une pluralité d’opérateurs dans le respect d’une utilité publique et il a confié la tâche de délivrer les autorisations d’émettre ainsi que de contrôler l’utilisation qui en est faite à une autorité publique indépendante, aujourd’hui le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA).

Cependant, les révélations de certains agissements liés à l’octroi d’une autorisation d’émettre à la société éditant la chaîne de télévision Numéro 23 le 3 juillet 2012, à son retrait par décision du 14 octobre 2015 du CSA, puis à l’annulation subséquente de cette décision par le juge administratif le 30 mars 2016 ne peuvent qu’interroger la représentation nationale.

Avant même cette décision d’annulation, j’avais eu l’occasion de soulever des interrogations fondamentales sur le déroulement de cette procédure d’attribution et de gestion d’une autorisation d’émettre, notamment dans le rapport d’information du 20 janvier 2016 que j’avais présenté au nom de notre commission sur l’application, par le CSA, de la loi du 15 novembre 2013 relative à l’indépendance de l’audiovisuel public.

M. Bruno Le Roux, Mme Martine Martinel, M. Patrick Bloche et les membres du groupe Socialiste, républicain et citoyen, devenu groupe Socialiste, écologiste et républicain, ont déposé, le 3 mai dernier, une proposition de résolution relative à la création d’une commission d’enquête sur les conditions d’octroi d’une autorisation d’émettre à la chaîne Numéro 23 et de sa vente.

S’agissant d’une proposition de résolution n’émanant pas d’un groupe minoritaire ou d’opposition, en application du premier alinéa de l’article 140 du Règlement, il revient à la commission permanente compétente de se prononcer sur la recevabilité juridique d’une telle proposition de résolution et sur l’opportunité de la création de cette commission d’enquête.

La création d’une commission d’enquête est soumise à plusieurs conditions de recevabilité.

En premier lieu, les propositions de résolution tendant à la création de telles commissions doivent, en application de l’article 137 du règlement de notre assemblée, « déterminer avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services ou entreprises publics dont la commission doit examiner la gestion ». Cet impératif est satisfait par l’intitulé de la commission d’enquête qui résulterait de l’adoption de la proposition de résolution déposée par les députés du groupe SRC et par le dispositif de la résolution. La commission d’enquête aurait à se pencher sur trois séries de faits.

Il s’agit, premièrement, des circonstances dans lesquelles une autorisation d’émettre a été octroyée à la société Diversité TV France pour diffuser la chaîne Numéro 23, soit les éléments de droit et de fait qui ont amené le CSA à retenir la candidature de Diversité TV France.

Il s’agit, deuxièmement, des contrôles mis en œuvre envers la société titulaire de l’autorisation pour vérifier le respect des engagements qu’elle a souscrits, notamment dans les documents présentés à l’appui de sa candidature et dans la convention signée avec le CSA concomitamment à la délivrance de l’autorisation.

Il s’agit, troisièmement, des conditions dans lesquelles ont évolué l’actionnariat et le contrôle de la société titulaire de l’autorisation, ainsi que les moyens et les actions mis en œuvre par le CSA dans ce cadre.

En deuxième lieu, en application du premier alinéa de l’article 138 de notre règlement, « est irrecevable toute proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête ayant le même objet qu’une mission effectuée dans les conditions prévues à l’article 145-1 ou qu’une commission d’enquête antérieure avant l’expiration d’un délai de douze mois à compter du terme des travaux de l’une ou de l’autre ». Tel n’est pas le cas ici : la proposition de résolution remplit donc ce critère de recevabilité.

En troisième et dernier lieu, en application du deuxième alinéa de l’article 139 du règlement de notre assemblée, la proposition de résolution ne peut être mise en discussion si le garde des Sceaux « fait connaître que des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition ». M. Jean-Jacques Urvoas, garde des Sceaux, ministre de la justice, a été interrogé par le président de l’Assemblée nationale par lettre du 25 mai dernier, conformément au premier alinéa de ce même article 139. Dans sa réponse du 31 mai, le ministre a signalé qu’une procédure visant des faits de trafic d’influence et de corruption était actuellement ouverte et qu’elle s’intéressait aux conditions d’octroi des autorisations d’émettre, mais qu’à ce jour, la société Diversité TV France n’était pas mise en cause dans cette procédure. Il a conclu en disant « laisser à l’Assemblée nationale le soin d’indiquer si l’existence de cette procédure est de nature à faire obstacle à la création de la commission d’enquête envisagée ». J’estime que ladite procédure ne fait pas en soi obstacle à la création de cette commission d’enquête, pour autant que celle-ci s’abstienne de porter ses investigations sur des faits qui feraient l’objet de la procédure judiciaire engagée.

Venons-en à l’opportunité de la création de cette commission d’enquête.

Je rappelle que la présente proposition de résolution a été déposée à la suite de trois événements qui nécessitent qu’une enquête soit mise en place sur les conditions d’octroi, de contrôle et de régulation de l’autorisation d’émettre sur le réseau numérique terrestre un service de télévision dénommé Numéro 23.

L’information livrée par le garde des Sceaux, signalant que d’autres faits font l’objet d’une information judiciaire et pourraient relever des incriminations de trafic d’influence ou de corruption, ne fait que renforcer la nécessité d’examiner cette affaire en détail pour en tirer les conséquences utiles.

À la suite d’un appel à candidatures pour la diffusion de six nouvelles chaînes de télévision numérique terrestre (TNT), le CSA a délivré le 3 juillet 2012 à la société Tvous La Télédiversité, devenue Diversité TV France, une autorisation d’émettre pour diffuser une chaîne en haute définition sur le numérique hertzien à partir du 12 décembre 2012.

De façon inédite, les conventions signées le même jour avec les sociétés retenues dans le cadre de cet appel à candidatures comportaient chacune une disposition interdisant au titulaire de l’autorisation de « procéder à aucune modification de l’organisation juridique ou économique de la société titulaire de l’autorisation qui aurait pour effet de modifier le contrôle direct de ladite société » pendant un délai de deux ans et demi à compter de sa signature, sauf autorisation du CSA. L’autorisation octroyée a en effet vocation à permettre l’exploitation d’une chaîne télévisée dans la durée et non à en permettre la cession après moins de deux ans de diffusion.

Le 9 avril 2015, soit trois mois après l’expiration du délai prévu par la convention du 3 juillet 2012, la société Diversité TV France et le groupe NextRadioTV ont déposé auprès du CSA une demande d’agrément de modification du contrôle de Diversité TV France dans le cadre de la vente de celle-ci, pour la somme de 88,3 millions d’euros.

À l’occasion de l’instruction par le CSA de ce projet de cession, des agissements condamnables ont été mis au jour : moins de six mois après son lancement effectif, les actionnaires de Diversité TV France se sont rapprochés d’un investisseur russe pour signer un pacte d’actionnaires, dissimulé au CSA jusqu’en avril 2015. Dès le mois de mai 2013, l’actionnaire majoritaire a donc agi « en contradiction avec les objectifs affirmés dans sa candidature, cherchant avant tout à valoriser à son profit l’autorisation administrative dont bénéficiait la société, et ce, dans la seule perspective d’une cession de son capital social à un nouvel actionnaire », comme l’a souligné le CSA.

Par ailleurs, le montant de 88,3 millions d’euros proposé pour la cession du contrôle de Diversité TV est apparu « peu en rapport avec la situation financière de la société, ses pertes actuelles et son plan d’affaires prévisible ». Il en découle que « la valorisation de la société Diversité TV, telle qu’elle ressort du projet de vente soumis au Conseil, repose, à titre principal, sur la valeur de l’autorisation administrative qui lui a été attribuée, et non pas sur sa valeur commerciale ».

Constatant que les démarches menées représentent un « abus de droit à caractère frauduleux » qui ne peut conduire qu’à remettre en cause le choix opéré par le CSA en délivrant une autorisation d’émettre à Diversité TV, le régulateur a décidé de manière exceptionnelle, le 14 octobre 2015, de retirer purement et simplement cette autorisation d’émettre à compter du 30 juin 2016, comme l’y autorise le premier alinéa de l’article 42-3 de la loi du 30 septembre 1986.

À la suite d’un recours pour excès de pouvoir de la société Diversité TV France, le Conseil d’État a estimé, dans son arrêt du 30 mars 2016, qu’« il ne résulte pas de l’instruction qu’une fraude à la loi, de nature à justifier le retrait de l’autorisation, soit démontrée en l’espèce », alors que son rapporteur public avait conclu à l’existence d’une violation, délibérée et avec dissimulation, des obligations légales. Bien que le Conseil d’État ait rappelé que « selon un principe général du droit, une décision administrative obtenue par fraude ne crée pas de droits au profit de son titulaire et peut être retirée à tout moment » par l’autorité qui l’a délivrée, il a également relevé que c’est au CSA de démontrer, par un faisceau d’indices, l’existence de la fraude.

Or, le CSA a expliqué ne pas disposer des moyens d’investigation nécessaires pour assurer un tel contrôle, ainsi encadré par le juge administratif.

L’affaire de la chaîne Numéro 23 soulève ainsi des interrogations fondamentales sur la manière dont une autorité publique indépendante a pu exercer ses missions d’attribution et de gestion des fréquences, mais aussi sur son rôle dans le contrôle du respect des obligations, tant légales que conventionnelles, par les diffuseurs, missions qui lui ont été confiées par le législateur, et les moyens dont elle dispose à cette fin.

L’accès aux informations utiles permettant au Parlement de tirer les conséquences de cette affaire nécessite le recours aux pouvoirs d’investigation d’une commission d’enquête.

Afin que soient mises en lumière les conditions dans lesquelles la société éditant la chaîne Numéro 23 a pu obtenir une autorisation d’émettre et les conditions dans lesquelles ont évolué son capital et son contrôle, il est nécessaire que des investigations poussées puissent être mises en œuvre.

S’agissant d’une autorité publique indépendante, seul le Parlement est à même de recueillir des éléments d’information sur ces faits, puis d’en tirer les conséquences utiles en ce qui concerne le statut du CSA et les procédures prévues par le législateur.

Une telle tâche ne pourrait être dévolue à une simple mission d’information parlementaire, qui se verrait opposer la confidentialité de la procédure et des comptes rendus du CSA, et qui ne pourrait pas accéder aux documents internes de la société Diversité TV France.

Il est donc nécessaire que le rapporteur chargé de ce contrôle puisse disposer des pouvoirs d’investigation sur pièces et sur place prévus par l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.

M. le président Patrick Bloche. Nous en venons aux orateurs des groupes.

M. Stéphane Travert. Monsieur le rapporteur, c’est une grande satisfaction pour les membres du groupe Socialiste, écologiste et républicain que d’examiner cette demande de création d’une commission d’enquête sur les conditions d’octroi d’une autorisation d’émettre à la chaîne Numéro 23 et de sa vente.

Trois séries de faits seront à prendre en compte dans le cadre de cette enquête : les circonstances dans lesquelles une autorisation d’émettre a été octroyée à la société Diversité TV France ; les contrôles mis en œuvre pour vérifier le respect des engagements qu’elle a souscrits, notamment dans la convention signée avec le CSA ; les conditions dans lesquelles ont évolué l’actionnariat et le contrôle ainsi que les moyens et les actions du CSA.

Rappelons que le 3 juillet 2012, le CSA, présidé par M. Michel Boyon, nommé par l’ancien Président de la République, a octroyé une autorisation d’émettre à la société Diversité TV France de M. Pascal Houzelot. Il était prévu que le titulaire de ladite autorisation ne pouvait procéder à une quelconque modification de l’organisation juridique ou économique de la société pendant une durée de deux ans et demi. C’est à l’expiration de ce délai, au mois d’octobre 2015, que M. Pascal Houzelot a envisagé de revendre sa chaîne à M. Alain Weill pour une somme approchant 90 millions d’euros.

En octobre 2015, le CSA a alors décidé de retirer l’autorisation d’émettre dont bénéficiait M. Pascal Houzelot, décision elle-même annulée, le 30 mars dernier, par le Conseil d’État qui a indiqué que « l’existence de la fraude à la loi invoquée pour justifier le retrait de l’autorisation d’émettre n’était pas démontrée ».

En tant que parlementaires, nous nous devons d’éclaircir cette situation car il n’est pas imaginable qu’une telle plus-value puisse être réalisée alors que l’autorisation d’émettre a été délivrée à titre gracieux. Il me semble inconcevable qu’une entreprise spécule sur le domaine public sans que l’autorité de régulation puisse intervenir.

Il est aujourd’hui nécessaire d’entendre l’ensemble des parties prenantes et de faire toute la lumière sur le contenu éditorial de cette chaîne de télévision car le compte n’y est pas, tant sur le plan quantitatif – comme le montrent les différentes mesures d’audience – que qualitatif. Les pouvoirs du CSA semblent aujourd’hui insuffisants pour contrôler ce type d’action spéculative alors même qu’à l’occasion de l’instruction par le CSA du projet de cession, des agissements condamnables ont été mis au jour.

Cette commission d’enquête pourra nous éclairer sur les conditions d’octroi de la fréquence et apporter des précisions sur le contenu du projet éditorial. Nous sommes nombreux à vouloir enfin en prendre connaissance comme nous sommes nombreux à souhaiter que les prérogatives du CSA soient respectées.

La télévision numérique terrestre (TNT) gratuite est un immense laboratoire, qui favorise le développement de programmes alliant audace, diversité, pluralisme, respect du vivre-ensemble, qualités qui ne semblent pas caractériser les programmes de la Chaîne Numéro 23.

L’outil qui permet au téléspectateur de juger, c’est la télécommande : selon l’intérêt de la chaîne, il zappera ou non. Notre devoir de parlementaires est de faire la lumière sur le processus qui a conduit au résultat qui s’affiche aujourd’hui sur nos écrans.

Aujourd’hui, au nom du groupe Socialiste, écologiste et républicain, je souhaite que nous votions cette proposition de résolution afin que la commission d’enquête commence ses travaux dans les meilleurs délais et que nous disposions des pouvoirs d’investigation nécessaires pour tirer toutes les conséquences utiles en ce qui concerne les statuts du CSA.

M. Christian Kert. Notre excellent rapporteur ne nous a pas convaincus. Nous nous étonnons de son choix de recourir à la création d’une commission d’enquête, qui fait figure d’arme lourde dans notre arsenal parlementaire. Si nous nous sommes émus de la revente de la fréquence de la chaîne Numéro 23, nous considérons qu’il ne s’agit pas d’une affaire d’État. Nous essayons de comprendre vers quel objectif devrait tendre cette commission d’enquête – si elle devait être créée. Que chercherait-elle à dénoncer ? S’agirait-il de juger du travail d’une autorité administrative indépendante, le CSA, dont votre majorité, monsieur le président, monsieur le rapporteur, tend à renforcer les pouvoirs depuis quelques années ?

Le choix de créer une commission d’enquête dans l’affaire qui nous occupe nous paraît exagéré. Dans votre exposé des motifs, monsieur le rapporteur, vous allez jusqu’à dire que cette affaire « a constitué un cas d’école qui contribué à jeter le discrédit sur l’ensemble de la politique audiovisuelle ». Je m’inscris en faux contre cette affirmation, même s’il y a un problème avec la chaîne Numéro 23. On affaiblit toujours ce que l’on exagère, vous le savez, dans votre grande sagesse.

Autre sujet de surprise : votre jugement à l’égard de l’arrêt du Conseil d’État, qui a refusé de retenir l’existence d’une fraude. Pourquoi ne pas considérer que cette décision suffit à mettre fin à toute suspicion ? Créer une commission d’enquête ne revient-il pas à contester cette position ?

Nous vous suivons quand vous soulignez que « seul le Parlement est à même de recueillir des éléments d’information sur ces faits, puis d’en tirer les conséquences utiles en ce qui concerne le statut du CSA et les procédures prévues par le législateur ». Mais nous nous écartons de votre raisonnement quand vous dites qu’une mission d’information ne pourrait mener cette tâche. Ne risquons-nous pas d’ajouter de la confusion à de la confusion ?

Dans la perspective de cette proposition de résolution, le président de l’Assemblée nationale, conformément à l’article 139 du Règlement, a interrogé le garde des Sceaux. Pourrait-on, monsieur le rapporteur, connaître la teneur exacte de la réponse du ministre ?

Enfin, n’est-il pas trop tard pour créer une telle commission ? Nous aurions en fait attendu que notre assemblée s’attache à combler le vide juridique à l’origine de ces dysfonctionnements pour prendre une telle initiative… Je rappelle trois évolutions législatives récentes.

Dans la loi d’octobre 2015 relative au deuxième dividende numérique, nous avons introduit un dispositif qui durcit les conditions dans lesquelles le CSA peut agréer un changement de contrôle de la société titulaire de l’autorisation d’usage de la ressource.

Dans la loi de finances pour 2016, nous avons prévu à l’article 114 l’imposition au taux de 25 % des plus-values à long terme lorsqu’elles résultent de la cession de titres d’une société détentrice d’une autorisation pour l’édition d’un service de télévision.

Enfin, dans la proposition de loi visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias, qui vient d’être examinée au Sénat, nous fixons la durée minimale de détention d’une autorisation d’émettre pour un service de télévision en mode numérique à cinq ans à compter de sa délivrance par le CSA.

La création d’une commission d’enquête reviendrait non seulement à contester la position du Conseil d’État mais aussi à ignorer le travail effectué au sein même de notre assemblée. Face à cette démesure, permettez-moi de vous rappeler une phrase issue de l’un de vos rapports : « la juste mesure est une arme puissante qui tranche sans blesser ».

Autant nous étions favorables à la création d’une mission d’information sur cette affaire, autant nous sommes moins favorables à la création d’une commission d’enquête. Le groupe Les Républicains s’abstiendra donc.

Mme Marie-George Buffet. Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine soutiendra cette proposition de résolution. Beaucoup de questions se posent sur les « circonstances particulières » – pour reprendre vos termes, Monsieur le rapporteur – de l’attribution de l’autorisation d’émettre octroyée à la chaîne Numéro 23 : questions sur le contenu éditorial de Diversité TV, questions sur l’inclusion inédite dans la convention de dispositions interdisant au titulaire de procéder à des modifications pendant un délai de deux ans et demi, comme s’il y avait eu une prescience des dérives à venir.

Par ailleurs, d’autres questions se posent sur le délai de la réaction face au contenu : il aura fallu trois ans, à l’occasion de la revente, pour que le CSA s’interroge à ce sujet.

Une commission d’enquête nous permettrait d’obtenir des éclaircissements sur ces circonstances particulières et de réfléchir à une redéfinition du rôle du CSA.

Mme Colette Langlade. Merci, monsieur le rapporteur, pour votre initiative.

Vous soulignez que le législateur a mis en place des règles et procédures ayant pour objectif d’assurer qu’existe une pluralité d’opérateurs pour occuper cette ressource rare qu’est le spectre hertzien. Pouvez-vous nous apporter des précisions à ce sujet ?

M. Christophe Premat. La création d’une commission d’enquête est l’un des derniers outils à notre disposition pour prendre en compte cette affaire. Elle permettra de prolonger vos réflexions sur les taxes relatives aux fréquences hertziennes mais on peut la comprendre aussi comme une volonté de clarifier les compétences du CSA et la régulation de l’audiovisuel public, enjeux sur lesquels vous appelez notre attention depuis des années, Monsieur le rapporteur. Elle est donc tout à fait opportune.

Contrairement à ce qu’affirme M. Kert, les commissions d’enquête ne sont pas réservées aux affaires d’État. Voyez celles en cours qui portent sur les conditions d’abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs ou sur la fibromyalgie.

Je vous remercie de votre initiative, fort bien venue, monsieur le rapporteur.

Mme Martine Martinel. Cette proposition de résolution n’a pas pour but de susciter la suspicion ou de remettre en cause l’équilibre de l’audiovisuel. En outre, elle tient parfaitement compte du travail législatif qui a été accompli.

Il serait bon d’éclaircir les conditions d’octroi de cette fréquence gratuite à une chaîne qui n’a respecté aucun de ses engagements, ni sur le fond, ni sur la forme. Ses responsables ont fait un choix thématique qui n’a conquis aucun public et ont très tôt manifesté le souci de revendre rapidement la fréquence. La constitution d’un pacte d’actionnaires a été marquée par une forte opacité et le gain de 88,3 millions semble relever de l’abus, si ce n’est de la fraude.

Pour toutes ces raisons, la commission d’enquête proposée par notre rapporteur est nécessaire et sera utile par la suite pour préserver l’éthique du secteur audiovisuel.

M. le rapporteur. Monsieur Kert, je tiens la réponse du garde des Sceaux au président de notre assemblée à la disposition de tous les députés et vais en faire lecture : « Vous avez appelé mon attention sur la proposition de M. Le Roux tendant à la création d’une commission d’enquête relative aux conditions dans lesquelles une autorisation d’émettre a été octroyée à Diversité TV France pour diffuser la chaîne Numéro 23 et au contrôle mis en œuvre pour vérifier le respect des engagements qu’elle a souscrits et les conditions dans lesquelles ont évolué l’actionnariat et son contrôle. En application de l’article 139 du règlement de l’Assemblée nationale, j’ai l’honneur de vous informer qu’une procédure visant des faits de trafic d’influence et de corruption est actuellement ouverte, s’intéressant aux conditions d’octroi des autorisations d’émettre. À ce jour, la société Diversité TV France n’est pas mise en cause dans cette procédure. Je ne puis dès lors que vous laisser le soin d’apprécier si l’existence de cette procédure est de nature à faire obstacle à la création de la commission d’enquête envisagée. »

Sur ce point, je tiens à préciser deux choses. D’une part, rien de ce qui est dit dans cette lettre n’empêche la création d’une commission d’enquête. D’autre part, même si une procédure judiciaire relative aux conditions de l’octroi des autorisations d’émettre allait jusqu’à mettre en cause la société Diversité TV France, il nous resterait à examiner les deux autres objets de la commission d’enquête.

Monsieur Kert, vous avez sans doute fait une lecture un peu rapide de l’arrêt du Conseil d’État. Il ne se prononce en rien sur l’existence ou non d’une fraude, il précise simplement que les éléments ne sont pas suffisants pour démontrer qu’il y a eu fraude. Autrement dit, un questionnement demeure. Il est donc intéressant d’aller jusqu’au bout de la logique et d’essayer de comprendre.

Et si ce n’est sans doute pas une affaire d’État, c’est une affaire qui relève du Parlement car tout ce qui touche au CSA et à la TNT l’intéresse au premier chef.

Vous avez eu l’amabilité de rappeler que par trois fois, nous, législateurs, nous sommes attachés à adapter notre législation à la réalité économique du secteur audiovisuel. Ce travail, il faut le poursuivre car il y a une continuité de notre République. Quel que soit le moment où il intervient, il est utile.

Quant à la mission d’information sur l’application de la loi du 15 novembre 2013, elle a déjà mené ses travaux ! En tant que rapporteur, j’ai tenté de creuser ces questions pour modifier éventuellement notre législation. Mais, comme vous le savez, les missions d’information sont toutes bloquées dans leurs travaux à un moment donné.

En 2012, dans le processus d’affectation de six nouvelles chaînes, tous les groupes audiovisuels ont été servis. Seule une chaîne a été affectée à un acteur que l’on peut qualifier de naissant, au regard du capital social de la société qui était de 10 000 euros – montant « énorme » lorsqu’on le rapporte au montant des pertes annuelles de Numéro 23, qui sont d’environ 10 millions d’euros. Le CSA a manifesté le souci d’assurer une certaine pluralité, même s’il me semble que d’autres projets semblaient plus viables.

Soyez sûrs, chers collègues, que nous examinerons toutes ces questions avec la plus grande attention.

Pour finir, je tiens à remercier mes collègues Stéphane Travert, Marie-George Buffet, Colette Langlade, Christophe Premat et Martine Martinel de m’avoir apporté leur soutien.

La Commission en vient à l’examen de l’article unique de la proposition de résolution.

Article unique

La Commission adopte l’article unique de la proposition de résolution sans modification.

En conséquence la proposition de résolution est adoptée sans modification.

La séance est levée à douze heures quinze.

——fpfp——

Présences en réunion

Commission des affaires culturelles et de l’éducation

Réunion du mercredi 1er juin 2016 à 9 h 30

Présents. – M. Jean-Pierre Allossery, M. Benoist Apparu, Mme Laurence Arribagé, Mme Isabelle Attard, Mme Véronique Besse, M. Patrick Bloche, Mme Marie-Odile Bouillé, Mme Brigitte Bourguignon, M. Emeric Bréhier, M. Xavier Breton, M. Bernard Brochand, Mme Marie-George Buffet, M. Jean-Noël Carpentier, M. Ary Chalus, M. Jean-François Copé, M. Jacques Cresta, M. Bernard Debré, M. Laurent Degallaix, M. Pascal Deguilhem, M. Jacques Dellerie, M. Pascal Demarthe, Mme Virginie Duby-Muller, Mme Anne-Lise Dufour-Tonini, M. William Dumas, M. Yves Durand, Mme Martine Faure, M. Michel Françaix, M. Jean-Pierre Giran, Mme Claude Greff, M. Guénhaël Huet, M. Christian Kert, Mme Colette Langlade, M. Vincent Ledoux, M. Dominique Le Mèner, Mme Martine Martinel, M. François de Mazières, Mme Dominique Nachury, Mme Maud Olivier, M. Christian Paul, M. Michel Piron, M. Michel Pouzol, Mme Régine Povéda, M. Christophe Premat, M. Frédéric Reiss, M. Marcel Rogemont, M. Paul Salen, M. Rudy Salles, Mme Julie Sommaruga, M. Claude Sturni, M. Stéphane Travert, M. Patrick Vignal

Excusés. – M. Pouria Amirshahi, Mme Michèle Fournier-Armand, Mme Annie Genevard, M. Michel Herbillon, M. Romain Joron, Mme Sonia Lagarde, Mme Annick Lepetit, M. Alfred Marie-Jeanne, M. Franck Riester