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Commission d’enquête sur l’exil des forces vives de France

Mardi 7 octobre 2014

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 35

–  Examen du rapport par la commission d’enquête (M. Yann Galut, rapporteur)

–  Présences en réunion 15

Présidence

De M. Luc Chatel,
Président

M. le président Luc Chatel. À l’occasion de cette dernière réunion de notre commission d’enquête parlementaire, je tiens à vous remercier, mes chers collègues, d’avoir participé à nos travaux pendant six mois.

Nous avons organisé 34 auditions et entendu plus d’une cinquantaine de personnes, que traduisent 400 pages de compte-rendu annexées au rapport final. Lui seront également annexées les contributions que certains d’entre vous ont rédigées.

Je souhaite également remercier les administrateurs de l’Assemblée nationale, autour de M. Philippe Hurtevent, qui ont beaucoup œuvré pour nous aider à remplir notre mission.

M. Yann Galut, rapporteur. Je remercie à mon tour les participants à cette commission d’enquête, dont les débats ont été riches, ainsi que les administrateurs.

Je suis convaincu que la question de l’expatriation des Français doit être analysée avec mesure et sans esprit partisan, afin de ne pas nourrir notre sinistrose et cette forme de délectation morose qui nuit tant à l’image de notre pays à l’étranger.

Comme plusieurs de mes collègues, sur quelques bancs qu’ils siègent, et comme un certain nombre des personnes que nous avons auditionnées, je ne me suis pas retrouvé dans l’emploi du mot exagéré d’« exil » dans l’intitulé de la commission d’enquête. Naturellement, il n’est plus possible de modifier ce titre, qui figure dans le texte de la résolution adoptée par notre Assemblée. Dans mon rapport, je me suis toutefois efforcé de gommer toute idée de stigmatisation de nos compatriotes qui ont décidé de construire leur parcours personnel et – ou – professionnel hors de nos frontières.

Il n’est pas pour autant illégitime de s’interroger sur les raisons de l’expatriation de nos compatriotes et sur ce que celle-ci dit de l’attractivité et de la compétitivité de la France.

Plusieurs personnes auditionnées ont indiqué qu’il ne fallait pas s’inquiéter du fait que le nombre de Français résidant à l’étranger ait augmenté au cours des dernières années – plus rapidement que la population française dans son ensemble – soulignant que cette évolution marquait avant tout un rattrapage et une meilleure insertion de notre pays et de ses ressortissants dans la mondialisation. Il ne faut pas s’en inquiéter car ce phénomène marque d’abord la réussite de politiques volontaristes, librement adoptées par notre pays : la construction européenne – près de la moitié de nos résidents à l’étranger vit en Europe – et l’internationalisation de l’enseignement supérieur, dont Erasmus est le visage.

Cependant, il existe d’autres explications moins positives. On ne peut nier que la situation économique de notre pays, marquée par l’absence de croissance et par un recul de sa compétitivité et de son attractivité au cours des dix dernières années, joue un rôle. Des éléments relevant davantage de la culture ou de l’organisation de la société française ont été également évoqués à plusieurs reprises. Nos compatriotes manqueraient ainsi d’esprit d’entreprendre ou de goût du risque, et la valeur travail déclinerait ; la panne de la mobilité sociale et la culture du diplôme renforceraient également l’attrait de l’étranger.

Il est évident que le rapport de la commission d’enquête ne pouvait pas aborder toutes ces questions dans le délai de six mois qui lui était imparti.

Plus modestement, nous avons souhaité inscrire l’expatriation croissante de nos compatriotes dans le cadre plus global de la mondialisation et avons observé que toutes les économies développées connaissaient un phénomène analogue.

Je ne m’appesantirai pas sur la première partie du rapport qui présente un portrait des Français expatriés, soit une population plus jeune, plus active et plus diplômée que l’ensemble de la population française. Cette partie comporte également des données comparatives, émanant de l’Organisation de coopération et de développement économiques
– OCDE – qui confirme le retard de la France par rapport à nos principaux partenaires qui comptent une diaspora plus ancienne et plus nombreuse.

Cette première partie est surtout l’occasion de faire apparaître les lacunes des outils à notre disposition pour acquérir une connaissance fiable et fine de la population des Français de l’étranger. Ces manques ne sont pas propres à la France, mais ils sont dommageables et il conviendrait d’y remédier. C’est pourquoi le rapport présente plusieurs propositions tendant à améliorer d’abord l’instrument principal que constitue le registre des Français établis hors de France : communiquer davantage sur son utilité pour nos compatriotes, standardiser l’enregistrement des données et étoffer les informations demandées pour permettre des approches plus qualitatives. Au-delà du registre, il conviendrait de doter notre pays d’un outil adéquat, au sein de l’Institut national de la statistique et des études économiques
– INSEE – par exemple, permettant de réaliser, selon des modalités rigoureuses, des études qualitatives de la population expatriée.

La deuxième partie du rapport aborde la question du développement de l’expatriation des Français au cours des dernières années. Elle évoque la généralisation de la mobilité internationale des étudiants, qui marque la réussite d’une politique volontariste symbolisée par le programme Erasmus. Mais au-delà de ce programme phare, d’ailleurs renforcé dans le cadre du programme Erasmus + pour les années allant de 2014 à 2020, cette internationalisation des études supérieures s’avère une tendance irrésistible. Elle répond à une triple demande : celle des étudiants, celle des entreprises et celle des commissions d’évaluation des formations et de certification des diplômes, pour lesquelles l’ouverture des établissements à l’international est un signe d’attractivité pour les étudiants et de meilleure qualité relative des diplômes.

En ce domaine, il convient d’être vigilant pour que cette mobilité internationale des étudiants perde son caractère de « marqueur social » – pour reprendre l’expression de la directrice générale adjointe de Campus France. Sans vouloir opposer les grandes écoles et les universités, il est indispensable d’encourager ces dernières à renforcer leurs stratégies d’ouverture vers l’étranger.

En matière d’internationalisation de l’enseignement supérieur, il convient également de ne pas raisonner seulement en termes de mobilité sortante, de ne pas oublier que la France se classe troisième en matière d’accueil d’étudiants étrangers et d’avoir à l’esprit que le nombre d’étudiants venant dans notre pays est plus de quatre fois supérieur à celui des jeunes Français partant étudier hors de nos frontières. À cet égard, il convient d’œuvrer à conforter notre place et l’attractivité de notre enseignement supérieur, en évitant de dresser devant les étudiants étrangers des obstacles administratifs, comme la circulaire Guéant a pu l’être dans le passé.

Après l’internationalisation des études supérieures, le rapport se penche sur celle des parcours professionnels, qui concerne la majorité des Français installés à l’étranger. Au regard des données issues du registre, la population française expatriée est donc majoritairement en âge de travailler, et ses taux d’emploi et d’activité sont très supérieurs à la moyenne nationale.

Cette dynamique s’explique par le fait que les expériences à l’étranger sont reconnues comme un réel atout dans une carrière professionnelle, tant par les salariés que par les entreprises. Les personnes auditionnées ont été unanimes sur ce point. Par ailleurs, le développement des départs d’actifs français à l’étranger répond largement aux évolutions d’un marché du travail devenu mondial. D’ailleurs, il faut souligner que sur ce marché, les Français – nos ingénieurs, par exemple – sont valorisés, voire courtisés dans certains secteurs.

Pour autant, le taux d’expatriation des jeunes diplômés n’a pas connu d’évolution exceptionnelle au cours des dernières années, si l’on en croit les chiffres de la Conférence des grandes écoles – CGE. Il faut donc parler plutôt d’une croissance continue, s’inscrivant dans l’internationalisation des marchés du travail.

Par ailleurs, ces données viennent nuancer l’idée reçue et très répandue, selon laquelle les jeunes diplômés français préféreraient s’expatrier pour créer leur entreprise. Je renvoie sur ce point à l’audition de M. Bernard Ramanantsoa, directeur général d’HEC, qui nous a indiqué que les jeunes créateurs savaient certes qu’il leur faudrait un jour développer leur entreprise à l’étranger, mais que leur réflexe était plutôt de créer leur entreprise en France afin de bénéficier d’un environnement qu’ils connaissent bien et de leurs réseaux.

Si la dynamique mondiale joue son rôle, il est illusoire d’ignorer que cette mobilité internationale accrue se trouve aussi encouragée par une moindre attractivité du marché français du travail, notamment du fait du taux de chômage élevé des jeunes ou du poids de la hiérarchie des diplômes en France qu’ont évoqué plusieurs personnes auditionnées.

La troisième partie du rapport s’intéresse à la compétitivité et à l’attractivité de la France. Le premier point abordé est celui de l’exil fiscal, qui était au cœur des préoccupations des promoteurs de la commission d’enquête. Celui-ci n’est pas un phénomène nouveau qui aurait commencé avec l’élection de M. François Hollande ! J’observe en outre que la motivation fiscale du départ n’est presque jamais mise en avant, à l’exception d’une infime minorité.

Sur ce point, la position du rapporteur, et je l’espère celle de l’ensemble des membres de la commission, est claire : il faut dénoncer ces comportements qui marquent un refus du devoir de solidarité entre Français dans un moment particulièrement difficile, comme l’a déclaré devant nous M. Matthias Fekl, secrétaire d’État chargé notamment des Français de l’étranger. Les professionnels élaborent à ce sujet beaucoup d’observations empiriques, pour ne pas dire impressionnistes. Néanmoins, la connaissance du phénomène progresse, notamment grâce à l’heureuse initiative du président Gilles Carrez de demander un rapport annuel au ministère des Finances.

Mon rapport exploite ainsi les données figurant dans les deux rapports remis par le ministère des finances, le second datant du 26 septembre dernier.

Il convient tout d’abord de souligner qu’il existe des difficultés techniques réelles qui ne rendent pas aisée la connaissance des départs – ou des retours – des contribuables. Le directeur général des finances publiques l’a expliqué devant nous de manière très claire : les outils de l’administration sont orientés, non vers le suivi statistique, mais vers la gestion de l’impôt lui-même avec un équilibre délicat entre les besoins de l’administration et les obligations déclaratives imposées aux contribuables. Ces obstacles sont réels, et il ne s’agit pas d’une volonté de l’administration de cacher des informations qui seraient gênantes ; les avocats fiscalistes entendus par la commission n’ont d’ailleurs pas contredit la réalité de ces difficultés.

Je renvoie au rapport pour revoir les données plus précises et je m’en tiens à quelques éléments synthétiques.

Le nombre des départs de redevables de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) – qui possèdent donc un patrimoine supérieur à 1,3 million d’euros – a beaucoup augmenté entre 2004 et 2007, avant de s’établir autour de plus de 500 départs annuels – 587 en 2012 ; ces contribuables disposent d’un patrimoine plus élevé que la moyenne des redevables de l’ISF ; de plus, la répartition de ce patrimoine montre une forte concentration. Les déclarations relatives à l’exit tax font apparaître 522 départs en 2011 et 2012, dont 469 ont déclaré une plus-value positive ; le montant cumulé atteint 4,5 milliards d’euros, soit une plus-value moyenne de 9,7 millions d’euros ; là encore, on observe une forte concentration. Le nombre de départs de redevables à l’impôt sur le revenu – IR – augmente depuis 2011, que l’on regarde le nombre total ou seulement les redevables disposant d’un revenu fiscal de référence élevé.

Le rapport s’attache à décrire ce qui dans notre législation fiscale est jugé le plus pénalisant en France et ce qui est présenté comme le plus attractif chez nos voisins : la fiscalité des plus-values mobilières, l’ISF – même si j’observe que les deux derniers avocats fiscalistes auditionnés en ont largement relativisé l’importance –, la fiscalité des stock options et des attributions gratuites d’actions, et les contrôles fiscaux. Symétriquement, ce qui est présenté comme attractif à l’étranger touche à la fiscalité très favorable du patrimoine en Belgique, au régime du forfait fiscal en Suisse ou à celui des non domiciliés au Royaume-Uni.

Cependant, il est indispensable d’aller au-delà des idées reçues sur le système fiscal français. D’une part, il est impossible de faire abstraction des services publics et des transferts sociaux qui sont financés par l’impôt et qui sont la contrepartie des efforts demandés aux citoyens. D’autre part, la fiscalité française n’est pas beaucoup plus lourde qu’ailleurs, notamment pour les revenus moyens. Le rapport présente ainsi une comparaison très éclairante des barèmes de l’IR chez nos voisins. En outre, la France n’est pas la seule à avoir introduit un dispositif du type exit tax.

En matière fiscale, il est indispensable de trouver l’équilibre entre l’exigence du redressement de nos comptes publics, celle de la justice fiscale et l’attractivité de notre pays. Je suis totalement solidaire de cette politique, poursuivie depuis deux ans.

Néanmoins, il existe deux aspects de la question fiscale qui méritent de retenir l’attention et d’être débattus : l’amélioration des relations entre l’administration fiscale et les contribuables – personnes physiques comme entreprises –, le développement d’une « relation de confiance » grâce au rescrit fiscal et un effort de stabilisation de la norme fiscale.

S’agissant de l’attractivité économique de la France, il est incontestable que notre pays a souffert des effets directs de la crise et de l’essor parfois fulgurant des économies émergentes. Les acteurs économiques, français comme étrangers, jugent sévèrement l’évolution de notre économie depuis dix ans et pointent un déficit d’image à l’étranger, une compétitivité affaiblie et un environnement administratif pesant.

Comment établir la part de la mondialisation dans les difficultés que traverse la France pour maintenir son attractivité ? L’approfondissement de la mondialisation entraîne en tout cas la perte de portée progressive du concept de frontière économique.

Dans ce contexte, il est clair que les décisions d’implantation des centres de production et des équipes de direction ne se fondent pas d’abord – contrairement à ce que l’on veut nous faire croire – sur des considérations fiscales, mais sur la localisation de l’activité économique ; cela est vrai pour les grands groupes – je vous renvoie à l’audition du secrétaire général de Total – comme pour les PME ou les start-up. Pour ces dernières, la présence presque obligatoire hors de nos frontières n’est pas forcément négative pour l’activité et pour l’emploi en France ; ainsi, M. Jérôme Lecat nous a expliqué que son entreprise employait 30 personnes dans la Silicon Valley – d’où il ne peut être absent étant donné son secteur d’activité – et 60 en France.

Le rapport ne veut donc pas sacrifier à notre pessimisme national. La France dispose d’atouts dont les principaux, selon les dirigeants d’entreprises internationales implantées en France, sont : la qualité des infrastructures de communication, de transports et logistiques, la taille du marché intérieur, la formation et la qualification des salariés, le tissu industriel, et l’écosystème d’innovation et de recherche et développement – R&D. Ces ressources ne nous dispensent pas de déployer une politique active de renforcement de l’attractivité de la France, qui devrait reposer sur l’amélioration de l’environnement administratif des entreprises – il ne s’agit pas de nier le chemin déjà parcouru ou en voie de l’être mais de s’orienter, comme nos voisins, vers un service administratif organisé davantage en conseil des entreprises, notamment des plus petites, qu’en organisme d’envoi et de réception de formalités administratives –, la stabilisation de la règle fiscale, en évitant les modifications continuelles et en limitant le recours à la rétroactivité fiscale, et le développement de la communication sur les atouts de la France ; seule une stratégie de ce type peut répondre au déficit d’image et, à cet égard, l’initiative de la French Tech constitue un exemple à suivre.

En revanche, mener une politique de compétitivité ne doit pas nous entraîner sur le dangereux terrain de la concurrence sociale et fiscale. Si l’on en juge par les récentes annonces faites aux États-Unis, la France n’est pas la seule à être touchée et à vouloir réagir. En ce domaine, la réponse est à rechercher au niveau international : au sein de l’Union européenne d’abord – je renvoie aux trois enquêtes approfondies lancées par la Commission européenne sur les politiques fiscales d’Irlande, des Pays-Bas et du Luxembourg –, à l’OCDE et au G20 ensuite ; l’OCDE vient ainsi d’élaborer des propositions pour lutter contre les pratiques d’optimisation fiscale des multinationales en matière d’érosion des bases d’imposition et de transfert artificiel des bénéfices.

Si les règles fiscales engendrent des délocalisations à l’étranger de sièges sociaux ou de centres de décision, la solution ne consiste pas à se livrer à une course perdue d’avance en matière de dumping fiscal, mais au contraire à contraindre les États acteurs de ce dumping fiscal à s’aligner sur des standards internationaux. La France n’est fort heureusement plus isolée dans ce combat.

Enfin, le rapport se termine sur la conviction que la présence de plus de 2 millions de nos compatriotes hors de nos frontières constitue un atout majeur pour notre pays. Il est de notre intérêt de mener ce que certains appellent une « politique diasporique active ». Nous ne partons pas de rien et nous disposons déjà d’outils puissants : des réseaux consulaires et d’enseignement à l’étranger uniques au monde, un système de représentation des Français de l’étranger qui a été rénové et qui s’avère très structuré, et des acteurs économiques soutenant nos entreprises, notamment le réseau des services économiques de l’État ou celui des chambres de commerce et d’industrie – CCI – à l’international.

Le rapport émet quelques propositions visant à renforcer la coordination de tous les acteurs, à sensibiliser nos compatriotes à la défense des intérêts de la France, et à les accompagner dans leurs démarches lors de leur départ et au cours de leur vie quotidienne à l’étranger.

En conclusion, je ne pense pas que, pour reprendre les termes de l’exposé des motifs de la proposition de résolution à l’origine de la création de la commission, nous soyons en face d’une « situation inquiétante pour l’attractivité économique de la France et préjudiciable à son influence dans le monde ». Je nourris même le sentiment contraire. Je suis convaincu que la France est riche de ses hommes et de ses femmes, qu’ils résident sur son territoire ou qu’ils aient choisi de mener leur parcours personnel ou professionnel à l’étranger.

M. Philip Cordery. Je tiens à saluer le remarquable travail du rapporteur, Yann Galut, et de l’ensemble des membres de la commission. Les conclusions et les propositions du rapport redonnent un sens à nos travaux et gomment le présupposé dangereux et stigmatisant envers les Français qui habitent à l’étranger que recelait l’intitulé de la commission d’enquête.

Le rythme de la croissance du nombre de Français partant à l’étranger s’est accéléré ces dix dernières années, mais peut-on qualifier ce phénomène d’exil ? Je ne le pense pas. Il s’agit d’un rattrapage, illustrant la mobilité accrue de la population française ; les déplacements à l’étranger dans les pays du nord ont augmenté de 65 % au cours de la dernière décennie, soit le double que lors de la précédente. Les Français ont longtemps été plus sédentaires que les Allemands, les Britanniques ou les Italiens, et nos compatriotes vivant à l’étranger ne représentent encore que 2,9 % de la population nationale contre 5,2 % des Allemands et 7,6 % des Britanniques.

La plus grande insertion de notre pays dans la mondialisation, évolution positive, découle d’une meilleure connaissance des langues étrangères, du développement de la mobilité européenne via Erasmus et d’une hausse du nombre de diplômés. La sociologie des Français à l’étranger a, elle aussi, beaucoup changé : plus composite, elle diffère fortement de l’image stigmatisante de l’émigré fiscal. La Belgique a connu une forte progression du nombre de Français s’installant sur son territoire – elle est le quatrième pays accueillant le plus de Français –, ceux-ci étant pour la plupart des salariés, soumis au système d’imposition belge, plus lourd sur le travail qu’en France. Ils ne sont donc pas partis pour échapper à l’impôt !

Élu des Français de l’étranger, je suis en contact quotidien avec eux et peux vous assurer qu’ils ne sont pas des émigrés fiscaux, mais plutôt des étudiants, des salariés, des retraités et des familles. Certains peuvent choisir de partir pour payer moins d’impôts, mais beaucoup sont revenus après avoir constaté le prix à payer pour l’éducation et la santé, aux États-Unis notamment, qui les laissait avec un pouvoir d’achat plus faible.

On ne peut pas nier l’exil fiscal, que nous déplorons et combattons, mais il a toujours existé. Depuis deux ans, la réorientation de l’Union européenne engagée par le Président de la République permet d’envisager la convergence fiscale en Europe. Le rapporteur a formulé plusieurs propositions que je soutiens, comme le rapprochement des taux d’impôt sur les sociétés – IS – ou la lutte contre l’optimisation et l’évasion fiscales.

Il n’y a pas lieu de douter de l’attractivité de la France ; nous avons abrogé la circulaire Guéant, ce qui a permis le retour d’un certain nombre d’étudiants étrangers, nos universités sont reconnues, et la France constitue le troisième pays en matière d’accueil d’étudiants – plus de 290 000 au cours de l’année universitaire 2012-2013. La mise en œuvre des propositions du rapporteur consolidera ce chiffre grâce à une politique de visa plus adaptée. La fusion des établissements Campus France et de l’agence Europe éducation formation France – 2E2F – permettrait de développer une stratégie intégrée de la mobilité étudiante entrante et sortante ; la thèse de la fuite des cerveaux s’avère nulle et non avenue.

La fusion d’Ubifrance et de l’Agence française pour les investissements internationaux – AFII –, en cours, créera une force de frappe plus cohérente à l’étranger, surtout que la diplomatie économique déployée par M. Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères et du développement international, renforce l’attractivité de notre pays à l’étranger.

Le plus important est de changer le regard porté sur les Français de l’étranger, qui constituent une force vive, un outil d’influence et une richesse pour la France. L’accompagnement de nos concitoyens à l’étranger représente un véritable défi ; les Français établis hors de notre pays affrontent de nombreuses difficultés en matière d’enseignement, de système fiscal, de droits sociaux comme la retraite et de sécurité sociale. À l’image de la démarche de la French Tech, portée aujourd’hui par Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État chargée du numérique, le rapporteur suggère de créer un observatoire de la mobilité, chargé de mieux connaître et de mieux répondre aux enjeux de l’expatriation, et un guichet unique pour ceux voulant partir et ceux souhaitant revenir. Ces idées sont très intéressantes.

La différence entre l’UMP et la majorité réside dans la peur de la mobilité exprimée par la droite, figée dans son conservatisme, alors que nous souhaitons l’encourager et l’accompagner car nous estimons que les Français de l’étranger représentent une richesse pour notre pays. Je voterai donc avec enthousiasme pour l’adoption de ce rapport.

M. Étienne Blanc. Ce rapport n’est rien d’autre qu’un plaidoyer pour la politique fiscale et sociale du Gouvernement ; à la page 213, il est ainsi écrit que le rapport vise à éviter de la détricoter. Élu dans une circonscription frontalière, je me demande si l’on a bien pris conscience de ce qui se passe dans notre pays : 400 000 Français travaillent tous les jours à l’étranger dans les zones limitrophes des pays voisins, et moins de 10 000 étrangers effectuent le chemin inverse. Il y a quarante ans, les flux étaient exactement inverses. Et on dit que ce phénomène n’est pas grave, que les Français s’exportent et que l’on va créer une agence pour tenter de les faire revenir, mais la réalité dément totalement ce diagnostic. Dans l’Ain et la Haute-Savoie, les 40 start-up créées il y a sept ans se sont toutes installées en Suisse. Tous les sièges sociaux ont quitté cette région ; le siège social de STMicroélectronics s’est déplacé de moins de trois kilomètres pour quitter le pays de Gex et s’implanter en Suisse. On constate également ce phénomène dans la zone d’Archamps en Haute-Savoie. À l’école hôtelière de Lausanne, 70 % des Français d’une promotion ne rentrent pas en France et travaillent à l’étranger.

Dans un pays où 1 % des Français paient 45 % de l’impôt sur le revenu, les chefs d’entreprise et les futurs cadres partent et la substance même de la richesse nationale avec eux. Vous niez totalement cette situation dans votre rapport, monsieur Galut, pour des raisons politiques et idéologiques. Je voterai donc contre l’adoption de ce rapport.

M. Christophe Premat. Ce rapport corrige la vision décliniste que M. Blanc vient d’exposer, à commencer par le titre qui comportait le terme très fort et inadapté d’« exil ».

La création d’un guichet unique pour le retour des Français dans notre pays constituerait une avancée, car ceux-ci sont confrontés à des difficultés – inscription dans une université ou reconnaissance des diplômes étrangers pour travailler – que l’on constate tous les jours.

Campus France fournit des indicateurs de l’attractivité de l’enseignement supérieur et élabore des formations attractives pour les étudiants étrangers. L’une des forces de ce rapport réside dans le rappel de l’effort à mener pour l’enseignement supérieur, notamment dans certaines filières.

Les auditions ont montré que nous manquions de connaissances sur le profil de la population des Français de l’étranger. Parmi vos propositions, monsieur le rapporteur, on retrouve l’idée de davantage communiquer sur le registre consulaire, démarche qui a déjà été enclenchée. Il est difficile pour le ministère des Affaires étrangères et du développement international de disposer d’un outil de prospective permettant de mieux connaître les flux migratoires des Français. Nous devons néanmoins chercher à le développer, car nous avons besoin de nous appuyer sur un état des lieux détaillé pour apporter des réponses aux Français qui souhaitent revenir dans notre pays.

Je voterai pour l’adoption de ce rapport.

Mme Sophie Rohfritsch. Je suis étonnée que ce travail parlementaire ne soit pas l’occasion d’établir un consensus sur l’exil des Français à l’étranger, phénomène de masse dont notre pays souffre durement. Nous aurions dû centrer notre réflexion sur le départ des forces vives de notre pays, et non sur la mobilité choisie des étudiants et des seniors, car celui-ci entraîne une perte de puissance et de visibilité à l’international pour notre pays. Or on a utilisé cette commission d’enquête pour défendre une politique massivement rejetée à l’étranger et en France. Nous aurions pu nous saisir de l’excellent travail réalisé par les services de l’Assemblée nationale et nous pencher sur les moyens de remédier à cette situation ou, à tout le moins, à la reconnaître.

Les auditions ont fait apparaître que les exilés quittaient notre pays en raison de l’environnement réglementaire, fluctuant, instable et source d’imprécisions. Par ailleurs, un étudiant qui se voit offrir un poste à l’étranger et un en France choisira le premier. De plus en plus de centres de décision partent à l’étranger ; la France n’en abrite plus et se trouve également vidée des centres de R&D. Notre pays se désindustrialise ou produit des biens et des services à faible valeur ajoutée. Toute activité qui comporte une forte valeur ajoutée quitte notre pays.

Je voterai contre l’adoption de ce rapport, et ce système de travail s’avère dangereux et ne doit pas être reproduit, sous peine d’une perte de crédibilité définitive.

M. Sergio Coronado. Je ne sais pas qui dévoie la procédure parlementaire et les prérogatives d’enquête et de mission que la Constitution et le Règlement de l’Assemblée nationale nous accordent, mais la proposition de création de cette commission d’enquête était mue par une scandaleuse vision politicienne. J’ai voté pour qu’elle se constitue, mais l’utilisation du terme d’« exil » s’avère inappropriée voire obscène pour quelqu’un comme moi qui ai vécu longtemps sous la protection des Nations unies avec le statut de réfugié politique.

Madame Rohfritsch, vous parlez d’un phénomène de masse, mais comment faudrait-il qualifier la situation en Espagne, au Portugal, au Royaume-Uni ou même en Allemagne ? D’une saignée ? La France n’est pas un pays d’émigration, mais cela ne doit pas nous conduire à considérer tout départ comme un échec que nous « subirions » ou dont nous « souffririons », selon vos termes. Au contraire, je crois que la mobilité accrue d’une partie de notre population et de nos élites constitue une chance pour la France, car elle lui permet de s’inscrire dans ce phénomène désormais ancien qu’est la mondialisation.

Nous regrettions au début de la mission de ne pas disposer de suffisamment de données d’enquête et nous pouvons maintenir ce constat après les auditions. On discute de manière idéologique et démagogique sans éléments statistiques robustes ni enquêtes de chercheurs ; pensons que nous n’avons même pas entendu les responsables du programme eDiasporas qui travaillent sur la connectivité des communautés françaises à l’étranger !

Notre devoir réside dans l’objectivité, dans la distance et dans la nécessité de mener une analyse sur le temps long, car tout n’a pas commencé en 2012. Les auditions les plus denses ont montré qu’une mutation du profil des expatriés s’opère depuis une dizaine d’années – certains ont parlé de « génération Erasmus » –, la France suivant désormais le rythme de l’évolution du monde.

J’ai ressenti un malaise tout au long des travaux de la commission, à mesure que j’entendais que tout départ à l’étranger traduisait un échec de notre pays ; cela ne reflète pas la réalité que les parlementaires représentant les Français de l’étranger vivent. Les expatriés considèrent leur départ comme une richesse engendrée par leur curiosité et leur envie de découverte, et ils ne nourrissent aucune animosité à l’égard de la France.

Mme Rohfritsch illustre bien notre incapacité à concevoir la mobilité comme un atout. Il suffit d’interroger les personnels détachés de l’éducation nationale qui ont travaillé à l’étranger sur le sort peu enviable qui leur est réservé lorsqu’ils reviennent en France. Nous envisageons difficilement l’ouverture à laquelle le monde nous contraint aujourd’hui. Or vivre à l’étranger pendant quatre, cinq ou six ans ne constitue ni une fuite, ni un exil, mais une étape dans un parcours professionnel, universitaire ou personnel.

Monsieur le rapporteur, je vous remercie d’avoir rétabli quelque objectivité dans votre rapport dont je soutiens l’adoption. Il y manque tout de même des éléments quantitatifs et qualitatifs sur la population des expatriés français.

M. Frédéric Lefebvre. Au moment de la création de la commission d’enquête, j’avais émis des réserves sur la méthode et sur l’intitulé de notre travail ; on s’est d’ailleurs aperçu que les thématiques traitées dépassaient les seules forces vives. Nous devons combattre le risque de deux formes de caricature : la première tombe dans le déni et affirme que tous les départs sont volontaires, et la seconde ne voudrait voir qu’un tableau où tout le monde quitterait la France en raison de sa politique fiscale. Entre les deux caricatures, il y a la place pour une autre politique !

J’ai beaucoup hésité à participer à la commission : mon collègue Thierry Mariani a décidé de ne pas en être membre, alors que nous avions ensemble pointé les questions que sa création posait. J’ai rédigé une contribution dans laquelle je tente de démontrer la nécessité de changer notre politique publique. Contrairement à ce qu’a dit le rapporteur, l’exit tax constitue une grande erreur, élaborée par le Gouvernement auquel j’appartenais – malgré les réserves que j’avais exprimées, à l’époque – et considérablement durcie par l’actuelle équipe gouvernementale. À l’époque, les start-up quittaient le pays à cause de la fiscalité afin de réaliser leur plus-value à l’étranger ; face à cette situation, on a créé un dispositif qui incite les jeunes entrepreneurs à partir avant même d’avoir créé leur entreprise.

La mobilité représente en effet une chance exceptionnelle pour notre pays : souhaitons-nous réellement une France rétrécie sur l’hexagone où même les frontières de l’Europe font peur ? Je me souviens que l’on culpabilisait les jeunes il y a vingt ans en affirmant qu’ils ne parlaient pas anglais, ne voulaient pas quitter la France et désiraient devenir fonctionnaires ; aujourd’hui, on les culpabilise encore en leur reprochant de vouloir partir. Nous sommes dans une forme de schizophrénie.

Avec l’Internet et les transports à bas coût, le monde se révèle tout petit et nous pouvons ainsi partir facilement à sa rencontre. Mais qui peut profiter de ces opportunités ? Le rapport ne traite pas de ce sujet ; or la mobilité n’est offerte qu’aux élèves des grandes écoles voire aux étudiants de l’université, alors que tellement de jeunes en apprentissage ou provenant de quartiers dits difficiles auraient besoin de découvrir d’autres pays, mais aucune politique n’est développée pour les y aider. À Montréal, de nombreux jeunes Français viennent des quartiers nord de Marseille et du département de Seine-Saint-Denis, et se sont installés au Québec car ils n’avaient pas d’espoir en France ; ils réussissent, sont fiers d’être Français et portent le drapeau de notre pays.

Certains Français vivent cinq ans maximum à l’étranger afin d’enrichir leur expérience, mais d’autres sont installés hors de nos frontières depuis trente ou quarante ans, et il y a lieu de s’en réjouir. Notre pays a d’importants progrès à réaliser dans le domaine de l’exportation, et il est de son intérêt que des Français soient installés à l’étranger pour favoriser les échanges commerciaux avec notre pays.

Le rapport n’évoque pas hélas le déficit dont nous souffrons en matière de lien avec nos compatriotes vivant à l’étranger. Plutôt que de les culpabiliser, nous devrions aider les étudiants munis d’un baccalauréat international à surmonter les obstacles mis par les universités à leur inscription ; de même, l’État se désengage dans les écoles à l’étranger depuis deux ans, ce qui crée de telles difficultés que certains députés socialistes ont voté l’amendement au texte gouvernemental que j’ai défendu sur les bourses scolaires. J’ai entendu M. Matthias Fekl, le nouveau ministre des Français de l’étranger, dire qu’il regarderait les dossiers au cas par cas : on lui en enverra, mais on nous avait déjà tenu le même engagement il y a un an.

S’agissant de l’aide médicale d’État – AME –, la France doit continuer d’être généreuse même si les étrangers doivent payer quelque chose ; en outre, j’ai déposé une proposition de loi pour revenir sur cette situation inacceptable qui veut que nos compatriotes décidant de revenir en France et souffrant d’un problème de santé n’aient pas le droit aux soins immédiats et doivent attendre un délai de carence, contrairement aux étrangers. Nous devons traiter ces sujets ! De même, nous déployons de nombreux efforts pour attirer les investisseurs étrangers en France, mais nous créons de nombreuses difficultés aux Français souhaitant défendre leur patrimoine : nous voyons ainsi partir tous nos châteaux, tous nos vins et tout l’immobilier. Je préférerais que l’on soutienne les Français qui partent à la conquête du monde plutôt que de laisser vendre la France. Que l’on cesse de les culpabiliser et d’inventer des dispositions fiscales folles comme la contribution sociale généralisée – CSG ; en effet, faire acquitter des cotisations sociales par des personnes qui ne bénéficient pas de la protection sociale n’obéit à aucune logique et revient à créer une double imposition, car la CSG n’étant pas un impôt, elle n’entre pas dans le champ des conventions fiscales de non double imposition. Ce système fait d’ailleurs l’objet d’une procédure européenne.

Je voterai contre l’adoption de ce rapport, mais je ne veux pas que l’on caricature notre pays et nos compatriotes qui partent conquérir le monde comme les matelots des XVIe et XVIIe siècles.

Mme Claudine Schmid. Cette commission d’enquête s’était fixée pour objectif d’étudier l’évolution des départs de longue durée ou définitifs de nos compatriotes à l’étranger et de mettre en lumière les raisons qui motivent leur choix. Nous attendions des propositions afin qu’ils trouvent en France ce qu’ils cherchent à l’étranger. Or, monsieur le rapporteur, vous avez contesté cet objectif dès l’introduction de vos propos, et la lecture de votre rapport nous fournit une analyse globale de l’expatriation et de ses bienfaits. Nous comprenons que vous avez rencontré des difficultés dues au manque d’éléments chiffrés dans cette matière ; votre troisième proposition en fait état, et vous suggérez à juste titre d’élaborer des études qualitatives sur la situation et le profil socio-économique des Français de l’étranger. Dans le même but, vous souhaitez créer, par votre quatrième proposition, un centre d’informations.

Votre rapport ne répond pas à l’objectif de la commission ; il faut ainsi attendre sa troisième partie pour que vous traitiez de l’attractivité, de l’économie et de la compétitivité qui s’avèrent les sujets les plus préoccupants.

Nous saluons la proposition de renforcer l’ouverture à l’international des écoles et des universités, de même que vos suggestions en matière de l’entrée en France des étrangers – visas pluriannuels accordés à tous les étudiants étrangers et conditions de ressources pour la délivrance de visas. Nous soutenons également la création d’un guichet unique pour les Français de l’étranger et l’organisation d’un service d’information et d’orientation sur les procédures administratives locales dans les consulats. En tant qu’élue des Français de l’étranger, je me retrouve dans ces suggestions qui les défendent et qui améliorent les services que la France peut leur apporter ; de même, je sais tout ce qu’une expérience professionnelle à l’étranger apporte à une carrière.

Nous n’avons trouvé que sept propositions sur les motivations des départs et sur les offres que l’on pourrait formuler, ce qui est faible alors même que l’on constate qu’une grande proportion des personnes quittant la France sont titulaires d’un master ou d’un doctorat. Parmi vos 25 propositions, 17 sont hors sujet. Votre rapport ne trace aucune perspective pour répondre aux problèmes que vous avez longuement décrits, comme la hiérarchie des diplômes. Monsieur le rapporteur, devant ce faible ratio de propositions pertinentes pour le sujet, les députés UMP n’approuveront pas votre rapport, malgré l’importance de votre travail. Nous remercions le président et tous nos collègues pour l’esprit collectif qui a prévalu durant les auditions et des travaux. Nous remettons une contribution, à annexer à votre rapport, répondant à l’objectif de cette commission d’enquête.

M. Claude Sturni. Comme les autres membres du groupe UMP, ce rapport me déçoit ; il n’effectue pas la synthèse des auditions, mais il traduit votre parti pris d’avoir considéré dès le départ que le thème était mal posé. Plutôt que de lutter contre la sinistrose, nous devons reconnaître les faits et regarder la réalité en face. Renoncer à cela s’avère sans doute plus agréable, mais cela ne permettra pas aux parlementaires de contribuer à faire avancer notre pays. La mobilité internationale constitue un sujet intéressant, mais différent de celui que nous devions traiter. Nous n’avons donc probablement pas optimisé notre temps et les moyens de l’Assemblée nationale.  

Mme Monique Rabin. Je regrette le clivage qui nous sépare ; en effet, la commission d’enquête ne fut ni demandée ni approuvée par la majorité.

Nous avons décidé de nous pencher sur les parcours de l’ensemble des forces vives et, avec mes collègues de la majorité, nous avons récusé le postulat de départ qui visait à démontrer un phénomène d’exil. Ces deux choix étaient très cohérents l’un avec l’autre. Monsieur le rapporteur, vous n’êtes donc pas hors sujet ; les auditions que vous avez organisées furent, pour certaines d’entre elles, partisanes. On accuse le rapport de partialité, mais ce n’est rien par rapport à l’orientation de certaines auditions qui s’avéra totalement déplacée ; je pense notamment à deux séances où les intervenants – dont une personne d’un âge très avancé – n’étaient là que pour dire qu’il fallait quitter notre pays où plus rien ne se faisait. Heureusement que le rapport a arrondi ces prises de position.

Il est important d’avoir évoqué longuement la mobilité, car nous vivons dans un monde ouvert où il n’existe aucune raison pour que seule la circulation des personnes soit entravée quand celle des biens et des capitaux est libre.

Le rapport n’est pas sectaire et reconnaît le départ de certains Français pour des raisons idéologiques, comme cela a toujours existé, les récents exemples du show-business ne devant pas nous induire en erreur sur ce point ; je me souviens ainsi des personnes arrêtées à la frontière suisse en 1981 avec des lingots dans leur voiture.

Il existe un problème de confiance à l’égard de notre pays, et nous devons, comme nous l’a demandé le Premier ministre, porter collectivement la fierté d’une France qui ne va pas si mal que cela.

L’harmonisation fiscale, défendue par le rapport, permettra de répondre à de nombreux problèmes ; d’autres propositions sont déjà mises en œuvre comme la fusion entre Ubifrance et l’AFII qui renforcera l’attractivité de la France à partir du 1er janvier 2015. Monsieur le rapporteur, je souhaiterais aller plus loin que votre intéressante suggestion sur les visas : ces documents doivent être délivrés aux étudiants et aux chercheurs, mais il convient d’allonger la durée du visa au-delà du temps de la formation, comme le font les Allemands, afin de bénéficier d’ambassadeurs de notre pays dans les entreprises étrangères.

La proposition de Frédéric Lefebvre de permettre à des jeunes moins formés de bénéficier d’un séjour à l’étranger est intéressante, surtout que notre formation technique est de qualité. On pourrait en outre adapter le volontariat international en entreprise – VIE – à l’apprentissage.

L’organisation du ministère des Affaires étrangères et du développement international constitue un gage pour la réussite de l’application des propositions du rapport, car elle offre une vision transversale des choses.

Si nous étions tous honnêtes, nous pourrions nous retrouver dans ce rapport et constater, en cette année de centenaire de la création de l’impôt sur le revenu, que c’est uniquement la question fiscale qui nous sépare. Les combats restent les mêmes : l’impôt existe et nous permet d’offrir l’école républicaine à nos enfants et des services, qui constituent des facteurs d’attractivité, comme nous l’ont affirmé bon nombre de chefs d’entreprise.

M. Michel Piron. J’ai été étonné d’entendre des défenseurs de l’économie dite circulaire faire l’apologie de la mondialisation.

Ce n’est pas la mobilité qui se trouve en cause, mais sa nature ! La mobilité voulue diffère de celle qui est subie. Sergio Coronado citait tout à l’heure l’exemple de l’Espagne, où 54 % des jeunes sont au chômage et où la mobilité apparaît bien davantage contrainte que souhaitée ; on peut également ranger le Portugal et l’Italie – où 44 % de la population active de moins de 25 ans est au chômage – dans cette catégorie. Ne jouez pas sur la confusion : nous ne sommes pas des ennemis de la mobilité, mais nous constatons l’existence d’un phénomène de mobilité subie.

Quelles sont les raisons de cette situation ? La fiscalité joue un rôle évident, mais il existe d’autres raisons qu’il convient de déterminer.

J’ai été sensible à l’exposé exemplaire d’Étienne Blanc, élu d’une région frontalière. Comment ne pas être ébranlé par les chiffres qu’il a présentés sur la disproportion entre le nombre de nos compatriotes frontaliers allant travailler à l’étranger et celui des étrangers frontaliers effectuant le chemin inverse ?

J’ai recensé sept ou huit propositions qui visent à améliorer notre capacité de diagnostic sur ces sujets. Je ne suis pas ennemi d’un peu plus de lumière, mais ce rapport fait l’impasse sur les deux interrogations essentielles : reconnaît-on l’ampleur de la mobilité subie ? Quelles en sont les causes ? De ce fait, je voterai contre l’adoption de ce rapport.

M. le président Luc Chatel. Je suis surpris que les première et dernière séances de notre commission aient été en totale opposition au contenu de nos travaux. Mes chers collègues de la majorité, le groupe UMP a souhaité la création de cette commission d’enquête dans un esprit dépassionné. Il nous semblait que le départ de jeunes, de moins jeunes, de forces vives, d’actifs et de centres de décision constituait un réel sujet pour notre économie et pour notre unité nationale. Preuve de notre attitude non partisane, nous avons choisi une période longue, celle de la dernière décennie au cours de laquelle la droite a gouverné pendant huit ans : il ne s’agissait donc pas de stigmatiser la politique du Gouvernement depuis deux ans, mais de développer un regard partagé sur l’un des vrais problèmes de notre pays.

Je regrette donc que l’on ne soit pas capable de nous entendre sur le constat. Or nous devons mesurer ce phénomène au regard de ce qui se passe dans les grands pays développés afin de mieux le combattre. Le Gouvernement actuel aurait peut-être apprécié qu’un rapport de commission d’enquête parlementaire sur un sujet aussi important pour notre économie rencontre l’unanimité et propose des mesures fortes pour renforcer l’attractivité de notre pays.

J’ai essayé de présider cette commission de la manière la plus œcuménique possible, et je déplore que nous retrouvions aujourd’hui les clivages déjà exprimés à l’occasion de notre première séance.

Au cours de ces six mois, nous avons navigué entre omerta et déni. J’ai ainsi rencontré beaucoup de difficultés à faire témoigner certains acteurs économiques majeurs de notre pays qui, en face-à-face, expliquent qu’ils ne peuvent pas faire autrement que de localiser leurs directions financière ou de l’innovation à l’étranger, mais qui refusent de s’exprimer en public sur ces sujets de peur d’être stigmatisés – j’ai ainsi en tête les mots d’un dirigeant d’une entreprise du CAC 40 me disant préférer « rester sous les radars ». Quant au déni, le dernier rapport de la Direction générale des finances publiques indique que 500 contribuables quittent chaque année la France à cause de l’ISF, qui représentait 40 millions d’euros l’année précédant leur départ. Au bout de quelque temps, cela commence à avoir un impact ; entre 2010 et 2012, le nombre de contribuables dont le revenu fiscal de référence dépasse 300 000 euros quittant la France a triplé. Le manque à gagner pour nos finances publiques s’élève à 220 millions d’euros par an. On ne peut pas nier ce phénomène, dont l’appréhension ne recouvre pas la distinction entre la droite et la gauche.

Nous devons regarder en face la mondialisation, la compétitivité de notre économie et l’attractivité du pays. Je suis donc frustré que nous n’ayons pas été capables de dégager un avis commun sur un sujet qui concerne tout le monde, et j’aurais été content d’aider le Gouvernement à agir sur ce sujet.

La convergence fiscale s’avère indispensable ; le Gouvernement reconnaît que l’écart du taux de marge entre les entreprises allemandes et les françaises constitue le sujet majeur. Il s’élève aujourd’hui à dix points, et, comme par hasard, le taux d’IS français est près de dix points supérieur à la moyenne de celui des pays européens.

Le groupe UMP a déposé une contribution comprenant des propositions fortes et qui sera annexée au rapport.

En application de l’alinéa 3 de l’article 144-2 du Règlement de notre Assemblée, la réunion en comité secret de l’Assemblée nationale peut être demandée pendant les cinq jours francs qui suivent l’annonce au Journal officiel du dépôt du rapport d’une commission d’enquête, afin de se prononcer, le cas échéant, sur la publication du rapport. C’est la raison pour laquelle celui-ci doit demeurer confidentiel jusqu’à la fin de ce délai – soit jusqu’au lundi 13 octobre 2014 inclus.

Je mets aux voix l’adoption du rapport.

La Commission d’enquête adopte le rapport.

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Membres présents ou excusés

Commission d’enquête sur l’exil des forces vives de France

Réunion du mardi 7 octobre 2014 à 16 h 15

Présents. - Mme Nicole Ameline, M. Étienne Blanc, M. Luc Chatel, M. Philip Cordery, M. Sergio Coronado, M. Charles de Courson, Mme Sandrine Doucet, M. Christian Franqueville, M. Yann Galut, M. Marc Goua, M. Régis Juanico, M. Gilbert Le Bris, M. Frédéric Lefebvre, M. Jean-François Mancel, Mme Sandrine Mazetier, M. Michel Piron, M. Christophe Premat, Mme Monique Rabin, Mme Marie-Line Reynaud, Mme Sophie Rohfritsch, Mme Claudine Schmid, M. Thierry Solère, M. Claude Sturni

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