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Commission d’enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d’exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l’électricité nucléaire, dans le périmètre du mix électrique français et européen, ainsi qu’aux conséquences de la fermeture et du démantèlement de réacteurs nucléaires, notamment de la centrale de Fessenheim

Jeudi 13 février 2014

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 18

Présidence de M. François Brottes Président

– Table ronde avec les syndicats représentés au comité central d'entreprise d’EDF (CFDT, CGC, CGT, FO)

La table ronde débute à onze heures cinquante-cinq.

M. le président François Brottes. Messieurs, je vous souhaite la bienvenue, en vous priant de nous excuser pour ce retard.

Les précédentes auditions de ce matin nous ont permis d’aborder les questions de la maintenance, de la gestion des arrêts de tranche et de la sous-traitance, tous sujets sur lesquels nous considérons que les organisations syndicales ont à dire. Toutefois, la parole est libre, et votre avis sur la filière nucléaire et ses perspectives nous serait utile également.

Je tiens à préciser que vous vous exprimerez au nom de vos fédérations respectives, et non de celui du comité central d’entreprise (CCE) d’Électricité de France (EDF), qui ne vous pas mandaté pour cela.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(MM. Denis Cattiaux, Jacky Chorin, Étienne Desdouits, Marc-Jacques Kuntz, Philippe Page, Vincent Rodet et Serge Vidal prêtent serment.)

M. Vincent Rodet (FCE-CFDT). Je vous remercie de prendre en compte le point de vue des organisations syndicales, tout en m’étonnant qu’il faille chercher entre les lignes du long intitulé de votre commission d’enquête pour y trouver un objet social et salarial. Pour les salariés, la question du coût est quelque peu épidermique, voire stigmatisante : sans doute l’expression « bénéfices passés, présents et futurs » eût-elle été plus heureuse à leurs yeux.

Cela dit, les coûts s’apprécient par rapport aux bénéfices : à cet égard, l’Agence des participations de l’État n’est sans doute pas perdante. Nous nous interrogeons d’ailleurs sur le taux de redistribution des bénéfices de l’entreprise – qui atteint de 55 à 65 % –, notamment au regard de la lourdeur des investissements à venir.

Le mix énergétique est un sujet qui occupe plusieurs fédérations de la Confédération française démocratique du travail (CFDT), notamment celle de la chimie et de l’énergie et celle de la métallurgie ; il a donc fait l’objet de délibérations au niveau confédéral, dont il ressort que l’objectif de porter à 60 % la part du nucléaire dans ce mix à l’horizon 2030 paraît réaliste ; mais cette cible peut, bien entendu, évoluer en fonction de l’intensité de la reprise économique.

Par ailleurs, nous estimons raisonnable de fixer à cinquante ans la durée de vie des installations. Il ne s’agit, là encore, que d’un repère, car la longévité dépend d’abord du vieillissement des matériaux et de la résistance au bombardement neutronique. En ce domaine, la décision appartient à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) : les salariés de la filière comprennent très bien qu’en cas de défaut majeur, une installation peut fermer du jour au lendemain. À l’inverse, si le vieillissement est moins avancé que prévu, nous pensons qu’une prolongation, étape par étape, doit être envisagée afin de garder en vie, le plus longtemps possible, ce qui est un actif national.

M. Étienne Desdouits (CFE-CGC). Votre invitation, dont nous vous remercions, nous donne l’occasion de dire notre fierté d’appartenir à une entreprise, EDF, qui est une référence mondiale dans le domaine du nucléaire, y compris en termes de sûreté : tout doit être fait pour que cela perdure ; c’est une mission qui incombe à chacun d’entre nous.

Nous sommes évidemment disposés à répondre à vos questions sur la maintenance et la sous-traitance.

M. Marc-Jacques Kuntz (CFE-CGC). Je n’ai rien à ajouter à ce qui vient d’être dit.

M. Philippe Page (FNME-CGT). Je vous remercie de votre invitation, tout en exprimant notre frustration quant à la limitation du champ d’interrogation à la sous-traitance, même si vous nous avez invités, monsieur le président, à ne pas nous y cantonner. L’avenir du parc nucléaire et la prolongation des tranches, notamment, sont des enjeux industriels importants à nos yeux. La Confédération générale du travail (CGT) estime que l’annonce de la fermeture anticipée de la centrale de Fessenheim est une ineptie ; sur cette question, nous avons réalisé plusieurs études en collaboration avec le CCE, qui les a unanimement validées.

La CGT a toujours défendu la transparence des coûts, pour tous les modes de production, notamment dans l’optique de la fixation des tarifs de vente ; elle demande une analyse de l’impact sur les coûts de la déréglementation du marché de l’électricité. Certains jeux, capitalistiques en particulier, n’ont entraîné aucune production de mégawatts supplémentaires. Nous plaidons en faveur de la vérité des prix, dont la fixation est totalement opaque. Une commission d’enquête parlementaire sur le sujet nous paraîtrait d’ailleurs très utile.

La CGT a également proposé, l’an dernier, la constitution d’une commission d’enquête parlementaire sur la sécurité d’approvisionnement du pays, qui, à notre sens, soulève des questions à court terme. Elle condamne, par ailleurs, les scénarios fumeux, actuellement mis sur la place publique, relatifs à l’avenir des concessions hydrauliques. Nous aimerions être entendus de façon sérieuse sur ce point.

La sous-traitance dans le nucléaire est un vaste sujet auquel la CGT travaille depuis longtemps, sur les sites comme au sein de la fédération des mines et de l’énergie. Cette pratique a connu des dérives dont on peut faire le procès ; mais on ne fera pas celui du nucléaire. La sous-traitance, au demeurant, touche de nombreux autres secteurs industriels, comme l’automobile ou l’aérospatiale : il serait utile de se pencher sur le phénomène dans son ensemble, notamment quant à ses conséquences pour les salariés.

Depuis une bonne dizaine d’années, la CGT a installé sur les sites des syndicats multiprofessionnels, auxquels peuvent aussi adhérer les salariés de la sous-traitance. Nous entretenons donc, avec eux et leurs représentants, des contacts quotidiens, sur l’ensemble des centres nucléaires de production d’électricité (CNPE), notamment pendant les périodes d’arrêt de tranche au cours desquelles leur charge de travail est particulièrement intense.

Le collège « exécution », le premier collège d’EDF, qui regroupe les employés et les ouvriers, a vu ses effectifs divisés quasiment par dix en vingt ans : un site de tranche qui employait entre 150 et 200 ouvriers de maintenance, n’en emploie plus que 25 à 30 aujourd’hui. Autant dire que la politique dite du « faire faire », mise en œuvre par la direction, a parfois dérivé en « faire faire faire » ou en « voir faire faire ». Depuis une bonne dizaine d’années, nous luttons pour que certaines activités, selon nous abusivement sous-traitées, soient réinternalisées au sein du premier collège, afin d’y maintenir toutes les compétences techniques.

Quoi qu’il en soit, la présence de la CGT sur les sites est une bouée de sauvetage pour certains salariés de la sous-traitance, au regard de leur situation spécifique ; notre insistance auprès du CCE nous a permis d’obtenir des garanties pour ces salariés, notamment, en 2011, quant à leur réembauche en cas de nouvelle passation de marché. Cela dit, il faut une vigilance quotidienne des organisations syndicales pour rendre ce droit effectif.

La justice nous a donné raison contre la société chypriote Atlanco qui, à Cherbourg, employait sur le site de l’EPR des salariés polonais sous-payés et privés de droits, pendant qu’elle engrangeait des profits à Dublin. On voit là à quelles situations ubuesques peut conduire la sous-traitance en cascade.

La sous-traitance a connu un développement inverse à la fonte des effectifs depuis vingt ans. Certains salariés bénéficient, à travers des conventions collectives, de garanties qui, au fil du temps, ont été nivelées par le bas. Naguère, un bon nombre de salariés bénéficiaient, par exemple, des conventions de la métallurgie, qui sont d’un bon niveau. Aujourd’hui, la convention Syntec, mise en œuvre par le patronat, est un cancer pour les salariés du nucléaire : en principe destinée aux salariés des bureaux d’études, notamment employés, techniciens et agents de maîtrise (ETAM), elle se révèle inadaptée aux personnels employés par 95 % des sous-traitants du nucléaire. Dès lors qu’elle possède un bureau d’études, une entreprise qui répond à une sollicitation de marché peut inscrire tous ses salariés sur cette convention ; ceux qui exercent des activités mécaniques ou logistiques dans la métallurgie ont ainsi vu leurs garanties sociales ramenées au plus bas. Il serait bon que le législateur y mette bon ordre, car la loi permet ce scandale.

La question des garanties collectives est d’autant plus importante que l’arrivée d’une nouvelle génération, au sein d’EDF comme dans la sous-traitance, pose le problème du renouvellement des compétences : il est essentiel de préserver l’attractivité des métiers, faute de quoi, si le marché du travail repart, les salariés de la sous-traitance s’orienteront, à rémunération équivalente, vers des métiers moins contraignants.

Depuis plusieurs années, la CGT a fait des propositions aux différents gouvernements et au patronat, comme l’intégration de certains prestataires dans le statut de branche des industries électriques et gazières (IEG), ainsi qu’Areva l’a fait pour les personnels de gardiennage. Bien que nos projets aient jusqu’à présent accusé des fins de non-recevoir, nous entendons, au printemps prochain, en soumettre de nouveaux, conçus avec d’autres fédérations de la CGT impliquées dans le nucléaire.

Le parc nucléaire d’EDF emploie 22 000 salariés de la sous-traitance ; ceux-ci y travaillent toute l’année, et certains y effectuent même toute leur carrière. Il existe donc bien un volume d’emplois suffisant pour pérenniser les carrières. Dès lors, ces personnels doivent pouvoir bénéficier d’une garantie d’emploi : cela leur éviterait de venir travailler avec la « boule au ventre » et apaiserait leurs inquiétudes pour l’avenir.

Le nucléaire ne fait mourir personne et fait vivre beaucoup de monde : les bassins d’emploi autour des sites le montrent. Notre pays ne compte que peu de filières industrielles aussi dynamiques. Dans ces conditions, la fermeture du site de Fessenheim serait aberrante, un luxe que nous ne pouvons pas nous payer.

Comme je l’ai dit, certaines activités devraient, à notre sens, être réinternalisées, comme le sont désormais les interventions sur les groupes motopompes primaires ou les activités de robinetterie – ce qui laisse à penser que la direction a reconsidéré sa position sur le sujet avant le grand carénage des tranches. La CGT a d’ailleurs fait la démonstration que, pour plusieurs activités, l’internalisation était moins coûteuse que le recours à la sous-traitance : c’est ainsi qu’il y a dix ans, le coût de la mesure de temps de chute des grappes de commande a été divisé par six – sans parler de celui de la surveillance. Au sein des centrales, l’activité de surveillance représente environ 6 000 emplois sous statut ; si l’on réinternalisait certaines activités, ces emplois assez techniques pourraient être réaffectés ailleurs : ce serait d’autant plus facile avec le renouvellement générationnel. Nous faisons des propositions en ce sens.

La politique du « faire faire » est allée trop loin : le bon sens commande de revenir en arrière et d’intégrer les salariés de la sous-traitance effectuant toute leur carrière sur les sites aux effectifs statutaires, étant entendu que certaines activités nécessiteront toujours le recours à des prestataires. À ce sujet, Denis Cohen, ancien secrétaire général de la fédération des mines et de l’énergie, avait adressé, en 2003, un courrier au Premier ministre Jean-Pierre Raffarin et, en 2009, nous nous en étions entretenu avec M. Sarkozy, M. Fillon et Mme Lagarde. Si chacun a toujours déclaré comprendre nos arguments, ceux-ci sont pourtant restés sans effet. En tout cas, la CGT a toujours interpellé les ministres sur cette question, à l’occasion de leurs déplacements sur les sites.

Les modules de formation dont bénéficient les agents d’EDF sont de grande qualité ; ils leur permettent d’avoir une connaissance approfondie de toutes les installations. La garantie de formation devrait donc aussi bénéficier aux sous-traitants. L’amélioration technique des tranches est une occasion de jouer cette carte. Nous sommes favorables à la prolongation de l’activité des sites, moyennant les rénovations nécessaires – remplacement des gros matériels et renforcement de la sûreté des installations –, mais l’amélioration technique n’a de sens que si elle s’accompagne d’une amélioration des conditions sociales. Une fois rénovées, les tranches devront être exploitées ; c’est pourquoi il est essentiel de motiver la nouvelle génération.

Nous proposons que soient menées des études sur la robotisation de certaines activités, afin notamment de limiter l’exposition aux doses radioactives. Les jumpers qui interviennent dans des générateurs de vapeur sont obligés, par exemple, de décompter mentalement les secondes afin de limiter leur durée d’exposition. Nous considérons qu’en 2014, on devrait être en mesure d’envisager la robotisation de telles activités, comme de celle de décontamination des piscines des bâtiments réacteur ; au demeurant, les techniques de robotisation pourraient être exportées.

Le surcoût des réinternalisations reste à démontrer : nous avons, je le répète, établi qu’elles réduiraient, au contraire, les coûts de plusieurs activités, sans parler des avantages en termes de redéploiement d’emplois. Au reste, un éventuel surcoût ne doit pas forcément se répercuter sur les tarifs : une modulation à la baisse des dividendes versés aux actionnaires est toujours possible. Le coût du travail est actuellement dans la ligne de mire, mais l’on a tendance à oublier le coût du capital : le développement de la sous-traitance doit bien profiter à certains – certes pas aux salariés –, car il génère forcément des sommes faramineuses.

Nous sommes disposés à discuter de la sous-traitance – sans faire le procès du nucléaire – comme des mesures à mettre en œuvre pour améliorer les conditions sociales des salariés de la filière. Cependant, il faut d’abord pointer les vrais problèmes : la semaine dernière, à Cherbourg, l’audience consacrée au décès d’un salarié sur le chantier de l’EPR en 2011 a tourné au procès non de l’intérim, mais des intérimaires. Rappelons que certains salariés restent toute leur carrière en intérim.

M. le président François Brottes. J’organiserai une nouvelle table ronde, dont les thèmes seront laissés à votre appréciation ; notre réflexion, je le rappelle, vise le mix électrique français et européen. L’hydraulique, à cet égard, est un complément indispensable au nucléaire et aux énergies intermittentes.

Je rappelle également que, depuis trois ans, un seul scénario est officiellement sur la table : la mise en concurrence des concessions hydrauliques. Cela n’empêche pas la recherche de solutions alternatives, notamment au sein de la commission des affaires économiques. C’est pourquoi vos idées seront toujours les bienvenues.

M. Serge Vidal (FNME-CGT). Le CCE, dont je préside la commission économique, ne nous a pas mandatés, comme vous l’avez rappelé, pour nous exprimer ce matin ; néanmoins, votre commission d’enquête est passée par lui pour contacter les organisations syndicales, alors qu’elle aurait pu le faire directement.

Le CCE, par nature, est soucieux de la qualité du service rendu, de l’efficacité de l’entreprise et des intérêts des salariés : il est donc concerné par tous les champs d’investigation de votre commission d’enquête. Au cours des dernières années, nous avons fait réaliser une série d’expertises, dont nous tenons les synthèses à votre disposition. Ces expertises ont trait aux conséquences sociales, économiques et environnementales des choix énergétiques – notamment d’une éventuelle sortie du nucléaire  ; à la durée de fonctionnement des tranches de 900 mégawatts ; à la disponibilité du parc nucléaire ; à l’équilibre entre l’offre et la demande d’électricité jusqu’en 2030 ; aux conditions de poursuite de l’exploitation de la centrale de Fessenheim ; aux aspects sociaux d’une fermeture de celle-ci ; à l’historique, enfin, de l’intervention publique – en particulier de votre assemblée – dans les choix énergétiques français, notamment quant au nucléaire.

Je crois me faire l’écho de chacun d’entre nous en émettant le souhait que votre commission d’enquête reste objective sur la question des coûts, comme sur les avantages du choix qui a été fait, depuis la Libération, de mettre à la disposition de l’économie française une électricité moins chère. On peut néanmoins craindre un renchérissement de son prix, indépendamment des coûts, car il existe une convergence de vues, en ce domaine, entre ceux pour qui un tel renchérissement encourage les économies d’énergie, ceux qui veulent discréditer le nucléaire à tout prix et ceux qui, à l’instar de notre direction, veulent augmenter les profits au service des actionnaires, au premier rang desquels l’État. Nous espérons que votre commission d’enquête démêlera le vrai du faux, et qu’elle ne préconisera pas, pour le nucléaire, des règles comptables qui ne vaudraient pas pour d’autres activités présentant des caractéristiques équivalentes.

Le rapport publié en 2012 par la Cour des comptes montre qu’il n’y a pas de coûts cachés dans le nucléaire, que l’impact des incertitudes est limité et que le secteur ne bénéficie plus de subventions publiques ; il émet également plusieurs hypothèses, que votre commission devrait réexaminer, pour convertir les milliards d’euros en euros par kilowattheures : l’une d’elles repose sur une durée de fonctionnement limitée à quarante ans et sur un taux de marge annuel de 7,8 % pour un secteur relativement protégé. La Cour propose alors trois méthodes de calcul, qui donnent chacune des résultats très différents ; or seul le chiffrage le plus élevé est retenu, alors que l’intermédiaire paraît tout aussi pertinent.

Enfin, s’agissant de la sous-traitance, le management par processus ou par objectif pratiqué à EDF ne favorise ni le contrôle social ni le suivi des engagements pris par la direction.

M. le président François Brottes. Notre règlement donne, à chacun des groupes politiques, un droit de tirage annuel sur les commissions d’enquête. Le périmètre de celle-ci, créée à l’initiative du groupe Écologiste, a été légèrement amendé, avec son accord, en commission des affaires économiques. Je vous invite à suivre nos travaux, qui sont publics. Je rappelle aussi que notre commission d’enquête réunit toutes les sensibilités politiques de notre assemblée, ou presque, et qu’elle entend travailler avec la plus grande objectivité.

M. Jacky Chorin (FNEM-FO). Je vous remercie, à mon tour, de votre invitation, et commencerai par quelques considérations d’ordre général.

La fédération nationale de l’énergie et des mines de Force ouvrière (FNEM-FO) a toujours été favorable à l’énergie nucléaire, dès lors qu’elle est régie par des règles de sûreté exigeantes, qu’elle reste gérée par des entreprises publiques, qu’elle contribue à la protection du pouvoir d’achat des ménages – à travers un prix au kilowattheure parmi les moins chers d’Europe – et de l’emploi dans les entreprises, et que les salariés du secteur bénéficient d’une protection sociale de haut niveau.

À nos yeux, le nucléaire est une énergie d’avenir. FO est favorable à la prolongation de l’activité des centrales, dès lors que l’ASN l’autorise ; elle réitère son opposition à la volonté du Gouvernement de fermer la centrale de Fessenheim et de plafonner, pour des raisons politiques, la part du nucléaire dans le mix électrique. J’ajoute que les discussions actuellement menées dans le secret des cabinets suscitent un vif émoi chez les hydrauliciens d’EDF, et même de GDF-Suez. Nous souhaitons également être entendus sur ce sujet, qui nous concerne directement, car nous ne partageons pas la vision qui semble émerger des discussions en cours.

Sur le thème qui nous occupe, FNEM-FO tient à rappeler deux éléments fondamentaux. En premier lieu, la décision de sous-traiter telle ou telle activité relève du choix de l’employeur après consultation – et non accord, hélas ! – des institutions représentatives du personnel. L’augmentation sensible du recours à la sous-traitance ne concerne d’ailleurs pas que le nucléaire : EDF fait appel à beaucoup de prestataires dans la partie commerciale et dans l’informatique. Cependant, dans le nucléaire, cette pratique a entraîné, dès l’origine, compte tenu de la spécificité du secteur, de vives réactions parmi les organisations syndicales, notamment FO.

Nous considérons que la part de la sous-traitance dans la filière nucléaire doit être réduite ; c’est pourquoi nous n’avons eu de cesse de nous battre pour la réinternalisation d’un maximum d’activités, et pour l’intégration dans le statut des industries électriques et gazières (IEG) du plus grand nombre de prestataires. Nous commençons, d’ailleurs, à être entendus, puisque EDF a embauché un certain nombre de salariés – robinetiers, responsables de zone, coordinateurs ou planificateurs – afin de conserver des compétences dans des domaines importants.

Cette évolution nous semble devoir être poursuivie, l’État, avec 84 % des parts au capital, ayant son mot à dire, même s’il ne s’est guère manifesté jusqu’à présent ; pire, il continue, par la voix de Bercy, d’exiger de l’entreprise, donc des travailleurs, une part conséquente de dividendes, dont 56,5 % sont distribués, soit l’un des taux les plus élevés du CAC40. On entend même dire qu’il pourrait s’engager dans une nouvelle dilution de son capital, selon la logique financière qu’il impose à l’entreprise. Pour notre part, nous rejetons une telle éventualité, et continuons à revendiquer la renationalisation d’EDF, dans l’intérêt du service public comme des salariés du secteur, y compris ceux de la sous-traitance.

Par ailleurs, même si notre fédération ne couvre que les salariés relevant du statut des IEG, nous restons engagés auprès des autres fédérations pour l’amélioration de la condition sociale des prestataires. Dans cet esprit, nous participons activement aux travaux du comité stratégique de la filière nucléaire – dont la confédération avait demandé, et obtenu du précédent Gouvernement, la création –, ainsi qu’à divers groupes de travail, en particulier au comité d’orientation sur les facteurs sociaux, organisationnels et humains créé par l’ASN. En juin 2012, Jean-Claude Mailly avait adressé un courrier au Premier ministre pour revendiquer la négociation, sous l’égide du Gouvernement, d’un accord collectif améliorant les droits, les garanties et les conditions de travail des salariés du nucléaire.

De notre point de vue, le cahier des charges social intégré aux appels d’offre des donneurs d’ordre marque une évolution mais, comme il ne constitue pas un accord négocié entre employeurs et syndicats, il ne produit pas les mêmes effets juridiques.

Un premier pas a été franchi au niveau de la division de la production nucléaire d’EDF, avec l’accord du 2 août 2013 intitulé « Une ambition sociale pour le projet industriel du parc nucléaire », que notre fédération a signé. Cet accord contractualise le cahier des charges social du comité de pilotage stratégique de la filière nucléaire (CSFN), en y ajoutant des éléments supplémentaires de reprise du personnel en cas de perte de marché ; mais il ne concerne pas tous les donneurs d’ordre, et ne constitue, je le répète, qu’une première étape, qui en appelle d’autres.

M. Denis Baupin, rapporteur. Merci pour ces exposés liminaires. Je veux rassurer ceux qui auraient encore des doutes : mon objectif, comme celui du président Brottes, est de supprimer toute forme de discrimination entre les différentes formes d’énergie ; c’est pourquoi nous souhaitons une transparence complète sur leurs coûts respectifs.

Je connais le souhait de FO d’une renationalisation d’EDF. Les autres organisations syndicales pourraient-elles nous donner leur point de vue sur le sujet ?

Le niveau du mur d’investissement lié au grand carénage, à la mise aux normes après Fukushima, voire à une éventuelle prolongation des installations au-delà de quarante ans, peut apparaître préoccupant pour les coûts et l’endettement de l’entreprise : comment appréhendez-vous cette question ?

Les chiffres donnés par M. Page relativement aux conséquences du recours à la sous-traitance – division par dix du nombre de salariés du premier collège d’EDF – semblent contredire les propos d’un responsable que nous avons entendu tout à l’heure, selon lesquels les parts respectives des emplois en interne et dans la sous-traitance n’ont pas évolué depuis vingt ans. La réinternalisation qui, selon vous, permettrait de diminuer certains coûts, est-elle également susceptible de réduire le nombre d’incidents lors des opérations de maintenance ?

Enfin, j’ai trouvé intéressantes vos analyses sur la robotisation, qui permettrait de limiter l’exposition aux radiations. Confirmez-vous que 80 % des doses sont reçues par les salariés de la sous-traitance ? En ce domaine, le suivi et le contrôle vous semblent-ils satisfaisants ? Certains personnels peuvent-ils passer à travers les mailles du filet, et recevoir ainsi des doses supérieures aux normes autorisées ?

Mme Frédérique Massat. EDF s’était engagée sur un chiffre de 6 000 créations d’emploi en 2013, objectif atteint, selon la direction, avec 1 700 nouveaux postes d’ingénieurs et de cadres, 2 600 postes de techniciens et 1 700 postes d’ouvriers, tous en CDI, auxquels s’ajoutent 3 000 nouveaux contrats en alternance. Confirmez-vous ces annonces ? Quelle est la part réservée au nucléaire dans ces embauches ? Que penser de l’annonce faite par la direction de 6 000 nouvelles embauches en 2014 ? Êtes-vous associés à la répartition de ces emplois au sein de l’entreprise ?

La diminution des emplois en interne n’est-elle imputable qu’à la sous-traitance ? La modernisation des installations n’a-t-elle pas aussi un impact ?

Enfin, la formation permet-elle des passerelles, au sein d’EDF, entre les activités nucléaires et les autres, comme l’hydraulique ?

M. Michel Sordi. Quelles seraient, d’après vous, les conséquences de la fermeture du site de Fessenheim ?

La filière du démantèlement des réacteurs nucléaires est-elle génératrice d’emplois ?

Enfin, la presse s’est récemment fait l’écho de l’intention du Gouvernement de fermer une vingtaine de réacteurs parallèlement à la construction de deux ou trois EPR. Ce scénario vous paraît-il crédible au regard de l’équilibre entre la production et la consommation dans le pays ? Quelles en seraient les conséquences pour l’emploi ?

M. le président François Brottes. La presse ne relaie pas la parole officielle du Gouvernement.

M. Stéphane Travert. Quelle a été la part d’activités externalisées par EDF au cours des dix dernières années ?

Quels garde-fous permettraient d’éviter les situations constatées sur le chantier de Flamanville, s’agissant notamment du travail irrégulier ?

M. Vincent Rodet. EDF est une entreprise très capitalistique dont le retour sur investissement s’évalue à horizon décennal. Indépendamment du statut juridique, l’État actionnaire majoritaire n’a jamais laissé l’entreprise constituer des réserves pour faire face à l’enchaînement des cycles de construction et d’exploitation. EDF aborde le prochain cycle de réinvestissement – rénovation des centrales actuelles et construction d’autres centrales en France et à l’étranger – avec une dette et un taux de prédation du dividende élevés. Dans la perspective du mur d’investissement, les leviers ne sont pas si nombreux : en dehors de la diversification de la dette et l’allongement de son remboursement sur les cent prochaines années obtenus par le service financier d’EDF, l’activation de la diminution du taux de distribution du dividende, du dégagement de marges de manœuvre endogènes, et du transfert d’une partie du capital de l’État vers les fonds propres de l’entreprise – option qui paraît douteuse au vu de l’état des finances publiques –, apparaît problématique.

La CFDT considère que la montée en puissance des énergies renouvelables (EnR) et le maintien des outils de production actuels sont compatibles et tous deux indispensables. Dans ce cadre, fermer la centrale de Fessenheim reviendrait à se priver de création de valeur, alors que, hormis quelques sites d’éolien terrestre, les EnR n’ont pas atteint la maturité suffisante pour être autoportantes sans subvention publique. À Fessenheim, le nombre d’emplois détruits dépasserait largement celui des emplois créés ; le centre d’ingénierie, de déconstruction et d’environnement (CIDEN), situé à Lyon, travaille déjà sur les techniques de déconstruction, si bien que peu de nouveaux postes seraient nécessaires, les emplois de démantèlement n’étant pas les mêmes que les emplois d’exploitation.

De même, en matière de passerelles, la filiale EDF Énergies nouvelles, qui assure le développement des EnR, n’appartient pas à la catégorie des IEG, ce qui rend difficile la mobilité salariale pour des raisons de statut, notamment au regard des droits à la retraite. La solution du « Pack Rem globale » permet de lever une partie des obstacles. 

Nous sommes très attachés à la formation. Chaque CNPE comporte une base de formation et un simulateur sur lequel les exploitants peuvent se confronter à des scénarios ultimes, comme la perte de contrôle de l’installation. Outre qu’il permet de renforcer la sûreté, cet outil présente l’avantage de briser la routine du fonctionnement de la centrale ou de l’EPR.

En matière de suivi de dose, tout salarié, qu’il soit d’EDF ou d’une entreprise sous-traitante, doit passer par des contrôles d’accès. Il est difficile d’y échapper. Une bonne gestion prévisionnelle des emplois et des compétences de la filière doit permettre d’anticiper et de proposer au salarié proche d’une limite de dose maximale de travailler dans une activité moins exposée.

Il fut un temps où EDF, Areva et même Total se tiraient dans les jambes pour attirer à elles les salariés des entreprises prestataires. Depuis le rapport de M. François Roussely sur l’avenir de la filière française du nucléaire civil, tout le monde a conscience que « l’équipe de France nucléaire » gagnera ou perdra ensemble : le temps où les dirigeants d’EDF se gaussaient des déboires d’Areva, et inversement, est heureusement révolu ; quant aux salariés, les ingénieurs des deux entreprises ont toujours travaillé en étroite collaboration.

M. Marc-Jacques Kuntz. Je ne dispose pas d’un mandat de mon syndicat pour m’exprimer ici sur la renationalisation.

Pour améliorer la fiabilité des matériels, EDF a mis en œuvre, depuis quelques années, le programme AP 913 qui permet vraiment d’anticiper les défaillances du matériel et de le remplacer avant qu’il ne cesse de fonctionner. Ce programme a des effets concrets sur les effectifs puisque, sur le site de Penly où je suis employé, ceux du service ingénierie ont doublé pour passer à quarante personnes. Cet investissement permet de travailler dans la sérénité en réduisant l’exposition à l’aléa. Cette situation contraste avec la décennie précédente, au cours de laquelle la fin de vie annoncée des alternateurs a conduit l’entreprise à ne pas débloquer les crédits permettant de lancer le programme de leur remplacement, si bien que de grosses avaries se sont produites et que des arrêts fortuits n’ont pu être évités. Or un tel arrêt entraîne trois mois de réparation et empêche de préparer le prochain arrêt de tranche. Aujourd’hui, un programme de remplacement de tous les transformateurs de puissance a été déployé, et les problèmes sur les alternateurs ne se sont pas reproduits.

M. le président François Brottes. Existe-t-il un document retraçant l’historique que vous venez de brosser ? 

M. Marc-Jacques Kuntz. Oui, mais c’est à la direction de l’entreprise qu’il vous faudrait le demander.

S’agissant du contrôle de la dose reçue par les intervenants, nos résultats sont parmi les meilleurs dans le monde, ce que confirme le rapport annuel de l’Inspecteur général pour la sûreté nucléaire et la radioprotection (IGSN). Des progrès sont accomplis chaque année et peu de déviances sont à déplorer sur le terrain, ce qui n’a pas toujours été le cas.

La plupart des personnels évoluant sur un site nucléaire ne travaillent pas en zone contrôlée parce que l’on n’entre pas dans un bâtiment réacteur lorsque la tranche est en fonctionnement ; on y pénètre uniquement pour y effectuer la maintenance. C’est pourquoi les arrêts de tranche ont un effet de saisonnalité : comme ils ont lieu tous les douze ou dix-huit mois, les agents chargés de l’effectuer ne restent pas sur le site en permanence. En raison de la nature même de leur métier, ils sont le plus exposés aux radiations ; ils sont aussi souvent employés par des entreprises sous-traitantes, la logique économique et industrielle voulant qu’on ne garde pas sur un seul site des compétences spécifiques à certains matériels.

L’entreprise embauche beaucoup actuellement, au-delà du simple remplacement des personnes partant à la retraite. Au mois d’août dernier, un accord social a été signé à la division de la production nucléaire (DPN), qui prévoit l’embauche de 2 000 personnes supplémentaires, réparties dans différents secteurs de la direction dont l’effectif atteindra 22 000 personnes.

Nous mettons un point d’honneur à développer l’alternance, qu’un autre accord social vise à accroître dans nos établissements. C’est ainsi qu’elle devrait atteindre 5 % alors que le taux légal est fixé à 3 % des effectifs. Il s’agit d’une démarche dans laquelle tous les acteurs se retrouvent gagnants : l’entreprise bénéficie de personnels présents dans l’entreprise pendant un à trois ans, et elle peut les embaucher s’ils donnent satisfaction ; ces personnels profitent d’une formation professionnelle et perçoivent une rémunération qui leur permet de financer leurs études. Des efforts importants sont consentis sur certains sites, comme celui de Penly où 7 % des salariés sont en alternance. Par contraste, la situation nationale a vu le nombre d’alternants diminuer en 2013.

La formation assurée à EDF est d’un excellent niveau grâce à l’allocation d’importants moyens horaires et financiers. Des simulateurs ont été installés sur la plupart des sites nucléaires, des plans de formation très ambitieux ont été élaborés, des obligations de formation des prestataires ont été intégrées dans les cahiers des charges, des académies des métiers ont été créées pour former les nouveaux arrivants et des systèmes de tutorat très efficaces ont été mis en place en interne et promus par la direction et les syndicats par le biais de la signature d’un accord social.

Les passerelles entre les activités sont limitées par l’augmentation du travail dans le nucléaire due aux opérations de maintenance, aux nouvelles pratiques développées à la suite de l’accident de Fukushima et aux nombreux départs en retraite. Les ressources humaines formées dans le parc nucléaire ont fait l’objet d’un investissement important du fait de la haute technicité des tâches, et l’on est réticent à les voir partir rapidement.

Mon organisation syndicale ne m’a pas non plus donné mandat pour m’exprimer sur la fermeture de Fessenheim, mais sa position est connue.

La politique de l’entreprise n’a pas fondamentalement changé en matière de prestations externalisées, si ce n’est que les prestataires doivent répondre à davantage de contraintes, et apporter une « mieux-disance » dans le domaine social en particulier. On peut toutefois regretter qu’il n’existe pas de statut protecteur, offrant de meilleures garanties à des salariés qui peuvent malheureusement rester en intérim durant toute leur vie professionnelle.

Travaillant dans une centrale nucléaire en fonctionnement, je connais mal la question des travailleurs non déclarés du chantier de construction de l’EPR de Flamanville. Les travailleurs salariés d’entreprises extérieures assurant la maintenance ou d’autres prestations particulières font, en tout cas, l’objet de nombreux contrôles.

M. Étienne Desdouits. EDF cherche à améliorer les conditions de travail des salariés, notamment en développant la robotisation des tâches dangereuses et en traitant la question des doses. Nous soutenons, bien entendu, cet effort qui donne des résultats : la dose par intervenant a été divisée par deux en dix ans.

Les embauches massives opérées actuellement servent à remplacer les départs en retraite, mais sur les 6 000 recrutements effectués annuellement, 2 000 correspondent à des créations d’emplois. Un tiers du total des personnes engagées est affecté au domaine nucléaire.

Les conditions économiques et le besoin de compétences particulières expliquent le recours à la sous-traitance. La maintenance d’un groupe diesel ou frigorifique n’est pas une activité spécifique au nucléaire et l’on souhaite que l’entretien de nos matériels soit assuré par des spécialistes. La durée relativement brève de l’arrêt de tranche rend préférable l’intervention de prestataires.

Il convient de distinguer le prestataire du sous-traitant, le premier étant le contractant d’EDF, le second étant un contractant du premier.

M. Philippe Page. La CGT reste attachée à la nationalisation, signée de la main de Marcel Paul en 1946. Le schéma actuel s’avère hélas ! bien différent, et l’on se demande comment renationaliser une entreprise qui évolue dans un contexte concurrentiel lié à la disparition du monopole. Nous souhaiterions qu’émerge un pôle public de l’énergie qui regrouperait l’ensemble des acteurs de ce secteur, mais nous doutons qu’une telle volonté politique existe.

Lorsque l’entreprise était complètement publique, elle avait déjà recours à des sous-traitants. En outre, le changement du statut de l’entreprise ne s’est heureusement pas accompagné d’une modification de celui des personnels, et ce grâce aux actions et aux mobilisations orchestrées par les organisations syndicales.

Je confirme que, sur les trois collèges de salariés dans l’entreprise, le collège « exécution » représentant les ouvriers et les employés a bien connu une division par dix de ses effectifs en vingt ans, alors que l’effectif total de l’entreprise est resté stable. Un fort recrutement de cadres a eu lieu ces dernières années du fait de contraintes nouvelles pour le parc ; en outre, nous connaissons actuellement un pic d’embauches rendues nécessaires par le départ prochain de nombreux salariés à la retraite et par la longueur des temps de formation dans nos métiers.

Nous réclamons une augmentation du niveau de formation des personnels opérant pour le compte de l’entreprise, en aucun cas dans une optique de remise en cause du professionnalisme des sous-traitants et des prestataires : selon nous, 20 % seulement des défauts de maintenance entraînant des incidents sont dus à des sous-traitants.

M. le rapporteur. L’ASN a avancé le chiffre de 50 %.

M. Philippe Page. Il convient d’analyser une telle estimation avec du recul, car rares sont les tâches des sous-traitants qui s’accomplissent sans aucune participation des agents statutaires.

À nos yeux, la formation et l’attachement à l’outil de travail sont des éléments fondamentaux, qui contribuent à accroître la sûreté et qui se trouvent plus développés chez les agents appartenant à l’entreprise.

Les doses ont massivement diminué ces dernières années pour la population statutaire comme prestataire. D’importants efforts ont été consentis pour éliminer les nombreux points chauds dans les circuits des bâtiments réacteur très riches en doses. Aucun salarié ne dépasse les seuils, mais la répartition des doses entre les agents statutaires et les prestataires reste la même et s’établit à 80 % pour les seconds, voire à un taux légèrement supérieur. Par ailleurs, nous n’avons pas relevé de cas où des salariés tricheraient sur l’enregistrement de leur dose, alors même que ceux-ci ne risquent plus de perdre leur emploi en cas de mauvais niveau.

La CGT n’a pas signé l’accord dit DPN, considérant que la ventilation des 6 000 embauches était trop défavorable au collège « exécution ». Elle souhaite que ce collège bénéficie d’un flux plus élevé de recrutements, afin que l’entreprise conserve dans les services les compétences techniques et, ainsi, la maîtrise complète des installations. Or, lorsque l’on ne recrute que des agents de bac +2 à bac +5, il est délicat de les maintenir dix ans à un poste de technicien.

La décision de fermeture de la centrale de Fessenheim n’a pas d’autre sens que politique. Il s’agit d’une centrale rénovée et jugée sûre par l’ASN, ce qui pose la question du crédit de cette Autorité puisque ses avis ne sont pas suivis. Nous sommes très opposés à cet arrêt qui dégradera la situation énergétique, et nous tenons à votre disposition des études mettant en avant la détérioration sociale, énergétique et environnementale qu’il entraînera. Le démantèlement d’une centrale entraîne une diminution de 90 % du nombre des personnes employées sur le site.

La CGT est favorable à l’extension de la filière des EPR ; elle n’appartient à aucun lobby, si ce n’est celui de la réponse aux besoins énergétiques du pays. Les EPR représentent des outils de service public pour répondre aux besoins en matière de production d’électricité.

Des externalisations d’activité ont été opérées au cours des dix dernières années. Il est difficile d’obtenir le nombre de sous-traitants permanents sur chaque site ; on les évalue à plus de 8 000 pour les sites et à 22 000 pour l’ensemble de l’entreprise. L’activité de laverie des combinaisons des salariés intervenant en zone contrôlée a été sous-traitée depuis dix ans sur les sites les plus récents. Malgré notre opposition, il en va de même pour les magasins où sont traitées les pièces de rechange et pour les activités tertiaires telles que le secrétariat ou l’accueil. C’est ainsi que s’est développé le « tertiaire diffus », par greffage sur les activités techniciennes ou par multiplication des emplois précaires.

Quelques activités sont réinternalisées, mais cela ne diminue pas notre vigilance, car la direction pourrait décider d’en externaliser d’autres. Ainsi, après la décision du site de Saint-Laurent de sous-traiter la déminéralisation des circuits d’eau, notre mobilisation a contraint la direction à refuser cette évolution pour les autres sites – nous souhaitons néanmoins que cette activité soit réinternalisée à Saint-Laurent.

Des représentants des salariés doivent être présents sur chaque site, y compris sur des chantiers de construction, afin d’éviter que puissent se reproduire les incidents de travail dissimulé de la société Atlanco à Flamanville. Des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) doivent également pouvoir être créés, et les personnels doivent pouvoir s’entretenir avec des organisations syndicales. Sur le site de l’EPR à Flamanville, la situation s’est améliorée, mais des salariés voulant représenter leurs collègues ont été licenciés ou mutés à l’autre bout du monde par le groupe Bouygues. Il ne doit pas exister de zone de non droit, même sur un chantier !

M. Serge Vidal. Nous souhaitons que les salariés d’EDF Énergies nouvelles bénéficient du statut des IEG, comme l’a expliqué le représentant de la CFDT.

La CGT considère que nous avons besoin de prolonger l’activité des centrales existantes et d’en construire de nouvelles.

Ce n’est pas la robotisation qui a entraîné la diminution des effectifs du premier collège ; nous avons même défendu le lancement par la R&D d’EDF de programmes de recherche permettant de robotiser certaines tâches, mais ces projets n’ont débuté qu’il y a deux mois.

Je reviens sur certains aspects du mur d’investissement, et en premier lieu sur le grand carénage. L’objectif de ce dernier était d’abord de prolonger la durée de vie des centrales, ce qui pouvait se faire dans le temps avec un étalement des besoins financiers. Puis, à la suite de l’accident de Fukushima, il est apparu nécessaire d’y intégrer certains éléments de sécurité. Ce dont n’a pas tenu compte l’analyse de la Cour des comptes, c’est que certains investissements sont relativement urgents en matière de sûreté mais que d’autres peuvent être repoussés dans le temps.

En second lieu, agir sur les dividendes permettrait de dégager des marges de manœuvre, comme l’a montré une simulation effectuée par la commission économique du comité central d’entreprise reposant sur le non-versement de dividendes pendant trois ans. Toutefois, cet aspect lie étroitement coût du capital et rémunération de l’État.

M. le président François Brottes. Le budget de l’État y perdrait en effet !

M. Serge Vidal. Le CCE a également dressé un bilan financier des opérations de l’entreprise à l’étranger au cours des vingt dernières années : la situation critique qui en a résulté dans les années 2000 pourrait expliquer l’ampleur des sous-investissements. Ce tableau ne prend pas en compte l’opération sur British Energy, qui n’entre pas dans la catégorie de ces investissements hasardeux.

M. Jacky Chorin. Nous avons relancé l’idée de la renationalisation, que n’interdit pas la concurrence et que justifie l’existence du nucléaire. La notion de pôle public, portée par la CGT, nous semble plus floue car la question du seuil se pose : la proposition actuelle sur l’hydraulique fixant la détention publique à 51 % la ferait entrer dans cette catégorie. Pour notre part, nous pensons qu’il est plus clair de défendre la renationalisation et la propriété publique à 100 %, EDF n’étant pas une entreprise comme les autres.

En matière de mix énergétique, Force ouvrière fait preuve de pragmatisme : les centrales nucléaires ne peuvent être fermées que pour des raisons de sûreté, sur avis de l’ASN, ou pour des contraintes économiques liées au prix des travaux, la décision revenant à l’exploitant. En revanche, les motivations politiques perturbent les salariés du secteur du fait de leur caractère arbitraire et incertain. Ainsi, en 2025, quelle sera la situation démographique et quels seront les nouveaux usages ?

Pourquoi fermerait-on des centrales ? L’ASN a jugé que celle de Fessenheim était sûre et pouvait fonctionner plusieurs années. En outre, la réunion du groupe de travail sur le projet de loi relatif à la transition énergétique vient une nouvelle fois d’être annulée, preuve de la difficulté d’avancer sur ces sujets.

M. le président François Brottes. Pensez-vous que l’arbitraire que vous évoquez s’exerce davantage dans le cadre actuel d’une société anonyme dans laquelle l’État se trouve largement majoritaire, ou dans celui d’une société renationalisée ?

M. Jacky Chorin. Dans l’entreprise, beaucoup ont défendu l’idée selon laquelle le statut de SA garantirait l’absence d’immixtion de l’État dans la gestion quotidienne de l’entreprise. Je constate qu’il n’en est rien, et que nous pâtissons du plus mauvais des systèmes puisque nous devons rendre des comptes au monde financier en le nourrissant de dividendes, tout en nous trouvant soumis aux responsables politiques qui considèrent EDF non comme une entreprise, mais comme l’appendice d’un ministère, et qui exigent, avec raison, un service public d’une qualité toujours plus grande. Ce système finira immanquablement par engendrer un problème majeur.

M. le président François Brottes. Vous suggérez que les administrateurs de l’État présents au conseil d’administration donnent des instructions en permanence ?

M. Jacky Chorin. Je ne suis pas certain que les fonctionnaires des différents ministères portent la même parole sur la situation et l’avenir d’EDF. Le jour où un arbitrage clair sera rendu sur ce que l’on attend d’EDF, un progrès important aura été accompli.

La présence de syndicats et de fonctionnaires de l’ASN et de l’inspection du travail améliorerait la situation à Flamanville, mais est-ce compatible avec la politique de réduction des effectifs de la fonction publique ? Nous croyons à la possibilité d’un accord collectif offrant un socle de garanties à l’ensemble des travailleurs prestataires. L’État détient le pouvoir de réglementer, par le décret ou par la loi, pour définir les formations correspondant aux emplois occupés. Il existe donc des marges réglementaires et conventionnelles, encore faut-il vouloir les utiliser.

M. le président François Brottes. Je vous remercie d’avoir accepté de vous livrer à cet exercice. Les syndicats seront conviés à une autre audition, mais cette invitation sera adressée aux confédérations, libres à elles d’envoyer les représentants de leur choix.

La table ronde s’achève à treize heures quarante-cinq.

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Membres présents ou excusés

Commission d'enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d'exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l'électricité nucléaire

Réunion du jeudi 13 février 2014 à 11 heures

Présents. - M. Bernard Accoyer, M. Christian Bataille, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Philippe Baumel, M. Denis Baupin, M. François Brottes, Mme Sabine Buis, Mme Françoise Dubois, M. Claude de Ganay, M. Jean-Pierre Gorges, Mme Geneviève Gosselin-Fleury, M. Hervé Mariton, Mme Frédérique Massat, M. Michel Sordi, M. Stéphane Travert, Mme Clotilde Valter

Excusé. - Mme Sylvie Pichot