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Commission d’enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes

Lundi 11 février 2015

Séance de 18 h 15

Compte rendu n° 17

SESSION ORDINAIRE DE 2014-2015

Présidence de M. Éric Ciotti, Président

– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant les représentants de syndicats de directeurs d’établissements pénitentiaires : Syndicat national des directeurs pénitentiaires–CFDT (M. Jean-Michel Dejenne, premier secrétaire, Mme Géraldine Blin, conseillère nationale) ; Syndicat national pénitentiaire FO-personnels de direction (M. Jimmy Delliste, secrétaire général, Mme Lucie Commeureuc, membre du bureau national)

L’audition commence à 18 heures 15.

Présidence de M. Éric Ciotti

M. le président Éric Ciotti. Mesdames, messieurs, je vous remercie d’avoir répondu à notre sollicitation et de bien vouloir nous faire part de votre analyse sur les phénomènes de radicalisation en milieu carcéral.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Jean-Michel Dejenne, Mme Géraldine Blin, M. Jimmy Delliste et Mme Lucie Commeureuc prêtent successivement serment.)

M. Jean-Michel Dejenne, premier secrétaire du Syndicat national des directeurs pénitentiaires-CFDT. Les personnels pénitentiaires sont en première ligne face aux auteurs d’actes de terrorisme, puisqu’ils les rencontrent quotidiennement. Nous avons le devoir impérieux de contribuer plus que jamais à la sécurité des personnes et à la protection de la société.

Notre rôle est à la fois de prévenir le risque de récidive et d’éviter l’enrôlement de nouvelles personnes dans des entreprises criminelles. Pour ce faire, nous devons mener un travail de désendoctrinement ou de « désemprise » mentale. Le syndicat que je représente est réservé sur l’emploi du terme de « déradicalisation » qui sonne mal – on entend « dératisation » et « éradication » – et qui, sans sous-estimer l’ennemi que nous avons à vaincre aujourd’hui, paraît excessif. En outre, étymologiquement, ce terme renvoie au « déracinement », ce qui semble aller au-delà du but recherché. Une personne peut avoir une pratique littérale de la religion sans pour autant représenter un danger pour autrui ou se livrer à des actions violentes.

Les personnes auxquelles nous sommes confrontées s’inscrivent néanmoins dans une logique qui est à rapprocher de celle des sectes. C’est la raison pour laquelle nous souhaitons compléter les outils dont nous disposons en travaillant avec les institutions spécialisées, comme la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes).

Les motivations pour adhérer au djihad ou y prendre part sont multiples. Il faut relativiser la dimension strictement religieuse du phénomène. Le djihadisme peut être inspiré par un romantisme pseudo-révolutionnaire, à l’instar des mouvements d’extrême gauche dans les années 60 et 70. Il peut aussi trouver son origine dans une intolérance poussant à l’action violente, qui caractérise plutôt l’extrême droite. On peut également mentionner, pour certains, le besoin d’assouvir des pulsions sexuelles – les viols en toute impunité ou les mariages forcés le permettent –, et, pour d’autres, un « fantasme d’héroïsme malsain », selon l’expression de M. Olivier Roy. Ces derniers recherchent une célébrité warholienne, le « quart d’heure de gloire médiatique » qui est plus facile à obtenir par la provocation et la destruction que par une attitude constructive et des réalisations bénéfiques à la société.

Parmi ces motivations très diverses, qui se retrouvent dans la délinquance et le banditisme, nous tenons à relativiser la cause religieuse et sa singularité. Ces personnes ont connu un processus de criminalisation, plus que de radicalisation, à l’image d’une grande partie de la population carcérale. Nous sommes donc déjà dotés des programmes et outils pour les prendre en charge. Nous avons sans doute besoin, en appoint, d’acquérir des méthodes développées, par exemple, pour le traitement des dérives sectaires.

L’expérience en cours à Fresnes repose sur l’isolement collectif des détenus condamnés pour leur participation à une entreprise terroriste. Nous l’observons avec intérêt, malgré les questions de principe qu’elle pose, au regard notamment de la stigmatisation des personnes concernées.

Toutefois, la réussite de la généralisation éventuelle de cette expérimentation est soumise à condition : l’isolement, qui a une vocation de cordon sanitaire, doit s’accompagner d’un travail de désemprise mentale, d’un encellulement individuel, d’activités spécifiques et d’une évaluation.

Enfin, j’attire votre attention sur le milieu ouvert qui ne doit pas être oublié, car les personnes suivies par l’administration pénitentiaire y sont trois fois plus nombreuses qu’en milieu fermé et peuvent représenter un danger immédiat.

M. Jimmy Delliste, secrétaire général du Syndicat national pénitentiaire FO-personnels de direction. En préambule, je souhaite repartir de la réalité et récuser le cliché qui fait de la prison une fabrique de terroristes. Le rôle de la prison doit évidemment être examiné. Mais l’assimilation entre radicalisation et prison est par trop réductrice, d’autant que la radicalisation s’opère le plus souvent avant la prison et surtout après. Les établissements pénitentiaires présentent d’abord l’inconvénient de permettre aux gens de se rencontrer.

Depuis une quinzaine d’années, nous avons commencé à détecter une forme de radicalité liée à l’islam. Grâce à des signes ostentatoires – conversion à l’islam, changement physique avec l’apparition de la barbe et le port de vêtements traditionnels, parfois prières collectives –, les personnes étaient identifiées très rapidement.

Nous avons ainsi appréhendé le phénomène sans avoir conscience de ses conséquences sur le territoire. L’administration pénitentiaire n’en a pas pris la mesure. Les événements récents doivent nous conduire à mettre à profit le temps passé en prison pour améliorer la détection de personnes susceptibles d’emprunter la voie terroriste.

Le parcours d’individus comme Mohamed Merah, Medhi Nemmouche, les frères Kouachi ou Amedy Coulibaly montre rétrospectivement combien il est difficile de repérer les signes annonciateurs de dérives – avec des parcours similaires et, face à des situations identiques, tous les individus ne deviennent pas terroristes.

Nous continuons à transmettre des renseignements aux services nationaux, mais aussi aux services du renseignement intérieur, souvent départementaux, avec lesquels la proximité est grande, surtout en région parisienne.

Notre expérience dans les établissements pénitentiaires nous amène à distinguer trois catégories. La première est constituée par les religieux fondamentalistes, parfois radicaux, parfois avec une tendance djihadiste : dans ce premier cercle, on trouve également les personnes qui se sont rendues en Syrie ou au Yémen, et qui sont parfois des hommes de main des premiers. Le deuxième cercle est celui des personnes proches de la délinquance organisée, qui ne sont pas toujours musulmanes et qui, parfois, vont servir les intérêts de la première catégorie. La dernière catégorie, pour laquelle les marges de manœuvre de l’administration pénitentiaire dans la mise en place de programmes de déradicalisation – le terme, il est vrai, est un peu barbare – sont les plus importantes, est formée des publics fragiles, déstructurés, parfois isolés, en perdition, qu’un discours et des méthodes sectaires peuvent faire basculer du mauvais côté de la barrière. C’est envers ces publics que la vigilance de l’administration doit s’exercer particulièrement.

L’expérimentation en cours à Fresnes, qui a fait couler beaucoup d’encre, a été décidée par le chef d’établissement bien avant les attentats. Il faut, à ce propos, se demander s’il est pertinent de rassembler dans un même lieu des personnes faisant du prosélytisme. En l’occurrence, il s’agissait, en empêchant celles-ci de s’y livrer, de diminuer la pression dans l’établissement. C’est ce qui s’est passé. Après quelques semaines, on a pu observer une évolution dans la vie quotidienne de la prison : des posters – femmes dénudées, belles voitures – sont réapparus, certains détenus ont recommencé à manger de la viande qui n’était pas halal ou du porc, autant de signes que le contrôle social n’était plus exercé.

Il ne s’agit pas de stigmatiser la religion musulmane dans les établissements pénitentiaires, mais de faciliter l’exercice du culte, soulagé de la pression de personnes plus radicalisées qui viennent contrecarrer le travail des aumôniers.

Malgré la proportion importante de détenus de confession musulmane, les moyens mis en œuvre pour accompagner cette religion n’ont pas été suffisants.

Le seul regroupement des prosélytes a eu pour effet d’apaiser la détention et de permettre la mise en place des programmes de prise en charge selon les publics.

On ne pourra pas « défondamentaliser » une personne très ancrée dans sa religion. En revanche, une prise en charge particulière doit être organisée pour ceux qui se sont rendus en Syrie, au Pakistan ou au Yémen – on sait combien l’expérience et ses suites peuvent être dures à vivre. À cet égard, un parallèle pourrait sans doute être établi avec les militaires de retour de théâtres d’opérations pour lesquels un accompagnement s’avère parfois indispensable. Ces personnes peuvent être prises en charge dans les établissements pénitentiaires, puisqu’elles y sont le plus souvent incarcérées à leur retour.

Il faut également proposer des programmes, qui restent à déterminer car aujourd’hui personne ne connaît la recette, aux personnes appartenant à la troisième catégorie que j’ai mentionnée, afin de les soustraire à l’emprise du fondamentalisme.

Je le redis, la prison n’est pas synonyme de radicalisation. Pour alerter sur ce phénomène, il faut, dès l’école, s’adresser à toutes les couches de la population.

Quand les personnes arrivent en prison, nous ne pouvons pas toujours repérer qu’elles risquent de commettre des actes graves. Lors de sa première incarcération, Amedy Coulibaly n’a jamais été identifié par l’administration pénitentiaire comme terroriste potentiel – il s’est fait remarquer par un reportage interdit dénonçant les conditions de détention, qu’il a réalisé avec son téléphone et vendu à un média. Lors de sa deuxième incarcération, il est signalé au service de renseignement intérieur, mais n’est pas considéré comme possible auteur d’actes très graves.

Depuis plusieurs années, nous réclamons un renforcement du service de renseignement pénitentiaire, qui semble désormais à l’ordre du jour. Aujourd’hui, de nombreuses personnes qui fournissent des renseignements exercent d’autres fonctions au sein de l’établissement. Parallèlement, la déperdition d’information est forte.

Le service du renseignement pénitentiaire a été créé en 2003 pour travailler sur le grand banditisme. Avec les évolutions qu’a connues notre société, le service s’est étoffé et ses missions ont été étendues à la lutte contre le terrorisme.

Dans la réorganisation en cours de l’administration pénitentiaire, concomitante au déménagement de certaines directions du ministère de la justice à Aubervilliers, le choix a été fait de supprimer l’état-major de sécurité. De notre point de vue, ce choix est une erreur. Le fait de disséminer la sécurité au sein de plusieurs directions risque de diluer cette mission. Si tout le monde fait de la sécurité, plus personne n’en fait… La disparition de l’état-major de sécurité risque de poser problème à terme.

M. le président Éric Ciotti. Je reviens sur votre dernière remarque. La directrice de l’administration pénitentiaire que nous avons reçue il y a quelques jours n’a à aucun moment évoqué la suppression de l’état-major de sécurité.

M. Jimmy Delliste. Les missions assurées jusqu’à présent par l’état-major de sécurité vont être éparpillées dans deux sous-directions. Certains bureaux de l’état-major seront fusionnés avec d’autres. L’avenir dira si ce choix était pertinent. Mais nous considérons aujourd’hui que ce n’est pas une très bonne idée.

M. Patrick Mennucci, rapporteur. Il faut lever toute ambiguïté sur cette question importante. Nous avons compris que le gouvernement souhaitait un renforcement du renseignement passant par une plus grande centralisation des informations. Je suis surpris par votre affirmation qui semble contredire les propos du ministre.

Mme Géraldine Blin, conseillère nationale du syndicat national des directeurs pénitentiaires-CFDT. La réorganisation ne supprime pas les bureaux qui composaient l’état-major de sécurité. Elle les répartit dans deux sous-directions nouvelles, l’une relative aux métiers, l’autre aux publics. Cette dernière englobera le bureau du renseignement pénitentiaire qui demeure. L’actuel directeur de l’état-major de sécurité que vous avez rencontré aura la charge de cette sous-direction.

Mme Lucie Commeureuc, membre du bureau national du Syndicat national pénitentiaire FO-personnels de direction. Nous ne sommes pas pleinement en accord sur ce point. L’état-major de sécurité disparaît. Les bureaux qui en dépendaient ne sont pas supprimés mais redéployés. Nous avons fait valoir à la directrice de l’administration pénitentiaire que la synergie créée entre les trois bureaux de l’état-major risque d’être remise en cause.

Autre sujet d’inquiétude pour les directeurs d’établissements pénitentiaires, qui répondra en cas de problème ? Qui sera le « monsieur sécurité » en cas de crise ? Nous n’avons pas la réponse à l’heure actuelle.

Nous tenons à votre disposition les notes que nous avons publiées suite à nos rencontres avec la directrice de l’administration pénitentiaire.

M. Joaquim Pueyo. J’ai apprécié vos propos mesurés et vos analyses intéressantes sur les quartiers dédiés et la prise en charge individualisée de certains détenus.

Il faudra nous entendre sur le vocabulaire, car le terme de radicaux peut recouvrir des réalités très différentes.

S’agissant des quartiers dédiés, vous devez connaître l’expérience italienne du régime de détention prévu par l’article 41 bis de la loi pénitentiaire en vertu duquel les détenus mafieux sont isolés pour ne pas influencer les autres personnes emprisonnées. À l’heure où l’interrogation se fait jour pour les quartiers dédiés, il est important de rappeler que cette mesure a été validée par la Cour européenne des droits de l’homme. Que pensez-vous de cette expérience italienne qui se rapproche de ce que nous envisageons ? J’ai noté que la CFDT était plus mesurée sur la mise à l’écart des détenus radicaux susceptibles d’influencer les plus fragiles.

Les personnels pénitentiaires dans la vie quotidienne doivent être attentifs au phénomène de radicalisation. Mais tous les intervenants – personnels du service pénitentiaire d’insertion et de probation, enseignants, services médicaux – vont-ils jouer un rôle en matière de renseignement ? Une activité culturelle peut être l’occasion de se rendre compte qu’un détenu est en voie de radicalisation. Le renseignement ne relève pas seulement du gardien d’étage. Avez-vous rencontré les organisations syndicales représentant ces intervenants pour évoquer ce sujet ?

Je refuse comme vous d’assimiler radicalisation et prison. Ceux qui tiennent ce discours sont les mêmes qui voient dans la prison l’école de la récidive. Or nombre des détenus primo-entrants sont déjà récidivistes. Il faut se départir de schémas un peu simples.

Vous avez dit à juste titre que les quartiers dédiés existent déjà, dans deux cas par exemple : pour les détenus ayant des profils dangereux pour l’ordre public et pour les plus vulnérables.

M. Jimmy Delliste. Vous faites référence à un régime différencié. Vous avez raison de souligner que les personnes entrant en prison ont déjà eu affaire de nombreuses fois à la justice. La récidive n’est pas nécessairement liée à l’incarcération.

L’article 41 bis est une expérience intéressante dont nous pourrions tirer des leçons pour notre pays. Certains établissements seraient beaucoup plus adaptés pour créer des quartiers réservés aux personnes très difficiles à désendoctriner et qui peuvent être très dangereuses. Je pense par exemple à celui de Condé-sur-Sarthe, ainsi qu’à celui, à venir, de Vendin-le-Vieil.

Aujourd’hui, les personnes les plus dangereuses et les plus connues sont déjà isolées dans les établissements – elles ont très peu de contacts avec les autres détenus, ne participent pas aux activités collectives. Il existe un régime adapté aux détenus médiatiques de par les crimes commis, notamment les terroristes qui reviennent dans notre pays. L’établissement que je dirige compte 4 détenus gérés à l’isolement, sur un groupe de 25 détenus, alors que 1 000 personnes y sont incarcérées.

Dans les quartiers dédiés qui pourraient naître en région parisienne – car l’Île-de-France concentre beaucoup de détenus potentiellement concernés par cette mesure –, l’idée est aussi de mettre en place des programmes qui comprennent notamment une évaluation fine de la personnalité du détenu afin d’identifier les leviers éventuels et de s’adapter aux profils. L’inspiration est donc différente de l’article 41 bis. Il faut aussi tirer les enseignements de l’histoire et ne pas retomber dans les excès des quartiers de haute sécurité ; cette solution ne serait alors pas cautionnée par la CEDH.

M. le président Éric Ciotti. En écoutant M. Pueyo, m’est revenue cette formule que j’ai déjà citée : « Si la prison est l’école de la récidive, on y entre généralement avec un diplôme ».

Mme Geneviève Gosselin-Fleury. M. Farhad Khosrokhavar, que nous avons auditionné hier, a souligné les risques à regrouper dans un même lieu des personnes qui reviennent de Syrie, d’Irak ou du Yémen, mais dont les profils sont très différents. Il distingue ceux qui sont très endoctrinés et programmés pour commettre des attentats ; ceux qui sont traumatisés et qui sont atteints à leur retour du syndrome post-traumatique ; les « déconvertis » ou les djihadistes repentis. Comment peut-on parvenir à un traitement différencié ? Est-il possible de cerner suffisamment les profils pour éviter des mélanges détonants ? Peut-on envisager de s’appuyer sur les « déconvertis » dans les actions de désendoctrinement ?

Enfin, les aumôniers musulmans sont-ils aujourd’hui en mesure d’éviter la radicalisation et le prosélytisme ? Leur action est-elle efficace ? Avons-nous vraiment intérêt à multiplier leurs interventions ? Si oui, à quelles conditions ?

M. le rapporteur. N’y a-t-il pas dans l’expérience de Fresnes le risque de créer une espèce de califat ? Il faut bien évidemment mener une analyse sur le profil des détenus qui sont regroupés.

Nombreux sont ceux qui plaident pour l’isolement. Je ne suis pas loin de partager leur avis. Nous étions dubitatifs sur l’expérience de Fresnes, mais nous entendons des appréciations positives.

Pouvez-vous nous informer sur la situation à la prison des Baumettes ?

Mme Géraldine Blin. Il faudra en effet être attentif au choix des personnes que l’on placera dans les quartiers dédiés. Les expériences étrangères sont pleines d’enseignements : de nombreux pays européens abandonnent cette politique, car, sous prétexte qu’ils avaient commis des infractions du même type, des prisonniers aux profils très différents se sont retrouvés dans ces quartiers, ce qui a pu radicaliser des personnes qui ne l’étaient pas encore. Comme pour les Corses et les Basques, à Fresnes les promenades favorisent la formation de bandes.

En revanche, il peut être profitable de mettre à l’écart ceux qui s’adonnent au prosélytisme ; ces mesures nécessitent une prise en charge à l’intérieur de ces quartiers. L’expérience de Fresnes a été mise en place rapidement, car elle répondait à un besoin, mais elle s’est déployée sans accompagnement. Il convient de former le personnel pénitentiaire pour qu’il distingue les pratiques radicales de l’islam des pratiques normales, et qu’il connaisse les méthodes d’emprise mentale. Les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP) maîtrisent en effet mal ces questions. Après les attentats du mois de janvier, les personnels ont éprouvé des difficultés à en parler avec les détenus. Les programmes de prise en charge devront travailler sur le développement de l’esprit critique. Les CPIP ont la capacité de maîtriser les techniques de prise de recul par rapport à une croyance.

Les aumôniers présentent une réelle utilité lorsqu’ils prennent part à la vie de l’établissement au-delà du prêche du vendredi. Il faut qu’ils occupent le terrain pour ne pas le laisser aux imams autoproclamés. De même, nous devons veiller au maintien d’un lien constant entre les aumôniers et la direction de l’établissement, afin, notamment, de nous assurer de la défense effective des principes républicains par les aumôniers. Les agréments doivent être conditionnés à la collaboration avec l’administration pénitentiaire, ce qui n’est pas simple, car une coopération trop visible expose les aumôniers à être rejetés par certains détenus. Toutefois, lorsque les aumôniers sont présents, leur action s’avère positive.

M. Claude Goasguen. Vous avez distingué les religieux fanatisés d’autres détenus susceptibles d’entrer dans un processus de radicalisation. Je me demande si nous ne nous focalisons pas trop sur le caractère musulman du phénomène : et si l’imam autoproclamé n’était rien de plus que le caïd qui se fait respecter comme le capo mafioso sicilien ? Il s’agit d’une organisation calquée sur la mafia : tournons-nous vers une analyse laïque du rapport de force et de terreur en détention, cela nous épargnera d’inutiles réflexions sur la radicalisation. D’ailleurs, le ministre de l’intérieur a déclaré qu’il était difficile de distinguer ceux qui vont devenir terroristes des criminels de droit commun.

Au moment de l’examen de la demande de libération conditionnelle, le juge d’application des peines (JAP) vous entend-il vraiment ? Lui transmettez-vous des informations sur la possibilité de voir l’individu commettre un acte terroriste ou intégrer une bande susceptible de perpétrer de telles actions ?

M. Jimmy Delliste. Dans nos établissements, le caïdat n’est pas impossible, mais les religieux sont en général très calmes, jouissent d’une reconnaissance auprès des détenus et ne posent aucun problème au personnel. Ce ne sont en général pas eux qui font directement pression sur les autres détenus. Des points communs peuvent exister, mais on ne peut pas assimiler totalement l’imam autoproclamé au parrain incarcéré.

Nous nous battons depuis longtemps contre tous les phénomènes de délinquance à l’intérieur des prisons. Des réunions de prévention de la délinquance sont organisées dans chaque département. Ainsi, dans les Hauts-de-Seine, grâce au fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD) et avec l’Association française des victimes du terrorisme (AFVT), nous avons mis en place une formation du personnel dans ce domaine. Nous avons toutefois besoin de travailler avec les préfectures, car les préfets suivent de très près les actions de lutte contre la radicalisation.

Mme Lucie Commeureuc. J’ai pu étudier pendant deux semaines l’application de l’article 41 bis dans les centres de détention italiens – j’en profite pour regretter que, pour des raisons budgétaires, ce stage ait été supprimé de la scolarité des directeurs d’établissements pénitentiaires. L’article 41 bis permet de prendre en charge des personnes dont la dangerosité est avérée et non, contrairement à certains détenus en France, susceptibles de se radicaliser. Il convient d’adopter une approche objective vis-à-vis de ceux qui pourraient entrer dans une spirale les conduisant au djihad : un terroriste, ce n’est pas avant tout un musulman, mais quelqu’un qui peut tuer des gens. Dans cette optique, l’article 41 bis peut être intéressant.

Cette procédure, renforcée à plusieurs reprises, permet d’isoler un détenu des réseaux mafieux. Les communications et les parloirs sont très strictement contrôlés ; les détenus qui servent les repas sont sélectionnés parce qu’ils ne parlent pas la même langue, et ils ne restent pas très longtemps pour éviter tout contact. Les personnels qui s’occupent de ces détenus sont formés et appartiennent à une brigade appartenant à une unité spécifique de la police, le gruppo operativo mobile (GOM), placée sous le commandement d’un général ; ils travaillent cagoulés et font l’objet de rotations très régulières pour leur sécurité. Sans adopter de mesures aussi extrêmes, l’exemple italien peut nous fournir une source d’inspiration, à condition que l’on retienne le critère de la dangerosité sociale.

Notre syndicat se bat depuis des années pour une prise en charge différenciée de tous les détenus et est favorable à la spécialisation des établissements. En revanche, il nous paraît peu opportun de créer un quartier unique regroupant toutes les personnes présentant un risque de dérive. Il y a lieu de trier et de réserver les quartiers de type 41 bis aux détenus les plus dangereux, qui sont très minoritaires. Les établissements de Condé-sur-Sarthe et de Vendin-le-Vieil ont été conçus pour que des détenus quasiment placés à l’isolement puissent bénéficier d’activités et d’une vie en détention. Ces quartiers constituent une piste intéressante, que nous avons présentée à la garde des sceaux, pour empêcher la constitution de bandes.

Toutes les politiques publiques ont échoué pour les personnes les plus fragiles qui arrivent dans les établissements pénitentiaires. Quels moyens accorde-t-on à une administration sous-dotée depuis des années pour réussir là où l’éducation nationale, la politique de la ville et les dispositifs sociaux ont échoué ? Prendre en charge correctement les personnes vulnérables pour éviter leur radicalisation en prison exige de réfléchir aux perspectives d’insertion que l’on peut offrir à ces personnes.

M. Jimmy Delliste. Sur l’aménagement des peines, on va être confronté à l’avant et à l’après 11 janvier. Jusqu’alors, ces éléments-là n’étaient pas pris en compte. Espérons qu’ils le seront désormais. La nouvelle loi pénale incite à faire sortir les personnes de nos établissements le plus rapidement possible. Le comportement de ces détenus-là ne nous permet pas d’opposer un refus à leur demande d’aménagement ou de réduction de peine s’ils présentent des projets de libération solides, ce qui nous inquiète. Si l’on détecte de vrais risques, peut-on imaginer une mesure de rétention de sûreté, qui existe déjà mais est peu utilisée ? Encore ne faut-il pas se tromper dans l’évaluation du danger potentiel des personnes. Pour ce faire, nous avons besoin d’outils efficaces et de les appliquer aux nouveaux détenus.

Nous avons labellisé tous les quartiers d’arrivants, si bien que l’on est capable de repérer la vulnérabilité, la dangerosité, le potentiel de risque suicidaire et le niveau d’études. Nous pouvons ainsi déterminer la façon dont on gérera ce détenu et les actions qu’on lui proposera pour qu’il utilise au mieux son temps d’incarcération. Nous allons devoir ajouter un nouvel item qui nous amènera à suivre les détenus susceptibles de se radicaliser en détention, mais il faut que des professionnels extérieurs au monde de la prison participent à cette tâche. Si l’on effectue un bon repérage de ces individus à leur entrée en détention, on pourra les isoler afin de leur proposer un programme spécifique.

Hélas, nous ne réfléchissons pas à la prise en charge des détenus sur le fondement de ce qui les a conduits en prison. On privilégie le rapprochement familial, alors que ce n’est pas toujours optimal pour le détenu ; ce qui devrait compter, ce sont les programmes permettant aux prisonniers de sortir de la délinquance. Cette appréhension du problème existe dans certains pays, mais pas en France. En Écosse ou dans les pays scandinaves, chaque détenu suit un programme spécifique à la nature de sa délinquance ; à l’issue du programme, une commission pluridisciplinaire détermine l’implication du prisonnier et son évolution. C’est à la lumière des conclusions de cette commission qu’est prise la décision d’accepter ou de refuser une libération anticipée.

Aujourd’hui, si nous repérons une personne présentant des risques, notre seul levier consiste à la signaler à la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI).

Mme Géraldine Blin. Les personnes condamnées pour terrorisme relèvent du JAP antiterroriste qui, très bien renseigné, accorde peu de sorties. Ceux qui s’inscrivent dans un processus de radicalité sont peu demandeurs de rencontrer leur CPIP et de bénéficier d’un aménagement de peine. Le détenu effectuant toute sa peine sans jamais avoir été pris en charge par l’administration pénitentiaire présente le profil le plus inquiétant.

Il faudra développer des programmes adaptés à l’évaluation des détenus effectuée en début de peine et accompagner les sorties.

M. Patrice Verchère. Nous entendons aujourd’hui des directeurs d’établissement, mais auditionnerons-nous également des représentants des personnels de l’administration pénitentiaire ?

M. le président Éric Ciotti. Oui.

M. Patrice Verchère. La DGSI vous transmettra-t-elle des fiches sur les nombreuses personnes qui rentreront de Syrie et qui seront incarcérées ?

Lorsque vous avez repéré un détenu susceptible d’entrer dans un processus de radicalisation, avez-vous connaissance du suivi donné aux informations que vous fournissez à la DGSI ?

M. Jimmy Delliste. Les relations tissées avec la police ou la DGSI reposent sur des rapports personnels et non institutionnels. Les informations glanées par notre service de renseignement sont transmises au bureau du renseignement interrégional qui décidera de les remonter ou non au bureau du renseignement pénitentiaire (EMS 3), celui-ci les partageant avec la DGSI, s’il l’estime nécessaire. Le système s’avérant complexe, nous avons besoin de circuits courts.

Les informations que nous apportons ne font l’objet d’aucun retour de la part des services destinataires, mais nous n’en avons pas forcément l’utilité, sauf si le détenu se trouve toujours dans notre établissement.

Récemment, nous avons reçu des éléments sur une tentative d’évasion qui nous ont permis de la prévenir. En revanche, le bureau du renseignement pénitentiaire, créé en 2003, a souffert d’un manque de reconnaissance en raison de son caractère hybride. Il a réussi à se faire connaître, mais ce fut un long processus. De notre point de vue, il fallait faire entrer la DGSI dans nos établissements ou annexer le service de renseignement pénitentiaire à la DGSI pour qu’une réelle proximité se développe.

Nous transmettons de très nombreuses informations à la DGSI mais nous ignorons leur traitement. De même, nous ne savons pas ce que devient un détenu après sa libération. Nous exploitons au maximum les renseignements dont nous disposons, afin de mettre en place des dispositifs de surveillance plus affinés. Nos établissements manquent de moyens, et nous ne sommes pas en mesure de sonoriser les cellules et d’intercepter des conversations, mais, si elle le peut, la DGSI installe ces dispositifs, ce qui permet de déjouer des actes importants.

Mme Lucie Commeureuc. S’agissant du renseignement pénitentiaire, nous nous trouvons dans l’empirisme le plus total, puisque la charge de travail qu’elle implique n’entre pas dans les organigrammes de référence des établissements, ces documents recensant l’ensemble des tâches effectuées dans les établissements et les traduisant en équivalent temps plein (ETP). Il y a lieu de reconnaître cette mission, afin de ne pas la reléguer au seul temps disponible.

Il n’existe pas de fichier du renseignement pénitentiaire, si bien que le transfèrement d’un individu d’un établissement vers un autre peut impliquer la perte de tous les renseignements collectés dans la prison d’origine. Nous demandons donc la création d’un logiciel de renseignement pénitentiaire sécurisé et destiné uniquement aux chefs d’établissement : un tel instrument permettrait de ne pas placer dans le même lieu des individus appartenant au même groupe, de jouer sur la concurrence entre les réseaux, de conserver les données et d’améliorer les transmissions entre les services de sécurité.

M. Jimmy Delliste. Dans le cadre des commissions de sûreté tenues dans les établissements pénitentiaires, nous indiquons les noms des détenus repérés à la DGSI, qui évalue le risque et nous transmet l’information.

M. le président Éric Ciotti. La relation avec la DGSI repose sur les liens personnels, mais il n’existe pas de règles l’organisant, n’est-ce pas ?

M. Jimmy Delliste. En effet, mais le préfet peut associer le personnel pénitentiaire à l’état-major de sécurité départemental. Cette pratique heureuse, très récente, connaît un important développement.

M. Jean-Michel Dejenne. Nous dressons le même constat sur l’empirisme des relations entre les directions d’établissement pénitentiaire et les services de renseignement. Grâce à l’action du ministère de la justice, le renseignement pénitentiaire va faire son entrée dans la communauté du renseignement.

Les services pénitentiaires d’insertion et de probation sont un atout pour l’État, car ils se situent à la fois hors les murs et à l’intérieur de ceux-ci. Trois cents antennes locales d’insertion et de probation sont implantées dans le pays ; outre leur mission, elles peuvent fournir des renseignements déterminants aux services de sécurité. Ils suivent des personnes en milieu fermé et ouvert, et ont même des liens avec des personnes qui n’ont pas été incarcérées, mais qui se trouvent sous main de justice.

M. Joaquim Pueyo. Les programmes ciblés sur les faits ayant conduit une personne en détention donnent du sens à la peine, renforcent la sécurité et préparent l’insertion. On pourrait en déployer sur le terrorisme, mais cela nécessiterait des moyens importants.

Serait-il utile que la loi modifie et renforce les instruments techniques et juridiques que vous utilisez ?

M. Jimmy Delliste. Nous n’avons que très peu de visibilité sur le prochain programme de construction d’établissements pénitentiaires. L’excédent de personnes détenues oscille entre 10 000 et 11 000, et la création de nouvelles places dans les années à venir restera limitée. Dans des maisons d’arrêt franciliennes prévues pour accueillir 600 détenus, on compte 1 000 personnes incarcérées. On pourrait réfléchir à déployer un maillage territorial plus dense mais constitué d’établissements plus petits et spécialisés dans un programme.

Un directeur de service pénitentiaire ne possède pas la qualification d’officier de police judiciaire (OPJ) ; si l’on mène des enquêtes administratives et que l’on obtient des informations, tout doit recommencer sous l’autorité de l’OPJ. Nous souhaitons donc que la loi évolue afin qu’un directeur d’établissement puisse avoir la qualité d’OPJ et un officier celle d’agent de police judiciaire (APJ).

La question des téléphones en prison est importante. Pour l’instant, les détenus n’ont accès au téléphone qu’à certaines heures, qui sont rarement celles où leur famille est joignable. Ils se procurent donc des téléphones portables par différents moyens – lancers par-dessus le mur d’enceinte de l’établissement, parloirs, où les fouilles ont été allégées, réseaux de corruption. Ce trafic entraîne de la violence et du racket : il nous faut donc l’enrayer à tout prix. En Allemagne et en Belgique, les cellules sont équipées de téléphones, ce qui permet d’écouter les conversations qui doivent l’être. Aujourd’hui, les trois quarts des personnes possédant un téléphone portable l’utilisent pour appeler leur famille ; ces détenus doivent pouvoir continuer à appeler leurs proches, mais il faut neutraliser l’utilisation du téléphone portable en prison. Cela mettrait un terme aux trafics et permettrait de déployer un dispositif de sécurité adapté.

M. le rapporteur. M. Pierre Botton, président de l’association « Ensemble contre la récidive », relaie cette proposition et propose que les détenus aient des téléphones pouvant appeler trois ou quatre numéros.

M. Jimmy Delliste. Nous soutenons cette proposition. Le coût actuel des téléphones que les détenus peuvent utiliser est très élevé puisqu’il équivaut à celui d’un appel passé dans une cabine téléphonique. Il faut mettre en place des systèmes peu onéreux – téléphoner ne coûte plus cher – mais que l’on peut contrôler. Si l’on empruntait ce chemin, il faudrait dans le même temps neutraliser totalement, par brouillage, l’usage du téléphone portable. L’option que l’on retiendra sera également liée au coût, mais il convient de se demander quels moyens on veut donner à la justice et quelle part de l’imposition fiscale des citoyens on y affecte.

M. le président Éric Ciotti. La commission a été édifiée par le chiffre, avancé par la directrice de l’administration pénitentiaire, de 27 000 téléphones portables saisis en prison en 2014. Comment éviter que les portables n’entrent en prison ?

Les Pays-Bas viennent de mettre en place le paiement de la détention. Qu’en pensez-vous ? Cela permettrait de financer des systèmes de protection et des programmes pour les détenus.

À combien estimez-vous le nombre de personnes radicalisées ? Quelle est la proportion de musulmans parmi les détenus ?

M. Jimmy Delliste. Dans le passé, des frais d’entretien étaient prévus, mais les détenus avaient du travail, ce qui n’est plus le cas. Le détenu paie son poste de télévision : lorsque la télévision est entrée en prison, les surveillants y étaient farouchement opposés, alors qu’ils feraient grève aujourd’hui si on la retirait. De nombreux détenus paient la télévision pour les autres, car les indigents ne peuvent pas faire face à cette dépense. L’administration lutte avec un peu d’argent contre l’indigence de certains prisonniers. On peut imaginer un accès à internet, contrôlé et limité à certains sites.

Il convient de regarder la prison avec un œil nouveau : on doit faire en sorte que les liens familiaux puissent être maintenus et lutter contre la violence et la délinquance à l’intérieur des établissements pénitentiaires. Les trafics liés aux téléphones portables ne sont pas le seul problème que nous ayons à régler : l’usage de stupéfiants doit également retenir notre attention, et la systématisation des tests urinaires pour les personnes détenues permettrait de détecter ces pratiques, afin de les prendre en charge sur un plan sanitaire.

M. Jean-Jacques Urvoas avait proposé un amendement permettant à l’administration pénitentiaire d’intercepter des communications téléphoniques, mais il a été vite retiré. La loi doit évoluer pour que l’administration pénitentiaire puisse remplir la mission que lui confie la société.

Mme Lucie Commeureuc. L’administration pénitentiaire sera en mesure de vous communiquer le nombre de personnes – qui doit approcher 200 – repérées comme islamistes et suivies par l’EMS 3.

La meilleure prévention pour éviter que les téléphones portables n’entrent de manière aussi massive en détention consiste à permettre aux détenus d’accéder au téléphone dans de bonnes conditions. Nous sommes donc favorables à l’installation d’un téléphone fixe dans chaque cellule. Ainsi, on saura que tous ceux qui continueront d’utiliser un téléphone portable le feront pour des raisons illégales. Cela participerait de la différenciation des publics que nous appelons de nos vœux : en effet, il ne faut pas appliquer au plus grand nombre les mesures de sécurité qui ne sont nécessaires que pour certains.

Mme Géraldine Blin. Nous partageons cette préoccupation : il faut équiper les cellules de téléphones, car le contact avec la famille reste un élément important de la vie du détenu.

L’idée des frais d’entretien n’était pas inintéressante, surtout lorsque l’on constate le montant des mandats reçus par certains détenus. Cette participation était d’ailleurs modeste, puisqu’elle ne dépassait pas 40 euros.

Plus de 60 % des détenus des établissements de la région parisienne sont de confession musulmane ; ces personnes sont issues de quartiers très défavorisés, dans lesquels la population immigrée se trouve surreprésentée. L’EMS 3 suit 150 à 200 personnes, mais le nombre de celles faisant l’objet d’un suivi doit être deux fois plus important.

La France est l’un des seuls pays d’Europe à n’imposer aucune obligation de travail ou de formation en prison – ce qui surprend nos homologues étrangers –, si bien que l’inscription dans la loi du suivi d’un programme pour chaque détenu serait intéressante. Ces programmes devraient être adaptés au risque présenté par la personne incarcérée. Il conviendrait d’empêcher toute libération anticipée pour les personnes refusant d’intégrer un programme.

M. Jimmy Delliste. Les aumôniers musulmans doivent pouvoir exercer l’accompagnement du culte, ce qui nécessite d’identifier les radicaux qui souhaiteraient prendre leur place. En outre, les détenus doivent pouvoir pratiquer leur culte sans pression.

Les missions des CPIP ont beaucoup évolué et ces personnels ne sont plus des travailleurs sociaux – d’ailleurs, on ne compte toujours pas d’assistante sociale de secteur intervenant dans les prisons. Le profil d’éducateur de rue manque en prison, car le surveillant n’a pas le temps de remplir cette fonction, puisqu’il gère 1 000 détenus au lieu de 500. L’aumônier pourra jouer ce rôle en incitant notamment certains détenus à sortir de leurs cellules et à participer à des activités.

M. le président Éric Ciotti. Comment appréhendez-vous la question du nombre de places de prison ?

M. Jimmy Delliste. Il manque environ 10 000 places de prison. Si le moratoire sur l’encellulement individuel a été reconduit, l’objectif n’est pas abandonné. Mais tel qu’il a été défini il y a cent quarante ans, dans une loi de 1875, il était pensé comme un moyen offert au détenu de réfléchir à son comportement et de méditer, dans une optique quasi monacale. Dès lors qu’on renoncerait à ce dessein, il conviendrait de mettre en place des programmes permettant aux détenus de passer le moins de temps possible dans leurs cellules. On prévoit de construire 6 000 places, mais ce chiffre n’est pas si élevé, puisque, dans le même temps, on ferme des établissements. Nous espérons que la nouvelle loi pénale limitera le flux des incarcérations, mais nous n’avons aucune visibilité en la matière.

M. le président Éric Ciotti. Les effets de l’examen de la libération aux deux tiers de la peine commencent-ils à se faire sentir ?

Mme Géraldine Blin. Non, car la mise en œuvre de cette mesure est trop récente. De vingt à trente situations ont été étudiées dans chaque établissement d’Île-de-France. Le nombre de sorties s’avère limité, car les JAP ont besoin de temps pour définir les critères que chaque dossier de libération doit remplir pour être favorablement considéré.

M. le président Éric Ciotti. Mesdames, messieurs, nous vous remercions.

L’audition s’achève à 20 heures.

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Membres présents ou excusés

Présents. - M. Éric Ciotti, M. Claude Goasguen, Mme Geneviève Gosselin-Fleury, M. Patrick Mennucci, M. Patrice Prat, M. Joaquim Pueyo, M. Patrice Verchère