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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mercredi 1er octobre 2014

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 2

Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, Président

– Audition de M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur, accompagné de M. François Clanché, inspecteur général de l’INSEE, chef du service statistique ministériel de la sécurité intérieure, sur la création de ce service

La séance est ouverte à 16 heures 30.

Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, président.

La Commission procède à l’audition de M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur, accompagné de M. François Clanché, inspecteur général de l’INSEE, chef du service statistique ministériel de la sécurité intérieure, sur la création de ce service.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Nous entendons aujourd’hui le ministre de l’Intérieur qui vient nous présenter le service statistique ministériel (SSM) de la sécurité intérieure, qu’il vient de créer. Cette initiative suit les préconisations de la mission d’information de notre Commission dont le rapport, rédigé par MM. Jean-Yves Le Bouillonnec et Didier Quentin au début de la législature, recommandait l’instauration d’un tel outil à moyen terme. Nous sommes heureux, monsieur le ministre, que vous soyez attentifs aux travaux du Parlement et que vous mettiez nos propositions en pratique.

Après avoir répondu aux questions des membres de la Commission relatives au SSM, vous pourrez, à la demande de notre collègue Guy Geoffroy, nous apporter des précisions sur le calendrier des prochaines élections départementales et régionales.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur. Je suis convaincu que tous ceux qui sont réunis dans cette salle souhaitent que la sécurité fasse l’objet, dans notre pays, d’un débat dépassionné et lucide, capable de faire la lumière sur la réalité des actes d’incivilité et de délinquance commis. Pour créer les conditions de la confiance et de la transparence nécessaires à ce débat, j’ai décidé de rendre compte chaque semestre à votre Commission, ainsi qu’à la commission des Lois du Sénat, de l’état des chiffres dans ce domaine, qu’ils soient valorisants ou qu’ils m’exposent au contraire à la critique et au questionnement. C’est la règle en matière de finances publiques ; il est temps que nous l’adoptions également pour nous livrer à un exercice d’évaluation adossé à des outils statistiques fiables.

Cet exercice exige que les chiffres soient au préalable élaborés avec une rigueur incontestable et dans des conditions qui en permettent le contrôle par la représentation nationale. Par le passé, vous le savez, trop de chiffres ont été construits à des fins d’affichage. Les travaux que le Gouvernement a confiés à l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) et à l’Inspection générale de l’administration (IGA) ont montré le peu de rigueur qui a pu présider à l’élaboration de certaines statistiques : indexation en dégradations de nombreuses tentatives de cambriolage, déclassification massive de plaintes, et même aménagements de notre calendrier grégorien au terme desquels le mois de février n’était plus le seul à compter vingt-huit ou vingt-neuf jours, et parfois moins encore. Ces pratiques regrettables ont privé les forces de sécurité d’un outil d’évaluation précieux et d’un instrument fiable de pilotage de leur action au service des Français.

Mon prédécesseur, Manuel Valls, a souhaité rompre avec ces pratiques. Dès juin 2012, il a ainsi mis un terme à la politique du chiffre – pratique contestable ne permettant pas une conduite satisfaisante de la politique publique de sécurité. Nous avons également abandonné le « chiffre unique » de la délinquance, indicateur dépourvu de pertinence statistique et de rigueur scientifique puisqu’il conduit à additionner, par exemple, des dégradations sur véhicules et des vols à main armée.

Au-delà, le ministère de l’Intérieur a engagé une réforme ambitieuse afin de disposer d’instruments reflétant en toute transparence les conditions de sécurité dans lesquelles vivent nos concitoyens. Cette volonté s’est d’ores et déjà concrétisée dans la création d’un nouveau tableau de bord, plus opérationnel et rendant mieux compte de la réalité contemporaine des phénomènes de délinquance et de nuisances. Le déploiement de nouveaux logiciels de collecte des faits constatés par les policiers et par les gendarmes – logiciel de rédaction des procédures de la police nationale (LRPPN) et logiciel de rédaction des procédures de la gendarmerie nationale (LRPGN) –, plus fiables et plus rigoureux, sera achevé en début d’année prochaine.

Enfin, suivant les préconisations de la mission d’information parlementaire présidée par les députés Jean-Yves Le Bouillonnec et Didier Quentin, nous avons décidé d’inscrire le traitement des statistiques de la délinquance dans le cadre du service statistique public en créant un service statistique ministériel de la sécurité intérieure. Composé de statisticiens de l’INSEE et placé sous l’autorité conjointe des directeurs généraux de la gendarmerie et de la police nationales, ce service – dont le chef, M. François Clanché, inspecteur général de l’INSEE, est présent à mes côtés – est officiellement installé depuis un mois. Croisées avec les enquêtes annuelles conduites par l’INSEE, les données qu’il produira devraient apparaître aussi incontestables que les statistiques économiques ou les chiffres élaborés par l’INSEE pour différents ministères. Le débat se portera donc désormais sur la réalité révélée par le chiffre et non plus sur le chiffre lui-même.

C’est dans cet esprit que j’ai proposé de venir rendre compte régulièrement des chiffres de la délinquance devant les commissions des Lois de l’Assemblée nationale et du Sénat, afin que le Parlement dispose de toutes les informations nécessaires à l’exercice de son contrôle et que les parlementaires puissent répondre aux interpellations des Français. Cette démarche de transparence renforcera le lien entre le ministère de l’Intérieur et le Parlement, entre la représentation nationale dépositaire de l’intérêt général et les forces de l’ordre qui accomplissent chaque jour un travail remarquable pour garantir la sécurité de nos concitoyens. C’est donc avec plaisir que j’ouvre ce cycle devant vous aujourd’hui.

L’information statistique sur la sécurité et la délinquance repose sur deux types d’outils : d’une part, les enquêtes de victimation menées auprès des ménages, au premier rang desquelles l’enquête « Cadre de vie et sécurité », créée en 2007 sous l’impulsion de l’Observatoire national de la délinquance et de la réponse pénale (ONDRP) et réalisée tous les ans par l’INSEE ; d’autre part, l’enregistrement des plaintes et des constatations d’infractions par les forces de police et de gendarmerie. Ces deux sources d’information se complètent et doivent être croisées pour s’assurer d’une bonne appréhension des phénomènes étudiés ; le SSM a pour mission d’en tirer le meilleur parti afin d’éclairer les citoyens et leurs représentants, ainsi que les acteurs en charge des politiques de sécurité.

La modernisation des systèmes d’enregistrement des infractions – achevée pour ce qui est de la gendarmerie et en cours de finalisation dans la police nationale – permettra d’enrichir l’information statistique disponible et de la rendre plus fiable. Pourtant dans l’immédiat, ces changements d’outils génèrent des discontinuités dans les séries de chiffres, ces ruptures statistiques compliquant provisoirement le travail d’analyse des données. Certaines évolutions observées dans les courbes peuvent ainsi résulter des changements dans les pratiques d’enregistrement par les brigades et les commissariats, plutôt que des variations effectives du nombre d’infractions. Ainsi la systématisation de l’enregistrement des infractions conduit-elle mécaniquement à une augmentation du chiffre, alors même que le nombre des actes reste constant.

Côté gendarmerie, ces ruptures ont été observées lors du déploiement d’une nouvelle application de saisie. Identifiées par l’ONDRP, elles ont été confirmées en 2013 par une mission de l’IGA. Côté police nationale, elles ont commencé à apparaître en 2013, lors de la mise en place du LRPPN, et se poursuivront jusqu’à la fin de son installation, au début de l’année 2015. Modifiant les conditions de rédaction des procédures dans les unités de sécurité, ces dispositifs emportent naturellement des conséquences en matière de traitement statistique.

L’une des premières tâches du SSM sera d’analyser l’impact de ces ruptures et d’en tenir compte pour construire des analyses statistiques sans équivoque. La confrontation avec l’enquête annuelle de victimation, en particulier, sera cruciale dans la validation des résultats issus des enregistrements administratifs. Ce travail complexe prendra plusieurs mois, mais il est dès à présent possible de donner des indications sur les tendances récentes de la délinquance, car certains types d’informations ne sont pas affectés par les changements intervenus.

Après plusieurs années de baisse, le nombre de cambriolages avait augmenté significativement – de près de 45 % – durant les années 2009 à 2012. Cette tendance, que l’on observe à la fois dans l’enquête de l’INSEE et dans les données administratives, a d’ailleurs été notée chez plusieurs de nos voisins européens. Nous ne connaissons pas encore les résultats de l’enquête de l’INSEE réalisée cette année – ils seront présentés par l’ONDRP en novembre –, mais les données enregistrées par les forces de police et de gendarmerie montrent clairement un arrêt de la hausse des cambriolages de résidences principales à compter du début de l’année 2013, et une légère tendance à la baisse depuis le début de l’année 2014. Ainsi, au cours des huit premiers mois de l’année 2014, on a enregistré 7 300 cambriolages de résidences principales de moins que durant la même période en 2013, soit une baisse de 4,9 %. Cette évolution marquée – la tendance s’est confirmée, voire amplifiée pendant l’été – résulte du plan anti-cambriolage lancé en septembre 2013. En revanche, le nombre de cambriolages de résidences secondaires a augmenté de 800 faits – soit de 7 % – sur la même période. J’ai donc demandé au préfet de police de Paris ainsi qu’aux directeurs généraux de la police et de la gendarmerie d’intensifier le plan ministériel de septembre 2013 et de le rénover en recourant de manière massive aux unités de forces mobiles ainsi qu’aux réservistes, en priorité dans les départements les plus touchés par les atteintes aux biens et les cambriolages. Il s’agit de concentrer les efforts et les moyens dans un cadre d’espace-temps déterminé, afin de dissuader les délinquants.

S’agissant des vols d’automobiles ou liés aux automobiles et de ceux de deux-roues motorisées, les résultats des derniers mois s’avèrent également positifs. Ainsi, en août 2014, on a enregistré 180 vols de voitures de moins qu’en août 2013, ce qui correspond à une diminution de 2,3 %. Une fois prises en compte les variations saisonnières, la baisse est régulière depuis le début de l’année 2014, venant confirmer une tendance lourde à l’œuvre depuis plusieurs années, en France comme chez nos voisins. Pour autant, plus de 500 000 vols liés aux véhicules – vols à la roulotte, vols d’accessoires, de pots catalytiques ou encore de carburants – ont été enregistrés en 2013, soit 25 % des atteintes aux biens, pour un préjudice estimé à 1,2 milliard d’euros. J’ai donc décidé de lancer très prochainement un plan ambitieux de lutte contre les vols et les trafics de véhicules et de pièces détachées.

Les vols à main armée sont plus rares que par le passé : on en a dénombré 286 en août dernier, chiffre historiquement bas pour un mois d’été. Depuis le printemps 2013, on constate une baisse régulière de cette catégorie d’infractions, qui a reculé de 19,4 % sur les huit premiers mois de l’année 2014. Le nombre de vols violents sans armes à feu est plus élevé que celui des vols à main armée – 7 800 en août dernier –, mais il diminue de quelque 14 % par rapport à août 2013. Ainsi, alors que pour les années 2008-2012, les analyses de l’ONDRP sur la base de l’enquête de l’INSEE n’ont pas fait apparaître d’évolutions marquantes, à la hausse ou à la baisse, du nombre des vols ou tentatives de vol avec violence, ce type d’infractions connaît un recul significatif depuis un peu plus d’un an.

Les coups et blessures volontaires non liés à des vols sont apparus moins nombreux au cours de l’été 2014 que durant l’été 2013. Depuis le début de l’année, on observe une très légère tendance à la baisse.

Les violences intrafamiliales, en hausse depuis quelques mois maintenant, constituent un vrai sujet de préoccupation tant elles touchent à l’intimité de nos concitoyens. S’il est difficile d’apprécier précisément cette augmentation en raison des ruptures statistiques déjà évoquées, la tendance ne saurait être niée, d’autant que les pouvoirs publics ont suscité une véritable prise de conscience incitant les victimes à se faire connaître auprès des services de police et des unités de gendarmerie. La prévention de ces violences reste délicate et doit impérativement passer par une meilleure information et formation de l’ensemble des acteurs au contact des victimes – enseignants, surveillants, médecins, associations –, que seule peut autoriser une action ciblée et coordonnée de tous les ministères concernés. Cette approche interministérielle, actuellement à l’œuvre, devrait donner lieu à des mesures concrètes à brève échéance.

Enfin, les escroqueries et infractions économiques et financières enregistrées par les services de police et les unités de gendarmerie sont en hausse depuis quelques mois. Cette augmentation s’explique pour une large part par la progression importante des plaintes pour falsification et usage frauduleux de cartes de crédit : 3 600 faits enregistrés en août 2014, soit 600 de plus qu’en août 2013. Cette évolution s’inscrit dans une tendance apparue au début des années 2010 et liée au développement du commerce électronique. Plus récemment, on a également observé une nette augmentation du nombre de procédures liées à des falsifications et usages de chèques volés, mais il convient de vérifier si cette évolution est significative et durable. Sans attendre de savoir si la hausse de ce type d’infractions résulte d’un renforcement de l’enregistrement des plaintes ou de la fréquence des faits réels, nous avons proposé d’initier une action interministérielle liant, dans un mouvement à la fois préventif et répressif, le ministère de l’Intérieur, celui de l’Économie et des finances et celui de la Justice. Nous travaillerons également avec les professionnels de la banque afin d’obtenir des résultats aussi probants que ceux que nous avons enregistrés par ailleurs.

Dans les mois à venir, le SSM affinera et complétera encore ses analyses en travaillant à la fois sur les faits de délinquance eux-mêmes et sur l’impact des nouveaux systèmes d’information sur les données établies. Il informera l’ONDRP de ses travaux méthodologiques et continuera à lui transmettre des données aux fins de diffusion publique.

À partir de l’été 2015, quand il sera capable de produire régulièrement des chiffres répondant pleinement aux normes de qualité de la statistique publique, le SSM publiera lui-même des indicateurs mensuels de la délinquance enregistrée, à l’image de ce que font l’INSEE et les autres services statistiques ministériels dans leurs domaines de compétence. Nous progresserons ainsi sur la voie de la fiabilité, de la rigueur et de la transparence, permettant à la représentation nationale d’exercer ses prérogatives de contrôle et lui fournissant de véritables outils d’évaluation des politiques publiques. Pouvoir, grâce à un SSM à l’expertise incontestable, mesurer en permanence le décalage entre les objectifs et les résultats obtenus par le ministère de l’Intérieur constituera un progrès démocratique et mettra fin à l’instrumentalisation des chiffres de sécurité.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Je me félicite de la rapidité avec laquelle le dispositif préconisé par le rapport de notre mission d’information a été construit et instauré alors que nous doutions de notre capacité à y parvenir. La création du SSM dote le ministère de l’Intérieur des mêmes instruments statistiques – considérés aujourd’hui, au niveau européen, comme la matière première permettant de connaître et de faire évoluer l’action publique – que ceux dont bénéficie la quasi-totalité des grands ministères de notre pays.

Le SSM respectera la déontologie de l’INSEE – le précurseur de la statistique en Europe –, nous faisant entrer dans une éthique de la donnée. Vous avez expliqué dans quelles conditions, pendant un laps de temps, le SSM passera par l’ONDRP pour diffuser ses chiffres avant de porter lui-même sa propre communication, comme tout service statistique. À partir de ce stade, comment s’établiront les relations entre l’ONDRP et le SSM ? Pour être considéré comme un instrument de la statistique publique à part entière, l’Observatoire devra nécessairement entrer dans le processus d’analyse, de vérification, voire de contestation des données – première règle de tout statisticien. Afin d’approfondir l’analyse et de renforcer le poids de cet établissement, notre rapport suggérait d’ailleurs de créer, en son sein, un conseil scientifique composé de chercheurs.

En conduisant notre mission d’information, nous avons noté que certaines autorités de gendarmerie et de police, ainsi que les chefs des grands offices réclamaient un instrument susceptible de leur révéler les modalités de leur action et son efficacité. Le SSM répond à cet enjeu d’évaluation de la politique publique, donnant au ministère de l’Intérieur les moyens d’orienter son travail pour améliorer encore la qualité du service de sécurité face à l’évolution de la délinquance. À travers quels dispositifs la matière recueillie par le SSM pourra-t-elle irriguer le ministère – tant la gendarmerie que la police – pour y ouvrir des débats et des chantiers ?

M. François Clanché, inspecteur général de l’INSEE, chef du service statistique ministériel de la sécurité intérieure. Le SSM deviendra un fournisseur de données pour l’ONDRP, celui-ci n’ayant pas vocation à produire de l’information, mais à l’analyser, à la diffuser, à la mettre en perspective dans le cadre d’études approfondies, à la comparer et éventuellement à la critiquer. Une partie des chiffres – de plus en plus abondants – que produira le SSM sera rendue publique, une autre servira aux spécialistes – chercheurs et analystes – dont l’ONDRP fait partie ; à l’Observatoire ensuite d’en faire l’usage qu’il souhaitera. Il en ira de même pour les forces de l’ordre, le SSM se donnant pour rôle d’éclairer non seulement les citoyens et la représentation nationale, mais également l’ensemble des services du ministère, des unités de police et de gendarmerie aux offices centraux. Nous avons déjà commencé à dialoguer et j’attache une grande importance à bien comprendre leurs besoins et leurs demandes afin de leur fournir toutes les informations nécessaires.

M. le ministre. Loin d’annoncer la disparition de l’ONDRP – comme certains l’ont craint –, la création du SSM le renforcera. Notre service aura pour rôle de produire des statistiques conformes aux standards de l’INSEE, aussi fiables et rigoureuses que celles du déficit, de la dette ou du chômage. Mais à côté de cet outil, nous avons également besoin d’un observatoire capable d’analyser les éléments statistiques que nous lui communiquerons et d’identifier, dans l’évolution des indices, les points complexes sujets à l’interprétation. L’ONDRP porte ainsi avant tout une mission d’expertise et d’analyse.

Je souhaite lui en confier une seconde : celle de devenir un centre de ressources centralisant les éléments cartographiques et les études consacrées à un territoire ou à un enjeu particulier. L’existence de cette base de données permettra au ministère d’affiner ses politiques de sécurité et de répondre aux commandes du président de la République ou des parlementaires désireux de se renseigner sur un sujet spécifique.

Mobiliser des chercheurs autour de l’ONDRP à l’occasion d’événements annuels permettrait de mutualiser la réflexion de toutes les disciplines travaillant sur les questions de sécurité. Notre ministère devrait lui aussi s’inscrire dans cette démarche prospective.

À l’intérieur du ministère, les éléments statistiques précis et fiables produits par le SSM me permettront de demander à mes services, en fonction d’objectifs à atteindre, territoire par territoire, d’affiner leur organisation et d’engager des actions spécifiques. Je réunirai l’ensemble des services et des offices concernés deux fois par an pour procéder à une évaluation interne. Ce dialogue permanent nous aidera à ajuster les politiques publiques aux objectifs que nous nous assignons.

M. Georges Fenech. L’ONDRP – dont je suis membre – s’interroge aujourd’hui, monsieur le ministre, sur la façon dont la création du SSM affectera les modalités de divulgation des éléments statistiques. Votre souci de transparence et de contact direct avec les parlementaires – véritable avancée démocratique – vous fait honneur, mais vous ne pouvez pas décréter la fin de l’instrumentalisation des chiffres de la délinquance. Que vous le vouliez ou non, les statistiques du SSM resteront des chiffres officiels rendus par un ministère ; or, vous l’avez rappelé, les chiffres sont toujours sujets à l’interprétation, voire à la critique. Que se passera-il en cas de discordance entre l’interprétation de l’ONDRP – dont les analyses doivent rester indépendantes – et du SSM ? Ne peut-on pas imaginer une communication conjointe des deux organismes ?

Je profite de l’occasion pour m’étonner de l’inquiétude que vous avez exprimée hier devant les états-majors de la police et de la gendarmerie réunis à l’École militaire quant à l’alourdissement de l’activité que l’entrée en vigueur de la réforme pénale imposera à vos services. À un moment où la lutte contre la menace terroriste les met sous tension, des fonctionnaires de police et des militaires de la gendarmerie seront accaparés par de nouvelles tâches liées à la transaction et à la contrainte pénales. Cette perspective, dans le domaine de la sécurité de nos concitoyens, ne peut manquer de nous troubler.

M. le ministre. Soyons précis. J’ai dit que les ministères concernés devaient travailler de concert à l’élaboration des textes d’application de cette loi sensiblement modifiée au fil du travail parlementaire, afin de préserver l’esprit de la réforme pénale sans compliquer le travail des services du ministère de l’Intérieur, qui doivent conserver leur vélocité. Ce n’est donc pas une inquiétude que j’ai exprimée – cela ne correspond pas à mon tempérament – mais un souhait : celui de veiller, comme il est de mon devoir, à ce que les textes réglementaires ne compromettent pas cet équilibre souhaité par le Gouvernement.

Lors de la publication des chiffres du déficit ou de la dette publics, le débat ne porte jamais sur les données elles-mêmes, mais plutôt sur la pertinence des politiques publiques dont elles résultent. À l’époque où j’étais ministre délégué chargé du budget, personne n’a jamais mis en cause devant moi le chiffre du déficit alors que les commentateurs ne se privaient pas de critiquer la politique budgétaire. Je souhaite qu’il en soit de même en ce qui concerne la délinquance. S’il est parfaitement sain que des débats portent sur les choix et les manquements d’une politique publique ou sur l’amélioration des chiffres qui la caractérisent, il me paraît en revanche souhaitable que tous les acteurs de bonne foi reconnaissent la fiabilité des données. Pour ce faire, la méthodologie d’élaboration des statistiques est désormais mise au point par l’INSEE dont personne ne conteste le professionnalisme. Nous souhaitons qu’elles soient produites dans une absolue transparence, y compris pour rendre compte de la complexité des ruptures statistiques.

Le service statistique ministériel présentera des données, avec les mêmes garanties d’indépendance que l’INSEE, et l’ONDRP sera libre de les interpréter comme il le souhaite. Le respect total de l’indépendance de l’Observatoire national sera assuré, et il pourra répondre aux députés.

Le ministère de l’Intérieur doit mettre à votre disposition les éléments dont vous avez besoin pour exercer vos prérogatives de contrôle. Il faut sortir de l’instrumentalisation politique pour faire de la question de la délinquance et de la sécurité le sujet d’un véritable débat démocratique entre majorité et opposition, et l’objet d’une évaluation des politiques publiques.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Le sujet est récurrent. En d’autres temps, alors que nous étions dans l’opposition, nous avons reproché à l’ONDRP de ne pas être indépendant et de promouvoir un chiffre que nous considérions comme « officiel ». Il faut dire que les ajustements auxquels a procédé M. Manuel Valls n’avaient pas encore eu lieu – je pense notamment à la nomination à la tête du conseil d’orientation de l’Observatoire d’un président connu pour son indépendance, ce qui n’était pas nécessairement le cas de son prédécesseur.

M. Sébastien Pietrasanta. Je salue la création du service statistique ministériel de la sécurité intérieure, outil fiable et rigoureux, qui apportera plus de transparence et mettra un terme à la manipulation des chiffres que nous avons trop connue lors de la précédente législature.

Le refus d’enregistrement des plaintes était l’un des instruments de cette manipulation pour raisons politiciennes. Dans les commissariats et les gendarmeries de nos circonscriptions, un grand nombre de nos concitoyens ne parvenaient pas faire enregistrer leur plainte qu’on leur demandait parfois de transformer en simple main courante. Monsieur le ministre, quelles consignes donnerez-vous à la police et à la gendarmerie concernant l’enregistrement des plaintes et la prise en charge des victimes ? Pouvez-vous nous dire où en est le dispositif des pré-plaintes en ligne ? Comment quantifier toutes les incivilités comme les attroupements dans les halls d’immeuble ?

M. le ministre. Les pré-plaintes en ligne ont vocation à se généraliser. Les expérimentations engagées en la matière donnent des résultats très satisfaisants en permettant de mieux prendre en compte les faits de délinquance et en assurant une plus grande réactivité de la réponse apportée aux citoyens. Je présenterai au Parlement avant la fin de l’année les résultats relatifs à ce dispositif.

Les logiciels de collecte des faits constatés par les policiers (LRPPN) et les gendarmes (LRPGN) définissent de façon très précise les conditions d’enregistrement des plaintes. Ces procédures parfaitement codifiées garantissent le niveau de fiabilité et de transparence que nous sommes en droit d’attendre de l’outil statistique.

Dès lors que les incivilités sont signalées, elles sont enregistrées par les services de police et de gendarmerie. Parce que nous ne pouvons traiter que l’information qui nous est transmise, nous incitons les citoyens et nos propres services à signaler tout ce qui est constaté – même sans dépôt de plainte, nos services peuvent constater des faits que nous comptabilisons.

M. François Clanché, chef du service statistique ministériel de la sécurité intérieure. Les enquêtes de victimation permettent de compléter l’information dont disposent les services de police et de gendarmerie. Cet outil est particulièrement utile car il permet de révéler ce qui reste parfois inconnu des services.

M. Guy Geoffroy. Monsieur le ministre, pourriez-vous préciser votre réponse concernant l’enregistrement des plaintes ? Certains gendarmes ou certains policiers peuvent conseiller en toute bonne foi à nos concitoyens de s’en tenir au dépôt d’une main courante quand ils savent d’expérience qu’une plainte aurait peu de chance de prospérer et que le classement de l’affaire par le parquet ne pourra au final qu’aggraver le ressentiment de la victime. Il arrive cependant que les motivations de refus d’enregistrement de plainte soient moins convaincantes. Aujourd’hui, une personne qui s’estime victime d’une infraction pénale peut-elle encore s’entendre dire que sa plainte ne sera pas enregistrée ?

Vous avez évoqué la rupture statistique. À l’occasion d’un changement de mode de calcul, le Gouvernement risque d’être accusé de vouloir cacher la réalité des chiffres. Pour dissiper tous les doutes, serait-il possible, lorsque le SSM présentera ses premiers résultats, de rendre également publics les chiffres produits sans les modifications qu’il aura opérées – les seules données qui auraient été publiées si ce service n’avait pas été créé ? L’ONDRP pourra ainsi effectuer des comparaisons selon les deux modes de calcul.

M. le ministre. La transparence doit être totale dès l’origine. Vous constaterez que la rupture statistique joue en défaveur du Gouvernement. Les méthodes d’enregistrement et de calcul devenant plus rigoureuses, des faits seront enregistrés qui ne l’étaient pas. Désormais un vol à main armée avec violence et destruction de biens ne sera plus décompté comme un seul événement : chaque infraction sera comptabilisée en tant que telle. Par ailleurs, les victimes seront incitées à porter plainte. Dans un premier temps, l’augmentation du nombre de plaintes enregistrées ne témoignera donc pas nécessairement d’une augmentation du nombre de faits. Dans ces conditions, monsieur Geoffroy, j’accéderai plus que volontiers à votre demande de publier de façon transitoire deux relevés statistiques différents selon les calculs utilisés.

Je vous rappelle qu’il n’existe pas de main courante dans les gendarmeries. J’ai donné une instruction afin que toutes les plaintes soient enregistrées. Il s’agit d’une obligation pour les services et d’un réel besoin de notre part. Le nouvel outil statistique doit en effet se nourrir d’informations détaillées car il n’est plus question de se contenter désormais d’un seul indicateur agrégé pour mesurer la délinquance. Il nous faut obtenir une photographie extrêmement précise des dépôts de plaintes et de la réalité du terrain afin d’engager des politiques publiques efficaces. L’époque est révolue où, dans le seul but d’afficher une stabilité de façade, l’enregistrement des plaintes s’interrompait le jour où leur nombre atteignait celui relevé le mois précédent.

Mme Sandrine Mazetier. Je me félicite que plusieurs propositions issues des travaux menées l’année dernière par la mission d’information de notre Commission relative à la mesure statistique des délinquances et de leurs conséquences, conduite par M. Jean-Yves Le Bouillonnec et M. Didier Quentin, trouvent dès aujourd’hui leur traduction dans la réalité.

Avant 2012, il existait une sorte de trappe de fin d’année qui faisait disparaître des statistiques quasiment tous les actes de délinquance survenus au mois de décembre. Par ailleurs, comme vous le signaliez, monsieur le ministre, la comptabilité alors en usage permettait de fondre en un seul plusieurs délits accomplis plus ou moins simultanément.

Pouvez-vous d’ores et déjà nous dire si les pré-plaintes en ligne se transforment en plaintes définitives ? Comment sont-elles répertoriées, leur qualification évolue-t-elle ? Pouvons-nous savoir comment seront enregistrées les constatations opérées par les services ? Je pose cette question car certains relevés permettaient autrefois aux services de « faire du chiffre » en privilégiant les faits donnant lieu à une élucidation immédiate.

Sur un tout autre sujet, je suggère que les chiffres relatifs à l’immigration, qui suscitent la polémique et sont instrumentalisés en permanence dans le débat public, bénéficient du traitement appliqué aux statistiques relatives à la sécurité. Monsieur le ministre, votre prédécesseur n’y était pas totalement hostile.

M. le ministre. Le service statistique ministériel Immigration, Intégration permet d’ores et déjà de disposer de chiffres relatifs à l’immigration parfaitement fiables. Ces données sont malheureusement parfois transformées par certains acteurs.

Les pré-plaintes en ligne ont vocation à être comptabilisées comme des plaintes. Je ne sais pas si un agrégat spécifique permettra de les identifier.

Les modalités de comptabilisation des faits sont extrêmement précises et rigoureuses. Elles font l’objet d’instructions et de vérifications. Le Parlement a la possibilité de venir constater sur place à quel point ce travail est rigoureux.

M. Guillaume Larrivé. Un climat d’apparente unanimité semble régner au sein de notre Commission depuis une heure. Sans vouloir l’altérer, je me dois de rappeler qu’en matière de statistiques, nous ne sommes tout de même pas passés subitement de l’ombre à la lumière il y a deux ans.

De nombreux efforts avaient été entrepris lors du quinquennat précédent pour clarifier les statistiques des ministères de l’Intérieur et de l’immigration. Vous venez de le signaler, monsieur le ministre, le SSM Immigration, Intégration a été créé dès 2007 sous l’autorité de M. Brice Hortefeux au sein du ministère de l’Immigration, en collaboration avec l’INSEE. Je constate que vous avez accepté cet héritage sans modifier l’activité du service en question.

De la même manière, en matière de délinquance, l’effort de clarification auquel vous vous livrez aujourd’hui n’est possible que parce que certains outils techniques et juridiques ont été mis en place lors du quinquennat précédent. Le décret du 27 janvier 2011 a par exemple autorisé « la création d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé Logiciel de rédaction des procédures de la police nationale » (LRPPN). L’évolution statistique depuis l’état 4001 jusqu’à l’outil que vous présentez aujourd’hui a été conduite par une administration qui a travaillé sous l’autorité de ministres de l’Intérieur successifs pendant plusieurs années.

Je ne souhaite pas que le travail entrepris par M. Alain Bauer à la tête de l’ONDRP soit disqualifié de manière un peu caricaturale. Ce dernier a manifesté une grande indépendance, et il n’a jamais hésité à dire son fait au titulaire de la place Beauvau. Un dialogue s’instaurait à l’occasion de conférences de presse consacrées à des comptes rendus statistiques, qui se tenaient en présence de députés de l’opposition de l’époque.

Monsieur le ministre, je suis resté sur ma faim. Sauf erreur de ma part, la sélection de statistiques que vous nous avez présentée ce matin est globalement positive pour le Gouvernement. Nous sommes pourtant en droit d’attendre une communication exhaustive concernant aussi bien les résultats que l’activité des services. À côté des données nationales, il nous serait également utile de disposer des chiffres pour les zones polices, pour les zones gendarmerie, et pour Paris. Vous pourriez également donner instruction aux préfets de communiquer des chiffres aux médias locaux, département par département, et mois par mois. La transparence, il faut la faire jusqu’au bout !

Pour conclure, je suggère la création d’un tableau de bord mensuel qui permettrait de constater en permanence l’évolution glissante sur les douze mois précédents.

M. le ministre. Monsieur le député, votre intervention ne rompt pas un consensus qu’elle conforte plutôt. Les outils mis en place dans le passé contribuent à structurer la démarche qui est aujourd’hui la nôtre : je n’ai jamais dit autre chose dans ma présentation initiale.

J’ai repris les constatations du rapport de l’inspection générale de l’administration (IGA) du ministère de l’Intérieur portant sur le traitement des statistiques. Vous connaissez la sévérité du jugement qu’il porte. Mes propos concernant l’instrumentalisation d’un certain nombre de données statistiques ne relèvent pas du discours politique visant à juger une période passée ; ils reflètent une réalité décrite dans le rapport d’une inspection générale indépendante faisant suite au travail d’une mission d’information parlementaire bipartisane.

Je n’ai jamais considéré qu’existait le camp des vertueux face à celui de ceux qui ne l’étaient pas. Certains de mes prédécesseurs n’hésitent pas en revanche à diffuser cette image avec un esprit de nuance qui n’a rien à voir avec celui de votre propre intervention. Vous avez raison, monsieur Larrivé, même si, jusqu’à présent, le ministère de l’Intérieur ne pouvait pas mettre en avant une réelle fiabilité statistique, des progrès avaient été enregistrés par le passé, que la création du SSM vient consacrer.

Nous ne pouvons « aller au bout de la transparence » qu’à partir de procédures incontestables. La diffusion de statistiques par les préfets sur leur territoire ne peut valoir que dès lors que les statistiques mensuelles ont été fournies par le SSM et qu’elles ont pu être déclinées localement de façon fiable. Nous respecterons ces conditions, et nous assurerons alors la transparence que nous devons à tous les citoyens. Croyez bien que nous ne mettons pas en place tous ces instruments sans penser qu’ils auront une utilité locale et qu’ils serviront aux élus des territoires, véritables acteurs des politiques de sécurité !

Nous voulons agir avec rigueur et précision, au service de la vérité. Cela sera fait sous votre contrôle. Nous y avons tout intérêt car le contenu de nos débats en deviendra beaucoup plus riche, notre échange en atteste.

Mme Élisabeth Pochon. Nous sommes tous très heureux que des chiffres fiables permettent désormais de piloter et de contrôler les politiques publiques. Un débat persiste néanmoins car un écart peut exister entre l’insécurité réelle, mesurée par les outils que vous mettez en place, et le sentiment d’insécurité des Français. Dans le cadre de la mission d’information relative à la lutte contre l’insécurité sur tout le territoire, créée le 16 octobre dernier par la commission des Lois, et présidée par M. Jean-Pierre Blazy, nous avons appris qu’il existait à l’étranger des enquêtes de satisfaction mesurant le ressenti des citoyens. Monsieur le ministre, avez-vous envisagé de mettre en place une enquête de cette nature dans notre pays ?

M. le ministre. Madame la députée, je vous rappelle que l’information statistique dont nous disposons provient d’ores et déjà de deux sources : d’une part, l’enregistrement des faits traités par les logiciels de rédaction des procédures et, d’autre part, les enquêtes INSEE de victimation qui prennent en compte le sentiment d’insécurité et l’appréciation des citoyens sur le travail des forces de sécurité. L’ONDRP croise ces travaux afin de proposer des analyses fondées sur la vision la plus juste et la plus complète possible de la réalité. Votre demande est donc pleinement satisfaite.

M. Éric Ciotti. Monsieur le ministre, vous n’avez pas réagi à la mise en cause, par le président de la commission des Lois, de l’indépendance du précédent président de l’ONDRP, M. Alain Bauer. Je veux souligner les qualités de M. Bauer qui a montré en toutes circonstances qu’il était libre de toute pression – et je crois que le Premier ministre pourrait en attester.

Le dispositif que vous nous présentez constitue incontestablement une avancée. Si nous l’avions mis en place durant la précédente législature, je ne suis pas certain que l’opposition d’alors aurait montré la bienveillance qui est aujourd’hui la nôtre à l’égard du Gouvernement. D’aucuns auraient parlé d’une « reprise en main de l’outil statistique » ; ce ne sera pas notre cas. Il n’en demeure pas moins que la création d’un service statistique ministériel de la sécurité intérieure peut se traduire par le pire comme par le meilleur.

Le meilleur, parce qu’il est légitime que le ministre dispose de statistiques qui servent d’instruments de pilotage pour sa politique. En d’autres temps, certains auraient dénoncé la « politique du chiffre », mais je constate avec satisfaction que, comme la précédente majorité, vous fixez à vos services des objectifs à atteindre. Hier, vous avez à ce point caricaturé cette politique des objectifs que je me plais à faire ce rappel aujourd’hui.

Le pire, monsieur le ministre, je ne peux pas l’imaginer. La notion de rupture statistique m’inquiète un peu. Depuis deux ans, nous constatons une volonté de casser tous les repères. Des chiffres sont publiés selon des références variables. Vous avez présenté au début de cette audition quelques agrégats ponctuels sélectionnés avec soin, qui laissent supposer que la délinquance diminue alors que vous savez qu’il n’en est rien. Si l’on compare l’évolution des atteintes volontaires à l’intégrité physique entre la période août 2013-août 2014 et les douze mois qui la précèdent, on constate une progression de 2,64 %, soit près de treize mille faits supplémentaires. Entre ces deux périodes, les atteintes aux biens progressent de 0,8 %, et les cambriolages de 0,7 %. Vous nous avez annoncé que le nombre de cambriolages de résidences principales était en baisse alors qu’il était en hausse pour les résidences secondaires, mais vous avez oublié de préciser que l’agrégat des deux chiffres était en hausse…

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Non ! Cela n’a aucun sens !

M. Éric Ciotti. L’augmentation de 0,7 % du nombre total des cambriolages représente sur douze mois 2 626 faits supplémentaires. Au total, on compte donc sur la période août 2013-août 2014 environ mille cambriolages par jour.

Plutôt que d’opter pour la rupture statistique, peut-être auriez-vous pu renforcer la mission et les moyens de l’ONDRP, et par là même son indépendance ?

M. Pascal Popelin. Les statistiques de la délinquance ont fait l’objet de nombreuses polémiques et d’une instrumentalisation. Certes, nous ne sommes pas « passés de l’ombre à la lumière » en 2012, mais n’oublions tout de même pas qu’hier encore, on nous proposait un indice agrégé dépourvu du moindre sens – il mélangeait tout et n’importe quoi – en pratiquant la statistique à la découpe par séquences choisies, les aménagements du calendrier, et la dissuasion massive de ceux qui voulaient déposer une plainte ! Le ministre a évoqué l’obligation faite au service d’enregistrer les plaintes ; les choses ont manifestement évolué depuis l’époque où des instructions étaient données dans le sens contraire. Durant cette période, environ 130 000 faits étaient escamotés tous les ans ; M. Alain Bauer dont vous vantiez les mérites l’a reconnu.

Au-delà de ces éléments, je salue le fait que nous tenons l’engagement pris par cette majorité de faire la vérité sur les chiffres, car trafiquer le thermomètre ne fait pas baisser la fièvre. C’est une question de crédibilité de la parole publique, bien mise à mal ces derniers temps.

J’ai rencontré hier les représentants des bijoutiers et horlogers. Ils constatent une diminution de 40 % des attaques à main armée sur deux années de suite, et ce sont là des chiffres bien plus difficiles à escamoter que d’autres.

Mon premier souhait, c’est que les progrès enregistrés ne nous conduisent pas à nous croire quittes. Même si le « zéro délit » n’est pas atteignable, réduire encore les chiffres de la délinquance est une absolue nécessité, car, au-delà de l’ordre républicain bafoué, ce sont des victimes qui souffrent et des citoyens qui vivent dans la peur. Ne baissons pas la garde après de premiers résultats encourageants.

Mon second souhait, c’est que les statistiques et les questions de sécurité cessent une fois pour toutes d’être un objet d’instrumentalisation politicienne, car cela finit par ébranler la République elle-même.

Les statistiques doivent être un outil de transparence, mais aussi servir à améliorer l’efficacité des forces de l’ordre. Comment entendez-vous utiliser les nouveaux outils dont vous disposerez pour adapter les différents dispositifs de lutte contre la délinquance sur les territoires ?

M. le ministre. Dès lors que nous avons un service statistique ministériel, avec un outil élaboré par l’INSEE, nous nous en tenons aux chiffres que ce service nous communique. Malgré la considération que j’ai pour vous, monsieur le député Éric Ciotti, je fais davantage confiance à mon service de statistique qu’au vôtre. Comme je l’ai dit, depuis que le plan de lutte contre les cambriolages a été décidé, en septembre 2013, nous avons des résultats.

Depuis le début de l’année 2014, les vols sans violence diminuent de 2,19 %. Les cambriolages diminuent de 1,59 %. Il est vrai que les résultats sont moins bons pour les résidences secondaires que pour les résidences principales ; j’ai donc demandé que soient prises des dispositions particulières sur ce point. Nous avons de bons résultats sur les locaux industriels, commerciaux et financiers, mais de mauvais résultats sur l’agrégat « autres lieux », c’est-à-dire les caves et autres, en raison, précisément, de la rupture statistique : lorsqu’une maison et sa cave étaient cambriolées en même temps, on ne comptabilisait qu’un seul acte, alors que l’on en comptabilise deux désormais. Les vols de véhicules diminuent de 4,19 %, les autres vols simples au préjudice des particuliers de 0,75 %, et les vols à l’étalage de 3,71 %.

Les chiffres sur un an, d’août 2013 à août 2014, montrent en outre une nette amélioration par rapport à la tendance de l’année précédente. Après une augmentation de 45 % du nombre de cambriolages entre 2009 et 2012, elle est de 0,71 % sur l’année.

La tendance est mauvaise, néanmoins, pour les atteintes volontaires à l’intégrité des personnes (AVIP). Si les chiffres sont très bons sur les AVIP crapuleuses, nous avons un problème avec les violences intrafamiliales, qui doit nous conduire à une action interministérielle. J’ai donné tous les chiffres, les bons comme les mauvais, en précisant, pour les mauvais, ce que nous comptons faire pour les améliorer. Ces chiffres contrastent singulièrement avec certains commentaires selon lesquels tous les indicateurs seraient à la hausse. Si cela ne doit pas, bien sûr, atténuer notre vigilance, les chiffres sont en réalité plutôt bons.

Je rejoins les préoccupations exprimées par M. Pascal Popelin. L’outil statistique est destiné à améliorer le contrôle du Parlement sur l’action du Gouvernement, à permettre au premier de participer à l’évaluation des politiques publiques, et à notre ministère de fixer à ses services, en fonction de ce processus d’évaluation permanente, des objectifs et de mesurer les raisons, éventuellement, pour lesquelles ceux-ci ne sont pas atteints.

Je ne donne pas pour objectif à mes services d’atteindre un chiffre. Je leur demande, sur tous les sujets sur lesquels nous devons rendre des comptes, d’obtenir des résultats, de définir des méthodes, de décloisonner les fonctionnements, d’améliorer les processus, de manière à produire une tendance à la baisse des statistiques. Je ne fais pas d’un chiffre un but en soi, ce qui est le propre de la politique du chiffre : je fais du chiffre un outil qui permet de mesurer l’efficacité de nos politiques.

M. Philippe Goujon. Membre de la mission sur la mesure statistique des délinquances, en 2013, je me suis désolidarisé de son rapport, comme l’ensemble de mes collègues de l’UMP.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Ce n’est pas le cas du co-rapporteur de cette mission !

M. Philippe Goujon. Le co-rapporteur a pris ses responsabilités, nous avons, après avoir tout autant travaillé que lui au sein de la mission, pris les nôtres.

Nous nous sommes désolidarisés parce que nous n’avons pas compris quel progrès représentait le transfert de la matière statistique d’un ONDRP extérieur à l’administration et indépendant vers le ministère de l’Intérieur. L’exemple du service statistique du ministère de la Justice ne nous incitait pas à approuver une telle démarche, que nous jugeons paradoxale, et le ministre de l’Intérieur de l’époque, Manuel Valls, n’était d’ailleurs pas favorable à la création de ce service statistique au sein du ministère. Nous aurions pu faire le choix de renforcer l’ONDRP en y rattachant le Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP) ainsi que le service statistique du ministère de la Justice, ce que nous avons été un certain nombre à proposer.

Certaines propositions de ce rapport étaient tout à fait opportunes : rénovation de l’état 4001 – qui a bien eu lieu –, interconnexion des statistiques policières et judiciaires pour une vision de la chaîne pénale dans sa totalité, création d’un infocentre regroupant les statistiques issues de la police et de la gendarmerie, développement d’enquêtes de victimation plus ciblées sur l’échelon local, amélioration des statistiques judiciaires – qui en ont bien besoin –, notamment par la prise en considération du profil socio-économique des auteurs ainsi que de leur parcours judiciaire, et des caractéristiques des victimes. À cet égard, je n’ai pas constaté que l’enregistrement de la plainte, point de départ de la statistique, ait été modifié depuis lors.

La publication mensuelle des statistiques, comme cela a existé autrefois, est un minimum. On ne peut se contenter de productions semestrielles. À New York, les statistiques de sécurité de la ville sont publiées toutes les semaines.

Où en est l’interconnexion avec les statistiques judiciaires ? Le rapporteur de la mission d’information, en 2013, estimait que le service statistique de la chancellerie était « dans l’incapacité totale de produire des données utiles ». Or la chaîne pénale concerne aussi bien la police que la justice.

Sera-t-il de mêmes possibles de mettre en conformité, comme c’est attendu depuis longtemps, les statistiques françaises avec les indicateurs internationaux, de manière à pouvoir enfin envisager une comparaison internationale ?

Enfin, quels sont les moyens, en personnel et crédits budgétaires, que votre ministère consacrera à ce nouveau service ?

M. le ministre. Le service statistique ministériel n’empêche pas l’existence de l’ONDRP. Je souhaite au contraire que ce dernier soit renforcé, de façon qu’il devienne un service d’expertise des éléments statistiques qui seront produits par le service du ministère. Je souhaite également qu’il soit un centre de ressources et d’analyses pour le Parlement. Il existe une forte complémentarité, une synergie entre cet organisme et le service ministériel.

L’ONDRP peut solliciter les compétences d’universitaires. La fusion de cet organisme avec des structures universitaires n’est pas une décision que peut prendre le ministère de l’Intérieur, et je ne suis d’ailleurs pas sûr que la réflexion et l’analyse y gagneraient en qualité, parce que ces structures ont leurs propres programmes de recherche et ont besoin de conserver une certaine liberté.

Je partage votre préoccupation sur la nécessité de connecter les fichiers du ministère de l’Intérieur et de la chancellerie. La difficulté, c’est que le dispositif Cassiopée de collecte des données statistiques du ministère de la Justice repose sur des index différents des index 4001. Des travaux techniques préalables doivent donc être conduits. Nous souhaitons le faire.

M. François Clanché, chef du service statistique ministériel de la sécurité intérieure. Le ministère de la justice n’est pas en mesure aujourd’hui de fournir des statistiques sur les condamnations et la suite de la chaîne pénale selon la même nomenclature que celle du monde de la sécurité. Nous avons mis en place un groupe de travail technique, associant l’ONDRP, le service statistique du ministère de la Justice et le service statistique ministériel de la sécurité intérieure, pour définir une nomenclature commune. Nous ferons en sorte, ensuite, que l’information circule entre nos deux maisons pour que les chiffres puissent être produits. Le chantier est en cours, et cela se passe dans un bon esprit de collaboration.

J’en profite pour vous rassurer sur le fait que les publications mensuelles existeront toujours. Le service continue pour l’instant, dans les mêmes conditions que par le passé, de fournir des données à l’ONDRP, qui les produit dans son bulletin. Je tiens à maintenir, et même à accroître, les relations avec cet organisme. Dès que le service ministériel publiera lui-même des données, elles seront mensuelles.

M. le ministre. Une douzaine de postes ont été alloués à ce service. Nous procéderons aux ajustements budgétaires en fonction de sa montée en puissance.

M. Alain Tourret. Maire d’une petite commune depuis trente ans, j’ai entendu, année après année, les gendarmes me dire qu’il y avait de moins en moins de délinquance. Je n’ai jamais su comment ils parvenaient à leurs chiffres.

Chez nous, il existe deux sortes de délinquance : la délinquance routière et la délinquance de droit commun. Les faits de délinquance servent de signaux d’alerte. Pour la délinquance routière, il a fallu que j’attende qu’il y ait cinq morts sur un carrefour de la RN 13, dans ma commune, pour obtenir un rond-point. C’est au cinquième mort que le ministère de l’Équipement a reçu le signal. Il n’y a plus eu un seul mort depuis lors.

Quand il se produit un accident mortel sur une commune, la Ligue contre la violence routière organise une réunion avec l’ensemble des services de la préfecture, de la gendarmerie, de la justice, de l’équipement, et nous regardons si des solutions peuvent être apportées afin d’éviter d’autres accidents. C’est très efficace.

Cela n’existe pas en matière de délinquance de droit commun. J’ai eu à déplorer, ces cinq dernières années, dans ma commune de 2 000 habitants, un assassinat avec complicité, un autre assassinat et un viol en réunion. Rien n’a été déclenché. Or je ne peux croire qu’il n’y ait pas certaines données objectives sur lesquelles nous pourrions réfléchir : est-ce la proximité de la ville, l’arrivée d’une nouvelle population, le chômage ? Les statistiques doivent nous permettre d’agir. Je souhaiterais qu’elles puissent servir de base à des réunions nous donnant l’occasion de réfléchir à des solutions pour prévenir les actes de délinquance.

M. le ministre. Je ne suis pas un parnassien de la statistique : je ne fais pas de la statistique pour la statistique. Cet outil est destiné à nous permettre de savoir si nous atteignons les objectifs que nous nous sommes assignés et à être préempté par tous les acteurs de la sécurité dans les territoires. Si, dans la ville de Moult, dans le Calvados, des éléments statistiques dérogatoires de la situation d’autres communes sont constatés, les politiques publiques devront être conduites de manière plus fine dans ce territoire. L’outil vise à une plus grande efficacité des politiques publiques par une meilleure connaissance de la situation de chaque territoire.

M. Guy Geoffroy. Merci, monsieur le président, d’accepter que j’intervienne en dehors du cadre de cette réunion. Je souhaite en effet profiter de la présence du ministre pour lui demander quelques informations sur l’avenir des départements, à la suite de la déclaration de politique générale du Premier ministre, que je cite : « Quant aux départements, vous le savez, le pragmatisme nous guide vers trois solutions. Dans les départements dotés d’une métropole – vous avez tous en tête l’exemple de Lyon –, la fusion des deux structures pourra être retenue. Lorsque le département compte des intercommunalités fortes, les compétences départementales pourront être assumées par une fédération d’intercommunalités. Enfin, dans les départements, notamment ruraux, où les communautés de communes n’atteignent pas la masse critique, le conseil départemental sera maintenu, avec des compétences clarifiées. » Le Premier ministre ajoutait : « Dès lors, la concomitance des élections départementales et régionales n’est plus une obligation. Précisons le calendrier : les élections départementales sont maintenues en mars 2015. »

Quelles sont ces trois solutions ? Ainsi que notre collègue Bernard Roman l’a indiqué, cela ne s’appliquera pas aux élections de mars prochain, mais seulement après. Cet après, pouvons-nous en avoir une idée ? Cela sera-t-il pour 2020 ? Les conseils départementaux élus en mars le seront-ils pour six ans ? Il est important que celles et ceux qui seront candidats, selon un nouveau mode de scrutin, dans de nouveaux cantons, soient bien informés, ainsi que la population, de ce nouveau schéma afin de savoir pour combien de temps siégeront ces nouveaux élus et quel sera leur rôle.

Comme le disait le Premier ministre : « Je ne doute pas que le Parlement apportera toute son expertise dans ce débat. » Quand celui-ci sera-t-il engagé ?

Enfin, je poserai une question plus précise sur la prise en compte par la Commission nationale des comptes de campagne du moment à partir duquel les candidats seront officiellement considérés comme étant en campagne. Tout le monde pensait, jusqu’à la déclaration du Premier ministre, que le Gouvernement avait l’intention de faire coïncider les élections départementales et régionales en décembre 2015, ce qui a certainement incité des candidats potentiels à se lancer dans des actions qui pourraient être considérées par leurs adversaires, et par la Commission nationale, comme l’engagement, dans l’année précédant l’élection, de moyens de campagne. Des dispositions seront-elles prises pour préciser les choses ? Il semblerait logique de prendre pour référence le moment où le Premier ministre s’est pour la première fois exprimé publiquement sur le sujet, à savoir le jour de sa déclaration de politique générale.

M. le ministre. Votre question présente deux caractéristiques : elle n’était pas à l’ordre du jour de la présente réunion et ne relève pas de mes compétences pour 80 % des sujets qu’elle évoque. Dans l’actuelle architecture gouvernementale, le ministère de l’Intérieur n’est pas le ministère des Collectivités locales ; j’ai à connaître de l’administration territoriale de l’État et le seul texte concernant les collectivités que je porte est celui relatif à la réorganisation des régions. En vous répondant, je prendrais donc le risque de contrarier les ministres compétents, et le Premier ministre pourrait me le reprocher. Je ne peux que vous inviter par conséquent à auditionner ces ministres et m’en tiendrai au seul sujet qui relève de ma responsabilité : les comptes de campagne.

Il est évident que le calendrier électoral résultant du discours du Premier ministre ne saurait s’établir au préjudice des candidats qui se sont organisés sur la base d’un calendrier différent. Pour protéger ces candidats d’un tel préjudice, il convient de prendre des dispositions extraordinairement précises et absolument sécurisées au plan juridique. Nous y travaillons et je communiquerai tout d’abord à votre Commission les décisions dès qu’elles seront définitivement arrêtées. Je partage en tout cas pleinement votre préoccupation.

La séance est levée à 18 heures 30.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Christian Assaf, M. Éric Ciotti, M. Georges Fenech, M. Guy Geoffroy, M. Yves Goasdoué, M. Philippe Goujon, M. Philippe Houillon, M. Guillaume Larrivé, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, Mme Sandrine Mazetier, M. Paul Molac, M. Sébastien Pietrasanta, Mme Elisabeth Pochon, M. Jean-Frédéric Poisson, M. Pascal Popelin, M. Alain Tourret, M. Jean-Jacques Urvoas, M. Patrice Verchère, M. Michel Zumkeller

Excusés. - M. Marcel Bonnot, M. Sergio Coronado, M. Marc Dolez, Mme Laurence Dumont, M. Guillaume Garot, M. Daniel Gibbes, M. Alfred Marie-Jeanne, M. Bernard Roman, M. Roger-Gérard Schwartzenberg, Mme Marie-Jo Zimmermann