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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Jeudi 13 novembre 2014

Séance de 14 heures

Compte rendu n° 17

Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, Président

– Auditions consacrées à l’encellulement individuel :

• M. Pierre Victor Tournier, directeur de recherches au CNRS

• M. Charles Giusti, directeur-adjoint de l’administration pénitentiaire

• Mme Adeline Hazan, Contrôleure générale des lieux de privation de liberté

• M. Paul Mbanzoulou, directeur de la recherche de l’École nationale d’administration pénitentiaire (ENAP)

La séance est ouverte à 14 heures.

Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, président.

La Commission procède à l’audition de M. Pierre Victor Tournier, directeur de recherches au CNRS.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Comme je l’ai indiqué dans un courrier adressé aux membres de la Commission lors de l’examen des crédits de la mission « Justice » sur le projet de loi des finances pour 2015, un débat s’est engagé sur la prolongation du moratoire de cinq ans, prévu par la loi pénitentiaire de 2009, sur l’application de l’encellulement individuel. À l’occasion de ce débat en commission élargie comme en séance, lors de la présentation d’un amendement que le Gouvernement a accepté de retirer, j’ai proposé qu’un travail de fond soit engagé sur cette question par notre Commission dans les meilleurs délais, en tout cas avant toute décision d’une éventuelle prolongation du moratoire. Je rappelle que ce dernier, prévu par l’article 100 de la loi pénitentiaire, arrive à terme le 25 novembre prochain. Il nous faut donc nous pencher très rapidement sur le sujet, sachant que nos travaux sont destinés à aider Dominique Raimbourg, auquel la garde des Sceaux a confié une mission, qui doit achever son travail avant le 30 novembre.

C’est pourquoi, en accord avec lui, nous avons prévu un cycle d’auditions qui commencera par celle de M. Pierre Victor Tournier, directeur de recherches au CNRS, qui connaît bien mieux que chacun ici la statistique pénale. Il a du reste beaucoup écrit sur le sujet qui nous intéresse.

Nous recevrons ensuite M. Charles Giusti, directeur adjoint de l’administration pénitentiaire, Mme Adeline Hazan, contrôleure générale des lieux de privation de liberté et M. Paul Mbanzoulou, directeur de la recherche de l’École nationale d’administration pénitentiaire (ENAP). Nous avions prévu de terminer avec l’audition de Mme Pierrette Poncela, directrice du centre de droit pénal et de criminologie à l’Université Paris-Ouest Nanterre, mais, souffrante, elle nous a demandé de bien vouloir l’excuser.

Si vous n’y voyez pas d’obstacle, ces auditions feront l’objet d’un compte rendu qui sera publié dans le cadre d’un rapport d’information de la Commission et qui me permettra notamment de faire état des visites que j’ai conduites au cours des trois dernières semaines dans plusieurs établissements pénitentiaires : à Orléans-Saran, inauguré par la garde des Sceaux l’été dernier ; à Béthune, établissement datant de 1895 ; à Osny, enfin, dans le Val-d’Oise.

Ces auditions seront une contribution de la Commission au travail de son vice-président, Dominique Raimbourg, afin qu’il puisse proposer les meilleures préconisations possibles avant que le Parlement ne soit saisi de suggestions d’aménagement sur cette question sensible et centrale de l’encellulement individuel.

M. Pierre Victor Tournier, directeur de recherches au CNRS. La question qui vous intéresse me préoccupe depuis quelques années, puisque je l’ai découverte en février 1979, au moment de mon recrutement par l’administration pénitentiaire.

J’interviens ici en tant que chercheur fonctionnaire d’État et avec grand plaisir. Je suis souvent intervenu devant cette commission et j’ai eu le privilège appréciable, pour un chercheur dont la priorité est d’informer les pouvoirs publics et en particulier le Parlement, d’être écouté et même, parfois, entendu sur des points importants.

J’ai beaucoup écrit sur le sujet. Mes trois livres les plus récents l’abordent de façon approfondie ; ils ont été mis à la disposition de la présidence de la Commission et de certains députés ici présents.

Vous allez entendre tout l’après-midi des données chiffrées, et il serait paradoxal que je ne vous en livre pas moi-même quelques-unes, étant donné que c’est mon métier – j’ai une formation mathématique –, d’autant que les données que je vous présenterai ne sont pas nécessairement celles qu’on va vous livrer. C’est en effet aussi mon métier que d’aborder différemment une administration qui a la responsabilité de gérer les choses.

Je suis un chercheur engagé. Je n’appartiens à aucun parti politique, mais je suis président de l’association « DES Maintenant en Europe », organisation ouvertement politique puisqu’elle s’affirme social-démocrate au sens européen du terme. Au-delà de l’analyse scientifique stricto sensu, mon propos s’appuiera principalement sur la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et en particulier sur son article 3 qui interdit la torture, les traitements inhumains ou dégradants.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, je préciserai la philosophie qui sous-tend mes travaux depuis des années. Christiane Taubira l’a dit à La Rochelle : « Je crois à la vertu de la prison républicaine. » Eh bien, après des années passées à avoir étudié ces questions, moi aussi je crois à la vertu de la prison républicaine. Je ne suis pas favorable à l’abolition des courtes peines – je crois donc à leur vertu – ; et je ne crois plus à la nécessité d’abolir la peine perpétuelle, c’est-à-dire que je crois à la vertu de la réclusion criminelle à perpétuité dans certaines conditions, et, à ce titre, je me félicite de la décision annoncée ce matin par la Cour européenne des droits de l’homme.

Ensuite, face à la surpopulation des prisons, traditionnellement, deux positions idéologiques s’affrontent : une partie de la droite réclame plus de places en prison ; une partie de la gauche exige quant à elle qu’il y ait moins de détenus. Pour reprendre à nouveau une expression de Christiane Taubira, je suis opposé à toute démarche de type binaire – comme le veut d’ailleurs mon métier de scientifique. Ma position est donc la suivante : il faut diminuer le nombre de détenus, mais pas n’importe comment, c’est-à-dire à sécurité égale, voire à sécurité supérieure , il faut également construire de nouvelles prisons, mais, une fois encore, pas dans n’importe quelles conditions.

Mon livre La question pénale au fil de l’actualité, publié il y a un mois, reproduit mon article du 31 juillet 2011 paru sur le site leplus.nouvelobs.com. C’était à l’occasion de cette fameuse affaire provoquée par le procureur de la République de Dunkerque, et ma chronique s’intitulait : « La tentative d’un procureur pour limiter la surpopulation carcérale – Une décision de bon sens ? », question à laquelle je répondais par l’affirmative. Ledit procureur avait décidé de repousser de quelques semaines le placement sous écrou d’un certain nombre de condamnés laissés libres, dont la peine était en attente de mise à exécution. Il avait précisé que ces écrous différés ne concernaient pas les auteurs de violences sexuelles ni d’autres violences commises en état de récidive légale. Je concluais ainsi : « Quand sera-t-il possible d’avoir un véritable débat public sur la mise en place du numerus clausus pénitentiaire, l’application, sans plus attendre, de l’encellulement individuel, l’organisation de la détention en espace individuel pour (la nuit) et espace collectif (le jour), la définition d’un optimum de capacité du parc pénitentiaire prenant en compte et les besoins de la société – car on ne peut pas se passer de la prison – et les moyens financiers – forts limités – dont dispose la Nation ? » Cette notion d’optimum de capacité du parc pénitentiaire m’a été « soufflée » par l’un de mes maîtres, Alfred Sauvy, qui a beaucoup écrit sur ce que pourrait être un optimum de la population d’un pays. Il faudra bien, entre modérés – à savoir ceux qui ne se posent pas la question de la nécessité de la prison en République –, lancer une réflexion complexe sur cette notion d’optimum.

Ma démarche est donc scientifique et s’accompagne d’un engagement politique de nature modérée et réformiste. Je résous ainsi les problèmes posés par Max Weber sur la contradiction entre un engagement politique et une démarche scientifique. Mes idées sont modérées, mais ceux qui me connaissent savent que leur formulation peut ne pas l’être : nous avons une multitude de raisons de nous révolter. Cette révolte ne doit toutefois pas conduire à la radicalité, mais au contraire à la recherche de la modération et de ce que le regretté président Edgar Faure appelait des majorités d’idées – à savoir des consensus « durs » et non de faux consensus.

Je ne reçois plus, depuis de nombreuses années, d’informations de la part de l’administration pénitentiaire. Je dispose comme nos concitoyens des données délivrées par internet – exception faite d’une information que j’ai reçue ce matin et dont je vous ferai part tout à l’heure. Au 1er octobre 2014 – l’administration pénitentiaire met tout de même quinze jours pour publier ses chiffres – on comptait 77 739 personnes sous écrou, dont 66 494 étaient détenues. Il y en a eu davantage il y a quelque temps.

Premier point : sauf erreur de ma part, je n’ai jamais vu, dans les publications de la Chancellerie, le chiffre que je vais vous donner, à savoir le nombre de places opérationnelles inoccupées, qui s’élevait à 3 724 – et ce chiffre a pu dépasser 4 000 places par le passé – alors que, paradoxalement, il y a bien surpopulation carcérale. Cela représente environ 6 % du total, ce qui n’est pas négligeable, et l’on comprend pourquoi l’administration n’en parle pas et les médias non plus. Il faudrait que la Commission s’interroge sur cette donnée.

Au moins quatre raisons expliquent ce phénomène. D’abord, quand vous mettez en service un établissement, il est évident qu’il ne sera pas complet dès l’instant où l’on aura coupé le ruban le jour de l’inauguration. Ensuite, petit à petit, le nombre de places inoccupées diminuant, est-on assuré de disposer du personnel suffisant ? Certaines parties de ces établissements restent-elles inoccupées faute de personnel ? Troisième raison : dans tel endroit, pour telle maison d’arrêt, il se peut que l’offre soit supérieure à la demande. Enfin, l’existence de ces places inoccupées peut s’expliquer par un dysfonctionnement dans l’affectation des prévenus ou des condamnés à tel ou tel établissement. Je n’ai jamais rien lu de la part de l’administration pénitentiaire sur le sujet. Du reste, la situation est tout à fait différente entre les établissements pour peine et les maisons d’arrêt, les premières étant soumises à un numerus clausus parfois dépassé : les centres de semi-liberté de la région parisienne sont surpeuplés, tout comme certains de ces établissements outre-mer.

En centre de détention et en maison centrale, 10 % des places sont inoccupées. Est-ce raisonnable ? Dans les autres établissements pour peine, une place sur trois reste inoccupée ! Quelle en est la raison ? Dans les maisons d’arrêt, le taux est de 3 %. J’ignore si l’administration pénitentiaire dispose de ces données.

En outre, la proportion des places inoccupées varie considérablement d’une direction interrégionale à l’autre. Je n’ai pas étudié le sujet, aussi ne pourrai-je pas vous en dire davantage. Quand on tient compte du fait que, selon les directions interrégionales, la répartition est différente selon le type d’établissement, on retrouve, lorsque l’on se limite aux établissements pour peine, des écarts importants. Cette différence d’ordre spatial dans la part des places inoccupées varie indépendamment du premier facteur.

Si l’on devait établir un état des lieux – et il serait grand temps –, le premier sujet à aborder serait ces 3 000 à 4 000 places inoccupées. J’ai été amené à m’y intéresser quand j’ai proposé l’indicateur qui me paraît le plus précis pour mesurer la surpopulation des prisons : les fameux détenus en surnombre, que l’administration pénitentiaire ne calcule pas, mais dont les médias font état. Le Monde d’hier cite un chiffre erroné à ce sujet – une coquille –, estimant ce chiffre à 2 164 alors qu’il est de 12 164. Le nombre de détenus en surnombre comprend les détenus en surpopulation apparente, majoré du nombre de places inoccupées.

Ainsi, second point, nous avons 58 054 places opérationnelles, dont 3 724 sont inoccupées, soit 54 330 places dans lesquelles les détenus vont s’installer. L’écart avec le nombre réel de détenus est de 12 164. Selon les critères retenus, ce sont 12 164 détenus de trop, ou bien 12 164 places qui manquent. Selon moi, il s’agit de détenus en surnombre.

L’administration pénitentiaire donne le nombre de places opérationnelles, celui des détenus, mais ne fait pas la soustraction. Selon les médias qui, eux, la font, la surpopulation apparente est de 8 000 détenus – au lieu de 12 000, donc, selon mon calcul, différence qui n’est pas mince, d’autant que nous n’en sommes pas, aujourd’hui, à un maximum de surpopulation : il est arrivé, il n’y a pas très longtemps, qu’on atteigne le chiffre de 16 000.

Le dernier tableau du document jaune que je vous ai distribué offre une vision bien précise de la surpopulation en maison d’arrêt, en établissement pour peine, en métropole comme outre mer. Les détenus en surnombre se trouvent essentiellement dans les maisons d’arrêt – pour 12 000 d’entre eux – et dans une bien moindre mesure – puisqu’ils ne sont que 364 – dans les établissements pour peine, eux aussi concernés néanmoins par ce phénomène, contrairement à ce que l’on peut entendre ici ou là.

Troisièmement, j’établis mon calcul en m’appuyant sur la définition que donne l’administration pénitentiaire d’une place de prison, et qui date de la circulaire du 3 mars 1988. Jean-Pierre Dintilhac, très grand haut magistrat dont je salue la mémoire et avec qui j’ai eu l’honneur de travailler pendant plusieurs années, constatant l’absence d’une telle définition – vide laissant au chef d’établissement la possibilité de fixer lui-même le nombre de places –, a demandé à ses services de proposer une définition. Si l’on s’en tient à la définition de la circulaire, où situer les cellules de 14 mètres carrés ? Comptent-elles pour deux ou trois places ? Selon les situations, les détenus bénéficient de 10 mètres carrés et dans d’autres cas de 4,7 mètres carrés – plus du simple au double ! Cette circulaire a certes le mérite d’exister mais, ce qui est extraordinaire, c’est que, depuis plus de vingt-cinq ans, aucun garde des Sceaux, de gauche comme de droite, n’a ressenti le besoin de faire travailler son administration sur cette question centrale. Si le travail de la Commission peut contribuer à lancer ce chantier – savoir ce qu’est une place en se référant aux règles pénitentiaires européennes – ce serait un très grand progrès.

Plus grave encore est la divergence des données quand on se réfère à deux rapports que pourtant je considère comme fondamentaux – j’aurais rêvé qu’en janvier 2013 l’ensemble des participants au débat prennent en compte ces deux documents. L’un est signé d’un sénateur UMP et d’une sénatrice communiste ; l’autre d’un parlementaire socialiste – cette diversité aurait permis de construire une majorité d’idées au sens où l’entendait Edgar Faure. Ces deux rapports n’ont pas été lus attentivement par beaucoup. D’après le rapport sénatorial, page 52, on comptait 48 811 places individuelles ; quant au rapport de l’Assemblée, il aboutissait, après différents calculs, au chiffre de 40 867. Nous nous trouvons donc en présence d’une circulaire problématique, car inutilisable faute de définitions opérationnelles, et reposant sur des données publiques insatisfaisantes.

Le Conseil de l’Europe, auprès duquel j’ai travaillé pendant vingt ans, a renoncé à définir ce qu’est une place de prison. Reste que plusieurs textes recommandent l’encellulement individuel la nuit, et permettent d’établir une référence comprise entre 9 et 10 mètres carrés par cellule. En retenant ce critère, je parviens au chiffre de 31 000 cellules individuelles. Je retranche de ce calcul, bien évidemment, les 34 cellules individuelles de moins de 5 mètres carrés, mentionnées dans son rapport par Dominique Raimbourg.

J’ai appris hier, sous le sceau du secret, que l’administration pénitentiaire avait dressé un état des lieux au 28 octobre 2014 – il n’est jamais trop tard pour bien faire. J’ai su ce matin, par le cabinet de la garde des Sceaux, que l’on devait transmettre à votre Commission les résultats de cette enquête selon laquelle il y aurait 26 341 détenus seuls en cellules. Un chiffre isolé n’ayant pas de signification, il convient de préciser que près de 40 000 détenus sont en situation de demander à bénéficier d’une cellule individuelle. Au 1er octobre 2014, 21 773 détenus étaient dans des établissements pour peine où, en général, l’encellulement individuel est la réalité. Si l’on fait la soustraction, on compte donc 4 568 détenus seuls en cellule dans les maisons d’arrêt, sauf exceptions comme dans les centres de semi-liberté.

Je vous rappelle pour mémoire qu’il y a 17 000 prévenus, et qu’un prévenu est présumé innocent ; or le traitement que lui fait subir l’administration pénitentiaire est souvent plus lourd que celui des condamnés. Est-ce bien raisonnable ? Dans certains pays, ces deux populations sont systématiquement séparées. Je n’affirme rien, mais je pose la question suivante : l’encellulement individuel ne devrait-il pas prioritairement bénéficier à ces 17 000 prévenus ? Certains sont en détention alors qu’ils n’ont rien fait et seront déclarés innocents au terme d’un processus contradictoire. C’est leur faire courir un risque considérable. Si 4 568 prévenus sont seuls en cellule dans les maisons d’arrêt, pensons aux 12 000 prévenus restants. Dernier chiffre : dans les maisons d’arrêt, prévenus comme condamnés bénéficient pour 10 % d’entre eux seulement d’un encellulement individuel.

Quatrième point, la question de l’encellulement individuel ne peut être posée indépendamment de celle de l’organisation de la détention, thème totalement absent des débats parlementaires de 2009. Laisser dans une cellule individuelle une personne qui va y rester vingt-deux heures sur vingt-quatre sans rien avoir à faire peut être considéré comme un traitement dégradant – la plupart d’entre nous ne le supporteraient pas. On a eu tendance à considérer – ce fut le cas de Mme Dati – que, pour les occuper, il n’y avait qu’à les mettre à plusieurs par cellule, ce qui présenterait en outre l’avantage de prévenir le suicide. On avance aussi l’argument selon lequel certains détenus demandent à n’être pas seuls ; or c’est à la représentation nationale de définir la sanction pénale.

Les règles pénitentiaires européennes, dans leur ensemble, disposent que le respect de la dignité d’un détenu – et c’est ce qui justifie la prison en République – dépend de son encellulement individuel la nuit et, sauf exceptions, de sa participation, le jour, dans des lieux adéquats, à des activités diverses, pourvues de sens, et fortement encadrées car la prison n’est pas le Club Méditerranée. Il faut se souvenir que la très grande majorité des détenus le sont pour des atteintes directes ou indirectes aux personnes, ce qui n’était pas du tout le cas en 1975 quand Michel Foucault a publié Surveiller et punir. La majorité des détenus ont un rapport au corps de l’autre que la plupart de nos concitoyens, Dieu merci, n’ont pas. L’espace carcéral est donc très difficile à organiser, d’où la nécessité de disposer d’espaces adaptés et d’un encadrement à même d’assurer le fonctionnement de ces lieux d’activités, de socialisation, de responsabilisation. Vous avez repris, sur ce dernier point, dans la loi du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales, et en les reformulant, un certain nombre de dispositions de la loi de 2009. Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’en 2009 la gauche n’était pas favorable à la responsabilisation, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui ; il y a donc de toute évidence une majorité d’idées, dépassant les clivages politiques, pour estimer que l’objectif de la peine est de préparer ces condamnés à une vie responsable. Eh bien, cette idée, j’y insiste, repose sur cette organisation d’encellulement individuel nocturne et d’activités diurnes dans des lieux de sociabilité.

Évidemment, cela coûte très cher. Je ne connais pas de maison d’arrêt qui fonctionne ainsi, contrairement, pour l’essentiel, aux établissements pour peine. Je souhaite qu’on réfléchisse à ce schéma, que cette question soit au centre de vos préoccupations. Si les personnes sortent le matin de leur cellule individuelle et exercent des activités communes pourvues de sens, je ne connais pas de meilleure protection contre le suicide – les surveillants vont pouvoir les observer et repérer ceux qui ne vont pas très bien –, contre la violence – une grande partie des violences entre détenus ont lieu en cellule –, mais aussi contre l’oisiveté. C’est donc la meilleure façon de préparer à la réinsertion et, j’y insiste, à une vie responsable.

Bien sûr, je ne suis pas à votre place, mais le fruit de vos réflexions ne devrait pas être très différent de l’idée de bon sens que je viens d’exposer.

Est-ce à vous de reconnaître que l’échéance du 25 novembre 2014 n’a techniquement été préparée ni par la droite ni par la gauche ? Nous avions cinq ans, la continuité républicaine devant en l’occurrence l’emporter sur les alternances politiques. Or, autant le reconnaître, la question n’a été préparée, techniquement, ni par les uns ni par les autres. Dans cette situation, le moratoire doit évidemment être prolongé. L’idée d’une prorogation de trois ans, avancée notamment par certains députés écologistes, me choque : l’échéance tomberait ainsi en novembre 2017, à savoir après un événement majeur, l’élection présidentielle. Aussi semble-t-il plus sérieux de proposer une prolongation de deux ans, ce qui nous conduit au 26 novembre 2016, date à laquelle nous ne devrions pas avoir changé de président de la République ni de Gouvernement.

Pendant ces deux années, il conviendra d’approfondir ce que vous allez faire en quinze jours ou trois semaines. Il serait intéressant de confier l’affinement de l’approche scientifique à une structure indépendante comme l’Observatoire de la délinquance et des réponses pénales, rattachée directement au Premier ministre. Il s’agirait de disposer d’une base de données sur les établissements et centres pénitentiaires, sur le nombre de places opérationnelles, sur l’état des cellules, sur le nombre d’encellulements individuels, sur les populations susceptibles, à l’avenir, de bénéficier de la loi du 15 août 2014. Il paraît nécessaire de se donner deux ans pour faire un peu de prospective – peut-être conviendrait-il d’aider, à cette occasion, le bureau de la prospective de l’administration pénitentiaire.

Ensuite, la droite avait proposé la construction de milliers de places de prison. J’avais demandé au garde des Sceaux de l’époque, qui ne m’a jamais répondu, si ces places correspondaient à mon schéma d’encellulement individuel la nuit et d’activités collectives le jour. Il ne faudra pas aborder la question de la construction sans se poser la question de savoir ce qu’on construit. La gauche a adopté une autre démarche à travers la loi du 15 août 2014, visant à réduire le nombre d’entrées, à sécurité égale, au moyen de la contrainte pénale. Certains travaux montrent en effet que la prise en charge en milieu ouvert est plus efficace contre la récidive que certaines courtes peines. Nous avons, même s’ils sont très insatisfaisants, un certain nombre d’instruments qui devraient permettre de prévenir davantage la récidive et de réduire aussi, ce n’est pas incompatible, le nombre de détenus.

J’ignore combien de contraintes pénales ont été prononcées au mois d’octobre. Qui sont ces condamnés, et pour quelles infractions ? J’ai également demandé qu’on me précise les instruments mis en place pour suivre cette question. Je n’ai pas obtenu de réponse. Je vous rappelle que, lorsque le travail d’intérêt général (TIG) a été créé, nous avons mis au point un système d’évaluation qui a permis de savoir très rapidement qui étaient les condamnés au TIG – je me trouvais à l’époque à l’administration pénitentiaire. Lorsque le placement sous surveillance électronique a été instauré, nous avons, de la même manière, créé un système permettant d’en savoir plus sur l’application de ce dispositif.

Ces deux années doivent aussi permettre de vérifier que la représentation nationale et l’ensemble de nos concitoyens savent exactement quels sont les instruments mis en place, et d’assurer un suivi très précis des résultats que l’on souhaite obtenir. La question de l’encellulement individuel se posera en d’autres termes si l’on parvient à réduire de façon raisonnable – à sécurité égale, j’y insiste – la population détenue.

Enfin, je sais bien que, dans tous les journaux, les titres ne sont pas de la main des auteurs, mais je n’ai pas été très heureux de celui d’un article du Monde sur « l’inexorable croissance carcérale ». Le mot « inexorable » signifie : qui résiste aux prières. J’ignore si vous priez pour résoudre les problèmes de la société, mais cela ne me paraît pas suffisant. J’ai la conviction, au contraire du titre de l’article, qu’il est possible d’infléchir la croissance de la population carcérale. Au 1er janvier 2012, le taux de croissance annuelle de cette population était de 7 %. Depuis, ce taux ne cesse de diminuer et, à partir de janvier 2014, il est tombé à 0,8 % – on ne peut donc plus parler d’inflation carcérale, même si ce taux est deux fois supérieur encore à celui de la croissance de la population en général. Depuis octobre 2014, on note une diminution de 1,2 %. Ce phénomène nouveau devrait être analysé même si l’on sait d’ores et déjà qu’il s’explique en partie par une baisse des entrées.

Il semble donc que cette croissance « inexorable » ne le soit pas tant que cela, et il faut rappeler qu’au cours de certaines périodes on a assisté à une baisse assez importante du nombre de détenus. Encore une fois, dans mon esprit, il ne s’agit aucunement de vider les prisons : la prison est une nécessité pour la République. Il faut réduire, par des moyens sûrs, le nombre de détenus, mais aussi, dans certaines conditions, construire.

M. Dominique Raimbourg. Vous indiquez, monsieur Tournier, qu’on compte un grand nombre de prévenus, mais certains ne le restent que pendant une très courte durée. Je n’ai pas votre science des chiffres, mais il se dit que les comparutions immédiates représentent environ le quart des condamnations. Lorsqu’on est condamné en comparution immédiate, généralement, on entre comme prévenu et, dix jours plus tard, à l’expiration du délai d’appel, on devient condamné. L’autre type de prévenu, que nous avons davantage en tête, est placé en détention provisoire par un juge d’instruction, détention qui, cette fois, peut durer un certain temps. L’affectation des prévenus en cellule individuelle ne s’en trouve-t-elle pas compliquée ?

M. Pierre Victor Tournier. Les données sur le sujet sont parcellaires. En théorie, dans les statistiques pénitentiaires, sont comptabilisées parmi les prévenus entrant dans le cadre d’une comparution immédiate deux catégories que l’administration pénitentiaire ne distingue pas : ceux des prévenus qui ont déjà été jugés mais se trouvent encore dans les délais d’appel et, à ce titre, sont considérés comme prévenus, mais pour très peu de temps ; et ceux qui n’ont pas encore été jugés. Il faudrait pouvoir distinguer ces deux catégories.

J’ai été surpris des propositions faites par le contrôleur général des lieux de privation de liberté sortant : aucune des trois hypothèses que vous avez, j’imagine, à l’esprit, n’est vraiment satisfaisante. Le Premier ministre fait référence, dans sa lettre de mission, aux personnes considérées comme fragiles. Est-ce une piste vraiment intéressante, alors qu’il y en a d’autres ? Quand je suggère que la catégorie des prévenus ne serait pas prioritaire par rapport à celle des condamnés en matière d’encellulement individuel, c’est aussi parce que je tiens compte des conditions de mise en détention. Il faut également prendre en considération le choc carcéral. Quand quelqu’un arrive en détention pour la douzième fois, invoquer cette idée relève de l’angélisme, car elle ne concerne guère que ceux qui sont incarcérés pour la première fois.

Un texte de l’administration pénitentiaire mesure la proportion des personnes entrant en détention sans jamais avoir été incarcérées. Voilà des années que je réclame cette donnée, qui constitue un critère important de la réflexion sur l’encellulement individuel. Avons-nous affaire à quelqu’un qui connaît très bien la prison, va y retrouver des proches, et au sujet duquel parler de choc carcéral n’a pas de sens ? Ou bien avons-nous affaire à quelqu’un qui arrive en détention pour la première fois ? Toute une série de critères, objectifs, juridiques, devraient être examinés dans la perspective que vous semblez vous fixer de planifier l’établissement de l’encellulement individuel.

Mme Laurence Dumont. La circulaire du 3 mars 1988 ne prévoit pas de minimum de surface. Dans le centre pénitentiaire de Caen, les cellules de toute une aile mesurent 5,44 mètres carrés. Il conviendrait peut-être un jour de fixer un minimum.

Selon vous, c’est la direction régionale de Rennes qui comprend le plus fort pourcentage de places inoccupées dans les établissements pour peine : 16 %. Or, à Caen se trouve un établissement pénitentiaire exclusivement réservé à des détenus pour crimes ou délits sexuels. Il y a donc sans doute des places dans certains établissements où l’on ne peut pas envoyer n’importe qui.

M. Pierre Victor Tournier. Tout à fait.

M. Joaquim Pueyo. L’administration pénitentiaire avait expérimenté les « quartiers arrivants », pratique qui devait être généralisée à toutes les maisons d’arrêt et grâce à laquelle les primo-entrants devaient être écroués en cellule individuelle durant cinq à sept jours, à l’issue desquels une commission pluridisciplinaire devait les affecter selon certaines priorités définies de manière objective. A-t-on évalué ce dispositif mis en place il y a sept ou huit ans ?

L’administration pénitentiaire ne souhaite pas remplir certaines maisons centrales pour des raisons de sécurité. Un tiers – voire davantage – de la capacité carcérale de plusieurs d’entre elles est disponible. Ces maisons centrales sont en effet difficiles à « gérer », et l’administration pénitentiaire ne souhaite pas que plus d’un certain nombre de détenus y soient incarcérés. Il ne s’agit, certes, que d’une explication parmi bien d’autres, mais nous nous accordons tous pour considérer que la surpopulation carcérale crée de nombreux dégâts sur les plans psychologique, physique, social. Quitte à être à plusieurs, les détenus gagneraient à être placés dans des dortoirs où l’on constate moins de ces dégâts que dans des cellules à deux ou à trois.

L’encellulement individuel me paraît un cap très important malgré la difficulté de le franchir. Il est intéressant de noter que la population carcérale diminue en Suède où des peines alternatives à la prison ont été mises en place, à telle enseigne que les prisons disposent de trop de places disponibles.

Il convient de réfléchir par ailleurs à la journée de détention.

M. Alain Tourret. On ne peut aborder qu’avec une grande précaution un tel sujet, qui touche à l’humanité. La loi permet de réduire l’enfermement de certaines personnes : je me souviens de la loi du 15 juin 2000 relative à la présomption d’innocence. En réduisant la possibilité de placement en détention provisoire – mesure unanimement saluée –, nous avons permis une diminution très importante du nombre de détenus.

Peut-être faudrait-il souligner que l’encellulement individuel est un droit inhérent à la fonction de citoyen – quitte à ce que certains ne souhaitent pas en bénéficier. Toute République qui n’y tend pas devrait avoir honte d’elle-même.

Je m’étais rendu avec Catherine Tasca à La Réunion, où j’avais pu voir seize détenus dans une même cellule, détenus qu’on faisait sortir le matin dès les premiers rayons du soleil pour éviter qu’ils ne se battent entre eux, voire qu’ils ne s’entretuent.

Aussi faut-il encourager, certes, la cellule individuelle, mais encore définir la superficie minimum de la cellule individuelle. Ce que j’ai vu là-bas était effrayant. Il y avait même deux prisons, une où se trouvaient les noirs, et l’autre où se trouvaient les blancs, parmi lesquels tous les élus, noirs et blancs – sur 25 maires, près de 21, si ma mémoire ne me fait défaut, étaient mis en examen ou condamnés !

M. le président Jean-Jacques Urvoas. L’établissement en question a dû être refait.

Nous vous remercions, monsieur Tournier, pour votre intervention, et j’imagine que vous allez surtout vous montrer attentifs aux propositions que fera Dominique Raimbourg, ainsi qu’aux résultats.

M. Pierre Victor Tournier. Je vous souhaite bon courage.

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* *

Puis, la Commission procède à l’audition de M. Charles Giusti, directeur-adjoint de l’administration pénitentiaire.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Monsieur le directeur, je vous remercie de votre présence parmi nous.

La commission des lois de l’Assemblée, notamment son vice-président Dominique Raimbourg, sont extrêmement motivés par cette question, sur laquelle nous avons entamé une réflexion avec ce cycle d’auditions. Nous sommes prêts à entendre le point de vue de l’administration et à vous poser des questions, car une grande partie de nos interrogations vient d’un manque de connaissance de certaines réalités.

Je vais d’abord vous laisser présenter les collaborateurs qui vous accompagnent.

M. Charles Giusti, directeur-adjoint de l’administration pénitentiaire. Je vous présente M. François Trouflaut, du bureau de gestion de la détention, à l’état-major de sécurité, qui suit tout particulièrement la situation des cellules opérationnelles et des couchages, Mme Annie Kensey, chef du bureau des études et de la prospective, et M. Romain Peray, chef de bureau des affaires immobilières.

Je ferai d’abord un point sur le plan quantitatif pour expliquer où nous en sommes et quelles sont les perspectives. Puis j’interviendrai, au plan qualitatif, sur la problématique de l’encellulement individuel. Enfin, j’évoquerai la position de l’administration pénitentiaire vis-à-vis de cette problématique.

Je commencerai par un rappel sur les notions de capacité théorique et de capacité opérationnelle.

La capacité théorique est liée à une circulaire de 1988, qui définit le nombre de places par rapport à la surface au sol de la cellule. Cette capacité théorique intègre toutes les places de détention normale, les places de semi-liberté, les places pour personnes à mobilité réduite, les quartiers « arrivants », les places dans les services médico-psychiatriques régionaux et dans les centres nationaux d’évaluation pour les condamnés « longues peines ».

En revanche, la capacité théorique ne prend pas en compte les quartiers d’isolement, les quartiers disciplinaires, ni les cellules de protection d’urgence, réservées aux personnes ayant des velléités suicidaires.

Au 1er octobre, la capacité théorique était de 58 974 places, ce qui représente 49 681 cellules, dont 40 857 cellules à une place – au regard de la superficie, soit jusqu’à onze mètres carrés –, 6 553 cellules pour deux personnes – entre onze et quatorze mètres carrés – et, au-delà de trois personnes, 2 271 cellules multiples pour 6 254 places, l’essentiel étant constitué de cellules de trois ou quatre personnes. 213 cellules comptent entre cinq et dix places, surtout dans les petites maisons d’arrêt relativement anciennes. Enfin, il existe, à Raiatea, en Polynésie, un dortoir de vingt places, occupé par treize personnes.

La capacité opérationnelle est définie par rapport à la capacité théorique. Elle correspond à la capacité théorique, de laquelle on déduit la part des places indisponibles, notamment en raison de travaux. Au 1er octobre, il y avait 58 054 places opérationnelles, soit 920 places de moins que de places théoriques. Cette différence oscille généralement entre 500 et 1 000 places.

Dans les différents types de cellules que je viens d’évoquer, il y a un système de couchage fixe. Pour des raisons liées à la surpopulation et pour pouvoir héberger le plus correctement possible les personnes détenues, des lits fixes sont installés au-delà de la capacité théorique. Ensuite, il y a les matelas au sol, que nous recensons régulièrement.

Les personnes détenues peuvent avoir des lits fixes, mais cela peut masquer des surpopulations importantes, notamment dans le ressort de la direction interrégionale (DI) de Paris, où il y a beaucoup de lits fixes. On cite souvent le cas de Fresnes, où les hauteurs de plafond permettent d’installer trois lits. On évite ainsi les matelas au sol, mais les taux d’occupation n’en sont pas moins considérables, avec un impact très fort sur la vie en détention, sur l’accès des personnes détenues au sport, aux activités socioculturelles, aux parloirs ou aux soins, bref, avec toutes les conséquences qu’entraîne la surpopulation sur le fonctionnement général des établissements.

Au 28 octobre dernier, 38,85  % des détenus étaient seuls en cellule, sachant qu’il ne s’agit pas toujours de personnes seules dans des cellules individuelles. Il peut arriver conjoncturellement qu’une personne occupe seule une cellule prévue pour deux. Pour ce qui concerne plus spécifiquement les maisons d’arrêt et les quartiers maisons d’arrêt, le taux d’ « encellulement individuel », ou plutôt des personnes hébergées seules en cellule, est de 16 %.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Combien cela fait-il en valeur absolue ?

M. Charles Giusti. Cela fait 7 389.

M. Dominique Raimbourg. Ces 38,85  % correspondent donc à la totalité de la population pénale ?

M. Charles Giusti. C’est cela.

Dans les établissements pour peine, le taux d’encellulement individuel est de 88  %, mais c’est un chiffre à prendre avec prudence, car il s’agit d’une photographie à l’instant T et la partie outre-mer souffre de surpopulation, y compris dans les établissements pour peine. Si l’on se limite à l’Hexagone, le taux est de 93,3  %. Je rappelle qu’il s’agit d’un travail mené ligne par ligne, pour identifier qui est seul en cellule à l’instant T.

J’en viens à l’évolution, depuis 2009, du nombre de places dans les établissements pénitentiaires.

Correspondant au solde entre les nouveaux établissements et les établissements fermés, 3 250 places ont été créées en net en 2009, 1 961 en 2010, 1 617 en 2011, 216 en 2012 – du fait d’une baisse conjoncturelle –, 466 en 2013 et 397 en 2014. Il est prévu de créer 1 817 places en 2015, 356 en 2016, 1 180 en 2017, 808 en 2018 et 117 en 2019. Le nombre de places prévu pour 2018 correspond à la réouverture de la maison d’arrêt de Paris-La Santé et celui prévu pour 2019 au nouvel établissement de Lutterbach, qui s’accompagnera de la fermeture de l’établissement du Bas-Rhin. Le programme immobilier vise à augmenter la capacité d’accueil, mais aussi à améliorer les conditions de la détention, et donc, à fermer les établissements vétustes.

L’objectif de 63 500 places fixé par la garde des Sceaux à l’horizon 2020 permettra de disposer de 54 400 cellules environ – s’agissant de programmes immobiliers, il y a des ajustements au fil des études –, dont 35 800 dans les maisons d’arrêt et 27 700 dans les établissements pour peine.

La garde des Sceaux a également annoncé, à l’occasion de la discussion du projet de loi de finances pour 2015, un nouveau programme immobilier concernant l’Hexagone, plus particulièrement orienté vers l’outre-mer, avec un horizon de livraison sur une dizaine d’années, qui devrait aboutir à 65 000 places de détention, pour 57 000 cellules. Il s’agit, là encore, de chiffres arrondis.

Quant à la population pénale, elle est estimée, dans le cadre du plan triennal, à 66 200 au 1er janvier 2017. C’est un chiffre théorique, qui a servi à la construction budgétaire.

Sans préjuger des évolutions qui peuvent intervenir ni de l’efficacité de la loi pénale, davantage orientée vers la prévention de la récidive que vers la baisse des effectifs dans les prisons, on estime, au regard des statistiques générales, que la population pénale restera à ce niveau. Elle atteindra peut-être le chiffre de 68 000 à l’horizon 2018. Depuis une vingtaine d’années, on constate des baisses conjoncturelles, liées, notamment, à des lois pénales et, éventuellement à des décrets de grâce, antérieurement à 2007. Le taux d’incarcération par rapport à l’ensemble de la population française évolue très peu, mais globalement, la tendance est à l’augmentation de la population pénale.

Sans faire de prospective poussée en la matière, je rappelle l’objectif, à l’horizon d’une dizaine d’années, de 57 000 cellules, pour une population pénale qui comptera environ 68 000 personnes. Cela signifie que nous ne serons pas, dans une dizaine d’années, au rendez-vous de l’encellulement individuel.

Sur le plan qualitatif, je reprendrai le propos de la directrice de l’administration pénitentiaire à l’occasion de la présentation du projet de budget 2015 : « L’encellulement individuel n’est pas l’alpha et l’oméga des conditions de détention ». Par-delà cette formule choc, les textes existants et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) mentionnent la notion d’encellulement individuel de nuit – c’est ce que l’on trouve dans les règles pénitentiaires européennes (RPE) – ou la notion de places multiples, sous réserve que les conditions d’hébergement soient correctes.

La CEDH n’introduit pas la notion d’encellulement individuel. En revanche, elle fixe des critères de dignité pour les conditions de détention, en termes de superficie, de luminosité, de séparation des lieux d’hygiène, etc. La jurisprudence n’insiste pas sur la notion d’encellulement individuel.

Sur le plan international, nous avons observé ce que faisaient nos voisins européens.

Hormis les Scandinaves, notamment les Suédois, qui ont atteint un taux satisfaisant d’encellulement individuel, mais qui ont des taux d’incarcération assez faibles, ce principe n’est pas appliqué ou n’existe pas dans le reste de l’Europe.

Le législateur allemand avait posé le principe de l’encellulement individuel dans les années 1970. Cela étant, compte tenu du surpeuplement carcéral, la loi précisait que l’encellulement collectif était autorisé aussi longtemps que les conditions matérielles des établissements le rendaient nécessaire. Il s’agissait d’une approche très pragmatique de l’encellulement individuel.

Toutefois, la Cour constitutionnelle fédérale a considéré, en 2002, que les établissements pénitentiaires pouvaient déroger à la règle de l’encellulement individuel seulement si la situation ne portait pas atteinte à la dignité de la personne détenue. On en revient aux conditions qui figurent fréquemment dans la jurisprudence du Conseil d’État ou dans les RPE.

Au milieu des années 1980, les Pays-Bas appliquaient la règle de l’encellulement individuel. À partir de 1985, la population carcérale a fortement augmenté du fait d’un durcissement des politiques pénales, et le taux de détention, supérieur à celui de la France, a atteint 113 détenus pour 100 000 personnes en 2007. Les tout derniers chiffres sont assez proches. Les Pays-Bas ont lancé un programme immobilier pour tenter de maintenir la règle de l’encellulement individuel, mais ils l’ont abandonnée dans les années 2000 et ont procédé à un réaménagement des cellules existantes pour pouvoir accueillir deux personnes.

La règle de l’encellulement individuel n’existe pas au Royaume-Uni. Il n’y a pas non plus de politique officielle en la matière. Les Britanniques évitent de mélanger des personnes qui ne seraient pas « compatibles » et la plupart des cellules, construites pour accueillir une à deux personnes, en accueillent, en réalité, deux ou trois.

J’en arrive à la méthode de nos voisins italiens pour alléger la surpopulation carcérale, qui est particulièrement importante. Il s’agit de l’indulto, que l’on peut traduire par « indulgence ». Il s’agit d’une sorte de décret de grâce, qui vide largement les établissements. Ce sont environ 20 000 détenus qui sortent de prison, mais qui y reviennent très vite, du fait de la récidive.

On retrouve par exemple, en Autriche, des règles aux termes desquelles il n’y a pas d’encellulement individuel pour les courtes peines. On y essaie en revanche d’appliquer la règle de l’encellulement individuel aux peines plus longues. Il s’agit de concepts approchants, mais je n’ai pas d’informations précises en la matière.

Je voudrais maintenant souligner l’importance des activités. L’hébergement en cellule n’est peut-être pas l’élément essentiel, dès lors que le détenu peut en sortir dans la journée et avoir des activités. Nous suivons à peu près le même raisonnement que nos voisins européens, notamment espagnols, qui développent fortement les activités extérieures dans certains de leurs établissements, les cellules n’étant occupées que la nuit. Pour le reste, il y a des locaux communs. Les repas, par exemple, sont pris en commun. C’est un autre concept, mais l’idée est la même : faire sortir les détenus de leur cellule.

Pour conclure sur les éléments qualitatifs, j’évoquerai le sous-amendement présenté par M. Coronado dans le cadre du débat budgétaire et allant dans le sens de la proposition du contrôleur général des lieux de privation de liberté en matière d’encellulement individuel pour les personnes vulnérables. La difficulté réside dans la définition de ce que sont les personnes vulnérables. Il peut s’agir de personnes âgées, de personnes à mobilité réduite, éventuellement de personnes fragiles parce qu’en butte à des comportements malveillants de la part de leurs codétenus.

La réponse n’est pas forcément univoque. Si l’on fait le point sur les personnes vulnérables que sont les personnes âgées et celles en situation de handicap, notamment physique, les personnes de plus de soixante ans représentaient, en 2013, 3,6  % de la population pénale, soit 2 409 personnes, dont 115 en perte d’autonomie et 896 en maison d’arrêt. Les personnes en situation de handicap physique représentaient, toujours en 2013, 0,5  % de la population pénale, soit 329 personnes.

Il est intéressant d’observer la façon dont l’administration pénitentiaire a pris en compte l’accueil des personnes souffrant d’un handicap physique. Au 1er octobre de cette année, 352 places dites « places pour personnes à mobilité réduite » disposaient de tous les aménagements nécessaires. Je cite, en outre, même si elles ne sont pas totalement aux normes requises pour l’accueil des personnes handicapées, 243 places adaptées, dans environ quatre-vingt-dix établissements. Ces places n’ont peut-être pas les largeurs de porte parfaitement aux normes, mais des aménagements ont été faits, tels que des barres dans les toilettes et des sièges dans les douches.

S’agissant de la prise en charge des personnes handicapées ou des personnes âgées ayant des problèmes de mobilité, il y a, pour les nouvelles constructions, une norme de 3  % des places théoriques destinées aux personnes à mobilité réduite.

J’en termine avec la question des personnes vulnérables, qui était le sujet de préoccupation lorsque nous avons travaillé sur le sous-amendement de M. Coronado. Si la règle de l’encellulement individuel devait s’appliquer aux personnes vulnérables, sous réserve de pouvoir définir précisément ce que sont les personnes vulnérables, compte tenu de la situation actuelle de surpopulation et au regard des places disponibles, il serait très difficile d’aménager des cellules individuelles dans certaines maisons d’arrêt, sauf à mettre en œuvre des procédures de transfert, avec un fort risque de rupture des liens familiaux.

Pour conclure sur les aspects quantitatif et qualitatif, de manière macroscopique, même si ce n’est pas satisfaisant et que cela peut masquer des disparités au sein des établissements pénitentiaires, l’encellulement individuel ne peut être envisagé dans la dizaine d’années à venir. Cela ne veut pas dire que l’administration pénitentiaire ne fasse rien. Toutes les nouvelles constructions tiennent compte des normes indispensables à l’accueil des personnes à mobilité réduite. Au-delà, il y a la règle fixant à 90  % le taux d’encellulement individuel. Les constructions neuves sont donc soumises à des règles permettant d’aboutir à ce taux.

Par ailleurs, l’idée est de promouvoir des activités au sein des établissements. Cette conception est centrée sur les publics accueillis. À l’avenir, nous essaierons d’éviter les architectures répétitives pour élaborer des projets en lien avec la population accueillie. Il faut travailler sur les flux, limiter les facteurs anxiogènes de l’enfermement en améliorant les matériaux et la luminosité et en « végétalisant » les cours de promenade. Concernant l’accueil des détenus condamnés à de longues peines, un vrai travail a été fait dans les centres de détention, où l’on peut trouver aujourd’hui des cours de promenade assez vastes et arborées.

Dans les futurs établissements, des unités de confiance pourraient être mises en place pour des catégories de détenus en voie de réinsertion, au comportement exemplaire, qui bénéficieraient de conditions de détention adaptées. Ce type de dispositif existe dans certains établissements et sa mise en œuvre dans les futurs établissements doit continuer à faire l’objet d’une réflexion.

Outre les questions architecturales, la volonté de la garde des Sceaux est de développer les activités, dont la durée quotidienne moyenne est aujourd’hui d’une heure trente par détenu. Le budget du plan triennal devrait nous permettre d’augmenter progressivement, jusqu’à trois heures par jour, cette durée moyenne, l’activité étant soit du travail, soit de la formation professionnelle, soit de l’enseignement général ou spécialisé.

S’agissant de l’encellulement individuel, il convient de s’appuyer sur un principe de réalité. La population pénale devrait se stabiliser grâce à la loi pénale. Cela étant, depuis vingt ans, statistiquement, il y a toujours eu une tendance à la hausse. En tout état de cause, l’administration pénitentiaire, qui est le réceptacle de toute l’activité de la chaîne pénale, ne fait qu’exécuter des décisions de justice. La surpopulation doit donc être considérée à l’aune de toutes les politiques pénales. Le principe de réalité, ce sont les 57 000 cellules prévues dans le dernier programme annoncé par la garde des Sceaux à l’horizon d’une dizaine d’années. Nous ne pourrons donc pas assurer l’encellulement individuel pour tous.

Cela étant, l’encellulement individuel n’est pas une fin en soi, y compris pour les personnes vulnérables, qui demandent, pour certaines d’entre elles, à être doublées en cellule. Je pense notamment aux personnes suicidaires ou aux personnes âgées, qui ont besoin d’une présence. Lorsque les auxiliaires de vie quittent les lieux pour la nuit, il est important que des détenus volontaires puissent prêter assistance à des personnes ayant des difficultés particulières.

Je vais vous raconter une petite anecdote. La prison Charles-III, qui disposait, en règle générale, de cellules de quatre personnes, a été remplacée par le nouveau centre pénitentiaire de Nancy-Maxéville. La perspective pour les détenus était de rejoindre un centre pénitentiaire neuf ne souffrant pas de surpopulation carcérale, et donc, d’être hébergés dans une cellule individuelle. Pourtant, 30  % d’entre eux environ ont souhaité être doublés en cellule. C’est un chiffre anecdotique, qui permet toutefois d’illustrer le souhait d’un certain nombre de détenus de ne pas être seuls dans une cellule.

Il est important de fixer, dans les travaux sur l’encellulement individuel, des objectifs atteignables, dans une approche englobant la problématique de l’encellulement de nuit en tant que tel, et les activités qui vont avec. C’est un travail sur le long terme, car il faut des moyens pour développer les activités, mais c’est aussi la possibilité pour les établissements pénitentiaires de parvenir à un équilibre entre encellulement et activités.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Avant de laisser la parole à mes collègues, j’ai quatre questions à vous poser.

Vous dites que la mise en œuvre de l’encellulement individuel ne sera pas atteignable dans les dix années à venir. Pourquoi, alors, avoir proposé un moratoire jusqu’en 2017 ?

M. Tournier a beaucoup insisté sur les places inoccupées. Pourriez-vous nous donner votre point de vue sur cette question ? Y en a-t-il réellement et quelle interprétation pouvez-vous en faire ? Est-ce un phénomène lié au manque de personnel ?

Ma troisième question porte sur la circulaire de 1988, qui ne fixe pas de seuil minimum. Dans la prison de Caen, notamment, on est à 5,44 mètres carrés. La direction de l’administration pénitentiaire travaille-t-elle à une réévaluation de la capacité des cellules en fonction de la surface ? Veut-on revisiter la circulaire de 1988 ?

Enfin, avez-vous un moyen d’évaluer les contraintes pénales mises en œuvre depuis la promulgation la loi, ce qui vous permettrait d’en mesurer l’impact éventuel sur le flux d’entrée dans les maisons qui dépendent de votre administration ?

M. Dominique Raimbourg. Le terme ne convient sans doute pas, mais un numerus clausus, envisagé comme un moyen d’accélérer la sortie du détenu le plus proche de la fin de peine lors de l’entrée d’un détenu en surnombre, pourrait-il être une solution ? Ce numerus clausus pourrait être fixé dans chaque établissement en fonction d’un seuil d’alerte, dès lors que le taux de surpopulation deviendrait insupportable.

M. Tournier a indiqué qu’il serait peut-être souhaitable de réserver l’encellulement individuel aux prévenus ou, à défaut, aux primo-entrants, avec une certaine durée de condamnation. Est-il possible de connaître le nombre de primo-entrants ?

Une partie de la surpopulation était autrefois gérée par le biais des décrets de grâce et, de façon plus marginale, par l’effet des lois d’amnistie. Peut-on chiffrer le nombre de détenus qui sortaient en moyenne à cette occasion ? Avez-vous des indications sur la façon dont l’Allemagne et les Pays-Bas ont réussi à diminuer le nombre de leurs détenus ? M. Tournier indique que le taux d’incarcération serait passé de 98 pour 100 000 habitants à 90 ou 89 en Allemagne. Aux Pays-Bas, la situation est telle qu’a été louée une prison à la Belgique, ce qui fait d’ailleurs l’objet d’une controverse. Une partie des détenus belges sont ainsi emprisonnés au Pays-Bas.

M. Alain Tourret. Dispose-t-on du pourcentage représenté, au sein de la population carcérale, par les personnes d’origine maghrébine ? Y a-t-il, dans l’attribution des cellules individuelles, un rapport qui peut être fait en fonction de cette origine ? Y a-t-il, par ailleurs, dans l’attribution des cellules individuelles, un rapport avec le niveau de vie de la personne condamnée ?

Mme Laurence Dumont. Vous avez parlé des personnes âgées de plus de soixante ans. C’est un peu jeune pour parler de personnes âgées ! J’aimerais savoir si vous avez des chiffres concernant les personnes âgées de plus de quatre-vingts ans. Je sais qu’il y en a à Caen. Auriez-vous des chiffres qui correspondent un peu mieux à la définition de la personne âgée ?

M. Charles Giusti. M. Tournier a fait une analyse extrêmement intéressante sur les places inoccupées. Il estime à 3 724 le nombre de places opérationnelles inoccupées au 1er octobre et il en explique les causes principales, qui peuvent être liées aux nouveaux établissements dans lesquels des quartiers n’ont pas encore été ouverts.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. C’est votre point de vue que j’aimerais entendre, monsieur Giusti. L’administration valide-t-elle la lecture de M. Tournier ? Ou bien celle-ci est-elle erronée, lui-même partant du principe qu’il a fait un calcul parfaitement hypothétique puisqu’il ne repose sur aucune base qualitative, mais sur de simples déductions faites sur la base d’éléments constatés ?

M. Charles Giusti. D’un point de vue qualitatif, l’objectif n’est pas, par principe, que les maisons centrales atteignent leur capacité maximale. On l’a vu à Condé-sur-Sarthe, en début d’année, même si la prison n’avait pas encore atteint son rythme de croisière : la coexistence de profils très compliqués de détenus exclus d’autres établissements rend la gestion de la détention extrêmement difficile. Cela étant, il n’y avait pas que ce seul phénomène. Il y avait aussi un problème d’appréhension de cette nouvelle mission et des moyens à mettre en œuvre en termes de formation et d’activités pour soulager la tension liée à la détention.

Il y a des établissements, comme les maisons centrales, qui ne peuvent pas être à capacité maximale, car la sécurité serait trop difficile à gérer. Dans les maisons centrales, je le répète, il y a des profils extrêmement compliqués, que l’on ne peut pas faire coexister. Les quartiers d’isolement de ces établissements sont souvent pleins, du fait de profils très dangereux, comme les prosélytes, qui nécessitent que l’administration pénitentiaire ait une certaine marge.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Peut-on dire alors qu’il y a trop de places en maison centrale ?

M. Charles Giusti. Dans le cadre d’une approche purement comptable, on peut considérer qu’il y a 15  % de places disponibles. Cela étant, on peut ainsi disposer de quartiers dans lesquels diminuer le nombre de personnes. Personnellement, je ne pense pas qu’il y ait trop de places de détention en maison centrale. Cette marge reste nécessaire pour assurer au mieux la gestion de la détention et avoir un taux de surveillants adapté au nombre de détenus.

Une autre partie des places inoccupées se trouve dans des établissements qui, par nature, ne sont pas saturés. Cela dépend des bassins d’emploi et des profils des délinquants. Ainsi, dans les centres de semi-liberté, le nombre de places inoccupées dépend des profils que l’on peut héberger et de leur capacité de réinsertion. Mais certains établissements ne sont pas situés dans des bassins d’emploi idéaux pour des actions de réinsertion.

Les établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM) sont soumis à un numerus clausus strict. À l’exception du Sud de la France, les EPM ne sont pas totalement occupés. Là encore, il s’agit de modes de gestion de la détention très particulières, d’un quasi « sur-mesure » assuré par des personnels éducateurs surveillants. Il n’est donc pas aberrant qu’il y ait des places inoccupées.

Il y a également des places disponibles dans certaines maisons d’arrêt. Ce sont souvent de petites maisons d’arrêt, situées dans des lieux isolés ou dans des villes de province, qui n’ont pas forcément la population pénale correspondante. Cela étant, le fait de désencombrer des maisons d’arrêt ayant un fort taux d’occupation en transférant les détenus dans des établissements lointains crée un problème de maintien des liens familiaux.

Dans les centres de détention, il y a 1 198 places vacantes, desquelles il faut retrancher 404 cellules pour arrivants. Dans les centres de détention, comme dans tout établissement, il y a un quartier arrivants, qui permet une phase d’observation particulière des détenus. Ces places sont occupées partiellement, en fonction des flux d’arrivées.

En fin de compte, il reste assez peu de places disponibles – 600 à 700 – dans les centres de détention, mais cette marge est importante, car utiliser ces 700 places pour désencombrer les maisons d’arrêt mettrait en péril ces centres, qui sont faits pour des condamnés à des peines importantes dans une perspective de réinsertion. On observe ainsi, dans certains centres de détention qui servent parfois à désencombrer les maisons d’arrêt, des détenus particulièrement turbulents, ce qui implique une gestion assez proche de celle d’une maison d’arrêt pour assurer la sécurité. Les places vacantes s’expliquent par cette petite marge nécessaire à la gestion des détentions.

J’en arrive à la circulaire de 1988, à la question de sa refonte et à l’absence de seuils minimaux.

Les programmes immobiliers prennent en compte les conditions de détention difficiles telles que l’absence de séparation des blocs hygiène, la ventilation, la luminosité et la surface au sol. Nous souhaitons fermer les établissements qui posent difficulté. C’est pourquoi la construction d’un nouvel établissement est envisagée à Caen…

Mme Laurence Dumont. C’est la maison d’arrêt qui va être reconstruite.

M. Charles Giusti. Je vais examiner la question de plus près, madame la députée.

La refonte de la circulaire de 1988 n’est pas envisagée. Pour des questions de traçabilité, on pourrait, en baissant la superficie des cellules à une place, limiter, de fait, la surpopulation. À ce stade, je ne le souhaite pas. Une réflexion pourrait être engagée pour définir des conditions de détention dignes et comment les caractériser en termes de superficie, de volume, etc. Mais, à ce jour, rien ne nous permet d’envisager une nouvelle circulaire en la matière.

S’agissant de la contrainte pénale, 103 peines ont été prononcées au mois d’octobre. Cependant, il est encore trop tôt pour mesurer l’impact de cette mesure, entrée en vigueur le 1er octobre et qui nécessitera un accompagnement approfondi de la part des services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP).

J’en viens à la question du numerus clausus. L’administration pénitentiaire prend en charge les détenus qui lui sont confiés. Il serait très difficile pour les juges, mais aussi pour l’administration pénitentiaire, de réincarcérer ou d’organiser des transferts pour répartir les détenus dans des établissements qui seraient conjoncturellement en capacité de les accueillir.

En revanche, nous entretenons un dialogue intéressant avec les autorités judiciaires afin qu’elles soient dûment informées des conséquences des surpopulations. Une expérimentation extrêmement intéressante est menée, dans la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur, sur un outil permettant de déterminer des seuils d’alerte en fonction des taux de surpopulation, seuils d’alerte qui ont un impact sur l’accès aux parloirs, aux activités, au sport et aux soins. Un certain nombre d’indicateurs permettraient, non pas de rester strictement limité au numerus clausus correspondant à des capacités théoriques, mais de disposer de seuils d’alerte permettant, en lien avec les autorités judiciaires, de tenir la surpopulation dans des limites acceptables.

Je ne partage pas la conception de l’encellulement individuel des prévenus, évoquée par M. Tournier. J’estime que l’encellulement individuel doit bénéficier d’abord aux condamnés hébergés en maison d’arrêt si leur reliquat de peine est inférieur à deux ans, dans le cadre d’un projet d’aménagement de peine ou du maintien des liens familiaux, surtout lorsqu’ils ont un profil de réinsertion.

Quant aux primo-entrants, une attention particulière leur est portée dans tous les quartiers arrivants des maisons d’arrêt, mais cela peut être une piste, dans une optique de prévention de la récidive. Cela étant, je n’ai pas de chiffres précis sur la question.

Mme Annie Kensey, chef de bureau des études et de la prospective. Selon les chiffres de notre dernière enquête, 17  % des personnes déclarent avoir déjà été incarcérées, ce qui veut dire que 83  % d’entre elles n’auraient pas été incarcérées précédemment. Toutefois, ces données étant déclaratives, il faut les prendre avec précaution.

Pour ce qui est de l’impact des décrets de grâce, je pourrai vous communiquer ultérieurement les chiffres exacts. Mais je me souviens que, lorsqu’il y en avait, environ 6 000 personnes sortaient de prison chaque année de ce fait, tandis que d’autres personnes y entraient. L’évolution a ainsi connu un court répit, mais un répit tout de même, et semble avoir été contenue par les grâces collectives pendant une bonne dizaine d’années.

M. Charles Giusti. S’agissant de l’évolution des taux de détention en Allemagne et aux Pays-Bas, j’avoue ne pas avoir d’informations.

Mme Annie Kensey. J’ai apporté quelques données sur les statistiques européennes. Nous publions chaque année des séries, avec toutes les informations que nous possédons et nous réactualisons ce travail tous les ans. Ces informations sont à votre disposition.

Aux Pays-Bas, le taux de détention diminue, ainsi qu’en Allemagne. Mais le nombre de détenus à l’instant T est la résultante d’entrées et de durées de détention, qui sont des paramètres très importants à prendre en compte pour caractériser l’évolution d’une population.

Aux Pays-Bas, la durée moyenne de détention diminue et le taux d’entrée en détention est plutôt stable. En Allemagne, on observe la même évolution.

En France, au contraire, la durée moyenne de détention augmente fortement puisqu’elle est passée de 8,6 mois en 2007 à 11,5 mois en 2013. Je parle de durée de détention, pas de durée sous écrou. C’est cette augmentation, très forte, qui a fait croître la population pénale de façon conséquente.

M. Charles Giusti. Monsieur Raimbourg, je n’ai pas d’informations sur l’initiative des Pays-Bas qui auraient loué des places de détention à la Belgique.

S’agissant de la présence de population d’origine maghrébine dans les établissements, nous n’avons pas de statistiques ethniques. Le seul chiffre officiel que nous ayons et qui n’est pas lié à une ethnie, mais au domaine religieux, est de 18 000 inscrits pour le ramadan, ce qui n’est pas forcément un signe d’appartenance à la religion musulmane. Il peut s’agir de raisons sociologiques ou de raisons liées aux améliorations apportées aux repas du soir puisque les personnes inscrites pour le ramadan ne peuvent pas manger dans la journée. Cela étant, nous n’avons pas de statistiques en la matière.

Quant à l’origine ethnique, elle ne donne pas lieu à l’attribution d’une cellule individuelle, pas plus que le niveau de ressources. Si un tel cas devait se produire, ce serait une entorse au code de déontologie.

Mme Annie Kensey. En ce qui concerne la question des personnes âgées, je comprends qu’elle froisse tout le monde ! J’ai fait une étude en la matière et j’ai fixé le seuil à cinquante ans. Avoir plus de cinquante ou de soixante ans en prison, c’est être beaucoup plus âgé que ce ne le serait à l’extérieur, car la population carcérale est bien plus jeune que la moyenne. C’est aussi une population qui a une hygiène de vie très dégradée, ce qui fait qu’à partir de cinquante ans les maladies sont plus fréquentes qu’à l’extérieur.

Au 1er janvier 2014, 2 400 personnes incarcérées avaient plus de soixante ans. Je pourrais rechercher le nombre des personnes de plus de quatre-vingts ans actuellement détenues, mais elles ne représentent qu’un très faible effectif.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Dans le tableau dont nous disposons, les catégories que vous avez établies sont assez précises lorsqu’il s’agit de jeunes, contrairement aux plus de soixante ans. La semaine dernière, nous avons vu, à la maison d’arrêt d’Osny, un détenu âgé de quatre-vingt-onze ans.

Mme Annie Kensey. En réalité, c’est une décomposition sociologique. La population âgée a crû depuis une dizaine d’années seulement.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. S’il n’y a pas d’autres questions, je vous remercie, madame, messieurs, pour la précision des réponses que vous avez bien voulu nous apporter.

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Puis, la Commission procède à l’audition de Mme Adeline Hazan, Contrôleure générale des lieux de privation de liberté.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Madame la contrôleure générale des lieux de privation de liberté, nous sommes ravis de vous accueillir pour évoquer un sujet sur lequel votre prédécesseur avait émis, le 24 mars dernier, un avis qui vous inspire beaucoup et qui a motivé en partie notre travail : l’encellulement individuel.

Mme Adeline Hazan, contrôleure générale des lieux de privation de liberté. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de m’avoir conviée à cette audition. Lors de la séance du 28 octobre 2014, votre assemblée a été saisie d’un amendement de Mme la garde des Sceaux proposant un moratoire sur la question – ô combien sensible ! – de l’encellulement individuel. Monsieur le président, vous en avez souhaité le retrait et vous avez proposé de mettre à profit ces quelques semaines qui nous séparent de la fin du mois de novembre pour trouver une autre solution. C’est dans ce contexte que j’ai l’honneur de répondre à votre invitation.

Cette question est au cœur de vos débats, et aussi des préoccupations du contrôleur général des lieux de privation de liberté. S’il est un sujet antinomique aux droits fondamentaux du détenu, c’est bien celui de la surpopulation carcérale qui empêche l’encellulement individuel, en contradiction avec les textes qu’ils soient législatifs ou réglementaires, nationaux ou européens, et avec la jurisprudence du Conseil d’État.

Vous connaissez l’historique de ce principe d’encellulement individuel, que nous souhaitons tous voir traduit dans les faits à brève échéance. Pour les détenus, ce n’est pas seulement un principe car il y va de leur dignité et de leur capacité à exercer des droits fondamentaux tels que le droit au travail, le droit à des relations familiales et le droit à la santé. La surpopulation carcérale empêche le bon exercice de ces droits.

Prévu par la loi du 15 juin 2000 sur la présomption d’innocence, l’encellulement individuel devait entrer en vigueur le 15 juin 2003. En fait, son application a été successivement reportée à 2008 puis à 2009. Certes, la loi pénitentiaire de 2009 permet à un détenu de demander son transfert dans un établissement où il pourra obtenir la cellule individuelle qu’il souhaite, mais cette avancée est toute relative : le détenu doit choisir entre une cellule individuelle et le maintien de ses liens familiaux, ce qui n’est absolument pas normal. La loi pénitentiaire de 2009 a reporté l’application de la règle de l’encellulement individuel au 25 novembre 2014. Nous y sommes.

Rappelons la situation en quelques mots et chiffres. Au 1er octobre 2014, les prisons françaises comptaient 66 494 détenus – dont 44 700 en maison d’arrêt, un quart d’entre eux étant en détention provisoire – pour 58 054 places. La surpopulation carcérale atteint en moyenne 134 % dans les maisons d’arrêt, mais ce taux peut grimper à 150 % ou 180 %, voire jusqu’à 200 % dans les établissements d’outre-mer.

L’administration pénitentiaire indique qu’elle n’est pas en mesure de donner le chiffre précis de l’encellulement individuel en maison d’arrêt. C’est bien dommage, car ce chiffre est beaucoup plus important que le taux de surpopulation carcérale. Il peut très bien ne pas y avoir de surpopulation carcérale dans une maison d’arrêt qui ne dispose pour autant d’aucune cellule individuelle : par exemple, si toutes les cellules ont une superficie comprise entre onze et quatorze mètres carrés et qu’elles sont toutes occupées par deux personnes.

Prenons l’exemple de la maison d’arrêt de Dijon, que j’ai visitée avec mon équipe la semaine dernière. Au 3 novembre 2014, avec 235 personnes détenues présentes et une capacité théorique de 185 places, elle affichait un taux global d’occupation de 127 %, c’est-à-dire légèrement inférieur à la moyenne. Seulement 30 % des personnes placées en détention ordinaire – hors quartiers d’isolement, disciplinaires ou réservés aux mineurs – bénéficiaient d’un encellulement individuel : 28 % chez les hommes et 42 % chez les femmes. Nous allons effectuer cette comptabilité à chaque visite, puisque l’administration pénitentiaire ne peut pas la faire.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Je me permets de vous interrompre, car les représentants de l’administration pénitentiaire que nous venons d’entendre nous ont donné cette statistique : 7 389 détenus occupent une cellule individuelle en maison d’arrêt, soit 16 % de l’effectif total.

Mme Adeline Hazan. Merci de me fournir ce chiffre qui confirme notre impression : c’est extrêmement peu.

Voilà pour l’état des lieux. Faut-il tout simplement attendre 2017 ? Certainement pas et vous avez eu raison de refuser cette option. L’encellulement individuel ne doit pas être le seul paramètre, dit la garde des Sceaux qui insiste sur les conditions de détention, la préservation des liens familiaux, l’accès au droit, au travail et à la santé. En fait, il n’y a pas lieu de choisir entre ces différents critères qui doivent tous faire partie des objectifs de la politique du ministère de la justice : tous ces droits sont prévus par les textes en vigueur.

Selon la circulaire de l’administration pénitentiaire de 1988, la taille minimum des cellules individuelles et collectives est respectivement de neuf et de douze mètres carrés. Actuellement, les détenus sont souvent contraints de cohabiter à trois dans des cellules de neuf mètres carrés et à six dans des cellules prévues pour quatre personnes. En plus, malgré cette surpopulation assez effrayante, le personnel pénitentiaire rajoute des matelas par terre. C’est indigne, et en totale contradiction avec la loi, les règles pénitentiaires européennes et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Il ne vous aura pas échappé que, l’an dernier, la CEDH a condamné l’Italie dont le taux de surpopulation des prisons atteignait 150 % en moyenne, et qu’elle l’a mise en demeure de se mettre en règle. Je ne souhaiterais pas que l’on attende que la France soit aussi condamnée.

Le 22 mai 2012, mon prédécesseur, Jean-Marie Delarue, avait rendu un avis spécifique sur la surpopulation carcérale. Il montrait qu’au-delà de la question de la dignité des personnes, cette surpopulation avait des conséquences très négatives en termes d’accès à la santé et aux droits familiaux des détenus, et qu’elle créait des conditions de travail tout à fait insupportables pour les agents pénitentiaires.

Depuis cet avis, vous avez adopté la loi du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales, dont diverses dispositions devraient faire baisser le nombre d’entrants en prison : l’instauration de la contrainte pénale ; la suppression des peines-plancher ; la libération sous contrainte, avec un rendez-vous judiciaire obligatoire aux deux tiers de la peine. Cette dernière mesure va permettre de revoir la situation des condamnés et de multiplier les sorties : semi-liberté, placements en milieu ouvert, placements sous surveillance électronique, libérations conditionnelles. Actuellement, seulement 7 % des personnes éligibles à la libération conditionnelle bénéficient de ce régime.

Cependant, ces mesures positives ne suffiront pas à assurer un encellulement individuel en maison d’arrêt pour tous les détenus qui le souhaitent. Selon le Gouvernement, elles feront baisser le nombre de détenus de 2000 personnes d’ici à 2017. Comment aller plus loin ? Jean-Marie Delarue avait émis un avis le 24 mars 2014, publié au Journal officiel du 23 avril 2014, dans lequel il écartait l’hypothèse d’un nouveau moratoire, jugée inopportune, pour prôner l’établissement progressif de l’encellulement individuel sur une durée de cinq ans, au bénéfice de certains détenus : les personnes âgées de plus de soixante-cinq ans, malades, handicapées ou étrangères. Il proposait d’en définir la liste par voie réglementaire.

Cette proposition, qui n’a pas donné lieu à un examen par les pouvoirs publics, me paraît intéressante car elle rend possible l’encellulement individuel dans la rigueur des principes de la loi, au bénéfice de certaines catégories de personnes détenues, déterminées par les autorités. Je veux la reprendre à mon compte, tout en souhaitant prolonger la réflexion afin d’en évaluer la faisabilité. Comment libérer de la place pour que les personnes définies comme prioritaires puissent bénéficier d’un encellulement individuel.

Avant d’envisager une solution, je voudrais vous faire part d’une réflexion. Comment se fait-il que, dans notre pays, les prisons soient les seuls établissements où, pour le dire trivialement, « quand il n’y a plus de place, il y en a encore » ? Ce n’est pas le cas pour les maisons de retraite, les centres éducatifs fermés ou les hôpitaux : quand c’est complet, c’est complet. Une telle notion n’existe pas dans les prisons, où le taux de surpopulation grimpe jusqu’à un niveau indéfini.

Les prisons seraient-elles une zone de non-droit où l’on puisse entasser les gens à l’infini ? Non, évidemment. Pourtant, quand il y a déjà deux ou trois personnes dans une cellule de neuf mètres carrés, ou bien quatre, cinq ou six personnes dans une cellule de douze ou treize mères carrés, on rajoute parfois un matelas par terre. Le matin, il faut ranger le matelas pour que les autres détenus puissent poser le pied par terre. Cette pratique est absolument intolérable. Selon les chiffres officiels, publiés en octobre 2014, il y a 1 046 matelas de ce type dans le parc pénitentiaire français. Je propose donc d’interdire purement et simplement cette pratique, au nom de la dignité.

Comment faire baisser la surpopulation carcérale ? Le gouvernement précédent avait envisagé de créer 24 000 places supplémentaires pour porter la capacité du parc pénitentiaire français à 80 000 places. À mon sens, ce n’est pas la bonne démarche. Que nous soyons professionnels, élus ou sociologues, nous savons tous que le taux d’incarcération dépend davantage de l’évolution de la politique pénale que de celle de la délinquance. De même, au fil des décennies, nous avons tous constaté que l’accroissement des capacités de détention encourage à incarcérer.

Il faut donc poursuivre deux objectifs qui n’ont rien d’incompatibles, bien au contraire : moderniser le parc pénitentiaire tout en rejetant la politique du tout carcéral. Le plan de la garde des Sceaux de construire 2 881 nouvelles places nettes entre 2015 et 2017 m’apparaît amplement suffisant.

Comme le prévoit la loi du 15 août 2014, il faut augmenter le nombre d’aménagements de peines, ce qui sera néanmoins insuffisant pour parvenir à l’encellulement individuel de tous les prévenus ou condamnés qui sont incarcérés en maison d’arrêt. C’est pourquoi je suis amenée à faire une proposition supplémentaire, qui permettra de rendre effective et réalisable la solution proposée par mon prédécesseur : il faut non seulement interdire les matelas par terre, mais aussi fixer une capacité maximale pour chaque établissement pénitentiaire, ainsi que l’avait d’ailleurs proposé le député Dominique Raimbourg dans son rapport de janvier 2013.

Rappelons qu’en 1999 le comité des ministres du Conseil de l’Europe faisait cette recommandation : « Il convient, pour éviter des niveaux de surpeuplement excessifs, de fixer pour les établissements pénitentiaires une capacité maximale. » Pour les avoir rencontrés lors de ma prise de fonction, je sais que les syndicats de directeurs de prison sont parfaitement d’accord avec ce principe. Ils estiment que la moitié des problèmes des maisons d’arrêt découle de l’absence d’encellulement individuel et que les trois quarts des détenus souhaitent une cellule individuelle.

Comme je le constate sur le terrain depuis ma prise de fonctions, des expériences sont conduites autour de certains établissements via des accords entre les parquets, les juges de l’application des peines et les directions des établissements pénitentiaires. À Dijon, le procureur de la République reçoit tous les matins un état de la population carcérale. Dès qu’il voit que l’on commence à rajouter des matelas au sol, il alerte les magistrats du parquet et les juges de l’application des peines pour que des procédures d’aménagements de peines soient accélérées et que, si possible, la mise à exécution de courtes peines soit légèrement différée.

Pour intéressantes qu’elles soient, ces pratiques tiennent à des personnes et sont donc fragiles. Il faut les généraliser et aussi prévoir une accélération des sorties de condamnés qui approchent de leur fin de peine : celui dont le reliquat de peine est le plus court bénéficierait non pas d’une sortie sèche mais d’un aménagement de peine. Dans son rapport de 2013, M. Raimbourg indiquait qu’au 1er octobre 2012, 2 557 condamnés – soit 10 % des condamnés détenus en maison d’arrêt – n’avaient plus qu’un mois de peine à effectuer. Cette accélération des sorties permettrait de désengorger de façon significative les établissements pénitentiaires.

Cette solution nécessite du volontarisme et du courage. À dessein, je n’ai pas employé la notion de numerus clausus, qui est clivante et peut suggérer un certain automatisme. Plus que l’appellation, c’est l’esprit qui compte. En tout cas, il me semble que cette régulation de la population carcérale est la seule façon de désencombrer les prisons et donc de parvenir à l’encellulement individuel progressif que nous appelons de nos vœux. Ajoutée à l’effet des nouvelles mesures prévues par la loi du 15 août 2014, cette régulation fera baisser le nombre de détenus et nous permettra d’atteindre notre objectif dans un délai raisonnable et non pas dans plusieurs décennies.

Le moratoire pourrait être prolongé jusqu’au 1er janvier 2017 dans les conditions suivantes : interdiction de la pratique des matelas au sol ; mise en œuvre d’une régulation de la population carcérale qui permette d’appliquer l’encellulement individuel par étape, en commençant par les détenus les plus fragiles. La France rétablirait la dignité des détenus et des conditions de travail du personnel de l’administration pénitentiaire ; elle se mettrait enfin en conformité avec les textes européens, la loi votée depuis des décennies et la jurisprudence administrative.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Merci pour la clarté de vos propos et pour vos propositions qui résonnent de manière positive à l’oreille de beaucoup d’entre nous. Dans vos nouvelles fonctions, avez-vous souvent rencontré des détenus qui ne veulent pas être seuls en cellule ? Lors des débats sur la loi pénitentiaire de 2009, j’ai beaucoup entendu ce refrain sur le refus de la solitude. Mme Alliot-Marie, la garde des Sceaux de l’époque, présentait l’encellulement à plusieurs comme un moyen de prévenir les suicides, par exemple. Pour ma part, j’ai rencontré peu de détenus qui refusaient d’être seul, sauf parmi les plus âgés. Dans les trois établissements que j’ai visités au cours des trois dernières semaines, j’ai fait ce constat : les détenus ayant dépassé l’âge de cinquante-cinq ou soixante ans ne demandaient pas à être seuls mais, au contraire, estimaient que c’était inenvisageable pour eux.

Pour ma part, je considère que la prison est un lieu où il faut faire entrer le droit car l’arbitraire y est trop souvent la règle. Or, justement, interdire les matelas au sol, n’est-ce pas s’exposer à reconnaître son impuissance ? Comme vous le dites à juste titre, les prisons sont les seuls lieux où « quand il n’y a plus de place, il y en a encore ». La loi suffira-t-elle à bannir les matelas au sol ?

Mme Adeline Hazan. Pour ma part, j’ai rarement rencontré des détenus qui tenaient à partager leur cellule. Selon les syndicats pénitentiaires, la plupart souhaitent une cellule individuelle, mais demandent aussi plus de contacts avec les surveillants ou leurs codétenus et plus d’activités de travail ou de loisir. D’où l’importance de l’organisation de la prison et de ce qui se passe autour de la cellule.

D’après ce que j’ai pu lire et observer, les détenus ne désirent pas aller dans les établissements pénitentiaires modernes où ils souffrent de l’absence de contacts humains. À la maison d’arrêt de Dijon, qui affiche un taux de surpopulation de 127 %, les détenus souhaitent un encellulement individuel parce que c’est une prison humaine où les contacts sont nombreux. Ce n’est pas le sujet du jour, mais ce constat remet en question la construction d’établissements de 500 à 700 détenus qui, comme la prison de Joux-la-Ville, se trouvent souvent au milieu de nulle part, loin – jusqu’à vingt ou trente kilomètres – des moyens de transport utilisés par les familles. Il faut privilégier les établissements de taille moyenne, d’environ 200 détenus, et situés autant que possible en milieu urbain.

Nous exposerions-nous à devoir reconnaître notre impuissance en interdisant les matelas au sol ? Dans un État de droit, il y a des choses que nous devons refuser. Ajouter un matelas par terre alors que trois personnes s’entassent déjà dans une cellule prévue pour une, ce n’est pas acceptable.

M. Dominique Raimbourg. Dans l’intervalle, avant que différentes mesures prennent corps et soient efficaces, vous semblerait-il utile que l’encellulement individuel soit réservé aux primo-arrivants qui subissent le choc carcéral ? Précisons que certaines personnes fragiles craignent d’être seules durant la nuit, qui est longue en prison – de dix-huit heures trente à sept heures du matin –, d’autant que toutes les cellules ne disposent pas d’un système d’appel. Se sentir mal la nuit dans une cellule d’où il est difficile d’appeler quelqu’un peut faire peur à des personnes fragiles.

Ma deuxième question rejoint celle de Jean-Jacques Urvoas, dont je partage le scepticisme quant à l’efficacité d’une interdiction des matelas au sol. Vous paraîtrait-il choquant qu’il y ait une sorte d’« indemnisation » de la surpopulation ? On pourrait imaginer, par exemple, que chaque jour de détention compte double pour les personnes détenues à trois dans une cellule prévue pour une. Si les conditions ne sont pas satisfaisantes, la détention est plus lourde et doit être comptabilisée comme telle. Sans développer la comparaison pour ne vexer personne, je rappelle qu’une campagne compte double quand les militaires sont exposés à un grand danger.

Enfin, les directeurs de prisons expliquent que la séparation entre prévenus et condamnés est parfois lourde à gérer. Cette séparation vous paraît-elle encore pertinente, sachant que la plupart des prévenus, ne nous leurrons pas, sont voués à devenir des condamnés ? S’ils doivent rester présumés innocents jusqu’à leur éventuelle condamnation, est-il pour autant utile de le séparer des condamnés ?

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Il est étonnant de voir à quel point la question de l’encellulement a varié dans le temps. À une époque, l’encellulement était vu comme favorisant le retour sur soi et donc la rémission. Le législateur de juin 1875, qui prévoyait l’encellulement individuel, tenait un raisonnement inverse de celui de Dominique Raimbourg : la peine des détenus en cellule individuelle était réduite d’un quart, tant leur condition était jugée plus dure.

Mme Adeline Hazan. Oui, il serait utile de réserver les cellules individuelles aux primo-arrivants qui le demandent. C’est une bonne idée de vouloir généraliser ce qui s’applique déjà dans la plupart des établissements où un quartier est réservé aux primo-arrivants.

« Indemniser » pour cause de surpopulation, pourquoi pas ? Cependant, je crains que ce soit une manière de se défausser et de ne jamais arriver à l’encellulement individuel.

La séparation entre prévenus et condamnés est obligatoire, mais je ne suis pas convaincue qu’elle ait un sens et qu’il faille la maintenir, d’autant qu’elle pose d’énormes problèmes de gestion de la population carcérale aux directeurs d’établissements. Un prévenu est certes présumé innocent, mais est-ce que cela l’empêche de cohabiter avec une personne déjà condamnée ?

Pour revenir à la question posée par le président, je rappelle que ma mission consiste à visiter les établissements, mais aussi à répondre à des saisines individuelles, ce qui représente plus de 4 000 lettres par an. Il y a quelques jours, j’ai encore reçu le témoignage poignant d’un détenu qui raconte que l’octroi d’une cellule individuelle l’a sauvé et a permis sa réinsertion. À l’inverse, une femme, qui est détenue en Bretagne et qui souhaite un encellulement individuel, m’explique qu’on lui propose de partir à Grenoble pour en bénéficier. « Je ne vais pas partir à l’autre bout de la France sous prétexte que je veux être seule car je veux garder mes liens familiaux et mes chances de réinsertion », écrit-elle. Nous recevons des cris de détresse de personnes qui ne peuvent pas être en cellule individuelle.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Combien de détenus ont demandé à bénéficier du dispositif prévu en 2009, préférant être transférés dans une autre prison pour avoir une cellule individuelle ? J’ai posé la question au Gouvernement et j’attends toujours la réponse. Selon les syndicats pénitentiaires, ce dispositif fonctionne très mal.

Mme Adeline Hazan. Mon expérience de quatre mois me permet de dire qu’il ne fonctionne pas bien.

M. Alain Tourret. Permettez-moi d’abord, madame, de vous remercier pour la qualité de votre intervention.

Certains détenus ont engagé des actions en dommages et intérêts – je connais ceux de Caen car ils étaient défendus par mon associé – et l’État a été condamné à de nombreuses reprises, en particulier pour absence de douche. L’État a-t-il été condamné aussi pour non-respect de l’encellulement individuel à la suite d’actions engagées par des détenus ?

Mme Adeline Hazan. Je sais que des actions ont été engagées pour ce motif de cohabitation forcée, et je crois qu’il y a eu des condamnations à des dommages et intérêts.

Mme Laurence Dumont. Avez-vous plus de détails sur les mesures prises par l’Italie à la suite de sa condamnation par la CEDH ?

Par ailleurs, vous reprenez à votre compte, dites-vous, la proposition faite par votre prédécesseur dans l’avis émis le 24 mars 2014 et publié au Journal officiel du 23 avril 2014. Jean-Marie Delarue envisageait la mise en place progressive de l’encellulement individuel, en commençant par des populations jugées prioritaires, parmi lesquelles les détenus de plus de soixante ans, qui cependant, d’après ce que le président Urvoas vient de nous dire, ne sont pas très demandeurs. Pourquoi les détenus âgés et les détenus étrangers sont-ils classés dans les populations prioritaires ?

Enfin, je fais une sorte de fixation sur les surfaces des cellules. Toute une aile du centre pénitentiaire de Caen est constituée de cellules de 5,44 mètres carrés – en tendant les bras, vous touchez les deux murs – alors que les détenus y purgent de très longues peines. Êtes-vous favorable à ce que la circulaire de 1988 sur les surfaces soit précisée, ne serait-ce que pour fixer une taille minimale obligatoire.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Éric Senna, magistrat à Montpellier et enseignant à l’université, m’a adressé un document où il détaille les mesures prises par l’Italie après sa condamnation. Il sera adressé aux membres de la Commission et amené au rapport d’information de la Commission.

Mme Adeline Hazan. Dans une nouvelle décision, la CEDH a pris acte des efforts entrepris depuis un an par l’Italie en termes d’aménagements de peines. Elle constate que les mesures ont contribué à faire baisser le nombre de détenus et que l’Italie commence ainsi à se mettre en conformité avec les règles européennes.

Madame Dumont, je suis favorable au principe d’un encellulement individuel progressif, et donc à un nouveau moratoire. De quelle durée ? Mon prédécesseur proposait cinq ans ; j’envisagerais plutôt un report jusqu’au début de 2017.

Jean-Marie Delarue définissait des catégories de personnes vulnérables, notamment les détenus âgés. Selon le président de votre commission, ceux-ci ne seraient pas très demandeurs de cellules individuelles. En fait, cela dépend des cas. Certaines personnes menaient une vie active à l’extérieur et se voient mal cohabiter dans une cellule de neuf mètres carrés ; d’autres se sentent plus atteints par l’âge et souhaitent une compagnie. Jean-Marie Delarue cherchait à protéger d’abord les détenus les plus problématiques ou les plus fragiles, mais il reste à les définir. L’ajout proposé par Dominique Raimbourg me semble très judicieux : par hypothèse, les primo-arrivants sont des détenus fragiles.

La circulaire de 1988 sur les surfaces n’est malheureusement pas respectée et il semble nécessaire d’y apporter des précisions. Même les cellules individuelles sont immédiatement équipées de deux lits « pour le cas où », comme disent les directeurs d’établissement. Dans une cellule de neuf mètres carrés dotée de lits doubles en hauteur, chacun doit rester assis sur son lit car il n’est pas possible de bouger.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Après avoir visité les deux nouvelles maisons d’arrêt d’Orléans-Saran, il y a quinze jours, je confirme vos propos. Pour l’instant, un seul lit est installé dans les cellules de neuf mètres carrés, mais l’arrivée d’un lit superposé est prévue comme en témoigne la veilleuse présente sur le mur…

Mme Adeline Hazan. Dans la plupart des nouvelles maisons d’arrêt, les deux lits sont installés d’emblée. Les directeurs expliquent que ce sont des cellules individuelles, mais qu’on y met deux lits « au cas où ».

M. le président Jean-Jacques Urvoas. D’ailleurs, le directeur du centre pénitentiaire d’Orléans-Saran m’a indiqué que la « zone de chalandise », si j’ose m’exprimer ainsi, de son établissement allait croître, son ouverture étant concomitante à la fermeture des prisons d’Orléans et de Chartres, et qu’il commençait en outre à accueillir des détenus de Blois, car la création de nouvelles possibilités d’incarcérer suscite une hausse des incarcérations.

Mme Adeline Hazan. En ce qui concerne les détenus étrangers, je pense que mon prédécesseur voulait protéger ceux qui ne parlent pas le français. On peut cependant renverser l’argument et penser qu’un détenu français ou francophone pourra aider son codétenu étranger à effectuer certaines démarches.

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Enfin, la Commission procède à l’audition de M. Paul Mbanzoulou, directeur de la recherche de l’École nationale d’administration pénitentiaire (ENAP).

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Nous recevons M. Paul Mbanzoulou, directeur de la recherche de l’École nationale d’administration pénitentiaire, qui va contribuer à la réflexion de notre commission sur l’encellulement individuel.

M. Paul Mbanzoulou, directeur de la recherche de l’École nationale d’administration pénitentiaire. Je vous remercie de m’avoir invité à partager votre réflexion sur l’encellulement individuel en maison d’arrêt. Cette invitation fait suite au moratoire, sur le point de prendre fin, qui fut introduit par l’article 100 de la loi pénitentiaire, en lien avec la question de la distribution intérieure des locaux et leur taux d’occupation.

Le très vieux principe d’encellulement individuel sert aujourd’hui à guider notre politique pénitentiaire en vue de garantir des conditions de détention respectueuses de la dignité de la personne incarcérée et de lutter contre la surpopulation carcérale. La réaffirmation de ce principe par la loi pénitentiaire nous permet de nous conformer aux règles pénitentiaires européennes, et notamment à la règle 18.5 aux termes de laquelle chaque détenu doit être logé pendant la nuit dans une cellule individuelle, sauf lorsqu’il est considéré comme préférable pour lui qu’il cohabite avec d’autres.

Dans le cadre de cette intervention, je vous propose une réflexion générale sur le surencombrement carcéral, liée à la question du taux d’occupation. Je n’évoquerai pas ici la distribution intérieure des locaux, dont vous avez discuté avec le directeur-adjoint de l’administration pénitentiaire et que Pierre Victor Tournier a évoquée en référence à la circulaire de 1988. En effet, ce sujet renvoie à des enjeux immobiliers. Or je n’ai pas compétence pour évoquer leur dimension budgétaire ni présenter un état du bâti et des cellules individuelles et collectives existant à ce jour. Je parlerai davantage des maisons d’arrêt que des établissements pour peine – ce sont en effet les premières qui sont essentiellement confrontées à ce problème de distribution des locaux et disposent encore en nombre important de cellules prévues à des fins d’encellulement collectif. J’aborderai ainsi le deuxième aspect du moratoire précité : le surencombrement temporaire des établissements pénitentiaires.

C’est là que se situe le nœud du problème. Si, depuis 2000, nous allons de moratoire en moratoire, comme l’a souligné Mme Hazan lors de son audition, c’est que la surpopulation carcérale nous empêche de pouvoir proposer à chaque personne détenue une cellule individuelle, notamment la nuit – comme le recommandent les normes internationales et internes. Votre commission ne s’y est d’ailleurs pas trompée en confiant à la mission d’information présidée par M. Dominique Raimbourg le soin de produire un rapport sur les moyens de lutter contre la surpopulation carcérale – rapport dont je me servirai pour soutenir mon argumentation. Ces éléments étant débattus, il ne faudrait pas que votre commission omette son propre travail dans sa réflexion d’aujourd’hui.

Les constats établis sont bien connus de vous : promiscuité alarmante – qui a pour conséquence une perte d’intimité et donc des tensions et des frustrations ; insalubrité – due à la suroccupation des cellules et à la surutilisation des locaux et équipements collectifs ; enfin, violence entre personnes détenues ainsi qu’envers les surveillants. Cette dernière serait due à la promiscuité conjuguée à l’insalubrité et à l’oisiveté forcée.

Je complèterai le tableau en portant un regard plus spécifique sur les conséquences de la surpopulation sur les relations entre surveillants et détenus – objet de mes travaux de recherche – qui sont essentielles dans un établissement pénitentiaire. Les personnels de surveillance et les détenus constituent les deux blocs numériques les plus importants et les plus proches du monde carcéral. La sécurité des établissements dépend de la qualité des relations professionnelles entretenues entre les surveillants et les personnes détenues. Ces relations sont surdéterminées par plusieurs éléments caractéristiques qui en influencent la nature au-delà même de la personnalité des protagonistes. J’énumérerai plusieurs de ces éléments mais m’attarderai davantage sur la question de la surpopulation.

Tout d’abord, la relation entre surveillants et détenus est par essence antagoniste. En effet, le surveillant est payé, au nom du peuple français, pour maintenir enfermée la personne détenue qui, comme tout un chacun, rêve de sa liberté. Ensuite, cette relation s’organise à l’intérieur d’un cadre carcéral qui est lui-même contraignant, d’une part, vis-à-vis des surveillants qui doivent respecter les règles de cet environnement et, d’autre part, vis-à-vis des personnes qui y sont incarcérées. Mais, élément plus important encore, les surveillants sont au quotidien en rapport numérique défavorable. Ils sont en effet souvent seuls à s’occuper d’un étage de 50 à 80 détenus dont certains se trouvent dans des cellules surencombrées.

Malgré cela, les surveillants et les détenus se trouvent dans une situation de dépendance mutuelle structurellement imposée. Les détenus ont besoin des surveillants pour leurs déplacements et pour certains services, de même que les surveillants ont besoin d’un minimum de collaboration de la part des personnes détenues pour pouvoir accomplir leur mission. Cette cohabitation imposée va, de la contrainte, s’orienter vers une collaboration. Pour maintenir l’ordre et la sécurité dans les établissements pénitentiaires, les surveillants doivent continuellement affirmer leur autorité, en même temps qu’ils doivent aussi accompagner au quotidien les personnes détenues, dans le cadre d’une relation personnalisée – en vue de la pacification de la détention. Cette gestion rigoureuse de la détention permet aux personnes détenues de se sentir protégées et d’avoir l’esprit libre pour se projeter dans l’avenir et s’investir dans les activités qui sont susceptibles de leur être proposées au sein des établissements pénitentiaires –travail, formation, scolarisation, etc.

Cela requiert de la part des surveillants une vigilance permanente : le surveillant doit avoir l’œil et l’oreille partout, il doit être en alerte tout le temps. Cette vigilance est essentielle pour la sécurité de tous. Mais l’on pourrait envisager la question différemment : la vigilance continue des surveillants vis-à-à-vis des détenus leur permet aussi de protéger ces derniers contre eux-mêmes, c’est-à-dire tant contre l’auto-agression que contre les autres détenus. Elle permet aussi aux surveillants de les rappeler à l’ordre chaque fois que les prescriptions du règlement intérieur ou les consignes ne sont pas respectées. Cette pratique du rappel quotidien à la règle revêt une dimension pédagogique indéniable : elle représente un élément d’apprentissage et d’intégration de l’interdit et du permis, c’est-à-dire un élément de préparation à mener une vie responsable au terme de l’incarcération, comme le précise la loi pénitentiaire.

Or la surpopulation carcérale, que je considère comme le principal obstacle à l’encellulement individuel, limite fortement cette approche. En effet, face à une telle situation, l’efficacité avec laquelle le surveillant accomplit sa mission de rappel des règles baisse sensiblement pour deux raisons : soit que ses capacités d’observation soient amoindries, soit que, conscient de sa position d’infériorité numérique, il renonce à adresser des observations, à établir des rapports d’incident ou à faire des remontrances aux personnes détenues pour éviter tout conflit. Dans le même ordre d’idées, on pourrait considérer que la protection des personnes détenues perd également en substance.

Ainsi, la surpopulation carcérale, bien qu’elle soit très régulièrement abordée sous l’angle de l’atteinte à la dignité des personnes détenues, a aussi des conséquences sur le fonctionnement général des établissements. Non seulement elle altère les conditions de détention mais, en outre, elle remet en cause le respect de cette dignité et fragilise la sécurité des uns et des autres. Ainsi nuit-elle à l’accomplissement des missions confiées à l’administration pénitentiaire.

Dans votre rapport d’information du 23 janvier 2013, on apprend que dans de nombreuses maisons d’arrêt, la surpopulation rend illusoire le respect du principe d’encellulement individuel des prévenus – principe réaffirmé à l’article 87 de la loi pénitentiaire. On y apprend aussi que l’ampleur de l’encellulement collectif résulte principalement de l’inadéquation entre les capacités d’hébergement du parc carcéral et les flux d’entrée en détention auxquels il faudrait ajouter le maintien en maison d’arrêt des personnes condamnées à des peines d’emprisonnement supérieures à deux ans, qui sont en attente de transfèrement dans un établissement pour peine. Ces observations, que je partage, vous font aboutir à un constat plus brutal qu’il nous faut regarder en face et qui suppose un sursaut volontariste de la part des pouvoirs publics, des acteurs judiciaires et pénitentiaires. Le constat est simple : tenues, indépendamment de leur taux d’occupation, d’accueillir l’ensemble des personnes placées en détention provisoire ou condamnées à la suite d’une décision judiciaire, les maisons d’arrêt se trouvent dans l’incapacité de garantir le respect du principe énoncé au premier alinéa de l’article 716 du code de procédure pénale.

Dès lors, que faire ? J’évoquerai trois pistes de réponse, suivant un raisonnement progressif et cumulatif. Nous nous retrouverons d’ailleurs sur l’une de ces trois pistes, à laquelle votre rapport fait référence.

La première piste consiste à entreprendre une réflexion globale sur la chaîne pénale avec les différents acteurs impliqués pour gérer au mieux les flux entrants et sortants ainsi que les stocks. Différents rapports ayant été publiés à ce sujet, il conviendrait que l’on puisse réfléchir à notre politique pénale générale. On l’a fait récemment dans le cadre de la loi du 15 août 2014 qui a donné l’occasion de repenser la place de la prison, longtemps considérée comme la bonne à tout faire du système pénal, par rapport à celle du milieu ouvert. On a même eu l’ambition un temps de créer une peine qui n’ait comme référence que le milieu ouvert. Ce débat, qui a évolué, a conduit à instaurer la contrainte pénale.

Cette réflexion relative à la chaîne pénale doit nous amener à changer les pratiques des magistrats, des personnels pénitentiaires et des responsables politiques. Nous savons aujourd’hui que dans les pays qui sont confrontés à cette question, plusieurs pistes d’approche sont proposées. La première, la plus facile, consisterait à créer des places de prison supplémentaires pour résorber le trop plein. À cet égard, on entend souvent dire qu’en France, il manquerait quelque 24 000 places. Mais la nature ayant horreur du vide, nous n’avons pas la garantie que le problème de la surpopulation carcérale serait définitivement résolu avec la construction de ces nouvelles places, si nous ne modifions pas par ailleurs nos pratiques en matière d’incarcération.

Si nous avons déjà mené cette réflexion générale sur la pratique pénale, celle-ci n’est cependant jamais achevée compte tenu de la présence des acteurs concernés et de l’opinion publique mais aussi de l’environnement global. Ne perdons jamais de vue que la peine privative de liberté doit être pensée et prononcée dans le cadre d’une politique criminelle moderne qui exige qu’elle soit appliquée dans le respect du principe de proportionnalité. Un tel principe devrait nous conduire à penser les autres mesures existantes comme de véritables réponses pénales – notre arsenal juridique en comprenant plusieurs, parmi lesquelles la contrainte pénale. Cette dernière pourrait permettre de régler en amont le problème des flux. Cependant, toute réponse pénale doit aussi être choisie en fonction des caractéristiques de la personnalité des intéressés. Dans les autres pays où la question a été traitée, on a d’ailleurs constaté que, chaque fois que l’autorité judiciaire disposait de davantage d’éléments sur la personnalité d’un prévenu, le recours à la prison était abordé de manière différente. Nous nous sommes donc efforcés de changer notre façon de faire pour tenir compte de tels éléments : la loi du 15 août dernier a ainsi introduit une césure dans le procès pénal afin de permettre d’abonder la connaissance que l’on peut avoir de la personnalité de l’individu.

Dans le cadre cette réflexion globale sur la chaîne pénale, il nous faut également déterminer la qualité de vie sociale que nous souhaiterions offrir aux personnes détenues. Il ne me semble pas que l’encellulement individuel doive être l’alpha et l’oméga de la pensée pénitentiaire : il conviendrait de l’insérer dans un projet global intégrant aussi la question de la vie sociale en prison. Car lorsque l’on sera parvenu à donner une cellule à chaque personne détenue, l’objectif sera-t-il qu’elle y reste 23 heures sur 24 ?

La deuxième piste, plus pratique, s’appuie sur les expériences existantes : il conviendrait d’instaurer des instances locales de régulation favorisant un dialogue régulier entre les acteurs judiciaires, pénitentiaires et préfectoraux, afin de définir des seuils d’alerte et des indicateurs communs, d’imaginer des solutions, et ainsi de permettre une utilisation efficace de la prison – y compris pour la société, dans la perspective de la prévention de la récidive. En effet, les conditions dans lesquelles les surveillants et les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation travaillent en maison d’arrêt remettent en cause leur efficience. L’instauration d’instances locales se réunissant à intervalles réguliers et jouant un rôle d’autorité de régulation en ce domaine pourrait donc constituer une solution intéressante. Mme Hazan a rappelé l’expérience de Dijon tandis que dans votre rapport, vous avez-vous-même repéré des expériences concluantes à Fresnes ou ailleurs. Il conviendrait d’approfondir cette piste afin de ne pas laisser son application dépendre du bon-vouloir des acteurs mais d’en faire un élément de gestion de la question pénitentiaire dans notre pays.

La troisième piste, combinée aux deux précédentes, consisterait à prévoir un seuil maximal de double occupation des cellules durant une période de trois ans – le moratoire demandé faisant mention d’une telle durée. Cette piste pourrait être un moyen de parvenir progressivement à l’encellulement individuel en maison d’arrêt.

L’idée de la double occupation est tirée d’un principe de réalité puisqu’il sera difficile de parvenir, avant le 25 novembre, à appliquer le principe d’encellulement individuel. J’ai observé la manière dont les Canadiens avaient réagi, alors qu’ils étaient confrontés à un changement législatif tendant à une politique plus répressive. Anticipant une augmentation de la population carcérale, qui n’était pas contrebalancée par une évolution aussi rapide de la construction de nouvelles places de prison, les Canadiens ont instauré un principe de double occupation comme solution temporaire : celui-ci consiste à placer deux individus dans une cellule prévue pour loger une seule personne. Inacceptable au Canada, cette solution y a suscité beaucoup de tensions. Elle constituait pourtant une manière d’anticiper l’accroissement de la population carcérale. Les Canadiens ont néanmoins fixé un seuil maximal de 20 % de détenus en double occupation par établissement pénitentiaire. Je précise que les cellules du parc canadien sont plus petites que les nôtres. Si l’on en croit les statistiques figurant dans la circulaire de l’administration pénitentiaire, nos cellules font entre 5 et 11 m². Les Canadiens considèrent leurs cellules de 6 à 7 m² comme des cellules individuelles susceptibles de faire l’objet d’une double occupation, contrairement aux cellules de 5 m².

Je rappellerai que s’il est choquant chez nous que l’encellulement individuel ne soit pas respecté, on sait en outre que les personnes détenues ne sont pas que deux dans les cellules prévues pour une personne. Mme Hazan a fait allusion à l’installation de matelas au sol : de telles situations, que Pierre Victor Tournier connaît très bien, sont celles qui portent le plus atteinte à la dignité des personnes. Par conséquent, en attendant de résorber la surpopulation carcérale, ou de combiner les trois pistes qui précèdent, la double occupation pourrait constituer une solution a minima, à condition qu’un tel choix s’inscrive dans le cadre d’une réflexion exigeante que les Canadiens ont engagée et qui les a conduits à définir des critères d’attribution de cellules et d’exemption de ce principe – en fonction de la vulnérabilité et de la dangerosité respective des détenus.

En résumé, je souhaiterais réaffirmer l’intérêt de maintenir le principe d’encellulement individuel, ne serait-ce que parce qu’il donne sens à l’action pénitentiaire, même s’il est difficile à appliquer dans la réalité. Cet enjeu n’est pas uniquement d’ordre pénitentiaire mais relève de la nation puisque l’administration pénitentiaire exécute les décisions prononcées par l’autorité judiciaire : nous ne saurions réfléchir à l’encellulement individuel sans modifier nos pratiques judiciaires. Je sais que le numerus clausus, parfois évoqué comme l’une des solutions, n’est pas considéré aujourd’hui comme une option politiquement correcte. Mais ce qui importe, ce sont les solutions que nous pourrons élaborer ensemble pour rendre ce principe applicable.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Considérez-vous que nous avons manqué une occasion lors de la réforme pénale ? Aurions-nous dû intégrer le paramètre de la surpopulation carcérale dans nos débats d’alors en explorant les pistes que vous venez d’évoquer ? Quelle plus-value l’instance de régulation locale que vous avez proposé de créer apporterait-elle selon vous ? On pourrait en effet considérer que la surpopulation carcérale ne concerne pas tant le préfet que les magistrats et l’administration pénitentiaire.

M. Paul Mbanzoulou. Outre le fait que le préfet est chargé de la sécurité, l’enjeu en cause a une portée transversale ne se limitant pas à l’institution judiciaire et à l’administration pénitentiaire. Il s’agit en réalité d’une question de société, l’opinion publique étant très sensible aux pratiques d’exécution des peines. De plus, lorsque j’évoque le préfet, je songe en réalité à l’ensemble des acteurs concernés par le contrat local de sécurité, l’objectif étant de conférer davantage de poids aux préconisations qui pourraient être formulées par cette instance locale. Dès lors que la solution du numerus clausus est exclue, les autorités qui prononcent des mesures et celles qui les mettent à exécution doivent pouvoir se parler afin d’assigner des seuils précis et des critères qu’il leur faudra définir – en termes de suroccupation et de difficulté à organiser les parloirs et à proposer des activités aux personnes incarcérées. La définition d’indicateurs chiffrés locaux pourrait s’avérer plus efficace que celle d’indicateurs nationaux, la situation des établissements pénitentiaires n’étant pas identique d’une direction interrégionale à une autre. C’est pourquoi je préconise la création d’une instance locale de régulation officielle se réunissant à intervalles réguliers et qui aurait pour objet d’examiner la situation d’occupation des établissements relevant de leur ressort.

Quant à savoir si une occasion a été manquée, j’ai eu le bonheur d’être auditionné par le rapporteur de votre commission préalablement à l’adoption de la loi du 15 août 2014 : j’avais alors regretté que l’accent que l’on avait souhaité mettre sur le milieu ouvert, en créant une peine qui n’ait comme référence que ce dernier, ait été légèrement dévié, puisque la possibilité d’une incarcération a été introduite. En même temps, cela fut l’occasion de beaucoup d’échanges, et notamment d’une conférence de consensus en amont. Il me semble donc que le débat a eu lieu. Mais le temps du débat diffère de celui qui est nécessaire à l’évolution des mentalités. Et le débat lui-même a sans doute souffert d’un antagonisme politique qui a empêché toute analyse objective et conduit à jeter l’anathème sur certaines réflexions. Cela a parfois eu pour effet d’inhiber des initiatives.

Par contre, la loi comprend une disposition intéressante : la possibilité d’instaurer des mesures de justice restaurative à chaque stade du procès pénal. Nous verrons comment cette disposition se traduira dans les faits, notamment dans le domaine de la médiation pénale. Si j’ai beaucoup écrit sur le sujet, j’ai aussi eu l’opportunité, lorsque j’étais professeur à l’université de Pau, d’être médiateur du procureur de la République pendant six ans, chargé des questions familiales – violences conjugales, non-présentation de l’enfant, abandon de famille. Je sais par conséquent que ces mesures peuvent permettre de rétablir le lien social et de responsabiliser les protagonistes mais aussi de désengorger les tribunaux.

L’occasion n’a donc pas été complètement manquée ; il convient à présent de continuer à nourrir notre réflexion générale sur la chaîne pénale. J’ai eu l’occasion d’animer la première expérience des rencontres détenus-victimes à la maison centrale de Poissy : si cette possibilité existe aujourd’hui dans la phase d’exécution de la peine, il reste beaucoup à construire afin que la prison ne soit plus toujours la bonne à tout faire du système pénal.

M. Dominique Raimbourg. Vous avez beaucoup étudié la relation entre détenus et surveillants. L’effort en faveur de l’encellulement individuel sera-t-il bien reçu par le personnel de surveillance, sachant que l’atmosphère qui règne dans les maisons d’arrêt dépend aussi de la manière dont les surveillants perçoivent les changements qui y sont opérés ?

Vous avez insisté sur l’opportunité de créer des instances locales de régulation. Or, la réforme pénale a créé une nouvelle instance, les états-majors de sécurité, au sein des conseils départementaux de prévention de la délinquance. Ces états-majors réunissent le préfet, le directeur de l’établissement pénitentiaire, le procureur, le directeur départemental de la sécurité publique et le colonel de gendarmerie : pensez-vous qu’ils pourraient constituer l’instance adéquate pour dialoguer sur l’utilisation de l’outil qu’est la prison ?

Enfin, si ce dialogue a lieu au sein d’une telle instance, comment faire en sorte que les décisions de cette dernière revêtent un caractère obligatoire pour tous de sorte que lorsque l’on atteint un taux de 120 à 130 % de suroccupation, on libère les détenus les plus proches de la date de leur sortie et l’on ralentisse les courtes peines – à même niveau de sécurité, comme le disait Pierre Victor Tournier ?

M. Paul Mbanzoulou. Il convient effectivement d’insister sur la nécessité de maintenir un même niveau de sécurité afin de ne jamais laisser penser qu’il s’agit de laxisme – celui-ci n’arrangeant ni les uns ni les autres. Il est envisagé de prévenir la récidive des personnes condamnées et de mettre les moyens nécessaires pour qu’une fois leur peine purgée, elles puissent tirer profit de cette parenthèse, non pas pour se maintenir dans la délinquance mais pour s’insérer dans la conformité de notre société.

De ce point de vue, si l’encellulement individuel est présenté comme un moyen de réduire la surpopulation carcérale, il améliorera aussi les conditions de travail des personnels de surveillance, et la sécurité des établissements pénitentiaires. Comme vous le savez, le personnel de surveillance entretient parfois un rapport de surenchère vis-à-vis de la population carcérale : lorsque l’on accorde un droit aux personnes détenues, les surveillants le vivent comme si un pouvoir leur était retiré. Enfin, les surveillants trouvent une plus-value à leur métier dès l’instant où ils peuvent s’engager dans des relations plus pacifiées avec les détenus : ces relations se traduisent par davantage d’écoute de la part de ces derniers ainsi que par des échanges réguliers avec eux, que ne permettent pas les conditions d’incarcération que nous avons évoquées.

Si la question de l’encellulement individuel est parfois biaisée, c’est lorsqu’on la présente uniquement comme étant motivée par la nécessité de respecter la dignité des personnes détenues – raison pour laquelle je ne l’ai pas abordée sous cet angle. Car si cela est pour nous chose entendue, un tel motif peut au contraire devenir un élément de clivage pour les personnels de surveillance. J’ai l’habitude de dire aux surveillants que si les détenus sont des ordures, alors ils sont des éboueurs, tandis que s’ils reconnaissent les détenus en tant que personnes humaines, ils seront en mesure d’exiger d’eux certaines choses. En d’autres termes, le regard que l’on porte sur la personne détenue rejaillit toujours sur l’image que l’on a de soi-même.

Enfin, s’il est sans doute possible de réfléchir à la notion de régulation au sein des états-majors de sécurité, je souhaiterais que l’on puisse se doter d’une instance qui aurait pour objet exclusif d’échanger tous les trois mois ou à échéance régulière sur les conditions de détention au sein des établissements pénitentiaires, sur les flux d’entrée et de sortie de ces établissements et sur la gestion des stocks. Dès lors que ces éléments feront l’objet d’un échange partagé, les professionnels seront suffisamment responsables pour trouver les solutions justes et légales.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Nous vous remercions pour votre contribution qui nous permettra de faire progresser notre réflexion.

La séance est levée à 18 heures.

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Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Laurence Dumont, M. Guy Geoffroy, M. Dominique Raimbourg, M. Alain Tourret, M. Jean-Jacques Urvoas

Excusés. - M. Sergio Coronado, M. Jean-Pierre Decool, M. Marc Dolez, M. Daniel Gibbes, M. Alfred Marie-Jeanne, Mme Sandrine Mazetier, M. Bernard Roman, Mme Maina Sage, M. Roger-Gérard Schwartzenberg

Assistait également à la réunion. - M. Joaquim Pueyo