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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mercredi 22 février 2017

Séance de 14 heures

Compte rendu n° 57

Présidence de M. Jean-Yves Le Bouillonnec, Vice-président

– Audition de Mme Agnès Roblot-Troizier, dont la nomination est envisagée par le Président de l’Assemblée nationale à la fonction de membre de la commission prévue à l’article 25 de la Constitution, et vote sur cette proposition de nomination dans les conditions prévues par l’article 29-1 du Règlement

La réunion débute à 14 heures.

Présidence de M. Jean-Yves Le Bouillonnec, vice-président.

La Commission examine, sur le rapport de M. Patrice Verchère, la nomination de Mme Agnès Roblot-Troizier à la fonction de membre de la commission prévue à l’article 25 de la Constitution, proposée par le Président de l’Assemblée nationale.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, président. Mes chers collègues, après avoir entendu, hier, M. Christian Vigouroux, dont la nomination est proposée par le Président de la République pour exercer la fonction de président de la commission prévue au dernier alinéa de l’article 25 de la Constitution, notre commission se réunit ce jour pour entendre Mme Agnès Roblot-Troizier, dont la nomination est proposée par le président de l’Assemblée nationale pour exercer la fonction de membre au sein de cette instance.

M. Patrice Verchère, qui a été désigné rapporteur sur cette nomination, a adressé un questionnaire à Mme Roblot-Troizier. Ses réponses ainsi que des éléments de biographie ont été adressés aux membres de la Commission le 21 février et les réponses ont été mises en ligne sur le site internet de l’Assemblée nationale. Cette audition est ouverte à la presse et retransmise en direct sur le portail vidéo de l’Assemblée nationale. À l’issue de cette audition, notre commission statuera sur cette nomination qui, conformément à l’article L. 567-1 du code électoral, ne pourra avoir lieu si les votes négatifs au sein de la commission représentent plus de trois cinquièmes des suffrages exprimés.

M. Patrice Verchère, rapporteur. Comme vient de l’indiquer M. le président, nous poursuivons nos auditions pour désigner deux membres de la commission prévue à l’article 25 de la Constitution. Nous avons entendu, hier, M. Christian Vigouroux, dont la nomination est envisagée par le Président de la République. Il nous appartient d’entendre également Mme Agnès Roblot-Troizier, que le président de l’Assemblée nationale souhaite désigner pour siéger dans cette commission, pour un mandat qui courra jusqu’en avril 2021.

Chacun étant désormais familier du rôle de cette commission en cas de redécoupage global ou partiel des circonscriptions législatives, je vous propose que nous entrions dans le vif du sujet.

Madame Roblot-Troizier, vous avez eu l’amabilité de nous transmettre, hier, vos réponses écrites au questionnaire que je vous avais adressé. Je souhaiterais revenir sur quelques-unes d’entre elles.

Vous indiquez dans votre réponse à ma quatrième question qu’« il est temps d’envisager, à moyen terme, une révision du découpage des circonscriptions actuelles pour tenir compte des évolutions démographiques ». En quoi le découpage des circonscriptions législatives opéré en 2009 vous paraît-il périmé ? Regrettez-vous que la commission prévue à l’article 25 n’ait aucun pouvoir d’initiative en matière de révision du découpage ?

Hier, M. Vigouroux a insisté sur le secret des débats, votes et documents de travail de la commission, prévu à l’article L. 567-5 du code électoral. Comment, dans ces conditions, garantir la transparence du processus de redécoupage des circonscriptions législatives ? Faut-il permettre aux membres de la commission d’exprimer des opinions dissidentes ?

Enfin, je vous ai interrogée par écrit sur l’hypothèse d’un découpage réalisé sur la base du nombre d’électeurs inscrits. Vous répondez qu’il faudrait pour cela « que le Conseil constitutionnel accepte que la base démographique ne s’attache plus au nombre d’habitants, mais au nombre d’électeurs inscrits sur les listes électorales ». En quoi un changement de ce type, dès lors qu’il serait appliqué à l’ensemble des circonscriptions, méconnaîtrait-il le principe d’égalité devant le suffrage ou tout autre principe constitutionnel ?

Je vous remercie des précisions que vous voudrez bien nous apporter.

Mme Agnès Roblot-Troizier. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, je suis très heureuse et profondément honorée de m’exprimer devant vous afin que vous puissiez vous prononcer sur ma nomination en tant que membre de la commission prévue au dernier alinéa de l’article 25 de la Constitution. Il est assez singulier, pour la professeure de droit que je suis, d’être aujourd’hui face à votre commission. Il est tout aussi singulier, pour moi, d’envisager de siéger, si vous m’accordez votre confiance, dans une commission constitutionnelle chargée de rendre un avis sur la délimitation des circonscriptions législatives et la répartition des sièges des députés et des sénateurs. En effet, l’objet de mes études et de mon enseignement, c’est-à-dire les institutions et les procédures constitutionnelles, que j’observe avec le regard extérieur d’une universitaire, s’incarne tout à coup en une expérience concrète et personnelle.

J’ai le privilège d’avoir été désignée par le président de l’Assemblée, qui a proposé ma nomination en tant que « personne qualifiée » pour siéger dans cette commission indépendante que personne ne sait très bien comment nommer et que, faute de mieux, on désigne par référence à l’article de la Constitution qui en prévoit l’existence. Quand la proposition m’en a été faite, je l’ai immédiatement acceptée. Non pas parce que j’estimerais être la personne la plus qualifiée pour exercer la fonction, mais tout simplement parce que la mission dévolue aux membres de la commission m’intéresse et rejoint des préoccupations qui sont les miennes en tant que citoyenne et professeure de droit.

C’est forte de mon parcours, que je vais vous présenter brièvement, que je vous apporterai quelques précisions sur la manière dont je conçois la responsabilité qu’il vous appartient de me confier si vous m’en jugez digne.

Agrégée de droit public en 2008, je suis professeure des universités à l’École de droit de la Sorbonne de l’Université Paris 1, où j’ai été nommée en 2013. J’y enseigne le droit constitutionnel, particulièrement la justice constitutionnelle, le droit des libertés fondamentales et le contentieux administratif. Je codirige, depuis 2015, un Master 2 intitulé « Systèmes de justice et droit du procès », et je travaille au sein du Centre de recherche en droit constitutionnel. Avant d’être nommée à l’université Paris 1, j’ai été en poste à l’université d’Évry pendant cinq ans et j’ai parallèlement enseigné le droit des collectivités territoriales à l’Institut d’études politiques de Paris pendant trois ans.

Mes recherches portent principalement sur la jurisprudence constitutionnelle, à laquelle j’ai consacré ma thèse, intitulée Le contrôle de constitutionnalité et les normes visées par la Constitution française et qui traite de la constitutionnalité par renvoi. Le droit constitutionnel et la justice constitutionnelle sont encore au cœur de mes travaux, puisque j’ai notamment contribué à un ouvrage qui présente le droit constitutionnel de la Ve République à travers la jurisprudence, en particulier celle du Conseil constitutionnel.

Mon intérêt pour le contentieux constitutionnel s’est accru avec l’entrée en vigueur, en 2010, de la question prioritaire de constitutionnalité qui, outre la protection des droits qu’elle offre aux justiciables, a modelé de nouveaux rapports entre les juridictions et entre les contrôles qu’elles exercent, rapports auxquels je consacre une partie de mes recherches. Par le biais de l’étude de la jurisprudence constitutionnelle, je m’intéresse également à la protection des droits fondamentaux. Je suis responsable d’une chronique sur ce thème, publiée régulièrement dans Les Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, et j’ai consacré divers travaux à l’atteinte aux libertés qu’implique le régime de l’état d’urgence.

Les interactions entre ordres juridiques internes et européens et entre le droit constitutionnel et le droit administratif sont également au centre de mes thématiques de recherche. Ainsi, depuis dix ans maintenant, je publie, sur ces questions, une chronique dans la Revue française de droit administratif. C’est sous cet aspect que j’ai abordé l’encadrement constitutionnel du découpage des circonscriptions électorales.

Mes compétences en droit public m’ont valu, en 2012, l’honneur d’être désignée par le Président de la République pour siéger dans la Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique présidée par M. Lionel Jospin. Cette commission s’est penchée sur de nombreuses questions de droit constitutionnel relatives à la représentation politique et à l’exercice des responsabilités politiques. Parmi ces questions, la Commission s’est particulièrement intéressée au déroulement de l’élection présidentielle, au calendrier des élections présidentielles et législatives ainsi qu’aux règles qui leur sont applicables.

Ces différentes activités m’ont conféré une expérience en matière électorale. S’il ne s’agit pas d’une expérience de terrain, j’ai toutefois acquis une compétence, à tout le moins une connaissance, des questions et des enjeux juridiques des élections.

Plus généralement, la diversité de mes activités me conduit, depuis plus de quinze ans, à manier quotidiennement les concepts les plus fondamentaux du droit constitutionnel et à manipuler la conciliation des principes constitutionnels avec les motifs d’intérêt général poursuivis par le législateur. Or cette conciliation des règles constitutionnelles – le principe d’égalité devant le suffrage, notamment – et des considérations d’intérêt général est au cœur de la mission de la commission prévue à l’article 25 de la Constitution. Combinée aux compétences des autres membres de la commission, ma connaissance de la jurisprudence constitutionnelle pourrait donc, je crois, être utile à l’exercice de la mission dévolue à ses membres.

Je souhaite maintenant vous apporter quelques précisions sur la manière dont je conçois la responsabilité de membre de cette commission.

L’article 25 de la Constitution dispose que cette commission est indépendante. Cette indépendance, comme le précise le code électoral, implique que ses membres ne peuvent exercer de mandat électif ni recevoir d’instruction d’aucune autorité. Plus largement, l’exigence d’indépendance et d’impartialité me semble impliquer qu’ils ne sauraient avoir d’engagement politique, de quelque nature que ce soit, pendant toute la durée de leur mandat. Ainsi, ils ne sauraient ni exercer de fonctions dans un parti politique, ni représenter directement ou indirectement les intérêts d’un parti politique, ni représenter l’autorité qui les a nommés. Ils doivent, en outre, exercer leurs fonctions avec impartialité.

L’article 25 de la Constitution attribue à la commission une compétence juridique et technique, non politique, alors que le sujet qu’elle a à traiter est éminemment politique.

L’indépendance est inhérente à mon statut d’enseignant-chercheur : elle est constitutionnellement garantie et, surtout, consubstantielle à la manière dont je conçois mon métier. Je n’exerce actuellement et n’ai jamais exercé aucune activité partisane ni fonction élective, que ce soit au niveau national ou local.

Mon métier de professeure d’université, ma connaissance des principes fondamentaux de la jurisprudence constitutionnelle et mon absence d’affiliation partisane doivent me permettre de tendre vers l’idéal d’objectivité, de neutralité, en un mot : d’impartialité, qui est attendu des membres de la commission prévue à l’article 25 de la Constitution.

Je me présente devant vous comme une candidate, non pas pétrie de certitudes, mais passionnée et enthousiaste à l’idée de siéger dans cette commission et ayant la volonté d’exercer la fonction avec sérieux, discrétion, indépendance et impartialité.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, président. Je vous remercie, madame la professeure. Puis-je vous inviter à répondre dès à présent aux questions de notre rapporteur ?

Mme Agnès Roblot-Troizier. Volontiers, monsieur le président.

Monsieur le rapporteur, vous m’avez demandé tout d’abord en quoi le découpage des circonscriptions législatives opéré en 2009 me paraissait périmé. Ainsi que vous l’indiquez dans le questionnaire que vous m’avez adressé, ce découpage est fondé sur le recensement effectué en 2006, soit il y a plus de dix ans. Or j’observe que, dans un certain nombre de démocraties occidentales, il est prévu une révision périodique, tous les cinq à dix ans en moyenne, du découpage des circonscriptions électorales. Du reste, le comité présidé par M. Édouard Balladur avait proposé qu’une telle révision ait lieu tous les dix ans. Je souscris à cette proposition. C’est pourquoi il est temps, me semble-t-il, d’envisager un redécoupage à moyen terme. J’ajoute qu’en conférant à celui-ci un caractère automatique, on contribuerait à apaiser le débat dont il fait l’objet car il apparaîtrait moins, aux yeux de l’opinion publique, comme le fruit d’une pure opportunité politique.

Vous m’avez également interrogée sur l’absence de pouvoir d’initiative de la commission. Celle-ci ne peut en effet s’autosaisir. Toutefois, il me semble que l’obligation faite au Premier ministre ou aux présidents des assemblées de la saisir de tout projet ou proposition de loi relative au découpage des circonscriptions pallie d’une certaine manière l’absence d’auto-saisine. En outre, la commission dispose d’une certaine marge de liberté dans son appréciation du champ de la saisine. Ainsi la précédente commission, présidée par Yves Guéna, s’est-elle saisie, en 2009, de l’ensemble du découpage électoral, y compris des circonscriptions qui n’étaient pas affectées par l’ordonnance. Enfin, la commission n’a aucun pouvoir de décision ; elle rend un avis dans lequel elle répond à la question qui lui est posée par les autorités de saisine, et il me semble que le système fonctionne plutôt bien ainsi.

En ce qui concerne le secret des débats, je crois que la transparence qui doit être recherchée est celle de l’opération de découpage des circonscriptions électorales. Or elle me paraît suffisamment garantie par le caractère public de l’avis rendu par la commission, car le Gouvernement devra justifier, le cas échéant, les raisons pour lesquelles il décide de ne pas suivre cet avis. Le secret des débats m’apparaît plutôt comme une bonne chose en ce qu’il permet aux membres de la commission de s’exprimer plus librement, cette liberté étant un des éléments de leur indépendance et de leur impartialité. Quant à l’expression d’opinions dissidentes, c’est un point sur lequel je suis très partagée, qu’il s’agisse de cette commission ou d’une juridiction.

Vous m’avez enfin interrogée sur l’hypothèse d’un découpage réalisé sur la base du nombre des électeurs inscrits plutôt que sur celui des habitants. Pour l’instant, le Conseil constitutionnel se réfère, dans sa jurisprudence, à une base « essentiellement démographique », laquelle renvoie, me semble-t-il, à la population dans son ensemble. Cela signifie-t-il pour autant qu’il refuserait un changement en la matière ? Je n’en suis pas certaine. En effet, s’il a censuré, dans une décision du 8 janvier 2009, une disposition législative visant à prendre en compte le nombre des électeurs inscrits plutôt que celui des habitants, il l’a fait, non pas en raison de cette référence aux électeurs inscrits, mais parce que la disposition était trop imprécise. En effet, l’auteur de l’amendement visait essentiellement Mayotte et la Guyane, mais sa rédaction ne le précisait pas, de sorte qu’elle permettait de retenir tantôt le nombre d’habitants, tantôt le nombre d’électeurs inscrits, sans critères précis. En résumé, si le Conseil constitutionnel se réfère, dans sa jurisprudence actuelle, à un critère démographique qui renvoie à la population, il ne me paraît pas constitutionnellement interdit de choisir un autre critère, pourvu que celui-ci soit appliqué à l’ensemble des circonscriptions électorales.

M. Guillaume Larrivé. Je souhaiterais revenir sur la définition de la population à prendre en compte pour le découpage des circonscriptions. En réalité, il me semble qu’il existe trois options en la matière. On peut en effet retenir soit la population en tant qu’addition des habitants, étrangers comme français, du territoire, soit les Français, majeurs et mineurs, soit les électeurs inscrits. C’est au législateur de choisir, en opportunité politique – au sens plein du terme –, laquelle de ces options il privilégie, étant entendu que le découpage doit, en tout état de cause, respecter le principe d’égalité devant le suffrage – ce qui exclut « l’amendement Dosière » que vous avez mentionné, puisqu’il introduisait une sorte de distorsion à raison du lieu.

Ce choix d’opportunité est-il conforme aux principes constitutionnels ? Je le crois plutôt ; je suis assez d’accord avec vous sur ce point. Certes, M. Christian Vigouroux nous rappelait, hier, qu’en 1927 la question avait été posée lors d’un débat à la Chambre des députés et que le ministre de l’Intérieur d’alors, Albert Sarraut, s’était prononcé en faveur de la prise en compte de l’ensemble de la population. On pourrait donc penser que, du fait de cette constance, cette règle est un principe fondamental reconnu par les lois de la République. Mais le Conseil constitutionnel n’a pas énoncé ce principe. J’en tiens donc plutôt pour la thèse selon laquelle il appartient au législateur de choisir en pure opportunité le critère qui doit être retenu pour l’élection des députés. Au demeurant, ceux-ci sont les élus de la nation, laquelle – pardonnez-moi cette tautologie – est constituée de l’addition des nationaux. Il ne me paraîtrait donc pas irrationnel que les députés soient élus dans des circonscriptions découpées, non pas en fonction du nombre d’habitants, ce qui inclut les ressortissants étrangers – lesquels sont tout à fait respectables en tant que tels, mais ne sont pas des nationaux, donc des citoyens appelés in fine à participer à la souveraineté nationale –, mais en fonction du nombre d’inscrits sur les listes électorales.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Je rappelle, monsieur Larrivé, que la loi détermine les conditions dans lesquelles un national peut s’inscrire sur les listes électorales. Le législateur demeure compétent pour définir ces règles, qu’il peut donc éventuellement modifier.

M. Guy Geoffroy. Je commencerai, monsieur le président, en vous disant – et cette remarque ne vise pas Mme Roblot-Troizier – mon étonnement face au calendrier de ces auditions. Cela fait maintenant presque deux ans que les sièges pour lesquels sont proposées les nominations de M. Vigouroux et de Mme Roblot-Troizier sont vacants, et je m’interroge sur cette situation totalement anormale.

Madame Roblot-Troizier, vous estimez, et je suis assez d’accord avec vous, qu’une clause de « revoyure » systématique contribuerait à dissiper le lieu commun selon lequel toute modification de la carte électorale est forcément le fruit d’une cuisine politique motivée par des pensées éloignées des équilibres démocratiques. Mais cette proposition soulève une question qui touche à la nature même de nos modes de scrutin, lesquels, vous le savez, n’ont aucune valeur constitutionnelle.

En 1958, le général de Gaulle avait indiqué qu’il lui paraissait nécessaire que le scrutin majoritaire uninominal à deux tours fût retenu pour les élections législatives qui devaient avoir lieu à la fin de l’année, afin de rompre avec l’instabilité politique qui caractérisait la IVe République, instabilité dont la responsabilité incombait en grande partie, selon lui, aux modes de scrutin en vigueur. Cependant, il n’excluait pas que pût être appliqué, à un moment ou à un autre, un mode de scrutin différent. Du reste, en 1986, les députés ont été élus au scrutin proportionnel intégral par département, ce qui a suscité les débats que l’on sait. Ma question est précise : estimez-vous utile, voire nécessaire, que le mode de scrutin pour les élections législatives soit de rang constitutionnel ? De fait, la clause de revoyure aurait bien peu d’effets si apparaissaient régulièrement des scénarii de modification du mode de scrutin. Or on parle beaucoup, par exemple, d’un mode de scrutin mixte, à la fois uninominal et proportionnel.

M. Jean-Luc Warsmann. Je veux tout d’abord, madame Roblot-Croizier, saluer la qualité de votre présentation et de votre parcours. Vous avez rappelé combien il était important que les membres de cette commission soient indépendants. Je dois dire, après M. Geoffroy, qu’il n’est pas très heureux que nous examinions des propositions de nomination les deux derniers jours de la législature ; je regrette infiniment qu’il en soit ainsi.

Deuxièmement, M. Larrivé a expliqué que la prise en compte, pour la délimitation des circonscriptions, du nombre des électeurs inscrits respecterait le principe de l’égalité devant le suffrage. Comme je l’ai indiqué hier, nous avons facilité, au cours de cette législature, l’inscription sur les listes électorales, de sorte qu’à partir de 2018 celles-ci devraient être de meilleure qualité. Il serait cohérent d’en tirer les conséquences en fondant le redécoupage sur le nombre d’électeurs inscrits.

Troisièmement, je souhaiterais connaître votre avis sur la représentation des Français de l’étranger. Traditionnellement, celle-ci était assurée par le Sénat mais il a été décidé, sous la législature précédente, que les Français de l’étranger éliraient également des députés. Ne faut-il pas choisir l’un de ces deux modes de représentation ?

Enfin, ne pensez-vous pas qu’élire les députés selon deux modes de scrutin différents – les uns étant élus dans des circonscriptions, les autres sur une liste nationale – soulèverait un problème d’ordre constitutionnel ? On a admis ce mode de scrutin mixte pour l’élection des sénateurs afin de tenir compte de la démographie des différentes circonscriptions, mais les électeurs ne votent pas deux fois et n’élisent pas deux types de parlementaires.

Mme Françoise Descamps-Crosnier. Tout d’abord, je vous remercie, madame la professeure, pour votre exposé liminaire, dans lequel vous avez retracé votre cheminement professionnel, ce qui nous permet de mieux vous connaître. Vous nous avez également expliqué les raisons qui ont déterminé votre choix d’accepter de participer à cette commission, en soulignant les qualités qui sont les vôtres : la passion, mais aussi le sérieux, la discrétion et l’indépendance, qui sont indispensables pour siéger dans une telle commission. À ce propos, je tiens à dire que l’urgence dans laquelle nous sommes tenus de prendre notre décision n’enlève rien aux qualités des candidats.

L’idée d’une révision périodique du découpage électoral me paraît intéressante, dans la mesure où elle éviterait que ce découpage ne soit considéré dans l’opinion comme une opération de cuisine politique, voire un charcutage.

Par ailleurs, le principe d’égalité est un principe fondamental et il doit guider la délimitation des circonscriptions électorales. À cet égard, vous avez rappelé que le Conseil constitutionnel considérait que le découpage devait reposer sur une base « essentiellement démographique » ; l’adverbe « essentiellement » est important car il permet d’envisager que soient retenus d’autres critères, notamment pour tenir compte de la situation géographique de certains territoires. M. Geoffroy a évoqué, par ailleurs, la question du mode de scrutin. En combinant ces différents paramètres, on peut aboutir, me semble-t-il, à des solutions plus justes et plus respectueuses du principe d’égalité. Qu’en pensez-vous ?

Mme Agnès Roblot-Troizier. En ce qui concerne le respect du principe d’égalité dans le redécoupage des circonscriptions législatives, il est précisé dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel que ce redécoupage doit être effectué sur des bases « essentiellement démographiques ». Or, « essentiellement » ne signifie pas « uniquement ». De fait, le Conseil constitutionnel admet que des impératifs d’intérêt général puissent atténuer une application rigoureuse du principe d’égalité. Ces impératifs renvoient, dans sa jurisprudence, à des contraintes géographiques, telles que l’insularité, ou démographiques, notamment la densité de population. Même si cela ne figure pas expressément dans la jurisprudence, il importe que ces critères correspondent à des situations objectives : le législateur peut tenir compte de telles contraintes dès lors qu’elles peuvent être objectivement constatées. Le principe d’égalité reste le premier des principes qui doivent guider le redécoupage des circonscriptions électorales, pour éviter le « charcutage » que vous avez évoqué.

Plusieurs d’entre vous m’ont interrogée sur la révision périodique du découpage des circonscriptions. Une telle révision me semble être une bonne chose. Doit-elle être assortie, comme l’a proposé M. Geoffroy, de l’inscription du mode de scrutin dans la Constitution ? En l’état actuel du droit, celui-ci relève de la compétence du législateur. De manière générale, je ne suis pas très favorable à ce que tout soit inscrit dans la Constitution, laquelle définit les principes fondamentaux et constitue un carcan pour les parlementaires. La tendance actuelle à élever certains domaines dans la hiérarchie des normes connaît, me semble-t-il, des dérives. Ce qui relève du niveau réglementaire est élevé au niveau législatif, ce qui est du niveau législatif relève des lois organiques et ce qui relève des lois organiques est inscrit dans la Constitution. Cette escalade de normativité, en quelque sorte, ne me paraît pas saine et risque de créer parfois des blocages. Néanmoins, je n’ai pas une position tranchée sur ce point.

En ce qui concerne la base qui doit être prise en compte pour le découpage des circonscriptions, il appartient en effet au législateur de faire ce choix en opportunité. Existe-t-il un principe fondamental reconnu par les lois de la République qui empêcherait de revenir sur la règle traditionnelle selon laquelle la base prise en compte est la population ? En l’état, non, mais je ne peux évidemment parier sur l’évolution de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Néanmoins, je ne suis pas certaine que l’ensemble des critères d’identification d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République soient réunis, puisqu’il me semble, sous réserve d’une étude approfondie, qu’en 1919 le découpage des circonscriptions n’était pas fondé sur la population.

Quant à la représentation des Français de l’étranger à l’Assemblée nationale, elle me semble poser, du point de vue du découpage des circonscriptions, deux problèmes : le premier tient à la taille de ces dernières, qui sont parfois extrêmement vastes, le second au mode de scrutin majoritaire uninominal, qui ne me paraît pas parfaitement adapté à des circonscriptions aussi étendues. Du reste, je crois me souvenir que la Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique avait proposé que soit instauré un scrutin proportionnel pour la représentation des Français de l’étranger. En outre, le découpage de certaines de ces circonscriptions est un peu baroque.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, président. Je vous remercie, madame la professeure, pour la brièveté et l’exhaustivité de vos réponses.

J’invite maintenant le public à quitter la salle afin que notre commission puisse statuer.

Délibérant à huis clos, la Commission procède au vote au scrutin secret, en application de l’article L. 567-1 du code électoral, sur la nomination de Mme Agnès Roblot-Troizier comme membre de la commission prévue au dernier alinéa de l’article 25 de la Constitution.

Il est procédé au scrutin par appel nominal.

Les résultats du scrutin auquel il a été procédé sont les suivants :

Nombre de votants : 12

Bulletins blancs, nuls ou abstentions : 4

Suffrages exprimés : 8

Avis favorables : 8

Avis défavorables : 0

La Commission émet un avis favorable à la nomination de Mme Agnès Roblot-Troizier à la fonction de membre de la commission prévue au dernier alinéa de l’article 25 de la Constitution.

La réunion s’achève à 14 heures 40.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Ibrahim Aboubacar, M. Christian Assaf, Mme Colette Capdevielle, M. Jean-Michel Clément, M. Marc-Philippe Daubresse, Mme Françoise Descamps-Crosnier, M. René Dosière, M. Guy Geoffroy, M. Guillaume Larrivé, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, M. Pascal Popelin, M. Patrice Verchère, M. Jean-Luc Warsmann

Excusés. - Mme Huguette Bello, M. Sergio Coronado, M. Marc Dolez, Mme Laurence Dumont, Mme Sandrine Mazetier, M. Joaquim Pueyo, Mme Maina Sage, M. Roger-Gérard Schwartzenberg