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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mission d’évaluation et de contrôle

La conduite des programmes d’armement en coopération

Jeudi 6 juin 2013

Séance de 11 heures 30

Compte rendu n° 42

Présidence de M. Jean Launay, co-rapporteur

– Audition de Mme Astrid Milsan, sous-directrice services, aéronautique et défense au sein de l’Agence des participations de l’État (APE), sur le thème : « La conduite des programmes d’armement en coopération ».

M. Jean Launay, rapporteur. Nous accueillons à présent Mme Astrid Milsan, sous-directrice services, aéronautique et défense au sein de l’Agence des participations de l’État.

Mme Astrid Milsan, sous-directrice services, aéronautique et défense au sein de l’Agence des participations de l’État (APE). L’Agence des participations de l’État incarne les missions de l’État actionnaire. Sa vision des programmes d’armement en coopération est nécessairement très partielle, en tout cas beaucoup plus limitée que celle de la Direction générale de l’armement (DGA), puisqu’elle est celle de l’actionnaire des principales entreprises d’armement que sont EADS – European aeronautic defence and space compagny –, Thales, Safran, DCNS, Nexter et très indirectement Dassault. En somme, nous appréhendons le sujet des programmes d’armement en coopération au travers de nos seules entreprises et essentiellement de leurs organes sociaux.

Pour autant, l’État a des préoccupations un peu plus larges que celles d’un actionnaire de droit commun. C’est ainsi que nous nous attachons à promouvoir en matière de défense une stratégie pour nos entreprises leur permettant de rester compétitives à l’export. Nous veillons à ce qu’elles parviennent à préserver leur capacité d’autofinancement dans le cadre de leurs programmes. Nous menons des réflexions stratégiques sur la consolidation de ces entreprises. Au surplus, nous prenons en compte, en étroite collaboration avec la DGA, les besoins d’approvisionnement des armées propres à garantir l’indépendance stratégique de la France. Tous ces éléments viennent s’ajouter à notre préoccupation première, la valorisation du patrimoine de l’État.

Enfin, nous nous préoccupons de la préservation de l’emploi industriel et de la compétence des industriels sur le territoire.

M. François Cornut-Gentille, rapporteur. Le dernier rapport de l’Agence des participations de l’État, intitulé « L’État actionnaire », indique que l’Agence compte mener une réflexion au sujet des implications des contraintes budgétaires sur les dépenses d’armement et sur la reconfiguration d’une industrie européenne encore très fragmentée. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur ce point ?

Dans le cadre de votre collaboration avec la DGA, abordez-vous des points précis ou avez-vous une approche globale ? Autrement dit, sur quels sujets la rencontrez-vous, à quelle fréquence et à quel niveau ?

Mme Astrid Milsan. L’un des bureaux dont j’ai la charge en tant que sous-directrice en charge des questions de défense, aéronautique et services se consacre exclusivement aux questions de défense, avec un chef de bureau et trois adjoints. Nos rapports avec la Direction générale à l’armement sont quotidiens.

Premièrement, l’APE étant réglementairement chargée d’assurer la cohérence des positions des représentants de l’État aux conseils d’administration des entreprises, elle prépare ces conseils de manière très privilégiée avec la DGA. En effet, comme nous siégeons dans toutes les entreprises de défense dont nous sommes actionnaires et que la DGA y est également représentée en tant que représentant de l’État, il n’y a pas une position qui n’ait été concertée avec elle.

Deuxièmement, nous rencontrons la DGA sur tous les sujets relatifs à la défense. D’abord, nous tenons des réunions communes quotidiennement sur la consolidation du secteur de la défense. Ensuite, nous menons conjointement et de façon très régulière des réflexions stratégiques sur les entreprises – pratiquement toutes nos réunions stratégiques avec les entreprises se font avec elle. Par ailleurs, nous abordons en permanence avec la DGA des modalités d’instauration d’une action spécifique ou des modalités contractuelles, comme ce fut le cas lorsque SNPE a cédé la SME à Safran, opération dont les incidences en matière de dissuasion nucléaire étaient importantes. De plus, nous discutons avec la DGA des projets d’acquisition. Pour EADS et BAE, par exemple, nous avons mené l’année dernière trois mois de réflexion conjointe en assistant à toutes les réunions avec nos conseils financiers et juridiques ; les négociations sur le changement de gouvernance de EADS aussi bien avec l’entreprise qu’avec les actionnaires allemands se sont tenues en présence de la DGA. Dans ces discussions, l’APE était leader puisqu’elle représentait les intérêts de l’État actionnaire, mais la DGA était présente au regard de la défense des intérêts stratégiques de la France. Quand je parle de la DGA, je fais référence à la partie service des industries de défense – et non à la partie programme.

En définitive, nos méthodes de travail sont assez proches et nos préoccupations sur le fond des dossiers se rejoignent.

La baisse inéluctable des budgets militaires a un impact considérable sur la capacité de la France à maintenir à la fois sa base industrielle sur le territoire et sa compétitivité à l’exportation. Dans ce contexte, la DGA et nous-mêmes avons parfaitement conscience que la seule solution permettant de satisfaire les besoins de l’État client et de maintenir la compétitivité de nos entreprises est de favoriser l’export et, par conséquent, de faire en sorte que les programmes français ne se traduisent pas par un déséquilibre économique pour nos entreprises – d’où la nécessité de programmes de coopération intelligents.

Il est certain que la baisse des budgets militaires européens se traduira à l’avenir par un vaste mouvement de consolidation du secteur de la défense en Europe. En effet, toutes les entreprises d’armement européennes ont les mêmes préoccupations que les nôtres du fait non seulement de la baisse des budgets militaires, mais aussi d’une compétition à l’export de plus en plus féroce entre pays européens et avec les pays émergents. Par exemple, si l’opération de rapprochement entre EADS et BAE avait été réalisée l’année dernière, elle aurait incontestablement entraîné une vaste chaine de conséquences sur le secteur : Thales se serait immédiatement positionné, DCNS se serait interrogé sur son avenir, et Safran aurait également été concerné. Nous réfléchissons avec la DGA sur le ou les schémas optimaux pour la défense de nos intérêts conjoints – de l’État client et de l’État actionnaire –, afin d’être prêts lorsqu’un premier mouvement se présentera, qui concernera soit nos entreprises – et nous devrons nous déterminer en tant qu’actionnaire –, soit des entreprises européennes en produisant des conséquences en chaîne sur nos entreprises. Ainsi, nous nous attachons à examiner tous les scénarios possibles, sachant que si l’un d’eux venait à être concrétisé, nous ne serions pas les seuls décideurs. En tout cas, nous souhaitons être proactifs en la matière.

M. Jean Launay, rapporteur. Quel reporting faites-vous au ministère du redressement productif sur la problématique de la préservation de l’emploi industriel ?

Mme Astrid Milsan. Nous réalisons auprès de l’ensemble de nos entreprises – pas seulement celles du secteur de la défense – une enquête annuelle sur les enjeux industriels et sociaux en termes d’évolution de l’emploi et des compétences, tous ces éléments étant synthétisés dans le rapport de l’État actionnaire.

Nous veillons bien évidemment à ces questions dans le cadre des conseils d’administration. La question de l’emploi se pose essentiellement en cas de projet de localisation ou de projet de création ex nihilo d’activités en dehors de la France. Dans ce cadre, nous sollicitons généralement des instructions auprès du ministre. Cette dimension de l’emploi n’est cependant pas la seule que nous prenons en compte – il y a également la dimension patrimoniale dont la défense reste notre mission première. Pour EADS, par exemple, dans le conseil d’administration duquel nous ne siégeons pas, l’ancien système de gouvernance nous conférait un droit de veto sur des projets d’importance, et nous avons été consultés sur l’implantation d’une usine dans l’Alabama pour l’assemblage des Airbus. Dans notre analyse, nous avons pris en compte à la fois l’aspect patrimonial et les aspects industriels et sociaux pour l’entreprise, et nous nous sommes prononcés favorablement sur ce projet après avoir estimé qu’il n’y aurait pas d’impact sur les usines de Toulouse et de Hambourg.

M. Jean-Jacques Bridey, rapporteur. L’État a-t-il une vision stratégique pour nos grands groupes industriels ? En d’autres termes, est-il à la manœuvre pour impulser en amont des regroupements en Europe, des mutualisations en matière de recherches, des développements de produits, etc. ?

Mme Astrid Milsan. L’État client et actionnaire est à la manœuvre – l’État actionnaire à la hauteur de ce qu’il représente : il est minoritaire dans les trois grandes entreprises que sont Safran, EADS et Thales. Néanmoins, qu’il soit minoritaire ou majoritaire au capital des entreprises, il est minoritaire dans tous les conseils d’administration, conformément à la loi sur la démocratisation du secteur public. Même si cela limite notre marge de manœuvre, nous sommes proactifs sur tous ces sujets.

Un exemple. Des discussions ont eu lieu en 2011 et 2012, à l’initiative de l’État, entre Safran et Thales sur des rapprochements partiels dans les secteurs de la génération électrique, de la navigation inertielle et de l’optronique. Nous étions très favorables à ces rapprochements, bien sûr en tant qu’État actionnaire, mais aussi comme État client, au regard de la rationalisation des dépenses de financement des bureaux d’étude dans ces secteurs. Cependant, notamment en raison de l’opposition d’une des deux entreprises, l’État n’a pas été suivi. Au surplus, notre légitimité à nous exprimer en tant qu’État actionnaire a parfois été contestée. Or, comme tout actionnaire, et en dépit de procès d’intention qui nous sont faits sur le fait que nous ne défendrions pas les seuls intérêts des actionnaires, nous avons le droit de donner un avis. En l’occurrence, nous nous sommes exprimés, en qualité d’État client, mais surtout en tant qu’actionnaire. Le projet n’a abouti que partiellement, avec une coopération dans l’optronique entre Thales et Safran via la JV Sofradir. Ainsi, nous intervenons en soutien des projets, mais nos avis ne sont pas toujours suivis.

M. François Cornut-Gentille, rapporteur. Vos réflexions avec la DGA portent-elles uniquement sur le schéma général ou vont-elles jusqu’aux programmes eux-mêmes au regard de leur opportunité pour tel ou tel rapprochement dans l’intérêt stratégique de la France ?

Mme Astrid Milsan. Je précise que toutes nos réflexions sont en cours.

Si nous jugeons opportun le rapprochement de deux entreprises, l’existence d’un programme de coopération entre elles constitue déjà un facteur positif pour la réussite de l’intégration. Cela ne signifie pas que le programme de coopération implique nécessairement l’intégration.

En outre, nous pouvons estimer qu’un programme international est essentiel pour l’avenir de telle ou telle entreprise. C’est ainsi que la DGA et nous-mêmes avons cru fortement à la JV « Torpille » que DCNS entendait réaliser avec l’Allemagne, car elle nous semblait essentielle pour asseoir la compétitivité de l’entreprise à l’export. Pour l’heure, le dossier est gelé.

Voilà comment nous intégrons les programmes dans nos réflexions.

M. Jean Launay, rapporteur. La fin d’un programme d’armement en coopération a évidemment un impact sur l’exportation de nos entreprises. Avez-vous des discussions avec le ministère du commerce extérieur sur cet aspect ?

Mme Astrid Milsan. Nous discutons très régulièrement avec la Direction générale du Trésor sur le soutien à l’export de nos entreprises, mais de manière très informelle et sans échange d’informations privilégiées. L’État actionnaire reçoit de la part des entreprises des informations qui ne peuvent pas être diffusées au Trésor, et ce dernier – qui est d’ailleurs représenté au conseil d’administration de certaines de ces entreprises – a une vision globale sur les programmes de soutien qu’il ne peut partager avec nous.

M. Bruno Rémond, conseiller maître à la Cour des comptes. Si l’État est encore fortement présent dans DCNS, il l’est moins dans Safran et de manière très diluée dans EADS. Dès lors, le rôle de l’État est plus délicat à assumer qu’auparavant en matière de programmes d’armement en coopération.

M. Jean Launay, rapporteur. Merci beaucoup, madame, de tous ces éclaircissements.