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Mercredi 9 avril 2014

Séance de 16 heures 45

Compte rendu n° 7

Présidence de M. Jean-Christophe Fromantin, Président

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Florence Pinot de Villechenon, professeure à l’École supérieure de commerce de Paris (ESCP).

Mission d’information
sur la candidature de la France à l’exposition universelle de 2025

M. Jean-Christophe Fromantin, président de la Mission d’information. Nous accueillons Mme Florence Pinot de Villechenon, professeure à l’ESCP. Docteur en histoire des civilisations occidentales, Mme Pinot de Villechenon a rédigé plusieurs ouvrages sur la question des expositions universelles. Elle participe au projet ExpoFrance 2025 en tant que membre du Comité des Fondateurs, assure la coordination de la coopération académique d’ESCP Europe avec l’Amérique Latine et dirige depuis 2001 le CERALE – Centre d’études et de recherche Amérique Latine Europe. Elle enseigne par ailleurs à l’IHEAL – Institut des Hautes études d’Amérique Latine.

Les expositions universelles ont, depuis le 19ème siècle, contribué au développement économique et au rayonnement international des pays qui les ont accueillies. Dans le contexte actuel, une exposition universelle pourrait-elle produire les mêmes effets ? Avec quelles adaptations ? En bref, la France a-t-elle intérêt à déposer sa candidature pour accueillir l’exposition universelle de 2025 ?

Mme Florence Pinot de Villechenon, professeure à l’ESCP. Je suis très honorée par votre invitation.

Je vous propose dans un premier temps d’examiner sous un angle diachronique la façon dont les éléments intrinsèques des expositions universelles se sont mis en place. Ensuite je vous dirai quel sens aurait pour moi la tenue d’une exposition universelle en 2025, près de deux siècles après la première exposition.

En anglais, on emploie pour désigner l’exposition universelle le terme de fair. Les foires apparaissent dans l’histoire des civilisations dès l’Antiquité. Elles étaient alors souvent liées à un sanctuaire, un lieu sacré ou à une période précise de l’année et donnaient lieu à des échanges marchands. Par la suite se sont tenues les grandes foires du Moyen Age à Provins, à Francfort, mais aussi dans les Flandres, la Champagne, en Espagne et en Italie, au cours desquelles les marchands – tisserands, orfèvres – réalisaient des ventes directes. Mais ces rassemblements avaient pour but de faire se rencontrer l’offre et la demande et nullement de présenter les outils de production.

Avant la première exposition universelle proprement dite, qui s’est tenue au milieu du 19ème siècle, il y a 163 ans, une première exposition avait été organisée en 1699 dans la Grande galerie du Louvre pour présenter des machines, à la demande des membres de l’Académie des Sciences, aux côtés des peintures et des sculptures chères au Roi Soleil.

Il faudra ensuite attendre un siècle avant qu’un certain François de Neufchâteau, ministre du Directoire, s’inspirant d’une exposition industrielle qui s’était tenue à Prague quelques années auparavant, décide en 1798 de fêter l’anniversaire de la République en inaugurant au Champ-de-Mars la première d’une série de 11 expositions nommées « Expositions publiques des produits de l’industrie française ».

Ces expositions, dont la dernière aura lieu en 1849, avaient pour but de mettre en avant le savoir-faire de l’industrie française en essayant de rattraper le niveau des Britanniques, qui détenaient le leadership en la matière, et préfigurent, selon moi, les expositions universelles telles que nous les avons connues par la suite.

Les années 1850 sont marquées par l’essor industriel, le culte du progrès, la prééminence du modèle capitaliste, le développement des banques, l’apparition du rail et de la machine à vapeur, la production à grande échelle, la conquête des campagnes. Sur ce mouvement capitaliste se greffe une démarche de vulgarisation scientifique et d’éducation des peuples sous l’influence des Lumières, du Saint-Simonisme et du positivisme d’Auguste Comte.

C’est dans ce contexte que les Anglais tirent les premiers en organisant à Londres en 1851 la première exposition universelle. Cette initiative, placée sous le parrainage de la reine Victoria et du prince Albert, a donné naissance au musée londonien des arts décoratifs Victoria and Albert Museum.

La lutte entre les Anglais et les Français a commencé, ce qui a amené les Français à organiser en 1855 l’exposition universelle de Paris.

Nous retrouvons dans les expositions universelles une dimension « Olympiades du progrès », « arènes industrielles ». Ces termes ne recouvrent aucune agressivité mais témoignent de l’esprit de compétition qui règne entre les pays.

Il s’agit d’expositions universelles car tous les pays sont invités à présenter tout ce que peut réaliser le génie humain. Elles sont également internationales puisque toutes les Nations y sont invitées, même pour illustrer un thème restreint.

Cet étalage d’innovations aiguise le sens de l’émulation. En 1855, à Paris, la liste des médailles était devenue tellement longue que les organisateurs ont été amenés à classer l’ensemble des disciplines et à récompenser uniquement les meilleurs.

Une exposition universelle est souvent placée sous le signe de l’hyperbole. Il s’agit de présenter la plus grande pièce de chocolat jamais confectionnée, la plus grande réalisation en fer forgé jamais sculptée, la plus grande glace de Saint-Gobain…

Voilà pour la mission pédagogique dévolue aux expositions universelles, sous l’influence des Lumières et de l’Encyclopédie. Selon Diderot, il convenait de « dresser un tableau général des efforts de l’esprit humain ». Cette démarche, qui consiste à mettre à la portée des masses la vision des élites, engendrera le suffrage universel et légitimera la colonisation.

Le duel franco-britannique cessera rapidement puisque les Anglais n’organiseront que deux expositions, en 1851 et 1862. Quant aux Français, ils accueilleront cinq expositions qui se tiendront tous les 11 ans : en 1855, 1867, 1878, 1889 et 1900, ce qui fait de Paris la ville qui a cumulé le plus grand nombre d’expositions universelles. Bruxelles, San Francisco ou New York n’en ont pas accueilli plus de deux.

Le concept est vite adopté par les autres pays et de nombreuses villes organisent une exposition universelle. Cette multiplication des expositions, qui nuit à l’intérêt de chacune d’entre elles, aboutit à la signature de la Convention de 1928 et à la mise en place du Bureau international des expositions qui limitera la fréquence des expositions et fixera à cinq ans l’intervalle entre chaque exposition.

L’exposition de 1900, qui a lieu à Paris, réunit 50 millions de visiteurs, dont un grand nombre de visiteurs étrangers. C’est un chiffre incroyable que peu d’expositions atteindront par la suite.

Mais au tournant du siècle, la mystique du progrès et la foi inébranlable dans le progrès commencent à s’effriter. On prend du recul, on s’interroge sur le bien-fondé de la démarche, mais le camp des sceptiques n’est pas suffisamment puissant pour enterrer le concept d’exposition universelle.

Jusqu’en 1930, les expositions présentent des salles des machines en fonctionnement. Quant à la notion de fête, elle apparaît dès 1900 car on s’aperçoit que les expositions trop austères n’attirent pas le public. Or les expositions françaises bénéficient de subventions de l’État. Il convient d’équilibrer les comptes et pour cela il faut vendre le plus grand nombre de billets possible pour ne pas reproduire l’exemple de l’exposition de 1878 qui fut tellement austère qu’elle se solda par un fiasco total pour les finances de la ville et de l’État.

La première exposition qui a manifestement une dimension festive est celle de 1889, liée au Centenaire de la Révolution française, et cela grâce à l’arrivée de l’électricité qui a permis d’ouvrir l’exposition au public jusqu’à 23 heures.

Les expositions universelles sont en outre de vastes opérations de relations internationales et de promotion de la culture du soft power développée il y a moins de 20 ans par le professeur américain Joseph Nye. Ce « pouvoir doux » prend tout son sens pour un pays qui entend conserver des relations pacifiques avec ses voisins, entretenir son rayonnement et distiller une certaine influence sur la planète. Les expositions universelles ont largement contribué à l’émergence de ce pouvoir. Ainsi, lors de l’exposition de Séville en 1992, trois ans après la chute du Mur de Berlin, le pavillon de l’URSS a été rebaptisé pavillon de la Russie et les pavillons de l’Allemagne fédérale et de l’Allemagne démocratique ont été rapprochés.

L’exposition universelle de 1900 marque donc un tournant. La mystique du progrès s’effrite et l’on voit disparaître peu à peu les salles des machines. Les organisateurs, embarrassés devant l’ambition prétendue des expositions de cerner exhaustivement tout ce qu’est capable de produire le génie humain, décident de présenter des idées plutôt que des machines, ce qui favorise l’émergence de quelques thèmes. La première exposition mettant en avant un thème précis fut celle de Bruxelles en 1935, suivie de celle de New York en 1939. L’exposition qui s’est tenue à Paris en 1937 à Paris était spécifiquement dédiée aux arts et techniques de la vie moderne.

Après la deuxième guerre mondiale, il faudra attendre 1958 pour qu’ait lieu l’exposition de Bruxelles, avant celle de Montréal en 1967, celle d’Osaka en 1970 et, bien plus tard, celle de Séville en 1992.

En 1989, une exposition a été envisagée à Paris dans le cadre de la commémoration du bicentenaire de la Révolution française. Mais à la suite d’un désaccord entre François Mitterrand, chef de l’Etat, et Jacques Chirac, maire de Paris, opposé à la construction d’une dalle géante au-dessus des boulevards extérieurs et du périphérique, l’exposition n’a pas eu lieu.

Par la suite, la ville de Venise a également envisagé une exposition, mais celle-ci fut totalement rejetée par les Vénitiens.

Les expositions suivantes se sont tenues à Hanovre en 2000 puis à Shanghai en 2010. Les prochaines auront lieu à Milan en 2015, à Dubaï en 2020 et, je l’espère, à Paris en 2025.

La dématérialisation des expositions va de pair avec la mutation de notre appareil productif, qui est de moins en moins industriel.

Une autre tendance se fait jour. Après les grandes halles industrielles, nous voyons surgir dès 1878 des pavillons individuels, ce qui permet à chaque État de mettre en avant ses propres productions. Pédagogie oblige, les éléments présentés sont classés. Le sociologue Frédéric Le Play, afin d’améliorer la compréhension des visiteurs, conçoit un immense bâtiment en forme d’ellipse dont chaque rayon est dédié à un pays, chaque circonférence correspondant à un thème.

J’en viens aux différents éléments plaidant en faveur de l’organisation d’une exposition universelle.

Tout d’abord, les expositions universelles sont un moteur, un élan qui stimule l’émulation et produit d’innombrables innovations. Elles ont un effet de catalyseur. Quelques exemples : les fontaines lumineuses, qui ont été présentées à Barcelone en 1888 ; les jeux d’eau sonores, nés à Paris en 1937 ; l’associationnisme ouvrier, qui a vu le jour à Londres en 1862 ; l’orientalisme, apparu à Paris en 1855 ; c’est en 1867 que les premiers bateaux bus ont navigué sur la Seine pour fluidifier le déplacement des visiteurs, sans oublier le métro parisien dont les travaux ont été accélérés à la suite du chaos qui s’est produit lors de l’exposition de 1889.

C’est aux expositions universelles que nous devons en grande partie les arts décoratifs – car ils se trouvent au carrefour des arts et des techniques. Ainsi les premiers papiers peints ont été présentés au public en 1855, pour la plus grande satisfaction d’une bourgeoisie en demande de confort et de décoration. En 1900, le fameux pavillon de Siegfried Bing inaugurait l’art nouveau et c’est à Philadelphie qu’a été présentée pour la première fois l’armoire lit. Les habitations à bas coût ont été imaginées lors des expositions universelles et les premiers logements sociaux ont été présentés à Montréal en 1967 à travers le fameux quartier « Habitat 67 ».

En plus de leur effet catalyseur, les expositions ont une dimension pédagogique. Comme le soulignait Régis Debray à Séville en 1992, elles ont « un peu de Disneyland et un peu de Diderot ».

Le concept de congrès est également né dans le cadre des expositions universelles. Le Congrès international de la propriété industrielle, le Congrès de la propriété littéraire et artistique ainsi que l’Union postale universelle ont été inaugurés à Paris dans le cadre de l’exposition de 1867.

Par ailleurs, les expositions ont un impact sur les démarches normatives. Or dans un contexte de soft power et de guerre économique, les pays qui arrivent à imposer des normes sont les mieux placés dans la bataille économique.

L’exposition universelle représente en outre un véritable élan.

La mise en place d’une exposition et les traces qu’elle laissera constituent une énorme machine derrière laquelle il y a des personnes. L’exposition de Philadelphie, à la fin du 19ème siècle, a été voulue par un professeur de l’Indiana. San Francisco a connu deux expositions universelles, dont celle de 1894. Celle-ci, peu connue, est née de l’initiative d’un homme de presse qui tenait un stand lors de l’exposition organisée à Chicago l’année précédente, en 1893, pour célébrer le quatrième centenaire de la « découverte » de l’Amérique. Quant à l’exposition de Séville, on peut la rattacher aux figures de Felipe Gonzàlez, qui fut le premier chef de gouvernement de gauche dans une Espagne sortant de la dictature franquiste, et du roi d’Espagne qui invita les Nations des Amériques à participer au cinquième centenaire de la « découverte » de l’Amérique. À Montréal, c’est le maire de la ville, Jean Drapeau, qui a eu une influence capitale sur la tenue de l’exposition de 1967. Enfin, Marcel Dassault fut l’initiateur de l’exposition qui devait se tenir à Paris en 1989.

Les expositions universelles sont des lieux de fête. Je citerai en particulier la rue du Caire et la rue des Nations en 1900 à Paris, Midway Plaisance à Chicago en 1893, la Ronde à Montréal.

Elles sont aussi un moyen de promouvoir l’innovation : le téléphone, le phonographe, l’électricité, la télévision – dont nous voyons les premiers prototypes à New York en 1939 – les applications du laser, l’automobile, comme en témoigne la présence de Benz, Fiat, Renault, Peugeot et Ford à Paris en 1900.

À quel moment les entreprises sont-elles intervenues ? Cette question m’amène à évoquer notre modèle économique. En France, les expositions, cautionnées par le Gouvernement qui les subventionne, ont toujours été une affaire d’État. Les Britanniques n’ont pas suivi ce modèle. Quant aux États-Unis, ils privilégient la participation privée. À ma connaissance, la réticence dont ils ont fait preuve pour ratifier la Convention tient au fait qu’elle obligeait l’État d’accueil à apporter sa caution à la tenue d’une exposition. Nous, nous considérons que la caution de l’Etat apporte une garantie quant à l’organisation effective de l’exposition.

Les expositions faisant une place prépondérante aux techniques, on y retrouve les grands noms de nos savoir-faire, de Krupp à Peugeot en passant par Baccarat. Mais la participation des entreprises au sein de leur propre pavillon et la pratique du mécénat ne datent que de la deuxième moitié du 20ème siècle. Le même phénomène s’est d’ailleurs produit pour les Jeux olympiques.

M. le président Jean-Christophe Fromantin. Je vous remercie pour ce voyage dans le temps.

Mme Catherine Quéré. Vous dites, madame, que la prise en charge par l’État des expositions universelles est un phénomène français. Je m’étonne que des pays comme les États-Unis ou la Grande-Bretagne ne fassent pas de même puisque toutes les expositions universelles qui se sont tenues en France ont apporté leur lot d’innovations – métro, Tour Effet, Trocadéro – qui n’auraient jamais été réalisées par des entreprises privées.

Mme Florence Pinot de Villechenon. La Grande-Bretagne n’a organisé que deux expositions et les États-Unis guère plus. Votre question m’amène à différencier les investissements réalisés sur le site et les investissements qui vont au-delà. L’exposition universelle est un formidable accélérateur pour des équipements qui, de toute façon, devaient voir le jour. Les entreprises privées prennent souvent en charge l’aménagement du site, qui, aux États-Unis, peut atteindre 500 hectares, mais elles n’engagent jamais les investissements auxquels vous faites allusion, qui, eux, sont naturellement assumés par les finances publiques.

Mme Catherine Quéré. L’État américain a-t-il réalisé des constructions pérennes autour des sites des expositions ?

Mme Florence Pinot de Villechenon. Pas à ma connaissance. Il n’existe pas, à New York, Chicago, San Francisco ou Philadelphie, d’équipements associés aux expositions.

M. Yves Albarello. La question qui me taraude est notre capacité à mobiliser des financements. Dans quelques années sera réalisé le Grand Paris Express, dont les travaux devraient commencer en 2015, pour un investissement de plus de 35 milliards d’euros. Compte tenu des difficultés budgétaires auxquelles nous sommes confrontés, ce sera très compliqué. Notre volonté d’organiser une exposition universelle, ce dont tout le monde au demeurant se félicite, sera-t-elle suffisante pour mobiliser les financements nécessaires ?

Mme Florence Pinot de Villechenon. Votre question est légitime. Beaucoup de nos concitoyens, lorsque nous évoquons l’organisation d’une exposition universelle, nous demandent si nous n’avons pas de problèmes plus importants à régler…

Il n’est pas question d’abandonner le projet de Grand Paris car cela nous exclurait de la compétition. Il est clair que nous ne pouvons pas conserver notre réseau actuel. L’exposition doit faire partie d’un grand projet d’aménagement d’infrastructures pour devenir non pas un frein mais un accélérateur. Ainsi l’exposition de Séville était constitutive d’un plan plus vaste visant à désenclaver l’Andalousie.

Il faut préparer l’exposition très en amont, et c’est ce que nous faisons, et l’intégrer à un plan ambitieux de réaménagement du territoire. Les expositions universelles ont toutes imposé des opérations de chirurgie urbaine et la construction de nouvelles infrastructures.

M. le président Jean-Christophe Fromantin. Jusqu’où peut aller la dématérialisation d’une exposition universelle ? Quelle importance aura le numérique pour les expositions universelles au 21ème siècle ? Remettra-t-il en cause l’architecture et les formes habituelles d’expression ? Nous oblige-t-il à repenser le concept même de l’exposition et la manière dont nous la mettons en scène ?

Mme Florence Pinot de Villechenon. En d’autres termes, quelle est l’utilité d’une exposition universelle à l’heure où nous avons accès au savoir en deux clics sur une tablette ? C’est une question que certains se posaient déjà en 1900 devant l’essor des grands magasins parisiens et la multitude des produits qu’ils proposaient.

Le numérique acquiert son droit de cité à Osaka en 1970 mais plus encore à Séville en 1992. Aujourd’hui il est omniprésent. Nul doute qu’il façonne différemment le concept d’exposition. Jusqu’en 1910, le pavillon qui représentait la France à l’étranger était la réplique de Trianon, jusqu’à ce que, dans les années 1930, on décide qu’il doit en être autrement. Depuis nous privilégions des architectures novatrices, allant jusqu’à faire appel à des architectes comme Le Corbusier ou Niemeyer.

Le numérique peut certainement permettre certaines audaces, en particulier dans les domaines de l’animation – il permet de représenter l’histoire d’une cathédrale simplement en projetant des éclairages sur ses façades.

Nous pourrions sans doute imaginer une exposition universelle géante sur Facebook, consultable sur une tablette, mais nous ne ferons jamais l’économie d’un rassemblement de personnes au sein d’un lieu physique qui fait de l’exposition universelle un fabuleux vecteur de communication pour les villes d’accueil, les pays participants, les entreprises et les organisations internationales qui y installent leur pavillon. À l’instar de la tragédie grecque, l’exposition universelle répond à une unité de lieu, de temps et de thème. Le choix de celui-ci est capital : il doit être porteur et recueillir une audience élargie pour intéresser l’ensemble du territoire.

Le numérique a toute sa place, mais nous devons rester fidèles au code génétique de l’exposition universelle.

M. le président Jean-Christophe Fromantin. S’agissant du concept de territoire, qui nous préoccupe, deux écoles s’affrontent. Les uns préconisent un site unique et vierge de toute construction afin de laisser chaque pays participant s’exprimer – ce qu’ont fait les Chinois en 2010 et ce que prévoient les Italiens pour l’exposition de 2015 ; les autres préfèrent utiliser l’existant et insérer l’exposition dans la ville en utilisant le numérique pour revisiter les monuments. Il existe une solution intermédiaire, prônée par le secrétaire général du BIE, qui consiste à placer le cœur du projet au centre de Paris tout en développant des satellites sur le territoire du Grand Paris et dans les métropoles régionales. Qu’en pensez-vous ?

Mme Florence Pinot de Villechenon. Les expositions universelles sont toujours rattachées à une ville, même si ce sont les États qui invitent les participants. Les territoires sont également présents, surtout depuis les années 1950. Mais Paris, qui reste la première destination touristique au monde, constitue pour notre pays un atout phénoménal, même si, s’agissant de la façon dont nous accueillons les touristes, nous ne sommes que cinquièmes. Il ne faudrait pas que cette brèche s’élargisse.

Nous n’avons pas besoin, selon moi, d’aller chercher 120 ou 200 hectares de l’autre côté du périphérique ou à Marne-la-Vallée. La ville de Paris a toujours été un moteur en matière d’expositions universelles. Y situer la prochaine exposition renouerait avec une tradition, d’autant que le numérique nous permettrait de rendre cette opération de chirurgie urbaine la moins traumatisante possible. Nous devons conserver l’atout « capitale », tout en transportant l’exposition dans nos provinces et en attirant à Paris les métropoles régionales. Mais tout cela nécessite l’appui de la population.

M. Yves Albarello. Je m’associe aux propos du président et je suis d’accord avec vous, madame, sur la nécessité de situer l’exposition à Paris, comme le prouvent les exemples de Lisbonne, Shanghai et Milan, et cela d’autant que Paris fait toujours rêver le monde entier.

En revanche, nous avons les lacunes. Comme souvent, nous nous contentons du résultat sans regarder au-delà et sans anticiper ce que feront les autres. Or l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle, qui draine 70 millions de passagers par an et sera dans quelques années le premier aéroport européen, n’est pas encore relié à la capitale par un moyen de transport direct. Si nous voulons que Paris accueille une exposition universelle, il est impératif de permettre aux visiteurs de s’y rendre sans les obliger à prendre le RER B ou une autoroute saturée ! Je rappelle que l’exposition de Paris en 1900 est associée à la naissance du métropolitain : nous avons la chance extraordinaire de pouvoir rattacher l’exposition universelle de 2025 au Grand Paris Express, faisons-le ! L’exposition de 1900 a attiré 50 millions de visiteurs à Paris alors que les moyens de communications étaient quasiment inexistants – en comparaison, celle de Shanghai, en 2010, n’a attiré que 70 millions de personnes. Si Paris, capitale de la gastronomie, de la mode, de la culture, parvient à accueillir l’exposition en 2015, il faut préparer la ville à recevoir le monde entier.

Mme Florence Pinot de Villechenon. Les expositions universelles nous lancent des défis auxquels il nous appartient de répondre. Savez-vous que Thomas Cook, à l’occasion de la première exposition de Londres, a beaucoup contribué au développement du transport des populations ouvrières ?

Le projet d’une exposition universelle à Paris se trouve à la conjonction de plusieurs rêves. Paris fait rêver les Latino-américains, en particulier les Brésiliens, mais également les Chinois, les Coréens, les Cheiks arabes… L’exposition nous donnerait l’occasion de réincarner ce rêve, de faire rêver les jeunes, de rêver nous-mêmes, et de réfléchir à la façon dont nous nous percevons et dont nous perçoivent les autres pays. L’analyse de ces regards croisés est un sujet passionnant, une aventure superbe et un défi très stimulant pour un directeur d’exposition…

M. le président Jean-Christophe Fromantin. Dans le contexte que nous connaissons, face aux défis, aux enjeux, aux forces en présence et à la mondialisation, la France a-t-elle intérêt à organiser une exposition universelle ou à accueillir les Jeux olympiques ? Quels sont les atouts de l’exposition universelle ?

Mme Florence Pinot de Villechenon. Vous pouvez ajouter la Coupe du monde de football qui, comme l’exposition et les Jeux olympiques, est une joute pacifique qui fait appel au désir de se surpasser. Mais les Jeux olympiques, tout comme le Mondial de football, n’exigent que des compétences sportives et ne délivrent pas de message. Et même si près d’un milliard de téléspectateurs en suivent le déroulement, ils s’adressent essentiellement aux amateurs des disciplines sportives qui y sont représentées.

L’exposition universelle, elle, a une mission pédagogique, ne serait-ce que par le choix de son thème. En outre, c’est un projet infiniment plus structurant puisqu’il met en musique un thème et que l’unité de temps propre à la tragédie grecque est respectée, et cela pour une durée de six mois. La cible des expositions universelles est infiniment plus large que celle des événements sportifs.

Pour ce qui est du développement des infrastructures, en particulier des aéroports, il concerne toutes les manifestations.

Mme Catherine Quéré. Le retour sur investissements est certainement moins évident pour les Jeux olympiques car ils nécessitent des équipements sportifs qui ne seront utilisés que durant deux semaines, tandis que l’exposition, elle, dure six mois.

Mme Florence Pinot de Villechenon. Je ne suis pas spécialiste en la matière, mais il est clair que les infrastructures nécessaires aux Jeux olympiques ou au Mondial de football sont très spécifiques et sont difficiles à réutiliser par la suite.

M. le président Jean-Christophe Fromantin. Les pays qui posent leur candidature pour accueillir des Jeux olympiques sont souvent ceux qui mènent une politique publique de développement des infrastructures sportives et de mobilisation de la population vers la pratique du sport. Ce n’est pas la priorité de la France.

En revanche, depuis quelques années, tous les gouvernements ont la volonté d’améliorer l’innovation, la compétitivité, le rayonnement de la France, et de favoriser les mobilités. Une exposition universelle pourrait être un aboutissement ou l’une des étapes d’une grande politique publique de l’emploi et du progrès qui fait l’objet d’un consensus, même si les moyens d’y parvenir sont différents. Ce n’est pas le cas des Jeux olympiques, qui ne sont qu’un événement ponctuel. Cet argument donne du sens à notre candidature.

Mme Florence Pinot de Villechenon. En effet. La compétitivité et l’innovation sont des thèmes omniprésents dans les écoles de management. Or l’innovation est intrinsèquement liée aux expositions universelles. Quel gouvernement soutiendrait qu’il ne veut pas s’en occuper prioritairement ? Aucun.

Les expositions universelles stimulent l’audace et l’élan. Ce sont des mots magnifiques. Permettez-moi de vous citer Virgile qui, dans le chant X de l’Énéide, dit que « La fortune aide les audacieux ».

M. le président Jean-Christophe Fromantin. Je vous remercie.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur la candidature de la France à l'exposition universelle de 2025

Réunion du mercredi 9 avril 2014 à 16 h 45

Présents. - M. Yves Albarello, M. Jean-Christophe Fromantin, M. Bruno Le Roux, M. Hervé Pellois, Mme Catherine Quéré

Excusés. - M. Sylvain Berrios, Mme Marie-Odile Bouillé, M. Christophe Bouillon, M. Philip Cordery, Mme Martine Martinel