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Jeudi 5 juin 2014

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 19

Présidence de M. Jean-Christophe Fromantin, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Dominique Hummel, président du directoire du Futuroscope de Poitiers

Mission d’information
sur la candidature de la France à l’exposition universelle de 2025

M. le président Jean-Christophe Fromantin. Monsieur Hummel, avant de devenir président du directoire du Futuroscope de Poitiers en novembre 2002, vous avez été directeur général des services de la région Poitou-Charentes de 1994 à 1998, puis, de janvier 1999 à juin 2002, administrateur de PGA Motors, première entreprise européenne de distribution automobile qui compte 4 000 salariés.

Notre mission d’information travaille sur une candidature de la France à l’exposition universelle de 2025. Je rappelle que le dépôt du dossier auprès du Bureau international des expositions (BIE) aura lieu en 2016, et que le vote des 170 pays membres se déroulera en 2018.

Le principe des expositions universelles rejoint celui qui a présidé à la création du Futuroscope, lieu consacré à l’innovation et à la recherche, mais aussi aux loisirs et au tourisme. Il nous a donc paru judicieux de vous recevoir pour nous aider à répondre à la question que nous nous posons depuis le début de nos travaux : le Grand Paris et les grandes métropoles françaises peuvent-ils accueillir une exposition universelle ?

Entre 1855 et 1900, la France a vécu la grande saga des expos en misant sur l’innovation et la vulgarisation. La Galerie des machines, le Grand Palais ou la tour Eiffel ont permis de présenter de façon ludique les avancées technologiques afin que le grand public s’approprie le progrès. Demain, serons-nous en mesure, tout en promouvant l’innovation, nos entreprises petites et grandes, et nos start-up, de répondre aux défis de la modernité et d’accueillir le monde – je parle de 50 à 80 millions de visiteurs ?

Votre analyse du succès du Futuroscope nous intéresse particulièrement, ainsi que votre regard critique sur la perspective de candidature de la France pour l’organisation d’un événement auquel pourrait participer le parc que vous dirigez.

M. Dominique Hummel, président du directoire du Futuroscope de Poitiers. Prononcer les mots magiques « exposition universelle » renvoie à un imaginaire collectif puissant. Quelques idées émergent d’une histoire qui se raconte depuis la première exposition universelle de 1851. J’en évoquerai trois dont la pertinence mérite d’être interrogée aujourd’hui.

L’événement est tout d’abord inédit par sa puissance populaire. Nous connaissons peu d’exemple de manifestation qui réunisse des dizaines de millions de personnes tout en constituant un exceptionnel rendez-vous des nations. Même les Jeux olympiques, seul événement à pouvoir soutenir la comparaison, rassemblent moins de monde sur une période beaucoup plus brève. En 2012, 7 millions de spectateurs ont ainsi participé aux JO d’été de Londres durant deux semaines.

Ensuite, les termes « exposition universelle » renvoient plus ou moins confusément dans l’opinion, sinon au progrès, du moins à la modernité. Nous constatons cependant que ce dernier mot, qui pouvait autrefois qualifier le contenu même des expos, a progressivement eu tendance à s’appliquer davantage à leur forme, à l’architecture des pavillons et à l’environnement de l’exposition. La prouesse s’est déplacée, comme s’il était désormais plus difficile de présenter l’expérience de la modernité.

Enfin, les expositions universelles fondent leur succès sur le principe des trois unités – de temps, de lieu et d’action –, rassemblant une population considérable dans un espace très réduit pour une durée relativement limitée.

La puissance populaire, la modernité, et la forte concentration dans le temps et dans l’espace constituent en quelque sorte l’ADN des expositions universelles. Ces trois éléments sont constitutifs des deux rendez-vous « mythiques » et des immenses succès que furent Paris en 1900 et Shanghai en 2010, chacun ouvrant et préfigurant son siècle.

En me plaçant du point de vue du visiteur, je m’interroge toutefois : ce modèle peut-il encore fonctionner en 2025 ? S’il en est besoin, comment le revisiter ? Pour répondre à ces questions, j’ai choisi trois problématiques en « F », pour jouer avec l’initiale du mot Futuroscope : celle des flux, parce que, en termes de concentration humaine, la notion du « supportable » a considérablement évolué ; celle de la forme, parce qu’il faut se demander si les partis pris architecturaux qui ont marqué les dernières expos ont vraiment un avenir ; et celle du fond, parce qu’il convient d’interroger la promesse d’un tel événement – que viennent réellement chercher 70 millions d’individus à Shanghai ? quel contenu peut les satisfaire ?

Si nous devions accueillir 40 à 60 millions de visiteurs en France pour une exposition universelle, nous aurions affaire à un défi colossal en termes de flux. Pour nous, ce serait du jamais vu. Je rappelle que le premier parc de loisirs européen, Disneyland Paris, attire 15 à 16 millions de personnes par an, et que Notre Dame de Paris, le monument public le plus visité de France, reçoit annuellement 13 millions de visiteurs. Néanmoins, une fréquentation de l’ordre de 50 millions de personnes n’est pas hors de portée, sachant que Paris accueille environ 30 millions de touristes par an. Derrière ces chiffres qui font peur se lit surtout l’enjeu essentiel de la concentration d’une telle population dans un espace réduit. Pour ma part, je pense que, en 2025, il ne sera pas possible de concentrer un si grand nombre de personnes sur 300 ou 400 hectares.

Lors de ma première visite à l’Expo de Shanghai à titre privé, je n’ai pu entrer que dans un seul pavillon après onze heures d’attente. L’armée chinoise gérait les flux de visiteurs et assurait la sécurité du site auquel étaient affectés 50 000 à 100 000 militaires. J’ai assisté à des débordements et à des agressions inévitables dans ce type de situation. Ce modèle me paraît d’ores et déjà dépassé ; il sera en tout état de cause impossible de le reproduire en 2025. Ce qui était envisageable à Paris en 1900, et même en Chine il y a quelques années, ne le sera plus dans dix ans dans notre pays. Les attentes et le niveau d’exigence des visiteurs évoluent ainsi que ce qui leur paraît acceptable. Comment expliquer au client qui aura payé quarante euros pour entrer à l’exposition universelle de Milan en 2015, que, comme les visiteurs de Shanghai, il ne visitera que deux ou trois pavillons ? Il faudra pouvoir justifier un tel prix. Car provoquer un haut niveau d’insatisfaction, c’est courir le risque de provoquer un bouche à oreille négatif.

En matière de flux, malgré le caractère exceptionnel des expositions universelles, nous disposons d’une référence utile : l’aéroport. Celui d’Atlanta voit ainsi passer 100 millions de personnes par an. Il enregistre des pics de fréquentation de 700 000 à 800 000 personnes par jour, ce qui équivaut presque au record de l’Expo de Shanghai qui a accueilli 1 million de visiteurs durant la seule journée du 16 octobre 2012. Une exposition universelle qui recevrait au total 40 millions de personnes accueillerait en moyenne 400 000 visiteurs par jour. Pour gérer de tels flux, il faut, soit, comme les aéroports, s’installer sur des centaines ou des milliers d’hectares, soit opter pour un éclatement géographique. À moins que nous ne sachions résoudre les problèmes d’espace et d’urbanisme que poserait la première solution, nous sommes en quelque sorte condamnés à une déconcentration qui a fait ses preuves lors des JO de Londres organisés sur trente et un sites. Relever le défi économique que constitue une exposition universelle exige de satisfaire ceux qui en seront les clients, et cela passe d’abord par des questions d’intendance.

Pour conclure sur la question des flux, il faut se souvenir que, malgré leur nom, les expositions universelles et internationales sont d’abord des événements nationaux. Les visiteurs étrangers ont représenté moins de 5 % du public de l’Expo de Shanghai, moins de 4 % des 22 millions d’entrées de l’exposition internationale d’Aichi au Japon en 2005, et 3 % de celle de Yeosu en Corée du Sud en 2012. Même en Europe, dans une configuration différente, ce ratio n’était que de 12 % pour l’exposition universelle de Hanovre en 2000, et de 20 % pour celle de Séville en 1992. Il faut donc tenir compte du fait que 50 à 70 % des visiteurs d’une exposition universelle qui se tiendrait à Paris en 2025 seraient français. Par ailleurs, 5 à 20 % de la population d’une nation visite l’exposition universelle ou internationale qui se déroule sur son territoire : 5 % de la population chinoise s’est rendue à Shanghai, 15 % de la population japonaise à Aichi, 20 % de la population allemande à Hanovre, et 25 % des Espagnols ont visité l’exposition universelle de Séville.

Puisque nous parlons chiffres, permettez-moi de vous proposer une évaluation du nombre de visiteurs potentiels d’une exposition universelle en France. Si 25 à 30 % des Français sont susceptibles d’être intéressés, elle pourrait recevoir 15 à 20 millions de nationaux pour une ou plusieurs visites, auxquels il faut ajouter les touristes. Paris en accueille d’ores et déjà 30 millions par an. Si l’on accepte l’hypothèse, fondée sur les exemples passés, que l’événement provoquerait une augmentation de 20 % à 30 % de ce flux, et qu’environ la moitié se rendrait à l’exposition, nous pourrions en compter environ 20 millions comme visiteurs potentiels de l’exposition universelle. Personne ne peut s’engager sur un chiffre, mais il est en conséquence possible que ce rendez-vous rassemble 40 à 50 millions de visiteurs.

Comment résoudre le problème d’hébergement posé par un tel afflux ? La capacité hôtelière de la France est aujourd’hui d’environ 600 000 chambres, dont 150 000 en Île-de-France. Avec Londres, Paris est la première ville hôtelière d’Europe, bénéficiant des taux d’occupation de l’ordre de 80 %. En l’état, elle ne peut donc absorber la croissance qui résulterait de l’organisation de l’exposition universelle.

L’analyse des enjeux en termes de flux nous montre donc qu’il faudra résoudre le problème d’une concentration massive de visiteurs sur un espace réduit. Elle indique que l’événement devra nécessairement plaire aux Français qui constituent, et de loin, son premier public, et que, parce que pendant six mois, la France, l’Île-de-France et Paris vont se transformer en énorme resort, le problème de l’hébergement et celui des transports doivent être posés bien en amont.

Sans même évoquer les problèmes de sécurité ou d’environnement, il me semble impossible de se passer d’une réflexion sur les limites d’une concentration excessive de population. Il faudra sans doute conserver un cœur de l’événement qui conjuguera fête et rassemblement, et qui ne pourra être trop éloigné de la capitale, car les visiteurs viendront aussi pour Paris, mais cela ne devra pas empêcher une déconcentration vers d’autres lieux, dans d’autres espaces géographiques où il sera possible de développer d’autres contenus. Pour ma part, malgré la nostalgie de l’unité de lieu, je ne vois pas comment un responsable public et politique pourrait raisonner autrement.

Après le flux, venons-en à la forme. Les expositions universelles du passé ont su mettre en scène les mutations de l’industrie en présentant de nouvelles machines au public. Depuis le basculement dans une société du tertiaire, fondée sur la relation plus que sur la production, l’expérience de l’innovation est beaucoup plus difficile à transformer en contenu. Les expositions universelles ont désormais du mal à raconter une histoire comme en témoigne la place majeure progressivement prise par l’architecture et par la forme au détriment du contenu et du traitement d’un thème.

Depuis quinze ans, la principale prouesse des expositions universelles n’est plus à l’intérieur des pavillons, mais à l’extérieur ; elle ne réside plus dans le contenu de ce qui y est présenté, mais dans la présentation elle-même. À Shanghai, la beauté du pavillon français, œuvre de l’architecte Jacques Ferrier, a permis d’attirer un flux considérable de visiteurs nous nous vantons même d’en avoir reçu le plus grand nombre, mais c’était, d’une certaine manière, au détriment du contenu. Quant au pavillon de la Grande-Bretagne, il est sans doute parvenu au terme de cette évolution puisqu’il ne contenait rien, et que seul importait le geste architectural. Sorte d’immense oursin dont les piquants, constitués de 60 000 tuyaux de sept mètres de long, renfermaient chacun l’une des graines de la végétation de notre planète, il a été primé comme le plus beau bâtiment de l’exposition. Le fait que la modernité s’incarne aujourd’hui uniquement dans un signal architectural, aussi magnifique et chargé de sens qu’il puisse être, me semble poser un certain nombre de questions. De façon un peu semblable, dans le domaine artistique, on observe un « syndrome Guggenheim », du nom du musée de Bilbao davantage reconnu pour son apparence extérieure que pour son contenu.

Cette dérive pose aussi le problème de la pérennité des pavillons. La plupart des bâtiments construits pour les expositions ont un usage unique et sont éphémères. Aujourd’hui, douze ans après l’événement, le site de l’exposition universelle de Séville inspire un sentiment de désolation. Après trois faillites, Isla Mágica, l’un des anciens bâtiments de l’Expo transformés en parc d’attractions, vient d’être repris par un opérateur français pour l’euro symbolique. Afin d’éviter que les sites des expositions universelles ne finissent par devenir des poubelles – le mot peut paraître abusif, mais je parle d’expérience –, la question de l’avenir des bâtiments devrait faire l’objet d’une réflexion en amont, dès leur conception, comme ce fut le cas pour l’exposition internationale de Lisbonne en 1998, dont les pavillons abritent aujourd’hui un casino, la plus belle salle de spectacle de la ville, un musée d’art et de science, et le plus grand aquarium public d’Europe. Parce que le projet avait été pensé en amont et qu’il s’inscrivait dans le développement urbain de la capitale portugaise, le site accueille aujourd’hui 15 millions de touristes par an. En 2025, nous aurons tout intérêt à nous inscrire d’emblée dans les schémas de développement de Paris et du Grand Paris. Une autre pratique consisterait, comme cela s’est fait à Aichi ou à Yeosu, à construire des bâtiments biodégradables à faible coût qui pourraient disparaître après l’événement.

La tendance au « tout architectural » conduit par ailleurs à un double dévoiement économique. D’une part, les budgets de plus en plus faramineux consacrés au contenant manquent pour financer des contenus qui s’appauvrissent. D’autre part, cette évolution accentue les inégalités en rendant particulièrement visibles les différences de puissance financière des pays invités. La prouesse architecturale exige des moyens considérables, et la compétition en la matière ne permet pas à toutes les nations de faire jeu égal – le pavillon du continent africain dans les récentes expositions en témoigne. Lors d’un rassemblement supposé célébrer l’humanité dans son égalité, il est choquant que la taille des pavillons et les fonds consacrés à leur construction reproduisent les inégalités entre nations. Certaines expositions internationales, comme celles de Lisbonne, d’Aichi ou de Yeosu, ont eu le bon sens d’allouer des hangars identiques et non permanents aux États. Ils ont pu ainsi réduire leur investissement immobilier et consacrer un budget plus élevé aux contenus.

Puisqu’il est question de la forme, il ne faut pas oublier, à l’heure d’internet et du numérique, la dimension « hors les murs » d’un événement qui se tiendrait en 2025. Si l’Expo de Shanghai a accueilli, en 2010, 70 millions de visiteurs physiques, elle a attiré 800 millions de visiteurs virtuels sur son site internet traduit dans une multitude de langues. Je n’évoque même pas les chaînes de télévision du monde entier, pour lesquelles ce rendez-vous constitue une occasion unique de produire des contenus au-delà des cérémonies d’ouverture et de clôture.

Évidemment, l’exposition universelle de 2025, éclatée sur plusieurs sites, pourrait compter sur le Futuroscope.

J’ajoute que le pavillon français constituera nécessairement un enjeu particulier si l’on fait l’hypothèse que 20 ou 25 millions de nos ressortissants nationaux voudront le visiter – même à Shanghai, le pavillon français n’a pas accueilli plus de 10 millions de visiteurs. Il serait peut-être judicieux de se demander si la construction d’un pavillon de la francophonie n’aurait pas pleinement son sens en 2025. Je rappelle que la population francophone dans le monde passera d’ici à cette échéance de 220 à 500 millions de personnes. Lors des dernières expositions, la France a choisi diverses solutions pour son pavillon. À Shanghai, elle a cherché à attirer le public au détriment du contenu : même si la carte de visite touristique était réussie, quel rapport entre les belles œuvres du musée d’Orsay présentées et la thématique de l’innovation ? Qu’est-ce que cela disait de notre pays face à l’avenir ? Précédemment, en particulier à Aichi, notre pays avait voulu faire passer un message d’alerte concernant l’environnement. Il a été plutôt mal reçu. Au-delà des architectures qui ont toujours été remarquables, nous avons encore manifestement à inventer un contenu qui reflète l’histoire que la France désire aujourd’hui et demain raconter au monde.

J’en viens au fond. Depuis vingt ans, il me semble que le thème des expositions universelles ou internationales n’est qu’un prétexte qui n’est quasiment jamais traité. À vrai dire, les expositions ne sont pas des expositions ; ce sont avant tout des shows, des lieux d’entertainment. Les participants optent généralement pour l’une des trois postures suivantes : celle du geste esthétique que j’ai déjà évoqué avec le pavillon britannique de Shanghai, celle du marketing national et touristique, comme ce fut le cas de la France à Shanghai, et plus rarement celle du respect du thème de l’exposition. À Shanghai, peu d’États ont fait ce dernier choix, qui fut plutôt celui d’entreprises chinoises et de collectivités locales chinoises ou étrangères. Les pavillons de l’Île-de-France, de Rhône-Alpes, de l’Alsace, de Shanghai ou du Conseil chinois pour la promotion du commerce international étaient plus riches en contenu que la plupart des pavillons nationaux. L’Allemagne est un cas à part, car, de Hanovre à Yeosu, son pavillon a toujours su marier le fond et la forme : il permet de gérer les flux considérables qu’il attire toujours – 8 millions de visiteurs à Shanghai –, mais il ose aussi présenter du contenu correspondant au thème à traiter.

Certes, l’« effet waouh » de l’architecture des pavillons a son importance, mais une exposition universelle qui affichera des prix d’entrée supérieurs à 50 euros ne pourra pas se contenter de cette promesse. Le public se déplacera d’abord parce qu’on lui racontera une histoire, parce que l’on mettra en scène certains sujets. À ce titre, l’expérience des expositions internationales est intéressante, car ces dernières ont été plus rigoureuses que les expositions universelles dans le respect de leurs cahiers des charges.

Je vous propose trois pistes de réflexions pour conclure. Elles se fondent sur l’idée que, si nous voulons réussir à organiser l’exposition universelle de 2025 en France, il nous faudra faire la différence. « What difference will we make », était-il inscrit au fronton du pavillon américain de Shanghai 2010 ; la question vaut aussi pour nous.

Tous ceux qui travaillent pour des structures accueillant le public réfléchissent aujourd’hui à la tendance de nos sociétés que certains analystes appellent « crowd », la foule collaborative et participative. Vous connaissez ce phénomène grâce au crowd funding au crowd sourcing, au mouvement des greeters, qui permet de découvrir un lieu touristique grâce à ses habitants, ou encore au covoiturage. En devenant une énorme plateforme collaborative, l’exposition universelle de 2025, à la différence de toutes celles qui l’ont précédée, aurait l’occasion d’inventer et de laisser une trace dans ce domaine. Pour y parvenir, il ne faut pas seulement penser en termes d’interactivité – elle est déjà bien difficile à mettre en œuvre entre dix ou à vingt interlocuteurs –, mais développer l’idée que les individus deviendraient producteurs de l’événement. Cette démarche passerait inévitablement par l’usage de la technologie, mais également par une forme d’implication des visiteurs en amont de la visite. Plutôt que de constituer une masse de taille inhumaine, ils deviendraient alors une véritable ressource de ce rendez-vous de l’humanité. Les hommes ne seraient plus une contrainte, mais un élément même de la rencontre.

Autre idée essentielle : le client doit être placé au centre du cahier des charges, contrairement à ce qui s’est fait lors des précédentes expositions. L’intendance doit être prise au sérieux, car la satisfaction de ceux qui paient leurs billets en dépend. L’analyse de la satisfaction des visiteurs des parcs d’attractions révèle qu’elle se décompose en trois parts d’importances égales qui dépendent du contenu du site, de sa « convenience », c’est-à-dire de la qualité du service, du fonctionnement du site, de sa propreté, de sa sécurité, et, dernier facteur, de l’atmosphère, de l’ambiance générale du lieu. Contenu, prestations de services et création d’atmosphère doivent donc d’emblée être pris en compte dans la conception des flux, des services, et des cahiers de charges de tous les opérateurs.

Le thème choisi deviendrait d’autant plus essentiel que le « ticket d’entrée » immobilier sera réduit et permettra aux exposants d’investir davantage dans l’expérience de visite et dans le contenu. Il est possible de renouer avec la promesse historique des expositions universelles et avec le sens qu’elles ont pris dans l’histoire du monde. Elles racontent en effet que vivre ensemble sur la même planète, ce n’est pas seulement affronter les mêmes catastrophes, c’est aussi partager les mêmes rêves. Le thème retenu ne devra donc pas nécessairement être technologique, il se fondera plutôt sur l’idée d’un nouvel optimisme, afin que chaque pays puisse montrer à sa manière ce qu’il peut apporter et ce que le temps peut promettre.

En définitive, le grand rendez-vous auquel vous réfléchissez devrait à mon sens prendre le meilleur de la gestion de flux d’un grand aéroport et d’une logique spatiale éclatée telle que celle retenue pour l’organisation des JO de Londres, tout en s’inspirant des expositions internationales qui ont conservé un certain esprit du passé.

M. le président Jean-Christophe Fromantin. Inspirée de votre expérience, votre intervention enrichit notre réflexion et la confirme sur plusieurs points. Votre propos montre combien il est désormais difficile de concentrer une exposition universelle en un seul lieu. Les expositions de Milan et de Dubaï nous mèneront aux limites d’un modèle certainement obsolète. En 2025, le polycentrisme constituera un enjeu réel pour une exposition qui devra être articulée entre le Grand Paris et les métropoles du territoire.

Vous avez aussi insisté sur l’économie du partage qui doit être au cœur de l’événement. Je note que tous les étudiants que nous avons consultés considèrent également qu’une exposition universelle n’a de sens que si le monde vit une expérience en commun, ce que vous appelez « une rencontre ».

Votre analyse du point de vue du visiteur est également particulièrement intéressante. Il est essentiel d’imaginer sa motivation et de réfléchir au plus tôt à l’accueil qui lui sera fait en impliquant toute la population.

Après avoir travaillé sur le projet de candidature de la France à l’exposition universelle de 2025, 400 étudiants issus de sept grandes écoles et universités ont privilégié le thème de l’hospitalité retenu par la Sorbonne. Ils ont choisi de mettre en avant une valeur, plutôt que la technologie qui, selon eux, ne constitue qu’un moyen et non une fin. Ils rejoignent ainsi vos propos sur l’importance et le plaisir de la rencontre, et sur le partage.

M. Bruno Le Roux, rapporteur. Merci de nous avoir fait partager votre expérience et de vous être projeté en 2025 pour réfléchir à ce que serait une exposition universelle à Paris.

Quelles réflexions vous inspire le projet du groupe Auchan, qui souhaite construire au nord de Paris, à l’horizon 2020, un pôle multidimensionnel, Europa City, dédié à la consommation, aux loisirs et à la culture, et destiné à accueillir sur un seul lieu des millions de visiteurs ? L’analyse des publics visés, de leur comportement et de leurs motivations n’est pas sans lien avec nos préoccupations. Comment voyez-vous l’évolution d’un tel projet et celle du Futuroscope ?

M. Dominique Hummel. La France est championne du monde des hypermarchés, mais les développeurs ont compris que ce modèle s’essoufflait. S’inspirant d’expériences nord-américaines, ils cherchent à offrir une nouvelle vie aux très grandes surfaces commerciales en introduisant en Europe le fun shopping – le groupe immobilier Unibail-Rodamco est souvent au cœur de ces projets, et l’on parle par exemple de la construction d’une sorte de Las Vegas en Espagne. En la matière, le West Edmonton Mall dans l’Alberta canadien constitue la référence mondiale. Ce centre commercial géant comptant 2 millions de mètres carrés de commerces a cherché à doper sa fréquentation pour qu’elle se hisse au niveau de celle des parcs de loisirs en installant des attractions au milieu des boutiques : un aquarium, des mini-golfs, un roller-coaster… Le West Edmonton Mall est aujourd’hui en faillite, et, dans le monde, aucun projet de ce type n’a donné de résultat vraiment concluant.

Ce modèle peut toutefois avoir du sens pour le groupe Auchan. Son principal ressort reste la volonté d’élargir une offre commerciale, ce qui ne correspond pas vraiment à nos préoccupations actuelles. À une époque où le Futuroscope était en moins bonne santé qu’aujourd’hui, il y a dix ans, nous avions réfléchi à une solution mariant le ludique et le commercial ; nous ne l’avons pas mise en œuvre.

Quel est avenir des parcs de loisirs ? Dans presque tous les pays européens, un gros parc domine le marché en accueillant trois à dix fois plus de visiteurs que ses concurrents. Il donne évidemment le tempo en termes d’évolutions. Je pense à Disneyland Paris pour la France, premier parc européen avec 15 millions de visiteurs par an, mais aussi à Europa-Park en Allemagne, qui en accueille 5 millions, à PortAventura dans le nord de l’Espagne avec 4,5 millions de visiteurs, ou encore à Gardaland en Italie et à Efteling en Hollande. La tendance actuelle est à l’allongement du séjour – l’éclatement des périodes de vacances n’y est pas pour rien. Elle se traduit souvent par l’ouverture d’un second parc à côté du premier
– depuis 2002, Disneyland Paris comprend ainsi un nouveau parc à thèmes : Walt Disney Studios –, et, surtout, par une offre renforcée d’hébergements à thème. Ce modèle se répand à tel point que le zoo de Beauval, qui reçoit plus de 1 million de visiteurs par an, propose 500 chambres sur le thème de l’univers animalier, ou que le Puy du Fou ouvre des hôtels historiques. Le parc de loisirs qui se visitait autrefois en une journée est devenu un resort proposant une expérience de court séjour globale thématisée qui se vit aussi bien le jour que le soir et la nuit.

Vous constatez que nous ne sommes pas loin des problématiques qui sont les vôtres. Une exposition universelle demande en effet de raisonner en utilisant un angle d’approche très large. Il est impossible de se contenter de penser uniquement le visiteur entre son entrée et sa sortie du site ; il faut aussi prendre en compte sa soirée et sa nuit. Car la rencontre aura aussi lieu le soir, hors de l’Expo elle-même. Il faut donc l’organiser, et prévoir des lieux de rassemblement. Quant à l’hébergement et au transport, ils font partie intégrante de l’expérience globale du visiteur, et ils doivent être réfléchis comme tels. Finalement, du repas au coucher, en passant par l’esprit général de l’événement, tout devient expérience. La tendance est à l’entertainment du monde, à la mise en spectacle de nos existences, et cela ne concerne évidemment pas que les parcs de loisirs.

Cette logique de « thématisation » devenue prédominante interroge ceux qui feraient une proposition d’une autre nature. Il y a bien une sorte de formatage par les parcs leaders qui fabriquent l’envie du public de vivre une expérience totale durant deux jours. D’une certaine manière, il s’imposera à ceux qui organiseront une exposition universelle en 2025. Car il ne faut pas oublier que, à la différence de l’expérience de Paris en 1900 ou de Shanghai en 2010, expositions qui, d’une certaine manière, accueillaient des publics captifs venus visiter le monde, les Français ne se rendront pas à l’Expo de 2025 pour voir le monde qu’ils auront certainement déjà découvert par ailleurs. Dans un contexte de compétition et de concurrence, la question de la promesse de l’événement aura en conséquence une importance majeure.

Mme Catherine Quéré. Monsieur Hummel, je vous félicite, car, à votre insu, vous avez brillamment fait la synthèse de nos auditions précédentes et de nos travaux jusqu’à ce jour.

J’en viens donc à des questions directes. Pouvons-nous organiser une exposition universelle en 2025, et devons-nous le faire ? En aurons-nous les moyens, et pouvons-nous réussir ?

Un tout petit reproche : en tant que membre de la section française de l’Assemblée parlementaire de la francophonie, je me permets de vous indiquer que, lors de nos réunions, nous parvenons à ne pas dire un mot d’anglais. Il me semble que vous en utilisez un peu trop. (Sourires.)

M. Dominique Hummel. J’aurais dû traduire le mot « crowd », je le reconnais.

Je me suis plus exprimé sur la faisabilité du rendez-vous que sur son opportunité. Les impasses que j’ai pu énumérer en termes de faisabilité empêchent d’autant moins de relever le défi que nous disposons de onze années pour nous y préparer. Tout dépend, en fait, du « cahier des charges » que la France voudra assumer et que le BIE et l’ensemble des acteurs voudront accepter. Il faut prendre en compte non seulement l’opinion de ceux qui achèteront leur ticket, mais aussi celle de tous ceux qui paient, par l’intermédiaire de la dépense publique, sans se rendre sur place. De façon générale, j’ai constaté que le niveau de l’acceptable avait tendance à reculer : quand le public acceptait hier d’attendre une heure pour accéder à une attraction majeure, il refuse aujourd’hui de patienter plus d’une demi-heure. En la matière, j’ai été estomaqué par la capacité de résignation des Chinois à Shanghai ; je crains que les Français de 2025 ne soient pas aussi patients. À la question de la faisabilité de ce rendez-vous, je réponds donc « oui », à condition de réviser un certain nombre de modèles.

À la question de l’opportunité, je réponds que je suis très enthousiaste, car, dès que l’on dépasse les contingences de l’organisation de l’événement et que l’on s’interroge sur son sens, il devient évident que ce rendez-vous ne peut être que très positif pour tous les Français, qu’ils visitent ou non l’exposition. Cela est d’autant plus vrai que nos concitoyens semblent vivre une forme de déprime collective.

Un travail considérable reste évidemment à accomplir, et il faut nous montrer imaginatifs. À ce stade, il est nécessaire de prendre en compte la position du BIE. J’ai constaté à Shanghai que de nombreux représentants de pays membres du BIE souffraient de la faiblesse des moyens dont ils disposaient, et vivaient comme une insulte l’étalage de richesses considérables à quelques mètres de leur pavillon. Nous pouvons sans doute nous faire beaucoup d’alliés dans la perspective du vote qui présidera au choix du pays organisateur en proposant un « ticket d’entrée » financier abordable qui rendrait l’événement plus démocratique. Dans les cahiers des charges, la France pourrait aussi se démarquer en étant très présente dans l’accompagnement des divers acteurs en matière de contenus.

Je conclus cette réponse en rappelant que notre pays dispose de certaines des meilleures entreprises du monde pour l’organisation de shows pédagogiques. Je pense à Yves Pépin, le concepteur l’éclairage de la tour Eiffel pour l’an 2000, qui a participé à l’inauguration des JO de Pékin en 2008, à l’équipe de Skertzò qui illumine tous les ans la Fête des lumières de Lyon, ou encore aux Petits Français qui ont obtenu un prix international pour leur spectacle célébrant le centième anniversaire de la révolution mexicaine de 1910. La France, grâce à ses écoles, est riche d’artistes techniciens ; il existe une véritable french touch de l’événementiel grand public qu’une exposition universelle permettrait de valoriser. Il est vrai que j’aurais sans doute pu parler de « touche française ». (Sourires.)

M. Yves Albarello. Entre le rendez-vous de Paris en 1900, avec 50 millions de visiteurs, et celui de Shanghai en 2010, qui a rassemblé 70 millions de personnes, alors que plus de cent ans se sont écoulés et que des révolutions technologiques se sont produites, en particulier dans le domaine de la communication, il me semble que l’écart de fréquentation est faible, surtout si l’on considère la taille respective des pays concernés. Qu’en pensez-vous ?

Vous avez estimé qu’une exposition universelle à Paris en 2025 pourrait recevoir 35 à 40 millions de visiteurs. Pour ma part, je ne suis pas persuadé de la pertinence de ces chiffres, car je crois que la France fait encore rêver et qu’elle peut attirer des flux nouveaux.

Le Figaro annonçait hier matin que le train express devant relier Paris à l’aéroport Charles-de-Gaulle de Roissy était « sur les rails ». Il est grand temps que notre capitale soit directement accessible par le train depuis un aéroport qui accueille 62 millions de passagers par an. Les responsables politiques doivent prendre une décision ferme sur ce sujet, car vous conviendrez sans doute que la gestion de flux aura toute sa place dans le dossier de candidature qui sera soumis au BIE.

M. Dominique Hummel. La fluidité du dispositif et la facilité d’accès aux différents sites seront effectivement évaluées. On rêverait d’une mise en scène des moments de transport qui ne seraient plus « subis », mais feraient partie de l’expérience totale que devra constituer l’exposition.

Un plan d’ensemble reste à construire qui s’articule d’emblée à partir d’une logique polycentrique de gestion des flux. Le travail entrepris devra évidemment croiser les besoins liés à l’événement avec les grands projets d’équipement déjà envisagés par les métropoles de province et par le Grand Paris pour leur développement – les futures grandes régions voudront sans doute elles aussi jouer leur rôle.

Monsieur Albarello, j’avoue être incapable de vous dire si une exposition universelle pourrait enregistrer 40, 50 ou 60 millions de visites. Les volumes s’apprécient selon diverses définitions. Techniquement, il convient ainsi de bien distinguer entre visites, visiteurs et touristes. À l’exposition universelle de Séville, on a par exemple décompté 42 millions de visites et 28 millions de visiteurs, car de très nombreux habitants de l’Andalousie ont visité l’exposition à deux ou trois reprises. Selon la définition internationale, les touristes sont ceux qui passent une nuit sur place, ce qui exclura en l’espèce les habitants du Grand Paris. Si l’on veut mettre en avant les questions d’hébergement et de développement économique, il faut sans doute parler d’abord des touristes, qu’ils soient Français ou étrangers. La réflexion mérite d’être segmentée, quitte à additionner les chiffres par la suite. Parce qu’elle bénéficie d’une concentration de touristes exceptionnelle, Paris peut à coup sûr enregistrer des scores de visites à la journée bien supérieurs à ceux de Hanovre ou de Séville. Il faudra cependant gérer les flux, et avoir conscience que les limites des capacités d’hébergement entraîneront un contingentement du nombre de touristes.

Je ne sais pas comment les comptes ont été faits en 1900, mais, personnellement, je n’y crois pas. Je ne vois pas comment, dans un pays de 42 millions d’habitants, une exposition universelle a pu enregistrer 51 millions de visites. Ces proportions qui dépassent l’entendement n’ont d’ailleurs jamais été égalées. Songez que la Chine a annoncé 70 millions de visites de l’Expo de Shanghai alors que sa population atteint 1,2 milliard d’habitants ! L’exposition d’Aichi a accueilli 22 millions de visiteurs alors que le Japon compte 120 millions d’habitants. Notons que ces deux expositions restent les seules dont la fréquentation a dépassé les prévisions. Pour que Paris ait reçu 50 millions de visiteurs en 1900, il aurait fallu que l’Expo enregistre régulièrement des pics de fréquentation de 700 000 à 800 000 personnes par jour !

S’il faut bien se fixer un objectif, car celui qui n’en a pas ne risque pas de l’atteindre, il ne devrait pas à mon sens être d’abord quantitatif, mais plutôt qualitatif. Le reste viendra ensuite.

M. le président Jean-Christophe Fromantin. Nous vous remercions très vivement pour la richesse et la qualité de vos propos.

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Membres présents ou excusés

Mission d'information sur la candidature de la France à l'exposition universelle de 2025

Réunion du jeudi 5 juin 2014 à 9 h 30

Présents. - M. Yves Albarello, M. Jean-Christophe Fromantin, M. Bruno Le Roux, M. Hervé Pellois, Mme Catherine Quéré, Mme Claudine Schmid

Excusés. - M. Guillaume Bachelay, M. Sylvain Berrios, Mme Marie-Odile Bouillé, Mme Martine Martinel