Accueil > Mission d'information sur l'offre automobile française dans une approche industrielle, énergétique et fiscale > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Mardi 24 novembre 2015

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 8

Présidence de Mme Sophie Rohfritsch, Présidente

– Audition, ouverte à la presse, de M. Louis Schweitzer, Commissaire général à l’investissement

Mission d’information
sur l’offre automobile française dans une approche industrielle, énergétique et fiscale

La séance est ouverte à dix-sept heures.

La mission d’information a entendu M. Louis Schweitzer, Commissaire général à l’investissement.

Mme Sophie Rohfritsch. Nous sommes heureux de vous recevoir ce soir, monsieur Schweitzer, en votre qualité de commissaire général à l'investissement, fonction que vous occupez depuis avril 2014. Vous êtes également président d'honneur du groupe Renault Nissan, que vous avez intégré en 1986 et dont vous avez assuré la présidence de 1992 à 2005. Les membres de la mission comprendront toutefois aisément qu'il ne vous sera pas possible de porter une appréciation publique sur la stratégie et la situation actuelles du groupe. Tel n'est d'ailleurs pas l'objet principal de cette audition.

L'automobile joue un grand rôle au sein du Commissariat général à l'investissement (CGI) dans sa mission de mise en œuvre du programme des investissements d'avenir, le PIA. À la tête du CGI vous avez d'ailleurs succédé à M. Louis Gallois, lequel a quitté cette responsabilité pour présider le conseil de surveillance de PSA Peugeot Citroën !

Depuis le début de ses auditions, la mission a perçu un certain enchevêtrement dans les instances ou les structures mises en place par les pouvoirs publics, à partir de 2009-2010, pour soutenir l'emploi, la recherche & développement et l'innovation dans ce secteur essentiel.

Votre audition devrait nous permettre de discerner plus clairement qui est en charge de quoi, quels sont les effets de leviers attendus et constatés, sans omettre le rôle spécifique ou complémentaire au vôtre que joue Bpifrance, la banque publique d'investissement.

Certaines questions se posent.

Au mois de juin dernier, vous avez appelé à une meilleure mobilisation des acteurs de l'automobile en affirmant qu'à défaut, un redéploiement des crédits du PIA leur étant destinés pourrait légitimement intervenir. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Autre question : un bilan des activités d'un pôle de compétitivité aussi connu que Mov'eo a-t-il été établi ?

Des concepts comme celui de véhicule du futur ou encore de véhicule consommant deux litres aux 100 kilomètres s'inscrivent au cœur du PIA, de même que l'usine du futur, le numérique et la voiture autonome. En un mot, le rééquilibrage désormais engagé entre les motorisations essence et diesel n'a-t-il pas un impact direct sur les actions en cours ?

Par ailleurs, le PIA dispose-t-il de suffisamment de souplesse pour réorienter dans les meilleurs délais les champs de certaines recherches actuelles ?

Monsieur le commissaire général, la mission d'information va d'abord vous écouter pour un exposé de présentation. Puis, Mme Delphine Batho, notre rapporteure, vous posera un premier groupe de questions. Elle sera suivie par les membres de la mission qui, à leur tour, vous interrogeront.

M. Louis Schweitzer, commissaire général à l’investissement. Mesdames et messieurs les députés, je commencerai mon exposé liminaire en soulignant trois caractéristiques de l’industrie automobile française, qui expliquent peut-être le désordre apparent que vous avez noté.

Premièrement, l’industrie automobile intègre les progrès issus de beaucoup d’autres industries. Les voitures actuelles ne sont pas différentes dans leur base de la première voiture mise au point par Benz en 1886, il y a cent vingt-neuf ans : quatre roues, un châssis, un moteur, des sièges, un mécanisme de direction, un mécanisme de freinage. En revanche, je ne connais pas un progrès dans le domaine des process industriels ou des technologies qui ne se soit pas appliqué à l’automobile. L’automobile met en œuvre un process de fabrication, issu du fordisme, qui est à la pointe des systèmes d’automatisation, d’intégration et de réduction des coûts. De ce fait, s’il y a quelques activités spécifiques à l’industrie automobile au sein du PIA, elle est d’abord prise en compte en tant que bénéficiaire directe ou indirecte de technologies d’autres industries.

Deuxièmement, le facteur essentiel dans l’industrie automobile est la réduction des coûts, alors que dans d’autres secteurs technologiques – l’aviation ou l’industrie militaire, par exemple –, cette contrainte est beaucoup moins pesante. Si toutes les nouvelles technologies sont intégrées par l’industrie automobile, elles ne le sont bien souvent qu’après que d’autres secteurs ont géré les coûts liés à leur développement. Les matériaux composites comme la fibre de carbone commencent à y être employés mais en décalage par rapport à l’aéronautique car ils sont beaucoup plus chers que les matériaux qu’elle emploie traditionnellement. Il en va de même pour l’aluminium : il constitue un facteur de progrès puisqu’il contribue à alléger le poids des véhicules, mais comme il reste plus cher que l’acier, il est utilisé avec un décalage temporel. Comme les actions du CGI concernent le développement de nouvelles techniques ou de nouveaux matériaux, elles interviennent en amont, avant que l’industrie de l’automobile ne commence à les intégrer quand leur coût est devenu acceptable.

Troisièmement, en France, la coopération dans l’industrie automobile n’est pas facile à établir et à développer. Il existe deux grands constructeurs. Quand j’étais responsable de l’un d’eux, j’avais coutume de dire que l’autre était le plus proche de nos concurrents, autrement dit le concurrent que l’on avait envie de battre en premier. Dès lors qu’on approche d’une technique commerciale, chacun garde sa copie. Dans l’aéronautique, il existe dans notre pays un constructeur d’avions civils, un constructeur d’hélicoptères et les coopérations avec l’État sont plus faciles. En outre, derrière ces deux constructeurs automobiles, il y a les grands équipementiers, qui ont remarquablement réussi – beaucoup mieux qu’on ne l’imaginait, il y a quelques années : Valeo, Faurecia, Plastic Omnium, Michelin – mais il n’y a pas, comme en Allemagne, de coopération structurée tout au long de la filière. Je pense que c’est l’une des faiblesses de l’industrie automobile française. Les constructeurs français mettent beaucoup plus en concurrence leurs fournisseurs que ne le faisaient traditionnellement les constructeurs allemands – qui sont en train de changer d’orientation. La coopération entre les très grandes entreprises, les grandes entreprises, les entreprises moyennes et les petites entreprises de la filière est donc beaucoup plus faible.

Ces trois caractéristiques expliquent que l’intervention du programme des investissements d’avenir dans le domaine de l’industrie automobile est moins importante qu’on pourrait le croire ou qu’on aimerait à l’imaginer, eu égard au poids de celle-ci dans l’économie de notre pays.

Ce cadre général posé, j’en viens aux chiffres. Le premier programme des investissements d’avenir a été doté de 35 milliards d’euros, le deuxième programme, de 12 milliards d’euros et le Président de la République a annoncé que le Gouvernement présenterait au Parlement un troisième programme des investissements d’avenir doté de 10 milliards en 2016. Sur les deux premiers programmes, totalisant 47 milliards de crédits, 36 milliards ont été engagés, c’est-à-dire ont donné lieu à une décision d’affectation de principe du Premier ministre ; 31 milliards ont été contractualisés, c’est-à-dire ont donné lieu à un accord avec le bénéficiaire de l’aide sur un projet donné ; et 12,6 milliards ont été effectivement décaissés, le rythme de décaissement étant, à vrai dire, plus lent qu’on ne l’avait imaginé à l’origine.

Je ne suis pas capable de vous préciser quelles sommes sur ces montants sont destinées à l’industrie automobile, notamment en raison de la première caractéristique que j’ai rappelée, à savoir que cette industrie intégrant de nombreuses technologies d’autres industries, elle bénéficie en aval du fruit de recherches menées dans d’autres domaines.

Dans le cadre de ces programmes, nous avons créé des institutions qui ont pour objet de faire coopérer recherche publique et recherche privée : les instituts pour la transition énergétique (ITE), les instituts de recherche technologique (IRT). Certains concernent directement ou indirectement l’industrie automobile.

L’ITE qui la concerne le plus directement est VeDeCOM, Institut du véhicule décarboné et communicant et de sa mobilité, qui a pour objet de développer les innovations dans le domaine des véhicules électrifiés, des véhicules autonomes et connectés et des infrastructures de service et de mobilité qui y sont liés. Sont membres fondateurs de cet institut, qui associe partenaires privés et publics, les deux constructeurs français et de grands équipementiers. Le PIA lui a attribué une dotation de 119 millions d’euros et le secteur privé a apporté la même somme.

Autre institut lié à l’industrie automobile, l’IRT Jules Verne. Situé à Nantes, il se consacre aux technologies avancées de production de composites métalliques et de structures hybrides et se situe donc dans une logique de progrès des technologies de fabrication des véhicules et de matériaux. Grands constructeurs et équipementiers participent à son financement et nous lui avons apporté un équivalent-subvention de 115 millions d’euros.

Citons encore l’IRT SystemX, en région parisienne, qui travaille sur l’ingénierie numérique des systèmes, les infrastructures numériques, les territoires intelligents et le transport autonome. PSA, Renault et Valeo en sont partenaires et le PIA lui a apporté 130 millions d’euros. L’industrie automobile ne représente qu’une petite part de ses activités.

J’en viens, enfin, à l’IRT M2P, en Lorraine, dont les recherches concernent les matériaux. Nous lui avons apporté une aide totale qui représente l’équivalent de 50 millions d’euros. Là encore, je ne saurais dire la part propre à l’automobile.

Il existe un second domaine où le PIA intervient pour l’industrie automobile : l’accompagnement de projets de recherche et de développement collaboratif qui lui permettent de progresser. Sur une enveloppe de 1,1 milliard d’euros consacrée à la thématique générale du transport, il existe une sous-enveloppe de 750 millions gérée par l’Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) consacrée aux véhicules du futur. Sur ce total, nous n’avons dépensé que 350 millions en net, en raison non d’une volonté de ne pas dépenser d’argent, mais d’un nombre insuffisant de projets de qualité. L’exigence à laquelle s’astreint le PIA ne lui fait retenir, vous le savez, que les projets réunissant les trois critères que sont l’excellence, l’innovation et la coopération, les décisions étant prises à la suite d’avis d’experts indépendants et d’une instruction ministérielle. À ces 350 millions, il faut ajouter 100 millions correspondant à des projets abandonnés en cours de route pour différentes raisons.

Nous avons retenu quarante-trois projets, dotés d’une aide du PIA se situant en moyenne aux alentours de 8 millions. Tous comportent une dimension d’efficience énergétique. Ils visent, par exemple, à améliorer les rendements des moteurs en développant des techniques plus pointues d’hybridation ou en allégeant le poids des véhicules. Ces projets sont assortis d’un cahier des charges et d’un échéancier précis, que nous suivons de près.

Toutes ces recherches s’intègrent dans l’objectif global de la mise au point d’un véhicule consommant deux litres aux 100 kilomètres à un prix abordable. La précision est importante car tout l’enjeu pour les constructeurs est de pouvoir produire des véhicules achetables, alliant prestations satisfaisantes et prix accessibles. Tous sont en mesure de mettre au point des véhicules consommant un litre par 100 kilomètres – il y a même des compétitions de sobriété énergétique en Chine où l’on descend à 0,20 litre aux 100. Il s’agit toutefois avant tout de démonstrateurs technologiques qui ont pour vocation de rassembler une série de techniques et non d’être disponibles chez les concessionnaires car leurs prix seraient hors de portée des consommateurs.

Par ailleurs, le PIA touche l’industrie automobile à travers les aides aux PME distribuées par Bpifrance et les aides relatives à la formation professionnelle.

Enfin, nous avons une coopération avec les pôles de compétitivité, dont certains concernent l’industrie automobile, mais qui ne donne pas lieu à une aide spécifique s’ajoutant à d’autres aides.

Vous avez fait référence, madame la présidente, aux propos que j’ai tenus devant les représentants de l’industrie automobile. Ma responsabilité de commissaire général est d’assurer un bon emploi des fonds que je dois allouer et j’ai effectivement déclaré que si l’industrie automobile ne nous soumettait pas de bons projets, nous affecterions nos aides à des projets autres que les siens. Cela me paraît être une règle de bon sens.

Mme Delphine Batho, rapporteure. Monsieur Schweitzer, je vais faire appel à votre très grande expérience de l’industrie automobile afin que la commission bénéficie de votre éclairage sur l’affaire Volkswagen, qui a motivé la création de cette mission d’information. Vous avez déclaré qu’elle renvoyait à une culture d’entreprise spécifique, ce qui me semble être une analyse particulièrement intéressante, de nature à nous aider dans notre compréhension. À cette même occasion, vous avez souligné les problèmes soulevés par les tests en Europe et la nécessité de revoir les procédures d’homologation et de mener une réflexion plus globale sur les normes. Pourriez-vous développer votre point de vue ?

Vous venez à l’instant d’évoquer la structuration de la filière de l’industrie automobile en France, en insistant sur le fait qu’il n’y avait pas suffisamment de coopération. Nous nous sommes intéressés aux structures qui ont été mises en place à la suite des états généraux de l’automobile en 2008-2009, notamment la Plateforme de la filière automobile. Ses responsables, que nous avons auditionnés, semblaient dire que de grands progrès avaient été accomplis en la matière. Quelles sont selon vous les améliorations à apporter pour renforcer la coopération entre les différents acteurs et les différents niveaux de la filière ? Que pensez-vous de la structuration entre la Plateforme, le Comité national de l’industrie (CNI), le Comité stratégique de la filière automobile ? N’existe-t-il pas des redondances dans les instruments de pilotage et de coordination ?

Avant de poser cinq questions précises sur le programme des investissements d’avenir, je voudrais vous dire comme les membres de la commission des affaires économiques se réjouissent des grands progrès enregistrés depuis 2014 : nous disposons d’informations régulières sur la mise en œuvre du PIA, avec un état précis des redéploiements de crédits ; nous nous félicitons de la même façon des améliorations en matière de procédures de traitement des projets et de prise de décision, désormais plus rapides, ainsi que des simplifications opérées dans les comités de pilotage et de décision.

S’agissant du PIA 3, vous avez souligné qu’il était impératif que les décisions soient prises en 2016 pour 2017 et non pas en 2017 pour 2017. Pourriez-vous nous en dire plus ?

Vous avez indiqué dans votre propos liminaire que le rôle du PIA n’était pas aussi important dans le domaine de l’industrie automobile que nous pouvions l’imaginer. Comme il s’agit d’un outil stratégique en matière d’adaptations industrielles et de soutien de l’État à certaines orientations technologiques, j’aimerais que vous développiez votre point de vue.

À quoi correspondent les projets abandonnés ? S’agissait-il de projets déjà engagés ? Avez-vous procédé à des redéploiements ?

Par ailleurs, vous avez eu l’occasion de souligner que dans l’enveloppe globale, 5 milliards d’euros avaient été affectés à des domaines ne correspondant pas à l’esprit du PIA et relevant de crédits budgétaires classiques. Cela comprend-il des politiques liées à l’industrie automobile ? Je pense en particulier au programme relatif aux bornes de recharge.

Enfin, vous avez affirmé qu’il n’y avait pas un nombre suffisant de bons projets portés par l’industrie automobile. Certains acteurs, notamment la direction générale des entreprises, considèrent que le CGI ne prend pas assez de risques. Qu’en pensez-vous ?

M. Louis Schweitzer. Sur quelques points, je demanderai à Jean-Luc Moullet, directeur du programme « Compétitivité, filières industrielles et transports » au Commissariat général à l'investissement, de vous donner des réponses, qui seront plus précises que les miennes. Deuxième remarque préalable : je ne suis plus actif dans l’industrie automobile depuis 2005, ce qui fait tout de même dix ans.

Parlons d’abord de l’affaire Volkswagen, qui appelle quelques développements techniques.

Tous les cinq ans en Europe comme aux États-Unis, il y a un durcissement des normes de dépollution et, depuis une période plus récente, la Commission européenne nous demande de réduire la consommation moyenne des véhicules, qui est mesurée par le nombre de grammes de CO2 émis au kilomètre. Ces deux objectifs sont partiellement en conflit. Je veux dire par là que la dépollution d’un véhicule est plus facile et moins chère à opérer pour un véhicule à essence : une fois un pot catalytique installé, les coûts ne sont pas très élevés. En revanche, la dépollution d’un véhicule diesel est beaucoup plus coûteuse. Les constructeurs sont ainsi conduits à un arbitrage délicat dans leurs efforts entre réduction du CO2, que permettent les moteurs diesel, et réduction des polluants – oxydes d’azote, particules fines, hydrocarbures à brûler.

À mesure que les normes de dépollution deviennent plus sévères, l’écart de prix entre un véhicule diesel et un véhicule à essence augmente et engendre un surcoût pour le diesel. Ma vision, à l’époque où j’étais dans l’industrie automobile, était qu’à terme, les normes de dépollution du diesel et de l’essence devaient converger, autrement dit qu’on devait arriver à un moment où le diesel, sans doute irremplaçable pour les transports lourds, ne polluerait pas plus que l’essence, tout en continuant à consommer moins.

Il est difficile de dépolluer les véhicules diesel, qu’il s’agisse de camions ou des automobiles. Et cette contrainte a abouti à une affaire analogue à l’affaire Volkswagen, aux États-Unis en 1998, pour ce qui concerne les camions. Afin de réduire des émissions d’oxydes d’azote, plusieurs technologies peuvent être utilisées. Il y a d’abord la recirculation des gaz d’échappement, système de dépollution efficace jusqu’à un certain point. Il apparaît suffisant au regard des normes européennes actuelles mais atteignait déjà ses limites compte tenu du seuil applicable en 1996 aux États-Unis. Il y a une autre technologie : l’addition d’urée, plus chère et plus contraignante pour l’usager car elle nécessite l’installation d’un deuxième réservoir à remplir régulièrement. Les constructeurs de camions aux États-Unis s’étaient, dans les années quatre-vingt-dix, interrogés sur la meilleure technologie à employer : devait-on tirer jusqu’à son terme la technologie de la recirculation des gaz d’échappement ou bien sauter le pas et passer à l’injection d’urée ? Presque tous les constructeurs ont choisi de faire ce saut. Un seul constructeur de moteurs – il faut préciser qu’aux États-Unis, les constructeurs de moteurs se distinguent des constructeurs de véhicules – a fait le pari de continuer à utiliser la recirculation. Il a vite dû constater que ses moteurs ne permettaient pas d’être en conformité avec le nouveau seuil et a eu recours au même procédé que Volkswagen en installant un petit programme capable de réduire la puissance du moteur en situation de test de façon à répondre aux normes. La supercherie a été découverte et le constructeur a dû payer 1 milliard de dollars d’amende.

Pour les automobiles aussi, les normes applicables au diesel sont plus sévères aux États-Unis qu’en France ou en Europe. Les constructeurs automobiles se sont retrouvés confrontés aux mêmes problèmes que les constructeurs de camions quinze ans plus tôt et le même scénario s’est reproduit : deux constructeurs ont choisi la technologie de l’urée
– Mercedes et BMW –, un autre a choisi la recirculation et a triché de la même manière –Volkswagen. L’incitation à utiliser la vieille technologie était cependant encore plus forte que pour les camions car remplir un second réservoir est plus contraignant pour les automobilistes. Les professionnels routiers acceptent plus volontiers de s’arrêter tous les x kilomètres que les conducteurs particuliers, qui ont perdu l’habitude de s’astreindre à ce genre de choses. Aujourd’hui, plus personne n’accepterait de faire une vidange tous les 1 500 kilomètres.

Pourquoi ai-je dit n’avoir pas été surpris que cette tricherie ait eu lieu chez Volkswagen et pas chez un autre constructeur ? Cette entreprise, que je connaissais bien, a connu une grande réussite industrielle : il y a dix ans, elle valait moins que Renault en bourse ; aujourd’hui, elle est le premier constructeur mondial. Trois traits principaux marquaient sa culture : premièrement, elle était animée d’une telle volonté de réussite entrepreneuriale que tout obstacle était considéré comme illégitime – dès lors, tricher n’apparaissait pas comme un vrai péché ; deuxièmement, personne ne pouvait contredire les ordres donnés par le chef ; troisièmement, il était impossible d’avouer que l’on n’avait pas réussi à exécuter lesdits ordres. Dans ces conditions, vous pouvez aisément imaginer que si le chef a dit qu’il ne fallait pas contraindre le conducteur avec un réservoir supplémentaire, qui risquait de dégrader la performance et d’accroître les coûts, les salariés ont répondu qu’ils y arriveraient car c’était à la limite du possible. Je ne sais pas du tout qui a décidé de tricher, il y a une enquête en cours. Toutefois, il est clair que le mécanisme de la tricherie peut être enclenché dès lors que personne ne discute les ordres du chef et n’ose avouer qu’ils n’ont pas pu être mis en œuvre.

Venons-en aux tests et aux normes en France en Europe. Par rapport aux tests américains, ils sont doublement plus faciles : premièrement, ils sont plus éloignés des conditions réelles de circulation ; deuxièmement, les valeurs de pollution qu’ils autorisent sont plus tolérantes pour le diesel, comme je l’ai dit. Pourquoi ? Ce n’est pas parce que nous aimons davantage la pollution en Europe mais parce que la baisse de la consommation est un non-sujet aux États-Unis où le carburant est trois à quatre fois moins cher qu’en Europe. Les constructeurs européens, eux, doivent en permanence faire un arbitrage entre consommation et pollution. La Commission elle-même recherche un équilibre entre ces deux variables dans les négociations. Il me paraît évident qu’après ce qui s’est passé aux États-Unis, il faut rendre les tests plus représentatifs, ce qui revient à les rendre plus sévères même si la quantité d’oxydes d’azote prise en compte ne change pas. Cela implique qu’il faudra construire de nouveaux moteurs, ce qui prendra deux à trois ans, et éliminer ceux qui ne peuvent être améliorés.

Je pense toujours que l’objectif à long terme est la convergence des normes de pollution applicables aux moteurs diesel et aux moteurs à essence. Cela se traduira par une plus grande difficulté à réduire les émissions de CO2 et la consommation au kilomètre des voitures, à puissance constante.

Après, on peut discuter sur le point de savoir si on a besoin d’avoir des voitures de 500 chevaux pour faire du 130 kilomètres l’heure. En réalité, le fait qu’il existe en Allemagne un millier de kilomètres d’autoroutes sans limitation de vitesse définit le standard automobile pour l’Europe et même pour le monde. Lorsque j’étais patron de Renault, j’étais le seul constructeur automobile à faire du lobbying contre cette exception à la limite générale de vitesse. Et cet isolement réduisait à néant mes chances de gagner, d’autant que les constructeurs allemands étaient en étroite liaison avec leur gouvernement.

Parlons maintenant de la filière industrielle. La Plateforme de la filière automobile constitue un progrès. Elle a un objet un peu différent du Conseil national de l’industrie, structure publique tout à fait utile mais qui est davantage un lieu de concertation entre l’État et les entreprises qu’un lieu de travail entre les entreprises elles-mêmes. Cependant, elle a des limites qui tiennent à ce trait français que j’ai souligné dans mon exposé liminaire : les constructeurs dans notre pays remettent en concurrence les fournisseurs au lieu d’entretenir une relation durable avec l’un d’eux en particulier. Ils vont, par exemple, mettre en concurrence Delphi, Nippon Denso et Bosch sur un système d’injection. La coopération est moins naturelle qu’en Allemagne où historiquement, les constructeurs se fournissaient chez Bosch et Siemens, ce qui faisait que toute la filière était industriellement intégrée : le dialogue était tout naturel entre des entreprises qui travaillaient continument ensemble.

Y a-t-il des redondances dans les structures ? Je ne le pense pas. Il y a d’un côté, une organisation qui rassemble les entreprises, la Plateforme de la filière automobile ; il y a de l’autre, le CNI. Le nombre de réunions n’est pas tel que les constructeurs y gaspillent leur temps. Plus ils se voient, mieux c’est. Nous n’avons pas d’inquiétudes à avoir sur un excès de dialogue. Dans mes nouvelles fonctions, j’ai essayé de les encourager à travailler encore plus ensemble. Il y a cependant des limites à cela, pour des raisons que j’ai exposées au début de notre réunion.

Abordons les questions liées au programme des investissements d’avenir lui-même. D’abord, madame la rapporteure, merci de vos compliments sur les améliorations que vous avez constatées. Nous essayons effectivement de simplifier et d’accélérer nos procédures. D’énormes progrès ont été enregistrés, notamment avec l’ADEME. Nous avons supprimé toutes les doubles instructions, nous avons allégé certaines procédures, en réduisant par exemple le nombre de pages que doivent comporter les dossiers des petits projets. Nous ne disposerons qu’au début de l’année prochaine d’un système de suivi automatique des délais entre dépôt du dossier et contractualisation de l’aide. Mon ambition est de parvenir à un délai de trois mois pour les projets simples. Aujourd’hui, ce délai n’est que rarement atteint et il vaut plutôt pour la durée qui sépare le dépôt du projet de la décision du Premier ministre ou du commissaire général d’accorder l’aide. Toutefois, depuis trois ou quatre ans, nos sondages ont montré que les délais avaient été divisés par trois ou quatre. C’est un progrès important car de trop longs délais présentent de multiples inconvénients : ils risquent de nuire à l’innovation, les projets se périmant vite dans un monde concurrentiel ; ils ne peuvent être supportés par les PME, qui, nous le savons, ont des problèmes de trésorerie ; enfin, ils risquent de décourager certains. Nous poursuivons nos efforts, mais il reste du chemin à parcourir.

Pourquoi avons-nous insisté sur l’année 2016 pour le PIA 3 ? Les crédits relatifs aux subventions et aux avances remboursables, qui entrent dans le déficit budgétaire au sens de Maastricht, et qui sont ceux qui suscitent le plus de compétition, auront été totalement engagés à la mi-2017. Si le PIA 3 était voté en 2017, il y aurait six mois de vide car il faut au moins six mois pour répartir les crédits, contractualiser avec les organismes, définir les procédures, lancer des appels à projets. Or l’on sait que lorsque l’on interrompt un processus, il y a un coût au redémarrage et une perte d’efficacité, comme dans les systèmes industriels. Un vote en 2016 éviterait une telle coupure.

Quant au rôle limité du PIA à l’égard de l’industrie automobile, j’en ai exposé les raisons aussi bien que je le pouvais dans mon propos introductif. L’automobile est souvent en second rang pour l’absorption de l’innovation, du fait de la contrainte des coûts. La structure compétitive entre Renault et PSA ainsi qu’entre les grands équipementiers rend plus difficile le travail coopératif, qui est la base du PIA. En d’autres temps, j’avais voulu que les deux grands constructeurs français explorent ensemble la possibilité de construire des moteurs hybrides diesel, mais comme l’un des deux pensait être plus avancé que l’autre, il n’avait pas envie de coopérer. L’esprit coopératif n’est pas encore suffisamment établi parmi les industriels pour qu’ils entrent volontiers dans un système de recherche collaborative.

Enfin, sur le manque de qualité des projets et les projets abandonnés, je vais laisser le soin à M. Jean-Luc Moullet de vous en dire plus. Par définition, ne me sont soumis que les projets de qualité : je ne vois pas passer les mauvais projets. Quant aux projets abandonnés, je n’en connais pas la liste.

M. Jean-Luc Moullet, directeur du programme « Compétitivité, filières industrielles et transports » au Commissariat général à l'investissement. L’écart entre les 450 millions d’euros de crédits décidés et les 350 millions nets s’explique de manière assez simple.

Les projets retenus sont par définition techniquement difficiles : ils essaient de dépasser l’état de l’art technologique et comportent une part d’inconnu dans leur réalisation. Durant les trois à quatre années que nécessite leur réalisation, les industriels peuvent parfois se heurter à une difficulté technique qu’ils ne parviennent pas à dépasser. Ils sont alors obligés de tirer un constat d’échec par rapport aux hypothèses initialement retenues et de mettre un terme à leur projet. Ces 100 millions d’euros d’écart correspondent à ces reprises sur projets arrêtés.

Cet écart pourrait d’une certaine manière être interprété comme une mesure des risques qui sont propres à chaque projet retenu. Ce ratio d’un peu moins de 20 % est un chiffre qui s’observe, ce n’est pas un critère de management. Dans un monde sans risques, les 450 millions de crédits seraient engagés en totalité.

M. Louis Schweitzer. Nous pouvons prendre deux types de risques suivant la nature des crédits que nous engageons. Il s’agit, premièrement, des subventions et avances remboursables, qui entrent dans le périmètre maastrichtien. Ils nous permettent de prendre des risques techniques et, à cet égard, je trouve d’une certaine façon sain que des projets échouent. Il s’agit, deuxièmement, de nos investissements en fonds propres, non maastrichtiens, pour lesquels nous sommes soumis à une double contrainte : d’une part, trouver un co-investisseur privé ; d’autre part, être considéré comme un investisseur avisé du point de vue européen, c’est-à-dire un investisseur qui a des espoirs de retours à proportion du risque qu’il prend, ce qui limite la prise de risques puisque les chances de gain doivent être supérieures aux risques de pertes.

Vous avez encore évoqué les investissements ne correspondant pas à l’esprit du PIA. Reconnaissons que la limite entre ce qui relève de l’esprit du PIA et ce qui n’en relève pas est quelquefois un peu artificielle. Nous ne considérons pas que les bornes de recharge se situent hors de l’esprit du PIA même si elles ne sont plus vraiment innovantes et qu’elles appartiennent plutôt au champ du Plan Juncker, c’est-à-dire à un système de diffusion. Nous avons commencé à faire un effort en faveur de leur déploiement. De la même manière, nous ne considérons pas que la couverture de la France en très haut débit se situe en dehors de l’esprit du PIA même si ce grand programme gouvernemental ne correspond pas entièrement à ses critères. Nous avons financé son démarrage et continuons de le gérer, mais en dehors des enveloppes du PIA car nous avons trouvé des relais de financement.

On chiffre les redéploiements hors esprit PIA à environ 5 milliards sur le total de 47 milliards du PIA 1 et PIA 2. Que recouvrent-ils ? Je citerai deux exemples parmi d’autres. Tout d’abord, la recherche militaire du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) : si elle allie innovation et excellence, elle ne repose ni sur une forte coopération ni sur le recours à des appels à projets et constitue pour nous une boîte noire absolue. Ensuite, les avances remboursables pour les Airbus 350 qui, jusqu’à l’apparition du PIA, étaient financées sur le budget de l’État. Autant de projets qui ne sont pas mauvais en eux-mêmes mais qui ont été placés, un peu par facilité, dans le champ de financement du PIA alors qu’ils relevaient auparavant du budget de l’État. Cela n’a aucun impact sur le déficit au sens de Maastricht : que le financement passe ou non par le PIA ne change rien en ce domaine. Cela a toutefois une incidence au regard de la norme de dépense publique intérieure telle qu’elle est approuvée par le Parlement, laquelle prend en compte d’autres critères que celui des 3 % maastrichtiens, car le PIA se situe hors norme de dépense.

M. Jean-Michel Villaumé. Monsieur Schweitzer, commentant l’affaire Volkswagen dans Les Échos, vous avez déclaré : « ce qui serait désastreux, c’est de conclure que le diesel doit mourir ». Certes, en termes d’émissions de CO2, il est moins polluant que l’essence. Toutefois, du point de vue de la santé, on sait qu’il est particulièrement dangereux à cause des émissions de particules fines, auxquelles l’Organisation mondiale de la santé attribue 40 000 morts par an. Est-il donc raisonnable d’affirmer que le diesel fait partie de l’avenir de la filière automobile ?

Par ailleurs, pouvez-vous nous indiquer quelles évolutions technologiques vous envisagez pour la filière automobile ? Dans la perspective de la COP21, il est beaucoup question de ce qu’elle pourra apporter à la croissance à travers le développement des véhicules propres.

M. Denis Baupin. J’aimerais souligner toute l’importance de votre remarque sur les mille kilomètres d’autoroutes allemandes qui déterminent la puissance du parc automobile mondial. Je dois dire que c’est assez effrayant. Effrayant en termes de pouvoir d’achat : les ménages surpaient des véhicules dimensionnés pour atteindre des vitesses élevées sur les autoroutes allemandes. Plus effrayant encore en termes d’impact climatique : s’il y a bien un domaine dans lequel on peine à réduire les émissions de gaz à effet de serre, c’est la mobilité, notamment dans notre pays. Je suis un grand défenseur des alternatives à l’automobile mais nous savons bien que dans une grande partie des territoires, la solution ne réside pas dans le transport collectif mais bien dans le modèle automobile. La consommation des véhicules, donc la puissance des moteurs, est un facteur déterminant dans la lutte contre le dérèglement climatique, y compris si l’on ne veut pas laisser à nos enfants et nos petits-enfants une planète vidée de toutes ses ressources pétrolières.

J’aimerais vous demander, vous qui avez eu de très grandes responsabilités dans l’industrie automobile et qui êtes un observateur attentif de ce secteur, s’il n’est pas temps de sortir du paradigme de la voiture à tout faire, qui prévaut depuis des décennies. Les voitures conçues pour emmener une famille en vacances ne servent, l’essentiel du temps, qu’à une seule personne. L’entreprise que vous avez dirigée a lancé la Twizy, une innovation intéressante : ce véhicule, qui n’est pas considéré comme une voiture aujourd’hui, permet d’expérimenter un autre modèle de mobilité dans les zones urbaines.

Le fait que les constructeurs aient tellement de mal aujourd’hui à respecter les normes de pollution n’est-il pas lié à ce paradigme ? Si l’on décide que les objectifs relatifs à la qualité de l’air, à la lutte contre le dérèglement climatique, à la mobilité de nos concitoyens sont à privilégier par rapport à la vitesse sur ces mille kilomètres d’autoroutes, ne serait-il pas temps de passer à autre paradigme, qui permettrait d’ailleurs peut-être de sauver la filière automobile ?

Mme la présidente. Les PIA ont déjà six ans, avez-vous une visibilité sur ce qui pourrait être l’innovation de rupture dans le domaine de l’industrie automobile ? Quels seraient les délais d’achèvement ?

Ne pensez-vous pas qu’il serait utile, dans une optique de bonne gestion de deniers publics, que vous supervisiez certains pôles qui, outre leur rôle d’animation de réseaux, sont amenés à financer des projets en collaboration avec les régions, qui gèrent les aides du Fonds européen de développement régional (FEDER) ? Ne pourriez-vous pas veiller à établir une hiérarchie dans les intervenants, afin d’éviter les chevauchements dans les investissements et les pertes de fonctionnement en ligne ? Il me paraît important d’encourager les actions financées par des fonds propres, plus efficaces que celles financées par des subventions et de veiller à ce que l’argent aille bien au financement de projets au lieu d’être consommé par des animateurs sur le terrain qui ne sont pas forcément très efficaces.

M. Louis Schweitzer. Je commencerai par l’avenir du diesel. Comme je l’ai dit, dans un horizon non déraisonnable, il me semble souhaitable que la pollution engendrée par les véhicules diesel soit égale à celle des véhicules à essence. Dans nos villes, ce n’est toutefois plus un sujet majeur. Tokyo, grâce à des normes sévères, a ainsi réussi à réduire considérablement la pollution automobile. Les villes vraiment polluées, il faut les chercher dans d’autres types de pays.

Une autre question qui se pose est de savoir si l’avantage fiscal dont bénéficie le diesel est légitime. Aucun argument rationnel ne me paraît justifier un tel écart. Ma conviction personnelle est qu’une convergence progressive de la fiscalité du diesel et de l’essence n’est pas déraisonnable. Il faut toutefois avoir à l’esprit qu’une telle convergence conduira à réduire la valeur patrimoniale des véhicules diesel détenus par les ménages et s’attacher à une certaine progressivité. Un délai de cinq ans me paraîtrait un peu brutal à l’aune de la durée de vie de quinze ans des automobiles.

Je reste persuadé que le diesel, même soumis à des normes de pollution plus sévères, restera plus efficient en termes d’émissions de CO2 que l’essence, notamment pour les transports lourds. Je n’imagine pas qu’on construise à nouveau des camions à essence et je ne considère pas que la généralisation du gaz soit une réponse entièrement satisfaisante.

Les techniques alternatives, reconnaissons-le, n’ont pas que des avantages.

L’électricité pose encore des problèmes : en termes d’autonomie, en termes d’environnement aussi puisque le recyclage des batteries n’est pas encore une question qui va de soi. De plus, il ne sera pas facile de donner aux automobilistes l’envie de passer d’un véhicule qui peut parcourir 1 000 km sans s’arrêter à un véhicule qui devra être rechargé tous les 100 km.

Les moteurs à hydrogène ne polluent pas certes, mais l’hydrogène qui les alimente se fabrique pour le moment avec de l’électricité, ce qui suppose en amont une centrale
– centrale au charbon en Allemagne et en Pologne. Le gain environnemental pour la planète est donc très faible.

Les véhicules hybrides ne sont pas forcément adaptés aux conditions de roulage européennes alors qu’au Japon, ils se développent bien mieux car la récupération d’énergie de freinage est constante. Rouler avec un véhicule hybride sur une autoroute française, c’est, du fait de la charge supplémentaire d’une soixantaine de kilos du moteur, consommer plus qu’un véhicule à essence, qui lui-même consomme plus qu’un véhicule diesel.

Le diesel a donc un avenir mais nécessite qu’une double convergence, en termes de fiscalité et de pollution, s’opère. Il est difficile toutefois d’établir des délais car dans le domaine automobile, on a toujours une vue déformée. Le plein effet attendu d’une norme ne se fait sentir que vingt ans après qu’elle a été définie étant donné qu’il faut cinq ans pour qu’elle soit appliquée et quinze ans pour que le parc de voitures relevant de la norme précédente soit remplacé. Vous décidez donc aujourd’hui en fonction d’une perception des villes qui reflète des normes vieilles de dix ans. Cette échelle temporelle fausse beaucoup de choses.

En un mot comme en cent, je ne peux pas vous annoncer que le PIA est en train de financer la solution miracle. Je ne pense pas qu’il en existe une.

Monsieur Baupin, entendons-nous bien, j’ai dit que les mille kilomètres d’autoroutes allemandes fixaient la norme de la puissance des voitures. Cette norme ne s’applique pas à tous les véhicules : quand vous achetez une Twingo ou une Dacia, qui n’ont pas été conçues pour circuler sur ces autoroutes, vous ne surpayez pas. Toutefois, on observe que la part des voitures chères augmente : c’est le secteur le plus profitable pour les constructeurs.

Vous voulez que l’industrie automobile sorte du paradigme de la voiture à tout faire. Cela me paraît être une illusion pour 90 % des modèles. Il se trouve que dans une vie antérieure, j’ai eu à négocier avec M. Hayek, le créateur de Swatch, pour la mise au point de la Smart. Son projet partait d’un raisonnement simple : plus de 80 % des trajets en voiture s’effectuent sur de toutes petites distances avec deux personnes au maximum à bord et sans bagages. J’ai dû lui dire que même si je trouvais son idée passionnante, je ne fabriquerais sûrement pas cette voiture car j’y perdrais ma chemise. Et effectivement, Mercedes, vers qui il s’est finalement tourné, a perdu sa chemise en en construisant. Ce qui fait la force de l’automobile, c’est sa polyvalence : certes, la majeure partie du temps, vous l’utilisez seul pour de petits trajets, mais le week-end, en vacances, vous avez la possibilité de profiter de tout l’espace qu’elle contient. La Smart se vend comme deuxième voiture d’une personne seule ou comme troisième voiture d’un couple. La Twizy se rapproche de ce concept mais il faut bien dire que ses ventes restent confidentielles – ce qui était prévisible.

Il me paraît plus performant d’un point de vue environnemental de changer le mode d’utilisation de la voiture que de construire des modèles d’automobiles spécialisés : covoiturage, voiture dont on n’est pas propriétaire, voiture parisienne que vous ne possédez pas et que vous utilisez dans la ville.

Pour les projets d’avenir du PIA, madame la présidente, il est un peu tôt pour établir un bilan. Seuls 12,5 milliards ont été décaissés. Un groupe d’experts extérieurs, que nous n’avons pas choisis, présidé par M. Maystadt, ancien vice-Premier ministre belge et ancien président de la Banque européenne d’investissement, se livre à une évaluation du PIA et rendra ses conclusions avant que ne soit soumis au Parlement un éventuel PIA 3. Par ailleurs, chaque financement dédié à un laboratoire d’excellence, une université d’excellence, un IRT, un ITE est soumis au bout de quatre ans à une évaluation qui n’a rien d’une formalité, je peux vous le dire.

Nous disposons de plusieurs indicateurs qui montrent que les choses évoluent : nombre de start-up créées dans les universités que nous soutenons, nombre de brevets commercialisés dans les instituts de recherche que nous finançons, nombre de publications dans les meilleures revues à comité de lecture. Pour les 170 laboratoires d’excellence que nous finançons, nous constatons que la concentration de l’effort sur les très bons leur a permis de décoller par rapport aux autres et nous espérons qu’il y aura un effet d’entraînement.

Lors de ma rencontre, lundi dernier, avec le président de l’Association française des pôles de compétitivité, nous avons échangé sur la façon de travailler ensemble. Je ne pense pas qu’il soit nécessaire de mettre en place une supervision centrale. Un tri va s’opérer parmi les pôles par une sorte de sélection darwinienne, certains ayant beaucoup de vitalité, d’autres moins. Une administration d’État ne serait pas dans son rôle en désignant ceux qui ont le droit de vivre et ceux qui ne l’ont pas, étant donné que nous ne les finançons pas. Même s’il y a quelques frottements et inefficacités, nous n’avons pas l’impression qu’il y ait beaucoup de redondances : il n’y a pas de projets qui ne soient pas co-financés par les entreprises et les acteurs entrepreneuriaux n’ont pas envie de gaspiller de l’argent.

En revanche, nous réfléchissons, dans la perspective du PIA 3, au développement d’une régionalisation partielle, que nous avons commencé de mettre en œuvre dans le PIA 2. Nous avons mis au point un système de décision au niveau régional dans cinq régions : État et région apportent les mêmes montants, co-décident sur instruction de Bpifrance, et le CGI se réserve trois ou quatre jours de réflexion pour s’assurer que les projets correspondent bien aux critères du PIA – choix par des experts, excellence, coopération et innovation. Ce système fonctionne très bien, du moins dans quatre des cinq régions test puisqu’une région a refusé de s’engager dans ce processus. Nous proposons d’aller beaucoup plus loin dans le PIA 3 avec une enveloppe non plus de 50 millions sur un total de 47 milliards mais de 500 millions sur un total 10 milliards. Ce serait un changement d'échelle significatif, cohérent avec la loi NOTRe. Nous avons constaté que les décisions au niveau régional étaient prises rapidement et efficacement, au plus près du terrain, au plus près des petites entreprises, avec de très bons projets – nous n’avons eu à exercer notre censure que sur deux projets :

Mme la rapporteure. C’était implicite dans vos propos, monsieur Schweitzer, mais je préfère que les choses soient dites clairement : vous considérez bien que l’enveloppe consacrée au sein du PIA aux projets concernant directement ou indirectement l’industrie automobile est suffisante ?

M. Louis Schweitzer. Oui !

Mme la rapporteure. Est-il nécessaire qu’il y ait plus de projets ? Et si oui, comment agir en ce sens ? Vous avez évoqué les problèmes de coopération entre acteurs de la filière. L’exemple d’une technologie nécessitant pour son développement industriel la collaboration de plusieurs partenaires nous a été cité lors d’une précédente audition. Faut-il développer les partenariats entre Renault et PSA ? Est-ce encore possible ?

Vous avez évoqué les conséquences d’une convergence fiscale entre l’essence et le diesel sur le marché de l’occasion. Ne faut-il pas aussi prendre en compte les enjeux d’adaptation industrielle ? Je pense au développement de chaînes de production modulables. Considérez-vous que cette adaptation de l’outil de production industriel appelle un accompagnement public – en dehors du PIA car ce n’est pas son rôle ? Quel serait le bon levier à actionner ?

Vous avez souligné que la généralisation du gaz pour le transport lourd ne vous paraissait pas être une bonne idée. J’aimerais que vous développiez votre point de vue dans la perspective de nos futures auditions.

M. Louis Schweitzer. Comment permettre qu’il y ait plus de projets ? Il s’agit d’abord de faire en sorte que les procédures ne soient pas décourageantes. Il s’agit ensuite de mieux informer : notre notoriété est faible et nos appels à projets sont mal connus. Désormais, chaque appel à projets, document toujours un peu indigeste, est accompagné d’une page de synthèse que l’on diffuse aussi largement que possible, notamment via notre site internet. Il s’agit encore de donner aux entreprises l’envie d’investir et d’innover : beaucoup sont réticentes à la prise de risques. Il s’agit, en outre, de développer dans tous les secteurs l’excellent système mis au point dans le cadre du PIA 2 qui consiste à soutenir les entreprises dans leur croissance étape par étape : soutenir une idée par une subvention de 200 000 euros, aider à la mise au point d’un prototype en allant jusqu’à 2 millions d’euros d’avances remboursables ; puis fournir une aide en fonds propres jusqu’à 20 millions. Nous voulons éviter cette situation où les idées naissent en France et donnent lieu à des créations d’entreprises aux États-Unis ou ailleurs.

Mon expérience de l’automobile me fait dire que les chaînes flexibles ne sont pas une bonne solution au long cours pour les gros volumes, car elles induisent des surcoûts et une perte d’efficacité. Elle peut être intéressante pour les petites séries, par exemple pour la construction de V6 ou V8. Par ailleurs, la flexibilité n’est souvent que théorique : les besoins réels liés à l’innovation supposent des changements qui ne sont pas ceux qui avaient été envisagés initialement. Cela dit, nous soutenons les automatisations dans des domaines où la flexibilité est un atout. Nous aidons ainsi les projets d’usine du futur, mais dans des secteurs où l’on n’est pas, comme dans l’automobile, à 5 centimes près sur le prix d’un moteur
– l’industrie automobile est toujours près de ses sous : gagner un euro par véhicule suppose un énorme effort.

Le gaz est un carburant de complément qui constitue une bonne solution dans les zones de pollution locale importante, en milieu urbain. Il suppose des contraintes techniques : taille du réservoir plus importante, conditions de remplissage plus difficiles, risques d’inflammation dans des zones sensibles comme les tunnels. Et je ne suis pas certain que le bilan CO2 soit si bon, je crois même qu’il est même un peu moins bon que le diesel, si je me souviens bien des données pour les camions aux États-Unis. Certes, la fiscalité appliquée au gaz n’est pas du tout la même que pour l’essence ou le gazole mais il n’y a pas plus de raisons théoriques de défiscaliser le gaz que n’importe quel autre hydrocarbure, à moins qu’il y ait des pénuries. Le gaz ne saurait constituer la solution de référence. Il offre une solution de complément dans les villes : il permet ainsi de dépolluer les bus plus rapidement que le diesel. Par ailleurs, il est un peu moins contraignant que l’électricité.

M. Denis Baupin. Votre réponse à propos de la voiture polyvalente est intéressante. Vous vous placez du point de vue des industriels. J’ai envie de reformuler la question : n’est-ce pas un luxe ? La Dacia, que vous avez citée comme modèle consommant peu, peut atteindre une vitesse maximale de 160 à 180 kilomètres à l’heure alors même que la vitesse est limitée partout en France – même si je sais bien qu’il faut une certaine puissance pour pouvoir doubler trois fois par an sur l’autoroute un véhicule roulant à 130 kilomètres à l’heure. Une enquête parue, il y a quelques jours, dans le magazine L’Automobile, a montré que tous les véhicules testés – et il y en a 1 000 – ont une consommation supérieure de 40 % en fonctionnement normal aux références affichées et même de 60 % pour les véhicules répondant à la norme Euro 6 diesel. Compte tenu des enjeux liés au climat, à la pollution de l’air, à la consommation et donc au pouvoir d’achat, n’y a-t-il pas un plafond de verre qui pousse l’industrie automobile à ne pas vouloir sortir du paradigme de la voiture polyvalente ?

J’entends en partie votre réponse qui consiste à dire qu’il est plus facile de changer les usages de la voiture polyvalente que les modèles eux-mêmes. Mais le changement de mode de vie – qui a paru d’ailleurs auparavant peu envisageable – qui a permis l’essor du covoiturage ne prépare-t-il pas d’autres changements ? Ne pourrait-on envisager d’utiliser pendant l’année une voiture à une ou deux places et d’en louer une autre plus grande pour les vacances ou bien de recourir au covoiturage ? Pourquoi ne pas imaginer d’autres business models et d’autres modèles de mobilités qui répondraient aux enjeux auxquels nous sommes confrontés ?

M. Louis Schweitzer. Je sais d’expérience que les voitures monovalentes ne se vendent pas, monsieur Baupin. Les constructeurs automobiles ont pour métier de vendre des voitures achetables. La Smart répondait à des critères rationnels et devait être, dans l’esprit de M. Hayek, une voiture populaire. Qu’en est-il en réalité ? Elle est le véhicule supplémentaire de gens riches. Le problème n’est pas de nature technique – les constructeurs savent installer des moteurs couchés à l’arrière – mais commercial : il faut pouvoir trouver des clients. L’industrie automobile ne va pas concevoir des voitures dont elle sait qu’elles ne se vendront pas.

M. Denis Baupin. Qu’est-ce qui pourrait contribuer à changer le business model ?

M. Louis Schweitzer. Que les clients aient envie d’acheter des voitures monovalentes !

Ce qui est déterminant pour la plupart des conducteurs, ce n’est pas de pouvoir dépasser les limites de vitesse mais d’avoir un véhicule capable de tenir une vitesse en légère montée avec des temps d’accélération qui ne soient pas ceux d’un train, c’est-à-dire qui ne nécessitent pas d’attendre quatre kilomètres pour rouler à 130 kilomètres à l’heure. Cela suppose fatalement de pouvoir atteindre les 150 kilomètres à l’heure.

Les normes européennes sont ainsi faites qu’il y a toujours un écart entre la pollution réelle et la pollution testée. Il faut établir des conditions de test plus réalistes, ce qui revient à rendre les normes plus sévères.

M. Denis Baupin. Le test portait non pas sur la pollution mais sur la consommation.

M. Louis Schweitzer. Il fut un temps où les constructeurs affichaient des niveaux de consommation très bas car les tests étaient menés avec des essayeurs experts au pied léger qui passaient les vitesses au moment adéquat avec des pneus légèrement surgonflés. Puis, devant les protestations, il y a eu un retour au réalisme. Sont ensuite intervenues les normes de consommation moyennes établies par les autorités européennes : les constructeurs ont eu intérêt à justifier de consommations plus faibles, au risque de payer des amendes et de priver leurs clients d’un régime fiscal plus favorable, et il y a un retour, dans les limites de la loi, à l’optimisation par rapport aux conditions normales de conduite. Ce jeu réglementaire et normatif a sans doute contribué à recréer un écart. Il y aura peut-être un retour de balancier par la suite.

Mme la présidente. Je vous remercie, monsieur Schweitzer, pour toutes vos réponses.

La séance est levée à dix-huit heures quarante.

◊ ◊

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur l'offre automobile française dans une approche industrielle, énergétique et fiscale

Réunion du mardi 24 novembre 2015 à 17 heures

Présents. - M. Yves Albarello, Mme Delphine Batho, M. Denis Baupin, M. Jean-Marie Beffara, M. Marcel Bonnot, M. Xavier Breton, Mme Marie-Anne Chapdelaine, Mme Françoise Descamps-Crosnier, Mme Estelle Grelier, M. Gérard Menuel, M. Rémi Pauvros, Mme Sophie Rohfritsch, M. Jean-Michel Villaumé

Excusés. - M. Frédéric Barbier, M. Jean-Pierre Maggi, Mme Marie-Jo Zimmermann