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Mardi 15 décembre 2015

Séance de 18 heures

Compte rendu n° 15

Présidence de Mme Sophie Rohfritsch, Présidente

– Audition, ouverte à la presse, de M. Xavier Timbeau, économiste, directeur principal de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).....

Mission d’information
sur l’offre automobile française dans une approche industrielle, énergétique et fiscale

La séance est ouverte à dix-huit heures quinze.

La mission d’information a entendu M. Xavier Timbeau, économiste, directeur principal de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).

Mme la présidente Sophie Rohfritsch. Nous accueillons monsieur Xavier Timbeau, directeur principal de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), un organisme scientifique qui est le centre de recherche économiques de Sciences Po.

La mission d’information a déjà entendu un économiste, le professeur Élie Cohen. Il nous a donné une description argumentée mais plutôt inquiétante de la situation de la construction automobile française.

Au titre de ce qu’il a appelé un « décrochage industriel », ce spécialiste de l’économie industrielle a souligné un véritable effondrement de l’activité en termes de véhicules produits en France, donc en termes d’emplois, mais aussi un important retard en matière de recherche et développement en comparaison des constructeurs allemands.

La semaine passée, les responsables de la Fédération professionnelle des équipementiers, la FIEV, nous ont également indiqué que les emplois relatifs à leurs activités françaises avaient fortement décliné au long des vingt dernières années.

La situation est d’autant plus préoccupante que les équipementiers ont su faire face à la crise de 2008-2009, par des efforts de productivité et d’innovation. La rentabilité économique de leurs activités s’est même plutôt favorablement rétablie. Toutefois, ces industriels ne nous ont pas caché que les perspectives d’une croissance significative de leurs emplois en France restent faibles.

Monsieur Timbeau, la mission d’information est intéressée par vos analyses sur une situation qui relève probablement d’un déficit de compétitivité. Mais elle pourrait aussi avoir d’autres causes ; nous souhaitons profiter sur ce point de vos éclairages. Vous avez beaucoup travaillé sur les questions tenant à la durée du travail et à la productivité. Peut-être pourrez-vous nous préciser quels sont les véritables défis posés aux constructeurs français sur ces thématiques ?

Plus généralement, quelles sont les spécificités en termes d’investissement ou d’innovation qui singulariseraient défavorablement nos constructeurs vis-à-vis de leurs concurrents allemands ou asiatiques ? Des interrogations semblent pouvoir être soulevées s’agissant des stratégies comparées des grands groupes.

Différents point sont à évoquer s’agissant de nos constructeurs : le choix de fabriquer des véhicules de gamme moyenne voire low cost et en tout cas éloignés du haut de gamme générateur des plus fortes marges ; le déséquilibre de leur production entre les motorisations diesel et essence ; des choix peut-être trop exclusifs en faveur d’une filière technologique, comme c’est le cas du véhicule électrique pour un des deux constructeurs français.

Enfin, quel est, monsieur Timbeau, votre analyse sur les conséquences possibles de l’affaire Volkswagen pour l’économie de l’ensemble du secteur ? La défiance des consommateurs affectera-t-elle durablement le secteur ? En quoi les constructeurs devront-ils prioritairement évoluer dans leur business model comme dans leur communication et leur stratégie de marketing ? Que doivent exiger d’eux les pouvoirs publics et quelles modifications réglementaires et fiscales du cadre de leurs activités vous paraissent-elles les plus urgentes ?

Nous allons vous écouter, dans un premier temps, pour un exposé liminaire de présentation. Puis madame Delphine Batho, rapporteure de la mission, vous posera une première série de questions. Elle sera suivie par les autres membres de la mission qui, à leur tour, vous interrogeront.

M. Xavier Timbeau, économiste, directeur principal de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Je ne suis pas un spécialiste du secteur automobile, mais je m’y intéresse parce qu’il joue un rôle important dans l’économie française, dans la réponse à la question environnementale et dans la définition des politiques publiques. Ces dernières sont en effet confrontées au défi de savoir comment préserver l’emploi industriel et comment anticiper ses perspectives d’avenir.

L’automobile d’aujourd’hui n’a pas grand-chose à voir avec celle que nous connaîtrons dans cinquante ans ; nos manières de nous déplacer auront elles aussi changé du tout au tout. Les politiques publiques sont nécessairement impliquées dans cette évolution.

L’affaire Volkswagen nous pose des questions sur lesquelles je vous livrerai mon analyse. Certes, je ne contredirai pas Élie Cohen et ses prévisions sombres pour le secteur automobile français, qui me semblent justifiées. Mais j’y apporterai peut-être quelques nuances. Les constructeurs français sont spécialisés dans le milieu de gamme, ce qui explique pour partie que leurs résultats sont moins flamboyants que ceux des constructeurs allemands. Mais il ne faut pas les comparer avec les constructeurs allemands haut de gamme. Dans le milieu de gamme, tous les constructeurs se sont retrouvés exposés à une baisse de la demande notamment en Espagne et en Italie, avec l’austérité imposée là-bas à la classe moyenne, le chômage qui y sévit et une paralysie du secteur bancaire qui limite l’accès au crédit, moyen de financement très populaire dans le secteur automobile. Tous ces facteurs n’ont pas manqué de toucher profondément le secteur automobile français.

Il pâtit aussi d’un manque de recherche et développement, ainsi que d’une trop faible flexibilité en cas de perturbations du marché, notamment au vu des solutions qui existent outre-Rhin –je rejoins Élie Cohen sur ce point. En Allemagne, si le contrat de travail est garanti à long terme dans l’automobile, il existe cependant des possibilités de réduire temporairement la masse salariale, par du chômage partiel, voire par une baisse des salaires. En France, cette marge d’adaptation n’existe pas vraiment, de sorte que l’ajustement se produit sous la forme de licenciements. Quand l’activité repart, les constructeurs se trouvent ainsi dans une position plus difficile.

Il en va de même pour les sous-traitants. Prenons garde d’oublier en effet le réseau des petites entreprises qui sont étroitement intégrées aux constructeurs. La crise a coûté cher dans cet écosystème de relations. Elle a brisé des tabous sur l’externalisation hors de France, qui fait désormais l’objet de moins de doutes et d’une approche plus pragmatique.

J’ajouterai un petit élément d’optimisme. Les groupes PSA et Renault ont ajusté leur situation. Non seulement sur le plan capitalistique, ce qui ne fut pas aisé pour le groupe PSA, mais aussi du point de vue de leur gamme, en revoyant en conséquence l’organisation de leur appareil productif. En outre, il est possible que se produise une reprise très forte du marché automobile européen, qui leur permettrait de retrouver des couleurs. L’un des arguments qui plaide en ce sens est l’âge moyen des véhicules en Europe, qui a augmenté d’un an et demi depuis la crise. Les décisions de renouvellement ont été repoussées, mais l’âge moyen devrait désormais diminuer, provoquant une accélération des marchés.

Le secteur reste néanmoins soumis à des mutations. Les entreprises les ont-elles assez anticipées, de même que les politiques publiques d’ailleurs ? La première mutation est environnementale. À l’avenir, il conviendra de réduire non seulement les émissions de dioxyde de carbone (CO2), mais aussi d'oxydes d'azote (NOx), à cause de l’affaire Volkswagen. La pollution locale, les nuisances sonores et la congestion urbaine devront également être réduites. En matière d’émissions de CO2 et de NOx, le schéma européen reposait sur un dialogue entre le régulateur et les producteurs, qui devaient en diminuer les volumes en développant des véhicules plus efficaces, réduisant la production de CO2 par kilomètre.

L’affaire Volkswagen a aiguisé le regard critique sur cette approche. S’agissant d’abord des émissions de CO2, on peut dire que la stratégie a fonctionné, puisque leur volume moyen pour le parc a diminué de 10 % depuis 2004 en France. Si cette valeur est intéressante, soulignons néanmoins qu’à ce rythme, il faudrait cent ans pour arriver à supprimer totalement les émissions. À mon sens, cela montre que laisser le constructeur agir sans que l’impact soit trop sensible sur le consommateur, grâce à des solutions techniques est insuffisant. Il faudra sans doute passer à l’avenir à une action directe sur le consommateur, en l’incitant à rouler moins, à recourir à d’autres modes de transport, voire à s’acquitter d’une taxe CO2.

Quant aux émissions de NOx, un problème de crédibilité des normes employées s’est fait jour. À ce stade des auditions, vous devez savoir mieux que moi comment les valeurs des véhicules sont calculées sur la base d’un banc d’essai correspondant à des conditions et à un schéma particuliers, de sorte que les automobiles peuvent réagir elles-mêmes au cycle par un comportement particulier. Dans les conditions réelles, en revanche, les valeurs d’émission observées sont bien supérieures. Impropre à rendre compte de l’évolution des émissions, la norme se révèle donc illusoire. Du fait de l’optimisation des véhicules par rapport au cycle, les résultats produits ne sont pas du tout les résultats attendus.

Le risque se fait donc jour que le régulateur soit capturé par les constructeurs, qui lui imposent leurs objectifs et leurs contraintes. À l’origine, les normes étaient pourtant utilisées comme des instruments de compétitivité pour développer un marché de véhicules vertueux du point de vue environnemental, susceptibles ultérieurement d’être exportés.

En 1989, l’introduction du moteur TDI de Volkswagen a marqué un tournant. Ce moteur a pu contribuer jusqu’à 60 % des bénéfices de l’entreprise, sous ses diverses formes, se révélant surtout particulièrement utile pour entrer sur le marché américain en 2005. Il y fut en effet présenté comme un moteur propre et efficace sur le plan des émissions de CO2. Plus petits et plus performants sur le plan énergétique, ils permettaient de réaliser des gains de CO2 d’environ 20 % par rapport aux autres moteurs. Le président Obama lui-même en avait fait la publicité en déclarant que le moteur est un élément de solution au problème des émissions de CO2. Cela aurait pu profiter également aux constructeurs français.

La révélation d’une certaine connivence avec le régulateur européen a conduit à nuancer ce jugement. Le groupe Volkswagen s’était trop reposé sur celle-ci et le régulateur américain en a tiré parti pour s’en prendre à son avantage compétitif.

Le moteur diesel reste un actif dans le portefeuille technologique des constructeurs européens. Il continue d’être utilisé par ceux qui sont le mieux placés sur le marché automobile mondial et il a le mérite de réduire les émissions de CO2, tout en conservant aux conducteurs le même agrément d’utilisation. Cependant, s’il ne remplit pas ses objectifs en matière d’émissions de NOx et de particules fines en suspension (particulate matters, PM), l’expérience américaine montre qu’il sera difficile d’utiliser l’argument environnemental en sa faveur.

Dès lors, vers quel modèle d’incitation aller en Europe ? Faut-il conserver une stratégie d’élévation graduelle des normes, s’appuyant sur le passage d’un moteur quatre cylindres à un moteur trois cylindres doté d’une bride compensant la petite taille du moteur ou bien faut-il envisager une rupture plus forte avec la solution du véhicule tout électrique, d’un recours moins systématique au transport individuel et d’une mobilité différente ? Cela ferait tourner la page d’une industrie porteuse sur le continent européen, qui continue d’exporter beaucoup d’automobiles.

Le choix sera difficile. Il va falloir produire des réductions d’émissions de CO2 et de PM assez fortes pour satisfaire les engagements pris au terme de la récente Conférence de Paris sur le climat (COP 21). Or il est n’est pas sûr que les solutions techniques proposées par les constructeurs soient toujours compatibles avec ces engagements.

Mme Delphine Batho, rapporteure. Vous venez d’évoquer deux stratégies, l’une de rupture forte, l’autre d’élévation graduelle des normes. J’observerai cependant que plus les normes sont hautes, plus grand est aussi l’écart entre elles et la réalité ; le progrès tangible n’est jamais au niveau attendu. En tout état de cause, vous posez seulement l’alternative, en vous gardant de choisir entre ses deux termes.

S’agissant de votre comparaison entre la compétitivité du secteur automobile en Allemagne et en France, pensez-vous que l’écart s’explique plutôt par le modèle économique ou par l’organisation du travail ?

Vous nous annoncez une possible reprise du marché automobile européen. Outre les chiffres encourageants qui sont parus aujourd’hui, disposez-vous aussi de prévision de tendance sur les moyen et long termes, ou vous basez-vous seulement sur les chiffres de 2015 ?

Enfin, vous avez publié des travaux sur d’autres sujets, notamment sur un New Deal vert qui pourrait relancer l’économie européenne. Le plan envisagé affecterait 2 % du PIB à des investissements dans la transition énergétique. S’il devait comporter un volet automobile, ou plutôt un volet mobilité, quelles devraient être à vos yeux ses priorités ?

M. Philippe Duron. L’industrie automobile est depuis longtemps une industrie motrice qui exerce un effet d’entraînement sur l’ensemble de ses sous-traitants. Elle est génératrice à la fois de valeur ajoutée et d’emploi. Après un mouvement de concentration dans le secteur, des évolutions se font jour : certains constructeurs, tel Volkswagen, développent des plateformes communes qui leur permettent de réduire leurs coûts ; d’autres nouent des ententes, comme Chrysler et Fiat ou encore Renault et Nissan ; enfin, des constructeurs nouveaux tels que Tesla ou Bolloré émergent, sur le segment de la voiture électrique.

Leur émergence vous paraît-elle durable ou bien les gros constructeurs vont-ils reprendre le leadership dans le domaine, en s’appropriant l’innovation et en l’intégrant à leur modèle ? Verrons-nous au contraire apparaître un nouveau modèle lié à la transition énergétique ou bien un développement des véhicules autonomes ?

Aujourd’hui, il existe plusieurs alternatives au couple classique diesel et essence. Quelles sont pourtant les solutions techniques qui ouvrent les plus grandes perspectives : le véhicule électrique, le moteur à hydrogène ou quelque autre encore ?

Enfin, vous avez suggéré que le diesel est susceptible de s’améliorer encore. Mais ne pensez-vous pas que l’affaire Volkswagen lui a porté un coup fatal aux États-Unis ?

M. Jean-Michel Villaumé. Vous aviez déclaré dans la presse, au début de l’année, que vous étiez assez optimiste quant à la croissance du PIB en 2015, la chiffrant à 1,5 %, ce qui allait au-delà des prévisions du Gouvernement. Où en êtes-vous de vos appréciations sur ce sujet ? Le frémissement de reprise qui s’observe vous semble-t-il durable, alors qu’un fléchissement notable a eu lieu sur le plan mondial ?

Vous avez également développé des considérations de politique industrielle et de compétitivité. Que pensez-vous au sujet de la TVA sociale, parfois rebaptisée TVA compétitivité ? Pratiquée en Allemagne entre 2006 et 2008, cette hausse de la TVA, concomitante à une baisse des charges salariales, y avait produit des résultats.

Mme la présidente Sophie Rohfritsch. Vous avez bien détaillé les avancées de la technologie actuelle. Mais comment évaluez-vous la capacité de notre secteur automobile à s’y adapter ? Il semble qu’il n’y ait plus de rupture majeure à attendre, mais seulement quelques innovations, en matière de moteur classique. La branche, forte de 750 000 emplois, devra cependant s’adapter à l’évolution générale du secteur.

En ce moment même, notre assemblée débat en séance publique sur la possible déduction de TVA à l’achat d’un véhicule automobile. Notre rapporteure générale voudrait l’étaler sur deux ans seulement ; cela me semble du délire complet, car la mesure ne pourrait vraiment produire d’effet que si la déduction s’étalait sur quatre à cinq ans. Au passage, je déplore que les travaux de notre mission ne puissent être pris en compte, car le débat se noue à un moment où nous n’avons pas encore livré nos conclusions.

S’agissant des relations entre régulateur et constructeurs, vous avez employé le terme, fort et lourd, de connivence. Quand je me suis rendu à Bruxelles la semaine dernière, rien de tel ne m’a cependant été confirmé, du moins au cours de la partie des auditions à laquelle j’ai pu assister. Pensez-vous vraiment que le régulateur était au courant ?

Quant à votre appréciation d’ensemble sur l’économie, je sais que vous appartenez à l’école keynésienne. Pour ma part, j’estime qu’il faut plutôt faire des économies pour retrouver des marges de compétitivité.

M. Xavier Timbeau. Mes propositions sur un New Deal vert et sur des investissements sont nées d’une réflexion sur le phénomène dit de la stagnation séculaire, faite d’une crise qui dure, d’un fort risque de déflation et de comptes budgétaires publics déficitaires et d’une inquiétude croissante au sujet de l’environnement. Dans ce contexte, comment combiner des éléments de réponse ? Je suis parti du constat que, si nous prenons vraiment au sérieux la transition énergétique, il y a alors un train d’investissements à faire, tant dans les bâtiments que dans les infrastructures de mobilité, chez les consommateurs comme dans les entreprises. Face à ce mur d’investissement, un besoin de financement se fait jour et il doit être possible de l’utiliser comme un moyen de déclencher un mécanisme de sortie de crise. Telle est l’idée d’un New Deal vert.

Le point central en est le prix du carbone. C’est lui qui résout la question du partage entre investissements publics et privés, car il fait naître une demande privée autonome, ne favorisant que les infrastructures de ferroutage qui peuvent être suffisamment utilisées pour être rentables. Le prix du carbone agit comme un déclencheur. Bien sûr, son introduction a pour corollaire une dépréciation d’une partie du capital existant, de ce que nous autres économistes appelons le capital sale, à savoir celui qui produit des émissions de dioxyde de carbone. Mais le mécanisme, dans son ensemble, provoquerait un choc d’investissement susceptible de faire sortir de la stagnation séculaire.

Il y a cependant un problème d’acceptabilité relativement à cette solution. Provoquant un changement relatif des prix, elle aurait en effet des conséquences pour les consommateurs, outre les pertes à encaisser pour la dépréciation d’une partie du capital existant. Si l’on ne répond pas à ces deux défis, l’on se heurtera à un problème d’acceptabilité. C’est pourquoi il est difficile d’instituer un prix du carbone. Là où cela avait été fait, un retour en arrière s’est même parfois observé. Aussi les investissements publics pourraient-ils financer des dispositifs de compensation transitoire aux perdants de cette mutation. J’insiste sur l’adjectif « transitoire », car ces perdants finiraient, au bout d’un certain temps, par s’adapter à cette situation nouvelle.

Quant à voir dans ce mécanisme un type de relance keynésienne, c’est je crois une critique que l’on ne peut m’adresser, car il est au contraire dominé par le souci de ne pas générer de dette qui ne soit couverte par la naissance d’un actif, qu’il soit public ou privé. Je reconnais seulement que, parmi ces actifs, il y aurait l’actif collectif et immatériel que représente le fait d’échapper aux conséquences du changement climatique. Même si cet actif n’est pas individualisable, il représente une valeur considérable, comme chacun s’accordera à en convenir, à moins d’être climato-sceptique.

Pour ce qui est du régulateur, il n’était pas au courant des irrégularités découvertes par l’affaire Volkswagen. Mais un écart croissant s’observait avant elle entre les valeurs du cycle et les performances réelles des véhicules. Le site de communication grand public de la Commission européenne donne sur ce point toutes les informations nécessaires. Le régulateur savait déjà qu’il devait modifier le cycle, faire apparaître la divergence et placer les constructeurs devant le résultat. S’agissant du dioxyde de carbone, la corrélation des résultats du cycle avec la réalité demeurait suffisante pour qu’une évolution ait lieu dans les faits. Dans le cas des NOx, l’écart entre le cycle et la réalité est tel qu’on pourrait douter de la capacité de la norme à en réduire effectivement l’émission, alors même qu’un récent rapport de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) classait le diesel comme substance cancérigène potentielle. Cette parution a fait l’effet d’un coup de tonnerre. Elle a rappelé à tous que la stratégie européenne pouvait échouer sur la voie d’une diminution des émissions de NOx sous les seuils définis par l’OMS.

En ce qui concerne la connivence dont j’ai parlé entre régulateur et constructeurs, cette qualification repose seulement sur le constat d’échec du régulateur et sur le danger qu’il semblait y avoir à le révéler, car cela revenait à annoncer que les constructeurs ne sauraient tenir leurs promesses ! Les échanges qui ont eu lieu entre le régulateur et ceux-ci sont désormais publics, tant sur le calendrier que sur l’évolution des normes relatives au diesel.

Aux États-Unis, les normes sont plus strictes qu’en Europe s’agissant des NOx, mais elles le sont beaucoup moins pour le reste. Il s’y observe des problèmes similaires à ceux que l’on connaît en Europe, à savoir une connivence « douce » entre régulateur et constructeurs. Le régulateur n’est certainement pas payé par les constructeurs, mais il est enfermé dans un système de régulation inoffensif, car il craint de porter un dommage trop important à l’industrie et à la collectivité. Il en résulte une désillusion certaine quant à la capacité de ces normes à faire émerger des moteurs propres.

Quant à l’alternative entre une élévation graduelle des normes ou une véritable rupture, je dirais que, dans un premier temps, nous resterons dans une approche progressive, mais que nous devons nous préparer à une rupture, parce qu’un échec des normes est possible. Des solutions de rupture existent aussi déjà, telles que le véhicule autonome. Elles permettent d’imaginer un avenir où le transport individuel du vingtième siècle deviendra une question de mobilité plus que d’automobile, changeant radicalement de signification. Que deviendront nos constructeurs automobiles dans ce contexte ? Il faut y réfléchir dès maintenant.

Faut-il des acteurs nouveaux ou les acteurs existants continueront-ils à dominer demain ? Les groupes automobiles détiennent des portefeuilles technologiques et d’innovation et sont de bons connaisseurs du domaine. Il n’en demeure pas moins que la capacité de rupture paraît venir de l’extérieur. Tesla en est l’exemple, même s’il n’a pas encore fait la preuve de sa rentabilité. Sur ce créneau, Porsche pourrait atteindre ce seuil critique, avec un contenu technologique similaire, ce qui montre que les entreprises détiennent un avantage comparatif.

Toutefois, elles enregistrent aussi un passif. L’automobile est un produit cher qui engage la responsabilité d’un constructeur sur quinze ans. L’affaire Volkswagen ne paraît pas faire de dommage ni à l’image de marque de l’entreprise, ni à sa capacité de gagner des parts de marché, car ses véhicules restent loin d’être les plus mauvais ; mais l’affaire crée des dettes et des obligations de remboursement, ainsi que des obligations de modifier les véhicules. A contrario, les entreprises nouvelles jouissent donc d’un avantage, car elles ne devront pas porter un tel passif.

Cela n’est cependant vrai que dans un premier temps. Qu’en sera-t-il demain pour Tesla si ses batteries prennent feu ou que ses véhicules sont impliqués dans des accidents mortels ? L’entreprise a-t-elle la capacité de devenir un opérateur sérieux ? Ce n’est pas sûr.

Il faudra trouver l’équilibre entre ce business extrêmement compliqué qui fait naître de lourdes responsabilités et est soumis à des exigences élevées en matière d’innovation, de performance et de qualité, et l’activité des nouveaux acteurs, innovateurs de rupture. Le jeu est ouvert ; les constructeurs n’y ont du reste pas forcément perdu toute possibilité.

Vous m’avez demandé lequel, de l’hydrogène ou du véhicule électrique, était la solution qui a le plus d’avenir, à moins qu’une autre encore apparaisse. Faute d’avoir une boule de cristal, je vous ferai une réponse de jésuite. De nombreuses innovations verront encore le jour, car l’évolution ne s’arrête jamais. Aussi ne peut-on savoir sir les infrastructures électriques –les bornes de rechargement– seront encore utilisées dans cinq ou dix ans ; elles seront peut-être déjà inutiles et obsolètes, alors qu’elles coûtent très cher. Cette incertitude sert la stratégie graduelle, car elle fournit des résultats dès aujourd’hui, même s’ils sont seulement partiels.

S’agissant de la flexibilité des salaires et du temps de travail, les accords compétitivité-emploi signés sous la présidence de Nicolas Sarkozy, puis l’accord national sur l’emploi y ont contribué. Mais il faut encore absorber le passif de la crise et nous ne verrons si ces instruments sont utiles qu’à l’issue de la prochaine crise.

Quant aux mesures de type crédit d’impôt pour la compétitivité et pour l’emploi et à la TVA, ils ont certainement joué un rôle en Allemagne, mais le succès du secteur automobile de ce pays ne saurait s’y réduire.

Le diesel est-il quant à lui en danger ? Il me paraît rester promis à un avenir en Europe, mais sa capacité à être exporté est assurément compromise. Il pâtit désormais d’un problème d’image. En outre, les pays européens ne sont pas les seuls à pouvoir produire des normes. L’affaire Volkswagen a montré qu’un régulateur peut en trouver qui barre la route aux constructeurs européens. Ils ne sauraient donc axer sur le diesel leur compétitivité à moyen terme. Dans un scénario optimiste, le moteur diesel pourrait évoluer pour produire moins de NOx en conditions réelles ; sur le plan technique, l’essai se trouverait ainsi transformé. Dans un scénario plus pessimiste, le temps nécessaire pour réaliser ces adaptations sera mieux mis à profit par d’autres technologies que le diesel.

Mme Delphine Batho, rapporteure. Et les perspectives du marché européen ?

M. Xavier Timbeau. C’est vrai, je ne vous ai pas répondu sur ce point, non plus que sur celui de la reprise en France. Un mouvement de reprise économique s’observe en effet en Europe. Le rythme en est encore trop décevant, et nous n’avons pas manqué de signaler que le chômage met trop de temps à baisser. Néanmoins, nous ne sommes plus dans une phase de croissance zéro. Cela pose la question du marché automobile, notamment en Espagne et en Italie. Des chiffres positifs circulent ; même s’ils sont largement conjoncturels, ils n’en sont pas moins spectaculaires, mettant en évidence la volatilité du marché automobile européen. Rappelons que ce marché est du reste très lié au secteur du crédit et au marché de l’emploi.

Indicateur fiable entre tous, l’âge moyen des véhicules dans le parc automobile européen demeure à un niveau historiquement élevé. L’automobile est un bien durable, dont la durée de vie moyenne s’établit à quinze ans. Or les automobiles européennes ont en moyenne 9,2 années aujourd’hui. C’est un plus haut. Ce facteur induit un renouvellement des véhicules, d’où une croissance du secteur.

Du point de vue des politiques publiques, n’est-ce pas dès lors le moment d’inciter à une rupture ? Les voitures neuves dégagent en moyenne 100 grammes de CO2 au kilomètre, ce qui correspond à la norme Euro 6. Telle serait la norme appliquée si le renouvellement devait avoir lieu aujourd’hui. La question est de savoir s’il faut aller encore plus loin. En tout état de cause, le facteur de l’âge moyen induit une reprise forte. Mais les constructeurs français seront-ils ceux qui en profitent le plus ?

M. Philippe Duron. Certains constructeurs se préparent à offrir des solutions de location de voiture ou des services de mobilité définis de manière large. Cela peut-il avoir un effet sur le volume des ventes et sur le chiffre d’affaires des entreprises ?

M. Xavier Timbeau. Nous passons d’une économie de propriété à une économie d’usage, ce qui induit une réduction du parc et du nombre de véhicules, mais aussi du nombre de kilomètres consommés, car le consommateur qui loue un véhicule constate l’intégralité du coût : cela peut lui faire préférer d’autres modes de transport. Pour le propriétaire d’un véhicule, il en va différemment, puisque le coût marginal du déplacement, égal à celui du carburant et de l’entretien, est pour lui très bas. Cela peut induire une surconsommation. Le développement de la location conduira donc à une baisse de la demande.

Mais l’on peut aussi défendre l’idée que cette évolution va fluidifier le marché, mettant en circulation des véhicules plus jeunes, plus avancés technologiquement et plus en phase avec les usages. Cela peut créer de nouvelles façons de consommer de la mobilité. L’effet final serait bénéfique pour les constructeurs, qui verraient évoluer la typologie de leurs clients, la segmentation du marché, la diversité de l’offre et leurs marges. Les nouvelles formes de demande ne sont donc pas dénuées de sens pour les constructeurs. Pour le consommateur, l’offre devrait être à l’avenir moins monolithique et mieux adaptée. La voiture autonome peut même être un déclencheur en la matière.

Mme la présidente Sophie Rohfritsch. Monsieur, je vous remercie.

La séance est levée à dix-neuf heures quinze.

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Membres présents ou excusés

Mission d’information sur l'offre automobile française dans une approche industrielle, énergétique et fiscale

Réunion du mardi 15 décembre 2015 à 18 heures

Présents. – Mme Delphine Batho, M. Philippe Duron, M. Jean Grellier, M. Michel Heinrich, Mme Sophie Rohfritsch, M. Jean-Michel Villaumé

Excusés. – M. Yves Albarello, M. Xavier Breton, M. Jean-Yves Caullet, M. Denis Jacquat, M. Jean-Pierre Maggi, M. Rémi Pauvros, Mme Marie-Jo Zimmermann