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Mardi 1er mars 2016

Séance de 12 heures

Compte rendu n° 29

Présidence de Mme Sophie Rohfritsch, Présidente

– Audition, ouverte à la presse, de M. Éric Le Corre, directeur des affaires publiques du Groupe Michelin et de M. Éric Vinesse, directeur pré-développement...

Mission d’information
sur l’offre automobile française dans une approche industrielle, énergétique et fiscale

La séance est ouverte à douze heures.

La mission d’information a entendu M. Éric Le Corre, directeur des affaires publiques du Groupe Michelin et M. Éric Vinesse, directeur pré-développement.

Mme la présidente Sophie Rohfritsch. Nous accueillons ce matin M. Éric le Corre, directeur des affaires publiques du groupe Michelin, et M. Éric Vinesse, directeur du pré-développement.

Géant du pneumatique, Michelin occupe le deuxième rang mondial des manufacturiers, immédiatement après Bridgestone, qui résulte de la fusion réalisée en 1988 entre une firme japonaise et l’Américain Firestone.

Présent sur tous les continents, Michelin fabrique et vend massivement en Amérique du Nord et emploie plus de 110 000 salariés, dont 20 000 en France.

L’internationalisation du groupe n’a pas empêché la firme de conserver son siège et une part importante de son activité à Clermont-Ferrand. La maison mère a opté pour un statut particulier, celui de société en commandite par action, qui garantit le maintien de son indépendance. L’action Michelin est cotée au CAC 40.

Ce qui intéresse plus particulièrement notre commission est l’effort en matière de recherche et développement (R&D) et d’innovation, déployé de longue date par votre entreprise. Cet effort est reconnu internationalement, souvent primé et salué par les marchés. Le pneumatique et le freinage sont des facteurs non négligeables d’émissions de particules, et la problématique de l’adhérence au sol des véhicules constitue, avec le caractère plus ou moins abrasif des chaussées, une source de polluants.

Vous allez pouvoir nous préciser, messieurs, l’état des connaissances sur ce sujet, qui est moins connu du grand public que celui des émissions à l’échappement.

Estimez-vous que des progrès significatifs ont été réalisés dans ces domaines et quels sont ceux que l’on peut attendre ? Quels axes de recherche privilégiez-vous sur ces problématiques ? On peut penser que votre groupe ne travaille pas seul sur des voies d’amélioration et que vous collaborez avec des constructeurs et des équipementiers.

Par ailleurs, notre mission ne peut totalement ignorer la question du recyclage des pneus usagés, ainsi que celle du rechapage. On rappellera, à ce titre, l’existence d’une éco-contribution sur les pneumatiques, qui est parfois improprement baptisée « écotaxe ». Quel est l’impact de ce dispositif sur le recyclage, qui demeure imparfait ? Un pneu rechapé est-il a priori plus polluant qu’un pneu neuf ? La filière du rechapage a-t-elle un réel potentiel de développement ?

Les produits bon marché et d’entrée de gamme, souvent d’origine asiatique, présentent-ils les mêmes garanties d’usage que des pneus plus élaborés, si l’on considère leur dégradation particulaire ?

La presse s’est fait l’écho du succès des pneus chinois à bas prix, qualifiés de « mono-vie », donc insusceptibles d’être rechapés. Ces pneus équiperaient notamment de nombreux poids lourds. Sont-ils moins fiables, en termes de sécurité, mais aussi pour la santé, s’agissant des émissions de particules ?

Ces interrogations semblent appeler une action plus efficace dans le domaine de l’homologation des pneus. Sans parler de protectionnisme, l’Europe ne devrait-elle pas, face à de tels enjeux, renforcer ses critères quantitatifs et qualitatifs minimaux ?

Après un bref exposé liminaire de votre part, messieurs, Mme Delphine Batho, notre rapporteure, vous posera des questions. Puis, à leur tour, les autres membres de la mission vous interrogeront.

M. Éric Le Corre, directeur des affaires publiques du groupe Michelin. Madame la présidente, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, nous vous remercions de nous donner aujourd’hui l’occasion d’intervenir devant vous. Avec Éric Vinesse, nous tenterons, dans notre propos liminaire, de répondre à vos interrogations sur l’état de la recherche et du développement. Nous répondrons ensuite aux questions plus spécifiques sur le rechapage, lors de la séquence questions-réponses.

Trois points sont au cœur de la démarche de Michelin.

Premièrement, Michelin agit de manière proactive pour l’environnement et la réduction de la consommation d’énergie dans le transport, et ce depuis longtemps. C’est l’une des raisons d’être du groupe quand nous parlons de mobilité durable, c’est-à-dire d’une mobilité encore plus respectueuse de l’environnement et encore plus sûre. Les deux sont indissociables dans notre esprit, comme dans nos actions.

Le deuxième élément au cœur de la démarche de Michelin procède d’une double exigence : d’abord, il nous paraît indispensable, dans les tests et l’évaluation de nos produits, de nous rapprocher le plus possible de l’expérience réelle vécue par le consommateur ; ensuite, pour être pertinents, les tests doivent être à la fois représentatifs et reproductibles. Représentatifs, c’est-à-dire qu’ils doivent représenter, lorsqu’ils sont réalisés en laboratoire, le plus fidèlement possible les conditions d’usage dans la vie réelle ; reproductibles, autrement dit que nous avons l’assurance de retrouver toujours les mêmes résultats, quel que soit le laboratoire où ils sont réalisés.

Chez Michelin, nous nous employons depuis toujours à travailler sur ces deux dimensions en même temps, et donc à nous rapprocher le plus possible de la réalité de l’expérience vécue par le consommateur, pour avoir des tests représentatifs et reproductibles.

Troisième élément au cœur de la démarche de Michelin, notre exigence de rigueur et de transparence, au-delà du respect scrupuleux de la réglementation, s’accompagne d’une volonté permanente d’aller plus loin que ce qu’imposent normes et réglementations.

Si nous avons été proactifs jusqu’à aujourd’hui en ce qui concerne l’effort mené pour réduire la consommation d’énergie grâce à nos produits, nous continuons à l’être et nous avons l’ambition d’aller plus loin. Je vous ferai part tout à l’heure des axes de travail que nous envisageons.

Vous avez évoqué, madame la présidente, la dimension mondiale de notre groupe. Nous intervenons aujourd’hui dans près de 170 pays et nous sommes implantés industriellement dans soixante-huit usines, dans dix-sept pays, sur tous les continents. Le marché sur lequel nous intervenons n’est pas seulement celui du pneumatique, c’est aussi celui des services associés. C’est un marché véritablement mondial, qui représente quelque 1,6 milliard de pneumatiques vendus chaque année et à peu près 180 milliards de dollars en valeur annuelle.

Sur 1,6 milliard de pneumatiques, les pneumatiques pour voitures et camionnettes représentent 1,4 milliard, soit à peu près 60 % du marché en valeur, contre 30 % pour les pneumatiques poids lourds.

Les ventes de pneumatiques aux constructeurs ne représentent que 25 % du marché mondial des pneus pour voitures, et 10 % pour les pneus pour poids lourds. Sur ce marché, les prix sont tendus et ne sont discutables qu’avec des arguments techniques majeurs. Les pneus dits « de remplacement » représentent donc de très loin l’essentiel du marché, en volume comme en valeur.

Si le marché mondial a connu globalement des évolutions très contrastées au cours de ces dernières années sur le plan géographique, avec notamment une baisse durable du marché européen depuis 2007, contrairement au marché nord-américain, Michelin attend, à moyen et long terme, une croissance forte et structurelle des marchés du pneumatique. Le nombre de véhicules en circulation devrait quasiment doubler d’ici à trente-cinq ans et passer de 850 millions de véhicules, pour l’heure principalement des voitures et des camions, à un peu plus de 1,5 milliard. Cette croissance sera essentiellement le fait des pays émergents.

Ces évolutions s’inscrivent dans un contexte de concurrence internationale forte. La part des dix principaux manufacturiers pneumatiques mondiaux est ainsi passée de 83 % du marché en 2000, à 63 % en 2014, alors que, dans le même temps, en moins de dix ans, les manufacturiers pneumatiques chinois ont presque doublé leurs parts de marché, qui atteignent désormais 15 %. Ils ont aussi très substantiellement accru leur capacité de production, largement au-delà des besoins liés à la croissance, au demeurant forte, de leur marché domestique.

Dans ce contexte concurrentiel, la stratégie de Michelin est de s’adapter en permanence. Nous faisons en sorte de préserver la compétitivité de notre outil industriel. Le maître mot, pour nous, est l’anticipation. Cela est vrai partout où nous sommes présents, mais il n’est pas question, pour nous, de privilégier les marchés ou les pays à forte croissance au détriment de l’Europe en général et de la France en particulier. Nous travaillons au contraire à maintenir une empreinte industrielle équilibrée et compétitive. Nous continuons ainsi à investir en France. Nos investissements industriels devraient atteindre près de 800 millions d’euros dans notre pays pendant la période 2013-2020, dont 480 millions ont déjà été réalisés à ce jour.

La complexité et le haut niveau technologique du pneumatique requièrent aussi des investissements importants en recherche-développement, surtout si nous voulons, comme c’est notre cas chez Michelin, continuer à faire la course en tête. De fait, aucun autre acteur de notre industrie n’investit autant que nous dans l’innovation. Nous y consacrons chaque année plus de 600 millions d’euros. Nous avons ainsi investi, en 2015, près de 690 millions.

Michelin est un groupe responsable, soucieux de la qualité écologique de ses produits. Sous notre impulsion, les onze principaux manufacturiers mondiaux de pneumatiques se sont regroupés, dès 2005, sous l’égide du World Business Council for Sustainable Development (WBCSD), pour traiter les sujets de développement durable de nature non concurrentielle qui concernent les pneus. Le premier sujet abordé dès 2006 a été, par exemple, l’évaluation scientifique de l’impact des particules d’usure des pneus sur la santé et l’environnement.

M. Éric Vinesse, directeur du pré-développement. Je vous propose de revenir en détail sur les trois points clés mentionnés dans le propos liminaire d’Éric Le Corre.

Je commencerai par les enjeux associés à l’engagement proactif de Michelin pour la réduction de la consommation d’énergie des émissions de CO2 liées aux transports.

On peut estimer qu’en un peu plus de vingt ans, les efforts réalisés par Michelin pour améliorer l’efficience énergétique de ses produits ont permis d’économiser environ 330 millions de tonnes de CO2, soit à peu près l’équivalent de la quantité d’émissions produites par un pays comme la France en 2014.

Comment cela est-il possible ?

Rappelons d’abord quelques chiffres sur le transport et la consommation d’énergie.

Le transport représente approximativement 15 % du total des émissions de CO2 générées par l’activité humaine. Dans ces 15 %, le transport routier est majoritaire, avec environ 12 %. Dans ces 12 %, la contribution que l’on peut attribuer aux pneumatiques représente à peu près un quart, c’est-à-dire 2,8 % du total des émissions de CO2 générées par l’activité humaine. Cela montre que le pneumatique a un rôle significatif à jouer dans la réduction des émissions de CO2 dans les années à venir, comme c’est déjà le cas depuis quelques décennies.

Le pneumatique joue un rôle essentiel dans sa phase d’usage, c’est-à-dire lorsqu’il est monté sur un véhicule et que celui-ci roule. Cette phase représente à elle seule plus de 90 % de la consommation totale d’énergie liée au pneumatique dans tout son cycle de vie, c’est-à-dire depuis l’acquisition des matières premières jusqu’à son recyclage en fin de vie.

L’origine de cette contribution, c’est qu’à chaque fois que le pneumatique entre en contact avec le sol, à chaque tour de roue, une force de résistance à l’avancement s’exerce, que le moteur doit vaincre pour maintenir le véhicule en mouvement. On appelle cette force la résistance au roulement du pneumatique. On peut aussi entendre parler, à charge donnée, de « coefficient de résistance au roulement ».

Plus la résistance au roulement est élevée, plus le moteur doit fournir de l’énergie pour faire avancer le véhicule ; et plus il fournit de l’énergie, plus il y a d’émissions de CO2. À l’inverse, un pneumatique à très basse résistance au roulement est un équipement dont les composantes techniques, les briques technologiques permettent de limiter la dissipation énergétique et par le fait de moins solliciter le moteur et de réduire les émissions de CO2.

Michelin est engagé depuis plusieurs décennies pour améliorer la contribution énergétique de ses produits, et donc réduire la consommation d’énergie liée aux transports. Dès les années quatre-vingt, nous avions lancé nos premiers programmes de recherche en interne pour identifier des technologies, de nouveaux matériaux qui nous permettraient d’améliorer significativement la résistance au roulement des produits.

Ces travaux ont débouché, dès 1992, sur la mise sur le marché des premiers « pneus verts », les pneus « Energy Saver », dans lesquels l’introduction de la silice, à la place du noir de carbone, dans la formulation des mélanges « caoutchoutiques », permettait de réduire la résistance au roulement, mais surtout de le faire sans impact négatif sur les autres performances du pneumatique, et notamment les performances d’adhérence sur sol mouillé, qui constituent un critère essentiel sur le plan de la sécurité dans la mesure où le pneumatique est le seul point de contact physique entre la voiture et le sol.

Vingt-cinq ans après, nous en sommes aujourd’hui à la cinquième génération de pneus verts et nous sommes en train de préparer la sixième. Nos pneumatiques les plus efficients ont atteint à ce jour un niveau de résistance au roulement inférieur de moitié à ce qu’il était il y a vingt-cinq ans. Dans le même temps, nous avons pu faire progresser de manière significative l’adhérence sur sol mouillé de nos produits.

Dans l’avenir, le groupe Michelin a l’ambition de poursuivre cette démarche d’amélioration de l’efficience énergétique de ses produits et de le faire sur l’ensemble des produits qu’il développe, au rythme d’au moins 1 % par an pour les quinze ans à venir.

Deuxième point clé, les méthodes de test et d’évaluation des pneumatiques.

Michelin s’est toujours fait un devoir d’assurer que les conditions dans lesquelles ses pneumatiques sont testés et évalués représentent au mieux les conditions rencontrées par les usagers dans leur vie de tous les jours. C’est ce que l’on appelle la « représentativité » des tests. De nombreuses études ont été conduites depuis les années soixante-dix, par Michelin ou, aux États-Unis, par la National Highway Traffic Safety (NHTSA) ou l’Environmental Protection Agency, ou encore au Japon. Ces études montrent l’effet des conditions de test de la résistance au roulement dans leur relation à la consommation d’énergie vue en usage réel sur le véhicule.

Mais si l’on veut juger une méthode de test, il faut aussi prendre en compte la précision avec laquelle elle permet de donner une information. Si vous testez des pneumatiques selon la méthode recommandée, mais pas le même jour ou sur une machine de test différente, le résultat doit être toujours le même, faute de quoi l’information apportée a peu de valeurs. Il faut donc juger une méthode de test à la fois sur sa représentativité et sur sa reproductivité. Nos efforts dans ce domaine visaient évidemment à progresser sur les deux aspects.

Nous avons ainsi contribué de façon proactive, depuis plus de dix ans, au progrès des méthodes normatives sur les tests de résistance au roulement du pneumatique.

Notre engagement pour l’évaluation de nos produits est un engagement de qualité. À ce titre, nous nous positionnons résolument pour le respect des réglementations en vigueur, tant dans la règle que dans l’esprit, partout dans le monde. Nous allons même souvent au-delà.

Pour illustrer mon propos, je prendrai deux exemples dans le domaine de l’homologation.

L’homologation E2, réalisée en France, permet la mise sur le marché européen de tout nouveau pneumatique, qu’il soit vendu sur le marché des pneus de remplacement ou à nos clients constructeurs. Il existe un autre type d’homologation : l’homologation par le constructeur d’un pneumatique développé pour son véhicule à sa demande.

L’homologation E2 est délivrée par le Gouvernement français, sur la base d’un dossier que nous lui soumettons et qui contient, notamment, tous les procès-verbaux des tests réalisés sur un nouveau produit pour assurer sa conformité aux requis réglementaires.

La qualité des informations contenues dans le dossier d’homologation est essentielle. Elle est garantie par de nombreuses exigences. Certaines de ces exigences sont définies dans le cadre réglementaire. D’autres vont au-delà, que nous nous imposons par nos propres systèmes qualité et nos propres processus internes.

La première exigence concerne les laboratoires dans lesquels sont faits ces tests. Un cadre réglementaire impose que ces laboratoires soient accrédités. Nos laboratoires sont accrédités par le Comité français d’accréditation (COFRAC). Cette accréditation est suivie d’audits annuels de surveillance. Au-delà de ce cadre réglementaire, le groupe Michelin a souhaité étendre cette accréditation à tous les tests qui sont faits dans le cadre du labelling, c’est-à-dire de l’étiquetage.

La deuxième exigence concerne l’audit des laboratoires. Le règlement exige que nous soyons audités tous les ans par l’Union technique de l’automobile, du motocycle et du cycle (UTAC), qui agit en tant que service technique du Gouvernement, tant sur le plan de nos systèmes qualité que sur le plan technique.

La troisième exigence concerne les méthodes de test. Les tests de résistance au roulement doivent respecter la norme mondiale ISO 28580. Le règlement, qui s’appuie sur cette norme, définit les conditions précises dans lesquelles le test peut être conduit. Il impose aussi des conditions très strictes d’alignement entre les laboratoires où sont conduits ces tests. Un laboratoire qui fournit des données en vue de l’homologation sur la résistance au roulement selon la norme doit aussi garantir son alignement à un ensemble de dix laboratoires européens de référence. L’alignement entre ces laboratoires de référence est lui-même revu tous les deux ans pour obtenir une précision de l’ordre de 2 %, quel que soit l’endroit où vous testez vos pneumatiques tant que vous êtes dans des laboratoires alignés entre eux. Cette mesure de résistance au roulement est extrêmement précise.

Michelin a fortement contribué à l’élaboration de cette norme, unique au monde par son exigence, qui est aujourd’hui reprise mondialement. Les États-Unis, qui s’acheminent vers un système de seuils et d’étiquetage, s’appuient sur cette norme pour mesurer la résistance au roulement.

La quatrième exigence concerne les lieux de fabrication de nos produits. Le règlement requiert que les usines où sont fabriqués ces produits soient elles-mêmes évaluées pour la fabrication des pneus homologués E2. Elles deviennent alors éligibles à un audit réglementaire par l’UTAC tous les trois ans. Cela sous-entend qu’au-delà du dossier d’homologation, l’exigence de garantie se situe dans la durée, c’est-à-dire que la conformité au règlement doit porter, pour tous les pneumatiques fabriqués dans nos usines, sur toute la durée de leur fabrication.

Le règlement de la Commission économique pour l’Europe des Nations unies, ou United Nations Economic Commission for Europe (UNECE) exige de prouver la conformité de tous les types de pneumatiques produits tous les deux ans. C’est ce que l’on appelle la Conformity of production (COP), qui est vérifiée par l’UTAC.

Chez Michelin, nous allons au-delà : chaque jour, chaque pneumatique produit est soumis à des contrôles rigoureux. Toutes les caractéristiques qui déterminent ses performances, depuis les propriétés physiques des matériaux qui entrent dans sa composition jusqu’au positionnement géométrique de ces matériaux à l’intérieur du pneumatique aux diverses étapes de fabrication, sont vérifiées chaque jour, pour chaque type de produit. Ces informations sont archivées et consultables lors des audits.

Telles sont, en résumé, les exigences qui tournent autour de l’homologation E2 pour le marché européen.

J’en viens à l’homologation d’un pneumatique par le constructeur automobile pour l’un de ses véhicules.

Tout constructeur qui développe un nouveau véhicule rédige un cahier des charges pour les pneumatiques qui vont équiper ce véhicule. Ce cahier des charges couvre un large ensemble de performances attendues, depuis des performances très génériques, comme les caractéristiques de masse et de géométrie, jusqu’à des performances, beaucoup plus fines, de perception subjective, qui seront évaluées par des pilotes professionnels.

Michelin fournit des pneumatiques répondant au cahier des charges des constructeurs lors des homologations techniques, puis respecte le cahier des charges agréé lors des livraisons de pneumatiques sur toute la durée du contrat commercial.

Pour prendre un exemple concret, lorsqu’un constructeur vient nous voir au sujet d’un véhicule qu’il est en train de développer pour une mise sur le marché d’ici à quelques années, il nous soumet un cahier des charges pour les pneumatiques qui équiperont ce véhicule.

Dans une première phase, nous échangeons techniquement avec le constructeur, sur la base de calculs ou de simulations et sur la faisabilité du cahier des charges qu’il nous soumet. Il est important de noter que, dans cette première phase, nous intégrons aussi nos propres exigences de performances qui, dans un certain nombre de cas, vont au-delà des minima requis par le constructeur automobile, s’agissant, par exemple, de la durée de vie des pneumatiques.

Une fois la faisabilité acquise, nous engageons une seconde phase, itérative, de développement de pneumatiques permettant de répondre au cahier des charges. À chacune des itérations, les produits sont testés par nous-mêmes et par le constructeur, sur machine, sur nos véhicules et sur ses véhicules. En fonction du retour d’informations qui nous est fait, nous pouvons adapter légèrement la conception du pneumatique.

Après plusieurs itérations et une fois que nous avons suffisamment convergé, à la fois dans la conception du véhicule et dans la conception du pneumatique, nous engageons une phase d’industrialisation pour assurer la conformité du pneumatique fabriqué en usine au modèle répondant aux attentes du constructeur. Car ce sont bien les pneumatiques issus de productions, que l’on peut appeler les pneumatiques de grande série, qui sont, au bout du compte, testés par nous-mêmes et par le constructeur, et sur lesquels porte notre engagement de respect de performance.

Enfin, pour faire le lien avec la première homologation dont j’ai parlé, c’est Michelin qui fournit au constructeur la preuve de la conformité des pneumatiques à la réglementation du pays dans lequel sera mis en vente le véhicule. J’ai évoqué tout à l’heure le règlement UNECE et l’homologation E2 pour l’Europe ; ce serait également le cas pour la Federal Motor Vehicle Safety Standard (FMVSS) aux États-Unis.

Par contre, une fois les pneumatiques homologués pour le véhicule, le groupe Michelin ne participe pas au processus d’homologation technique du véhicule lui-même, qui relève de la responsabilité du constructeur automobile.

J’espère avoir clairement démontré, dans tous les exemples que j’ai donnés, que l’engagement de qualité et de représentativité de la performance de nos produits était au cœur de notre démarche.

M. Éric Le Corre. Je revins sur le troisième point clé de notre démarche, que je n’ai pas développé dans mon intervention liminaire : Michelin veut être une force de proposition, pour aller au-delà de ce que nous venons de vous présenter. Pour ce faire, il convient de retenir trois axes structurants.

Premièrement, Michelin, qui a favorisé, en Europe comme ailleurs dans le monde, notamment au Japon et aux États-Unis, la mise en place d’un étiquetage des pneumatiques, milite aujourd’hui pour le contrôle effectif de cet étiquetage.

Deuxièmement, nous sommes aussi engagés pour le développement de technologies qui permettent de prolonger la performance d’adhérence du pneumatique jusqu’à la fin de sa vie, ceci pour qu’avec la société civile, les consommateurs en retirent les avantages associés en termes de sécurité, de consommation d’énergie et de matière première.

Troisièmement, en ce qui concerne la prise en compte des pneumatiques dans les processus d’homologation du véhicule, Michelin souhaite souligner devant vous les évolutions positives déjà en cours et pour lesquelles nous avons été force de proposition, évolutions qui visent à une prise en compte précise des valeurs réelles de résistance au roulement des pneumatiques lors des cycles de tests, ainsi que lors des calculs des émissions de CO2 d’un véhicule.

C’est vrai pour la prise en compte des valeurs de résistance au roulement des pneumatiques telles qu’elles sont maintenant intégrées dans l’outil informatique VECTO, développé par la Commission européenne, qui calcule les émissions de CO2 des poids lourds ; de la même manière, les travaux en cours pour le développement de la méthode Worldwide harmonized Light vehicles Test Procedures (WLTP) pour le calcul des émissions de CO2 d’un véhicule individuel vont dans le bon sens. En permettant de prendre en compte plus précisément l’impact du pneumatique dans ces simulations, ces travaux contribueront à renforcer la représentativité des estimations faites pour le véhicule individuel.

Je ne m’attarderai pas, faute de temps, sur le renforcement du contrôle de l’étiquetage des pneumatiques européens, mais je tiens à revenir sur le dernier axe de travail dans notre démarche consistant à aller plus loin que la réglementation existante : je veux parler de la pérennité des performances du pneumatique.

Nous voulons permettre au consommateur d’utiliser leurs pneumatiques en toute sécurité le plus longtemps possible. Contrairement aux performances environnementales, à la résistance au roulement et au bruit qui s’améliorent au fur et à mesure que celui-ci s’use, l’adhérence sur sol mouillé est à son niveau maximal lorsque le pneumatique est neuf. Elle va décroître, dans l’expérience réelle du consommateur, tout au long de la vie du pneu. Cette déchéance peut varier significativement, du simple au double, selon les différentes conceptions de pneumatiques.

Michelin s’attache, par les règles de conception de ses produits, à minimiser cette déchéance et investit significativement en recherche et développement pour identifier des technologies permettant d’aller encore plus loin. Ainsi, les solutions que nous développons ont déjà permis, sur certains segments du marché, de concevoir des pneumatiques qui, à mi-usure, freinent plus court que leurs meilleurs concurrents lorsqu’ils sont neufs.

Les enjeux, vous l’imaginez, sont multiples. Il s’agit, bien sûr, de renforcer la sécurité de la conduite sur route mouillée, mais aussi de réduire la consommation de matière et d’énergie. Pouvoir utiliser ses pneumatiques plus longtemps en toute sécurité, c’est aussi une économie de consommation et même une économie de matière première dans la mesure où l’on est moins souvent amené à remplacer ses pneumatiques.

Il nous semble donc important de fournir à l’utilisateur une information sur la performance des pneumatiques pendant toute leur durée d’usage. Nous avons l’ambition de poursuivre ces efforts de recherche et d’innovation afin de garantir aux consommateurs qu’ils peuvent utiliser leurs pneumatiques jusqu’à la fin de leur vie.

Voilà ce que nous souhaitions partager avec vous, ce matin, sur le pneumatique, dont M. Vinesse a rappelé qu’il était le seul point de contact entre le véhicule, quel qu’il soit, et la route : un avion, par exemple, ne pourrait pas décoller ni atterrir sans ses pneumatiques…

Mme Delphine Batho, rapporteure. Pensez-vous que les réglementations nouvelles en matière d’homologation doivent être plus précises et interdire explicitement, concernant les pneus, certaines formes d’optimisation ?

Vous avez parlé de l’impact de la résistance au roulement sur les émissions de CO2, mais vous n’avez pas développé la question des émissions de particules au freinage. Quelles innovations envisagez-vous en la matière ?

En ce qui concerne la filière du rechapage et l’économie de matière première, nous avons entendu annoncer ce matin même la fermeture d’un site en Allemagne et d’un atelier à Clermont-Ferrand. L’inquiétude est grande. Je crois savoir que vous aviez développé dans ce domaine un savoir-faire exemplaire et que d’autres produits à bas prix viennent concurrencer vos productions. Pouvez-vous faire le point sur cette question ?

Mme Odile Saugues. Le groupe Michelin a effectivement annoncé ce matin, il y a moins d’une heure, la fermeture de l’atelier de La Combaude, à Clermont-Ferrand, spécialisé dans le rechapage et tué par la concurrence chinoise. L’atelier ne fonctionnait plus qu’à 62 % de ses capacités.

Que peut faire l’Europe pour lutter contre la concurrence chinoise, qui n’est pas toujours soumise aux mêmes critères de qualité ? Par ailleurs, leurs pneus n’étant pas rechapés, que faire pour éliminer les déchets ?

Par ailleurs, j’aimerais que vous donniez à notre mission d’information des précisions sur les autres sites européens qui travaillent sur le rechapage, car il est important de rappeler que Michelin fait encore du pneu rechapé.

M. Gérard Menuel. Cela est peut-être dû à mes origines agricoles et troyennes, mais j’ai constaté, dans ma vie professionnelle, que les pneus Michelin étaient d’une autre qualité que ceux que proposent notamment les constructeurs de tracteurs : les vendeurs se contentent désormais de dire à l’acheteur, au moment de signer le bon de commande, que s’il souhaite des pneus Michelin, ce sera 5 000 euros de plus…

Le comportement des constructeurs est en cause. Dans le domaine automobile, la qualité des pneus Michelin, en termes de confort, de consommation et de durée de vie, fait qu’ils sont plus chers sur le marché. La réponse des constructeurs, par rapport à leur cahier des charges, consiste à proposer à la consommation d’autres pneus moins chers. Pourquoi ne font-ils pas d’emblée état de la qualité des pneus dans les actes de vente ? On parle de consommation et d’éléments de confort lorsqu’on propose une automobile, mais très rarement de la qualité des pneus, qui est pourtant un élément essentiel.

M. Philippe Duron. Michelin a construit, dès les origines de la manufacture, sa réputation et son développement sur l’innovation.

Vous avez indiqué, messieurs, votre souci constant en matière d’innovation et de recherche et développement, ainsi que les importants montants que vous y consacrez.

Mais, c’est vrai pour le rechapage et pour le low cost, la question du prix joue un rôle de plus en plus déterminant dans l’achat du pneu, surtout dans les pays émergents qui s’équipent. Existe-t-il un modèle économique qui puisse vous contraindre à trouver un équilibre entre la qualité, la sécurité et le prix, pour pouvoir garder vos marchés et poursuivre votre développement à l’international ?

M. Jean-Michel Villaumé. On parle beaucoup, dans l’actualité, des voitures connectées. J’aimerais vous entendre, messieurs, sur la place du pneu dans ce concept, car je suppose qu’il aura un rôle important à jouer. On parle d’un pneu technologique, doté de capteurs… Pourriez-vous nous en dire plus sur ce sujet ?

M. Éric Le Corre. Je répondrai d’abord à la question du rechapage et de la concurrence. Puis je laisserai M. Vinesse répondre plus spécifiquement aux questions concernant l’innovation et les produits. Je reprendrai ensuite la parole pour parler des émissions de particules d’usure puisque je faisais référence dans mon propos à l’initiative commune de l’industrie, le Tire Industry Project, lancé à l’initiative de Michelin en 2005. C’est l’un des sujets qui a été étudié par l’ensemble de l’industrie pneumatique mondiale.

Vous connaissez sans doute tous le concept de recreusage et de rechapage. Le recreusage consiste à recreuser des sculptures dans le pneumatique lorsque celles-ci sont usées ; nos pneus sont recreusables, c’est-à-dire qu’ils ont suffisamment de gomme pour que nous puissions recreuser des sculptures après qu’ils ont parcouru quelques centaines de milliers de kilomètres. Le rechapage consiste à remplacer purement et simplement la bande de roulement.

Il existe deux techniques de rechapage.

Le rechapage à chaud consiste à reconstruire le pneumatique en usine, à poser une bande de roulement « crue » et à remettre le pneu dans un moule qui imprime les sculptures. C’est ce qui se fait dans les ateliers Michelin, notamment dans celui de La Combaude.

Le rechapage à froid, qui est la spécialité des Pneus Laurent, à Avallon, consiste simplement à remettre des bandes de roulement préformées sur des carcasses qui peuvent être des carcasses d’autres marques que Michelin, mais qui ont fait l’objet d’une vérification en termes de qualité et de sécurité. Les pneumatiques sont ensuite installés dans des étuves pour obtenir l’adhésion entre la gomme et la carcasse.

En rechapant un pneu une fois et en le recreusant deux fois, c’est-à-dire en faisant un premier recreusage, puis en rechapant pour remplacer la bande de roulement et en recreusant ensuite cette bande de roulement, un pneu Michelin peut parcourir à peu près un million de kilomètres, contre environ 250 000 kilomètres pour un pneu mono-vie classique. Le rechapage est la pierre angulaire de l’approche « économie circulaire » du groupe Michelin.

Nous travaillons sur quatre axes : premièrement, la réduction, c’est-à-dire l’écoconception, qui consiste à concevoir des pneus plus légers, donc plus économes en matière première, des pneus plus sobres énergétiquement et rechapables ; deuxièmement, la réutilisation, avec le recreusage, le rechapage, et éventuellement la réparation des pneumatiques poids lourds ; troisièmement, le recyclage en boucle courte – pouvons-nous réutiliser du pneu dans la fabrication de nouveaux pneus ? C’est un peu compliqué techniquement. Pouvons-nous valoriser de manière énergétique ou sous forme de matière première secondaire les pneus en fin de vie ? Quatrième axe enfin : le renouvellement, qui consiste à remplacer des ressources finies par des ressources renouvelables, et peut-être à utiliser plus de caoutchouc naturel, l’hévéa étant un arbre qui produit et qui se renouvelle pendant trente-cinq ans. Nous travaillons également sur des fabrications de butadiène biosourcé au lieu de butadiène issu de la chimie du pétrole, comme c’est le cas aujourd’hui.

Pour répondre à votre question sur les éléments du marché européen du poids lourd et à son impact sur le rechapage, je citerai quelques chiffres.

Le marché européen du pneumatique poids lourds de remplacement est d’environ 24 millions de pneus vendus chaque année. Il faut comparer ce marché avec un marché mondial de 140 millions de pneumatiques vendus chaque année – je parle ici du pneu radial, c’est-à-dire ce que nous fabriquons.

Le marché européen du pneumatique poids lourds de remplacement a reculé de 14 % entre 2007 et 2015, avec 24 millions de pneus annuels vendus en 2015, contre presque 30 millions en 2007. Dans le même temps, le marché du rechapage a reculé de 25 % en Europe.

L’essentiel de la baisse du marché du rechapage s’est concentré sur les quatre dernières années. Pendant la période 2011-2015, la baisse atteint presque 20 %, soit, aujourd’hui, un marché de 5,4 millions de pneumatiques rechapés par an, contre 6,8 millions en 2011. Dans le même temps, les importations de pneumatiques poids lourds neufs à bas coût en provenance du Sud-Est asiatique ont augmenté de près de 100 % : 4,4 millions de pneus contre 2,2 millions en 2011.

Je vous ai parlé, dans mon propos liminaire, des capacités industrielles en Chine. En ce qui concerne le pneumatique poids lourd, il y a, aujourd’hui, pour un marché mondial de 140 millions de pneus radiaux vendus chaque année, une capacité installée de l’ordre de 180 millions de pneus, la différence étant largement supérieure à la taille du marché européen. L’essentiel de cette surcapacité se trouve effectivement en Chine.

Pourquoi cette baisse du rechapage ? Vous l’avez dit vous-même, les transporteurs préfèrent, aujourd’hui, acheter des pneus neufs d’entrée de gamme à bas coût plutôt que de faire rechaper leurs pneus poids lourds. Plus de 50 % des flottes de transporteurs européens ont moins de vingt camions et sont confrontées à des difficultés de trésorerie, qui sont prioritaires par rapport à la notion de coût réel d’usage, c’est-à-dire ce que peut apporter le pneu rechapé. Le pneu rechapé présente un coût de revient kilométrique largement inférieur à celui d’un pneu neuf ; encore faut-il, au départ, sortir la trésorerie nécessaire pour acheter ce pneu qui, en effet, coûte plus cher.

Quelles sont les conséquences pour l’industrie du rechapage et pour Michelin ?

Mme Saugues a évoqué le chiffre de 62 %. Ce pourcentage ne s’applique pas à l’atelier de La Combaude ; c’est la capacité moyenne utilisée dans nos usines de rechapage européennes qui fabriquent du rechapage à chaud, et ce, en dépit des annonces que nous avons faites en novembre dernier sur la fermeture d’une activité de rechapage à Oranienburg, en Allemagne, et sur la fermeture d’un atelier de rechapage à Alessandria, en Italie.

Les évolutions de marché se sont accélérées dans le mauvais sens pour l’industrie du rechapage, qui emploie plus de 18 000 personnes en Europe. Ce qu’il se passe au niveau européen n’affecte pas seulement le groupe Michelin : notre concurrent Goodyear a annoncé la fermeture de son site de rechapage de Wolverhampton, au Royaume-Uni, ce qui représente une centaine d’emplois ; notre concurrent italien Marangoni a annoncé un plan social de 150 personnes pour son usine de Rovereto. De nombreux petits acteurs allemands sont en train de déposer leur bilan, comme Respa ou Haemmerlin. Il y aurait également de nombreuses fermetures d’ateliers de rechapage en Europe centrale. Au total, d’après notre estimation, à peu près 1 800 emplois dans ce secteur ont été supprimés en Europe depuis 2011.

Pourquoi faut-il sauver le rechapage ? Il n’appartient pas au groupe Michelin de juger la loyauté de la concurrence exercée par ses concurrents, en particulier asiatiques. En revanche, il nous semble que tous les moyens devraient être mis en œuvre pour sauvegarder le modèle du rechapage, éminemment vertueux.

Vertueux socialement, parce que ce secteur emploie 18 000 personnes en Europe. Ces emplois ont la particularité de mailler tout le territoire puisque l’on parle en l’occurrence de gens qui vont collecter les carcasses partout en Europe. Il s’agit aussi de postes très intensifs en travail humain.

Vertueux économiquement, parce que les pneus rechapés figurent parmi les solutions les moins onéreuses du marché du remplacement. Toutes mes études démontrent que l’on peut générer un gain de l’ordre de 10 % en termes de coût d’usage total si l’on équipe une flotte poids lourds de pneus rechapés Michelin, plutôt que de pneumatiques mono-vie.

Le rechapage est aussi un modèle vertueux sur le plan environnemental. Vous avez parlé, madame la rapporteure, des pneus en fin de vie. Le rechapage est la seule solution acceptable sur le plan de l’environnement.

Dans le cas d’un transporteur qui achète deux pneus mono-vie, vous aurez, en termes d’usage de matière première, deux fois soixante-huit kilos, ce qui représente 136 kg de matière première, contre quatre-vingt-six kilos pour un pneu rechapé, c’est-à-dire le pneu d’origine plus vingt kilos pour la bande de roulement qui a été posée sur ce pneu, soit une économie de matière première de 35 %.

En termes de déchets, s’agissant de la première solution, une fois que la bande de roulement est usée, le poids de la carcasse et du reste de gomme représente à peu près cinquante-cinq kilos. L’économie est de 50 % par rapport au poids de deux pneus pesant chacun cinquante-cinq kilos, soit 110 kg, qu’il faudra gérer en termes de fin de vie, contre cinquante-cinq dans le cas d’un pneu neuf et d’un pneu rechapé.

Bien sûr, l’analyse environnementale doit aussi prendre en compte l’analyse du cycle de vie du pneumatique. M. Vinesse a indiqué que l’usage du pneumatique représentait près de 90 % de celui-ci en termes d’émission de CO2. J’insiste sur le fait qu’un pneu rechapé, en termes de résistance au roulement, et donc, d’émissions de CO2, est aussi favorable, voire plus favorable qu’un pneu mono-vie Tier 3, d’entrée de gamme, importé du Sud-Est asiatique.

Enfin, vous n’êtes pas sans savoir que la Commission européenne a publié son paquet « économie circulaire » en décembre dernier. Il serait, pour nous, regrettable d’assister au démantèlement de tout un ensemble qui répondra peut-être, d’ici à quelques années, à une vraie demande économique, sociale et politique.

L’une des pistes est d’aider les flottes à surmonter leur problématique conjoncturelle de trésorerie pour qu’elles puissent bénéficier du coût d’usage total que leur apporterait le rechapage. Faut-il mettre en place des certificats d’économie circulaire, des certificats d’économies de matière première, ou d’autres systèmes ? Il nous semble important de creuser ces pistes pour essayer d’apporter des solutions.

En ce qui concerne les annonces de ce matin, dont vous n’avez peut-être pas eu le temps de prendre intégralement connaissance, je voudrais insister sur le traitement social.

Nous avons annoncé ce matin que, dans le contexte du marché européen du rechapage, après avoir investi près de 50 millions d’euros au cours des dix dernières années dans l’atelier de rechapage de La Combaude, nous avions fait le choix de le fermer. Cela concerne 330 personnes, dont 262 ouvriers. Mais il faut noter que l’évolution de la pyramide des âges du groupe à Clermont-Ferrand se traduira par environ 1 500 départs à la retraite dans les trois prochaines années. Du coup, cette fermeture d’atelier se traduira simplement par une offre de reclassement pour 330 personnes dans des postes de travail, à conditions comparables, sur les sites clermontois. Autrement dit, cela se fera sans départs contraints ni licenciements.

Dans le même temps, nous avons annoncé que nous allions investir 90 millions d’euros sur les sites clermontois, le site des Gravanches, le site de Cataroux et le site de La Combaude, qui ne fait pas que du rechapage, mais qui accueille aussi des activités logistiques, ainsi que des activités de moules en impression 3D, la fabrication additive métal. Si vous avez suivi l’actualité, vous savez peut-être que Michelin a annoncé, il y a quelques mois, la création d’une coentreprise avec Fives sur ce sujet, sur lequel nous sommes largement en avance par rapport à nos concurrents.

Mme la rapporteure. Quels sont les échanges avec les pouvoirs publics nationaux ou européens en ce qui concerne les mesures à prendre pour sauver le rechapage ?

Vous parlez d’aider les flottes à surmonter leurs problèmes de trésorerie. N’y aurait-il pas des leviers plus simples, d’ordre réglementaire, pour ce qui est de la qualité des pneus ?

M. Éric Le Corre. Il faudrait déjà assurer une surveillance effective et réelle des marchés. J’ai eu l’occasion d’intervenir, il y a deux ans, devant la Commission d’enquête sur les causes de la fermeture de l’usine Goodyear d’Amiens-Nord. Le rapport issu des travaux de cette commission soulignait déjà qu’il conviendrait déjà de s’assurer que la surveillance des marchés soit effective par rapport aux réglementations mises en place.

Je suis désolé de dire qu’il ne s’est pas passé grand-chose depuis… La France est le dernier pays à avoir désigné une autorité de surveillance des marchés en ce qui concerne la réglementation sur les seuils de performance et l’étiquetage des pneumatiques, à savoir la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). La France n’a pas encore participé au comité ADCO – administrative coopération –, qui se tient régulièrement en Europe. D’autres pays européens sont, sur ces sujets, largement en avance par rapport à nous, notamment l’Allemagne.

Nous travaillons auprès des autorités européennes pour faire comprendre les enjeux, mais vous savez comme moi que beaucoup d’autres éléments entrent en ligne de compte.

M. Éric Vinesse. En ce qui concerne l’homologation du pneumatique et les conditions de cette homologation, les méthodes de tests sont clairement définies. Nous avons contribué à faire progresser ces méthodes pour qu’elles prennent en compte, non seulement les conditions précises de mesure et d’évaluation, mais aussi les méthodes d’alignement entre les laboratoires qui testent les pneumatiques.

Quant au processus d’homologation, il répond, sur le marché européen, à un certain nombre de critères d’harmonisation entre les différents pays, définis dans la directive 2007/46, et qui concernent, non seulement le pneumatique, mais aussi l’ensemble des composantes du véhicule.

Aujourd’hui, la Commission européenne vient de faire une proposition de règlement pour remplacer cette directive et aller plus loin dans l’harmonisation et la définition des obligations de l’ensemble des intervenants sur le processus d’homologation : États membres, autorités de surveillance, laboratoires et manufacturiers.

L’un des objectifs de cette proposition semble être d’aller vers une meilleure harmonisation et une plus grande clarté des pratiques dans le cadre du processus d’homologation. Nous sommes, bien sûr, favorables à tout effort allant dans ce sens, car cela conduira à une plus grande homogénéité en Europe sur ce sujet.

Je reviens sur la question du labelling et de l’étiquetage du pneumatique.

Lorsqu’il est introduit sur le marché, le pneumatique doit avoir une étiquette indiquant son niveau de performance en termes de résistance au roulement, d’adhérence sur sol mouillé et de bruit.

Les méthodes utilisées pour obtenir les résultats indiqués sur l’étiquette sont clairement définies et harmonisées par le règlement européen (CE) n° 1222/2009. Dans toute l’Europe, chaque manufacturier ou chaque importateur qui introduit un pneumatique sur le marché doit le tester selon une méthode en accord avec les principes d’harmonisation définis dans la réglementation et indiquer les résultats des tests sur l’étiquette.

Ce processus est en autocertification, c’est-à-dire que le manufacturier ou l’importateur réalise ces tests dans le respect du règlement et indique lui-même sur l’étiquette les résultats obtenus. Il relève de la responsabilité de chaque État membre de vérifier que le processus est appliqué suivant les requis du règlement n° 1222/2009. Le niveau de contrôle est absolument essentiel pour donner de la crédibilité aux résultats obtenus dans le cadre de cet étiquetage.

Nous avons, avec l’Association européenne des manufacturiers de pneumatiques, l’European Tyre and Rubber Manufacturers Association (ETRMA), dès le démarrage du labelling, mis en place un certain nombre de contrôles pour identifier, à travers des échantillons, l’agrément des résultats obtenus par rapport à la définition donnée par le règlement.

M. Éric Le Corre. Vous m’avez posé une question, madame la rapporteure, sur les particules d’usure.

Les onze principaux manufacturiers pneumatiques mondiaux se sont saisis de ce sujet dès 2006 dans le cadre d’un projet intitulé Tire Industry Project (TIP), qui nous rassemble sur des sujets concernant l’environnement, la sécurité et la santé, sujets de nature non concurrentielle. Chaque réunion se fait, bien sûr, dans le respect des règles antitrust, mais nous avons travaillé ensemble sur un certain nombre de sujets concernant le pneumatique et l’environnement.

Nous mandatons des consultants extérieurs indépendants qui mènent des recherches, vérifiées par des comités scientifiques et publiées. L’un des premiers sujets examinés a été celui des débris d’usure générés par les pneus.

Dans une première étape, nous avons découvert que ces débris étaient constitués de particules de route et de pneu intimement liées, que nous appelons les Tire and Road Wear Particles (TRWP). Ces particules sont trop volumineuses pour rester suspendues dans l’air. Seule une très faible partie d’entre elles, les plus petites, est susceptible de constituer une pollution atmosphérique. Nous avons fait examiner scientifiquement, mais aussi en faisant mener des enquêtes sur le terrain dans plusieurs grandes agglomérations mondiales, ce que l’on retrouvait effectivement dans l’air.

Les particules d’origine pneumatique représentent moins de 1 % des PM10 – c’est-à-dire les particules d’une taille inférieure à 10 microns – présentes dans l’atmosphère. Nous avons ensuite examiné les particules d’une taille inférieure à 2,5 microns, qui peuvent se retrouver dans les poumons et, au travers des alvéoles, passer dans le système sanguin. Moins de 0,4 % du total des PM2.5 de toutes origines sont présentes dans l’atmosphère.

Nous avons ensuite étudié, notamment sur des rats, la toxicité des particules qui se retrouvent dans le sol mais également dans l’eau. Les résultats ont démontré que ces particules n’avaient pas d’effet adverse, même avec des durées d’exposition longues et à forte concentration.

M. Denis Baupin. Je suppose que les chiffres que vous avez donnés portent sur l’air ambiant de la France dans son ensemble. S’agit-il d’une moyenne, sachant qu’il y a, selon les activités menées, plus de particules dans certains territoires ? Ou bien s’agit-il d’un pourcentage calculé en zone agglomérée, où une part significative de la pollution est due à l’automobile ?

Quant à la toxicité, est-ce vous qui l’avez mesurée ? Ou bien des organismes indépendants, comme l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ? Quelle est la validité scientifique et sanitaire de vos études ?

M. Éric Le Corre. Les pourcentages sont calculés dans de grandes agglomérations, sur les particules d’une taille inférieure à 2,5 microns. Des études ont été conduites dans les agglomérations de Los Angeles, Londres et Tokyo. Il ne s’agit donc pas d’une moyenne nationale. Nous avons lancé des études pour conduire les mêmes analyses dans des agglomérations de grandes métropoles chinoises ou indiennes afin d’avoir une idée exacte de la situation.

Les mesures de toxicité ne sont pas conduites par les manufacturiers de pneumatiques, mais par des organismes indépendants spécialisés dans ce domaine. Elles sont revues et évaluées par un comité scientifique, puis publiées, après avoir été discutées avec l’OMS et d’autres acteurs internationaux. L’objectif est vraiment de travailler ensemble sur des enjeux qui nous semblent, en tout cas aux yeux des onze manufacturiers présents au sein du TIP, être de notre responsabilité collective.

M. Éric Vinesse. Je vous propose de revenir aux questions concernant le modèle économique et l’innovation en termes de pneumatiques et la réponse aux attentes des clients, s’agissant notamment des clients constructeurs.

Nous nous sommes engagés à faire progresser, aux yeux du consommateur, la valeur de son pneumatique à travers ses progrès en termes de performance, c’est-à-dire de ne pas faire de trade-off ou de changer une performance pour une autre, ce qui n’apporte rien au consommateur ni à la société. Il s’agit d’apporter par l’innovation des solutions qui permettent de décaler l’équilibre des performances et de progresser sur plusieurs dimensions à la fois.

Nous sommes engagés pour une meilleure utilisation de la matière, en apportant plus de performance pour plus longtemps, avec des solutions toujours plus efficientes. C’est dans cette efficience que le consommateur et la société trouveront les bénéfices de l’innovation que nous apportons.

Cela commence par la longévité des produits. On peut remonter, dans notre histoire, jusqu’à l’innovation du pneumatique radial qui, à l’époque, permettait déjà de multiplier par deux la durée de vie des produits. Au niveau des particules d’usure également, un pneumatique qui s’use deux fois moins vite représente un progrès essentiel.

C’est aussi tout ce que nous avons dit sur le rechapage des pneumatiques poids lourds, qui permet de réutiliser la carcasse plusieurs fois et de ne changer que la partie nécessaire, en apportant toujours la meilleure performance au consommateur.

Je peux également donner l’exemple du pneumatique X One, aux États-Unis. Un seul pneumatique de ce type permettait de remplacer deux pneumatiques sur les remorques américaines et de porter la même charge avec 30 % de moins en termes de masse et en faisant une économie de consommation d’énergie de 10 %. C’est un gain important pour le client en termes de consommation, pour la société en termes de baisse de masse, et c’est un gain d’efficience globale. L’innovation génère, là encore, un bénéfice pour le consommateur et la société.

Nous avons aussi introduit, dans les années quatre-vingt-dix, les lamelles Y, qui permettaient, s’agissant des pneus neige, de poursuivre plus longtemps les performances d’adhérence sur neige pendant toute la vie du pneumatique. Le consommateur pouvait utiliser son pneumatique plus longtemps sans avoir à le remplacer, et donc, réaliser des économies sur le coût d’achat de son pneumatique et sur la performance obtenue.

Dans le domaine agricole également, nous avons introduit de nouvelles technologies qui permettent au pneumatique de fonctionner à plus basse pression, ce qui limite l’impact sur le compactage des sols et améliore le rendement économique de la terre par l’utilisation de ces pneumatiques. Là encore, l’innovation permet de faire progresser à la fois sur l’efficience vue par le consommateur et par la société. C’est notre engagement depuis toujours que de faire progresser le pneumatique grâce à l’innovation.

Je peux aussi mentionner les Michelin Durable Technologies, qui ont été introduits pour les poids lourds dans les années quatre-vingt-dix et qui permettent au consommateur, en « régénérant » de la motricité pour les pneus poids lourds pendant toute leur vie, de pouvoir utiliser en toute confiance son produit plus longtemps.

S’agissant de la pérennité des performances, nous avons introduit, en 2014, aux États-Unis, le pneu Premier All-Season qui, grâce à des bandes de roulement évolutives, au fur et à mesure que le pneumatique s’use, voit ses performances et sa sculpture évoluer, ce qui permet de régénérer de la performance et de la traction. Ainsi, le client sait que les qualités de son pneumatique en termes d’adhérence et de sécurité seront prolongées pendant toute la vie du produit.

Toutes ces solutions marquent un progrès, pour le consommateur comme pour la société.

Le pneu connecté enfin est pour nous un axe de travail extrêmement important. Il y a trois ans, nous avons été les premiers à introduire l’identification du pneumatique, en particulier pour les flottes de bus. Cette identification permet de fournir une information sur ce qu’est le pneu, mais aussi sur son état. En combinant cette information en matière d’identification, de pression et de température du pneumatique, on peut fournir aux flottes une information leur permettant de savoir précisément quel est l’état d’un pneumatique et s’il faut le changer, et donc, d’optimiser la maintenance de leur flotte.

Nous avons mis en place toute une série de services dédiés. Le suivi en temps réel permet au client de réduire le temps d’immobilisation du véhicule, d’optimiser l’entretien et d’anticiper le renouvellement de l’enveloppe.

Nous avons également mis en place une offre de services à travers une plateforme Internet baptisée « My Account » où nous mettons toute la puissance du digital à disposition des industriels du transport. Cette offre de services vise à aider ces clients à adopter une maintenance préventive, et non plus curative, et surtout à réduire les coûts de maintenance des pneumatiques.

Dans le cadre de ces services dédiés aux flottes, le groupe a créé « Michelin solutions », qui offre aux transporteurs une gestion optimisée des postes pneumatiques. Nous pouvons également souligner l’acquisition de la société Sascar, leader brésilien de la gestion numérique des flottes.

Comme vous pouvez le constater, nous sommes actifs sur tous ces sujets d’offre digitale et d’intégration de l’électronique dans le pneumatique.

Mme la présidente Sophie Rohfritsch. Je vous remercie, messieurs, pour ces explications très détaillées.

La séance est levée à treize heures quinze.

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Membres présents ou excusés

Mission d'information sur l'offre automobile française dans une approche industrielle, énergétique et fiscale

Réunion du mardi 1er mars 2016 à 12 heures

Présents. - M. Frédéric Barbier, Mme Delphine Batho, M. Denis Baupin, M. Xavier Breton, M. Philippe Duron, M. Gérard Menuel, Mme Sophie Rohfritsch, M. Jean-Michel Villaumé

Excusés. - M. Yves Albarello, M. Jean-Marie Beffara, M. Jean Grellier, M. Jean-Pierre Maggi, M. Rémi Pauvros

Assistait également à la réunion. - Mme Odile Saugues