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Mission d’information commune sur la banque publique d’investissement, Bpifrance

Jeudi 5 mars 2015

Séance de 11 heures 30

Compte rendu n° 9

Présidence
de Mme Véronique Louwagie,
Présidente

–  Audition, ouverte à la presse, de M. Bertrand Finet, directeur exécutif Fonds propres PME et de M. Jean-Yves Gilet, direction ETI et grandes entreprises, de Bpifrance.

Mme la présidente Véronique Louwagie. Mes chers collègues, nous accueillons à présent M. Bertrand Finet, directeur exécutif Fonds propres PME, et M. Jean-Yves Gilet, direction ETI et grandes entreprises de Bpifrance, pour aborder plus concrètement l’apport de la BPI en matière de financement direct des entreprises.

Messieurs, je vous laisse la parole pour que vous nous présentiez les contours de l’activité de la BPI dans ce domaine, ainsi que la façon dont celle-ci peut répondre aux besoins des entreprises. Ces derniers ont-ils évolué depuis la création de la BPI et quelles sont les principales difficultés que vous identifiez dans ce domaine ?

M. Jean-Yves Gilet, direction ETI et grandes entreprises de Bpifrance. La direction ETI-GE assume deux missions distinctes. Pour les ETI et certaines PME ayant des besoins importants, nous nous inscrivons dans une logique de projet et de développement. Nous intervenons près d’entreprises en croissance, rentables, cotées ou non et dont les besoins de financement sont supérieurs à 10 millions d’euros, cette somme constituant la ligne de partage entre ma direction et celle des fonds propres PME. Nous investissons sur le long terme, contrairement à beaucoup de fonds d’investissement privés, avec le souhait d’accompagner l’entreprise dans son évolution et la réalisation de son projet. Pour ce faire, nous participons à la gouvernance de l’entreprise, en ayant la possibilité de proposer la désignation d’un administrateur qui sera en quelque sorte notre source d’information privilégiée au sein du conseil d’administration.

En ce qui concerne les grandes entreprises stratégiques, qui constituent le socle du patrimoine économique et industriel de la France, nous jouons un rôle de stabilisation du capital lorsque celui-ci est fragmenté, donc fragile. La participation de Bpifrance à hauteur de 5 % à 10 % témoigne en effet de l’intérêt stratégique de l’entreprise pour la France.

Dans l’un et l’autre cas, nous investissons dans l’ensemble des secteurs, à l’exception de la promotion immobilière et de la finance, et toujours de façon minoritaire.

Quelles sont les caractéristiques de notre doctrine ? Nous cherchons à être un partenaire de confiance pour les entreprises, en étant très proches de leurs intérêts sur le long terme. Il est important de noter que nous recherchons des co-investisseurs chaque fois que cela est possible. Il est parfois difficile de trouver des fonds privés pouvant s’engager sur le long terme, mais nous y parvenons dans 70 % à 80 % des cas. Par ailleurs, nous nous devons d’être un investisseur avisé – l’argent qui nous est confié provient de l’épargne des Français et notre responsabilité est de le leur rendre avec une rentabilité minimale – et d’être attentifs à l’intérêt général : nous tenons donc compte de la place de l’entreprise dans son écosystème, qu’il s’agisse d’une filière industrielle ou d’une zone géographique.

Mme la présidente Véronique Louwagie. Pourriez-vous préciser ce que vous entendez par un investissement de long terme ?

M. Jean-Yves Gilet. Nous nous fixons une échéance de huit ans, mais nous avons la possibilité d’adapter la durée de notre investissement au cycle du projet de l’entreprise, qui peut être très long – c’est le cas, par exemple, pour Limagrain, qui mène des recherches en matière de semences. En tout état de cause, cette échéance n’est pas une limite absolue. Certes, nous n’avons pas vocation à être éternellement présents dans le capital d’une entreprise, mais si son dirigeant a un nouveau projet, nous sommes a priori prêts à prolonger notre bail. C’est une des raisons pour lesquelles le fonds ETI 2020, doté de 3 milliards d’euros, a été créé pour 99 ans. Cela ne signifie pas que nous resterons 99 ans au capital d’une entreprise – même si mon rêve serait que, de projet en projet, nous soyons amenés à être encore présents dans un siècle. Mais notre objectif est de créer des champions, et cela nécessite de s’inscrire dans la durée.

Nos trois principales thèses d’investissement sont l’accélération du développement des entreprises en croissance, l’accompagnement de la mutation d’entreprises, qu’il s’agisse d’une reprise ou d’un changement de modèle, et le renforcement de l’actionnariat d’entreprises stratégiques.

Le nombre total de nos lignes d’investissement, dont certaines ont été apportées par les deux actionnaires historiques du Fonds stratégique d’investissement, s’élève à une petite centaine. J’ajoute que nous disposons également d’un outil destiné à l’accompagnement des acteurs de l’automobile, le Fonds de modernisation des équipementiers automobiles, qui a été rebaptisé l’année dernière Fonds pour l’avenir automobile, afin de bien marquer la rupture avec la logique de retournement qui était auparavant celle de ce fonds.

M. Bertrand Finet, directeur exécutif Fonds propres PME de Bpifrance. La direction dont j’ai la charge a vocation à investir, en fonds propres et quasi-fonds propres, dans des entreprises très petites, petites ou moyennes, pour des montants inférieurs à 10 millions d’euros. Sa mission principale est de leur permettre de se développer plus rapidement afin qu’elles deviennent, peut-être, les ETI de demain. À l’instar de la direction ETI-GE, nous investissons dans l’ensemble des secteurs, à l’exception du secteur immobilier et du secteur financier. En revanche, contrairement à cette dernière, la direction Fonds propres PME est présente dans les vingt-deux directions régionales de Bpifrance, de sorte que celle-ci peut présenter aux entrepreneurs la palette complète de ses produits, qu’il s’agisse de financements, de garanties ou de fonds propres.

Mon équipe compte 80 investisseurs, dont cinquante se trouvent en régions, répartis dans quatre équipes : France investissement régions s’occupe des investissements régionaux, qui sont d’ailleurs les moins importants – jusqu’à 4 millions d’euros ; France investissement croissance, basée à Paris, investit à la fois en fonds propres et en mezzanine – qui est un produit se situant entre la dette classique et les fonds propres – des tickets compris entre 4 et 10 millions d’euros dans des entreprises un peu plus importantes ; la troisième équipe, dite sectorielle, investit, par l’intermédiaire de fonds dédiés – le fonds Savoir-faire d’excellence, le fonds Mode et finance et le fonds Patrimoine et création – dans les industries créatives, qui participent de l’exception culturelle française ; enfin, la quatrième équipe gère un fonds Bois, un fonds Ferroviaire et un fonds Nucléaire, qui investissent dans ces secteurs industriels. Ces filières comprennent des donneurs d’ordres importants qui investissent eux-mêmes dans les fonds que nous gérons ; le fonds Ferroviaire compte ainsi parmi ses investisseurs la SNCF, la RATP, Bombardier et Alstom. Dans ces fonds dits « filières », la part apportée par Bpifrance est minoritaire.

J’ai sous gestion environ deux milliards d’euros, dont une bonne moitié est d’ores et déjà investie dans des entreprises, le reste étant disponible pour l’être dans les prochaines années. Mon portefeuille est par nature plus important en volume que celui de Jean-Yves Gilet, puisqu’il compte 450 sociétés, ce qui représente un véritable défi en termes de suivi des participations. Mon équipe est donc structurée pour assurer ce suivi, qui est essentiel.

Par ailleurs, en tant qu’investisseurs professionnels et soucieux de l’intérêt général, nous devons savoir « sortir ». Historiquement, mes équipes étant en partie issues notamment de CDC Entreprises et de FSI régions, mon portefeuille comprend des entreprises que nous accompagnons depuis plus de dix ans. L’année 2014 a ainsi été marquée par un nombre important de sorties. Lorsque l’entreprise a été accompagnée pendant un certain temps, il est en effet important qu’elle puisse être revendue, en accord avec l’entrepreneur et les actionnaires ; le rôle de Bpifrance est alors de s’assurer que le repreneur est sérieux.

La direction Fonds propres PME mène une centaine d’opérations par an, ce qui est très significatif par rapport aux sociétés d’investissement privées ; nous sommes du reste la société de gestion française la plus importante en termes d’effectifs. Bien entendu, dans le cadre de son activité bancaire, Bpifrance intervient dans des milliers, voire des dizaines de milliers d’entreprises chaque année, mais la logique dans laquelle nous nous inscrivons est très différente : l’investissement en fonds propres relève du sur-mesure, et il est beaucoup plus long à mettre en place puisque nous entrons dans le capital d’entreprises qui sont souvent familiales.

Enfin, je précise que dans 95 % des cas, nous investissons avec des fonds privés ou régionaux. C’est un point important, qui témoigne de l’effet d’entraînement suscité par Bpifrance. En 2014, France investissements régions a réalisé 90 investissements en partenariat avec 74 investisseurs privés ou régionaux.

M. Jean-Yves Gilet. En raison de sa spécificité, Bpifrance ne peut avoir une approche pointilliste. Nous cherchons donc à comprendre la logique des secteurs et des domaines d’intervention, tout en nous intéressant à la localisation des entreprises et, bien entendu, à la question de l’emploi, qui est un élément majeur. Nous avons également le devoir d’aller au-devant des entrepreneurs. C’est ainsi que j’ai lancé, l’année dernière, l’initiative ETI 2020, qui a d’abord consisté à recenser ces entreprises. Nous avons dénombré 3 500 ETI indépendantes au-devant desquelles nous sommes allés dans les régions, afin de leur expliquer en quoi Bpifrance pouvait leur apporter davantage qu’un autre investisseur.

En effet, non seulement Bpifrance est un acteur de confiance et une référence, mais elle présente également l’avantage de disposer d’une palette d’opérations qui répondent à l’ensemble des besoins des entreprises. Même si les processus internes sont distincts, pour éviter de confondre prêts et investissements en fonds propres, le chef d’entreprise a désormais un interlocuteur unique, le directeur régional, qui peut l’accompagner en assurant un continuum des financements, puisque nous avons des outils qui permettent de répondre graduellement à chaque problème. Ainsi, une des vingt entreprises dans lesquelles nous avons investi en 2014 était, à l’origine, une participation des fonds PME, qui s’est développée de telle manière qu’elle a eu besoin d’un ticket supérieur à 10 millions d’euros. Cet exemple illustre bien le fait que nous accompagnons les entreprises sur le long terme, notamment grâce à la multiplicité et à la complémentarité de nos outils.

L’offre de Bpifrance est reconnue par les chefs d’entreprise comme différente de celle qui existait auparavant, et c’est un élément très positif, comme le démontrent certaines enquêtes de clientèle ou de notoriété. En effet, de par son évolution – on est passé de financements réalisés directement par les banques à des financements de type obligataire –, le monde du financement est souvent considéré comme confus par les chefs d’entreprise. À cet égard, notre offre très cohérente – soutien public à l’innovation, prêts, y compris de court terme, prêts immobiliers, prêts de développement et fonds propres – constitue une réponse appréciée des entrepreneurs, d’autant plus qu’ils savent, par le bouche-à-oreille, qu’elle est très favorable au développement de leur entreprise.

Mme la présidente Véronique Louwagie. Monsieur Gilet, vous avez indiqué que Bpifrance disposait d’une palette d’outils importante qui lui permet de répondre à un grand nombre des besoins des entreprises. Cette diversité ne nuit-elle pas à la simplicité de l’offre qui leur est proposée ? Par ailleurs, que se passe-t-il lorsque vos co-investisseurs ne souhaitent pas investir à aussi long terme que Bpifrance ?

Monsieur Finet, pouvez-vous nous donner des indications sur le nombre des refus opposés aux entreprises qui souhaitent ouvrir leur capital et nous dire quelles en sont les raisons ? Je souhaiterais également savoir ce qu’il en est de la suggestion du Commissariat général à l’investissement de prévoir des actions de préférence sans droit de vote, afin que le renforcement des fonds propres des PME ne remette pas en cause leur contrôle par leur fondateur.

M. Laurent Grandguillaume, rapporteur. Nous avons abordé tout à l’heure avec le président de la Commission de surveillance de la CDC la question des fonds de retournement. La question est importante car, si l’on rapporte le coût du risque aux encours de Bpifrance, on peut se demander si celle-ci ne fait pas preuve de frilosité dans ses investissements.

Pourtant, dans le dossier ERAMET, que je souhaiterais évoquer avec vous, une provision de 300 millions d’euros a été réalisée qui pourrait traduire la moins-value des actions de l’État. Pour l’expliquer, on invoque la crise du nickel. Pourquoi pas ? Mais l’on constate que cette entreprise a perdu de sa compétitivité en voyant ses coûts de production augmenter de 50 % depuis les années 2000 ; elle est ainsi reléguée au 57e rang mondial en matière de coût de revient. Par ailleurs, les tonnages ont diminué de près de 15 % depuis 2006 et des investissements qui auraient dû être réalisés ne l’ont pas été. Je pense notamment à la construction d’une centrale électrique en Nouvelle-Calédonie ou à des investissements, à hauteur de 500 millions d’euros, qui devaient être faits en Indonésie et qui n’ont pas été autorisés par les autorités locales.

Lors d’une conférence de presse qui s’est tenue le 20 février dernier, il a été indiqué que Bpifrance jouait un rôle important dans cette entreprise, dont elle détient en effet 26 % des actions. Je souhaiterais donc savoir de quelle manière vous suivez l’évolution de ce groupe et si vous pouvez influer sur les décisions qui sont prises. Comment expliquer une provision de 300 millions d’euros quand la sinistralité de Bpifrance est de 36 millions ?

M. Éric Alauzet. Monsieur Finet, vous avez indiqué, d’une part, que les participations de Bpifrance étaient toujours minoritaires et, d’autre part, que cette dernière suscitait un effet d’entraînement auprès des autres investisseurs. De deux choses l’une : soit les banques investissent dans l’entreprise et vous êtes un partenaire apportant une plus-value, mais alors le plan de financement ne pose pas de problème ; soit les banques refusent et, dans ce cas, je ne vois pas en quoi une participation minoritaire de Bpifrance peut produire un effet de levier. Pour les entreprises en retournement, avez-vous éventuellement une stratégie différente qui consisterait à réaliser un investissement plus important, qui ne soit pas forcément minoritaire, pour produire précisément cet effet d’entraînement ?

M. Bertrand Finet. En ce qui concerne les actions sans droit de vote, nous proposons, parmi les produits de Fonds propres PME, des obligations convertibles, qui donnent accès au capital de l’entreprise, non pas immédiatement, mais à terme. Ce type de produit peut séduire le chef d’une entreprise familiale, par exemple, qui a des besoins de financement mais ne souhaite pas forcément ouvrir son capital. Arrive toutefois le moment où la conversion doit intervenir. Si, à ce stade, le chef d’entreprise ne souhaite toujours pas que nous ayons accès au capital, il doit nous rembourser et nous verser une prime de non-conversion (PNC). Au plus fort de la crise financière, en 2008 et 2009, ce type de produits a été beaucoup utilisé. Or, aujourd’hui, on s’aperçoit qu’il aurait fallu éviter de faire de fausses promesses au chef d’entreprise, qui n’est pas toujours conscient que la non-dilution de son capital a un coût. De plus, les intérêts se cumulant, trois ou quatre ans plus tard, la somme due peut lui paraître très importante. Ce produit, dans lequel certains de nos fonds sont spécialisés, doit donc être utilisé avec prudence – l’entrepreneur ne doit pas y voir une sorte de « Canada dry de fonds propres ». Je rappelle en effet que nous avons l’obligation à la fois d’agir en investisseur avisé et d’être soucieux de l’intérêt général.

Par ailleurs, je répondrai à M. Alauzet que le fait d’investir en fonds propres dans une entreprise avec un acteur privé non seulement démontre que la présence de Bpifrance est perçue comme un signe positif par les autres investisseurs et que nous investissons, conformément à notre mission, comme un acteur de marché, mais permet de compléter un tour de table. Cet effet d’entraînement est réel. Cependant, beaucoup d’entreprises très dynamiques, qui se développent rapidement, se financent exclusivement auprès du secteur privé.

M. Éric Alauzet. La question reste posée pour les entreprises qui sont réellement en difficulté et manquent de fonds propres : pouvez-vous aller, dans un tel cas, au-delà d’une participation minoritaire ?

M. Bertrand Finet. Notre doctrine est d’être toujours minoritaire, quoi qu’il arrive ; devenir majoritaire reviendrait en effet à nationaliser l’entreprise. En matière de retournement, question chère au président Emmanuelli, Bpifrance n’investit pas directement dans ce secteur. En revanche, elle investit dans des fonds spécialisés dans le retournement. En outre, elle peut donner sa garantie aux banques participant à la reprise d’une entreprise en difficulté ; cette garantie porte sur 50 % à 70 % du montant investi. Si nous entrions en direct dans des entreprises en difficulté, le coût du risque exploserait. Nous essayons donc de respecter un équilibre subtil en la matière.

M. Éric Alauzet. Cet engagement plus important de Bpifrance permet-il de faire basculer des dossiers dans lesquels les banques rechignaient à s’engager ?

M. Bertrand Finet. Cela arrive. Le risque est que, voulant bien faire, le chef d’entreprise argue, auprès d’autres investisseurs, de l’intervention de Bpifrance pour les convaincre de s’engager. Il faut donc trouver le juste milieu pour ne pas se faire instrumentaliser.

S’agissant des refus opposés aux entreprises, il faut savoir que le monde de l’investissement en fonds propres est totalement différent de celui du financement bancaire. Les décisions des banques sont prises sur le fondement des comptes historiques : des logiciels d’aide à la décision produisent une notation et, pour le dire de façon caricaturale, si cette notation est bonne, le prêt sera accordé quasi automatiquement. L’investisseur en fonds propres, quant à lui, s’intéresse davantage au business plan et aux perspectives de croissance de l’entreprise. Il doit donc rencontrer l’équipe de direction et mener des investigations financières, stratégiques et juridiques très poussées. Dès lors, le taux d’échec est forcément beaucoup plus important. Ainsi, l’an dernier, ma direction a reçu plus de 1 500 dossiers ; nous avons travaillé activement sur 300 d’entre eux, et nous en avons retenu 100. Les autres n’ont pas abouti, soit parce que le chef d’entreprise a changé d’avis, soit parce qu’un acteur privé a décidé de payer un peu plus cher que nous – et, gérant de l’argent public, nous n’avons pas vocation à surenchérir –, soit parce que nos investigations n’ont pas été concluantes.

En tout état de cause, nous nous efforçons de répondre au chef d’entreprise rapidement et professionnellement, surtout lorsque nous lui disons non, ce qui nous arrive beaucoup plus souvent qu’à nos collègues en charge du financement. Du reste, notre refus se traduira plutôt par une proposition de réorientation. Nous avons en effet créé, au sein de Bpifrance, une cellule deal flow, dont le métier est de recevoir les entrepreneurs et de les orienter soit vers des fonds partenaires ou des fonds privés, soit vers d’autres solutions, comme un financement.

M. Jean-Yves Gilet. L’une de nos missions est d’aider les entreprises à mieux formuler leurs demandes : souvent, les réponses négatives viennent du fait que la demande est mal formulée.

Je voudrais insister sur la durée des investissements, qui est un facteur crucial. Investir en fonds propres, c’est rentrer dans l’intimité d’une entreprise ; l’ouverture du capital est une transformation profonde, difficile, longue. De plus, nous travaillons au cas par cas : nous voulons comprendre la stratégie de l’entreprise, sa vision à moyen terme, ses comptes… Ce sont des dossiers très complets. Beaucoup ont l’impression que nous sommes lents ; mais, l’année dernière, à une occasion, trois semaines se sont écoulées entre le contact avec l’entreprise et le décaissement des fonds ! Nous pouvons donc être très réactifs lorsque tous les documents nous sont fournis. Nous voulons aller vite quand c’est possible mais surtout répondre aux besoins des entreprises, et cela nécessite un travail approfondi.

Je voudrais également revenir sur le retournement. On parle ici d’entreprises qui vont mal – leur business model, leur gestion ne sont pas bons –, mais dont les fondamentaux sont solides. Très souvent, il est alors nécessaire de changer d’attelage. Or nous ne pouvons pas changer les équipes en étant actionnaire minoritaire. Il est donc important de passer soit par des fonds de retournement, soit par l’accompagnement d’un repreneur. Le président Emmanuelli le sait mieux que personne, puisqu’il y a dans les Landes une entreprise papetière, Gascogne, qui a été reprise ; notre présence a permis d’entraîner l’ensemble de la place financière, ce qui était essentiel, car il a fallu une importante restructuration financière, des investissements lourds. Touchons du bois : pour le moment, l’entreprise va plutôt bien.

Nous faisons du retour à la normale – je préfère ce terme à celui de retournement, trop connoté – tous les jours, pour des entreprises qui se posent des questions, non pas sur leurs fins de mois mais sur leurs perspectives à deux ans.

Dans ce type de situations, nous apportons de la rationalité, et je peux vous assurer que nous ne faisons preuve d’aucune frilosité. Nous prenons même plus de risques que d’autres ! Je souligne que nous investissons pari passu, c’est-à-dire dans les mêmes conditions que les autres investisseurs, à la fois pour des raisons d’équité et pour respecter les normes bruxelloises. La comparaison que vous esquissiez entre le coût du risque et la frilosité, monsieur le rapporteur, n’est pas, si je puis me permettre, parfaitement juste. L’exemple d’ERAMET que vous citez montre bien d’ailleurs que nous prenons des risques, puisque nous sommes parfois amenés à constater des pertes.

J’insiste sur la diversité des outils. Nous cherchons à construire les outils les plus adaptés à chacun des besoins, afin d’être efficaces et d’éviter aux entreprises d’avoir à s’adresser un peu partout. Cette diversité serait nuisible si elle n’était pas orchestrée, mais la création de Bpifrance a justement permis de mieux l’organiser. Les plus grandes entreprises s’adressent directement au siège, mais le point d’entrée pour la plupart des entreprises est le directeur régional : il connaît tous les outils et il est à même d’orienter les entreprises. Les Ateliers ETI 2020 déjà évoqués ne visaient pas à dresser un catalogue exhaustif des outils existants, mais à présenter les principes et à inviter les entreprises qui ont des projets à venir nous voir pour trouver la meilleure solution pour elles. La première étape de l’accompagnement, c’est l’accueil !

J’en reviens maintenant à ERAMET – en précisant que je ne peux pas m’étendre ici sur le détail des comptes d’une entreprise cotée. Tout d’abord, je n’ai pas exactement les mêmes chiffres que vous, monsieur le rapporteur, mais au fond peu importe. Il faut distinguer deux choses. Vous m’avez posé des questions sur la stratégie industrielle d’ERAMET, sur ses investissements… ; il y a aussi la question de la valorisation. L’un et l’autre aspects ne sont pas déconnectés : le marché se pose les mêmes questions que vous, et constate que la fluctuation des cours des matières premières conduit à des hauts et des bas pour l’entreprise. Les coûts de production d’ERAMET avaient fortement augmenté sous l’effet de la hausse du cours de l’euro par rapport au dollar – c’est une entreprise qui fonctionne en dollars – et de la hausse du coût de l’énergie. Mais, depuis six mois, la baisse de l’euro et celle du prix du pétrole – événements externes – lui ont permis de regagner de la compétitivité. Tout cela a nourri les interrogations du marché sur cette entreprise.

Quant aux provisions, il faut bien comprendre que nous évoluons dans un monde très normé : lorsque le cours de bourse fluctue de façon significative, ce qui a été le cas, nous sommes obligés de le prendre en compte. Ce sont les règles : nous nous conformons aux standards internationaux, dits IFRS (International Financial Reporting Standards). Je ne rentre pas dans les détails ce matin, mais nous pourrons y revenir si vous le désirez.

Le rôle de l’actionnaire minoritaire est un rôle difficile. Souvent, nous demandons certains droits particuliers, sur l’approbation des investissements, sur les alliances… Nous sommes donc un actionnaire minoritaire, mais pas un actionnaire passif ; nous essayons d’être incisifs sans être intrusifs. Nous essayons d’influencer certaines décisions, ce qui prend parfois du temps. Mais, si nous étions actionnaires majoritaires, les risques seraient beaucoup trop élevés.

S’agissant enfin du retournement, j’ai déjà cité Gascogne, je peux également citer Clestra, fabricant de cloisons de bureau : nous avons là aussi accompagné un repreneur. Globalement, les deux résultats sont plutôt positifs. Si l’entreprise a un potentiel réel – ce que l’on peut évaluer – et qu’elle est entre les mains de quelqu’un qui sait où il va, généralement, cela donne de bons résultats.

M. le rapporteur. Quel est le volume global des provisions aujourd’hui ?

Nous ne pouvons pas vous demander de faire mieux que l’Agence des participations de l’État (APE), puisque, comme chacun sait, il existe des entreprises françaises dont l’État est actionnaire et qui utilisent leurs filiales aux Pays-Bas, par exemple, pour se livrer à l’optimisation fiscale – c’est un journal néerlandais qui avait révélé ces faits, en janvier 2013. Mais, en tant qu’actionnaire, vous posez-vous ces questions ? Rencontrez-vous des problèmes éthiques ?

M. Jean-Yves Gilet. Une partie des entreprises dans lesquelles nous investissons ont leur siège, ou une partie de leurs comptes, hors de France. Ce qui nous guide, c’est la création de valeur ajoutée en France, ainsi que la présence de centres de décisions – sièges administratifs, parfois différents des sièges sociaux, principales usines, centres de recherche…

Certaines des entreprises dans lesquelles nous investissons bénéficient de montages, en effet, mais ce ne sont pas du tout les montages très décriés des quatre grandes entreprises américaines de l’électronique, Google, Facebook, Apple, Amazon. Il est de la responsabilité de chacune des entreprises de voir comment elle peut optimiser ses résultats.

Je constate que le barycentre des activités des entreprises présentes dans notre portefeuille se situe très largement en France : la majeure partie de l’activité, et donc de la création de valeur, se fait en France. Nous sommes naturellement très attentifs aux prix de transfert. Pour d’autres entreprises, dont les caractéristiques géographiques, et notamment l’implantation des centres de décisions, sont différentes, la situation sera différente.

Nous ne rencontrons pas, en tout cas, de problèmes éthiques particuliers.

S’agissant du montant des provisions, les comptes de Bpifrance seront publiés la semaine prochaine, et c’est à ce moment que Nicolas Dufourcq et Arnaud Caudoux pourront répondre à cette question.

M. le rapporteur. Par rapport à Coface, à Ubifrance, comment voyez-vous le rôle de Bpifrance au-delà de nos frontières ?

M. Jean-Yves Gilet. Je ne connais guère de champions qui soient uniquement nationaux – on pourrait peut-être en trouver dans le domaine des services à la personne, où les spécificités nationales sont fortes. La plupart du temps, à partir d’une certaine taille, une entreprise doit sortir des frontières ; si elle rencontre de grands succès en France, il y a de fortes chances que son modèle puisse être exporté. Les deux principales entreprises européennes dans le secteur de la gestion des maisons de retraite – marché en croissance – sont d’origine française : cela peut nous indiquer qu’il y a là un modèle de management exportable.

Nous sommes donc favorables au fait que les entreprises avec lesquelles nous travaillons réalisent des investissements à l’étranger, qu’il s’agisse de rachats d’entreprises, d’implantations nouvelles, de développements commerciaux. Nous avons donc des liens avec Coface comme avec Ubifrance. Évidemment, nous nous demandons toujours s’il s’agit de croissance de l’entreprise ou de délocalisation – ce qui serait, pour le coup, entièrement contraire à notre mission d’intérêt général.

Dans la plupart des cas, lorsqu’une entreprise en rachète une autre, leurs carnets de commandes sont complémentaires : les synergies commerciales sont fortes, et l’effet d’entraînement réel. Le développement à l’étranger est donc favorable à la valeur ajoutée en France, et c’est pourquoi nous soutenons ce type d’investissements.

Mme la présidente Véronique Louwagie. Deux fonds spécialisés dans le financement de la transition énergétique et environnementale ont été créés. Bpifrance agit-elle en ce domaine ? Doit-elle aller plus loin ?

Avec deux années de recul, pensez-vous que Bpifrance joue bien son rôle ? Avez-vous des suggestions d’amélioration ?

M. Bertrand Finet. S’agissant du bilan et des perspectives, j’ai moi-même intégré le Fonds stratégique d’investissement en 2009, c’est-à-dire dans une période de crise profonde. Je peux donc comparer l’action du FSI et celle de Bpifrance. Nous sommes aujourd’hui clairement, je crois, dans notre rôle – celui d’un investisseur un peu différent des autres, et qui prend un peu plus de risques que les autres. Nos actions ont permis de développer l’emploi, d’éviter des délocalisations.

Quant au chemin qui nous reste à parcourir, je voudrais insister sur la nécessité de développer l’accompagnement. Nous connaissons la solitude de coureur de fond des chefs d’entreprise, notamment dans les TPE et PME : ils sont au four et au moulin, ne disposent pas toujours de comité de direction… Nous pouvons les aider à prendre un peu de recul, à mieux comprendre leur environnement. L’année 2015 sera pour nous l’année de l’accompagnement. Nous faisons déjà, tous, de l’accompagnement, mais nous mettons aujourd’hui en place Initiative Conseil, petite équipe dont la vocation est de présenter aux différents entrepreneurs des conseillers préalablement accrédités et qui sauront les aider de différentes façons : mise en relation avec les chargés d’affaires Business France, ex-Ubifrance, ou avec des cabinets de fusions-acquisitions, missions d’optimisation industrielle réalisées par nos équipes ou par des conseils extérieurs…

Nous travaillons aussi depuis plusieurs mois sur l’Accélérateur PME, qui sera présenté cet après-midi même en présence d’Emmanuel Macron. Ce projet, que je sponsorise au sein du comité exécutif de Bpifrance, a pour parrains Bpifrance et la direction générale des entreprises (DGE) du ministère de l’économie. Nous avons sélectionné un peu plus d’une cinquantaine d’entreprises, en fonction de leur chiffre d’affaires, de leur rentabilité, de leur croissance, du pourcentage du chiffre d’affaires réalisé en recherche et développement… Ces PME d’une certaine taille – leur chiffre d’affaires se situe entre 10 et 50 millions d’euros – ont vocation à devenir les ETI de demain. Le but du programme Accélérateur PME est de concentrer, avec l’aide de la DGE et des DIRECCTE (directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi), tout ce que nous savons faire – d’apporter des offres de conseil et de diagnostic, de mobiliser l’université Bpifrance pour former ces chefs d’entreprises… Pour chaque entreprise, le programme dure deux ans ; l’idée est d’avoir en permanence entre 100 et 120 entreprises dans le programme : la première promotion est lancée tout à l’heure, et il devrait y en avoir une deuxième l’an prochain.

M. Jean-Yves Gilet. Notre force est de pouvoir montrer aux entreprises quels sont les défis et les opportunités de l’avenir. L’Accélérateur PME est un bon exemple de notre démarche. Très souvent, la vitesse de croissance est déterminante pour le succès futur. Le directeur de l’innovation de Bpifrance, Paul-François Fournier, parle souvent d’innovation « nouvelle génération ».

Mon programme, cette année, c’est de dire aux entreprises que la transition numérique concerne absolument tout le monde – pas seulement les objets connectés, pas seulement les start-up. Toutes les entreprises vont connaître une modification colossale de leur modèle économique ! Apple prévoit maintenant de construire des voitures : cela va changer considérablement le marché de l’automobile, pourtant considéré comme traditionnel. De même, l’e-commerce a bouleversé les chaînes de valeur.

Notre rôle est d’apporter ce recul, cet éclairage aux chefs d’entreprise pour qu’ils lancent des projets de transformation. Il y a de l’argent en France ; ce qui manque, ce sont les projets, notamment dans les ETI. Si nous pouvons – par la logique des accélérateurs, par la logique de l’innovation, par la logique de la transition numérique – être des accélérateurs de projet, alors nous aurons rempli notre mission.

S’agissant de la transition énergétique et environnementale, deux fonds ont en effet été créés. Mais nous faisons de la transition énergétique comme M. Jourdain faisait de la prose : nous en faisons tous les jours. Je peux vous citer ici trois noms d’entreprises dans lesquelles nous avons investi : Vergnet, l’un des rares fabricants français d’éoliennes, ce qui nous intéresse beaucoup ; Paprec, spécialiste du recyclage – la logique de la transition environnementale étant bien celle du passage d’une économie linéaire à une économie circulaire ; Neoen, l’un des spécialistes français dans le domaine du solaire. Cette dernière entreprise va gérer la plus grande ferme solaire du monde, à Cestas, dans les Landes : cela représente, en superficie, l’équivalent de 300 terrains de football. Nous réalisons donc des investissements très lourds dans des entreprises qui représentent le futur de notre consommation énergétique.

M. Éric Alauzet. Il ne faudrait pas que ces 300 terrains de football soient pris sur des terres agricoles : dans le domaine de la transition environnementale, il y a beaucoup d’enthousiasme, mais il faut savoir s’en méfier, et bien mesurer les contradictions qui peuvent exister entre différents objectifs… Mais je ne vous apprends certainement rien.

M. Jean-Yves Gilet. Il faut pointer une autre contradiction : la France n’a malheureusement pas aujourd’hui les moyens de construire des éléments d’éoliennes de grande dimension, notamment. Mon rêve serait d’arriver à développer une filière.

M. Éric Alauzet. Vous avez raison. Mais ces éléments ne représentent que 20 % de la valeur ajoutée.

Plus généralement, vous regrettiez le manque de projets à financer. Quel est finalement le problème principal : l’absence de projets, le financement, la complexité administrative… ?

M. Bertrand Finet. À mon sens, le principal problème, c’est le manque de croissance : il y a un cercle vicieux. Les chefs d’entreprise, voyant que la croissance est atone, repoussent leurs investissements, ne créent donc pas d’activité, ne recrutent pas, et finalement ne créent pas de croissance… Notre rôle, c’est d’apporter de l’optimisme, de la confiance.

M. Jean-Yves Gilet. J’allais moi aussi parler de confiance et de stabilité. C’est un besoin essentiel. Nous nous voulons des accélérateurs de projet : nous ne nous contentons pas d’apporter des financements ou d’accompagner ; nous apportons notre « gnaque », et c’est en cela que nous sommes différents des autres.

Mme la présidente Véronique Louwagie. Vous nous avez cité trois entreprises qui travaillent dans le domaine de la transition énergétique et environnementale. Envisagez-vous de construire une véritable politique de filière ?

M. Jean-Yves Gilet. Je ne peux malheureusement pas citer les projets en cours, mais ils sont nombreux dans le domaine de la transition environnementale. En revanche, notre rôle n’est pas d’être les promoteurs d’une politique industrielle : ce serait nous élever au-dessus de notre condition. Mais nous pouvons être un outil déterminé de cette politique. La transition énergétique est l’une de nos priorités, surtout en cette année de COP21.

M. Bertrand Finet. Nous disposons, je l’ai dit, d’un fonds Bois, avec une équipe dédiée ; nous sommes en train d’achever la mise en place du fonds Bois 2, qui concernera la première transformation du bois.

Mme la présidente Véronique Louwagie. Merci beaucoup de vos réponses.