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Mission d’information sur le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi

Jeudi 11 septembre 2014

Séance de 9 heures 40

Compte rendu n° 18

Présidence de M. Olivier Carré, Président

–  Audition, ouverte à la presse, de M. Lamine Gharbi, président de la Fédération de l’hospitalisation privée (FHP), de Mme Élisabeth Tomé-Gertheinrichs, déléguée générale, et de Mme Béatrice Noellec, responsable de la veille sociétale et des relations institutionnelles.

M. le président Olivier Carré. Nous poursuivons nos auditions avec les représentants de la Fédération de l’hospitalisation privée.

M. Lamine Gharbi, président de la Fédération de l’hospitalisation privée. Les problèmes que nous rencontrons, sont relativement simples à appréhender, mais ils sont sans doute plus difficiles à régler.

La Fédération de l’hospitalisation privée regroupe aujourd’hui 1 100 cliniques et hôpitaux privés, contre 2 000 établissements il y a vingt ans. Notre secteur a donc subi une restructuration importante, en raison notamment de difficultés économiques et de regroupements forcés. En effet, à la différence de l’hospitalisation publique, nous vivons sous une contrainte économique : en cas de difficultés, la situation se règle devant le tribunal de commerce, et non par une dotation complémentaire issue de la solidarité.

Les établissements affiliés à la FHP prennent en charge 8,5 millions de patients par an et participent à l’accueil des urgences et des personnes en situation précaire. Le territoire national bénéficie ainsi d’un maillage de 130 services d’urgence privés, qui accueille 2,3 millions de patients. L’hospitalisation privée représente 25 % des capacités hospitalières, assure 34 % de l’activité et ne consomme que 17 % des dépenses hospitalières d’assurance maladie. J’ajoute qu’elle réalise 55 % des interventions chirurgicales et près de 70 % de la chirurgie ambulatoire, dont on s’aperçoit aujourd’hui qu’elle est vecteur d’économies, ce que nous savons depuis des années.

Nos établissements sont des entreprises privées à but lucratif, ce qui signifie qu’elles rendent des comptes à leurs conseils d’administration, à leurs associés et actionnaires. Or, aujourd’hui, 30 % des cliniques privées sont déficitaires. Elles doivent donc faire appel à leurs actionnaires et, lorsque ceux-ci ne peuvent plus ou ne veulent plus rétablir les comptes, elles sont contraintes de fermer ou de participer à un regroupement. Dans un tel contexte, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) représente une bouffée d’oxygène qui devrait permettre aux cliniques de rétablir l’équilibre de leurs comptes et de poursuivre leurs investissements afin d’offrir à leurs patients la qualité et la sécurité des soins qu’ils attendent.

En tant qu’entreprises privées, nos établissements sont assujettis à l’impôt sur les sociétés et à l’ancienne taxe professionnelle, mais aussi à la taxe d’apprentissage et à la taxe sur les salaires. En outre, bien que les uns et les autres appartiennent au monde de la santé, qui est un bien collectif, les établissements privés paient 600 millions d’euros de charges sociales de plus que les hôpitaux publics.

Toutes les entreprises du secteur médico-social – industrie pharmaceutique, médecins ou établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) à but lucratif – bénéficient du CICE. C’est également le cas des hôpitaux et cliniques privés, mais le ministère de la santé a décidé de nous reprendre le bénéfice de ce dispositif en baissant nos tarifs – à hauteur de deux huitièmes du CICE cette année –, au motif que l’hôpital public ne peut bénéficier du CICE ! Nous tenons à notre statut privé, qui nous offre une autonomie de gestion, mais on ne peut pas nous considérer comme des entreprises lorsqu’il s’agit de prélever les impôts et nous priver du bénéfice des dispositifs qui s’appliquent aux entreprises qui paient ces impôts. Je ne comprends pas cette distorsion de concurrence !

L’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation (ATIH) et la Cour des comptes ont montré que, pour l’assurance maladie, le même séjour hospitalier, pour un même patient, une même pathologie, revient à 2 200 euros lorsqu’il est effectué dans le public et à 1 200 euros lorsqu’il a lieu dans le privé. Il y a un écart tarifaire de plus de 30 % entre le public et le privé.

Je suis donc profondément choqué que le ministère veuille nous reprendre le bénéfice du CICE. Peut-être cette décision, qui n’a aucun fondement économique, traduit-elle la volonté de voir notre secteur disparaître. Si, au cours des vingt dernières années, la FHP a perdu 1 000 adhérents, ce n’est pas le fait du hasard. Dans le secteur de l’obstétrique, les tarifs sont, depuis dix ans, inférieurs aux coûts de production, de sorte que l’on déplore aujourd’hui une véritable désertification : dans trente départements, il n’y a plus de maternité privée. Souhaite-t-on que, demain, les cliniques et hôpitaux privés disparaissent ? Je ne le crois pas, car, chaque fois qu’une clinique privée disparaît, cela se traduit par un surcoût pour la collectivité. Mais l’on peut se poser la question.

Notre demande est simple : nous souhaitons pouvoir bénéficier du CICE à taux plein, comme c’est le cas actuellement, mais sans qu’il soit récupéré par une baisse de nos tarifs. Au demeurant, cette baisse ne s’inscrit pas dans une logique d’équilibre des comptes. Si notre secteur dépassait l’objectif national des dépenses d'assurance maladie (ONDAM), je comprendrais que le ministère prenne une telle mesure. Or, non seulement nous ne le dépassons pas, mais nous sommes en deçà. Autrement dit, nous perdons des parts de marché au profit de l’hôpital public, notamment en chirurgie. On nous impose donc une double peine.

M. le président Olivier Carré. Pouvez-vous nous dire ce que représente cette baisse des tarifs par rapport au montant du CICE ?

M. Lamine Gharbi. Le ministère nous a repris deux huitièmes du CICE.

M. le président Olivier Carré. C’est-à-dire un quart…

M. Lamine Gharbi. En effet. Je parle de huitièmes, parce que c’est évolutif : un huitième en 2013, deux huitièmes en 2014 et trois huitièmes l’année prochaine. En volume, notre masse salariale étant de 6 milliards d’euros, le montant du CICE s’élève à 160 millions ; pour 2014, la baisse des tarifs représente un quart de cette somme, soit 40 millions.

M. le président Olivier Carré. Pourtant, les chiffres que vous avez cités à propos des remboursements à l’acte étaient autrement plus importants : vous avez parlé d’une baisse de l’ordre de 30 %.

M. Lamine Gharbi. Je vais prendre un exemple. Une prothèse de hanche – honoraires des médecins, laboratoire et radiologie compris – est rémunérée 5 000 euros dans le secteur privé et 6 500 euros dans le public.

M. le président Olivier Carré. C’est sur les sommes versées par l’assurance maladie à chaque établissement que s’effectue la reprise du CICE ?

M. Lamine Gharbi. Oui. Pour reprendre l’exemple de la prothèse de hanche, le tarif de 5 000 euros se voit appliquer une baisse de 0,6 %. Cette baisse de tarif est intervenue l’année dernière, puis cette année, et elle va se poursuivre, alors que, je le répète, nous ne dépassons pas l’enveloppe de 14 milliards d’euros qui nous est attribuée au sein de l’ONDAM – qui est, lui, de 175 milliards d’euros. Sans cette mesure, nos tarifs seraient maintenus.

M. le président Olivier Carré. Ce n’est pas sûr.

M. Lamine Gharbi. Cela a été dit explicitement. C’est pourquoi nous avons déposé un recours contre la reprise du CICE. Dans la construction tarifaire, cette mesure est clairement identifiée et expliquée : effet volume, récupération du CICE.

M. Éric Alauzet. La trajectoire est-elle connue à l’avance ou est-elle adaptée au fil des exercices budgétaires ? Autrement dit, sera-t-elle équivalente à quatre huitièmes, ou un demi, l’année prochaine ? Par ailleurs, si le ministère estimait que les cliniques privées n’avaient pas besoin du CICE, il aurait pu le reprendre intégralement.

M. Lamine Gharbi. En tant qu’entreprises privées, nous avons droit au CICE ; il n’est pas possible légalement de nous en priver. Le ministère a donc fait le choix, pour en récupérer une partie, de baisser nos tarifs selon un taux fixé arbitrairement : un huitième, deux huitièmes, trois huitièmes... Je ne comprends pas pourquoi nous ne bénéficierions pas du CICE alors que l’industrie pharmaceutique, elle, qui dépend également de la solidarité à travers le remboursement des médicaments, en bénéficie.

M. Éric Alauzet. La trajectoire de la baisse des tarifs est-elle connue à l’avance et, si oui, est-il prévu d’atteindre 100 % la huitième année ?

M. Lamine Gharbi. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale est voté chaque année. Nous ne savons donc que ce qui est prévu pour 2015, c’est-à-dire trois huitièmes. Pour 2016, je ne sais pas.

Mme Élisabeth Tomé-Gertheinrichs, déléguée générale de la Fédération de l’hospitalisation privée. On nous a annoncé que les reprises se feraient selon la trajectoire suivante : un huitième la première année, deux huitièmes la deuxième année, trois huitièmes la troisième année, et ainsi de suite, jusqu’à ce que le bénéfice du CICE soit entièrement neutralisé par cette baisse des tarifs, lesquels, vous le savez, sont fixés par la puissance publique. M. Gharbi parlait du principe de la reprise ; on nous a annoncé une trajectoire, mais tout cela se négocie année après année.

M. le président Olivier Carré. Il me paraît utile que l’on demande la position de l’administration sur ce point.

M. Éric Alauzet. Je réitère mon autre remarque : la logique aurait voulu que l’on vous reprenne 100 % du CICE dès la première année.

Mme Élisabeth Tomé-Gertheinrichs. Évidemment, on aurait pu nous reprendre d’emblée l’ensemble du CICE, en tenant compte cependant des délais de mise en œuvre du dispositif. Mais, compte tenu des différences de tarifs entre le secteur associatif et public, d’une part, et le secteur privé à statut commercial ou à but lucratif, d’autre part, l’application immédiate de la reprise du CICE se serait traduite par une baisse tarifaire telle qu’elle nous aurait fait perdre 30 000 emplois. Or 30 % des cliniques sont déjà en grande difficulté financière. Il n’était donc pas possible de prendre une telle mesure. Au demeurant, la reprise progressive du CICE a un impact réel sur l’emploi, puisque, selon l’observatoire des métiers de la branche hospitalisation privée, qui regroupe les cliniques et le secteur médico-social privé, le solde net de création d’emplois, qui était de 3 000 emplois par an depuis quatre ans, devrait, pour les quatre années qui viennent, être ramené au mieux à moins 2 000 emplois.

M. Lamine Gharbi. Je souhaiterais répondre à M. Alauzet. Si l’on nous prive du bénéfice du CICE, il faut aussi nous exonérer de l’impôt sur les sociétés, dont le montant pour nos adhérents s’élève à 150 millions d’euros.

M. Yves Blein, rapporteur. Je fais un rapide calcul : si l’on vous prend trois huitièmes des 160 millions de CICE perçus, il vous reste 100 millions. Pouvez-vous nous dire quelle utilisation vos adhérents en font ?

M. Lamine Gharbi. Ainsi que je le disais en préambule, 30 % des établissements de la branche sont en déficit. Le CICE leur permet donc de rétablir leurs comptes. Par ailleurs, nous nous apercevons aujourd’hui que notre rentabilité moyenne, qui est de 1,7 %, est maintenue artificiellement par une diminution de l’investissement. Or la diminution des investissements, notamment dans les plateaux techniques, conduit à une paupérisation des services qui n’est pas acceptable, car nous avons les mêmes contraintes que l’hôpital public en matière de qualité et nous ne pouvons pas nous en affranchir. Le CICE permet donc également de reprendre nos investissements en matériel, dans la rénovation des blocs opératoires, des plateaux techniques, dans les soins de suite et la rééducation.

Nous vivons cette mesure comme une injustice. Nous respectons les lois de la République, et je ne comprends pas que l’on voie nos établissements tantôt comme des hôpitaux ayant une vocation sociale, tantôt comme des entreprises privées, selon ce qui arrange le ministère. En l’espèce, on les considère comme des entreprises sociales : on leur impose cette mesure parce que l’hôpital public, qui ne paie pas d’impôts, ne peut pas bénéficier du CICE…

M. le président Olivier Carré. Je vous remercie pour la clarté et la concision de votre propos.