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Mission d’information sur le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi

Jeudi 2 octobre 2014

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 24

Présidence de M. Olivier Carré, Président

–  Examen du rapport.

–  Présences en réunion 11

M. le président Olivier Carré. Nous voici arrivé au terme des travaux de la mission. Le rapporteur va nous présenter les conclusions qu’il nous propose d’adopter sachant que si le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) est en place, et qu’il est bien compris des acteurs économiques, ses effets ne pouvant encore se faire pleinement sentir.

M. Yves Blein, rapporteur. Il serait effectivement prématuré de parler d’évaluation, puisque le CICE monte progressivement en charge, et qu’il ne donnera vraiment toute sa mesure qu’à partir de 2016. Nous allons donc plutôt dresser un bilan d’étape.

Je rappellerai d’abord que le CICE visait d’abord à provoquer le choc de compétitivité préconisé par le rapport Gallois. Les difficultés de notre économie sont connues : le solde du commerce extérieur se dégrade depuis dix ans ; les marges des entreprises ont été durablement affectées par la crise de 2008 ; le chômage demeure très élevé. Le rapport de Louis Gallois, remis en novembre 2012, a formulé un diagnostic d’ensemble, en insistant notamment sur les difficultés de l’industrie, et proposé des solutions.

En créant le CICE, le Gouvernement a voulu concilier renforcement de la compétitivité, développement de l’emploi et respect de la trajectoire des finances publiques. Le mécanisme retenu permet d’alléger le coût du travail pour les salaires compris entre 1 et 2,5 SMIC : l’effort de soutien aux entreprises est donc concentré sur les niveaux de rémunération où l’emploi est le plus élastique à son coût. Cette mesure a ensuite trouvé sa place dans le Pacte de responsabilité et de solidarité.

En outre, afin d’apporter aux entreprises le soutien rapide dont elles avaient besoin, un mécanisme original de préfinancement a été mis en place : il permet à une entreprise de bénéficier de manière anticipée du montant du crédit d’impôt, en cédant ou en nantissant à un établissement de crédit la créance encore en germe. Bpifrance – dont l’encours total de préfinancement s’élevait à 1,8 milliard d’euros en juin 2014 – a été le principal opérateur de ce mécanisme, et son rôle est allé grandissant. On peut regretter que les organismes bancaires ne se soient pas davantage mobilisés.

La loi a enfin instauré des outils de contrôle et de suivi. Le législateur avait en effet expressément précisé que le CICE visait à financer l’amélioration de la compétitivité des entreprises, et exclu qu’il serve à une hausse des dividendes ou à une augmentation des rémunérations des dirigeants. Sans que cela constitue une condition à l’octroi du CICE, la façon dont les fonds ont été utilisés doit être retracée par les entreprises dans leurs comptes annuels.

Deux ans après la création du CICE, je l’ai dit, il serait prématuré de parler d’évaluation de cette mesure. En effet, le mécanisme du crédit d’impôt crée un décalage entre l’année sur laquelle le CICE est calculé et celle où les entreprises en bénéficient effectivement ; de plus, la montée en charge est progressive et le passage au taux plein de 6 % ne se fera qu’en 2014. Il n’atteindra donc son plein régime qu’en 2015. Il faut aussi prendre en considération la logique du CICE qui, en soutenant la production, aura plutôt des effets à moyen et long terme. Enfin, des incertitudes théoriques rendent aléatoires, à ce stade, l’utilisation des prévisions macroéconomiques sur les effets du CICE – chaque modèle ayant ses forces et ses faiblesses.

Il est néanmoins possible de dresser un bilan d’étape du CICE. Il est globalement positif.

Je veux d’abord insister sur la nécessité de procéder encore à des efforts de communication pour accompagner le CICE. La campagne de communication menée sur le crédit d’impôt a été soutenue et globalement efficace. Mais trop de chefs d’entreprise – notamment de TPE et de PME – nous ont dit qu’ils ne connaissaient pas ce dispositif, qu’ils craignaient que la demande d’un crédit d’impôt ne déclenche un contrôle fiscal… Certains ignoraient l’avoir perçu, leur comptable ayant omis de le leur signaler. D’autres encore croyaient qu’un crédit d’impôt devait, comme un crédit bancaire, être remboursé ! Ces confusions sont regrettables. À ces chefs d’entreprise, je veux dire que nous sommes pleinement conscients de la nécessité absolue de poursuivre l’effort avec constance. Le CICE est une mesure massive, durable, solidement installée et ils peuvent avoir confiance en sa pérennité.

Il nous faut donc tenir compte de ces incompréhensions et de ce manque d’information, et amplifier nos efforts de communication en demandant notamment aux professions du chiffre, aux chambres de commerce et d’industrie (CCI), aux chambres des métiers de se mobiliser.

Le CICE, soulignons-le, a sans conteste atteint sa cible. La masse salariale ACOSS (Agence centrale des organismes de sécurité sociale), hors régime MSA (Mutualité sociale agricole), est de 449 milliards d’euros. L’assiette du CICE est de 292 milliards d’euros, et de 302 milliards si on y ajoute le régime MSA. C’est donc plus de 65 % de la masse salariale de nos entreprises qui est concernée par cet effort sans précédent. De ces chiffres, il résulte aussi que nos entreprises pourraient percevoir plus de 12 milliards d’euros en 2014 grâce au CICE, et plus de 18 milliards en 2015. Les prévisions de la direction générale des finances publiques (DGFiP) diffèrent quelque peu, pour de multiples raisons : elle prévoit 10,8 milliards de dépenses, dont 8,7 milliards déjà constatés à ce jour.

Au regard des objectifs que le Gouvernement voulait atteindre, l’assiette du CICE est pertinente. Voici quelques chiffres sur la répartition sectorielle : dans l’hébergement et la restauration, 88,9 % de la masse salariale est éligible. Dans les transports et la construction, c’est plus de 80 % ; presque 80 % dans l’action sociale, les activités de service et les industries agroalimentaires et l’agriculture ; 70,7 % dans la métallurgie... L’effort porte donc bien en priorité sur les secteurs où les coûts de main-d’œuvre sont les plus bas.

Le CICE bénéficie bien à l’industrie, puisque celle-ci représente 19,2 % de la masse salariale éligible et consommera 18,3 % de l’enveloppe globale du CICE. À l’inverse, la finance et les assurances, qui représentent 7,1 % de la masse salariale, ne perçoivent que 3,8 % de l’enveloppe CICE.

Le dispositif monte donc régulièrement en charge, il est durablement financé et les entreprises peuvent avoir confiance dans sa pérennité – la plupart l’ont compris. Cette constance de l’effort de la nation est absolument indispensable, je veux y insister.

La première année, le CICE a, d’après des données récemment publiées, notamment servi à détendre des situations délicates de trésorerie et à restaurer des marges. On perçoit déjà d’autres effets de ce dispositif : il a permis, selon les statistiques de l’INSEE, de stabiliser la hausse du coût du travail et devrait faire sentir ses effets sur l’emploi d’ici à la fin de l’année 2014, ou en tout cas en 2015.

Le CICE est orienté vers l’investissement et l’emploi. C’est pourquoi je veux saluer l’esprit de responsabilité des entreprises : d’après l’enquête réalisée par l’INSEE en mars 2014, la moitié d’entre elles pensent affecter le CICE à l’investissement ; 43 % des entreprises de services et 31 % des entreprises industrielles estiment que le CICE aura un effet sur leur niveau d’emploi ; 38 % des entreprises de services et 20 % des entreprises industrielles prévoient des hausses de salaires – ce qui est aussi une façon de répondre au problème de la demande. Enfin, le prix de vente devrait être la variable la moins touchée par le CICE. Interrogées à nouveau en juin 2014 par l’INSEE, les entreprises industrielles disent consacrer 58 % du CICE à l’investissement. Une étude menée par l’Association française des entreprises privées (AFEP) – donc un peu plus sujette à caution que celles de l’INSEE – donne les résultats suivants : 42 % des entreprises comptent utiliser le CICE pour renforcer leurs investissements, 22 % envisagent de le consacrer à la formation de leurs salariés, 15 % à la création d’emplois, 9 % à l’accroissement de leur fonds de roulement et 15 % pour modérer la hausse des prix.

Les entreprises méritent donc la confiance qui leur a été accordée : après quelques hésitations initiales, elles jouent le jeu.

Toutefois, des améliorations peuvent être apportées à ce dispositif.

L’imputation sur les acomptes d’impôt sur les sociétés devrait être autorisée. Déjà permise pour le crédit d’impôt recherche (CIR), elle permettrait d’accélérer la perception du crédit d’impôt par les entreprises.

Les entreprises ayant opté pour l’imposition au forfait sont aujourd’hui exclues du bénéfice du CICE. Or, certaines ont fait ce choix longtemps avant l’instauration de ce dispositif, pour des durées parfois très longues – ainsi, dans le secteur du transport maritime où les entreprises peuvent payer une taxe sur le tonnage transporté, le choix est fait pour dix ans. Il serait donc pertinent de les autoriser à revenir sur ce choix pour leur permettre d’opter pour le régime réel.

Les organismes à but non lucratif ne bénéficient du crédit d’impôt que pour la part de leur activité poursuivant des buts lucratifs. Parce qu’ils se trouvent parfois en concurrence avec des sociétés commerciales qui bénéficient, elles, du CICE, une hausse de l’abattement de la taxe sur les salaires a été inscrite dans la dernière loi de finances rectificative pour 2012. Cet abattement, qui bénéficie notamment à certaines associations, constitue un avantage moindre que le CICE. Afin de rétablir l’égalité de traitement entre secteurs lucratif et non lucratif lorsqu’il ne fait aucun doute qu’ils sont en concurrence, par exemple dans le secteur de l’éducation ou de l’aide à domicile, il faudrait étudier la possibilité d’accorder aux organismes non lucratifs un avantage fiscal qui compense ce différentiel. L’économie sociale et solidaire représente 10 % de notre PIB et 1,85 million d’emplois : il faut lui prêter la plus grande attention.

Je voudrais enfin en venir à l’exigence de dialogue social consubstantielle à la mise en place du CICE, et à quelques propositions afférentes.

Il apparaît judicieux de renforcer la transparence et la visibilité comptable de l’usage du CICE. Les organisations syndicales nous ont décrit les difficultés qu’elles rencontrent sur ce point. C’est pourquoi je propose que les commissaires aux comptes soient expressément chargés de retracer, dans les annexes comptables – qui sont accessibles aux représentants du personnel, aux instances représentatives –, l’usage qui est fait du CICE perçu par l’entreprise.

Le dialogue qui doit se nouer autour du CICE doit également s’inscrire dans l’échange annuel que les partenaires sociaux ont sur la stratégie de l’entreprise. Le CICE ne doit pas faire l’objet d’une simple communication ex post : outil de stratégie de l’entreprise, il doit être débattu comme tel au sein des instances représentatives du personnel et son utilisation corroborée par écrit dans les annexes comptables.

Quant aux comités régionaux de suivi, ils n’ont pas été installés. Ils devraient pourtant réunir les partenaires sociaux pour examiner l’usage du CICE et les effets de celui-ci sur l’économie régionale. Il devient urgent qu’ils soient mis en place.

Enfin, tout en estimant que le CICE répond efficacement au défi de la compétitivité, j’estime qu’il serait pertinent d’engager une réflexion sur l’avenir de ce dispositif, et notamment sur son articulation avec les allégements de cotisations sociales. Les montants consacrés au CICE pourraient, au terme de la montée en charge du dispositif, être agrégés dans un dispositif global d’allégement de charges qui regrouperait l’ensemble des allègements de charges – CICE, allègements Fillon, … – de l’ordre de 35 milliards d’euros. Cette mesure, outre la simplicité et la visibilité qu’elle offrirait, rétablirait l’égalité de fait entre les employeurs dont certains, aujourd’hui, ne peuvent pas bénéficier du CICE.

Je veux enfin remercier tous les membres de la mission d’information, ainsi que les personnes auditionnées.

M. Alain Fauré. Merci de ce travail et de cette présentation, monsieur le rapporteur. J’avoue demeurer dubitatif sur votre proposition de demander une présentation plus précise de l’utilisation du CICE, même si je comprends que cela vous paraisse indispensable et que je partage votre souci de savoir vraiment à quoi servent ces fonds. Ne risquons-nous pas que les entreprises nous disent exactement ce que nous voulons entendre, sans que cela corresponde à la réalité ?

La communication a été insuffisante : nous voulions renforcer la compétitivité, et nous nous sommes enfermés dans une discussion sur les « cadeaux » faits à tel ou tel. D’autre part, beaucoup de chefs d’entreprise ne sont pas vraiment au fait de ce que peut représenter pour eux le CICE.

J’apprécie votre proposition d’un regroupement du CICE, des divers allègements… c’est ce que nous demandent les chefs d’entreprise, mais aussi les salariés : plus de simplicité serait effectivement préférable. Aujourd’hui, même chez les experts comptables, il y a des interprétations différentes du CICE. L’utilisation de ce crédit d’impôt demeure donc complexe : dès lors, comment demander à une PME l’utilisation qu’elle fait du CICE, quand elle rencontre déjà des problèmes de trésorerie ?

Les nombreuses auditions que nous avons réalisées nous ont au moins confirmé que cette mesure va dans le bon sens : nous ne nous sommes pas trompés.

Mme Véronique Louwagie. Vous avez évoqué la trop faible mobilisation des organismes financiers dans le préfinancement. Le CICE n’a-t-il pas partiellement pris le relais des organismes financiers, qui se sont désengagés, en permettant aux entreprises de reconstituer leur trésorerie ? Cela n’a-t-il pas empêché le CICE de produire tous ses effets ?

J’approuve votre souci de transparence et de traçabilité : c’est important, car il s’agit de deniers publics. Mais il existe de grandes différences entre les entreprises, en particulier entre celles qui relèvent de l’impôt sur les sociétés et celles qui relèvent de l’impôt sur le revenu. Dans les cas où le principe de transparence fiscale s’applique, les associés bénéficient séparément du CICE, et peuvent en faire des utilisations très différentes.

Nous avons entendu parler d’intégration du CICE dans les clauses de révision des prix, en particulier pour des marchés publics. Ce point pose-t-il problème ?

M. Éric Alauzet. Le dialogue social, vous avez raison, monsieur le rapporteur, est un point crucial. Nous avons besoin de rapprocher les salariés et l’entreprise, et la transparence dans l’utilisation du CICE permettrait une meilleure appropriation par les salariés de la stratégie de leur entreprise, tout en évitant des usages non conformes à la loi. Je veux néanmoins tempérer votre optimisme : ces enquêtes reposent sur des déclarations.

Dans ces études, la formation est peu citée – alors que les entreprises auditionnées nous en ont parlé. Quant aux hausses de salaire, si l’on peut s’en réjouir pour ceux qui en bénéficient, et il peut y avoir des besoins dans certaines entreprises, elles ne constituent pas l’un des objectifs du CICE.

Vous dites aussi que certaines entreprises peuvent toucher le CICE avec deux ou trois ans de retard : est-ce bien cela ?

Vous proposez aussi de faire évoluer le CICE en le regroupant avec d’autres dispositifs, en particulier d’allègements de charges. Mais la transparence et le dialogue social y perdraient.

Enfin, les entreprises qui disposent de délégations de service public sont obligées de répercuter le CICE dans leurs prix. C’est positif pour l’usager. Cet aspect disparaîtrait avec un allègement de charges.

M. le président Olivier Carré. En fait, le CICE est assimilé à une baisse de charges et les contrats de délégation de service public utilisent le plus souvent l’indice Syntec, qui mesure le coût du travail, dans leurs clauses de révision des prix.

Les entreprises contestent cette révision. Mais, de façon symétrique, les hausses de charges sont prises en considération pour réviser les prix à la hausse – ce sera encore le cas en 2015. Je considère donc que la prise en compte du CICE n’est pas anormale.

Avec les différentes clauses de révision des prix, la marge des entreprises est généralement constante, mais leur situation peut varier en fonction de la structure des salaires dans l’entreprise : celles qui ont de nombreux salariés payés moins de 2,5 SMIC y gagnent ; celles qui ont peu de salariés, mais une forte intensité capitalistique, peuvent au contraire avoir un manque à gagner.

M. Éric Alauzet. De la même façon que les associations se plaignent de subir une concurrence déloyale, les services en régie sont également pénalisés, puisque leurs concurrents, qui ont des délégations de service public, sont avantagés par le CICE.

M. le président Olivier Carré. La concurrence – et donc un éventuel déséquilibre – existe au départ, lorsqu’il faut choisir entre délégation de service public et régie ; mais ensuite, une fois le choix effectué, le contrat est établi pour une durée longue. On ne peut plus alors parler de concurrence. Le service public n’est pas nécessairement défavorisé.

M. le rapporteur. Le problème de la concurrence faussée entre ceux qui bénéficient du CICE et ceux qui n’en bénéficient pas peut cependant se poser dans certains secteurs bien précis – celui, par exemple, de l’aide à domicile en zone urbaine dense.

M. Razzy Hammadi. Le dialogue social et le suivi du CICE ont souvent été évoqués au cours des auditions, et vous avez raison d’insister sur ce point. Votre rapport insiste sur le fait qu’il serait judicieux qu’un dialogue s’établisse ex ante, ce qui doit clairement apparaître dans les propositions.

Mme Éva Sas. D’après la répartition par secteurs, celui du commerce représente 16,3 % de la masse salariale et reçoit 17,6 % des fonds. Disposons-nous de chiffres plus détaillés, distinguant par exemple grandes surfaces et petits commerces ?

M. le président Olivier Carré. Je vous renvoie aux auditions des représentants d’Auchan et de la Fédération du commerce et de la distribution.

Mme Éva Sas. J’aimerais également savoir ce que recouvre l’appellation « Secteurs administratifs et soutien ».

Vous avez signalé des déséquilibres importants dans certains secteurs. Je voudrais également signaler qu’il en existe un, très important, entre les cliniques privées, qui bénéficient du CICE, même si celui-ci est en partie compensé par une baisse des tarifs, et l’hôpital public, qui n’en bénéficie pas. Il y a là une véritable distorsion de concurrence : ne faut-il pas ajuster notre dispositif pour rétablir l’équilibre ?

Le ciblage du CICE aurait-il pu être meilleur ? L’objectif premier, c’était bien l’emploi ; or je lis que 15 % seulement des entreprises comptent s’en servir pour créer des emplois. L’autre objectif était la compétitivité : le CICE aide-t-il les entreprises qui exportent ? D’ailleurs, le rapport semble entrouvrir la possibilité d’un soutien public ciblé sur les entreprises exportatrices, en évoquant la nécessité d’une expertise précise sur les contraintes imposées par le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). Qu’en est-il ?

M. Xavier Breton. Merci de ce bilan d’étape vraiment intéressant.

Il serait effectivement bon que les comités régionaux de suivi soient mis en place. Ces comités, au-delà de leur rôle dans l’information, ne pourraient-ils pas contribuer à la communication sur le CICE ? J’espère d’ailleurs que notre rapport contribuera également à mieux faire connaître ce dispositif.

La question de l’usage du CICE dans les négociations commerciales a été évoquée rapidement. Certains ont parlé à ce sujet de « racket ». Quel est votre avis sur ce point ?

Mme Jeanine Dubié. Votre rapport confirme ce que l’on voit sur le terrain : le CICE a d’abord servi à redonner aux entreprises un peu de marge de manœuvre financière et à reconstituer les trésoreries ; il a ainsi, dans de nombreux cas, protégé l’emploi. Il a également favorisé l’investissement.

Il faut, vous avez raison, renforcer l’information, en particulier des experts comptables et des commissaires aux comptes, qui ont un rôle majeur à jouer mais se sont souvent montrés dubitatifs.

Transformer ce crédit d’impôt en allègement de charge serait une mesure de simplification, mais cela supposerait aussi que nos finances publiques soient redressées, puisque le choix du crédit d’impôt tenait aussi à la volonté de respecter la trajectoire de redressement de nos comptes publics.

Quant au dialogue social, le Président de la République avait annoncé la mise en place d’un observatoire des contreparties. Fonctionne-t-il déjà ? Où en est-on du suivi des accords de branche ?

Enfin, le cas du secteur médico-social a été signalé et votre rapport propose des réponses, dont j’espère qu’elles seront intégrées au prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale. Une solution a été trouvée, pour l’essentiel, pour le secteur associatif non lucratif. En revanche, le secteur public médico-social semble oublié de tous ; or on y observe un vrai problème de concurrence déloyale, notamment pour les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). Les établissements à but lucratif ont perçu le CICE, mais ne l’ont pas répercuté dans le prix à la journée et j’ai bien peur que ces fonds n’aient plutôt servi à rémunérer les actionnaires.

M. Guillaume Bachelay. Cette première année du CICE a été qualifiée d’année d’apprentissage ou d’année zéro. Mais cette mission d’information a permis de vérifier que ce dispositif est lisible, compris, et qu’il se déploie progressivement. Il s’inscrit dans une stratégie globale de renforcement de notre compétitivité, qui inclut bien d’autres mesures qui doivent notamment permettre la montée en gamme de notre industrie. Le préfinancement par Bpifrance se révèle efficace. Différents rapports et études convergent pour dire que le CICE a permis de restaurer les marges des entreprises et de stabiliser le coût du travail.

Il me semblerait très préférable, monsieur le rapporteur, de parler de baisses de cotisations sociales plutôt que d’allègements de charges. C’est une différence qui n’est pas uniquement sémantique.

La loi a prévu que l’utilisation du CICE doit figurer dans une annexe aux comptes annuels des entreprises : cela permet de retracer facilement son usage.

Le rapport Gallois avait insisté sur la nécessité d’un dialogue social fort dans les entreprises, ce qui n’a pas été suffisamment relevé. Tout ce que vous avez dit sur ce point me semble donc essentiel. Le CICE doit être un axe stratégique du développement des entreprises ; il doit donc être un axe stratégique du dialogue social. Les représentants des personnels doivent être consultés, en amont, sur l’affectation du CICE.

Quant aux comités régionaux de suivi, ils relèvent également du dialogue social. Ils doivent être mis en place, et les organisations syndicales nous ont dit leur intérêt. Ne devrions-nous pas, dans la loi, désigner l’instance chargée de les mettre en place ? Cela accélérerait beaucoup le processus, j’en suis sûr.

Enfin, s’agissant des relations entre donneurs d’ordre et sous-traitants, il faudrait peut-être les aborder dans le rapport.

Mme Clotilde Valter. Les propositions du rapporteur me paraissent très bonnes.

Le dialogue social est en effet un élément central, qui devrait peut-être occuper plus de place dans notre rapport. Il faut vraiment insister sur cet aspect.

J’ai trouvé l’audition des syndicats très intéressante : la CFDT est très favorable à ce mécanisme, et elle est très engagée ; la CGT s’y oppose très fortement ; en revanche, il m’a semblé que FO, après être restée en retrait, commençait à s’intéresser aux possibilités de dialogue dans l’entreprise ouvertes par le CICE.

Vous avez abordé la question de la communication. Les PME et TPE ont mis plus de temps à prendre conscience de l’intérêt pour elles du CICE. En matière de communication, il faut insister sur le rôle essentiel des professions du chiffre, qu’il faut solliciter sans relâche, car ce sont les meilleurs ambassadeurs du CICE.

Je note aussi que, pour les entreprises qui relèvent de l’impôt sur le revenu, la récupération individuelle du CICE empêche un contrôle de son utilisation.

Le préfinancement est parfois apparu comme un repoussoir, car il entraîne un coût supplémentaire non négligeable.

Enfin, le mécanisme du crédit d’impôt entraîne parfois un report du CICE sur plusieurs exercices, quand des entreprises ont un déficit d’exploitation – alors que justement elles investissent ou maintiennent l’emploi et devraient donc être avantagées.

M. le président Olivier Carré. C’est pour elles, notamment, qu’a été conçu le préfinancement.

Mme Clotilde Valter. Mais son coût a pu dissuader des entreprises d’y avoir recours.

M. le président Olivier Carré. J’ajoute que ce que vous dites est vrai pour les entreprises au-delà de 250 salariés ; les autres peuvent le toucher immédiatement.

Mme Clotilde Valter. On en revient aux problèmes de communication, notamment sur le préfinancement.

Les clauses de révision des prix et la question du comportement des distributeurs, en particulier, me semblent mériter notre vigilance.

Votre analyse permet-elle de savoir si le CICE a bénéficié particulièrement aux secteurs exposés à la concurrence internationale ?

M. le rapporteur. Il faut effectivement insister, comme beaucoup d’entre vous l’ont fait, sur l’importance du CICE pour le dialogue social. Les salariés veulent mieux comprendre la stratégie de leur entreprise et y être mieux associés ; ils veulent appartenir à une véritable communauté entrepreneuriale. Le CICE est une bonne occasion de stimuler le dialogue social. Certaines obligations sont déjà prévues par la loi : nous devons être attentifs à leur respect, afin que le CICE devienne vraiment un outil stratégique.

S’agissant du préfinancement, son coût était effectivement assez important au départ. Bpifrance a ensuite corrigé son dispositif, et, sous un certain seuil, le préfinancement est devenu quasiment gratuit ; 1,8 milliard ont été sollicités auprès de cet organisme, contre 200 à 300 millions pour les partenaires bancaires habituels des entreprises. Cela représente 18 % à 20 % de la créance totale.

L’augmentation des salaires ne figure pas dans l’étude de l’AFEP. Ces données doivent être regardées avec précaution : la réponse dépend toujours beaucoup de la question posée. Je préfère pour ma part les données plus exhaustives de l’INSEE.

Beaucoup de questions ont porté sur le secteur sanitaire et médico-social. J’ai acquis la conviction que ce secteur doit faire l’objet d’un examen approfondi, notamment d’un point de vue fiscal. C’est un sujet trop souvent mis de côté.

Il est beaucoup trop tôt pour savoir si le CICE soutient particulièrement les entreprises exportatrices. Ce sera de toute façon difficile : les entreprises qui exportent s’appuient sur toute une chaîne de production. Dans le coût d’un produit exporté entre aussi le coût de l’achat de produits à des sous-traitants qui, eux, n’exportent pas.

Je ne suis pas certain que les comités régionaux de suivi aient vocation à jouer un rôle dans la communication sur le CICE : ce rôle devrait plutôt, à mon sens, revenir aux professions du chiffre et aux CCI, qui trouveraient là une bonne raison de justifier les fonds qu’elles reçoivent de l’État.

S’agissant des comportements de « racket » dans les négociations commerciales, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) n’a rien relevé de particulier. Les effets du CICE sont inclus dans les négociations, mais il n’y a rien d’alarmant, rien qu’il faille corriger de façon autoritaire.

M. le président Olivier Carré. Je voudrais en terminer avec un point important : la façon dont le CICE affectera nos finances publiques. Nous sommes encore en phase d’amorçage : le coût budgétaire total de 6,5 milliards d’euros en 2014, sera de 18,9 milliards en 2018. C’est une contrainte forte pour nos comptes publics.

De plus, les règles de la comptabilité nationale sont en train de changer. Le CICE sera désormais comptabilisé comme une dépense publique, au lieu de venir simplement en déduction des recettes. Nous nous acheminons de cette façon vers 58 % à 59 % de dépenses publiques… alors qu’un allègement de charges constituerait une diminution des prélèvements obligatoires.

La mission d’information adopte le présent rapport à l’unanimité.

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Membres présents ou excusés

Mission d'information sur le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi

Réunion du jeudi 2 octobre 2014 à 9 h 30

Présents. - M. Éric Alauzet, M. Guillaume Bachelay, M. Yves Blein, M. Xavier Breton, M. Olivier Carré, Mme Sophie Dion, Mme Jeanine Dubié, M. Alain Fauré, M. Hugues Fourage, M. Razzy Hammadi, Mme Véronique Louwagie, Mme Christine Pires Beaune, Mme Eva Sas, Mme Clotilde Valter

Excusés. - M. Richard Ferrand, M. Joël Giraud, M. Patrick Vignal, M. Éric Woerth

Assistait également à la réunion. - M. Christophe Borgel