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Mercredi 15 janvier 2014

Séance de 11 heures 30

Compte rendu n° 6

Présidence M. Jean-Paul Chanteguet, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé du budget

Mission d’information
sur l’écotaxe poids lourds

M. le président et rapporteur Jean-Paul Chanteguet. Mes chers collègues, nous recevons ce matin M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé du budget.

Monsieur le ministre, nous avons déjà reçu votre collègue chargé des transports, M. Frédéric Cuvillier, ce qui nous a permis de faire le point sur les principales étapes d'un dossier devenu complexe. Cette complexité a assurément été aggravée par la désinformation et le catastrophisme auxquels certains se sont adonnés.

Quoi qu'il en soit, notre mission entend dépasser les aspects les plus polémiques du sujet. Il nous importe de trouver les meilleures pistes pour rouvrir des perspectives de compréhension et d'acceptabilité à l'écotaxe. Une taxe dont le principe avait été approuvé à la quasi-unanimité lors de l'adoption de la loi dite du « Grenelle I ».

Je rappelle que la semaine passée, au micro de RTL, votre collègue Pierre Moscovici a, une nouvelle fois, insisté sur le fait que l'écotaxe n'était pas supprimée, mais que son entrée en vigueur avait été simplement suspendue.

Une grande part des difficultés rencontrées s'explique sans doute par d'autres difficultés, celles d'activités professionnelles parmi les plus directement concernées : il s'agit des transporteurs routiers, dont les entreprises ont notamment perdu des parts de marché à l'international et, du côté des chargeurs, de la partie, peut-être la plus fragile, des activités agricoles et agroalimentaires.

Monsieur le ministre, toutes les voies d'apaisement nous semblent devoir être explorées.

Par exemple, est-il concevable que l'impact de l'écotaxe soit en quelque sorte « gagé » par des compensations, voire des suppressions concernant d'autres taxes ? Les Assises de la fiscalité des entreprises, qui viennent de s'engager, pourraient être l'occasion de clarifier et de simplifier le maquis des quelque 150 impôts et taxes à destination des entreprises.

Concernant le système de collecte retenu pour l'écotaxe, le contrat liant l'État au consortium Ecomouv' a été qualifié par vous-même d'« hasardeux ». Ce contrat a paru en effet surprenant à beaucoup d'observateurs.

Sur ce point, est-il exact que, à compter de ce mois de janvier, l'exécution des termes contractuels exigerait de l'État un paiement à Ecomouv' de 18 millions d'euros par mois ou de 55 millions d'euros par trimestre ? Du moins, tels sont les chiffres qui ont circulé dans la presse.

Existe-t-il d'ailleurs pour l'État une marge de négociation sur l'équilibre économique de ce contrat ? À défaut d'une véritable négociation, des discussions sont-elles néanmoins en cours sur certains points avec le consortium Ecomouv' ?

Je terminerai par une interrogation de portée générale. Les gouvernements successifs n’auraient-ils pas fait trop confiance aux capacités de création technique, voire technocratique ? N’ont-ils pas méconnu le ressenti d’un terrain sur lequel allaient s’exprimer de nombreuses contradictions ou fantasmes de la part non seulement des futurs assujettis, mais aussi de certains responsables économiques et sociaux ? À cet égard, monsieur le ministre, disposez-vous d’études d’impact officielles sur l’écotaxe, autrement dit de travaux intelligibles conduits dans les années précédant l’entrée en vigueur annoncée du dispositif ?

Monsieur Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé du budget. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, c’était un devoir pour moi d’accepter cette invitation. Vous avez engagé un travail parlementaire sur un sujet complexe, avec le souci de trouver une solution pour le financement de nos infrastructures de transport. Je souhaite contribuer à cette réflexion, en répondant à toutes vos interrogations dans un esprit de rigueur et de transparence.

En introduction de cet échange, je souhaite vous fournir quelques éléments sur l'état d'avancement du dossier « écotaxe poids lourds », en insistant sur cinq points.

Tout d’abord, l'écotaxe poids lourds est, avant tout, un nouvel élément de la fiscalité écologique dans notre pays.

Elle prend son origine dans le Grenelle de l'environnement, initié par le précédent gouvernement et qui fut, il faut le reconnaître, la traduction d'une large concertation de l'ensemble des acteurs de notre société : élus locaux, associations environnementales, employeurs, salariés, État. La mesure a ensuite été votée par le Parlement de façon transpartisane.

Il s’agit d'abord d’une fiscalité qui permet de donner un prix aux dégradations engendrées par la circulation des poids lourds sur nos routes nationales et départementales. L'usage de la route n'est en effet pas gratuit. Aujourd'hui, c'est le contribuable qui paye. Faire participer les usagers de la route relève d'un juste partage des coûts – et c’est ce qui a présidé à la décision du précédent gouvernement. Cela permet de mettre à contribution des transporteurs étrangers, qui empruntent le réseau routier français. Ils l'empruntent d'ailleurs parfois pour éviter le paiement des écotaxes en vigueur depuis longtemps dans certains des États européens qui nous entourent, comme l'Allemagne, l'Autriche ou la Suisse.

Ainsi, les transporteurs étrangers contribueront, via l'écotaxe, à hauteur de 200 millions d’euros environ au financement des infrastructures de transport en France. Aucune autre méthode de taxation ne le permettrait, par exemple sous forme de taxe sur le chiffre d'affaires des entreprises de transport, ou encore de hausse de la fiscalité sur le gazole routier. En effet, ces autres méthodes pèseraient de façon disproportionnée sur les entreprises françaises, en épargnant les entreprises étrangères ou les véhicules faisant leur plein hors de nos frontières.

Ensuite, cette écotaxe permet d'inciter à une rationalisation de l'usage du réseau, indispensable à la transition énergétique que nous engageons, et d'éviter la saturation des axes du réseau national. Elle encouragera le report modal, de la route vers le rail, c’est-à-dire au profit de modes de transports moins carbonés, et répondra ainsi aux objectifs du plan climat. Elle poussera à éviter le transport à vide ou à espacer les livraisons, de manière à réduire l'usage de la route.

L'écotaxe sera certes acquittée par les transporteurs routiers, et il faut veiller à la viabilité de toutes ces entreprises. Mais il faut rappeler que le tarif de la taxe, en l'état actuel des textes – 13 centimes par kilomètre parcouru en 2014 – est nettement inférieur à celui pratiqué par les États qui nous entourent : 17,5 centimes en Allemagne, 23 centimes en Autriche, 38 centimes en Suisse. Par ailleurs, un mécanisme de majoration des prix a été mis en place par le ministre des transports, Frédéric Cuvillier, pour permettre aux transporteurs de répercuter l'écotaxe dans leurs prix, car la volonté du Gouvernement est de ne pas voir écraser les marges, déjà très faibles, des transporteurs routiers. En effet, l’emploi et la viabilité des entreprises ont constamment été présents dans notre esprit. En outre, je rappelle que la taxe sur les véhicules routiers (TSVR), ou « taxe à l'essieu », a été abaissée en 2009 à un niveau qui est désormais très proche du minimum communautaire. Enfin, le choix a été fait, dans le budget 2014, de préserver le prix du gazole routier dans le cadre de la mise en place d'une composante « carbone ». Je rappelle ces éléments pour souligner la préoccupation constante du Gouvernement pour la compétitivité du secteur routier.

L'histoire de l'écotaxe n'est pas allée sans heurts, depuis l'origine.

Ce projet chemine depuis 2006 et, depuis son adoption en 2009, il a fait l'objet, chaque année, d'amendements visant à corriger ses malfaçons. Il est passé au travers d'un processus long et mouvementé de passation de marché avec le prestataire Ecomouv'. Je considère que la mission qui nous réunit aujourd'hui constitue une nouvelle étape, j'espère la dernière, pour faire en sorte que cette idée, mise en œuvre dans d'autres pays, qui résulte d'un processus de concertation et qui a été validée à plusieurs reprises par la représentation nationale, puisse enfin être mise en place dans de bonnes conditions.

Comme l'a rappelé le Premier ministre, la suspension de la taxe « poids lourds » doit permettre de se donner le temps nécessaire au dialogue. L'écotaxe nécessite sans doute des corrections, mais elle doit être mise en œuvre en gardant à l’esprit sa raison d’être.

Le second message que je souhaite vous adresser porte sur le rôle central assigné à la taxe poids lourds pour le financement de la politique des transports. Si la taxe poids lourds n'est pas mise en place, il conviendra de revoir nos objectifs en matière de modernisation de nos infrastructures de transport.

En effet, jusqu'en octobre 2013, nous avons construit une trajectoire budgétaire pour la politique des transports reposant sur la mise en œuvre de la taxe poids lourds à compter du 1er janvier 2014.

C'est en partant de cette hypothèse que le Premier ministre a demandé aux préfets d'engager des discussions sur les contrats de plan État-régions, afin que les projets d'infrastructures nécessaires au développement des territoires soient cofinancés avec les régions.

C'est également en partant de l'hypothèse que cette taxe poids lourd serait mise en place que Frédéric Cuvillier a fait conduire un appel à projets sur les transports collectifs en site propre (TCSP), qui permettra d'équiper nos villes de transports en commun et d’inciter nos concitoyens à emprunter les modes de déplacement « durables ». Le développement de transports plus respectueux de l’environnement constitue en effet un enjeu considérable auquel les villes sont attachées.

Comme votre collègue Philippe Duron vous le confirmera également, c'est en partant de cette hypothèse que la commission, qu'il a remarquablement présidée, a redessiné les priorités de la politique des transports de notre pays pour les décennies à venir.

Mon message est donc le suivant : considérer que l’on peut conduire la politique des transports, que nous avons co-élaborée avec vous, de manière inchangée, sans mettre en œuvre une contribution qui permette le rendement attendu, n'est pas réaliste dans le contexte budgétaire que nous connaissons.

Le Président de la République l’a rappelé : pour conserver notre souveraineté, nous devons rétablir nos comptes publics. Nous devons réaliser près de 50 milliards d’euros d'économies d'ici à 2017. Il sera très difficile de réaliser à la fois ces 50 milliards d’économies et celles visant à donner plus de compétitivité à nos entreprises, en faisant une dépense supplémentaire de 800 millions d’euros par an. En effet, l’abandon de la taxe poids lourds nécessiterait de revoir nos priorités, de faire des choix, de redessiner les objectifs de notre politique de transport. Ne pas le dire serait mentir à nos concitoyens qui attendent légitimement la modernisation des infrastructures de transport, dans un souci de préservation des équilibres écologiques de la planète.

Il est donc important de garder en mémoire l'équation budgétaire qui s'impose à nous et qui nous oblige à faire des choix.

Je souhaite vous délivrer un troisième message. S’agissant de l’année 2014, nous aurons, dans tous les cas de figure, à franchir des obstacles pour surmonter le sujet budgétaire auquel nous serons confrontés.

Si nous mettons en place la taxe poids lourds, l'effet de sa suspension temporaire impliquera nécessairement un manque à gagner pour l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF).

Dans ce domaine comme dans d'autres, le temps a un coût. Ainsi, si la suspension dure un an, les moindres recettes pour l'AFITF seront de l’ordre de 800 millions d’euros. Si cette suspension est plus courte, les moindres recettes seront proportionnellement moins élevées, et les difficultés budgétaires moins grandes.

Ce manque à gagner sera atténué par la baisse de loyer, qui résultera mécaniquement de la suspension et dépendra de nos discussions avec Ecomouv’ sur le contrat que nous avons passé avec cette société. Le manque à gagner, que nous ne connaissons pas puisque nous ne savons pas quand la taxe poids lourds sera mise en place, restera à n'en pas douter significatif.

Comme nous l'avions dit lorsque le Premier ministre a annoncé la suspension, ce manque à gagner doit être compensé par des économies en gestion.

Ces économies portent d'abord sur les dépenses de l'AFITF, sur lesquelles un travail est en cours, dont l'issue sera connue au début du mois de février lorsque le conseil d'administration de l'Agence votera son budget pour l'année 2014. J’en profite pour remercier le président de l’Agence et ses services pour la qualité du travail qu’ils ont mené avec nous.

Dans la mesure où ces économies ne suffiront certainement pas, une majoration de la subvention de l'AFITF devra être prévue, dès le budget initial de celle-ci, dont le calibrage n'est pas encore déterminé – nous y travaillons. Cette subvention prendra sa source au sein du budget du ministère des transports, conformément au principe d'autoassurance.

Il nous faudra ensuite faire un point d'étape : d'abord sur l'avenir de la taxe poids lourds, puisque votre mission aura certainement rendu ses préconisations et que la concertation sera achevée ; ensuite, sur l'état de l'exécution des dépenses de l'AFITF, ce qui nous permettra de mieux connaître ses besoins éventuels ; enfin, sur le degré de tension sur l'exécution du budget de l'État en général.

Forts de l'ensemble de ces informations, nous serons en mesure d'évaluer d'éventuels moyens additionnels à apporter à l'Agence. Ces moyens seront, là encore, financés par des redéploiements au sein du budget de l'État, car nous tenons à nous conformer rigoureusement à l'autorisation de dépenses que la représentation nationale a votée dans le cadre des débats du PLF 2014. Pour moi, l’objectif premier est de tenir la dépense, et ce sur tous les sujets.

Sur l'ensemble de ces questions relatives à la construction budgétaire 2014 de l'Agence, je ne pourrai pas vous en dire plus car les travaux sont en cours. Les choses seront stabilisées lors du conseil d'administration du 6 février de l'AFITF, au sein duquel l'Assemblée nationale est représentée. Il y aura donc une transparence parfaite sur les choix qui seront retenus. Les principaux messages restent que l'année 2014 sera une année difficile. Nous chercherons à tenir l'essentiel de nos engagements, mais il est indéniable que les pertes de recettes fiscales peuvent peser sur la soutenabilité de notre politique des transports.

Je voudrais insister sur un quatrième point. La mise en place de l'écotaxe a été suspendue afin de l’aménager et de trouver un compromis avec les parties prenantes. Le Gouvernement souhaite qu’un accord permette la mise en œuvre de l’écotaxe dans les meilleures conditions. Sur ce sujet, comme sur d’autres, il vaut mieux un bon compromis qu’une mauvaise querelle.

La concertation a été engagée, en Bretagne et ailleurs, notamment autour d'observatoires régionaux, pour sérier les difficultés et les aplanir, et pour permettre la mise en fonctionnement de l'écotaxe, une fois les aménagements nécessaires introduits par la loi.

Cette réflexion collective doit respecter deux principes.

D’une part, nous devons obéir aux règles du droit communautaire, en particulier celles de la directive « Eurovignette ». Nous ne pouvons pas consentir des efforts pour rétablir nos comptes publics et réduire nos déficits et, dans le même temps, nous engager dans de multiples contentieux européens, dont nous savons à quel point ils pèsent lourd dans le budget de l’État.

Le droit communautaire énumère la liste des exonérations qui sont possibles. Beaucoup sont déjà utilisées, notamment en faveur des engins agricoles. Il reste quelques possibilités, notamment en matière de transports d'animaux ou de transports agricoles de proximité, qui peuvent être examinées avec bienveillance dans le cadre des concertations en cours, tout en gardant à l’esprit la latitude juridique dont nous disposons. Ainsi, le droit communautaire fixe par exemple des règles en matière de définition du réseau routier taxable, ou encore en matière de relèvement du seuil de taxation au-delà de 3,5 tonnes. Nous ne pouvons pas nous en affranchir.

D'autre part, nous devons prêter attention aux conditions loyales et équitables de concurrence entre transporteurs. Ces derniers y sont d'ailleurs très attachés. Cela suppose de conserver des règles simples, contrôlables par les dispositifs automatisés et par les services douaniers. Des règles peu contrôlables entraîneraient la fraude, c'est-à-dire une concurrence déloyale.

La concertation doit, par ailleurs, déboucher assez en amont de la remise en marche de l’écotaxe pour offrir aux contribuables une visibilité suffisante. Les contribuables doivent pouvoir, quelques mois avant la remise en marche, s'enregistrer et équiper leurs véhicules. Il faut aussi que tous les acteurs économiques impliqués et qui, pour certains, ont beaucoup investi, soient prochainement fixés sur le calendrier. Il faut enfin que le Parlement puisse traduire dans la loi les aménagements que votre Mission aura proposés.

Je finirai mon propos par un cinquième point. La gestion de l’écotaxe dans le cadre d'un partenariat public-privé (PPP) est la modalité choisie par le gouvernement précédent.

Le contrat de partenariat a été signé avec l'entreprise Ecomouv' le 20 octobre 2011. L'écotaxe sera gérée par cette société, à laquelle l'État versera un loyer. Beaucoup de pays étrangers, comme l'Allemagne, ont choisi la même modalité, en raison de l’extraordinaire complexité technique et juridique du projet.

On peut commenter à l'envi l'équilibre économique de ce contrat, le montant du loyer, les conditions d’élaboration de ce PPP – sans doute votre mission livrera-t-elle son analyse sur ce point. Mon approche est pragmatique. Ce contrat existe, nous en avons hérité, et sa résiliation coûterait 800 millions d’euros. Notre état d'esprit est donc de faire en sorte que ce contrat, que nous n’avons pas négocié ni élaboré nous-mêmes, puisse s’appliquer dans de bonnes conditions.

D’aucuns ont jugé utile de déclencher une polémique en indiquant que j’avais signé un arrêté concernant la perception de cette taxe. Ceux-là ne sont pas dans la salle, mais je tiens à dire qu’une telle critique relève d’une malhonnêteté intellectuelle qui ne les honore pas, puisque j’ai agi conformément au principe de continuité de l’État.

À court terme, la suspension décidée par le Premier ministre crée, au regard du contrat conclu avec Ecomouv', une situation nouvelle qui ouvre un espace de discussion avec le prestataire, afin de préciser les règles qui s'appliquent pendant cette phase de suspension. Dans le cadre de ces discussions – qui doivent être à la fois constructives et intransigeantes au regard des intérêts de l’État –, le Gouvernement sera particulièrement exigeant pour minimiser le montant des loyers pendant la durée de la suspension et pour obtenir du prestataire la reconnaissance de sa responsabilité dans les retards accumulés pour la mise en œuvre de la taxe, avec les pénalités financières associées à ces retards. Il faut, en toute chose, le respect du droit, la défense des intérêts de l’État. Cette rigueur, nous la devons aux Français.

Voilà en quelques mots les éléments que je voulais vous rappeler.

M. le président et rapporteur Jean-Paul Chanteguet. Une étude réalisée par Jean Dominique Blardone montre la possibilité d’un report relativement important du trafic vers les autoroutes. Le ministère des transports a laissé entendre, il y a quelques mois, que cela pourrait se traduire par une augmentation du chiffre d’affaires des sociétés, comprise entre 200 et 400 millions d’euros. Vos services disposent-ils d’informations à ce sujet, monsieur le ministre ?

M. Thierry Benoit. Chaque semaine, des paramètres nouveaux apparaissent et permettent d’envisager la mise en œuvre d’une nouvelle écotaxe.

Je pense d’abord à la déclaration du Premier ministre sur une remise à plat de la fiscalité. Dans le cadre de l’examen du projet de loi d’avenir pour l’agriculture, nous avons abordé l’agroécologie. Monsieur le ministre, le « verdissement » de la fiscalité constitue-t-il une priorité pour le Gouvernement ?

Je pense ensuite au pacte de responsabilité voulu par le Président de la République, qui laisse supposer une réelle volonté d’allégement des charges pesant sur les entreprises. Comment intégrez-vous cette nouvelle donnée ?

Le troisième paramètre nouveau est le souhait du Président de la République de voir modifier le périmètre de certaines institutions de notre pays, je pense aux régions. Un parlementaire de la majorité a émis l’idée de ramener le nombre de régions de vingt-deux à quinze. Le dialogue noué entre l’État et les régions va-t-il prendre en compte cet élément ?

Pour finir, vous avez évoqué l’Eurovignette, la distorsion de concurrence en Europe. Comment comptez-vous porter ce débat sur la scène européenne de façon à nous assurer que la mise en œuvre de l’écotaxe n’entraînera pas une distorsion de concurrence accrue entre les entreprises françaises et celles de nos partenaires européens ?

M. Philippe Duron. Monsieur le ministre, je vous remercie pour la clarté et la précision de votre propos.

L’Agence de financement des infrastructures de transport assure le paiement des engagements pris par l’État. Environ 16 milliards d’euros doivent être payés dans les années à venir, qu’il s’agisse de grands projets, comme les quatre lignes LGV, ou de projets de régénération d’ouvrage ou d’infrastructure. L’année 2014 sera difficile, et nous devrons faire preuve de responsabilité, mais il est un fait que certaines dépenses sont incompressibles.

Monsieur le ministre, convient-il de différer certaines dépenses, je pense notamment à la convention signée entre le Gouvernement, la SNCF et l’AFIFT, sur le renouvellement des trains d’équilibre du territoire (TET), au troisième appel à projets des transports collectifs en site propre (TCSP), ou encore au volet transport des contrats de projet ?

Théoriquement, la réception du dispositif pour la mise en œuvre de la taxe poids lourds est prévue pour le 20 janvier. Est-il raisonnable de la réaliser à cette date, ce qui implique le paiement par l’État des rémunérations prévues au contrat, ou convient-il de l’effectuer au moment où le dispositif sera opérationnel, ce qui suppose de négocier avec Ecomouv’?

Une partie des transporteurs est opposée à l’écotaxe, considérant qu’elle va peser sur le résultat de leur profession déjà fortement touchée par le cabotage et l’emploi de travailleurs soumis à des conditions sociales différentes des nôtres. Comment consolider la répercussion afin d’éviter une négociation asymétrique entre les chargeurs et les transporteurs ?

M. Éric Straumann. Le Gouvernement est-il favorable à une expérimentation dans l’Est de la France, autrement dit à une mise en service progressive du dispositif ?

Si l’écotaxe ne peut être mise en œuvre uniformément au niveau national, une mise en place régionale est-elle envisageable, avec des recettes exclusivement affectées aux régions ?

M. Joël Giraud. En Autriche, pour emprunter les autoroutes, on paie une vignette, des taxes spéciales sur les ouvrages spécifiques, comme le Brenner, et la LKWMaut pour les poids lourds.

En France, les choix opérés sont étonnants, puisque la définition des axes ne repose pas sur le principe de l’origine/destination. Pourtant, l’impact économique et écologique n’est pas du tout le même entre un poids lourd qui vient de l’industrie automobile du Piémont et va chercher des pièces détachées de l’autre côté de la frontière espagnole et un camion de pommes qui quitte le sud des Hautes-Alpes pour aller livrer à Grenoble. Étrangement, c’est le second qui sera taxé sur la route nationale 85 et non le premier !

Ce dernier ne sera pas taxé soit parce qu’il empruntera des réseaux autoroutiers concédés, soit parce qu’il empruntera des réseaux non concédés, mais totalement exonérés d’écotaxe pour cause d’insuffisance de trafic – moins de 800 poids lourds par jour. Et pourtant, ce type camion, en parcourant 1 000 à 2000 kilomètres et en traversant notre pays, cause des dégâts importants sur les réseaux, sans parler de la pollution qu’ils provoquent.

Je ne vois pas au nom de quel dogme la non-taxation du réseau concédé doit être appliquée, d’autant que, comme l’a rappelé le président Chanteguet, on va assister à un report vers ce réseau. En outre, prendre comme base, comme l’ont fait les services du ministère des transports, le nombre de poids lourds sur tel ou tel réseau aura pour conséquence de créer de forts trafics avec des poids lourds de faible tonnage, et de taxer essentiellement des entreprises de transport local qui travaillent dans des conditions difficiles.

M. François-Michel Lambert. À ma grande surprise, j’ai appris récemment que les portiques serviraient non à collecter l’écotaxe, mais seulement à contrôler la présence dans les poids lourds d’un équipement embarqué enregistrant les données de géolocalisation. Seul ce boîtier permettra de collecter l’écotaxe en déterminant en temps réel le franchissement d’un point de tarification et en calculant le montant de la taxe due.

Ainsi, le prélèvement de la taxe poids lourds pourrait se faire sans recourir à ces fameux portiques, comme l’a indiqué le vice-président d’Ecomouv’, M. Cornil, dans un entretien récent au journal Le Télégramme, et le contrôle de la présence des boîtiers dans les poids lourds pourrait être assuré par des policiers ou des gendarmes, comme pour les chronotachygraphes dans les camions.

Par ailleurs, la CNIL a indiqué le 14 février 2013 qu’en photographiant l’ensemble des usagers, et pas seulement les poids lourds, les portiques étaient attentatoires aux libertés individuelles. D’un point de vue technique, en effet, tous ceux qui passeront sous le portique devront être photographiés.

Monsieur le ministre, connaissez-vous les raisons pour lesquelles il a été décidé sous la précédente majorité de recourir à l’utilisation des portiques pour un appel d’offres qui, au final, s’élève à 1,9 milliard d’euros, alors que d’autres possibilités, comme le recours aux forces publiques – police et gendarmerie – aurait pu être bien moins onéreuses ?

Dans la mesure où les portiques sont le symbole de la cristallisation du ras-le-bol fiscal, comme nous avons pu le constater notamment en Bretagne, et que la mise en œuvre de l’écotaxe est suspendue, vos services ont-ils travaillé à la possibilité de la mise en œuvre de l’écotaxe dans le cadre d’un contrat renégocié avec Ecomouv’ ne prévoyant pas de portiques ?

Enfin, une implication plus forte des acteurs politiques locaux est-elle envisageable, en associant les conseils régionaux au choix des axes taxés et en leur donnant la possibilité de majorer la taxe pour abonder leur budget transport et infrastructures – comme elles peuvent le faire aujourd’hui en majorant le tarif des carburants ?

Mme Corinne Erhel. Monsieur le ministre, je partage votre point de vue sur les enjeux que vous avez rappelés, en particulier le financement des infrastructures.

Le mécanisme de répercussion forfaitaire sur les chargeurs a suscité des interrogations, voire des oppositions, notamment dans les régions périphériques et certains secteurs économiques, comme l’agroalimentaire qui fonctionne à flux tendus et où le schéma logistique des PME implique une multiplication des transports.

Monsieur le ministre, vous avez dit être prêt à réfléchir à des aménagements, notamment avec la prise en compte de secteurs d’activité particuliers ou d’organisations logistiques particulières. Pouvez-vous nous apporter des précisions en la matière ?

Je pense en effet que le point de crispation tient au mécanisme de répercussion, forfaitaire et systématique. Une approche microéconomique sur certains schémas logistiques de PME me semble intéressante.

M. Marc Le Fur. Comme Mme Erhel, je pense que les modalités dites « Cuvillier », de répercussion tranporteur/donneur d’ordre, ont suscité l’irritation.

Monsieur le ministre, je vous trouve donc très allant sur l’application de l’écotaxe ! Certes, vous êtes attentif aux équilibres budgétaires, mais je rappelle par ailleurs que les masses financières concernant le jour de carence des fonctionnaires sont identiques à celle de l’écotaxe. En outre, nos concitoyens entendent, d’un côté, le Premier ministre sur le Pacte pour la Bretagne et la remise à plat de la fiscalité et, de l’autre, le Président de la République dans une tout autre logique ! Je vous invite donc à la plus grande prudence.

Ensuite, vous faites des comparaisons internationales. Or l’Allemagne ne connaît aucun péage sur ses autoroutes, et la Suisse et l’Autriche ont instauré une vignette annuelle. Vos éléments de comparaison devraient être plus précis.

Par ailleurs, vous avez souligné la nécessité d’encourager le report modal, et nous sommes d’accord sur le principe. Cependant, l’écotaxe ne favorisera pas le transfert modal car celui-ci ne présente un intérêt qu’à partir de 300 à 400 kilomètres de transport. Or l’essentiel du trafic pénalisé par l’écotaxe sera le trafic de proximité. En outre, le report modal sera impossible dans certaines régions en raison de l’insuffisance du tissu ferroviaire. Il me semble donc logique d’appliquer l’écotaxe dans le cas où le donneur d’ordre peut choisir un autre mode de transport, ce qui peut justifier une augmentation du prix.

Enfin, monsieur Duron a indiqué qu’une partie des transporteurs est hostile à l’écotaxe. Mais aujourd’hui, tous les transporteurs y sont opposés, y compris la FNTR que nous avons auditionnée la semaine dernière. Et, les donneurs d’ordre, au moins ceux de ma région, sont radicalement contre.

M. le ministre. Monsieur Le Fur, je ne suis pas « allant », je m’attache à présenter des éléments objectifs sur la réalité de la situation. La majorité à laquelle vous apparteniez a voté l’écotaxe. Aujourd’hui, conformément au principe de continuité de l’État, nous essayons de faire en sorte qu’elle puisse être mise en place dans les meilleures conditions afin de financer nos infrastructures de transport. Ma position est pragmatique, et j’attends des parlementaires qu’ils fassent des propositions sur ce sujet stratégique.

Il n’y a pas de contradiction entre la position du Président de la République et celle du Premier ministre, entre la position du Gouvernement et celle de la majorité. Nous voulons rétablir la compétitivité de nos entreprises grâce à des actions très concrètes, au premier rang desquelles le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), qui permet aux entreprises de bénéficier d’un allègement net de charges de 20 milliards – dont elles n’ont jamais bénéficié jusqu’à présent. Nous le faisons, non pas avec un transfert de TVA sociale sur les ménages à hauteur de 13 milliards, mais à 50 % grâce à des économies en dépenses, la montée en puissance de la fiscalité environnementale, et la TVA à hauteur de 6 milliards. Nous voulons également poursuivre les objectifs du plan climat, voulu par le précédent gouvernement et porté par Jean-Louis Borloo dans le cadre du Grenelle de l’environnement. Par conséquent, on ne peut pas faire de la politique politicienne sur un sujet aussi stratégique qui renvoie à la parole de la France au plan international. La parole de la France sera forte si elle se déploie dans la durée par-delà les gouvernements.

Monsieur le président, les études d’impact ne sont généralement pas un point fort dans le processus d’élaboration de la norme en France. Le processus d’étude d’impact sur la mise en place de l’écotaxe poids lourds n’a sans doute pas été exempt de critiques. Sur le fond, je dirai que les implications financières de la taxe ont été soigneusement expertisées – il faut le reconnaître –, notamment pour justifier le recours à un partenariat public privé. En revanche, il existe des angles morts : l’analyse de l’impact économique sur certains secteurs, comme l’agriculture et l’agroalimentaire, et l’analyse des conditions dans lesquelles la taxe pourrait être répercutée ou pas sur les clients. Le décret de mai 2012 rendait impraticable la répercussion de la taxe. Le nouveau système de majoration forfaitaire, mis en place sous l’impulsion de Frédéric Cuvillier, a résolu une partie de ces difficultés. Un autre angle mort existe s’agissant des entreprises qui utilisent beaucoup le transport routier sans être elles-mêmes des entreprises de transport routier. À cet égard, je rejoins la préoccupation exprimée par Marc Le Fur sur les entreprises agricoles, notamment bretonnes. En effet, ces entreprises ne bénéficient pas directement du mécanisme de majoration forfaitaire et sans doute faudra-t-il trouver une solution qui leur permette de répercuter la taxe, notamment sur leurs acheteurs dans la grande distribution.

Il était prévu une expérimentation de la taxe poids lourds en Alsace, puis, dans un second temps, une expérimentation nationale à blanc, ce qui aurait incontestablement permis de dresser un premier bilan rapide avant généralisation. Les retards accumulés dans la mise en œuvre de la taxe, en raison de dysfonctionnements persistants affectant le dispositif mis au point par Ecomouv’, ne l’ont pas permis.

Une expérimentation régionale soulèverait deux sujets sérieux. Nous nous éloignerions de la solidarité nationale, garantie par l’AFIFT dans le cadre d’un schéma national pour le développement des infrastructures et des transports de demain. Nous perdrions en cohérence de nos politiques publiques, sachant que l’AFIFT doit contribuer à travers ses financements au développement des transports en site propre pour l’ensemble des agglomérations.

S’agissant du montant et du calendrier des loyers dus, la suspension décidée par le Premier ministre crée une situation nouvelle qui permet une discussion avec Ecomouv’, afin de pallier les incertitudes du contrat et, surtout, de défendre les intérêts de l’État et donc du contribuable. Vous comprendrez que je ne commenterai pas devant vous le résultat de ces discussions ni même les conditions de leur déroulement – la confidentialité des négociations est la garantie de la défense des intérêts de l’État. Le montant des loyers, de 70 millions d’euros par trimestre en régime de croisière, doit faire l’objet d’une discussion durant la période de suspension, en raison des retards et de la non-perception de la taxe. De même, nous devons débattre du calendrier de paiement de ces loyers.

Pour ce qui concerne le report vers les autoroutes, les services de mon collègue Cuvillier sont particulièrement compétents pour vous apporter des réponses précises.

Monsieur Benoit, nous sommes déjà engagés dans le « verdissement » de la fiscalité à travers la contribution climat-énergie – l’un des vecteurs de financement du CICE -, dont nous attendons un premier rendement significatif en 2014 et une montée en puissance dans les années à venir à la faveur de la taxation des productions énergétiques qui occasionnent des pollutions. Je fais remarquer à tous les contempteurs systématiques de l’action gouvernementale que nous avons réussi à faire passer cette contribution climat-énergie, quand eux ont été dans l’incapacité de le faire pour la taxe carbone, censurée par le Conseil constitutionnel.

Nous allons poursuivre ce travail de verdissement de la fiscalité, en étroite liaison avec le Comité pour la fiscalité écologique, présidé par Christian de Perthuis, devant lequel je me rends régulièrement avec Pierre Moscovici et Philippe Martin, de sorte que les travaux de ce comité puissent s’articuler avec la réflexion sur la remise à plat de la fiscalité voulue par le Président de la République et le Premier ministre.

Notre volonté de donner une chance à nos entreprises, comme nous le faisons grâce à une baisse de leurs charges nettes, s’inscrit pleinement dans le cadre du « pacte de responsabilité » proposé par le Président de la République le 31 décembre. Ainsi, nous poursuivrons ce travail d’allègement du coût du travail, en contrepartie d’engagements de la part des entreprises pour plus d’embauches et plus de dialogue social. Les allègements supplémentaires seront financés par des économies en dépenses, d’où ma volonté d’un ajustement des budgets suivants exclusivement par des économies en dépenses. Je vous confirme d’ailleurs que les prélèvements obligatoires sur les entreprises baisseront en 2014.

Monsieur Duron, s’agissant du budget de l’AFIFT, il n’est pas question de revenir, dans l’exécution du budget 2014, sur les projets essentiels sur lesquels nous nous sommes engagés. En particulier, nos engagements sur le renouvellement des matériels des TET seront tenus. Le Gouvernement souhaite étudier avec vous le calendrier de déclenchement des engagements correspondant aux 16 milliards que vous avez rappelés, et il entend le faire de façon méticuleuse, ligne à ligne, ce qui nous permettra d’aboutir à un ajustement le plus fin possible du volume budgétaire qui devra être mobilisé en vertu du principe d’autoassurance. Encore une fois, si nous n’avons pas le produit de cette taxe, l’équation budgétaire sera difficile.

La taxe poids lourds sera due par tous les transporteurs empruntant le réseau français. Sur le produit de cette taxe, 200 millions seront supportés par les transporteurs étrangers. En étant liée au nombre de kilomètres parcourus, et non au nombre de trajets, elle sera favorable aux transporteurs de proximité.

Je rappelle les mesures prises récemment en faveur des entreprises de transport routier : baisse de la taxe à l’essieu, sanctuarisation du taux réduit applicable au gazole routier, mise en place du CICE dont l’effet, pour le secteur du transport et de l’entreposage, se chiffrera à 2 milliards d’euros en 2014.

Monsieur Giraud, les véhicules qui emprunteront le réseau taxable sont déjà soumis à péage. En tout état de cause, la superposition de péages et de l’écotaxe ne sera pas possible en vertu du droit communautaire Je vous propose donc de vous revoir avec mes services pour approfondir la discussion.

Concernant la définition du réseau taxable, il est prévu d’établir un bilan après un an de fonctionnement. Si des reports de trafic indésirables apparaissent alors, nous réviserons le réseau taxable, en particulier le réseau local.

Monsieur Lambert, il est technologiquement possible de mettre en œuvre l’écotaxe sans portique. Cependant, un contrat a été signé, dont les clauses contractuelles ont des effets budgétaires collatéraux très lourds. Changer de technologie impliquerait de changer de contrat, ce qui déclencherait des indemnités de résiliation, dont je vous ai indiqué le montant. L’hypothèse que vous formulez ne peut donc susciter mon enthousiasme.

Madame Erhel, la majoration forfaitaire mise en place par Frédéric Cuvillier a succédé à la répercussion au réel, introduite par le décret du 6 mai 2012 et difficilement applicable en raison de sa complexité à la fois pour les transporteurs et les chargeurs. Le nouveau système présente deux caractéristiques non négligeables : il est applicable et il évite l’écrasement des marges des transporteurs routiers. De plus, il est simple et transparent, en prévoyant un taux de majoration par région et un taux interrégional. J’en conviens : des entreprises peuvent être fortement utilisatrices de transport sans être elles-mêmes des entreprises de transport. À cet égard, Frédéric Cuvillier a évoqué devant vous la possibilité de l’affichage de l’écotaxe sur les factures de ces entreprises, pour faciliter la répercussion dans le cadre des négociations commerciales. Il s’agit là d’un début de solution que je soumets à votre réflexion.

M. Gilles Lurton. L’écotaxe a été votée de façon transpartisane. Depuis, le contexte économique, de plus en plus concurrentiel, a fortement changé, et un nombre croissant de camions de moins de 3,5 tonnes circulent sans contrôle et en surcharge sur nos routes.

Monsieur le ministre, je m’inquiète de la situation des transporteurs qui se sont équipés, parfois à des coûts importants. Une discussion est-elle envisagée avec ces derniers, afin de prendre en compte les frais qu’ils ont engagés pour cet équipement ?

M. Gilles Savary. Le ministre a le mérite de la clarté et de la franchise en évoquant l’équation budgétaire qui résulterait de la suppression de l’écotaxe.

Si j’ai bien compris, monsieur le ministre, nous sommes contraints sur la solution de sortie. Il est difficile de taxer les chargeurs car il existerait alors une distorsion de concurrence, puisque les camions étrangers qui traversent le pays seraient les seuls à ne pas être taxés. Il pourrait même y avoir des effets de frontière, avec des chargements à l’étranger. Par conséquent, nous devons taxer au kilomètre.

Je précise, car une erreur a été commise tout à l’heure, que la Suisse taxe les poids lourds au kilomètre : il faut une vignette générale pour entrer sur le réseau, à laquelle s’ajoute une taxation des poids lourds.

Une écotaxe à un niveau relativement élevé entraînerait un report du trafic sur les autoroutes. Il me semble donc nécessaire que notre Mission cherche une solution avec le secteur autoroutier.

En outre, ne faut-il pas envisager des dérogations par type de transport, en particulier en distinguant les biens primaires et les biens manufacturés ? L’écotaxe est en effet très coûteuse pour les biens primaires, alors qu’elle se répercute très faiblement sur l’économie pour des produits très manufacturés. Je suis surpris qu’aucune étude de filière n’ait été réalisée sur le sujet.

Enfin, ne faut-il pas prévoir un plus grand linéaire de réseau, afin de rendre l’écotaxe homéopathique ?

M. Thomas Thévenoud. L’objectif de cette mission d’information est de rebâtir une taxe poids lourds – et non de procéder à un enterrement de première classe de l’écotaxe, comme le prétend souvent l’opposition, en particulier M. Le Fur. Je peux témoigner que nos concitoyens sont favorables au transfert modal, à la contribution des camions étrangers à l’entretien de nos routes, et à une harmonisation européenne. Ce faisant, ils sont favorables au principe d’une taxe poids lourds en France.

Comme l’a déclaré le Premier ministre, « suspension n’est pas suppression ». En outre, la taxe poids lourds s’inscrit pleinement dans l’objectif d’une fiscalité écologique en France. Je tenais à le rappeler car M. Le Fur n’est pas porte-parole de la France. Il a d’ailleurs dit une grosse bêtise sur le jour de carence. D’après mes calculs, la masse financière pour le jour de carence est de 60 millions par an pour l’État, ce qui n’a rien à voir avec le montant en jeu pour l’écotaxe.

Monsieur le ministre, vous avez cité des chiffres précis : 800 millions d’euros sur le manque à gagner ; 70 millions par trimestre pour les loyers ; 800 millions en cas de dédit. Le 20 janvier, jour de réception, l’État devra-t-il faire un chèque à la société Ecomouv’ – on nous a parlé d’un chiffre avoisinant les 270 millions d’euros ? En outre, si l’écotaxe était abandonnée fin 2014, l’État devrait-il payer le manque à gagner, le dédit, les loyers, soit une ardoise de 2 milliards d’euros à trouver dans le budget 2015 ?

Certes, l’acceptation de la taxe poids dans l’opinion publique est réelle – je le constate dans mon département, caractérisé par un important transit. Néanmoins, en tant que parlementaire, nous devons tenir compte de ces contingences budgétaires.

M. Jean-Pierre Gorges. Monsieur le ministre, je comprends vos obligations en tant que ministre du budget, mais pensez-vous sérieusement que l’écotaxe puisse être mise en place dans le climat actuel autour de la fiscalité ? Pour ma part, je ne le pense pas.

Pour avoir passé ma vie professionnelle dans le secteur de la technologie, je ne comprends pas la solution technique retenue – les portiques –, qui pèse lourd dans la facture. Il est possible de faire autrement, d’autant que la technologie a évolué.

Je pense aussi que notre Mission doit proposer un système plus cohérent d’un point de vue fiscal. Car entre 2006 et aujourd’hui, la fiscalité elle-même a évolué.

Au travers de cette taxe, ne cherche-t-on pas à régler deux problématiques en même temps qui n’ont rien à voir, la dépendance énergétique, les taxes, d’un côté, les routes et les payeurs, de l’autre. Il me semble qu’une réflexion globale doit être menée.

Pour avoir une fiscalité lisible, compréhensible et qui induit des comportements, ne pensez-vous qu’il faudrait instaurer une taxe sur la technologie utilisée ? En outre, si c’est l’usager final qui devra payer, faudra-t-il ouvrir les camions, déballer les colis… ? Le système va induire des comportements fous, dont personne ne sera capable de maîtriser les conséquences !

Essayer de récupérer aux forceps quelques millions d’euros au prétexte que le ministre du budget veut équilibrer son budget 2014, c’est prendre des risques énormes. Nous en reparlerons en 2015, monsieur le ministre : vous n’aurez pas touché un kopeck, vous aurez payé, et nous n’aurons pas avancé vers une solution fiscale plus cohérente.

M. Philippe Bies. Il me semble qu’en Alsace comme ailleurs, les conditions d’une expérimentation ne sont pas forcément réunies.

J’ai interrogé Jean-Louis Borloo la semaine dernière sur la privatisation du réseau autoroutier. Il ne m’a pas répondu. Monsieur le ministre, pensez-vous que la cession des autoroutes est un sujet clos, sur lequel l’État ne pourra pas revenir ? Devons-nous, au contraire, nous pencher sur cette question au regard du levier qu’elle représente en matière d’aménagement du territoire tant d’un point de vue économique, fiscal que stratégique ?

M. Olivier Marleix. Le ministre parle souvent de bonne foi, et je lui en donne acte.

Monsieur le ministre, j’aimerais vous entendre sur le montant du contrat Ecomouv’, de 230 millions d’euros par an sur onze ans et demi. Le partenaire privé de l’État supporte l’investissement de près de 1 milliard d’euros, à amortir sur cette durée, ainsi que le fonctionnement et l’entretien du dispositif de radar, de l’ordre d’une centaine de millions par an, soit l’équivalent de ce que coûte à l’État le dispositif de radar de lutte contre la vitesse. Au vu de ces chiffres, partagez-vous les propos excessifs sur un contrat exorbitant, voire scandaleux ?

M. Joël Giraud. En Autriche, tous les camions à partir de 3,5 tonnes sont équipés d’une GO-Box. En plus de la vignette autoroutière, trois critères sont pris en compte : la distance parcourue, le nombre d’essieux et la classe EURO, soit quatre éléments en une seule taxe. Un dispositif eurocompatible est donc tout à fait possible.

Monsieur le ministre. Monsieur Savary, je pense comme vous qu’il n’est pas possible de taxer les chargeurs. Il n’est pas possible non plus de moduler la taxe selon le secteur économique, sauf à créer des difficultés techniques très difficilement surmontables, indépendamment des obstacles juridiques.

S’agissant de la question sur le report vers les axes autoroutiers, le bilan établi après une année de fonctionnement sera très précieux pour ajuster le dispositif. Le tarif de l’écotaxe, s’il demeure en l’état, est, sur une large partie du réseau, plus bas que le péage autoroutier.

Monsieur Lurton, 190 000 véhicules ont été enregistrés et sont équipés depuis l’engagement du gouvernement précédent de mettre en œuvre cette taxe. Toutes ces démarches n’ont pas été faites en vain, puisque cet équipement sera opérationnel si l’écotaxe est mise en place à l’issue de sa suspension. Les conditions économiques de mise à disposition des équipements ont été retenues pour limiter au maximum le coût pour les petites entreprises. Sont prévus un rabais de 10 % pour les abonnés et un montant minimal limité à 1 euro, une caution de 100 euros pour les non abonnés et l’absence de frais d’achat.

Monsieur Thévenoud, si l’État réceptionne le dispositif le 20 janvier – ce qui très peu probable –, aucun loyer ne serait dû avant mars. Le chiffre que vous citez est alarmiste et ne correspond pas à la réalité. En revanche, la perte de recettes de 800 millions d’euros, en cas de retard de mise en œuvre de la taxe, est une réalité incontestable.

Monsieur Gorges, je n’ai pas dit que le Gouvernement tenait à mettre en œuvre l’écotaxe sans tenir compte du contexte. J’ai exposé une réalité budgétaire. Le Premier ministre a exprimé la volonté de trouver un bon compromis, ce qui est toujours préférable à la démagogie et au conflit.

Monsieur Savary, les exonérations sont envisageables pour autant qu’elles ne nous exposent pas à des risques de contentieux européens, dont on sait qu’ils sont toujours très coûteux. Je rappelle que, dans le budget 2013, les contentieux européens ont pesé à hauteur de 3,7 milliards.

Faute de mettre en œuvre l’écotaxe, le financement de nos infrastructures de transport serait problématique. Cela se traduirait dans les territoires par moins de trains, moins de transports durables, moins de transports en commun en site propre, moins de trains modernes. Ne pas le dire, c’est mentir et céder à la démagogie.

Monsieur Gorges, vous posez toute une série de questions sur la nature de cette taxe et sur les modalités de sa mise en œuvre. Ce faisant, vous me demandez des comptes sur un dispositif que vous avez intégralement conçu et que nous devons aujourd’hui mettre en place. C’est la réalité.

M. Jean-Pierre Gorges. Ce n’est pas l’objet de la Mission. On ne peut pas parler comme cela en permanence. Il faut parler de l’avenir.

Monsieur le ministre. Je suis prêt à ne pas parler ainsi si on ne me demande pas des comptes en permanence sur les raisons pour lesquelles un dispositif que nous n’avons pas conçu ne fonctionne pas. Vous avez raison de dire qu’il faut regarder l’avenir. C’est ce que nous faisons, en ayant parfaitement conscience de ce que le passé nous apporte d’ennui. Nous essaierons de faire au mieux, de façon pragmatique, sans démagogie et dans la transparence. La volonté du Gouvernement, comme dans tous les grands pays européens, est de promouvoir la modernisation de nos infrastructures de transport, gage de compétitivité de notre économie. Notre approche est équilibrée, responsable, dans un contexte extraordinairement difficile.

Monsieur Marleix, s’agissant du contrat avec Ecomouv’, nous souhaitons ne pas passer notre temps à commenter le passé. Comme beaucoup de partenariats public-privé (PPP), le dispositif a ses imperfections et son intérêt ; il est complexe. Nous nous efforçons de surmonter les difficultés afin de parvenir à mettre en œuvre cette taxe.

Les comparaisons internationales, notamment avec l’Allemagne et l’Autriche, montrent que le coût d’un PPP est toujours élevé. Ce coût est la conséquence même du PPP, puisque l’entreprise privée qui participe à la mise en œuvre d’une mission de service public le fait rarement pour des raisons philanthropiques.

En 2009, les services de l’État avaient estimé que le recours au PPP réduisait les coûts de 10 % par rapport à d’autres formes de marché public. À ce jour, aucune étude n’a remis à jour cette équation. Pour apprécier la réalité du coût du contrat, il ne faut pas partir du coût initial. Il faut regarder les surcoûts induits par les retards et les tensions qui en résultent et qui rendent le dispositif difficile à mettre en œuvre. C’est l’ensemble de ces éléments qui doit être pris en compte pour mesurer la réalité du partenariat public-privé.

En conclusion, il convient d’être scrupuleux. Je constate que les retards imputables au prestataire, d’une part, et le contexte actuel, d’autre part, engendrent des coûts collatéraux qui doivent être pris en considération dans l’équation financière globale du partenariat public-privé.

M. le président et rapporteur Jean-Paul Chanteguet. Merci beaucoup, monsieur le ministre.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur l'écotaxe poids lourds

Réunion du mercredi 15 janvier 2014 à 11 h 30

Présents. - Mme Sylviane Alaux, M. François André, M. Thierry Benoit, M. Philippe Bies, M. Florent Boudié, M. Jean-Yves Caullet, Mme Marie-Anne Chapdelaine, M. Alain Claeys, Mme Françoise Dubois, M. Philippe Duron, Mme Corinne Erhel, Mme Sophie Errante, M. Olivier Faure, M. Claude de Ganay, M. Joël Giraud, M. Jean-Pierre Gorges, M. Jean Grellier, M. Guénhaël Huet, Mme Joëlle Huillier, M. François-Michel Lambert, Mme Viviane Le Dissez, M. Marc Le Fur, M. Jean-Pierre Le Roch, M. Gilles Lurton, M. Olivier Marleix, M. Bertrand Pancher, M. Hervé Pellois, Mme Émilienne Poumirol, M. Gilles Savary, M. Éric Straumann, M. Thomas Thévenoud

Excusé. - M. Xavier Breton