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Mercredi 22 janvier 2014

Séance de 18 heures

Compte rendu n° 9

Présidence M. Jean-Paul Chanteguet, Président

– Audition, ouverte à la presse, de France Nature Environnement (FNE) : MM. Michel Dubromel, pilote du réseau Transports et Mobilité durable, et Gérard Allard, membre de ce réseau

Mission d’information
sur l’écotaxe poids lourds

M. le président et rapporteur Jean-Paul Chanteguet. Nous accueillons ce soir deux responsables de France Nature Environnement (FNE), une fédération citoyenne qui rassemble quelque trois mille associations et qui a très clairement pris position en faveur de la mise en place de l’écotaxe. Son président, Bruno Genty, a adressé une lettre ouverte en ce sens au Président de la République, le 8 novembre dernier, au plus fort des manifestations.

Fidèle à ses convictions, France Nature Environnement se veut force de proposition en faveur d’une politique des transports tenant compte des enjeux environnementaux.

Les trop rares études d’impact dont nous disposons montrent que l’écotaxe n’aura pas d’effets majeurs sur le report modal, à l’exception de certains transferts de trafic vers les autoroutes. En revanche, dans la logique du vote quasi-unanime de la loi dite Grenelle 1, nombre d’observateurs pensent, comme France Nature Environnement, qu’il revient aux utilisateurs du réseau routier non concédé de payer, au moins en partie, son entretien et son amélioration.

France Nature Environnement conçoit l’écotaxe comme un impôt protecteur des territoires dans la mesure où il est favorable au développement d’une économie de proximité. Cette taxe pénaliserait en effet les migrations routières sur longue distance de produits susceptibles d’être consommés sur place, c'est-à-dire au plus près des lieux de production. L’objectif est louable, mais l’atteindre suppose que les acteurs économiques modifient en profondeur leurs comportements.

Nous souhaiterions, Messieurs, connaître à la fois vos appréciations sur le dispositif tel qu’il a été conçu, y compris sur le plan technique pour la collecte et le contrôle, et vos éventuelles propositions d’amélioration.

Pour sortir de la situation actuelle, il conviendrait d’abord de redonner un sens à cette redevance d’usage qu’est l’écotaxe. Elle ne sera acceptée que si elle est comprise, ce qui exige de simplifier son dispositif sur plusieurs points.

M. Michel Dubromel, pilote du réseau Transports et mobilité durable de France Nature Environnement (FNE). Nous vous remercions d’avoir sollicité France Nature Environnement pour cette audition.

Convaincue de l’utilité de l’écotaxe poids lourds, notre fédération pense qu’elle doit être mise en œuvre rapidement.

Notre mouvement, qui regroupe plus de trois mille associations, réparties sur l’ensemble du territoire national, y compris outre-mer, traite près de vingt thématiques. Nous ne travaillons pas seulement sur les transports, mais aussi sur un sujet comme « santé et environnement », auquel les médias et la population accordent davantage d’attention avec une prise conscience des effets dommageables de la pollution atmosphérique sur la santé. Nous ne défendons pas des intérêts particuliers, mais l’intérêt général.

Nous dénonçons toutes les situations portant préjudice à l’environnement et à la qualité de vie de nos concitoyens. Mais au-delà, nous nous voulons force de proposition. C’est ainsi que nous avons participé au Grenelle de l’environnement ainsi qu’au débat national sur la transition énergétique, et participons actuellement aux travaux du comité pour la fiscalité écologique. Nous travaillons sur toutes les questions de transport et de mobilité, en cherchant à promouvoir les modes de transport les moins nocifs pour l’environnement, qu’il s’agisse de la pollution atmosphérique ou de la destruction des milieux naturels. Le thème de notre congrès de l’an passé était d’ailleurs « Se déplacer et transporter moins, mieux et autrement ».

C’est après le très grave accident du tunnel du Mont-Blanc en 1999, lequel avait fait 39 morts, qu’une première alerte avait été lancée. À l’époque, nombreux en effet avaient été les responsables politiques et associatifs à dire « Plus jamais ça !». Depuis 2003, France Nature Environnement s’est résolument engagée sur le sujet de l’écoredevance, à la demande de ses fédérations régionales, inquiètes de l’augmentation du trafic routier, en particulier dans les zones fragiles sur le plan environnemental, comme en montagne. C’est l’époque où la Suisse a commencé de mettre en œuvre « la redevance poids lourds liée aux prestations » (RPLP), intégrant les coûts d’utilisation de l’infrastructure routière mais aussi les externalités. Les recettes de cette redevance y financent une grande partie des infrastructures ferroviaires nécessaires au report modal. Avec l’aide de sa Fédération européenne Transports et environnement, du ministère des transports et de l’ADEME, dès 2006, France Nature Environnement réalisait une étude intitulée « Une écoredevance ici et maintenant », dans laquelle nous étudiions comment transposer dans notre pays l’expérience suisse.

Nous avons défendu cette proposition l’année suivante, lors du Grenelle de l’environnement. Elle en est devenue l’engagement n°45 « Création d’une écoredevance kilométrique pour les poids lourds sur le réseau national non concédé ». Cet engagement, accepté par toutes les parties, a ensuite été acté dans la loi dite Grenelle 1, votée à la quasi-unanimité, puis dans la loi de finances pour 2009, avec, il faut le reconnaître, nous l’avions alors regretté, quantité de dérogations et de minorations.

Nous avons continué de travailler sur le dossier au niveau national. Nous avons ainsi été en liaison régulière avec la mission Tarification routière du ministère. Nous avons également participé à de nombreux colloques sur le sujet et édité plusieurs plaquettes d’information – je vous en remets deux, Monsieur le président. La première, éditée il y a deux ans, s’intitulait encore « Écoredevance », avant que le ministère des finances nous fasse savoir qu’il n’était plus possible d’utiliser cette dénomination. La deuxième, éditée il y a six mois, s’intitule « Taxe kilométrique poids lourds ».

Nous sommes également restés mobilisés au niveau européen au travers de notre fédération européenne Transports et environnement, par le biais de laquelle nous suivons de près les révisions successives de la directive Eurovignette.

Pour nous, l’écotaxe poids lourds – nous aurions évidemment préféré qu’on continue de parler d’écoredevance – n’est que l’application du principe utilisateur-payeur aux infrastructures routières. Les opérateurs ferroviaires s’acquittent bien d’un péage auprès de Réseau ferré de France (RFF) et les bateliers auprès de Voies navigables de France (VNF).

Cette écotaxe répond aux exigences de la directive européenne Eurovignette, que la France a toujours soutenue, ayant même parfois reproché à la Commission européenne de ne pas aller assez loin en matière de péage au bénéfice des infrastructures routières. Conformément aux dispositions de la directive, il convient aujourd’hui de veiller à n’opérer aucune discrimination entre transporteurs français et étrangers.

Pour nous, l’écotaxe, qui est une redevance d’infrastructure, a une vocation environnementale. Elle doit favoriser le report modal. Je rappelle à cet égard que le Grenelle de l’environnement avait fixé un objectif de 25% de transports alternatifs en 2022. Elle doit également donner un « signal prix » sur le transport avec une tarification proportionnelle au kilométrage parcouru, alors que l’actuelle taxe à l’essieu est forfaitaire, et permettre d’améliorer le taux de remplissage des camions, tout en diminuant le nombre de parcours à vide. En Allemagne, trois ans après la mise en place de la LKW Maut (Lastkraftwagen Maut), on constate que les parcours à vide ont diminué de 6 %. Cette taxe doit également servir à financer la réalisation d’infrastructures alternatives à la route et à conduire les travaux d’amélioration de sécurité sur le réseau routier existant. Elle doit enfin permettre de réduire la pollution causée par la circulation des poids lourds.

Elle ne défavorise pas le pavillon routier français puisqu’elle est applicable à tous les poids lourds. Elle permet d’ailleurs de faire payer l’utilisation des infrastructures aux transporteurs étrangers, alors qu’aujourd’hui, ceux d’entre eux qui empruntent le réseau non concédé ne paient pratiquement rien.

J’en viens aux difficultés rencontrées dans la mise en œuvre de l’écotaxe. Celle-ci a pris trop de temps. Alors que la loi, votée en 2008, prévoyait une entrée en vigueur en 2011, la mesure a été par cinq fois reportée ! Peut-être aurait-il fallu lancer l’expérimentation alsacienne plus rapidement.

La communication sur le sujet aussi a été très mauvaise, quels qu’aient été d’ailleurs les gouvernements et les personnes chargée du dossier. Si des réticences se sont fait jour de la part de certains milieux économiques, une grande majorité de nos concitoyens n’est pas défavorable au dispositif. Trop d’informations erronées ont circulé, comme sur la forte augmentation des prix à la consommation qui pourrait en résulter. Le ministère des finances dispose d’une étude restée confidentielle mais qui établit que l’augmentation serait au maximum de 0,1 % ou 0,2 %.

Il faut enfin rappeler que certaines compensations avaient été octroyées par avance aux transporteurs routiers. La taxe à l’essieu a été diminuée en 2009, pour un coût annuel de 100 millions d’euros. La généralisation du 44 tonnes à cinq essieux entraînera une dépense supplémentaire de 400 millions d’euros par an pour l’entretien du réseau routier, selon une estimation réalisée par le Commissariat général au développement durable en janvier 2011. Enfin, le gazole a bénéficié d’une exonération supplémentaire de taxe intérieure sur la consommation de produits énergétiques (TICPE) de 2,5 centimes d’euros par litre lors de la dernière augmentation par les régions de la part régionale de cette taxe. Cette niche fiscale représente un coût de 150 millions d’euros.

Trop d’exemptions et de minorations ont, hélas, été introduites lors du débat parlementaire, pour répondre à des intérêts sectoriels, alors qu’il aurait fallu avec cette écotaxe, adresser un message de solidarité entre régions.

La dénomination d’écoredevance, qui était celle initialement prévue, plus compréhensible, aurait permis que le principe soit mieux accepté. Lorsqu’en 2006, nous avions, avec Gérard Allard, ici présent, assisté aux assemblées générales de l’ensemble des transporteurs routiers, nous avions constaté que s’ils n’approuvaient pas l’institution d’une telle redevance, ils en comprenaient néanmoins le principe et la motivation. Nous avions appelé l’attention du ministère des transports sur les dangers de la dénomination « écotaxe », mais c’était, semble-t-il, une instruction de Bercy.

Dans la situation actuelle, quelles sont nos propositions ? Cela a été souligné lors d’auditions précédentes de votre mission d’information : le dispositif retenu correspond aux objectifs de la France en matière de transports. L’écotaxe n’a pas été bien comprise, mais ce sont certains lobbies qui ne l’acceptent pas, non pas le grand public. La plupart des économistes qui suivent les questions de transport et les grandes centrales syndicales y sont favorables. Ce n’est pas l’intérêt général, mais des intérêts particuliers, qui se sont exprimés dans son refus.

Pour nous, je le répète elle doit être mise en œuvre sans retard, compte tenu des enjeux environnementaux des prochaines années. Nous proposons toutefois quelques aménagements, à même de satisfaire certaines des attentes exprimées. Ainsi pourrait-on envisager une exonération journalière pour les 50 premiers kilomètres parcourus, au moins à titre transitoire. L’entrée en vigueur du dispositif pourrait également être progressive, en s’appliquant d’abord aux camions de plus de 12 tonnes, puis de plus de 7,5 tonnes et enfin de plus de 3,5 tonnes, sachant que la directive fixe pour objectif 3,5 tonnes. Cela nous paraîtrait plus logique que d’octroyer des dérogations régionales, ce qui porte atteinte au principe d’égalité entre les territoires. Il serait possible également de revoir la grille des péages en augmentant, à produit constant, l’écart entre le prix du péage dont s’acquittent les camions à la norme Euro 6 et ceux à la norme Euro 2 ou Euro 3 – ils sont encore nombreux – qui sont les plus polluants. Ce serait une aide indirecte à l’achat de véhicules plus respectueux de l’environnement. Une différence de traitement pourrait également être faite entre les camions de 12 tonnes et ceux de 3,5 tonnes, afin de ne pas pénaliser les transporteurs locaux.

Nous sommes donc convaincus qu’il est possible de mettre rapidement en œuvre l’écotaxe, à condition de s’appuyer sur de larges campagnes d’information à l’intention des acteurs économiques et de la population. Certains acteurs économiques bretons nous ont dit regretter maintenant d’avoir pris position contre une taxe qui aurait pu leur être utile, reconnaissent-ils.

Cette écotaxe, éventuellement aménagée comme je viens de l’indiquer, devra toutefois respecter certains principes. Aucune nouvelle exonération ni minoration ne doit être accordée : ce serait ouvrir une boîte de Pandore. Le niveau de recettes prévisionnel attendu doit être atteint, afin de ne pas amputer le budget de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF), qui commence à avoir des difficultés pour entretenir le réseau. Il faut enfin que le montant de la taxe soit répercuté sur le prix des marchandises transportées, comme prévu dans la loi de juin 2013, de façon à ne pas rogner les marges des transporteurs.

Nous n’avons rien contre le transport routier. Le transport par camion a sa pertinence, en particulier pour les courtes distances. Nous pensons en revanche que la réalité de son coût sociétal doit être prise en compte. La mise en place de l’écotaxe poids lourds est le premier pas, c’est toujours le plus difficile, vers un juste coût du transport et une véritable politique de report modal. Il faut en effet transporter moins, mieux et autrement !

Ayons le courage de prendre les mesures issues hier du Grenelle de l’environnement et, aujourd’hui, du débat national sur la transition énergétique. Traduisons enfin en actes nos engagements maintes fois répétés : l’écotaxe – ou l’écoredevance – en faisaient partie. La France doit accueillir en décembre 2015 la Conférence des parties (« COP 21 ») sur les changements climatiques. Dans cette perspective, elle devrait être exemplaire, et non la lanterne rouge de la fiscalité environnementale en Europe.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. J’ai déjà eu en mains les deux plaquettes d’information que vous m’avez remises, et les ai lues avec attention.

Deux de vos propositions me paraissent tout à fait intéressantes. La première serait d’exonérer les petits trajets. Reste à vérifier qu’une telle mesure est compatible avec la directive Eurovignette et possible sur le plan technique. La deuxième serait de mieux prendre en compte le degré de pollution des camions. Puisqu’il est prévu de distinguer entre trois catégories de poids lourds et comme il existe six degrés identifiés de pollution, il pourrait y avoir près de vingt taux d’écotaxe différents.

J’ai également retenu de votre exposé que c’est à la demande de Bercy que le terme « écotaxe » a été substitué à celui « d’écoredevance » que nous aurions nous aussi préféré. Savez-vous pourquoi le ministère a souhaité ce changement de dénomination ?

M. Philippe Bies. Chacun s’accorde sur la nécessité de trouver une solution permettant de sortir de l’impasse actuelle. L’un des moyens pourrait être d’intégrer cette écotaxe dans le cadre d’un dispositif plus large, avec éventuellement des contreparties.

Le taux de l’écotaxe doit-il être uniforme sur l’ensemble du territoire ou différencié selon les régions ?

Quelles sont vos priorités dans le cadre de la révision de la directive Eurovignette ? Quels nouveaux éléments souhaiteriez-vous voir intégrés dans le futur texte ? Je pense notamment aux coûts d’ordinaire externalisés du transport routier de marchandises.

Mme Sophie Errante. La redevance devait au départ s’appliquer sur un réseau représentant 9 000 kilomètres. Lors de son audition ce matin, le président de l’Assemblée des départements de France nous a indiqué que ne devraient plus être concernés que 5 400 kilomètres. Quel regard portez-vous sur l’assiette de taxation ?

Vous évoquez l’idée d’exonérer les 50 premiers kilomètres. Mais par là, visez-vous les 50 premiers kilomètres d’un trajet plus long ou tout trajet inférieur à 50 kilomètres, ce qui inclurait tous les petits circuits dans une zone donnée ? C’est assez différent.

L’une des préoccupations des transporteurs routiers est que ce soit bien les donneurs d’ordres qui supportent au final le coût de cette écoredevance. Comment s’assurer que tel sera bien le cas ?

Il est effectivement dommage que l’on parle maintenant d’écotaxe et non plus d’écoredevance car c’est bien d’une redevance participative qu’il s’agit. Et il aurait sans doute été plus facile d’obtenir un consensus si les choses étaient vues de la sorte.

Mme Françoise Dubois. Je suis d’accord avec l’essentiel des propositions de France Nature Environnement, notamment l’idée d’alléger le taux de la taxe pour les camions à la norme Euro 6. Je pense moi aussi qu’il ne faut plus tarder à mettre en œuvre cette écotaxe. Il est grand temps ! Les acteurs concernés doivent comprendre qu’à un moment, il faudra bien y venir. La population ne comprendrait pas qu’il en aille autrement, sans parler même de la réaction de nos amis écologistes.

L’idée a été émise que l’écotaxe puisse être refacturée aux clients. Qu’en pensez-vous ?

Mme Joëlle Huillier. Les fédérations de transporteurs nous signalent que fleurissent maintenant dans notre pays des camions de 3,5 tonnes en provenance de l’étranger, qui viennent pour faire du transport sur de petits trajets. Que faudrait-il faire pour enrayer ce phénomène ?

M. Jean-Pierre Gorges. Afin d’éviter toute ambiguïté, je précise d’emblée que je suis favorable au dispositif, dont j’avais voté le principe.

Cela étant, je ne suis pas certain qu’on s’y soit pris de la bonne manière. Ce que l’on souhaite, c’est favoriser les comportements écoresponsables. Dans ma région, la Beauce, des milliers de tonnes de céréales partent pour être transformées ailleurs. S’il existait des industries de transformation sur place, non seulement il y aurait plus d’activités dans notre région, mais on ferait beaucoup d’économies de temps et d’argent, tout en évitant de la pollution.

Chacun s’accorde sur le fait que c’est le client final qui doit supporter le coût de cette taxe. Il faut éduquer les jeunes dès leur plus jeune âge au coût respectif des différents modes de transport.

Que le principe utilisateur-payeur soit désormais reconnu par tous constitue déjà un énorme progrès. Il serait d’ailleurs mauvais à cet égard que le produit de la taxe soit versé au budget de l’État pour être ensuite redistribué selon des critères mal connus. Mieux vaut que cette ressource soit affectée.

D’autres choix auraient pu être faits concernant le réseau où s’appliquera la taxe, y compris avec l’outil existant. Reste aussi le débat sur le fait de savoir si la collecte de la redevance doit être confiée à des entreprises privées ou rester sous contrôle de l’Etat. La taxe devrait aussi être ramenée au plus près du produit. Chacun sait que la fiscalité influe sur les comportements. Si on fixe le seuil de taxation à 12 tonnes, on verra fleurir les camions d’un tonnage inférieur – les étrangers seront les premiers à en fabriquer. Si on taxe selon le degré de pollution, les utilisateurs s’adapteront aussi. Il y aura toujours des moyens de contourner la loi. C’est pourquoi je me demande si on ne regarde pas les choses par le petit bout de la lorgnette. Il va être très difficile de remettre en place le dispositif prévu, face à une profession qui se sent montrée du doigt. Si on acceptait de traiter le problème de manière plus globale, on constaterait peut-être qu’un autre système serait préférable. Qu’en pensez-vous ?

M. Michel Dubromel. Nous parlions, nous, au départ d’écoredevance, sur le modèle de la RPLP suisse ou de la LKW Maut allemande, dont le principe avait d’ailleurs été bien compris lors du Grenelle de l’environnement. L’explication fournie par Bercy sur le changement de dénomination en « écotaxe » est que le produit d’une redevance est nécessairement affecté à l’usage pour lequel elle a été prélevée. En l’espèce, la redevance est acquittée par les transporteurs routiers pour permettre le financement d’infrastructures de transport routier mais aussi alternatif, ce qui n’autoriserait pas à parler stricto sensu de redevance. C’est certes exact sur le plan juridique, mais c’est dommage sur le plan symbolique. Redevance aurait été mieux comprise.

M. Gérard Allard, coordonnateur du réseau « Transports et mobilité durables » de France Nature Environnement. L’écart entre la redevance acquittée par les camions à la norme Euro 6 et celle acquittée par les plus polluants est actuellement de 35%. La directive Eurovignette permet de le porter à 100%. Lors de la transposition de la directive Eurovignette 3, nous avions suggéré des amendements, tendant notamment à différencier le prix des péages autoroutiers selon les mêmes critères, le tout à recettes constantes – si on augmentait les péages pour les camions à la norme Euro 3 et en-dessous, les péages pour les camions à la norme Euro 5 ou Euro 6 devaient corollairement diminuer d’autant. Cela aurait incité les transporteurs à s’équiper de véhicules les moins polluants. Ce serait selon nous une meilleure solution que d’accorder une aide directe à l’investissement, et ce serait sans doute moins coûteux pour le budget de l’État.

Certains pensent qu’il faudrait appliquer l’écotaxe sur le réseau autoroutier également. Or, lorsque les transporteurs s’acquittent d’un péage sur autoroute, ils paient déjà pour l’utilisation de l’infrastructure. On ne peut pas leur faire payer une taxe supplémentaire. En revanche, si on veut faire contribuer davantage le transport routier parce que les camions usent beaucoup plus les chaussées, on peut porter de 3 à 3,5 le coefficient multiplicateur entre le péage acquitté par les véhicules légers et celui acquitté par les poids lourds.

Pour nous, le taux de la taxe doit être uniforme sur l’ensemble du territoire. Sinon cela suscite des incompréhensions. Les régions Pays de Loire ou Basse-Normandie se sont d’ailleurs interrogées sur le traitement privilégié réservé à la Bretagne. Les péages de RFF pour les trains de marchandises ne sont pas inférieurs en Bretagne à ce qu’ils sont ailleurs !

Répercuter le prix de la taxe sur les marchandises paraît une bonne idée, mais outre qu’elle serait difficilement applicable, elle serait tout aussi difficile à faire accepter, car cela serait perçu comme une augmentation de la TVA sur le transport. Nous sommes attachés, nous, à la redevance d’usage, sur le modèle de ce qui s’est fait dans les autres pays européens.

L’idée a aussi été formulée de faire reposer la taxe sur les émissions de CO2. Pour nous, les externalités devraient être prises en compte au travers de la contribution climat-énergie, qui sera applicable en 2015. Il ne faudra pas en exonérer les transporteurs routiers, car la mesure perdrait sinon tout son sens. Nous avons, hélas, des craintes à ce sujet. Pour l’instant, nous défendons la redevance d’usage kilométrique. La directive Eurovignette 3 exige que soient prises en compte les externalités comme la pollution atmosphérique ou les nuisances sonores, et il le faudra. La France avait d’ailleurs défendu avec force cette position – on se souvient du combat de Dominique Bussereau lors de la présidence française de l’Union. Mais commençons par faire entrer en vigueur la redevance d’usage kilométrique.

Quelle doit être l’assiette de taxation ? Des exonérations de certaines parties du réseau national, dites à faible fréquentation, ont été accordées. Des parties de ce réseau se situent dans des régions sensibles sur le plan environnemental : ainsi beaucoup de routes nationales ont-elles été exonérées en montagne, mais la RN 164 en Bretagne l’a été également, alors même que le trafic y est élevé et qu’elle doit bientôt être modernisée. Qui financera cette modernisation ? En partie l’AFITF, qui escomptait retirer des recettes de l’écotaxe. C’est ici que les contradictions apparaissent au grand jour.

L’idée a également été formulée d’exonérer certains véhicules ou certaines marchandises. Le Parlement a ainsi décidé d’exempter les véhicules des collectivités ou encore les camions transportant du lait. Il paraît difficile de prévoir de telles exonérations par filières car avec le dispositif actuel, comment distinguer un camion transportant une denrée alimentaire ou du matériel électroménager ? C’est donc là une autre fausse bonne idée.

Certains pensent qu’il faudrait réduire le montant de la taxe, aujourd’hui estimé à 12-13 centimes par véhicule/kilomètre. Pour un camion chargé à 20 tonnes, cela fait 0,7 centime par tonne/kilomètre. Le péage moyen qu’appliquera RFF en 2015 est d’un centime par tonne/kilomètre. La redevance poids lourds n’est donc pas si élevée qu’il pourrait y paraître. Il faudrait toutefois adresser un signal aux transporteurs locaux, en revoyant la fourchette pour les camions de 3,5 à 12 tonnes.

Il faut être attentif aux effets de seuil, les transporteurs ont alerté sur ce point. Cet effet de seuil a été constaté en Allemagne au moment de l’entrée en vigueur de la taxe. Le seuil avait été fixé à 12 tonnes, comme le permettait la directive Eurovignette : les immatriculations de camions de 10 tonnes ont augmenté de 50% ! Un excellent rapport européen détaille les avantages et les inconvénients respectifs d’une tarification kilométrique par rapport à une vignette annuelle ou journalière. Le dispositif en vigueur en Belgique s’apparente à notre taxe à l’essieu, mais à un niveau de trois à quatre fois supérieur à la taxe applicable en France, où elle est au niveau minimal imposé par la réglementation européenne. Pour notre part, nous donnons la préférence à une taxe kilométrique plutôt qu’à une taxe à l’essieu ou à une taxe annuelle.

Nous proposons d’exonérer les 50 premiers kilomètres, qu’il s’agisse du début d’un parcours plus long ou d’un court trajet journalier. La directive Eurovignette prévoit la possibilité d’exonérer certains petits parcours, mais il faut démontrer que les coûts de perception seraient supérieurs à la recette.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Nous le démontrerons.

M. Michel Dubromel. Pourrait-on intégrer l’écoredevance dans un dispositif plus général ? La situation du secteur du transport routier de marchandises nous inquiète. J’ai parlé avec de nombreux professionnels, qui étaient d’ailleurs surpris de voir le responsable d’une association écologiste s’inquiéter du bilan financier de leurs entreprises. On a accusé l’écotaxe de tous les maux alors qu’elle n’était pas encore entrée en vigueur ! Les difficultés du secteur lui sont bien antérieures. Songeons à la faillite du transporteur Mory Ducros, qui emploie quelque cinq mille salariés. L’entreprise n’arrive pas à s’en sortir, et ce n’est pas l’écotaxe qui explique comment elle en est arrivée là !

Il faut faire évoluer le transport routier, mais pas en l’assistant sous perfusion. Il faut lui ouvrir des perspectives d’avenir. Nous essayons depuis plusieurs années de convaincre certaines fédérations de se tourner vers le métier beaucoup plus rentable, attendu des producteurs locaux, de la logistique urbaine. Nous avons édité une plaquette d’information sur le sujet, dont le principal diffuseur est d’ailleurs la FNTR. Si les transporteurs sont prêts à évoluer en ce sens, c’est aussi qu’ils souffriront moins de la concurrence que sur les longs parcours. Adressons-leur un signal et aidons-les à se réorienter vers ce nouveau métier. Il serait beaucoup plus logique de les accompagner dans cette évolution plutôt que de les placer sous perfusion.

Si la directive européenne change sa dénomination d’Eurovignette en Eurotoll, c’est parce qu’on doit en finir avec la vignette forfaitaire encore en vigueur en Angleterre ou en Belgique pour passer à une tarification kilométrique. La nouvelle directive devrait également laisser plus de marges manœuvre aux États pour en adapter les dispositions aux contextes nationaux.

En Suisse, il a été décidé, après une votation dont le résultat a été sans appel, que la taxe s’appliquerait sur l’ensemble du réseau. Les transporteurs et les chargeurs avaient combattu le projet et formulé des contre-propositions. Bien que la taxe soit aujourd’hui en vigueur sur l’ensemble du réseau, le transport routier se porte, que je sache, à merveille en Suisse. Il y certes eu des mesures d’accompagnement, mais, on le voit, une mesure contraignante n’a pas été pénalisante pour l’activité économique.

Nous ne sommes pas favorables à une redevance pour une redevance, dont en général pâtissent ceux qui sont le plus en difficulté. Nous pensons que des mesures d’accompagnement sont nécessaires. La situation d’une entreprise comme Mory Ducros mérite à coup sûr d’être regardée de près, et on ne peut certainement pas dire à cette entreprise qu’il faudra seulement payer davantage !

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Pour nous, l’exonération d’écotaxe pour les 50 premiers kilomètres se justifiait car pour les petits trajets, il n’y a pas de report modal possible. Votre proposition est différente en ce qu’elle concerne aussi les longs trajets. Vous paraît-il envisageable, dans le respect de la directive européenne, d’exonérer non pas les 50 premiers kilomètres, mais plutôt les petits trajets ?

M. Gérard Allard. Tout dépend de ce qu’on entend par un « petit trajet ». Si c’est 10 ou 15 kilomètres, cela mérite d’être examiné mais pas s’il s’agit, comme le souhaiteraient certaines fédérations de transport routier, de n’appliquer l’écotaxe que sur les trajets pour lesquels un report modal est possible, soit parfois 300 kilomètres. Le plafond de 150 kilomètres, qui a parfois été évoqué, ne me paraît pas compatible avec la directive. Des transports passifs sont possibles sur des distances de 50 à 80 kilomètres. Je pense à une carrière près de Laval dont les pierres et granulats sont transportés sur une plate-forme de distribution au Mans, à 70 kilomètres donc, par voie ferroviaire. Avec un train par jour de 1 200 tonnes de granulats, quelle économie d’émissions de CO2 mais aussi pour l’entretien des routes ! Non seulement exonérer 100 kilomètres journaliers ne parait pas compatible avec la directive, mais nous pensons que ce ne serait pas opportun. Il faut adresser un signal clair. N’exonérer que les 50 premiers kilomètres par jour présente en outre l’avantage d’éviter toute discrimination entre transporteurs locaux et étrangers. En effet, l’exonération des petits trajets pourrait être perçue comme un avantage donné aux transporteurs locaux.

Mme Sophie Errante.  Ne serait-il pas intéressant de prévoir une marche à blanc pendant un trimestre par exemple, de façon à avoir une idée précise de l’incidence de l’écotaxe et des montants en jeu ? Car on entend vraiment dire tout et n’importe quoi.

M. Gérard Allard. C’est possible pendant deux ou trois mois. Cela ne pose aucune difficulté et cela serait même utile – à condition qu’il soit clair qu’on ne reviendra pas en arrière sur la mise en œuvre du dispositif. En Allemagne, la mise au point de la taxe a pris deux à trois ans, et l’homologue allemand d’Ecomouv’, dont Cofiroute était actionnaire, a d’ailleurs dû régler de lourdes pénalités.

On pourrait commencer par faire payer les camions de plus de 12 tonnes, et prévoir un calendrier précis pour le passage aux plus de 7,5 tonnes – palier retenu pour la ristourne de cinq centimes par litre de gazole –, l’objectif restant bien sûr que, conformément à la directive, tous les véhicules de plus de 3,5 tonnes s’acquittent de la taxe. En Allemagne, seuls les camions de plus de 12 tonnes y sont aujourd’hui assujettis, mais cette dérogation, sollicitée par le pays, n’est que transitoire.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Messieurs, il me reste à vous remercier pour cet échange très fructueux.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur l'écotaxe poids lourds

Réunion du mercredi 22 janvier 2014 à 18 heures

Présents. - M. Philippe Bies, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Alain Claeys, Mme Françoise Dubois, Mme Sophie Errante, M. Jean-Pierre Gorges, M. Jean Grellier, Mme Joëlle Huillier

Excusés. - M. Xavier Breton, Mme Viviane Le Dissez, M. Bertrand Pancher, M. Jean-Marie Sermier