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Mercredi 12 février 2014

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 14

Présidence M. Jean-Paul Chanteguet, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Daniel Bursaux, directeur général des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM), Mme Anny Corail, responsable de la mission taxe poids-lourds (MTPL) aux Douanes, Mme Anne Debar, sous-directrice des transports routiers, M. Antoine Maucorps, chef de la mission de tarification, et M. Olivier Quoy, adjoint au chef de la mission de tarification   2

Mission d’information
sur l’écotaxe poids lourds

M. le président et rapporteur Jean-Paul Chanteguet. Mes chers collègues, nous accueillons, ce matin, M. Daniel Bursaux, directeur général des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM), accompagné de Mmes Anny Corail, responsable de la mission taxe poids-lourds (MTPL) aux Douanes et Anne Debar, sous-directrice des transports routiers, ainsi que de MM. Antoine Maucorps, chef de la mission de tarification, et Olivier Quoy, adjoint au chef de la mission de tarification.

Il serait possible, monsieur le directeur général, de vous appeler « Monsieur écotaxe » !

En effet, à la tête de la DGITM depuis 2008, vous avez connu toute la période allant de la naissance de la taxe au titre du Grenelle de l'environnement à sa conception pratique et aux discussions actuellement conduites avec Écomouv' sur les incidences de la décision de suspension.

Vous le constaterez, notre mission commence à avoir une assez bonne connaissance de la chronologie. Vous entendre nous permettra toutefois de compléter utilement notre information : je pense aux travaux conduits par la mission de tarification, d'ailleurs toujours active. Vous nous direz ce qu'elle a fait, selon quelles approches et quelles méthodes, et vous nous ferez part des difficultés qu’elle a éventuellement rencontrées.

Autre interrogation : quelle a été exactement la mission confiée à M. Claude Abraham, ingénieur général honoraire des Ponts et Chaussées ? Son travail a-t-il fait l'objet d'un certain consensus s’agissant du principe de la répercussion de l'écotaxe sur les chargeurs ? En lisant des déclarations de M. Abraham, telles que rapportées par la presse spécialisée, il semble n'avoir envisagé, à titre personnel, une mise en œuvre de cette répercussion que pour les premières années de prélèvement de l'écotaxe. Au-delà d'une période temporaire, M. Abraham aurait privilégié la suppression de ce mécanisme afin que l'écotaxe devienne un élément du coût du transport au même titre que le gazole.

Les principes de répercussion et de majoration forfaitaire énoncés par le dernier décret de 2013 doivent-ils être considérés comme gravés dans le marbre ? Ou des évolutions sont-elles possibles, par exemple dans le cadre d'un comité de suivi ? Je vous pose la question car vos services négocieraient toujours avec certains transporteurs qui estiment impossible de pratiquer cette répercussion vis-à-vis de leurs clients. Je pense à la situation d’entreprises de la messagerie express comme DHL, Fedex ou encore UPS.

Plus généralement, il apparaît que les conditions de mise en œuvre de l'écotaxe ont souffert d'un défaut de communication. M. Castellucci, administrateur délégué de la société Autostrade per l’Italia, l'actionnaire principal d'Ecomouv', a spontanément évoqué ce point devant nous lorsque nous l’avons auditionné. Cette lacune a permis à certains milieux de diffuser une désinformation d'autant plus tenace qu'elle joue souvent sur des fantasmes !

Par ailleurs, des interlocuteurs de la mission ont fait état du caractère extrêmement prescriptif du cahier des charges concernant le système de contrôle et de collecte. Il nous a été affirmé que des modifications importantes du « guide des procédures » étaient intervenues, non pas dans la phase du dialogue compétitif, mais plusieurs mois après l'attribution du contrat à Ecomouv' !

Ces points ont, bien évidemment, retenu l'attention de la mission.

Vous pourrez également nous expliquer comment il a été possible de concilier des impératifs purement techniques de la conception du système avec les exigences réglementaires de la Douane.

M. Daniel Bursaux, directeur général des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM). La mission de tarification a été mise en place lors de la réorganisation du ministère de l’écologie, du développement durable et de l'énergie (MEDDE) en 2008 : elle est dirigée par M. Antoine Maucorps, qui a été désigné en plein accord avec le directeur général des Douanes et droits indirects. Il a pour adjoint, à la DGITM, M. Olivier Quoy, et à la direction générale des Douanes et droits indirects, Mme Anny Corail. Si la mission a pour siège la DGITM, cette structure technique, dont j’assume le contrôle hiérarchique, est donc interministérielle, ses travaux ayant été co-pilotés par les deux directions générales.

Tous les services concernés de l’État se sont penchés sur la genèse de ce projet et ont assuré son suivi. Outre que celui-ci est le fruit de textes législatifs, il a été l’objet de la part des ministères de nombreux décrets et arrêtés. De plus, d’autres services de l’État que la DGITM et la DGDDI ont été associés à différentes phases du projet : je pense notamment à la direction du budget et à la direction de la législation fiscale, sans oublier les forces de police et de gendarmerie, puisque des contrôles devront être effectués. Je tiens enfin à rappeler que la justice administrative a également eu à se prononcer dans le cadre d’un recours.

Le caractère prescriptif du cahier des charges répond au fait qu’il s’agit d’une taxe douanière : des garanties doivent donc être données à ceux qui y seront soumis. Une des prescriptions vise à rendre le taux d’erreur en défaveur des redevables statistiquement très faible – de l’ordre de un pour 1 million – en vue d’éviter, autant que faire se peut, les tarifications erronées sur les 8 millions de contrôles qui pourront être effectuées chaque jour – l’erreur ne portant que sur quelques centimes d’euro ! Nous tenions à éviter, lors de la mise en service du dispositif, tout risque de contestation. De même, lors de leurs passages aux points de contrôle, les transporteurs ne doivent pas être accusés à tort de ne pas avoir mis en fonction leur équipement embarqué. Les prescriptions sont moins exigeantes lorsque le transporteur passe mais ne paie pas.

Nous nous sommes montrés également très prescriptifs en matière d’interopérabilité, qui est un des enjeux du projet dans le cadre de la directive Eurovignette. Le dispositif est compatible avec les équipements embarqués des opérateurs de télépéage, ce qui n’a pu que concourir à rendre encore plus complexe le système Ecomouv’.

Mme Anne Debar, sous-directrice des transports routiers. Dès l’adoption de la loi Grenelle, en 2009, le principe d’un mécanisme de répercussion de l’écotaxe des transporteurs sur leurs clients a été établi de façon à permettre à l’écotaxe de jouer pleinement son rôle d’instrument de fiscalité écologique sans alourdir les charges des transporteurs. C’est dans ce cadre que mission a été confiée à M. Abraham d’associer étroitement tous les acteurs, à savoir les organisations de transporteurs et les représentants des chargeurs.

À l’issue de ces travaux qui ont pris un peu plus de trois ans, trois méthodes ont été mises au point pour assurer cette répercussion. La première s’appuie sur les bases réelles et les deux autres sur des bases forfaitaires. Il était en effet très difficile dans un cadre commercial de trouver le bon moyen de répercuter cette nouvelle taxe sur les chargeurs. Le décret, de par la complexité intrinsèque du dispositif, ayant fait l’objet de vives oppositions de la part des professionnels, le chantier a été rouvert par le Gouvernement dans le cadre d’une nouvelle concertation, en vue de simplifier et de sécuriser le dispositif, seule façon de le rendre non négociable dans les relations entre les transporteurs et leurs clients et de l’étendre à toutes les opérations de transports – l’universalité du dispositif est une demande très forte des acteurs du transport. Ces trois principes que sont la simplification, la sécurisation et l’universalité ont conduit à adopter dans le cadre de la loi de mai 2013 un nouveau dispositif plus simple, celui de la majoration forfaitaire des prix de transport.

M. Daniel Bursaux. Je pense, comme M. Abraham l’a dit dans un entretien, que la répercussion est consubstantielle au dispositif, du moins dans sa phase de démarrage : il était logique, pour le législateur, de permettre aux transporteurs de répercuter cette nouvelle taxe sur les chargeurs, afin de combler la hausse du coût du transport qu’elle provoque. À long terme, il est possible d’imaginer que ce coût, au même titre que les péages autoroutiers, finisse par être intégré au prix du transport. Il faut toutefois attendre la mise en place du système pour le savoir.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Il nous a été indiqué que la dénomination écoredevance n’a pas été retenue dans la mesure où la totalité du produit de l’écotaxe n’est pas affectée aux routes. Est-ce vrai ?

M. Daniel Bursaux. Oui. D’une part, seuls les véhicules de transport de marchandises y sont assujettis, et non l’ensemble des usagers de la route ; d’autre part, le produit de la taxe n’est pas exclusivement affecté à l’entretien du réseau routier. Il s’agit donc bien d’une taxe douanière, appelée à l’origine taxe poids-lourds.

M. Joël Giraud. Pourquoi l’État a-t-il opté pour un opérateur qui à la fois réalise les équipements et perçoit la taxe ? Quels sont les obstacles techniques à la séparation de ces deux missions – une mission d’ingénierie et une mission régalienne – qui sont par nature tout à fait différentes ? Un retour en arrière se révélerait-il coûteux pour l’État ? En Suisse, la douane perçoit la taxe poids-lourds. En Allemagne, la compagnie Toll Collect est une société de droit privé à capitaux d’État basé à Berlin dans les locaux du ministère fédéral des finances. Le dispositif autrichien ASFINAG est équivalent.

Quant à l’interopérabilité, je rappelle l’existence du système TOLL2GO entre l’Allemagne et l’Autriche : nous dirigeons-nous nous aussi vers une interopérabilité totale ?

Par ailleurs, la direction des douanes a-t-elle été associée au cahier des charges de l’appel d’offre ? Comment a-t-elle suivi la mise en œuvre du dispositif ?

Je continue en outre à ne pas comprendre pourquoi le dispositif français a prévu d’exonérer les autoroutes. En Europe, le dispositif, qui taxe prioritairement les autoroutes et, en Allemagne et en Autriche, les Schnellstraßen, est relativement simple : il prévoit, pour les faibles tonnages, le paiement d’une vignette et, pour les tonnages plus importants, le recours à un dispositif embarqué interopérable entre l’Allemagne et l’Autriche. Ce dispositif global permet de calculer la taxe à l’essieu et la LKW Maut, en fonction de la distance parcourue et de la pollution émise, alors que, je tiens à le rappeler, dans le cadre du dispositif choisi en France, les camions qui vont de Turin à Barcelone par autoroute ne paieront pas l’écotaxe. Est-ce parce que les autoroutes françaises sont payantes ? Les autoroutes autrichiennes ne sont pas gratuites : il faut payer une vignette pour les emprunter et, en Allemagne comme en Autriche, les poids-lourds devaient eux aussi s’acquitter d’une vignette avant l’introduction du système global actuel, qui me paraît vertueux. Pourquoi ne pas avoir fait le même choix en France ?

M. Daniel Bursaux. Séparer l’équipement et la perception de la taxe nous paraissait être une source de complexité, car l’État aurait dû assumer la mise en place et la maintenance d’un système informatique de contrôle et de suivi satellitaire. C’était également prendre le risque, en cas de dysfonctionnement, d’un renvoi de responsabilités entre le gestionnaire et l’opérateur.

Par ailleurs, monsieur Giraud, les dispositifs allemand et autrichien sont intégrés – il en est de même du dispositif tchèque. Il est vrai que le système allemand a évolué, mais la société responsable de la collecte est toujours de droit privé. Quant au système autrichien, il a été racheté par l’État, alors qu’il avait été mis en place par une entreprise privée.

Le choix d’un dispositif intégré me paraît avoir été le bon : c’est du reste la solution retenue dans les principaux pays que j’ai évoqués.

Quant à l’interopérabilité, latitude est donnée aux sociétés habilitées de télépéage (SHT) qui le souhaitent de payer l’écotaxe avec le TIS-PL qui sert à acquitter le péage des autoroutes – c’est une véritable innovation qui ne peut que faciliter la vie des transporteurs.

Si nous avions fait le choix de la vignette – les Allemands ne l’ont pas fait –, son calcul aurait dû se faire tous réseaux confondus, ce qui aurait impliqué la création d’une caisse de compensation pour les transporteurs utilisant alternativement le réseau autoroutier, qui est payant, et le réseau routier gratuit : le dispositif aurait été très complexe.

M. Joël Giraud. Tel est le cas en Autriche en deçà de 3,5 tonnes.

M. Daniel Bursaux. En France, les camions ne seront pas taxés en dessous de 3,5 tonnes.

M. Joël Giraud. Ce qui me choque, c’est que les camions qui empruntent le réseau autoroutier ne seront pas taxés.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Toll Collect est une entreprise privée dont les trois actionnaires sont Daimler et Deutsche Telekom à hauteur de 45 % chacun et Cofiroute à hauteur de 10 %. C’est donc une société de droit privé avec des actionnaires privés.

M. Daniel Bursaux. Quant au dispositif autrichien, il a été mis en place par un prestataire privé : constatant qu’il fonctionnait de manière satisfaisante, le gouvernement autrichien a fait le choix de le racheter.

Je rappelle que le réseau autoroutier français non concédé sera taxé – je pense notamment à l’Île-de-France. L’alternative est donc bien la suivante : péage sur le réseau autoroutier concédé et taxe poids-lourds sur le réseau autoroutier non concédé ainsi que sur une grande partie du réseau routier national.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Le péage étant une redevance d’infrastructure, il conviendrait, s’agissant des autoroutes concédées, d’intégrer dans le dispositif les externalités liées à la pollution atmosphérique, au bruit ou à la congestion.

M. Daniel Bursaux. La directive Eurovignette III l’autoriserait. Si nous n’avons pas intégré cette possibilité dans le dispositif, c’est que nous espérions que celui-ci fonctionnerait dans un premier temps tel que nous l’avions imaginé. Mais le système Ecomouv’ permet d’envisager de telles extensions.

M. Philippe Duron. Je tiens tout d’abord à rappeler que c’est le législateur qui a décidé que les transports relèvent de recettes affectées. La privatisation des sociétés d’autoroutes était primitivement destinée à financer l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) : nous sommes aujourd'hui contraints de nous diriger vers d’autres solutions.

Il fallait par ailleurs donner un signal-prix aux chargeurs pour les inciter à emprunter d’autres modes de transports : tel est un des objectifs de l’écotaxe, qui découle de différentes dispositions européennes.

L’écotaxe ayant fait l’unanimité de l’Assemblée nationale, je tiens, monsieur le directeur général, à vous faire part de mon estime dans ce moment difficile où vous devez répondre à de nombreuses questions, tant au Sénat qu’ici, à l’Assemblée nationale, alors que vous n’avez fait que mettre en œuvre une décision politique dont nous sommes tous responsables.

J’en viens à la comparaison entre un mode de perception du type écotaxe ou péage urbain tel qu’il est pratiqué à Londres avec d’autres modes plus classiques : votre expérience vous permet-elle d’envisager un mode de perception moins onéreux pour l’usager ou pour la collectivité ?

La semaine dernière, nous avons adopté le budget de l’AFITF : l’exercice a été d’une grande complexité puisqu’il a fallu deux mois pour trouver une solution équilibrée. Ce budget est, sinon a minima, du moins de transition : il ne permet ni de lancer le troisième appel à projet Transports collectifs en site propre (TCSP) ni de prévoir les financements des nouveaux contrats de plan. Quel sera à vos yeux l’avenir du financement des infrastructures si l’écotaxe n’est pas rétablie ?

À quels aménagements du contrat écotaxe serait-il, selon vous, juridiquement possible de procéder sans que l’État soit mis en demeure de verser des indemnités au concessionnaire ? Est-il possible de modifier le périmètre de l’écotaxe, d’alléger momentanément sa perception, voire de rééquilibrer, comme cela s’est fait en Allemagne, l’affectation des recettes en faveur de la route ? En Allemagne, alors que les recettes allaient pour 60 % à la route et pour 40 % aux modes de transport alternatifs, l’agence allemande en perçoit aujourd'hui la totalité. Vous connaissez l’état du réseau routier français : est-il souhaitable de conserver la répartition actuellement prévue – 70 % pour la route et 30 % pour les autres modes de transports ? Une modification de la répartition en faveur de la route ne permettrait-elle pas de rendre la taxe plus acceptable ?

M. Daniel Bursaux. Je vous remercie de vos propos liminaires, monsieur le député. J’ai rappelé hier au Sénat que le dossier de l’écotaxe répondait en effet à une commande politique forte et insistante. J’avais également la conviction qu’il fallait introduire une taxe pour assurer la politique française des transports, les recettes budgétaires étant de plus en plus contraintes : c’est pourquoi il convenait de trouver un moyen pérenne pour alimenter l’AFITF et, plus généralement, construire des équipements neufs et assurer la maintenance du réseau, dont chacun, ici, connaît l’état. Alors que le réseau autoroutier allemand tombait en ruine, l’introduction de la LKW Maut a permis d’entreprendre des travaux de remise en état et d’élargissement phénoménaux, si bien que la qualité du réseau autoroutier allemand est appelée à dépasser à plus ou moins court terme celle du réseau français.

S’agissant d’autres modes éventuels de perception, la vignette paraissait le plus simple. Toutefois, compte tenu des contraintes européennes, il n’était pas possible de prévoir des recettes équivalentes à celles que nous attendons de l’écotaxe. Nous risquions de plus, comme les Polonais, de nous retrouver confrontés à la difficile question de la mise en place de caisses de compensation. Il était également possible d’envisager un système déclaratif, notamment du nombre de kilomètres parcourus par les poids-lourds sur l’ensemble du réseau. Or tout le réseau n’étant pas taxé, il convenait alors de prévoir l’instauration d’un suivi satellitaire ou de tout autre suivi. C’est la raison pour laquelle nous avons abandonné ces deux hypothèses. Nous avons alors demandé aux entreprises de choisir entre un suivi satellitaire et un système de péage à ondes courtes : toutes les entreprises qui ont répondu ont choisi le suivi satellitaire.

Certes, les crédits de paiement accordés à l’AFITF pour 2014 doivent permettre de couvrir l’essentiel des engagements qui ont été pris, mais, comme le montant des autorisations d'engagement est très faible, si la situation devait perdurer, elle affecterait dès 2015 la modernisation et l’amélioration des réseaux de toutes natures : routiers, fluviaux et ferroviaires.

M. Philippe Duron. Nous avons mangé tout le fonds de roulement ! Il ne sera donc pas possible de reconduire en 2015 le budget qui a été adopté pour 2014.

M. Daniel Bursaux. Si la décision de ne pas geler l’ensemble de mon programme a permis de dégager un allongement budgétaire en vue de réalimenter l’AFITF, toutefois, les deux ministres concernés l’ont rappelé : en l’absence de recettes supplémentaires – je pense notamment à la taxe poids-lourds – nous sommes conduits à nous interroger sur le financement des contrats de plan 2014-2020 entre l’État et les régions.

Vous avez également eu raison d’évoquer les incertitudes pesant sur le troisième appel à projet des transports collectifs en site propre en région, qui aurait pu être annoncé à la fin de l’année dernière ou au début de cette année. Comment, compte tenu des recettes prévisibles, conseiller à l’heure actuelle au ministre ou au président de l’AFITF de prendre des engagements en la matière ?

Sur la question des possibles aménagements du contrat avec Ecomouv’, sans prendre position, je peux tout d’abord citer la consistance du réseau routier taxable : le contrat permet de l’étendre ou de le réduire. Le tonnage minimal peut également être modifié, avec la réserve suivante : le système de contrôle, qui repose sur une reconnaissance de formes – d’où la présence des portiques –, est conçu pour reconnaître les véhicules de plus de 3,5 tonnes. Il conviendrait alors, sans que cela puisse être considéré comme une sortie du contrat, de négocier avec Ecoumouv’ toute adaptation du système à la reconnaissance d’un autre tonnage. Le montant unitaire de la taxe peut, quant à lui, être modifié du jour au lendemain : il suffit de changer le multiplicateur. Enfin, s’agissant du rééquilibrage entre le rail et la route, je tiens à rappeler que l’écotaxe devait rapporter à l’État entre 800 millions et 850 millions d’euros, suivant l’évolution du trafic : c’est bien moins que les crédits affectés annuellement au fonctionnement du système routier. Il est tout à fait possible d’affecter très majoritairement les recettes de la taxe à la route.

M. Marc Le Fur. Le rapport Abraham évoquait les modalités de la répercussion de l’écotaxe sur les chargeurs, tout en précisant que cette répercussion était momentanée. Pourrions-nous disposer de ce rapport ? Je n’en ai pas eu connaissance.

M. Daniel Bursaux. Je vous le ferai parvenir, monsieur le député.

Je tiens toutefois à préciser que ce rapport ne préconisait pas de rendre momentanée la répercussion : c’est M. Abraham qui a suggéré, à titre personnel, qu’il était possible d’imaginer l’abandon de la répercussion à plus ou moins long terme.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Il a émis cette hypothèse au cours d’un entretien avec la presse.

M. Marc Le Fur. Il n’y aura dette de l’État à l’égard d’Ecomouv’ que lorsque le système aura été réceptionné. Vous l’avez rappelé : le vrai problème de la réception, c’est la qualité des transmissions entre le système et les transporteurs, en vue d’éviter toute erreur de calcul. Or nous avons auditionné Ecomouv’ ainsi qu’un transporteur qui avait participé à une marche à blanc : si, pour Ecomouv’, le système fonctionne, tel n’est pas l’avis du transporteur concerné Est-il possible, monsieur le président, d’organiser une confrontation entre Ecoumouv’et les transporteurs ? Il conviendrait également d’auditionner les représentants des SHT, qui assurent la relation entre Ecomouv’ et les transporteurs.

Monsieur Bursaux, quand sera-t-il possible de procéder à la réception du dispositif ?

M. Daniel Bursaux. Toutes les SHT sauf une ont validé les résultats de l’expérimentation.

Quant au cas breton que vous avez évoqué – je l’ai identifié –, il semblerait que la SHT ait fourni des boîtiers à des véhicules qui n’avaient pas été correctement enregistrés – les services de la Douane procèdent actuellement aux vérifications nécessaires.

Les résultats de la marche à blanc qui nous sont parvenus sont bons. Je rappelle qu’elle a concerné 10 000 véhicules, dont un petit nombre seulement a recouru aux services des SHT. La société Ecomouv’ a rendu son rapport de vérification de service régulier (VSR) : l’État a deux mois, c'est-à-dire jusqu’au 17 ou 18 mars prochains, pour rendre son avis sur cette phase.

M. Marc Le Fur. Lors de l’examen du projet de loi portant diverses dispositions en matière d'infrastructures et de services de transports, nous avons débattu de différentes exceptions, portant notamment sur le transport du lait. Est-il vrai qu’une exception au bénéfice des forains a été ajoutée – nous n’en avions pas débattu à l’Assemblée nationale ?

Par ailleurs, pouvez-nous nous dire, en tant que responsable de l’ensemble du système de transports, si des progrès ont été réalisés en direction du multimodal ? Qu’en est-il du fret ferroviaire ? Est-il vrai qu’il continue de décliner ?

Les Britanniques sont également sur le point de mettre en place une taxe. Or le dispositif prévu de traiterait de manière sensiblement différente les transporteurs nationaux et étrangers : une vignette est prévue pour les nationaux tandis que les étrangers devront acquitter une taxe à la journée, ce qui permettra de les faire payer un peu plus. Leur dispositif ne semble pourtant pas contrevenir aux directives européennes : ne nous serait-il pas possible de prévoir, nous aussi, un dispositif moins pénalisant pour les nationaux que pour les étrangers qui se contentent de traverser notre pays ?

M. Daniel Bursaux. Je n’ai pas d’indications suffisamment précises sur le projet britannique qui, à ce jour, n’a d’ailleurs pas été agréé par la Commission européenne. S’il ne l’est pas, les Britanniques seront condamnés au premier recours d’un transporteur routier – je vous rappelle le cas de la Slovénie, qui avait prévu des vignettes à des coûts exorbitants : la Commission européenne l’a obligée à faire marche arrière. Ce sont les transporteurs qui, heureusement d’ailleurs, possèdent in fine la clef du système.

Je tiens à répéter haut et fort que le dispositif tel qu’il est prévu en France fera payer les transporteurs étrangers, à hauteur de quelque 200 millions d’euros, alors qu’aujourd'hui le transporteur étranger qui réussit à traverser la France sans même y faire le plein de carburant n’y dépense pas un seul euro, exception faite des péages des autoroutes s’il les emprunte.

Quant au tonnage du fret ferroviaire, qui a beaucoup diminué il y a quelques années et qui demeure bas, il est stabilisé depuis deux ans et est même en voie de légère amélioration, ce qui est encourageant compte tenu de la situation économique. Il convient évidemment d’améliorer nos objectifs. Je vous communiquerai les chiffres : M. Cuvillier, ministre délégué chargé des transports, tient ce soir une conférence qui réunit les partenaires du fret ferroviaire – c’est la deuxième depuis septembre. Un des objectifs de l’écotaxe est de financer des équipements améliorant la qualité des sillons ou les installations permanentes de contresens en vue de développer, demain, le fret ferroviaire.

Je tiens toutefois à noter qu’on ne saurait à la fois vouloir rééquilibrer en faveur de la route l’affectation des recettes de l’écotaxe et réclamer plus de moyens pour le fret ferroviaire. Il convient de concilier les deux objectifs.

M. Marc Le Fur. Depuis quatre ans, quels travaux ferroviaires ont été réalisés ?

M. Daniel Bursaux. On peut souligner la réalisation du contournement Nîmes-Montpellier, qui permet d’assurer de nouveau le fret vers l’Espagne, ou la construction de quelques lignes à grande vitesse (LGV). Je pense notamment à un projet de 3 milliards d’euros en Bretagne, dont l’État et l’AFITF prennent toute leur part.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Il convient de souligner que l’ouverture d’une LGV permet de libérer des sillons pour le fret ferroviaire.

M. Daniel Bursaux. C’est le cas du contournement Nîmes-Montpellier ou encore de Tours-Bordeaux, qui permettra la mise en place, de manière transitoire, d’une autoroute ferroviaire. C’est, il est vrai, un peu moins vrai du projet qui concerne la Bretagne.

Je répondrai après vérification à votre question sur les forains.

M. Éric Straumann. M. Cuvillier, que j’avais interrogé sur le sujet, m’a répondu que, les forains n’ayant pas vocation à transporter des marchandises, le dispositif ne saurait les concerner.

M. le président et rapporteur Jean-Paul Chanteguet. Monsieur Le Fur, le Royaume-Uni mettra en place à partir du mois d’avril 2014 une vignette pour tous les poids-lourds nationaux de plus de douze tonnes. Cette vignette sera également acquittée par les poids-lourds étrangers via le téléphone ou internet – le taux, quotidien ou annuel, ne dépendra pas de la nationalité, la directive Eurovignette l’interdisant.

Mme Émilienne Poumirol. Les auditions révèlent que le principe et les finalités de l’écotaxe ne font aucun doute. En revanche, il semble bien que nous soyons les seuls à avoir choisi un système aussi complexe – M. Gilles Savary l’a comparé l’autre jour au Rafale –, alors que la plupart des pays ont fait le choix de la vignette.

Des représentants des transporteurs que j’ai rencontrés contestaient non pas l’écotaxe mais son mode de perception : pourquoi ne pas avoir tout simplement prévu, au bas de la facture, un pourcentage calculé en fonction des marchandises transportées et de la longueur du trajet et automatiquement répercuté sur le chargeur ? Alors que l’écotaxe telle qu’actuellement prévue transforme les transporteurs en percepteurs d’une taxe qui ne les concerne pas directement, un tel dispositif leur permettrait d’éviter de subir les pressions des chargeurs qui renégocient déjà les contrats.

Est-il possible de mettre en cause le contrat passé avec Ecomouv’ ? Comment l’État devrait-il dédouaner cette société ?

M. Daniel Bursaux. Au moins cinq pays voisins, madame la députée, ont fait le même choix que nous de la perception kilométrique : la Slovaquie, l’Allemagne, l’Autriche, la République tchèque et la Suisse. Nous sommes donc loin d’être les seuls ! Les Belges se dirigent actuellement vers la même solution : ils ont lancé un appel d’offre. Ce dispositif, je le répète, a permis de sauver le réseau autoroutier allemand.

La loi portant diverses dispositions en matière d'infrastructures et de services de transports, promulguée au mois de mai dernier et qui prévoit la répercussion du montant de la taxe sur les chargeurs, a été débattue en amont notamment avec la Fédération nationale des transports routiers : toute remise en cause de la répercussion est inenvisageable pour la FNTR. Le risque du système que vous évoquez serait de ne faire payer que les transporteurs français.

Mme Émilienne Poumirol. Il serait possible de prévoir pour les transporteurs étrangers un dispositif au kilomètre ou à la journée, sur le modèle britannique.

M. Daniel Bursaux. Le droit européen exige, me semble-t-il, que le même dispositif soit appliqué aux transporteurs français et étrangers.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Nous poserons la question à la Commission européenne la semaine prochaine.

M. Éric Straumann. En raison du report du trafic de 1 500 camions de l’Allemagne sur l’Alsace après la mise en œuvre de la LKW-Maut, M. Yves Bur avait fait adopter un amendement au projet de loi relatif à la sécurité et au développement des transports, promulguée en 2006, amendement qui instaurait une taxe expérimentale pour les poids-lourds de plus de douze tonnes en Alsace. Or voilà neuf ans que les Alsaciens attendent la mise en place de cette taxe. Si l’écotaxe est abandonnée, ne serait-il pas possible d’étendre par voie de convention à l’Alsace et au fossé rhénan le dispositif allemand, dont il serait intéressant, du reste, d’auditionner les responsables ? Un Français, équipé du système, pourrait aujourd'hui circuler en Allemagne, alors qu’un camion allemand ne pourrait pas circuler en France avec le système allemand, ce qui crée un obstacle technique majeur.

Qu’en est-il par ailleurs de la ventilation régionale de la taxe ? Le Premier ministre serait-il désormais favorable à sa régionalisation ? Si oui, dans quelle proportion ?

M. Daniel Bursaux. Passer une convention avec la société exploitant le dispositif allemand se heurterait à des obstacles juridiques de droit du contrat. De plus, je m’inscris dans le cadre non pas d’un abandon mais d’une simple suspension de la taxe. Le dispositif français a donc vocation à s’appliquer également en Alsace.

Une régionalisation de la taxe peut faire l’objet de deux hypothèses de travail. La première, qui ne poserait aucune difficulté d’ordre technique ou contractuelle, consisterait à redistribuer aux régions une partie de la taxe collectée pour qu’elles la réaffectent à leurs transports. Le risque, toutefois, serait de créer des distorsions de perception entre les régions compte tenu d’éventuelles distorsions entre la nature de leur réseau routier et celle du réseau taxé : les régions, en effet, qui sont traversées par de nombreuses autoroutes à péage et n’ont plus beaucoup de routes nationales, ne percevraient quasiment aucune taxe et seraient donc désavantagées par rapport à celles que traversent encore un réseau routier national abondant et des autoroutes non concédées. Cette hypothèse, si elle était retenue, impliquerait d’instaurer un système de péréquation.

La seconde hypothèse, à mes yeux plus hasardeuse, consisterait à prévoir un taux par région, qui pourrait aller, par exemple, de zéro à dix-sept centimes du kilomètre, ce qui ne poserait pas un problème d’ordre constitutionnel si l’écotaxe devenait officiellement une taxe régionale perçue par l’État. Cette seconde hypothèse, dans laquelle la base taxable sera différente selon les régions, aboutit toutefois aux mêmes problèmes d’inégalités entre les régions. De plus, sur le plan technique, le plafond de la taxe perçue région par région devra être recalculé, les directives européennes prévoyant que le plafond doit être calculé en fonction notamment du coût d’usage des infrastructures, ce qui serait très compliqué.

C’est pourquoi seule la première hypothèse me paraît réalisable.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. De plus, cette seconde hypothèse priverait l’AFITF de moyens et conduirait donc à abandonner toute politique nationale des infrastructures, ce qui serait une grave erreur.

La régionalisation d’une partie de la taxe n’en demeure pas moins une idée intéressante.

M. Gilles Savary. Je tiens tout d’abord à m’associer aux propos liminaires que M. Duron a tenus à l’égard de M. Bursaux et de son équipe. Ce dossier a été décidé et mis en œuvre par les politiques qui doivent l’assumer, comme l’a fait notamment Jean-Louis Borloo, lors de son audition.

Renoncer à l’écotaxe ou à tout dispositif équivalent, ce serait prendre le risque de sinistrer gravement le financement des infrastructures. Ce serait ouvrir la voie à leur « soviétisation ». D’atout pour la France, elles deviendraient un handicap considérable. On ne peut pas nous demander en tribune de faire des économies budgétaires et refuser la mise en place de nouvelles recettes nous permettant de concilier des économies budgétaires massives avec des taxes acquittées par les utilisateurs.

J’ajoute que l’AFITF, instaurée par la précédente majorité, est un dispositif aussi excellent que fragile : il permet de disposer de recettes stables et prédictives pour des investissements étalés dans le temps – c’est la seule politique à disposer de recettes d’affection spéciale.

M. Daniel Bursaux. Ce n’est pas Bercy mais la Cour des comptes qui est du reste plutôt hostile à l’AFITF.

M. Gilles Savary. Si l’AFITF devait être financée uniquement par des dotations d’État, on en tirerait argument pour soumettre son budget à un arbitrage annuel, ce qui reviendrait à la tuer. Or il faut sauver ce dispositif essentiel pour le financement des infrastructures.

Une éventuelle régionalisation impliquerait d’étendre le réseau taxable, en vue de réduire les différences de perception entre les régions. Or une telle extension nous obligerait de recourir à un autre moyen que les portiques. Le chronotachygraphe numérique est employé aujourd'hui dans toute l’Europe et les équipements embarqués permettent de disposer d’une traçabilité assez précise des poids-lourds en lien avec le GPS. Pourquoi est-il dans ces conditions nécessaire de recourir à des portiques, qui focaliseront toujours le rejet de l’écotaxe ?

M. Daniel Bursaux. Si l’objectif était la déclaration de tous les kilomètres parcourus, le chronotachygraphe, qui peut être contrôlé dans les entreprises, serait suffisant. Des outils de contrôle spécifiques sont en revanche nécessaires à partir du moment où il convient, certes, de contrôler des kilomètres parcourus mais sur un réseau taxable.

Une extension massive du réseau est une décision politique, qui soulèverait, à mes yeux, le problème suivant : plus le réseau sera étendu, plus l’économie locale sera affectée, y compris les petits déplacements de proximité sur le réseau secondaire. Le dispositif actuel ne prévoit de taxer que 15 000 kilomètres de routes.

Les portiques sont au nombre de un pour cent kilomètres. Si le réseau taxé devait être étendu, il conviendrait de prévoir un système de contrôle, y compris humain, pour le réseau complémentaire. Dans l’état actuel du réseau taxable, il aurait déjà fallu plusieurs milliers de douaniers pour remplacer les 173 portiques installés. De plus, le contrôle humain engendrerait des pertes de temps pour les transporteurs et soulèverait des problèmes de sécurité qui ne pourraient être résolus que par l’aménagement d’aires spécifiques.

M. Jean-Pierre Gorges. L’écotaxe n’a été, semble-t-il, suspendue qu’en raison du ras-le-bol fiscal des Français. Toutefois, l’outil était-il prêt ? Les auditions ne semblent pas l’assurer. J’ai participé à de nombreuses missions d’évaluation et de contrôle ainsi qu’à des commissions d’enquête : force est de constater encore une fois que l’étude d’impact a été très mauvaise. Rien n’a été fait, alors qu’elle était obligatoire. Et nous sommes maintenant confrontés à une catastrophe.

Le dispositif qui devait entrer en application était-il opérationnel ? Pourrait-il commencer à fonctionner dans les trois mois ?

M. Daniel Bursaux. Ce dossier a fait l’objet d’une documentation très importante et de nombreux rapports d’information, qui portent notamment sur l’impact du dispositif sur l’économie locale, son coût ou les recettes de péage.

M. Jean-Pierre Gorges. L’outil est donc prêt à être utilisé…

M. Daniel Bursaux. Par ailleurs, M. Le Fur sait que nous avons discuté avec les acteurs économiques bretons de l’impact du dispositif sur le coût des marchandises à destination de Rungis ou de l’Allemagne. Toutes ces études sont à votre disposition.

S’il est tout à fait légitime de s’interroger sur les raisons de la contestation dont a fait l’objet le dispositif, je tiens à préciser que la décision de sa mise en œuvre est purement politique.

M. Jean-Pierre Gorges. C’est ce que je voulais entendre.

M. François-Michel Lambert. Je tiens à rappeler que l’objet de la mission d’information sur l’écotaxe poids-lourds, est de permettre le rétablissement d’une « pollutaxe », l’écotaxe étant liée à l’impact écologique des poids-lourds. Or, je ne sens pas à travers les prises de position des uns et des autres, la volonté d’ouvrir à 360 degrés notre capacité de réflexion.

On peut parler d’un mal français en matière de collecte des taxes poids-lourds. C’est une vraie Bérézina ! Le point de cristallisation est la complexité du système, qui mêle le GPS, les portiques de contrôle et la facturation en bas de page, alors que les entreprises veulent consacrer leurs efforts à leur activité plutôt qu’à la surcharge administrative. Il ne convient pas non plus d’oublier le taux de rendement de la collecte, entre 75 % et 80 %, qui exaspère nos concitoyens et la perte de recettes pour l’AFITF.

Jean-Paul Chanteguet, en prenant la présidence de la mission, a déclaré vouloir une sortie par le haut : je suis évidemment sur la même ligne. Si, à cette fin, il convient d’explorer toutes les pistes, celle qui vise à privilégier la route dans la répartition des crédits de l’AFITF me semble bien éloignée de la logique de la sortie par le haut.

Monsieur Bursaux, vous avez déclaré qu’en l’absence de portiques il aurait fallu embaucher 1 000 douaniers. Or, Ecomouv’ touchera 250 millions, ce qui ferait plus de 200 000 euros par douanier ! Par ailleurs, la CNIL s’est montrée très réservée sur le fait que les portiques photographieront toutes les plaques d’immatriculation et les enregistreront dans un fichier détenu par une société privée. Pouvez-vous nous donner les latitudes dont le politique dispose pour reprendre la main sur le dossier ? Le retrait des portiques aurait-il pour conséquence d’accepter un taux d’erreur supérieur à un pour 1 million ? Pourquoi le politique ne pourrait-il pas faire le choix d’embaucher des douaniers et d’augmenter la présence des forces de l’ordre ? L’obstacle au retrait des portiques est-il d’ordre purement technique ou d’ordre contractuel, c'est-à-dire politique ?

M. Daniel Bursaux. Je crois avoir montré précédemment que nos recherches sont à 360 degrés puisque j’ai envisagé devant vous toutes les hypothèses possibles d’aménagement du dispositif.

Par ailleurs, je n’ai pas évoqué l’embauche de 1 000 douaniers mais de plusieurs milliers. De plus, un poids-lourds se rendant par exemple de Paris à Marseille devra alors être contrôlé et donc arrêté plusieurs fois sur le trajet avec toutes les difficultés que cela suppose notamment de sécurité.

M. Antoine Maucorps, chef de la mission de tarification. Nous avons suivi les recommandations de la CNIL.

C’est pour des raisons techniques que tous les véhicules, quels qu’ils soient, sont photographiés : en effet, les plaques doivent être photographiées de loin tandis que le profil du véhicule n’est reconnu par laser que lorsqu’il passe sous le portique. Si le véhicule photographié n’est pas concerné par la taxe, les informations le concernant ne sont pas centralisées. La CNIL s’était interrogée sur le fait que celles-ci seraient conservées soixante-douze heures : c’est pourquoi, conformément à sa demande, l’État a réduit ce délai à trente-six heures.

Enfin, s’il est techniquement possible de détecter le profil du véhicule avant de photographier sa plaque, ce dispositif, qui a été choisi par les Suisses, entraîne l’installation de deux portiques à chaque point de contrôle. Nous n’avons pas retenu cette solution, qui implique de doubler le nombre de portiques.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Je tiens à confirmer les propos de M. Maucorps. Ce point a été abordé lors de l’audition de la société Ecomouv’ : le représentant de la société Thales a précisé que les photographies des véhicules qui ne sont pas concernées sont détruites au bout de trente-six heures – les portiques, monsieur Lambert, permettront de contrôler plus de 600 000 véhicules/jour. Les systèmes mis en place dans les autres pays de l’Union européenne sont identiques.

M. Daniel Bursaux. Les portiques sont au nombre de 300 en Allemagne, de plus d’une centaine en Autriche, de 25 en Suisse et de 37 en République tchèque. Avec 173 portiques, la France se situe dans la moyenne.

En cas d’extension du contrôle, monsieur Savary, il conviendrait de prévoir des bornes mobiles de contrôle sur les petites routes taxées. Nous allons approfondir la question. Des dispositifs mobiles de contrôle sont déjà prévus dans le contrat.

M. Jean-Yves Caullet. En cas d’extension de l’assiette taxable, il serait facile de connaître le parcours effectué sur autoroute, puisque les routiers peuvent défalquer le péage.

M. Daniel Bursaux. Il conviendrait alors d’étendre le réseau à la totalité du réseau routier, y compris aux voies communales.

M. Jean-Yves Caullet. Les ordres de grandeur entre le montant de la TIPP et le montant prévu de l’écotaxe étant équivalents pour 100 kilomètres, serait-il possible, dans le cadre d’un régime déclaratif, de résoudre les problèmes soulevés tant par le trafic local que par la régionalisation – la TIPP a une part régionale – ou le ciblage des types de dessertes, en exonérant le transporteur du paiement de l’écotaxe à hauteur du montant déjà acquitté au titre de la TIPP ? Cette solution permettrait aux transports qui ne paient pas la TIPP d’acquitter l’écotaxe à taux plein tout en épargnant les trajets de proximité.

M. Daniel Bursaux. C’est la première fois que j’entends parler d’un tel système, qui me paraît néanmoins intéressant : je ne saurais donc répondre avant de m’être penché dessus. Je tiens toutefois à rappeler que le défaut de tout système déclaratif est d’épargner les transporteurs étrangers.

M. Jean-Yves Caullet. Si le contrôle humain ne portait que sur les transporteurs étrangers, il se révélerait certainement moins coûteux que les portiques.

M. Olivier Marleix. Avant de penser à une éventuelle régionalisation des recettes de l’écotaxe, encore faudrait-il commencer par la percevoir ! N’oublions pas que l’objectif de l’écotaxe est de taxer le transport routier de marchandises pour l’orienter vers d’autres modes notamment vers le ferroviaire. Ne dispersons pas les recettes éventuelles de l’AFITF !

Le dispositif actuel a été coécrit par la FNTR, qui ne souhaite pas le voir réviser. Toutefois, les chargeurs font pression, notamment sur les petits transporteurs, pour qu’ils diminuent leurs marges à hauteur de la répercussion de la majoration forfaitaire prévue dans la loi. Comment la rendre effective ?

M. Daniel Bursaux. La loi de 2006, relative à la sécurité et au développement des transports, visait entre autres choses à compenser les effets des fluctuations du cours du pétrole. À cette fin, elle prévoyait la possibilité de répercuter ces fluctuations dans les contrats de transport. En dépit de craintes semblables à celles que vous formulez, monsieur Marleix, le dispositif a, semble-t-il, donné satisfaction.

De plus, le ministre m’a demandé de prendre contact avec la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) : dès le démarrage de l’écotaxe, la DGCCRF pourra être alertée au cas par cas et en temps réel par les transporteurs qui seraient confrontés à des problèmes de ce type. Nous avons signé avec celle-ci une convention d’engagement sur ce point précis.

Mme Sophie Errante. La mise en place d’une société d’économie mixte a-t-elle été envisagée à un moment ou à un autre, ce qui permettrait de rendre le système plus transparent ?

M. Olivier Quoy, adjoint au chef de la mission de tarification. Toutes les pistes, notamment celle-ci, ont été envisagées. Nous nous sommes ainsi rendus à Lyon pour étudier l’administration du péage de Teo Lyon : tous les montages auxquels nous avons procédé impliquaient de définir un régisseur. Le commissionnement nous a paru le dispositif le plus adapté.

M. Daniel Bursaux. Je rappelle que le dispositif autrichien a été racheté après quelques années par l’État.

Il est toutefois prématuré d’envisager à l’heure actuelle la même démarche de la part de l’État français, compte tenu de la phase du contrat avec Ecomouv’ dans laquelle nous nous trouvons. Cela supposerait de discuter gros sous avec le contractant !

Mme Corinne Erhel. J’ai déjà eu l’occasion, au cours d’une réunion à Rennes, de prendre connaissance d’études d’impact macroéconomiques par produit. J’avais alors demandé s’il était possible de procéder à des études d’impact microéconomiques prenant en compte des logistiques particulières et portant notamment sur des entreprises travaillant à flux tendus et dont les marges sont très faibles : disposerons-nous de telles études ?

Par ailleurs, à qui appartiendront in fine les données collectées ? À l’État ou à Ecomouv’ – à qui j’ai du reste posé la même question ? Il m’a été indiqué qu’une partie des données sont destinées aux SHT : si tel est le cas, quelles seront leurs obligations ? Il est toujours possible, en effet, de monétiser les données. Quelles garanties ont-elles été prises par l’État en la matière ?

M. Olivier Quoy. À la suite de la réunion du 25 octobre, des réunions se sont tenues au cabinet avec les acteurs, notamment la Fédération du commerce et de la distribution, Coop de France ou la FNSEA. Or, pour mener à bien l’exercice, il faudrait arriver à réunir les différents acteurs de la chaîne, lesquels entretiennent des relations parfois très conflictuelles sur les marges. Je ne peux donc pas vous promettre aujourd'hui que nous arriverons à vous proposer des informations réalistes portant sur la chaîne complète. Nous avons rencontré le même type de difficulté pour les labellisations CO2, que nous n’avons pu réaliser que pour un ou deux produits.

M. Antoine Maucorps. Les données qui seront exigées des redevables pour calculer le montant de leur taxe seront la propriété de l’État qui a, de ce fait, lui-même présenté le dossier à la CNIL, même si l’ensemble des moyens destinés à respecter les contraintes qu’elle a fixées seront mis en œuvre par Ecomouv’.

Le transporteur paie sa taxe à Ecomouv’. Lorsqu’une SHT a reçu mandat du redevable pour payer la taxe à sa place, Ecomouv’ envoie en retour à la SHT des informations qu’elle doit transmettre au redevable : il s’agit du montant de la taxe due et, si le redevable l’a demandée, de la facture détaillée. Les SHT n’ont pas le droit d’utiliser ces informations à d’autres fins que l’information du redevable.

En revanche, les sociétés de télépéage ont vocation à mettre en place l’interopérabilité. Elles peuvent vendre d’autres services à leurs clients comme le télépéage autoroutier, la géolocalisation et la gestion de flotte au titre de relations commerciales privées entre la SHT et son client. En cas de géolocalisation, la SHT remplit ses obligations vis-à-vis de la CNIL indépendamment de son contrat avec Ecomouv’.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Les messageries express, compte tenu de l’internationalisation de leur activité, souhaitent ne pas être soumises aux dispositions relatives à la majoration forfaitaire. Est-ce envisageable ?

Par ailleurs, qu’en est-il du calcul de l’écotaxe en cas de transport combiné ? Le taux de majoration forfaitaire tel qu’il est aujourd'hui prévu prend en compte l’écotaxe sur la totalité du parcours. Or une partie importante du transport peut être effectuée par le rail ou par l’eau. Est-il possible de réduire le taux de majoration forfaitaire en cas de transport combiné ?

M. Daniel Bursaux. S’agissant des messageries, je vous enverrai une réponse écrite : elles sont soumises au code des transports.

Il est difficile d’apporter une réponse à la question de l’exonération du transport combiné, compte tenu du mode de reconnaissance des véhicules qui a été adopté. Il ne permet pas de distinguer ceux des transporteurs qui recourent au multimodal. Seul un système de remboursement permettra de donner un atout complémentaire au transport combiné. Ce dispositif, bien que compliqué à mettre en place, demeure de l’ordre du possible.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteurs. Plutôt que prévoir une exonération, ne serait-il pas possible de diminuer le taux de la majoration forfaitaire, dans la mesure où une partie seulement du trajet est effectué sur la route ?

M. Daniel Bursaux. Le problème est que les opérateurs du transport combiné ne veulent pas se résoudre à l’éclatement de leurs factures entre transport ferroviaire et fluvial, manutention portuaire et transport routier, prétextant que ce serait attenter au secret de la fabrication de leurs prix. La question se trouve donc dans l’impasse.

M. Jean-Paul Chanteguet, président et rapporteur. Je vous remercie, mesdames et messieurs.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur l'écotaxe poids lourds

Réunion du mercredi 12 février 2014 à 11 heures

Présents. - Mme Catherine Beaubatie, M. Florent Boudié, M. Xavier Breton, M. Patrice Carvalho, M. Jean-Yves Caullet, M. Jean-Paul Chanteguet, M. André Chassaigne, Mme Françoise Dubois, M. Philippe Duron, Mme Corinne Erhel, Mme Sophie Errante, M. Olivier Faure, M. Claude de Ganay, M. Joël Giraud, M. Jean-Pierre Gorges, M. Michel Heinrich, Mme Joëlle Huillier, M. François-Michel Lambert, M. Marc Le Fur, M. Jean-Pierre Le Roch, M. Olivier Marleix, M. Hervé Pellois, Mme Émilienne Poumirol, Mme Eva Sas, M. Gilles Savary, M. Jean-Marie Sermier, M. Éric Straumann

Assistaient également à la réunion. - M. Mathieu Hanotin, M. François Vannson