Accueil > Contrôle, évaluation, information > Les comptes rendus de la mission d'information

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Mission d’information sur la simplification législative

Jeudi 20 février 2014

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 5

Présidence de Mme Laure de La Raudière, Présidente

– Audition de de M. Rémi Bouchez, ancien commissaire à la simplification

– Audition de M. Éric Doligé, sénateur et auteur du rapport sur la simplification des normes applicables aux collectivités locales (juin 2011)

– Présences en réunion

La séance est ouverte à 10 heures.

Présidence de Mme Laure de La Raudière, présidente.

La mission d’information procède à l’audition de M. Rémi Bouchez, ancien commissaire à la simplification.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Monsieur Bouchez, je suis heureuse de vous accueillir pour cette audition.

Notre mission d’information, consacrée à la simplification législative, s’intéresse principalement à la façon dont est fabriquée une loi, c’est-à-dire à la rationalisation du flux normatif plutôt qu’à la réduction du stock normatif – cet aspect étant traité par le Conseil de la simplification pour les entreprises, que notre rapporteur, M. Thierry Mandon, copréside avec M. Guillaume Poitrinal. Nous réfléchissons au moyen de mieux légiférer et de provoquer un changement de culture normative, en nous inspirant notamment d’exemples étrangers. Nous nous sommes rendus à Berlin, à Londres et en Belgique, où l’évaluation des études d’impact par des commissions indépendantes a permis d’améliorer la conception initiale de la loi et où l’on commence à mettre en œuvre systématiquement une évaluation ex post de la loi, à échéance de trois à cinq ans.

Nous avons souhaité vous entendre car, en novembre 2010, vous vous êtes vu confier par le Premier ministre de l’époque, M. François Fillon, les missions de piloter auprès du Secrétariat général du Gouvernement l’application du moratoire sur l’adoption des mesures réglementaires concernant les collectivités territoriales, décidé en juillet 2010, de veiller à ce que l’impact des normes applicables à l’activité des entreprises soit efficacement évalué, en particulier pour ce qui concerne le secteur de l’industrie et des petites et moyennes entreprises, ainsi que de mettre en place un mécanisme permettant que l’essentiel des dispositions nouvelles applicables aux entreprises entrent en vigueur avec un nombre réduit d’échéances prévues à l’avance et fixes dans l’année, selon une recommandation faite par le sénateur Bruno Retailleau.

En conclusion de votre mission, vous avez remis à l’ancien Premier ministre, en mars 2012, un rapport d’activité dans lequel vous avez esquissé des pistes de consolidation du dispositif de simplification alors mis en œuvre, parmi lesquelles l’approfondissement du dialogue avec les ministères à un stade plus précoce de l’élaboration des projets de texte, l’enrichissement et la publicité des fiches d’impact, et l’amélioration de la quantification des charges pour les entreprises.

Nous serions très intéressés de vous entendre sur ces sujets. Quelles résistances et quels obstacles avez-vous rencontrés dans votre mission ? Quelles préconisations feriez-vous pour parvenir à une rationalisation effective du flux normatif ?

M. Rémi Bouchez, ancien commissaire à la simplification. Beaucoup de choses ayant déjà été dites ou écrites sur le thème de la simplification des normes, je ne suis pas sûr de pouvoir tenir des propos très nouveaux ou originaux, mais je peux au moins vous faire part de mon expérience de commissaire à la simplification et des quelques enseignements que j’en tire.

J’ai été nommé en novembre 2010 à cette fonction, que j’ai exercée à temps partiel auprès du Secrétaire général du Gouvernement jusqu’en janvier 2013, date à laquelle elle a été élargie et pérennisée, sous la forme d’un poste de directeur, adjoint au Secrétaire général du Gouvernement, confié à ma collègue Mme Célia Vérot.

La mission qui m’était confiée était centrée sur la régulation des textes réglementaires concernant les entreprises ou les collectivités territoriales, mais j’ai également été associé aux exercices relatifs au stock de normes – ce qui est compréhensible vu qu’il est assez arbitraire de distinguer radicalement les deux aspects. De grands chantiers législatifs de simplification furent lancés à cette époque, tels que la mission et la proposition de loi de M. Jean-Luc Warsmann sur le droit des entreprises, la mission et la proposition de loi de M. Éric Doligé sur les normes applicables aux collectivités territoriales et les Assises de la simplification. Mon rôle a consisté surtout à concevoir, mettre en place, puis superviser et animer plusieurs dispositifs, avec l’aide des équipes du Secrétariat général du Gouvernement et de la mission « Simplification et évaluation » du Contrôle général économique et financier.

Le principal de ces dispositifs est issu de la circulaire du Premier ministre du 17 février 2011, qui demande aux administrations d’éviter tout alourdissement injustifié des charges et contraintes qui pèsent sur les entreprises et les collectivités territoriales. Pour cela, il leur incombe de procéder à une évaluation, quantifiée dans la mesure du possible, des projets de textes réglementaires – ordonnances, décrets et arrêtés – et de mener une concertation préalable approfondie avec les parties intéressées. Ce travail, mené sous le contrôle, à l’époque du commissaire à la simplification, et désormais de la directrice chargée de la simplification, doit être consigné dans une fiche d’impact destinée à accompagner le projet de texte tout au long de son cheminement.

Mon rapport d’activité de mars 2012 faisait apparaître que près de 700 textes réglementaires avaient été examinés au cours de la première année d’exercice. J’y notais que, si les progrès n’étaient pas spectaculaires, ils étaient pourtant bien réels, notamment s’agissant des conditions d’entrée en vigueur des textes, et que les améliorations avaient le plus souvent résulté du dialogue mené dans la phase préalable à la mise au point finale du texte. Plus tôt les questions sont posées, plus en amont les solutions envisagées sont évaluées, meilleur est le texte.

S’agissant des textes concernant les collectivités territoriales, je soulignerai deux particularités. Premièrement, leur contrôle était préalable à leur examen par la Commission consultative d’évaluation des normes (CCEN), présidée par M. Alain Lambert, avec laquelle j’ai donc eu d’étroites relations. Deuxièmement, un « moratoire » s’appliquait alors en vertu d’une circulaire du Premier ministre du 6 juillet 2010, à l’exception des textes d’application d’une loi, de transposition d’une directive ou commandés par une décision contentieuse – bref, de tout ce qui relevait d’une norme de rang supérieur.

Ce dispositif a été élargi à la mi-2013 aux textes réglementaires concernant les particuliers ; n’en sont désormais exclus que les textes internes à l’administration ou qui ne concernent que les agents publics. En outre, le gel des textes concernant les collectivités territoriales a été remplacé par le système dit du « un pour un » – « one in, one out », de portée plus générale, mais qui comporte les mêmes exceptions.

J’ai également contribué à la mise en place du mécanisme, assez novateur, des DCEV, les « dates communes d’entrée en vigueur », défini par une circulaire du Premier ministre du 23 mai 2011 qui prévoit que, sauf exception dûment justifiée, par exemple en cas de mesures favorables aux entreprises, les décrets et arrêtés concernant les entreprises doivent comporter un différé d’entrée en vigueur d’au moins deux mois à compter de leur publication au Journal officiel et que cette entrée en vigueur doit se faire à des dates fixes, à savoir le 1er janvier et le 1er juillet de chaque année ou, à défaut, le 1er avril et le 1er octobre. On trouve désormais, sur le site Légifrance, la liste complète des textes qui entreront en vigueur aux prochaines échéances, le but étant de permettre aux entreprises de prendre facilement connaissance des nouvelles normes et de s’y préparer.

Ces missions ont été exercées en liaison étroite avec les administrations, car la confection d’un texte est un travail de longue haleine, qui comporte plusieurs étapes – une phase ministérielle, une phase interministérielle, une phase de concertation – et il faut essayer d’apporter des améliorations à chacune d’entre elles, de manière à aboutir à un produit d’aussi bonne qualité que possible.

Je voudrais maintenant vous faire part de deux séries de réflexions que je tire de ces travaux, ainsi que de mes fonctions antérieures au Secrétariat général du Gouvernement, puis au Conseil d’État.

Tout d’abord, si l’on veut vraiment mieux réguler la production de normes, en tendant vers une plus grande stabilité et une meilleure qualité – la quantité m’apparaît relativement secondaire, car si les textes étaient de meilleure qualité, il y en aurait moins, puisqu’il n’y aurait plus besoin de les corriger –, on ne pourra pas éviter de mettre en place des dispositifs permanents de freins ou de filtres comportant un certain degré de contrainte. L’expérience montre en effet que, malgré le consensus ambiant sur la nécessité de lutter contre l’inflation normative, les mauvaises habitudes reprennent facilement le dessus.

Je pense par conséquent que l’obligation d’assortir tout projet de loi d’une étude d’impact est une bonne chose. À l’époque, certains commentateurs avaient estimé qu’il était démesuré de procéder à une révision constitutionnelle et de passer par une loi organique pour cela, mais la volonté de produire des études d’impact était restée jusque-là vacillante et la réforme a constitué un progrès. De même, l’obligation de recueillir l’avis de la Commission consultative d’évaluation des normes – et bientôt du Conseil national d’évaluation des normes –, et d’expliquer devant celle-ci l’impact des projets de textes, ralentit certes le mécanisme de production des normes, mais a pour effet de mettre sous tension les administrations et de les contraindre à se justifier et à progresser.

Je nuancerai toutefois mon propos par deux considérations. D’abord, de tels mécanismes ne deviendront réellement efficaces que le jour où les décideurs politiques – ministres et élus – se les approprieront ; sinon, les procédures risquent d’être assez formelles. Or, il me semble que, si ces dispositifs ont réellement produit des effets dans les administrations en les contraignant à se justifier, des progrès restent encore à faire : il est frappant que le dispositif du chapitre II de la loi organique du 15 avril 2009 ne soit pas complètement exploité ; à ma connaissance, la Conférence des présidents d’une assemblée n’a jamais refusé d’inscrire un texte à l’ordre du jour pour insuffisance de l’étude d’impact, ni même formulé de menace sérieuse en ce sens. Cela ferait pourtant son effet !

Ensuite, comme le soulignait le professeur Michel Verpeaux, il convient de rester pragmatique : la création ou la modification de textes a le plus souvent de bonnes justifications et traduit dans une large mesure le fonctionnement normal de nos institutions démocratiques. L’idée selon laquelle des chefs de bureaux produiraient des textes dans des recoins sans que personne ne le leur demande est erronée. J’en veux pour preuve que la CCEN, composée d’élus, donne très peu d’avis totalement négatifs sur les textes qu’elle examine et qu’en tant que commissaire à la simplification, je n’ai moi-même rendu que quinze avis défavorables sur un total de 700 projets de textes. Il faut être réaliste : si l’on produit des textes, c’est qu’il y a des raisons.

Je me méfie donc des solutions radicales, transversales, ou purement quantitatives ; à mes yeux l’amélioration des textes passe surtout par des efforts qualitatifs, par des solutions « micro » plutôt que « macro ». Les propositions de moratoires, quotas ou abrogations automatiques me laissent sceptique ; au demeurant, elles se heurteraient à d’insurmontables obstacles juridiques.

La seconde série de considérations concerne l’évaluation préalable des textes. À mes yeux, c’est en progressant dans ce domaine que l’on pourra améliorer les choses sur le long terme. Mais la France a du retard en la matière et ce n’est pas une tâche facile.

La réalisation d’études d’impact sérieuses, approfondies et soumises à un débat contradictoire, voire à une contre-expertise, prend du temps. Or le temps de l’expertise et du débat technique n’est pas toujours compatible avec celui de la décision politique et du débat médiatique. Il s’agit d’une difficulté consubstantielle au principe même de l’évaluation préalable.

En outre, celle-ci requiert des moyens techniques et humains, à un moment où les administrations centrales traversent une période de vaches maigres. Il m’a souvent été répondu qu’il était actuellement difficile pour les administrations de créer des cellules et de recruter du personnel pour que l’on puisse aller aussi loin qu’on le souhaiterait dans l’évaluation préalable.

Une question souvent débattue est de savoir s’il est opportun que les ministères réalisent eux-mêmes les études d’impact des textes qu’ils préparent. J’en suis pour ma part convaincu. D’abord, cela est conforme à notre organisation institutionnelle, où chaque ministre a la responsabilité de la préparation d’un texte. Surtout, l’évaluation préalable ne se résume pas au document final : il s’agit d’une démarche, d’un questionnement qui doit accompagner le processus du début – en se demandant si la rédaction du texte est opportune – jusqu’à la fin ; elle est intimement liée au processus de concertation et de consultation préalable. Seul le ministère porteur du texte peut conduire les processus en parallèle et les faire interagir.

En revanche, il est vrai qu’il peut manquer, notamment pour les textes à fort enjeu, un mécanisme de validation extérieure. Le Secrétariat général du Gouvernement et le Conseil d’État exercent un contrôle, mais ils n’ont pas la capacité de procéder à une contre-expertise : il s’agit surtout pour eux de s’assurer que toutes les rubriques de l’étude d’impact ont été renseignées et que le travail a bien été fait.

Bien entendu, il faut rester pragmatique : il ne s’agit pas de lancer des contre-expertises sur les fiches d’impact de tous les décrets et arrêtés. Il serait néanmoins bon de réfléchir à un dispositif possible. À cet égard, peut-être serait-il utile que le Parlement se dote en interne d’une capacité de contre-expertise des évaluations qui lui sont fournies – mais il s’agit là d’une question fort ancienne et délicate.

M. Thierry Mandon, rapporteur. Vous avez rendu un avis défavorable sur plusieurs projets de texte en raison de l’insuffisance de leurs études d’impact ou parce qu’ils ne vous semblaient pas opportuns. Quelles conséquences cela a-t-il eues sur leur devenir ? Ont-ils quand même été publiés ?

Dans votre rapport d’activité, vous avez émis l’idée que les fiches d’impact, préalables aux études d’impact, soient rendues publiques. Quel intérêt cela aurait-il ?

Quel regard portez-vous sur l’outil de simulation de la charge administrative de la réglementation (« OSCAR »), notamment par rapport aux autres méthodes d’évaluation ex ante des coûts qui peuvent exister ?

M. Rémi Bouchez. Je n’ai rendu qu’une quinzaine d’avis défavorables ; le plus souvent, les projets ont été retravaillés et finalement publiés. Je ne me souviens que d’un cas où le texte a été totalement abandonné. Il s’agissait d’un projet visant à rebaptiser le livret de développement durable (LDD) « livret de développement durable industriel » (LDDI), de manière à signaler que les fonds réglementés centralisés étaient orientés vers le secteur industriel ; il n’y avait aucune mesure de fond derrière. J’ai demandé à ce que l’on évalue le coût de cette modification pour les banques ; comme il aurait été très élevé, j’ai émis un avis défavorable, et la mesure n’a pas été prise. Mais c’est anecdotique.

Le projet de décret relatif à la qualité nutritionnelle des repas servis dans les cantines scolaires nous a également beaucoup préoccupés, mais le texte a finalement été publié ; au demeurant, cela répondait à une obligation, puisqu’il s’agissait d’un décret d’application d’une loi.

Il est cependant logique et légitime que ce soient les ministres qui décident en dernier ressort.

Mme la présidente Laure de La Raudière. N’est-ce pas aussi lié au fait que vos avis ne sont pas rendus publics ? Par exemple, si l’on avait eu connaissance du coût pour les collectivités du décret sur la restauration scolaire, cela n’aurait-il pas enrichi le débat public ?

M. Rémi Bouchez. Le choix de placer le commissaire à la simplification auprès du Secrétaire général du Gouvernement, dans une position de conseil plutôt que de décision, rendait difficile la publicité de ses avis. De même, on ne rend pas publics les débats interministériels préalables, qui donnent lieu au même type d’échanges : tout cela est considéré comme du travail préparatoire interne au Gouvernement.

Je ne me souviens pas avoir fait une distinction aussi nette entre fiches et études d’impact. En revanche, nous avons ouvert un débat pour savoir à quel moment il serait pertinent de rendre publiques les fiches d’impact sur les textes réglementaires – qui évoluent en même temps que ces derniers. Il a finalement été décidé qu’elles le seront au moment de la publication du texte. La procédure, qui s’appliquera à compter de cette année, permettra de signaler qu’une évaluation préalable du texte a bien été conduite, et que les incidences des nouvelles mesures ont été chiffrées.

Ce n’est toutefois pas suffisant. C’est pourquoi il m’arrivait de consulter à nouveau les acteurs concernés par un texte lorsque je jugeais que la concertation avait été insuffisante ; je joignais au projet de texte la fiche d’impact qui m’avait été remise, et je leur demandais ce qu’ils en pensaient.

Il existe donc deux types de publicité : d’une part, la publication finale de la fiche d’impact actualisée, correspondant au texte finalement retenu ; d’autre part, la communication à l’extérieur de l’administration, au cours du travail de préparation, de la fiche d’impact en devenir sur le projet de texte.

S’agissant d’ « OSCAR », je resterai très prudent. Quand j’ai quitté mes fonctions, le sujet était en débat. Il s’agissait d’un outil ancien, qui avait de graves défauts et que les administrations, exception faite du ministère des Finances, ne s’étaient pas complètement approprié. Je ne saurais vous dire s’il a été perfectionné ou si on lui a substitué d’autres instruments.

Il existe aussi un débat sur la méthode à adopter. La méthode internationale dite « des coûts standards » (« Standard Cost Model ») s’oppose ainsi à une approche « microéconomique » consistant à mettre en place une évaluation propre à chaque texte. Nous avons également utilisé la procédure dite « du test PME », qui correspond à l’évaluation « grandeur nature » sur un panel de textes concernant directement les PME. Tout cela était en cours de création quand j’ai quitté mes fonctions.

M. Régis Juanico. Le Parlement vote la loi mais, depuis la révision constitutionnelle de 2008, il doit aussi contrôler l’exécutif et évaluer les politiques publiques. Si ces deux dernières missions montent en puissance, pour l’heure, l’essentiel de nos activités restent la discussion et le vote des textes de loi. D’où l’importance pour nous de disposer d’études d’impact de bonne qualité, qui puissent nous éclairer sur quelques questions fondamentales : faut-il vraiment légiférer sur le sujet ? Qu’est-ce qui, dans le projet de texte, est vraiment du domaine de la loi, et qu’est-ce qui relève plutôt du domaine réglementaire ?

Dans le processus d’évaluation des études d’impact, on voit bien le rôle que jouent le Secrétariat général du Gouvernement, le Conseil d’État et, en interne, les équipes ministérielles. Ce qui manque peut-être, c’est une contre-expertise qui viendrait nourrir un débat contradictoire. Est-ce au Parlement de s’en charger ? Mais dans ce cas, avec quels moyens ? L’exemple britannique nous apporte de ce point de vue des éléments de réflexion intéressants : une commission « indépendante », comprenant une dizaine de fonctionnaires et huit personnalités extérieures, réalise non pas une contre-expertise sur le fond, mais une évaluation de la qualité de l’étude d’impact. Que pensez-vous de cette solution ?

Une autre question qui nous intéresse est l’évaluation ex post. Comment mieux associer le Parlement à la rédaction des décrets d’application, mener les procédures en parallèle et publier les textes plus rapidement ? Serait-il concevable que, trois à cinq ans après l’adoption d’une loi, le Parlement, par l’intermédiaire d’une équipe constituée autour du rapporteur du texte, évalue le dispositif concerné et fasse des propositions de révision ou de modification ? Cela nécessiterait sans doute une modification de nos habitudes et de nos façons de travailler, mais serait susceptible d’améliorer considérablement la qualité de la loi dans la durée. Qu’en pensez-vous ?

M. Rémi Bouchez. Il existe plusieurs solutions pour progresser en matière de contre-expertise et d’évaluation contradictoire d’une production qui provient, pour l’essentiel, des ministères. La constitution d’une commission indépendante en est une. Toutefois, il convient de bien mesurer la faisabilité dans le temps de l’intervention d’organismes travaillant avec des délais. Pour un projet de loi à fort enjeu et qui ne serait pas trop urgent, c’est certainement possible, mais pour d’autres textes, il serait délicat d’interrompre le processus législatif durant deux mois !

Mme la présidente Laure de La Raudière. En Grande-Bretagne, le délai d’examen de la qualité des études d’impact est de deux à trois semaines.

M. Rémi Bouchez. Je pense en tout cas qu’un tel mécanisme ne devrait être mis en œuvre que pour les textes qui le nécessitent vraiment, par exemple en cas de difficulté particulière sur les évaluations Peut-être en verra-t-on une esquisse avec la création du Conseil national d’évaluation des normes (CNEN), puisque la loi prévoit que celui-ci sera obligatoirement saisi des projets de loi, accompagnés des études d’impact, et pas seulement des textes réglementaires. Si cet organisme prend l’importance que le législateur souhaitait lui donner, et s’il se dote de quelques moyens, je pense qu’il procédera à la contre-expertise des textes et des évaluations qui lui seront soumis. Sa compétence est certes limitée aux textes concernant les collectivités territoriales, mais ce champ est en réalité très large car il peut s’agir de textes concernant « entre autres » les collectivités territoriales. Le CNEN sera donc peut-être un premier élément du dispositif que vous appelez de vos vœux.

S’agissant des décrets d’application des lois, on a beaucoup progressé en la matière, sous l’impulsion du Secrétariat général au Gouvernement, du ministère des relations avec le Parlement et du Parlement lui-même. Il existe maintenant un système cohérent de suivi, avec des indicateurs de performance publics. Je comprends bien votre insatisfaction et votre attente, mais il convient de ne pas négliger ces améliorations et de mesurer qu’il s’agit d’un travail très délicat : il y a beaucoup de décrets à prendre, qu’il n’est pas toujours facile d’identifier à partir du seul texte de loi. On peut certainement encore progresser, mais il me semble que, pour le coup, les dispositifs de suivi et de contrôle existent.

Quant à l’évaluation ex post, je la juge bien évidemment utile, voire nécessaire, mais il faut avoir conscience qu’elle peut déboucher sur l’édiction de nouvelles normes, de lois modificatives et de changements pour les parties concernées. À tout prendre, je préfère des lois initialement bien faites à des textes que l’on modifierait à plusieurs reprises parce que des évaluations successives auraient montré qu’il fallait corriger le tir. Prenons garde à ne pas rendre instables des pans entiers de notre droit, car cela déstabiliserait nos entreprises. Des représentants de fédérations professionnelles me disaient qu’à tout prendre, ils préféreraient qu’on ne touche pas aux normes en vigueur, quelque compliquées qu’elles soient, plutôt qu’on essaie de les améliorer, car ils devraient alors refaire les programmes informatiques et former les personnels : au final, le coût du changement serait trop élevé.

Par ailleurs, beaucoup de choses existent déjà en matière d’évaluation ex post, à commencer par les travaux de la Cour des comptes et les rapports gouvernementaux exigés dans nombre de lois. Le problème, c’est ce qu’on en fait ensuite : les utilise-t-on vraiment pour faire évoluer les textes ? Il serait utile d’établir un état des lieux de l’ensemble des dispositifs existants.

M. Régis Juanico. C’est précisément ce que nous avons prévu de faire !

M. Rémi Bouchez. Peut-être faudrait-il mieux les organiser et les coordonner davantage, mais il ne s’agit pas d’un champ vierge.

Mme la présidente Laure de La Raudière. La Cour des comptes évalue dans ses rapports les politiques publiques au sens large, mais non telle disposition législative particulière, notamment au regard des objectifs fixés dans l’étude d’impact. Il n’existe pas, en matière de production de la loi, la même démarche de qualité que dans les processus industriels. S’il résultait d’une évaluation que la modification du dispositif légal occasionnerait davantage d’inconvénients que d’améliorations, on pourrait toujours décider de ne pas procéder à la réforme, mais l’évaluation aurait été faite et permettrait de faire de meilleures lois par la suite.

Vous avez raison : les travaux de la Cour des comptes ne sont pas assez utilisés par les administrations, le Gouvernement et les parlementaires. Comment faire pour changer de culture afin que le politique s’empare des préconisations et les mette en œuvre ? Les administrations n’ont pas forcément envie de revenir sur ce qu’elles ont elles-mêmes créé !

M. Rémi Bouchez. Il me semble que l’on bascule là de la question du flux vers celle du stock. Selon moi, le mieux serait de développer l’évaluation préalable, en essayant de limiter les erreurs commises dans la confection des nouveaux textes et, pour l’évaluation ex post, de retenir un segment du droit, un angle d’attaque ou un chapitre de code, d’en faire la revue de détail et d’essayer, par la concertation, de le simplifier et de l’améliorer. Cela me semblerait en tout cas plus efficace que de centrer l’analyse sur un seul dispositif ou d’engager, comme par le passé, des exercices de simplification tous azimuts donnant lieu à de lourds travaux interministériels et à des textes fleuves.

Cela n’empêcherait pas de prévoir un dispositif d’évaluation propre dans le cas d’une loi novatrice ; mais beaucoup de textes nouveaux, qu’ils soient législatifs ou réglementaires, viennent modifier ou compléter des dispositifs déjà existants. C’est l’ensemble qu’il faudrait évaluer.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Monsieur Bouchez, je vous remercie.

*

* *

Puis la mission d’information procède à l’audition de M. Éric Doligé, sénateur et auteur du rapport sur la simplification des normes applicables aux collectivités locales (juin 2011).

Mme la présidente Laure de La Raudière. Monsieur le sénateur Éric Doligé, notre mission d’information sur la simplification législative s’intéresse à la fabrique de la loi, donc davantage au flux qu’au stock de normes.

Sur la question du stock, notre rapporteur, Thierry Mandon, auteur d’un rapport sur la simplification réglementaire pour les entreprises, copréside avec Guillaume Poitrinal le nouveau Conseil de la simplification tandis que la Commission consultative d’évaluation des normes, créée à la suite de votre rapport, traite des normes applicables aux collectivités territoriales.

Notre mission a commencé ses travaux par des déplacements à Bruxelles, à Londres et à Berlin – nous nous rendrons prochainement à La Haye – dans le but d’y observer les bonnes pratiques. Nous avons pu mesurer combien la culture de l’étude d’impact préalable à la fabrique de la loi pouvait être forte à l’étranger, tandis que s’y développe également une culture d’évaluation ex post méthodique des textes adoptés.

Nous avons souhaité vous entendre aujourd’hui, car nos préoccupations rejoignent celles de votre rapport, lequel comporte 268 propositions sectorielles pour simplifier le stock des normes applicables aux collectivités territoriales ainsi que des préconisations pour changer en profondeur la gouvernance normative en France.

Vous suggérez notamment de créer une instance indépendante pour procéder à une évaluation ex ante des dispositifs envisagés ; de préparer les décrets d’application concomitamment à l’élaboration de la loi et de fixer des objectifs temporels d’adoption de ces décrets ; de créer un « service après-vente » de la norme au sein de chaque ministère ; de développer l’évaluation ex post ; de déterminer des règles de stabilité minimale des textes dans le temps. Comment envisagez-vous la traduction concrète de ces propositions dans notre culture législative, et pensez-vous que le Conseil d’État y soit favorable ?

Vous proposez également d’introduire dans le droit français les principes de proportionnalité et d’adaptation des normes et de changer la culture de transposition des directives européennes.

M. Éric Doligé, sénateur. J’ai en effet produit ce rapport sur la simplification des normes il y a quelques années, avec peu de moyens mais grâce à l’aide d’une femme de grande qualité, Mme Noémie Angel. Les propositions qu’il contient reflètent mes convictions, au premier rang desquelles celle que, si la normalisation est utile et nécessaire, le trop-plein de normes conduit à un véritable « ras-le-bol », aussi bien de la part des administrés que des élus ou des entreprises, car il se traduit par un allongement des délais de l’action publique, des surcoûts et une complexification excessive de la gouvernance, sans parler des points de produit intérieur brut (PIB) qu’il nous coûte en pénalisant notre compétitivité.

Si le poids des normes est particulièrement sensible dans la gestion courante des collectivités, il existe, à tous les niveaux de l’administration, une attente de simplification. On ne manque sans doute pas d’idées dans les ministères pour y remédier, mais toute la difficulté est de mettre ces idées en œuvre.

État, Parlement, collectivités, chacun porte sa part de responsabilité dans cette surabondance de normes, qui s’explique en partie par notre attachement à certains principes – je pense notamment au principe de précaution – ou par le zèle dont fait souvent preuve la France pour se mettre en conformité avec les normes européennes. Récemment, c’est le Grenelle de l’environnement qui a débouché sur une multitude de normes nouvelles.

Les États-Unis, le Canada ou certains pays nordiques ont parfaitement compris qu’il était nécessaire de faire des efforts en la matière et j’ai l’intime conviction qu’il s’agit avant tout d’une question de volonté politique. Je me suis donc réjoui d’entendre le Président de la République évoquer un choc de simplification même si, malheureusement, nous continuons à produire de la norme, nous livrant, les uns et les autres, à une surenchère d’amendements : faute de consensus, il n’est pas rare qu’un texte arrivant au Parlement avec une trentaine d’articles en ressorte avec une soixantaine.

Nous devons non seulement adapter nos méthodes pour réguler le flux de normes, grâce à une volonté politique partagée, mais également nous attaquer au stock et le nettoyer : on parlait, il y a trois ou quatre ans, de 400 000 normes, et ce nombre a certainement encore augmenté. Cette simplification est indispensable si nous voulons améliorer notre compétitivité et notre qualité de vie.

Pour ce qui me concerne, je me suis plus spécifiquement penché sur les collectivités locales pour faire une série de propositions, dont certaines semblent avoir rencontré un écho. Certaines pistes que j’ai avancées, en matière d’accessibilité ou d’urbanisme notamment, ont pu en choquer certains, mais ce n’était pas mon intention. Il s’agissait dans mon esprit de faire avancer la réflexion et de trouver des solutions. Je constate d’ailleurs que ceux-là mêmes qui les critiquaient il y a deux ou trois ans s’en inspirent aujourd’hui.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Adapter les normes vous paraît-il compatible avec le respect du principe d’égalité ? Je pense en particulier aux petites collectivités territoriales contraintes d’engager plusieurs dizaines de milliers d’euros de travaux pour l’accessibilité de leurs bâtiments publics.

M. Éric Doligé. Mes propositions ne font que retranscrire ce qui m’a été suggéré par les associations d’élus, les associations d’handicapés, les représentants du secteur des bâtiments et travaux publics (BTP) et toutes les personnes concernées que j’ai auditionnées.

Par ailleurs, le Conseil d’État a rendu un avis sur les propositions issues de mon rapport, confirmant que la loi peut être adaptée. Il ne peut s’agir d’un principe général, mais il est possible de procéder au cas par cas, chaque loi pouvant comporter un article concernant son application dans telle ou telle collectivité, tel ou tel territoire, comme c’est déjà le cas pour l’outre-mer ou les départements de l’Est de la France.

En matière d’accessibilité, ma proposition consiste à remplacer l’obligation de moyens par une obligation de résultat : il s’agit non pas de rendre accessible la totalité d’un bâtiment recevant du public, mais de permettre à tous les citoyens, handicapés ou non, de bénéficier du même service. Par exemple, il n’est pas nécessaire que toutes les chambres d’une résidence étudiante soient accessibles aux handicapés ; seules quelques-unes doivent l’être, ainsi que l’ensemble des services offerts. De même, si les services d’une petite mairie ne sont pas accessibles parce qu’ils sont à l’étage, une pièce peut être aménagée en rez-de-chaussée pour que les fonctionnaires y reçoivent les usagers qui le nécessitent.

Les commissions locales doivent pouvoir valider les solutions proposées, mieux adaptées que la norme nationale. Cela permettrait d’empêcher la disparition de services ou de commerces contraints de fermer parce que les collectivités ou les entreprises n’ont pas les moyens de les mettre aux normes. Il n’est pas nécessaire, par exemple, que l’ensemble des équipements sportifs d’une intercommunalité soit mis aux normes, cette dernière pouvant sélectionner ceux qui, sur son territoire, devront être accessibles aux handicapés.

Cette adaptation est d’autant plus indispensable que la situation économique des collectivités s’est aggravée depuis la publication de mon rapport et que celles-ci connaissent aujourd’hui des graves difficultés de financement. Je rappelle que le coût total de la mise en conformité avait été évalué en 2011 à 20 milliards d’euros, et que seulement 3 ou 4 milliards avaient été dépensés à ce titre. Comme le souligne ma collègue Claire-Lise Campion dans son rapport, il est donc impératif de trouver des solutions si l’on veut achever la mise aux normes avant le 1er janvier 2015. À mes yeux, ces solutions consistent à négocier avec les associations une obligation de résultat plutôt que de moyens, mais le handicap est, avec la sécurité, l’un des sujets les plus délicats dans cette problématique des normes.

M. Thierry Mandon, rapporteur. Votre rapport, le rapport Boulard-Lambert, le rapport Campion, tous disent la même chose ! Mais, concrètement, que s’est-il passé ?

M. Éric Doligé. Rien, ou pas grand-chose, mais les mentalités ont évolué : les associations d’élus n’hésitent plus à exprimer leur ras-le-bol face à l’excès de normes, en particulier en matière d’accessibilité. Le Président de la République a exprimé son désir de simplification et le Sénat a examiné ma proposition de loi, ainsi que celle déposée par M. Jean-Pierre Sueur et Mme Jacqueline Gourault. Les bonnes intentions existent mais, par souci de ne pas heurter les lobbies ou les associations, elles finissent toujours par être vidées de leur substance.

Comme je l’expliquais à l’ancien Président de la République lorsqu’il m’a confié ma mission, il faut avoir le courage politique de prendre les dispositions que les gens attendent et qui ne sont pas si difficiles que cela à accepter.

Il serait assez simple de ne pas surenchérir sur les normes européennes et, par exemple, d’autoriser nos agriculteurs à élever leurs volailles dans des poulaillers de même dimension que les poulaillers allemands ou encore de permettre à Amazon de stocker ses produits dans des entrepôts identiques à ceux d’outre-Rhin : cela permettrait dans les deux cas de faire des économies de coût de revient et de gestion. En évitant d’ajouter des normes nationales aux normes européennes, nous réaliserions des gains considérables.

Nous devons nous inspirer des méthodes mises en place à l’étranger. L’analyse coût-efficacité permettrait par exemple d’identifier et de supprimer, dans le respect du principe d’égalité, les impôts dont la perception coûte plus cher qu’elle ne rapporte à l’État.

Les parlementaires doivent se gendarmer un peu et revoir l’organisation de leurs travaux. Quant à l’exécutif, j’avais également suggéré de réduire à quinze le nombre de ministres – quinze ministres vont à l’essentiel et produisent moins que quarante –, mais cela ne se fera jamais si ce n’est pas inscrit dans la Constitution !

M. Régis Juanico. Existe-t-il des différences fondamentales entre les manières de travailler du Sénat et celles de l’Assemblée nationale, soit en amont de la loi, dans la phase de préparation des textes, soit en aval ? Le Sénat est, me semble-t-il, doté d’une commission chargée du contrôle de l’application des lois : est-elle utile ? Disposez-vous par ailleurs d’outils d’évaluation ex post qui vous paraissent adaptés ? Comment pourrions-nous nous enrichir mutuellement pour améliorer la qualité de la loi ?

M. Éric Doligé. Ayant été député avant d’être sénateur, je peux noter quelques différences. L’Assemblée est davantage soumise à la pression de l’actualité et à celle des électeurs que le Sénat, qui dispose de davantage de temps pour examiner les textes – cela influence évidemment sa manière de les aborder. Nous avons en effet une commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, mais je ne suis pas persuadé de son apport particulier. Quant aux évaluations, elles indiquent rarement qu’une loi est mauvaise ou qu’elle ne fonctionne pas, et nous avons trop tendance, sénateurs comme députés, à ne pas assez prendre le temps de regarder en arrière, car nous sommes toujours assaillis de textes qui se succèdent à grande vitesse. Il faudrait pourtant prendre l’habitude de ne pas ajouter les rapports les uns aux autres et mettre enfin en application ce principe sur lequel tout le monde s’accorde : un texte adopté doit en chasser un, voire deux.

L’Assemblée comme le Sénat doivent revoir leurs méthodes de travail, car il n’est pas possible de traiter de tout en même temps. Si l’intérêt des travaux est immense, je ne suis cependant pas persuadé que nous ayons véritablement le temps d’exploiter toute la richesse que constituent les nombreuses auditions auxquelles nous procédons. Quant au rapport annuel de la commission pour le contrôle de l’application des lois, il est comme le rapport de la Cour des comptes : riche et passionnant. On pourrait certes en tirer des enseignements mais, le plus souvent, on ne progresse pas faute de temps. Je sais qu’il existe à l’étranger des commissions chargées d’examiner la « productivité » des lois. Nous pourrions nous en inspirer et mettre en place, au sein de nos assemblées respectives, des instances chargées d’évaluer l’efficacité des travaux que nous menons. Elles feraient sans doute apparaître que, bien souvent, les résultats sont moindres que les efforts fournis.

Mme Cécile Untermaier. Nous devons identifier les responsabilités de chacun dans la prolifération de la norme. Avec l’accessibilité, nous sommes pour l’essentiel dans le domaine réglementaire, et c’est moins au législateur de battre sa coulpe qu’au pouvoir exécutif de trouver des dispositifs adaptés. Ceux qui sont actuellement en place sont d’une lourdeur administrative qui les rend inapplicables dans certaines communes et décourage certains maires d’ouvrir des locaux au public. Il serait souhaitable que les décrets soient évalués par un régulateur. Il est aberrant, par exemple, que la commission départementale soit saisie d’un projet d’ouverture de local quand le maire est prêt à en assumer toute la responsabilité. Selon moi, cette complexité trouve son origine dans le fait que la décentralisation n’a jamais été vraiment assumée et que l’on continue à imposer aux élus des normes qui s’empilent les unes sur les autres.

S’agissant de la loi, ne faut-il pas se donner davantage de temps pour la produire et mieux évaluer en amont, dans les études d’impact, la diversité de situations et son incidence sur l’application de cette loi ? Ne peut-on imaginer de mettre en place des dispositifs d’expérimentation ? Et, si on met en place des normes adaptées, pourquoi ne pas concevoir un équivalent de Légifrance à l’échelle régionale ?

M. Éric Doligé. Il est clair qu’il faut clarifier les responsabilités des uns et des autres. La loi sur les compétences des collectivités, qui doit nous être présentée d’ici à quelques semaines, peut nous en donner l’occasion.

Je pense par ailleurs que les préfets sont en train de perdre le pouvoir sur leurs administrations au plan local : les directions régionales des affaires culturelles (DRAC), dans le domaine des fouilles, les architectes des bâtiments de France, ou les directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL), en matière d’environnement, ont désormais tendance à en référer directement à leur ministère de tutelle et il devient difficile de régler les problèmes au niveau local. Il est important que les préfets retrouvent de l’autorité, car leur faculté de discussion avec les élus est souvent plus grande que celle des directeurs des services déconcentrés. Il faut leur redonner un pouvoir d’appréciation en matière d’application de la norme pour permettre la mise en œuvre de solutions plus souples au plan local. Pour reprendre l’exemple de l’accessibilité, il faut en finir avec les interprétations maximalistes d’un texte voté à l’unanimité mais dont l’application était différée de dix ans et faire en sorte que les élus puissent agir sans peur d’être sanctionnés. C’est dans cette optique que j’avais proposé, en accord avec le président de l’Association des maires de France, la mise en place d’une instance de médiation, composée d’anciens élus et destinée à assister les maires des petites communes dans leurs démarches auprès des préfets. C’est une solution intéressante et peu onéreuse.

Reste qu’il faut parvenir à convaincre les associations spécialisées. Or chacun sait que l’Association des paralysés de France ne veut, pour l’instant, pas entendre parler d’un assouplissement de la loi. Sans doute changera-t-elle d’avis le 31 décembre 2014, mais il serait préférable d’envisager les solutions suffisamment en amont, avant qu’il ne soit trop tard.

Mme Cécile Untermaier.  Une solution respectueuse passe par le dialogue et non par l’empilement des formulaires à remplir, mais nous n’avons malheureusement obtenu aucun allégement dans ce domaine. Les commissions départementales sont souvent inflexibles. En outre, quelle que soit la majorité, l’administration centrale s’intéresse peu aux difficultés locales et a du mal à admettre que ses décrets posent des problèmes d’application sur le terrain. Sans doute la mise en place d’un médiateur pourrait-elle simplifier les choses.

M. Éric Doligé. Tout est dans le rapport. Chaque administration doit analyser les remontées du terrain et corriger en conséquence les textes qu’elle produit. Quant au Parlement, il doit renforcer son suivi des normes, le Sénat se concentrant sur la problématique des collectivités et l’Assemblée s’attachant davantage aux questions de société, afin d’éviter les doublons.

Je le répète, tout est question de courage politique. Si les réactions peuvent être négatives dans un premier temps, à terme il n’y a que des effets bénéfiques à retirer d’une simplification des normes.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Monsieur le sénateur, nous vous remercions.

La séance est levée à 11 heures 50.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Régis Juanico, Mme Laure de La Raudière, M. Thierry Mandon, Mme Cécile Untermaier

Excusés. - M. Étienne Blanc, M. Philippe Gosselin