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Mission d’information sur la simplification législative

Mardi 1er juillet 2014

Séance de 17 heures 30

Compte rendu n° 13

Présidence de Mme Laure de La Raudière, Présidente

– Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Luc Warsmann, député

La séance est ouverte à 17 heures 30.

Présidence de Mme Laure de la Raudière, présidente.

La mission procède à l’audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Luc Warsmann, député.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Le Président de l’Assemblée nationale nous a confié une mission d’information sur la simplification législative et nous avons souhaité vous entendre pour que vous nous fassiez part de votre expérience à plusieurs titres.

En premier lieu, en tant qu’auteur de quatre lois de simplification du droit, dont deux ont été transmises pour avis au Conseil d’État, que pensez-vous de la saisine du Conseil d’État sur les propositions de loi ? Faudrait-il la rendre obligatoire pour toutes les propositions de loi ayant une perspective sérieuse d’inscription ?

M. Jean-Luc Warsmann. Je ne pense que du bien de la saisine du Conseil d’État sur les propositions de loi. Celle-ci a permis de mettre à égalité le Parlement et le Gouvernement, surtout depuis que l’on a trouvé un équilibre en matière de publicité de l’avis rendu par le Conseil d’État.

Quand le Gouvernement a une idée de projet de loi, il demande un avis au Conseil d’État. Celui-ci lui remet son avis sans le publier. Le Gouvernement peut supprimer certains articles de son projet si l’avis du Conseil d’État est incendiaire, et il n’a pas à transmettre cet avis. Il n’en va pas de même pour les parlementaires : dès que nous déposons une proposition de loi, celle-ci est rendue publique. Si l’avis rendu par le Conseil d’État est défavorable à plusieurs articles d’une proposition de loi, son auteur s’en trouve très affaibli. Pour rétablir un équilibre, on a émis l’idée que l’auteur de la proposition de loi rendrait public l’avis du Conseil d’État, sauf sur les dispositions dont il propose lui-même la suppression. L’auteur peut donc décider de retirer certains articles pour tenir compte de l’avis du Conseil d’État, sans risquer pour autant de s’affaiblir.

Cette saisine constitue un grand progrès : souvenez-vous de ma proposition concernant les marchés publics, visant à remonter le seuil de dispense d’obligation de publicité et de mise en concurrence. Le Conseil d’État ayant précédemment annulé le décret qui relevait ce seuil, le Gouvernement ne voulait plus en entendre parler. Mais j’ai plaidé ma cause en assemblée générale et malgré l’opposition du rapporteur de la section, le vote nous fut favorable. Ainsi, les parlementaires peuvent s’adresser aux conseillers d’État pour plaider leur cause.

L’initiative parlementaire et l’initiative gouvernementale se trouvent donc rééquilibrées. L’état de nos finances publiques est suffisamment désastreux pour nous dissuader de créer une autre force de conseil, exploitons celles qui existent.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Cela ne vaut que pour les propositions qui sont susceptibles d’être adoptées. Or elles sont déjà déposées sur le bureau de l’Assemblée nationale avant que l’on ne saisisse le Conseil d’État.

M. Jean-Luc Warsmann. Vous avez raison. Il me semble malgré tout que l’équilibre auquel nous sommes parvenus est satisfaisant. Dès que la proposition est susceptible d’être inscrite à l’ordre du jour, son auteur, s’il le souhaite, peut s’adresser au Conseil d’État. Il rendra publique la partie de l’avis portant sur les dispositions qu’il entend maintenir.

Mme Cécile Untermaier. L’inscription d’une proposition à l’ordre du jour ne devrait-elle pas obligatoirement être précédée d’une demande de saisine du Conseil d’État ?

M. Jean-Luc Warsmann. Je n’y verrais aucun inconvénient, à partir du moment où l’auteur de la proposition de loi ne rend pas publiques les parties qu’il ne maintient pas. L’échange juridique et intellectuel que permet la saisine est toujours profitable, et chacun peut ensuite faire valoir ses arguments.

Mme la présidente Laure de La Raudière. J’aimerais avoir votre point de vue sur les avis du Conseil d’État portant sur les projets de loi. En effet, plusieurs personnes nous ont suggéré de rendre publique l’intégralité de cet avis. Mais d’autres nous ont déconseillé de le faire, au motif que cela limiterait le pouvoir du Gouvernement. Selon eux, il suffirait de ne rendre publique que la partie de l’avis du Conseil d’État sur l’étude d’impact.

M. Jean-Luc Warsmann. Si l’on veut que le Conseil d’État joue son rôle de conseiller auprès du Gouvernement, il faut que le Gouvernement se sente libre quand il sollicite son avis. Or ce ne serait pas le cas si on l’obligeait à rendre cet avis public. Donc, autant que le Gouvernement garde cet avis pour lui.

Mais venons-en aux études d’impact, qui faisaient partie des recommandations du rapport du comité « Balladur » de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République. Le Gouvernement n’en voulait pas, mais elles ont été rétablies ici à marche forcée. Je ne vais pas porter d’appréciation sur les décisions du Conseil constitutionnel. Je dirai simplement que celui-ci, dans sa grande sagesse, touche rarement dans ses décisions à des questions dont l’impact politique est important.

Tout ce qui peut renforcer les études d’impact est positif. Néanmoins, gardons à l’esprit que nos institutions doivent permettre au Gouvernement, quel qu’il soit, de diriger le pays avec rapidité et efficacité. L’intérêt de ces études n’est pas de provoquer une confrontation entre la droite et la gauche, mais d’amener l’exécutif à faire état du « rapport qualité-prix » de la modification législative qu’il propose, et surtout à démontrer en quoi la solution qu’il préconise est la meilleure.

Il ne faut donc pas alourdir le système. J’aurais été marri que, à l’occasion de l’examen du projet de loi relatif à délimitation des régions, le Sénat bloque pendant une semaine une réforme d’un gouvernement que, par ailleurs, je ne soutiens pas.

Mme Cécile Untermaier. Je suis d’accord avec vous : la transparence n’est pas toujours nécessaire. Pour autant, il me semble insuffisant de ne rendre publique que la partie de l’avis du Conseil d’État portant sur l’étude d’impact. Cela remettrait en cause, selon moi, le nécessaire équilibre des pouvoirs entre le Parlement et le Gouvernement.

J’approuve le fait qu’il ne faut pas publier l’avis négatif portant sur des dispositions retirées par le Gouvernement. Sous cette réserve, qui me paraît effectivement sage parce qu’elle mettrait l’intéressé en position de faiblesse, je considère que l’on pourrait publier l’intégralité de l’avis du Conseil d’État – étude d’impact et projet de loi.

M. Jean-Luc Warsmann. Pour avoir « planché » devant le Conseil d’État, je précise qu’il est possible de faire évoluer l’avis du Conseil d’État. Et je vais vous en donner un exemple, qui me vaut, toutes les semaines, des courriels de satisfaction de la part de nos concitoyens : la prise en charge partielle du coût des fuites d’eau par les distributeurs, qui figure dans la troisième loi de simplification du 17 mai 2011. S’il n’y avait pas eu d’échange avec le Conseil d’État, je pense que j’aurais été « renvoyé dans mes cordes ».

M. Régis Juanico, rapporteur. Nous nous demandons, au sein de notre mission, comment faire contrexpertiser l’étude d’impact. Cet avis, différent de celui du Conseil d’État, porterait sur la qualité de l’étude d’impact. Il pourrait venir d’un organisme indépendant extérieur – Conseil de la simplification pour les entreprises, Conseil économique, social et environnemental, Conseil national d’évaluation des normes – qui varierait suivant les thématiques abordées par les textes de loi. Y voyez-vous un facteur de ralentissement, ou un facteur d’enrichissement de la qualité des études d’impact ?

M. Jean-Luc Warsmann. Je n’ai pas de solution à vous proposer. Lorsque j’étais président de la commission des Lois, au cours de la précédente législature, j’ai fait appel à des professionnels de mon territoire, par exemple des experts-compables, plutôt qu’à ceux du CESE – pour lesquels j’ai d’ailleurs le plus grand respect. Sans doute faudrait-il inciter nos collègues à s’adresser aux praticiens de leur département. C’est très commode et leur expertise est désintéressée.

Mme la présidente Laure de La Raudière. En tant que rapporteur, à la fois du projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République, qui a conduit à la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 et de la loi organique du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution, quelles sont les pistes d’amélioration de la procédure législative que vous alors expertisées et défendues, y compris contre l’avis du Gouvernement ? Quelle appréciation portez-vous sur celles qui ont été mises en application ? Quelles sont celles que vous auriez aimé mettre en place, sans y être toutefois parvenu ?

M. Jean-Luc Warsmann. On ne va pas refaire le débat, mais je regrette vraiment d’avoir dû céder sur les résolutions de l’article 34-1 de la Constitution ! Je trouve en effet qu’un Parlement se discrédite quand il « bavarde ».

Cela dit, nous avons progressé sur les études d’impact. En revanche, nous n’avons pas avancé sur les amendements du Gouvernement. Or l’expérience montre que tous les gouvernements ont tendance à en abuser. Faut-il interdire totalement au Gouvernement de déposer un amendement de dernière minute ? Si je le suggérais, je serais en contradiction avec l’idée que j’ai défendue devant vous il y a quelques instants et qui est qu’un gouvernement doit avoir la possibilité d’agir. Il n’en reste pas moins que je trouve désastreux que l’on puisse déposer des amendements de dernière minute pour se dispenser d’une étude d’impact – comme le permet notre législation. C’est particulièrement caricatural en matière fiscale.

Le sujet a été abordé au cours de la dernière législature et il a été décidé que le Gouvernement devait conserver une marge de manœuvre. Maintenant, je pense que ce n’est pas satisfaisant, vu l’abus qu’en font les gouvernements de toutes tendances. Cela ne va pas dans l’intérêt du pays. Peut-être faudrait-il au moins prévoir un délai ?

Mme la présidente Laure de La Raudière. Ne peut-on pas aligner les délais de dépôt des amendements du Gouvernement sur ceux applicables aux parlementaires ?

M. Jean-Luc Warsmann. Certains amendements méritent une étude d’impact. On pourrait peut-être utiliser ce biais.

Je reconnais au Gouvernement la liberté de proposer un amendement modifiant substantiellement un point de législation. Mais son devoir est tout de même d’expliquer au Parlement pourquoi. Or on peut considérer qu’il y a là des abus. Dans ces conditions, pourquoi ne pas imposer une étude d’impact ? Bien sûr, cela implique que quelqu’un puisse être saisi en cas de différend entre les parties prenantes. En la matière, notre réglementation est vraiment inadaptée.

Mme Cécile Untermaier. On pourrait prendre en compte le fait que l’amendement bouleverse l’économie du projet de loi. Mais qui décidera qu’il bouleverse l’économie du projet de loi ?

M. Jean-Luc Warsmann. Cela n’est pas infaisable, il existe les groupes, une opposition dont les droits ont été renforcés …On pourrait imposer une étude d’impact et, en cas de recours, accorder un délai de 24 heures à telle ou telle institution pour se prononcer sur cette étude. Cela obligerait indirectement le Gouvernement à respecter un certain délai de dépôt. Ce serait peut-être le moyen de rééquilibrer les choses. Selon moi, il faut travailler dans cette direction.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Je me permets d’insister : ne serait-il pas sage d’imposer les mêmes délais aux parlementaires et au Gouvernement pour déposer leurs amendements ? Cela permettrait aux parlementaires et au rapporteur d’évaluer l’amendement du Gouvernement dans des délais raisonnables, de demander au Gouvernement une étude d’impact et d’éviter que l’on découvre au dernier moment un amendement du Gouvernement, ce qui est aussi gênant pour la majorité que pour l’opposition. Ce n’est pas du bon travail parlementaire.

M. Jean-Luc Warsmann. Je ne souhaite pas que ce délai soit le même pour le Gouvernement et pour les parlementaires. Le Gouvernement émane du suffrage universel, il doit avoir les moyens de diriger le pays. En revanche, il me semble normal qu’il justifie, en l’occurrence, ses prises de position.

Cela dit, je pense que c’est d’abord un problème de méthode. En tant que membre de la majorité et président de la commission des Lois, j’ai assisté à un certain nombre de réunions avec le ministre et avec le rapporteur, destinées à aborder les sujets de divergence ; ceux qui n’étaient pas tranchés la veille auraient très bien pu l’être trois jours auparavant. Il me semble que si l’exécutif laisse couler les choses, c’est surtout par « confort ». Si la règle était différente, le Gouvernement s’y prendrait autrement.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Ne pourrait-on pas l’obliger à déposer ses amendements au plus tard 48 heures avant la discussion du texte ? L’important est qu’il puisse étudier les amendements des parlementaires, éventuellement faire évoluer sa position et déposer lui-même un amendement.

M. Jean-Luc Warsmann. Encore une fois, il ne me semble pas pertinent d’aligner les délais du Gouvernement sur ceux des parlementaires. Nos citoyens, et c’est consubstantiel à la Ve République, votent pour un Président et lui donnent une majorité. À partir de là, le Gouvernement doit avoir les moyens d’agir. On n’imaginerait pas que le pouvoir exécutif, dans un pays comme la France, soumis à de fortes pressions nationales, européennes et internationales, n’ait pas les commandes. Lui demander, s’il prend une initiative de dernier moment, de la justifier, je suis d’accord. La lui interdire, je suis contre.

Mme Cécile Untermaier. Je crains même que ce soit vécu comme un argument de confort du Parlement et donc impopulaire. Nous devons donc nous résigner à légiférer avec ce dispositif, malgré les difficultés qu’il entraîne. Pour ma part, je vous rejoins tout à fait, dans la mesure où ces amendements seraient solidement argumentés – par un exposé des motifs qui pourrait s’apparenter à une étude d’impact.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Nous nous sommes interrogés également sur les amendements substantiels des députés. Comment rendre plus opérationnelle la procédure de saisine – prévue dans notre Règlement – du Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques, pour analyser l’impact d’un amendement ?

M. Jean-Luc Warsmann. D’abord, il faut conserver ce qui est une liberté parlementaire. Souvenez-vous de ce que nous avons vécu il y a quelques années : le Gouvernement avait proposé un projet de loi sur les juridictions financières, puis l’avait laissé en déshérence. Je l’ai repris sous forme d’amendement parlementaire mais paradoxalement, le Gouvernement s’est opposé à son propre texte en donnant un avis défavorable à mon amendement.

Ensuite, pourrait-on imaginer, par exemple, que le rapporteur « déclenche » une « mini étude d’impact » sur un amendement ? Il faudrait toutefois que l’auteur soit d’accord. Imaginez qu’un parlementaire de la majorité dépose un amendement « substantiel » et que le rapporteur, issu lui aussi de la majorité, déclenche une procédure qui se retourne contre lui. Le droit d’amendement de ce parlementaire serait quasiment réduit à néant.

Mme Cécile Untermaier. Dans cette hypothèse qui pourrait aider le député ou le rapporteur à réaliser une étude d’impact ?

M. Jean-Luc Warsmann. Le CEC ne pose aucun problème.

Dans notre pays, il est arrivé – par exemple, lorsque les banlieues « brûlaient » – que l’on ait besoin que le législateur vote très vite un texte. Le législateur doit donc pouvoir le faire, tout en amendant assez librement le texte en question. Il ne faut toucher ni à cette rapidité, ni à cette liberté.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Beaucoup de textes sont examinés en urgence, sans qu’il y ait nécessairement urgence du point de vue du fonctionnement du pays. Peut-être pourrait-on qualifier les cas d’urgence ?

M. Jean-Luc Warsmann. Si je puis me permettre, on est ici dans la politique et pas dans le droit. Un dialogue doit s’instaurer entre le Gouvernement et sa majorité ; et si le Gouvernement piétine sa majorité parlementaire, c’est à celle-ci de réagir. En revanche, j’estime légitime que le Gouvernement dispose des commandes, parce qu’il a gagné les élections, qu’il a le pouvoir et qu’il a souvent besoin que les textes soient rapidement votés.

Dans le même ordre d’idées, il est juridiquement possible de s’opposer à une étude d’impact lorsqu’on la considère insuffisante. Pourtant, lorsque j’étais président de la commission des Lois, je n’ai pas utilisé cette « arme atomique ». Je me suis contenté d’interpeller à plusieurs reprises un ministre de la majorité pour lui faire remarquer telle ou telle lacune. Ainsi, le fait majoritaire de la Ve République permet aux parlementaires et aux responsables parlementaires de la majorité d’engager un dialogue avec le Gouvernement pour l’amener à revoir sa copie, sans avoir besoin d’utiliser d’arme juridique. C’est ce dialogue qu’il convient de développer.

Mme Cécile Untermaier. Ne trouvez-vous pas que nous manquons de temps ? Nous prenons en même temps connaissance du projet et de l’étude d’impact. Pourrait-imaginer que l’étude d’impact soit communiquée avant le dépôt du projet de loi ?

M. Jean-Luc Warsmann. J’ai combattu l’idée d’une étude d’impact réalisée a posteriori. Le système actuel, poussé à l’absurde, est le suivant : un ministre est nommé ; il donne l’ordre à son administration centrale de préparer un texte ; une fois que le texte est prêt et arbitré, il lui demande de rédiger l’étude d’impact. Pour éviter une telle dérive, on a exigé que le Conseil d’État reçoive l’étude d’impact en amont lorsqu’il est saisi de l’avant-projet de loi. Toutes les études d’impact sont-elles rédigées avant les projets de loi ? Je n’en sais rien – j’aurais peur d’être naïf en vous répondant positivement –, mais c’était en tout cas l’objectif poursuivi.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Nous avons commencé à réfléchir sur la procédure d’urgence, qui suppose et l’inscription rapide d’un projet à l’ordre du jour, et une seule lecture dans chaque assemblée. Or on peut vouloir inscrire rapidement un texte à l’ordre du jour, sans nécessairement se contenter d’une seule lecture. De toutes les façons, si l’on veut qu’un texte soit rapidement adopté, il est toujours possible d’obtenir un vote conforme.

M. Jean-Luc Warsmann. Non. Le Gouvernement actuel ne sait plus faire. Et dans six mois, il le saura encore moins.

Mme la présidente Laure de La Raudière. C’est à voir avec sa majorité.

M. Jean-Luc Warsmann. Cela suppose que le Gouvernement ait la majorité dans les deux chambres.

Mme la présidente Laure de La Raudière. C’est un problème politique.

M. Jean-Luc Warsmann. Pour moi, le problème n’est pas d’ordre politique. Il vient de ce que la seconde chambre, qui est le Sénat, et qui n’est pas issue du suffrage universel, ne devrait pas avoir le pouvoir de bloquer un texte que le Gouvernement souhaiterait voir adopté rapidement.

Souvenez-vous de la fois où Raymond Barre, qui connaissait des démêlés avec le RPR, n’arrivait pas à faire voter son budget ! Sous la Ve République, cela peut paraître surprenant. Pourtant, cela a existé hier et peut donc se reproduire demain. Les cas d’opposition du Sénat sont légion.

Je considère qu’il faut laisser au Gouvernement, dans un pays démocratique et moderne comme le nôtre, dans l’environnement national et international que l’on connaît, les moyens d’agir et de faire voter des lois, et de les faire voter rapidement. Cela ne me choque pas du tout. Mais nous sommes là en dehors du champ de la simplification.

Quel est l’objet de la simplification ? Éviter que la machine administrative ne fonctionne hors du contrôle du pouvoir politique et parlementaire. Sous l’ancienne législature, à la commission des Lois, nous disions volontiers que nous avions l’impression d’être comme Pénélope : en complexifiant la loi 364 jours par an, et en votant une loi de simplification le 365e jour. J’avoue avoir été un peu choqué d’entendre les élus de la nouvelle majorité critiquer ce qu’avait fait l’ancienne majorité en matière de simplification : l’adversaire n’est pas la droite ou la gauche, mais la machine administrative.

Je me permets de rappeler l’exemple de la simplification du bulletin de paye. La commission des Lois a dû batailler pour éviter que la réforme ne soit vidée de sa substance. Notre adversaire était la commission des Affaires sociales, dont le rapporteur expliqua à la tribune que le texte remettrait en cause un certain nombre de droits ! Au bout d’un moment, les instances chargées de collaborer avec un certain nombre de partenaires entrent en osmose avec ces derniers et se font leur porte-parole. Voilà pourquoi j’avais défendu l’idée que la simplification devrait être conduite par la commission des Lois, ou par une commission spéciale, en tout cas par une instance extérieure au domaine visé. Sinon, aucune remise en cause n’est possible.

M. le rapporteur. Je souhaiterais avoir votre avis concernant de la transposition des directives européennes. Quelles sont les bonnes pratiques en la matière ? On préconise souvent de recourir aux ordonnances, à condition d’avoir communication de l’avis du Conseil d’État sur le projet d’ordonnance et d’une étude d’impact sur ce dernier, pour identifier, notamment, les surtranspositions. Sans doute avez-vous eu à transposer un certain nombre de directives européennes. Comment vous y êtes-vous pris ?

M. Jean-Luc Warsmann. Aujourd’hui, nous n’avons aucun outil au Parlement pour identifier une surtransposition. Certes, une surtransposition peut être d’intérêt général français. Si les pouvoirs publics français estiment que, dans un domaine particulier, l’accord qui a été conclu avec nos partenaires à Bruxelles ne va pas assez loin mais que dans trois ou cinq ans on pourra améliorer les règles européennes, une surtransposition peut permettre d’anticiper ce moment et, par exemple, de donner trois ou cinq ans d’avance à notre économie. Dans un tel cas, la surtransposition est positive. Mais, dans la pratique, je n’ai jamais assisté à un débat où de tels arguments avaient été avancés. J’ai plutôt l’impression que nous ne contrôlons pas suffisamment la situation, au point que nous laissons passer des concepts étrangers au droit français, lesquels entraînent de gros problèmes de transposition.

L’exemple le plus caricatural est la transposition « par appartement ». Celle-ci ne répond à aucun plan global, le Gouvernement se contentant de rédiger quelques amendements qu’il « confie » à certains députés de la majorité.

Par ailleurs, je ne suis pas un fervent partisan des ordonnances, même si vous avez compris que ma réaction première n’était pas de retirer des pouvoirs à l’exécutif. Selon moi, il faut laisser à l’exécutif une certaine liberté d’action – amendement, proposition ou projet de loi ou ordonnance – tout en nous dotant d’un mécanisme, qui n’existe pas aujourd’hui, pour permettre au Parlement d’évaluer la transposition et d’identifier une éventuelle surtransposition. Ce serait évidemment servir l’intérêt général.

J’ai travaillé sur des lois de simplification et j’ai remarqué que, dans le domaine agricole, nous étions systématiquement en situation de surtransposition. Je pense, par exemple, aux seuils d’autorisation pour les poulaillers. Si ces seuils correspondent à l’intérêt général, pourquoi le Gouvernement n’intervient-il pas lui-même, au niveau européen, au moment de la négociation des directives plutôt que de nous amener à voter, au niveau français, dans tel ou tel sens ? Dans ce cas, nous nuisons à notre compétitivité sans, en plus, en être informés.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Nous ne savons pas apprécier s’il y a ou non surtransposition. Or nous aurions besoin d’être mieux informés, car les directives sont transposées par des lois.

Mme Cécile Untermaier. J’ai été rapporteure d’une loi transposant une directive européenne. J’observe qu’il est possible, grâce à un renvoi systématique, de comparer la directive et le projet de loi et d’identifier une éventuelle surtransposition.

M. Jean-Luc Warsmann. C’est l’exception. La plupart du temps, malheureusement, cela se passe ainsi : un collègue dépose un amendement inspiré par le Gouvernement et destiné, par exemple, à soumettre à l’étude d’impact les poulaillers de plus de 50 000 volailles ; le ministre se lève et se déclare favorable. L’amendement est donc voté, bien que le Parlement ne dispose d’aucun élément d’appréciation, et que les parties prenantes – professionnelles ou autres – n’aient pas pu s’exprimer à son sujet puisqu’il s’agit d’un amendement parlementaire.

Quand nous avons cherché une solution aux difficultés en matière de marchés publics, les autorités françaises nous ont expliqué qu’il n’était pas possible de remonter le seuil de 4 000 euros, qui relevait du droit européen. Sans notre volonté politique et la matière grise des services de l’Assemblée, nous n’aurions jamais pu tenir tête au Gouvernement et rien n’aurait changé.

Au cours de la précédente législature, j’ai reçu un responsable de service britannique, dont le travail consiste précisément à toiletter le droit applicable dans son pays, et à rechercher toutes les marges de manœuvre possible par rapport au droit européen ; ensuite, le politique tranche. Cela existe aussi aux Pays-Bas, mais pas chez nous. Voilà pourquoi, en tant que députés, nous sommes régulièrement interpellés par des professionnels qui remarquent que leurs concurrents d’autres pays de l’Union européenne disposent de marges de manœuvre supérieures aux leurs.

Contrairement à ce qu’affirment certains démagogues, une directive qui intervient dans le domaine juridique est une bonne nouvelle pour l’Europe, qui souffre plutôt des différences que des homogénéités de traitement. Mais deux difficultés se posent alors : la première est de transposer cette directive telle quelle, et pas au-delà ; la seconde est d’abroger l’ancien dispositif interne, ce qui n’est jamais fait.

L’exemple du mille-feuille, qui est souvent donné, correspond à la réalité. On peut dire que sur 100 dispositions, 40 dispositions qui relèvent du droit européen viennent s’ajouter à 60 dispositions relevant déjà du droit français. Or une directive devrait être l’occasion, pour le Parlement, de toiletter le droit et de retirer les anciennes dispositions de droit interne, ou du moins de débattre de la nécessité de maintenir d’anciennes obligations. Les parlementaires devraient être conscients que tel ou tel secteur économique va devoir continuer à respecter ces obligations. C’est un vrai problème, le résoudre serait très bénéfique pour notre économie.

Mme Cécile Untermaier. Il arrive assez régulièrement qu’une loi, dans laquelle on a eu le soin de limiter la charge administrative, se trouve vidée de son sens par des dispositions réglementaires excessives. Comment l’éviter, tout en respectant bien sûr la liberté réglementaire du Gouvernement ?

M. Jean-Luc Warsmann. Premièrement, depuis 2003-2004, le rapporteur doit donner un avis sur les textes d’application, six mois ou un an après. C’est donc un avis qualitatif.

Deuxièmement, je ne peux pas m’empêcher de remarquer que, depuis 2012, toutes les lois qui ont été votées se sont traduites par un accroissement de la charge publique ou des charges des entreprises. Pourtant, le Président de la République et l’actuel Premier ministre disent avoir compris la situation ! La démarche est un peu schizophrénique. On nous parle du pacte de compétitivité, mais le texte relatif aux stages fait que les entreprises n’en accordent plus aux jeunes. Quant à l’accord sur les 24 heures, il a désorganisé certains secteurs ; dans mon département, le Conseil général rencontre des problèmes de ramassage scolaire.

Ne jetons pas la pierre au Gouvernement, mais regardons nous nous-mêmes. Encore une fois, tous les textes examinés depuis deux ans en commission des Lois ont entraîné de nouvelles dépenses, ne serait-ce que la création d’une Haute autorité pour la transparence de la vie publique. Il serait temps de stopper cette évolution.

Mme Cécile Untermaier. Il est vrai que la création d’une Haute autorité sur la transparence rend la situation encore plus complexe. Mais je crois qu’on ne peut pas en nier l’utilité.

M. Jean-Luc Warsmann. Cela m’a valu quelques inimitiés dans mon propre camp, mais je ne vous donnerai pas raison : aujourd’hui, aucune loi n’est légitime quand elle alourdit les charges publiques. Devant l’état de notre pays, la chute des emplois, la perte de compétitivité dans tous les départements, et l’augmentation de la misère, il m’arrive d’être en colère. Dimanche dernier, à la fin de ma permanence, je me suis élevé contre l’actuelle majorité qui organise l’appauvrissement généralisé du pays. Franchement, il faut vraiment serrer la vis !

Mme la présidente Laure de La Raudière. On s’éloigne du sujet. Cela dit, je trouve essentiel d’identifier les coûts avant de prendre les décisions que l’on pourra, par la suite, assumer.

M. Jean-Luc Warsmann. Le problème est que l’on ne s’interroge pas. Ce n’est pas la Haute autorité ni son prix que je conteste, c’est le fait que l’on ne se soit pas posé la question de savoir combien cela allait coûter et si l’on n’aurait pas pu atteindre le même objectif sans se lancer dans cette dépense supplémentaire.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Cela relève de l’étude d’impact !

M. Jean-Luc Warsmann. Cela ne nuit pas à l’objectif politique. Mais il faut s’interroger sur la manière d’atteindre l’objectif que l’on s’est fixé. Or ce n’est pas, aujourd’hui, la manière de faire du Parlement français.

Mme Laure de La Raudière. Comment s’y prendre ? Je ne vois que l’étude d’impact, qui permet d’évaluer a priori les coûts et l’efficacité de chacun des dispositifs par rapport à l’objectif recherché.

M. Jean-Luc Warsmann. Aujourd’hui, on oblige le Gouvernement à faire et à présenter une étude d’impact, qu’il doit si possible rédiger avant d’avoir rédigé son texte. Mais on n’oblige pas le Parlement à passer du temps dessus. Peut-être pourriez-vous faire des suggestions dans ce sens ?

M. le rapporteur. L’une de nos propositions est d’obliger le rapporteur à présenter l’étude d’impact dans le cadre l’intervention qu’il prononce en introduction de la discussion générale.

Mme Cécile Untermaier. L’étude d’impact accompagne bien le projet de loi, mais on discute immédiatement du projet de loi sans prendre le temps d’examiner l’étude d’impact. L’étude d’impact ne pourrait-elle pas être produite avant même le projet de loi ?

M. Jean-Luc Warsmann. À mon avis, il suffirait de réserver une heure ou deux à un débat sur l’étude d’impact en commission.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Il faudrait tout de même que ce soit assez encadré et que le rapporteur ne se contente pas de lire l’exposé des motifs de la loi. Il devrait indiquer les différents scénarios examinés par le Gouvernement et justifier le choix qui a été fait.

M. Jean-Luc Warsmann. Le débat démocratique y gagnerait : cela nous permettrait de dépasser l’affrontement un peu caricatural entre la majorité et l’opposition et obligerait à avoir un débat sur le rapport « qualité-prix » de la mesure.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Merci, monsieur le président.

La séance est levée à 18 heures 15.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Régis Juanico, Mme Laure de La Raudière, Mme Cécile Untermaier.