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Commission des affaires sociales

Mercredi 30 mars 2016

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 36

Présidence de Mme Catherine Lemorton, Présidente

– Audition des organisations représentatives des salariés (CGT, CFDT, CFE-CGC, FO, CFTC) sur le projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs (n° 3600) (M. Christophe Sirugue, rapporteur)

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mercredi 30 mars 2016

La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.

(Présidence de Mme Catherine Lemorton, présidente de la Commission)

La Commission procède à l’audition des organisations représentatives des salariés (CGT, CFDT, CFE-CGC, FO, CFTC) sur le projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs (n° 3600) : Mme Véronique Descacq, secrétaire générale adjointe de la CFDT, M. Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO, M. Didier Porte, secrétaire confédéral de FO, M. Bernard Sagez, secrétaire général de la CFTC, M. Franck Mikula, secrétaire national au secteur emploi et formation professionnelle de la CFE-CGC, M. Fabrice Angei et Mme Catherine Perret, membres de la direction confédérale de la CGT, sur le projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs (n° 3600) (M. Christophe Sirugue, rapporteur)

Mme la présidente Catherine Lemorton. Nous poursuivons le marathon qui a débuté hier sur le projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs.

Avant de débuter cette séance, j’adresse une pensée à notre collègue Denys Robiliard, très impliqué sur ce texte mais qui a eu hier un accident de santé.

Après l’audition de la ministre Myriam El Khomri hier après-midi, dans un calme relatif malgré la présence de nombreux députés et l’existence d’un grand nombre d’incertitudes, nous ouvrons à présent la discussion avec les partenaires sociaux. Cet échange est un moment essentiel, et ce pas uniquement parce que ce serait un passage obligatoire quand il s’agit de modifier le code du travail.

La seule question que je poserai à nos invités avant de leur donner la parole, c’est s’ils ont le sentiment d’avoir été associés par le Gouvernement à l’écriture du projet de loi. Ont-ils été consultés et combien de fois ?

Mme Véronique Descacq, secrétaire générale adjointe de la CFDT. La concertation a été insuffisante avant la première version du texte. Non que nous n’ayons pas été invités à des discussions au ministère du travail, mais nous n’avons jamais eu l’occasion de discuter sur un texte. Nous avons été consultés sur un certain nombre de dispositions, avant de voir apparaître, dans la version initiale, des dispositions dont n’avions jamais entendu parler, en particulier l’ex-article 30 bis sur le licenciement économique. La CFDT et d’autres organisations ont donc demandé un report de la présentation du texte en conseil des ministres afin de laisser du temps à la concertation. C’est ce qui a été fait.

La CFDT a exprimé de nombreux désaccords avec la version initiale, qu’elle jugeait très déséquilibrée. À côté de réelles avancées sociales, telles que le compte personnel d’activité et la partie sur la lutte contre le travail détaché illégal, nous considérions que les mesures de sécurisation des parcours professionnels proposées étaient insuffisantes, et que certaines dispositions étaient dangereuses en raison de leur caractère libéral, en particulier la trop grande place laissée au pouvoir unilatéral de l’employeur, des licenciements économiques moins contrôlés, le barème des indemnités prud’homales – contre lequel la CFDT s’est toujours élevée depuis son introduction par la loi Macron –, un encadrement insuffisant des accords de préservation ou de développement de l’emploi, ainsi que des mesures sur le temps de travail pouvant porter atteinte à la santé des salariés, notamment le forfait-jours et les astreintes.

Nous avons mis le report à profit pour présenter des contre-propositions. Si l’objectif de ce texte était de faire croire qu’une réforme du marché du travail créerait des millions d’emplois en luttant contre une prétendue « peur de l’embauche », nous n’y avons jamais cru. Les travaux auxquels nous avons participé au Conseil d’orientation pour l’emploi montrent qu’un cycle économique déprimé n’est pas le bon moment pour prendre des mesures de réforme du marché du travail qui risquent d’augmenter encore la précarisation.

Nous sommes convaincus que, pour conduire les réformes nécessaires au progrès social dans une économie compétitive, trois choses sont nécessaires, que ce texte nous donne l’opportunité de faire : améliorer la sécurisation des parcours professionnels, permettre la montée en compétences des travailleurs – salariés, jeunes et demandeurs d’emploi – et favoriser un dialogue social de qualité capable de construire au niveau le plus pertinent les garanties dont les salariés ont besoin, la loi quand il s’agit de donner des garanties à tout le monde, la branche quand il faut faire de la régulation économique et sociale, enfin l’entreprise. En l’occurrence, sur la partie du code du travail récrite dans cette loi, à savoir le temps de travail, nous pensons que le lieu pertinent est, dans bien des cas, l’entreprise.

La deuxième version nous convient beaucoup mieux car nous avons réussi à effacer nombre de dispositions qui rendaient le projet trop déséquilibré et trop libéral. Cette nouvelle rédaction revient ainsi sur l’augmentation du pouvoir unilatéral de l’employeur. Sur le temps de travail, tout le droit supplétif, à quelques exceptions près, est revenu à droit constant. Le compte personnel d’activité a été renforcé de façon très sensible, en particulier pour améliorer la formation de ceux qui en ont le plus besoin : ces mesures parachèvent la réforme de la formation professionnelle que la CFDT demandait en 2014. Le barème, qui ne permettait pas l’indemnisation totale des salariés injustement licenciés aux prud’hommes, a été supprimé. L’article sur le licenciement économique a été partiellement récrit.

J’ai avec moi un document d’une cinquantaine de pages décrivant l’ensemble des demandes de la CFDT qui demeurent. Je reviendrai devant votre commission sur quatre points importants.

Tout d’abord, la partie concernant le dialogue social nous convient plutôt bien, car elle permet de le renforcer. On a fait reculer la possibilité de prise de décision unilatérale par l’employeur. En outre, le texte prévoit désormais le mandatement partout, y compris dans les très petites entreprises : un salarié de ces entreprises pourra être accompagné par une organisation syndicale pour mener une négociation. Cela nous semble important car c’est nous mettre en conformité avec le principe constitutionnel selon lequel tous les salariés ont droit à une représentation – droit que nous avions déjà fait avancer dans la loi Rebsamen.

L’article 1er de la loi reprend les principes généraux, à la suite du rapport Badinter. Nous pensons qu’il serait utile d’y ajouter les principes d’articulation des normes tels qu’ils sont proposés par le texte et que ces principes intègrent le code du travail à partir de 2019.

Le fait de passer à 50 % pour la validation des accords d’entreprise ou de branche est un élément extrêmement important du rapport de force nécessaire dans les entreprises pour que la négociation soit équitable ; c’est pour nous la condition sine qua non d’une nouvelle réécriture du code du travail. À nos yeux, ce texte ne porte pas une inversion de la hiérarchie des normes mais une nouvelle architecture, en raison de deux éléments encadrant le rapport de force : l’accord majoritaire et un droit supplétif à droit constant.

En ce qui concerne la consultation des salariés sur un accord négocié et signé, ce que l’on appelle le référendum, ce n’est pas la CFDT qui a demandé cette mesure : celle-ci est arrivée dans le texte car certains craignaient que le passage de 30 à 50 % diminue le dynamisme conventionnel dans les entreprises. Nous considérons que c’est une façon intelligente d’articuler la démocratie représentative et la démocratie participative, et qu’une organisation syndicale proche des salariés n’a rien à craindre de la validation par les salariés de textes préalablement négociés.

J’en viens aux trois points principaux sur lesquels nous demandons encore des modifications. Le premier est le compte personnel d’activité. Je répète que la CFDT se félicite du renforcement des droits des personnes qui en ont le plus besoin, mais nous pensons que la loi ne doit pas passer à côté de cette occasion de traiter la question du temps. Eu égard à l’allongement inéluctable de la durée de vie au travail, liée à l’augmentation de la durée de vie, nous pensons que la possibilité d’épargner du temps doit être au moins actée dans ce texte, quitte à renvoyer la construction des dispositifs à la négociation.

Le deuxième point concerne les licenciements économiques, qui nous paraissent encore insuffisamment sécurisants pour les salariés. Le droit supplétif est trop faible. Les quantums retenus pour la baisse de chiffre d’affaires ou la perte d’activité sont trop peu élevés. Le pouvoir du juge n’est pas suffisamment rétabli, en particulier dans sa capacité à vérifier qu’il n’y a pas d’organisation artificielle de la baisse du chiffre d’affaires ou de la perte d’activité. Par le pouvoir d’appréciation du juge ou des DIRECCTE (direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi), il nous paraît possible de rétablir un contrôle, administratif d’abord, juridictionnel ensuite.

Nous souhaitons également que l’encadrement des accords de maintien dans l’emploi soit renforcé selon trois modalités. Il convient tout d’abord de revenir à des durées déterminées. Il faut ensuite que les négociateurs syndicaux soient systématiquement accompagnés par un expert, qu’il y ait un comité d’entreprise ou non ; cet expert pourrait régulièrement – une durée de cinq ans semble raisonnable –, réévaluer avec les représentants du personnel la situation ayant conduit à la négociation des accords de maintien dans l’emploi. Enfin, nous souhaitons que les négociateurs soient invités à prévoir des portes de sortie en faveur des salariés pour lesquels les modifications qui s’imposeraient à leur contrat de travail seraient disproportionnées compte tenu de leur situation personnelle.

Le dernier point concerne la médecine du travail. Nous partageons les orientations générales de la réforme et nous avons travaillé avec l’ensemble des autres organisations syndicales dans le cadre du Conseil d’orientation des conditions de travail (COCT). Le reclassement des salariés déclarés inaptes est cependant limité à une proposition de reclassement, et nous souhaitons le voir élargi.

En conclusion, la seconde version du texte, encore améliorée par les propositions de la CFDT, nous paraît susceptible de moderniser le dialogue social et de mieux protéger les salariés dans les mutations que connaît notre économie.

M. Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO. La France est un pays de pluralisme politique ; vous allez voir que c’est aussi un pays de pluralisme syndical. Nous n’avons pas les mêmes analyses sur ce projet de loi.

La concertation préalable n’a abordé que certains points : nous n’avons jamais eu un texte complet en main. Nous avons reçu la version initiale en même temps que les médias. Quelques consultations ont eu lieu ensuite sur la base du texte, avec la ministre du travail et le Premier ministre, au cours desquelles nous sommes convenus que nos conceptions étaient très différentes.

Nous pensons que ce texte introduit une rupture dans l’histoire de nos relations sociales. La France est le premier pays au monde en termes de couverture conventionnelle ou statutaire : plus de 90 % des salariés français sont couverts par une convention collective ou un statut. À titre de comparaison, dans un pays comme l’Allemagne, seuls 60 % des travailleurs sont couverts par une convention collective car, depuis dix ou quinze ans, le patronat allemand a remis en cause une série de branches, qui ne fonctionnent plus ; c’est d’ailleurs pourquoi les Allemands ont recréé un SMIC, parce que certains salariés ne bénéficiaient plus d’aucun salaire minimum, ce salaire étant négocié par branche.

Notre articulation des niveaux de négociation collective est républicaine. Nous tenons à ce que, dans ce que l’on appelle la hiérarchie des normes, il y ait la loi, des accords nationaux interprofessionnels, des accords de branche et des accords d’entreprise. Tous ces niveaux doivent être respectés. Or on est en train de remettre en cause cette articulation. Dans certains cas, la branche est contournée. Par exemple, sur les heures supplémentaires, les premières heures payées au-delà de la durée légale du travail sont actuellement payées 25 % de plus, les suivantes 50 %. On peut, par un accord de branche étendu, passer de 25 à 10 %. Une seule branche – dans le secteur du tourisme et des loisirs – a négocié ce type d’accord, ce qui signifie qu’il n’y a pas eu de demande en ce sens dans les autres branches, y compris du côté patronal. Avec ce texte, la branche n’existe plus, on passe directement à l’entreprise. Je pourrais multiplier les exemples. La supplétivité n’est pas toujours à droit constant, contrairement à ce que pensent certains : des possibilités de déroger à certaines normes supplétives sont laissées aux employeurs.

On peut aussi se poser des questions sur la manière dont sera conçue demain la branche. Des commissions paritaires nationales vont être créées, dont on ne connaît pas le statut juridique, et qui seraient à la fois des structures d’interprétation des accords, comme cela existe aujourd’hui, et de négociation. La branche pourrait être au service des entreprises. De fil en aiguille, son rôle est remis en cause, et cela ne se passe pas qu’en France. Dans de nombreux pays européens, il existe la même volonté de remettre en cause les niveaux nationaux de négociation au profit de négociations d’entreprise. Je vous renvoie à l’avis de la Commission européenne du 13 mai 2015 sur le Programme national de réforme français, dans lequel elle conseille à la France de faciliter « les dérogations aux dispositions juridiques générales, notamment en ce qui concerne l’organisation du temps de travail ». D’autres points de cet avis se retrouvent dans le projet de loi. La politique économique suivie au plan européen est aujourd’hui de caractère libéral et elle impose plus de flexibilité et de précarité.

Mon deuxième point porte sur les modalités de négociation. L’entreprise est le lieu où la pression peut être la plus forte sur les salariés, tandis que la liberté est plus grande au niveau de la branche, ce qui n’exclut pas, bien sûr, les négociations d’entreprise – et nous avons signé des accords dans toute une série d’entreprises quand il y avait des difficultés. Si l’on prévoit, ce qui était déjà prévu en 2008, un critère de 50 % et aujourd’hui un critère de 30 % plus référendum, c’est bien pour justifier une dérogation en moins pour les salariés. Nous sommes donc opposés au référendum. Nous pensons qu’il serait beaucoup plus responsable de rester par exemple à 30 % et de laisser vivre le droit d’opposition. Un syndicat a trois possibilités : ou il signe un accord, ou il ne le signe pas mais ne s’y oppose pas, ou il ne le signe pas et s’y oppose. Nous pensons que c’est plus démocratique qu’un système dans lequel une organisation syndicale qui aurait obtenu 32 % des votes a huit jours pour essayer de convaincre une autre organisation et parvenir à 50 % : cela fait huit jours de bordel dans l’entreprise, avant de pouvoir demander un référendum.

La démocratie sociale n’est pas la démocratie politique. Il faut une majorité de voix des députés pour qu’une loi soit votée, mais nous ne sommes pas quant à nous en mesure de décider seuls ; nous sommes plusieurs organisations mais surtout nous avons en face de nous des employeurs. On ne peut calquer un modèle sur l’autre. Nous considérons que le référendum est un outil de court-circuitage des organisations syndicales.

En ce qui concerne les accords de maintien de l’emploi, lorsque vous avez voté en 2013 la loi sur la sécurisation de l’emploi qui faisait suite à l’accord national interprofessionnel que n’avait pas signé FO, un salarié refusant de voir modifier son contrat de travail était, aux termes de l’accord, licencié pour motif personnel. FO a obtenu des élus de la Nation que ce soit un licenciement économique personnel, ce qui signifie que le salarié bénéficie des procédures de reclassement et d’accompagnement. Dans le présent projet de loi, ce n’est plus un licenciement économique : on retrouve le licenciement individuel, allant contre ce que vous avez voté en 2013.

Les négociations annuelles obligatoires (NAO), ensuite, passent à trois ans et, si l’inflation repart, seuls ceux qui ont signé l’accord sur trois ans pourront demander une réouverture de la négociation.

S’agissant de la durée du travail, tous les congés ne sont pas garantis dans le supplétif. On peut, par accord majoritaire ou référendum dans l’entreprise, remettre en cause certains congés existants.

Sur la médecine du travail, nous étions opposés à ce qu’a dit le COCT. Alors que l’on comptait 7 000 médecins du travail il y a quelques années, il n’y en a plus que 5 000 aujourd’hui. Comme on ne veut pas recruter, on espace les visites, auxquelles tous les salariés n’auront plus droit. Sur le travail de nuit, par exemple, l’obligation de visite préalable et le contrôle tous les six mois par le médecin du travail disparaissent.

Le licenciement économique est un des points que nous avons découverts à la dernière minute et auquel tient beaucoup M. Gattaz, président du MEDEF. Contrairement aux propos que celui-ci a tenus à la sortie de la rencontre du 14 mars, à Matignon, il a dit dans la salle de réunion que, mise à part la remise en cause du barème, la réforme allait dans le bon sens.

Cela pose le problème du périmètre – national ou international – car une grande entreprise sait mettre un établissement en difficulté par des prix de transferts, des fonds propres, etc. On met en avant la présence du juge ; or celui-ci peut d’ores et déjà se prononcer. Entre-temps, il aura fallu que le comité d’entreprise prenne un expert, que l’étude soit réalisée et que, si l’on constate que c’est abusif, on saisisse le juge… Et les gens auront été licenciés ! C’est là un des points clés.

S’agissant des TPE et des PME, il y a d’autres solutions. Il est ainsi tout à fait possible de passer des accords de branche d’application directe, ce que réclament d’ailleurs certaines organisations patronales telles celle des artisans. On peut négocier pour les TPE et PME des accords spécifiques. Nous ne sommes pas favorables au mandatement. Lorsqu’il a été institué, nous pratiquions le double mandatement : nous mandations une première fois le salarié pour négocier et une seconde fois pour vérifier le contenu de l’accord. Il est vrai qu’à l’époque, les chefs d’entreprise envoyaient un salarié vers une organisation syndicale afin de le mandater pour bénéficier des exonérations de cotisations sociales, tout en proposant de payer sa cotisation syndicale…

Si l’on procède en revanche par accord de branche, et qu’on permet à un syndicat de désigner un représentant syndical membre de l’entreprise, y compris dans les TPE et PME, sans pour autant demander d’heures de délégation – ce qui n’est pas concevable dans une entreprise de huit salariés –, le rôle du syndicat sera préservé sans le court-circuiter.

Sur le CPA, nous avons joué un rôle clé dans les négociations que nous avons menées à cet égard avec les organisations patronales. Certes, l’accord n’est pas encore signé, car deux d’entre elles ont dit qu’elles ne le feraient pas – c’est sans doute dû au débat sur le projet de loi, et j’ignore ce que fera le MEDEF. Deux points ont été intégrés : le compte personnel de formation (CPF) et le compte personnel de prévention de la pénibilité (CPPP). Si nous voulons que cet outil fonctionne, il ne faut pas charger la bourrique en intégrant par exemple d’autres dispositifs tels le compte épargne temps (CET). Veillons à ne pas créer une usine à gaz ! Il faut commencer par appliquer le dispositif, en vérifier ensuite le fonctionnement et le compléter le cas échéant. Je rappelle à cet égard que seuls 10 % à 15 % des salariés bénéficient d’un CET.

Nous avions demandé au Gouvernement la suspension du projet de loi – et non son report. Nous militons aujourd’hui pour son retrait, la philosophie générale du texte, qui nous pose un problème de fond, n’ayant pas été discutée, et de nombreuses dispositions constituant pour nous des remises en cause de droits. Nous participerons donc aux actions du 31 mars.

M. Bernard Sagez, secrétaire générale de la CFTC. L’an dernier, nous avons été associés à des discussions relatives au code du travail. En revanche, nous n’avons pas été consultés en amont s’agissant de ce projet de loi. C’est seulement au mois de mars, à l’occasion du report de la présentation du texte que nous avons pu apporter nos réponses aux différents problèmes qu’il pose.

La CFTC avait réservé à la première version un accueil très mitigé, considérant qu’elle ne présentait pas un équilibre satisfaisant entre flexibilité et sécurité des salariés. Nous ne souhaitions cependant pas le retrait du texte dans la mesure où il comportait aussi des avancées.

Au titre de ce que nous souhaitons voir conserver figurent les éléments suivants.

La nouvelle architecture du code du travail, que chacun s’accordait à considérer trop compliqué, voire illisible, nous paraît beaucoup plus compréhensible, tant pour les salariés que pour le patronat, grâce à l’articulation entre dispositions d’ordre public, négociation collective et enfin mesures supplétives.

Le CPA constitue l’une des pierres angulaires du nouveau contrat social que la CFTC appelle de ses vœux : il s’agit d’attacher des droits à la personne, et il faudra, comme cela a déjà été dit, aller plus loin.

Le projet de loi revoit en profondeur le dispositif de la validation des acquis de l’expérience (VAE) afin de le rendre moins contraignant, et de ce fait, plus attractif : il permettra aux jeunes décrocheurs d’obtenir ainsi plus rapidement un diplôme.

Nous sommes également favorables à d’autres mesures importantes telles la lutte contre le détachement illégal, le droit à la déconnexion, le mandatement – dès lors qu’une organisation syndicale mandate une personne au sein d’une entreprise. En outre, la notion de référendum ne nous fait pas peur, dès lors qu’il est organisé à l’initiative des organisations syndicales recueillant 30 % des suffrages exprimés au premier tour des élections professionnelles. Nous considérons en effet que cela renforce les syndicats signataires.

La deuxième version du projet de loi apporte plus de garanties dans le domaine de la sécurité des salariés. Les organisations patronales se sont inquiétées de l’évolution du texte mais il était important d’en améliorer l’équilibre général. Nous estimons toutefois que des points restent à améliorer dans quatre domaines.

S’agissant des branches, tout d’abord, et même si certaines de nos observations ont été reprises, des modifications rédactionnelles doivent encore être apportées. La branche constitue en effet, pour nous, le meilleur rempart à la concurrence déloyale entre les entreprises, dont les salariés font souvent les frais. Elle doit donc rester un pivot de régulation. Le texte donne une définition de la branche qui ne prend pas assez en compte ce rôle, elle doit donc être revue dans quatre articles.

L’article 1er, qui affiche des principes, comporte un alinéa 55 qui limite les conditions dans lesquelles la convention collective peut prévoir des normes ; il devrait préciser que la négociation de branche définit les garanties communes aux salariés employés par les entreprises d’un même secteur ou ayant la même activité, et tient, à ce titre, un rôle pivot dans la négociation. Cela permettrait de confirmer que le projet de loi ne procède pas à un renversement de la hiérarchie des normes, et qu’il conforte la notion de branche.

L’article 7 dispose qu’un accord de branche peut définir la méthode de négociation d’entreprise applicable : nous souhaitons qu’il soit simplement écrit qu’un accord de branche définit la méthode de négociation d’entreprise applicable, pour éviter la caducité des négociations d’entreprise. De même, à l’article 13, qui définit la notion de branche, il faut préciser que la négociation de branche « définit », et non pas « peut définir » des garanties. Il importe de ne pas pouvoir écarter la branche.

L’article 29 concerne l’accord de branche étendu contenant des accords types applicables dans les PME ; il suffirait de prévoir des stipulations spécifiques pour les petites et moyennes entreprises, et de supprimer la mention des entreprises de moins de 50 salariés. Les PME n’emploient pas en effet nécessairement moins de 50 salariés – je rappelle que la loi Rebsamen a retenu le chiffre de 300.

L’article 7 traite encore des clauses de revoyure. Nous considérons qu’elles doivent être obligatoires au lieu d’être simplement possibles. Cela apportera une sécurité juridique aux accords.

S’agissant des accords sur le développement de l’emploi mentionnés à l’article 11, nous considérons qu’il n’est pas possible d’accoler dans la même expression les termes « développement » et « préservation », car la préservation, c’est le maintien l’emploi. Les accords de maintien existent et sont normés. Ne mélangeons pas les deux notions : le développement de l’emploi renvoie à la création d’emplois. Cet article comporte donc une ambiguïté qu’il faut supprimer.

La rédaction de l’article 30, qui concerne le licenciement économique, doit être précisée. Les critères justifiant le licenciement doivent être explicités : aux termes de « baisse des commandes », par exemple, il faut ajouter le mot « conséquente », ce qui est susceptible d’être pris en compte par le juge. De même, la rédaction « tout élément de nature à justifier ces difficultés » est trop vague, il convient de préciser que ces éléments revêtent un caractère significatif. Par ailleurs, le périmètre d’appréciation des motifs de licenciement économique doit être étendu au-delà du seul territoire national. Nous proposons d’ajouter les termes « quelle que soit leur implantation territoriale ou géographique », afin d’inclure les grands groupes.

L’article 44 concerne la médecine du travail sur les deux plans des maladies et accidents non professionnels et des maladies et accidents professionnels. Nous considérons qu’un salarié ne doit pas pouvoir être licencié avant la consolidation de son état de santé – ce serait contraire aux principes fondamentaux de la suspension de l’exécution du contrat de travail. Nous proposons donc de revenir à la rédaction de l’article L. 1226-2 du code du travail qui ne prévoit pas cette possibilité de licenciement.

Ce même article 44 crée une présomption de respect de l’obligation de reclassement pour l’employeur qui se voit ainsi libéré de cette contrainte dès lors qu’il a proposé un poste au salarié. Il faut retirer de la rédaction de l’article L. 1226-12 la partie mentionnant que l’obligation de reclassement est réputée satisfaite dès lors que l’employeur a proposé un poste.

Sur le CPA, une autre organisation syndicale a déjà estimé que les dispositions proposées devaient être améliorées : nous partageons cet avis.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Lorsque vous évoquez les PME, j’imagine que c’est au sens de la définition donnée par la loi du 4 août 2008 de modernisation de l’économie qui retient le critère de moins de 250 salariés.

M. Bernard Sagez. C’est cela même.

M. Franck Mikula, secrétaire national au secteur emploi et formation professionnelle de la CFE-CGC. En amont de la présentation du projet de loi, un certain nombre de rapports ont été publiés à l’occasion desquels nous avons été entendus. Je pense notamment à ceux de Jean-Denis Combrexelle, de Terra Nova, de Bruno Mettling ou de Robert Badinter. Nous avons, quant à nous, exprimé le plus souvent nos désaccords. Ainsi, si nous étions favorables à la première partie du rapport de Jean-Denis Combrexelle qui consistait à renforcer le dialogue social en donnant plus de moyens, de temps et de formation aux acteurs de ce dialogue, nous ne pouvions approuver toutes les orientations visant à renvoyer la négociation prétendument au plus près du terrain, mais en réalité au plus loin des syndicats.

De notre point de vue, le dialogue social doit être renforcé au niveau de la branche, car c’est là que se construisent les lois de chacune des professions. La ministre nous a demandé la raison du verrouillage dans la négociation de branche, qui empêche de moins bien rémunérer les heures supplémentaires. Nous lui avons expliqué que c’était le souhait des partenaires sociaux au niveau des branches. Il est en effet aussi de l’intérêt des chefs d’entreprise de maintenir cette régulation pour empêcher le dumping social.

Certes, les représentants interprofessionnels nationaux tiennent un autre discours. Ainsi, M. Gattaz dira exactement le contraire de ce que disent ses représentants dans les branches qui, eux, ont bien compris l’intérêt d’harmoniser les conditions sociales pour permettre le développement des entreprises. Faute de quoi, ce sera la loi de la jungle avec un code du travail par entreprise, et tout le monde se fera concurrence.

Le fondement même de ce projet de loi nous paraît profondément choquant. Il est bien illustré par une phrase de l’ouvrage de Robert Badinter et Antoine Lyon-Caen Le travail et la loi qui lie le chômage et le droit social. Cette position a suscité bien des polémiques : c’était la première fois, en effet que d’aussi éminentes personnalités établissaient ainsi un lien que nous contestons. Si un tel lien existait, il y a belle lurette qu’il n’y aurait plus de chômage en France, puisque, depuis au moins trente ans, on ne cesse de rendre plus flexibles les conditions sociales et d’assouplir le code du travail ! Cela a commencé avec un certain Yvon Gattaz, qui promettait la création de milliers d’emplois si l’autorisation administrative de licenciement était supprimée ! Aujourd’hui, c’est un autre Gattaz, Pierre, qui promet des millions d’emplois si on lui donne beaucoup d’argent avec le pacte de responsabilité et si le code du travail devient plus souple. Malheureusement, aucune de ces mesures n’a produit les résultats annoncés et la France compte plus de cinq millions de chômeurs.

S’agissant du présent projet de loi, je n’évoquerai que quelques points qui montrent bien la nouvelle architecture souhaitée du code du travail.

Aujourd’hui, le forfait-jours constitue un dispositif dérogatoire au régime normal de la durée du temps de travail très faiblement encadré par la loi ; ce qui a conduit la Chambre sociale de la Cour de cassation à invalider la plupart des accords de branche s’y rapportant, car ils ne respectaient pas les impératifs de santé et de sécurité des travailleurs.

Il était donc temps de donner un cadre législatif à ce dispositif. Mais ce texte le fait très mal, à notre sens. De fait, dans cette nouvelle architecture et cette nouvelle hiérarchie, il ne reste pratiquement plus rien dans la loi, désormais appelée ordre public. Nous proposons donc d’enrichir le dispositif législatif en inscrivant dans l’ordre public la durée maximale du temps de travail en jours – qui n’est pas définie aujourd’hui –, la durée des repos quotidiens, et la durée des repos hebdomadaires, que nous souhaitons voir exprimés en forfait de jours civils et non plus en heures, ce qui est par trop complexe. Nous proposons un jour civil minimum de repos par semaine, mais huit jours de repos par mois et vingt-six jours par trimestre de façon à garantir la santé et la sécurité des travailleurs tout en permettant une certaine flexibilité.

Il faudra aussi inscrire dans l’ordre public la définition du temps partiel, l’obligation de visites médicales effectuées par un médecin pour les salariés employés en forfait-jours, la définition d’un niveau minimum de rémunération, quitte à renvoyer la détermination de ce dernier à la négociation tout comme le nombre d’entretiens portant sur la charge de travail avec l’employeur ou son représentant.

Il importe d’organiser le contrôle et la mesure de la charge de travail : c’est le cœur du dispositif. C’est au plus près de l’entreprise qu’il faudra trouver les bonnes méthodes pour y parvenir – en s’appuyant peut-être sur le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), avec une mesure annuelle.

Ce projet de loi cherche par ailleurs à simplifier le régime du licenciement économique en partant du principe que faciliter les licenciements favorisera l’embauche. Certes, les choses ne sont pas dites ainsi et nous savons à quel point cela est faux ! Le texte devrait prévoir au contraire qu’avant de procéder aux licenciements économiques, il faut utiliser tous les moyens alternatifs pour éviter de devoir y recourir, tels le chômage partiel, la réduction du temps de travail ou le non-renouvellement des contrats précaires. Il faut tout tenter pour préserver les emplois dans l’entreprise. C’est précisément ce qu’ont fait les Allemands en 2008, alors que nous faisions, nous, le choix des licenciements et de la rupture conventionnelle.

Nous sommes favorables aux accords majoritaires mais pas à la procédure de référendum. Nous pensons que le dialogue social est assez mûr pour adopter une telle disposition. Les difficultés qui surviendront dans un premier temps ne dureront pas longtemps : le même prétexte avait été avancé en 2008 au moment de passer à 30 %. Les accords gagneront en légitimité en passant à 50 % sans que les syndicats soient contournés par le référendum.

Nous demandons le retrait des accords offensifs. La loi de sécurisation de l’emploi a créé les accords de maintien de l’emploi. Le présent texte propose des accords préservant l’emploi : cela existe déjà. Certes, on peut considérait qu’ils ne sont pas assez nombreux : on en comptait sept ou dix lorsque nous avons établi le bilan à l’occasion de l’accord national interprofessionnel (ANI) en janvier 2013 avec le cabinet du ministère du travail. À cette occasion, le MEDEF avait expliqué que le développement de ce type d’emploi était freiné par l’obligation de licencier pour raison économique les salariés qui n’étaient pas d’accord et préconisait leur démission, ce qui était totalement inacceptable. Aujourd’hui, un tel dispositif revient par la fenêtre avec les accords dits offensifs, dans le cadre desquels lorsque les salariés refusent, ils sont licenciés pour un motif personnel – ce sont des licenciements sui generis.

Cette disposition est totalement inutile, puisque les accords de maintien dans l’emploi existent déjà et offrent de réelles garanties de préservation de l’emploi, de durée. L’ensemble des représentants participent à l’établissement du diagnostic préalable et les efforts sont partagés entre les salariés et la direction – les dirigeants ne reçoivent pas de majoration de salaire contrairement à la pratique à la mode et il n’y a pas de distribution d’actions supplémentaires. L’article du projet de loi sur les accords offensifs sur l’emploi n’offre aucune de ces garanties et nous en demandons le retrait.

Le compte personnel d’activité (CPA) repose sur le compte personnel de prévention de la pénibilité (CPPP) et sur le compte personnel de formation (CPF), et, à l’issue de la concertation, s’est enrichi d’un compte citoyen. Il nous semble indispensable de créer un compte temps, même si la loi n’a pas à fixer son contenu ; il suffit ainsi qu’une case soit insérée dans le CPA, afin que le salarié puisse y stocker du temps. Il pourra l’utiliser pour abonder son compte de formation et pour gérer sa vie professionnelle. Cela constituerait les prémices d’une généralisation du compte épargne-temps (CET) que nous appelons de nos vœux ; ce processus prendra du temps, mais le législateur doit insérer cet étage dans le CPA afin de convenir dans le futur de dispositifs de portabilité et de fongibilité. Ceux-ci ne créeront certes pas d’emplois – pas plus que les mesures du projet de loi que vous examinerez –, mais nous devons favoriser l’autonomie à laquelle les salariés aspirent et les transferts d’activité entre la fonction publique, le secteur privé, le statut d’autoentrepreneur et le salariat.

L’avenir de la France dépend davantage de l’innovation et de la qualité du travail que d’un assouplissement du droit social. L’augmentation de la productivité ne sera possible qu’avec des salariés bien traités et plus autonomes, et en donnant davantage de pouvoir aux représentants des salariés. Il faut avancer vers la codécision que pratiquent d’autres pays et qui permet d’enrichir le dialogue social, de partager la définition de la stratégie de l’entreprise et de faciliter la gestion des emplois dans les périodes de crise.

M. Fabrice Angei, membre de la direction confédérale de la CGT. La CGT a découvert le projet de loi dans la presse et a reçu une convocation pour en discuter la semaine suivante. La CGT n’a pas participé au déjeuner de réécriture du projet de loi, celle-ci résultant de la mobilisation citoyenne et syndicale.

La CGT est opposée à ce projet de loi, même remanié, comme sept Français sur dix si l’on en croit les sondages ; si l’on organisait un référendum dans le pays sur ce texte, on n’aurait plus besoin d’en discuter. Nous demandons le retrait du texte, mais nous ne défendons pas le statu quo, puisque nous avons proposé un code du travail pour le XXIsiècle poursuivant une tout autre logique. Nous ne nous inscrivons pas dans une démarche d’amendement à la marge du texte, puisque l’ensemble de sa philosophie ne nous convient pas. Je me retrouve néanmoins dans 98 % des propos de mon camarade de la CGC – ou inversement –, ce qui remet en question la vision simpliste de la division syndicale.

Le projet de loi repose sur l’idée que les droits et les garanties des salariés doivent s’effacer devant les impératifs économiques et les intérêts financiers. Il promeut la baisse du coût du travail et fait du salarié une variable d’ajustement et de déflation pour conquérir des parts de marché. Cette philosophie s’oppose au droit du travail, qui vise à rééquilibrer le lien de subordination existant entre l’employeur et le salarié. Les droits et les protections des salariés n’ont jamais constitué un frein à l’efficacité économique, bien au contraire. La loi du 25 juin 2008 portant modernisation du marché du travail et celle du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi ont instauré les ruptures conventionnelles – dont le nombre atteint des records – et les plans de maintien dans l’emploi, qui s’avèrent un échec ; si ces mesures de flexibilité avaient amélioré la situation de l’emploi, cela se saurait, puisque le chômage n’a jamais été aussi élevé dans toutes les catégories de la population. Il conviendrait d’analyser également les exemples européens avec attention, car les assouplissements y ont accru la précarité et la pauvreté, principalement celles des jeunes et des femmes.

Le projet de loi bâtit une nouvelle architecture des relations sociales : la loi fixe des grands principes, la négociation collective définit le droit et le volet supplétif instaure des minima inférieurs aux dispositions législatives actuelles. Les dérogations découlant des accords de branche permettent déjà d’indemniser les heures supplémentaires à un simple supplément de 10 %, mais une seule branche applique ce niveau. Les accords d’entreprise engendreront donc une régression sociale dans ce domaine, et il s’agit là d’un exemple parmi tant d’autres.

Le projet de loi donne la primauté aux accords d’entreprise, inversant ainsi la hiérarchie des normes, la loi cessant de fixer un socle commun et de prévoir des dérogations. Il y aura donc autant de codes du travail que d’entreprises, et le degré de protection des salariés dépendra de la présence de forces syndicales. En outre, l’inspection du travail rencontrera des difficultés pour jouer son rôle. Ce projet ne procède à aucune simplification, complexifie les relations sociales, ne supprime aucune rigidité et aggravera la situation économique et le chômage.

Mme Myriam El Khomri souhaite fluidifier le dialogue social, mais les accords d’entreprise le nient. Lors de l’examen de la loi du 17 janvier 2003 relative aux salaires, au temps de travail et au développement de l’emploi, dite loi Fillon, le groupe parlementaire socialiste s’était opposé au renversement de la hiérarchie des normes en saisissant le Conseil constitutionnel.

L’adaptation ne doit pas entraîner de régression sociale, mais maintenir des droits voire apporter de nouvelles garanties pour les salariés. Voilà ce qu’est le progrès social ! Le Gouvernement ne veut pas entendre sur ce point les jeunes et les salariés, qui seront massivement en grève demain.

Les accords d’entreprise génèrent, dans la très grande majorité des cas, une régression sociale. Dans les deux tiers des établissements, il n’y a pas de délégués syndicaux ; cette situation concerne toutes les structures employant de dix à vingt salariés et dans la majorité de celles en comptant entre cinquante et cent. Par ailleurs, les négociations obligatoires n’ont pas lieu dans notre pays. La peur des représailles s’est répandue dans les entreprises, et l’action syndicale se trouve criminalisée – on attend toujours que vous votiez la loi d’amnistie. Des personnes souhaitant monter des listes pour les élections professionnelles se font licencier, et un chantage permanent à l’emploi est organisé.

Le référendum chez Smart sur l’augmentation du temps de travail hebdomadaire à 39 heures payées 37 a soulevé de nombreuses questions, notamment celle du corps électoral puisque les cadres, qui sont au forfait-jours et donc ne sont pas concernés par cette modification, ont pu voter. On ne peut pas confondre le référendum d’entreprise et le droit à la consultation des salariés, car le premier diffère de la démocratie sociale ; la CGT défend la seconde, les salariés devant disposer de temps pour analyser les accords et en discuter. Il serait opportun de prendre en compte dans les négociations les cahiers revendicatifs élaborés dans les entreprises. Si l’on veut soutenir la démocratie sociale, reprenons également la périodicité biennale des élections professionnelles.

Au lieu d’accorder des droits aux salariés, la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi, dite loi Rebsamen, a réduit le rôle des organisations syndicales et des délégués du personnel. On ne croit pas au mandatement de salariés dans les conditions prévues par ce texte ; on devrait plutôt conférer un pouvoir de négociation aux commissions régionales instaurées par cette loi.

Neuf salariés sur dix sont couverts par un accord de branche et une convention collective, et il est nécessaire de renforcer le poids de ces accords dans notre droit social.

L’inversion de la hiérarchie des normes et la flexibilité ont été mises en place en Allemagne, en Espagne, au Portugal et en Italie. On a constaté une chute sans précédent des accords de branche en Espagne et au Portugal – ce qui est logique puisqu’ils ont été vidés de leur substance –, mais également une diminution du nombre d’accords d’entreprise. On vise à renforcer le dialogue social et, au final, on l’affaiblit. Quant aux salariés, ils ont toujours été perdants dans cette évolution.

Ainsi, le référendum d’entreprise, que l’on appelle le référendum chantage, peut être déclenché à partir d’un accord signé entre un employeur et des organisations syndicales ne représentant que 30 % des salariés. Cela constitue une atteinte portée à la représentativité, au droit d’opposition, et nous réclamons, conformément aux principes de la démocratie sociale, une application stricte de l’accord majoritaire, signé par des syndicats représentant 50 % des salariés. Les accords minoritaires ne sont qu’un contournement des organisations syndicales et un encouragement à la création de syndicats maison ; en outre, ils n’améliorent en rien la situation de l’emploi, celle-ci nécessitant d’autres politiques économiques et sociales.

Les médecins du travail sont moins de 5 000 aujourd’hui en France et ont 55 ans en moyenne. Le projet de loi porté par Mme El Khomri ne cherche pas à régler ce problème, mais à gérer la pénurie. Ainsi, la médecine du travail est éloignée des salariés qui en ont besoin ; l’impossibilité de reclasser un salarié inapte se trouvera renforcée par cette inaction, ce qui multipliera les licenciements. Le projet de loi devrait plutôt se concentrer sur l’aménagement et la transformation du poste de travail ou sur la mutation du salarié vers un autre poste.

Mme Catherine Perret, membre de la direction confédérale de la CGT. Au printemps 2015, le président de la République avait annoncé un projet de loi destiné à compenser tous les efforts réalisés par les salariés depuis 2012. On attendait donc un texte sur la sécurité sociale professionnelle améliorant la situation des salariés. Or le projet de loi que vous examinerez ne comporte pas beaucoup d’éléments de progrès social et de sécurisation.

En 1999, la CGT a créé le concept de sécurité sociale professionnelle, qui a inspiré d’autres organisations et d’autres partis politiques de droite comme de gauche. Nous avons donc la prétention de penser posséder une certaine expertise en la matière.

La négociation sur le CPA a échoué puisqu’il n’y a eu ni accord, ni même de position commune, les organisations patronales ayant refusé de signer le texte qu’elles avaient écrit ! Elles n’acceptaient pas en effet les dispositions relatives au CPPP. Ce dernier n’a pas d’existence réelle dans le projet de loi, qui reprend même la définition de situations de travail par référentiel de branche, ce qui complexifiera davantage la question de la portabilité, essentielle pour le CPA. Dans ce dernier, il n’y a donc que le CPF et quelques dispositions de la deuxième version du projet de loi de Mme El Khomri sur la formation et les jeunes.

La CGT propose deux mesures qu’il aurait été intéressant d’étudier pour poser les premières pierres de la sécurisation des personnes pendant leur parcours professionnel – sécuriser les parcours, donc l’employabilité, et sécuriser les personnes différant grandement dans un contexte de fortes mutations technologiques qui crée beaucoup d’instabilité et de précarité. La première a trait à la progressivité de la qualification et à sa reconnaissance tout au long du parcours professionnel, celle-ci étant consignée dans un CPA pour sécuriser les personnes et accroître la prévisibilité de leur parcours professionnel. La population demande une telle évolution, car elle souhaite davantage de visibilité et de stabilité. Une telle réforme augmenterait l’attractivité de la formation continue : on a envie de se former quand on nourrit l’espoir d’en retirer quelque chose dans sa vie quotidienne, dans son entreprise, dans son évolution professionnelle et en matière de progression salariale. On entre là dans une démarche de progrès social, les augmentations salariales tout au long de la vie nourrissant les droits sociaux, notamment ceux à la retraite. La seconde proposition vise à maintenir le contrat de travail en cas de mobilité choisie ou subie ; aujourd’hui, bon nombre de salariés connaissant de grandes périodes de rupture et éprouvant des difficultés à retrouver un emploi appartiennent aux très petites (TPE) ou aux petites et moyennes entreprises (PME). Ces entreprises travaillent souvent comme sous-traitantes de grands donneurs d’ordres, qui utilisent ces salariés comme variables d’ajustement, y compris pour leurs dividendes. Les grandes entreprises doivent assumer une responsabilité sociale et assurer une sécurisation des contrats de travail des salariés de leurs filiales ou de TPE. On créerait ainsi une solidarité entre les entreprises et les branches pour que ces salariés ne soient pas trop tributaires des bons de commande des grandes entreprises.

La deuxième version du projet de loi porté par Mme El Khomri recycle beaucoup de mesures déjà présentes ailleurs ; j’attire notamment votre attention sur la généralisation de la garantie jeunes, disposition du projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté, présenté au conseil des ministres du 6 avril prochain. Elle a d’ailleurs davantage sa place dans ce projet de loi que dans celui sur le travail. Le Gouvernement effectue là un affichage grossier destiné à calmer la jeunesse qui descend dans la rue. C’est la CGT qui a négocié en Europe l’accord sur la garantie jeunes, signé unanimement ; notre Confédération défend donc cette mesure, mais l’expérimentation en cours depuis trois ans fait apparaître de nombreux problèmes, qui empêchent aujourd’hui sa généralisation. Parmi ces difficultés figurent la mise en péril des missions locales – qui se trouvent en déficit à cause de cette garantie, le forfait attribué à chaque jeune se révélant insuffisant – et l’absence de retour à un emploi stable pour les jeunes.

Les annonces sur la formation professionnelle représentent un coût de 500 millions d’euros par an, financé par des fonds mutualisés d’un milliard d’euros qui consacrent déjà 300 millions d’euros aux demandeurs d’emploi. Si cette mesure n’était pas financée, elle mettrait en péril l’ensemble des dispositifs de formation professionnelle destinés à tous les salariés.

M. Christophe Sirugue, rapporteur. Comme j’ai eu l’occasion d’auditionner de manière individuelle chacune des organisations syndicales – à l’exception de l’une d’entre elle, faute d’avoir trouvé une date –, je vais me concentrer sur un seul point. Ce texte traite fondamentalement des accords d’entreprises et d’une nouvelle articulation des normes. À défaut d’une approbation majoritaire par les partenaires sociaux sur un accord d’entreprise, l’accord de branche s’applique. Le dispositif traduit notre confiance en la capacité des partenaires sociaux à nouer un accord.

Cela étant, je suis sensible au déséquilibre qui peut exister dans l’entreprise entre l’employeur et les salariés – ou ceux qui négocient pour leur compte. Nous y avons répondu dans le texte par le principe du mandatement. Cependant, je me pose une question : les organisations syndicales sont-elles capables de couvrir la demande de mandatement qui pourrait surgir dans le cas d’une multiplication des accords d’entreprises ? J’aimerais avoir votre avis sur deux moyens de remédier à d’éventuels soucis en la matière. À côté du mandatement, ne pourrait-il pas y avoir aussi des accords validés par les DIRECCTE, ou des accords validés puis examinés a posteriori par les organisations syndicales qui en vérifieraient la pertinence ?

Pour que ces accords aient du sens, il faut qu’ils soient négociés dans de bonnes conditions, ce qui suppose l’accompagnement des organisations syndicales. Si celles-ci ne sont pas suffisamment mobilisables, pour une raison ou une autre, pensez-vous que les deux solutions que je viens d’évoquer pourraient faire office de complément ?

Mme Monique Iborra. Au nom du groupe Socialiste, républicain et citoyen, je vous remercie les uns et les autres de vos interventions argumentées. Nous aurions évidemment préféré que cette loi soit négociée avec les partenaires sociaux qui sont les premiers concernés – mais pas les seuls, j’y insiste – par le sujet. Ce texte marquant une évolution – et non une rupture –, notre groupe considère qu’il est légitime que les partenaires sociaux, les salariés et aussi les citoyens s’en emparent. Il vaut toujours mieux voir le réel que de vivre avec des représentations. Ce projet de loi va précisément au-delà des représentations que peuvent avoir les non-spécialistes du sujet, les personnes qui ne sont pas en entreprise tous les jours, ce qui peut d’ailleurs être notre cas.

Nous ne sommes pas favorables au statu quo. Il ne s’agit pas de réformer pour réformer, mais la situation nous impose d’agir. Rappelons que plus de neuf embauches sur dix se font sous la forme d’un CDD ou d’un contrat d’intérim d’une durée de moins de trois mois. Rappelons qu’il y a en France une précarité croissante qui ne date pas de 2012, au point que les CDD de moins de trois mois représentent désormais 40 % des embauches. La réforme du code du travail n’est pas forcément la seule réponse, mais c’est l’une des réponses.

Le débat est légitime puisque le chômage reste à un niveau très élevé. Nos voisins européens ont engagé des réformes du marché du travail. Je n’en ai pas la même vision que vous et je ne fais pas la même lecture que vous du rapport du Conseil d’orientation pour l’emploi. Je ne mets pas en cause votre interprétation, mais ce n’est pas la mienne. Cela étant, s’il y avait une recette miracle, nous la connaîtrions.

Certains estiment que cette réforme n’est pas nécessaire. Pour notre part, nous saluons le volontarisme politique de notre gouvernement et sa décision de faire bouger les choses. Est-ce que cela signifie forcément une confrontation ? Les uns nous reprochent de donner trop aux chefs d’entreprise, les autres de trop favoriser les salariés, ce qui tendrait à prouver que le texte est équilibré, comme nous le souhaitons. Notre problème est de faire émerger une nouvelle culture, basée sur la négociation et non sur la confrontation. C’est la raison pour laquelle nous sommes globalement favorables aux accords d’entreprise, à condition que les accords de branches soient préservés et qu’ils s’appliquent en cas de non-accord dans l’entreprise. C’est ce que prévoit le texte.

Cependant, nous devons encore travailler sur le projet de loi car un rapport de subordination existe indéniablement entre les salariés et les dirigeants d’une entreprise. Notre démarche consiste à rendre certaines situations négociables, partant du constat que les salariés comme les citoyens sont en demande d’un minimum d’autonomie dans leurs décisions. Nous insistons aussi sur la transparence : il est important que les accords soient publiés puis, passé un certain temps, évalués soit par le Parlement soit par les partenaires sociaux eux-mêmes.

Tel est notre état d’esprit à ce stade d’un débat qui doit se poursuivre : tous les acteurs, y compris les citoyens, doivent être entendus.

Mme Isabelle Le Callennec. Au nom du groupe Les Républicains, je voulais remercier les organisations syndicales pour leur contribution au débat. Hier, nous recevions la ministre du travail et, cet après-midi, nous auditionnerons les organisations patronales.

Mme Myriam El Khomri nous a rappelé l’ambition du projet de loi, contenue dans le titre : « Instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs. » Nous lui avons indiqué que, si notre groupe partageait cet objectif, nous aurions aimé être rassurés sur son intention de redonner des perspectives aux 6 millions de Français inscrits à Pôle emploi. Ce matin, il n’a pas été beaucoup question des demandeurs d’emploi.

Il y a eu une première version du texte. Les organisations patronales estimaient qu’elle allait dans le bon sens. Ce n’était manifestement pas votre cas puisque certains d’entre vous réclamaient le retrait du texte tandis que d’autres plaidaient pour sa réécriture. Il existe bien un pluralisme syndical, nous l’avons mesuré ce matin, mais chacun doit s’interroger sur le très faible taux de syndicalisation dans les entreprises françaises : 6 %. Soyez rassurés, le désamour vis-à-vis des partis politiques est à peu près du même niveau.

Si nous sommes ici ce matin, c’est parce que le choix de faire évoluer le texte a primé, mais la nouvelle version disconvient, pour ne pas dire davantage, aux représentants des entreprises. Les entreprises soutenaient en effet plusieurs mesures : la légalisation des accords offensifs, la possibilité pour une TPE d’appliquer unilatéralement un accord-type, la sécurisation du licenciement pour motif économique, le plafonnement des dommages et intérêts dus en cas de licenciement.

La deuxième version du texte les inquiète. Elles craignent que les avancées ne soient remises en cause, notamment celles qui sont relatives aux critères de définition du licenciement économique, dont vous avez parlé les uns et les autres. Elles citent de nets reculs : l’extension du mandatement dans les TPE – qui fait peur – ; la suppression du forfait-jours avec un risque d’insécurité des accords antérieurs ; la suppression de l’adaptation du temps de travail des apprentis en fonction du temps de travail de leur tuteur. Je passe sur la possibilité de fractionner le repos et sur l’augmentation de 20 % des heures de délégations syndicales, sans parler du compte pénibilité.

Si je rappelle cela, c’est parce qu’en vous écoutant, j’ai le sentiment que le consensus va être extrêmement difficile à trouver. La ministre du travail estime que le texte présenté en conseil des ministres est équilibré. Ce n’est absolument pas l’avis de ceux qui créent l’emploi dans notre pays, c’est-à-dire les entreprises, singulièrement les PME. Ce n’est pas non plus l’avis de certains d’entre vous, mais pour des raisons opposées.

Alors je me pose la question. Est-il possible de réformer dans notre pays ? Allons-nous rester le dernier pays en Europe à subir le chômage de masse ? Est-il possible de concilier compétitivité économique et cohésion sociale, dans un monde économique ouvert et en mutation profonde ? Peut-on donner plus de souplesse aux entreprises et fluidifier le marché du travail, tout en offrant plus de sécurité aux actifs et de l’espoir aux demandeurs d’emploi, ceux que l’on appelle les outsiders ?

Nous voudrions le croire. Quand je vous entends dire que vous souhaitez favoriser le dialogue social au niveau le plus pertinent, c’est-à-dire de la loi, de la branche ou de l’entreprise, je me dis que tout espoir est permis. C’est la raison pour laquelle notre groupe va examiner cette loi article par article, avec le souci de soutenir tout ce qui va dans le bon sens, c’est-à-dire tout ce qui permet de lutter efficacement contre le chômage et institue vraiment de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs.

Nous souhaitons surtout que l’examen de ce texte soit l’occasion d’un diagnostic partagé sur la situation de l’emploi dans notre pays. Nous réalisons en effet que dans les entreprises, dans les régions, au plus près du terrain, quand le diagnostic est partagé entre les partenaires sociaux, patronat et syndicats, il est beaucoup plus facile de se fixer des objectifs communs. Le dialogue social devient alors une réalité vécue positivement. J’en veux pour preuve les démarches de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences que nous élaborons à l’échelle de nos territoires, dans l’intérêt des entreprises, des salariés et – ne les oublions pas – des demandeurs d’emploi.

Pour conclure, j’aurai trois questions. L’article 1er du chapitre Ier, intitulé « Vers une refondation du code du travail », institue une commission d’experts et de praticiens des relations sociales, afin de proposer au Gouvernement une refondation de la partie législative du code du travail – ce que nous estimions être l’objectif premier de ce texte. Cette commission vous associe à ses travaux. Partagez-vous tous les principes mentionnés dans cet article 1er ?

Vous avez travaillé avec les organisations patronales sur les critères, énoncés dans une lettre paritaire datée du 28 janvier, permettant d’accompagner la restructuration des branches dont le nombre doit être ramené de 700 à 100 ou 200. Avez-vous bon espoir de convaincre le Gouvernement de leur bien-fondé ?

J’ai bien entendu tout ce que vous avez dit au sujet des branches. Vous avez évoqué le pouvoir unilatéral de l’employeur. Ne pensez-vous pas que la décision unilatérale de l’employeur, la DUE, qui est une procédure simple, popularisée par la mise en place de la complémentaire santé, soit une voie d’avenir ?

M. Francis Vercamer. M’exprimant au nom du groupe Union des démocrates et indépendants, je dirais que nous avons un défi à relever ensemble : l’adaptation de la société à la mondialisation, à l’évolution de la technologie et du monde en général. Ce projet de loi devait permettre à l’entreprise de s’adapter tout en garantissant au salarié une certaine sécurisation dans l’emploi. Je dis bien dans l’emploi et non dans son emploi. La véritable sécurité du salarié est d’avoir un emploi, ce n’est pas d’être sclérosé dans son emploi même quand celui-ci est menacé de disparaître avec une entreprise incapable de s’adapter à son environnement.

Dans ce texte, il manque une réflexion sur le coût du travail, qui est un frein à l’embauche, sur le financement de la protection sociale, et sur l’écart qui s’amenuise entre les revenus des travailleurs pauvres et ceux des allocataires de revenus sociaux.

Deuxième sujet : la complexité du code du travail. Avec ses 134 pages, ce texte ne va pas contribuer à clarifier ce code. Nous-mêmes, nous avons du mal à nous repérer dans l’article 2 sur le temps de travail, qui fait cinquante pages. Comment va faire un patron de TPE ou de PME qui peine déjà à s’y retrouver dans les textes actuels ? Comme d’habitude, ce projet de loi est fait pour les grands groupes plutôt que pour les PME. Nous avons encore une fois raté la cible : les PME qui créent de l’emploi mais qui sont plus petites que leurs homologues européennes parce qu’on les empêche de se développer.

Troisième sujet : la formation. Il vaudrait mieux améliorer l’orientation et l’accès à la formation que d’augmenter le nombre d’heures qui y sont consacrées. À chaque fois que nous avons augmenté le temps de formation, nous avons constaté que la mesure profitait à ceux qui en avaient le moins besoin, et non pas à ceux qui étaient les plus éloignés de l’emploi. Ce texte devrait être revu sur ce point car il ne résout pas le problème.

Quatrième sujet : le CPA qui, je suis d’accord avec vous, est important. Il tend à attacher la sécurité à la personne et non plus au contrat de travail, et donc à désolidariser le salarié de son entreprise. Quand les représentants de la CFDT ont évoqué ce compte, à plusieurs reprises, j’ai été frappé par leur vision d’une sécurisation du salarié dans son entreprise. Si l’on veut réformer structurellement le code du travail, il faut permettre au salarié de changer d’emploi sans perdre ses droits, pour qu’il puisse s’adapter à la société et ne pas s’accrocher à un métier du passé.

Cinquième sujet : la hiérarchie des normes. Comme vous, je pense qu’il faut que la branche puisse éviter la concurrence déloyale. Il ne faut pas que l’entreprise puisse déroger à tout prix à cette hiérarchie des normes ou aux règles des branches. L’entreprise doit certes pouvoir s’adapter, notamment quand elle est en difficulté, quand elle affronte sur ses marchés à l’exportation des concurrentes qui ne sont pas soumises au même droit social qu’elle, quand elle subit le dumping social d’une voisine, située juste de l’autre côté d’une frontière. Il faut permettre à l’entreprise de s’adapter, mais je suis assez d’accord avec vous sur la hiérarchie des normes.

À cet égard, j’ai une question simple : pour remédier à la faiblesse du nombre des syndiqués, pourquoi ne pas changer de paradigme en faisant un syndicalisme de service ou simplement en supprimant l’effet erga omnes ? Seuls les syndiqués bénéficieraient des accords signés, ce qui obligerait les salariés à se positionner par rapport aux syndicats. En outre, tous les salariés étant syndiqués, les référendums auraient lieu à l’intérieur du syndicat plutôt que de l’entreprise.

Mme Éva Sas. Je vous remercie de m’accueillir au sein de votre commission pour représenter le groupe Écologiste. Je remercie également les représentants des organisations syndicales pour la qualité de leurs éclairages.

J’avais cinq questions, dont les deux premières s’adressent plutôt à la CFDT et à la CFTC. Les accords de branche permettent d’éviter la concurrence déloyale et la course au moins-disant social. Pensez-vous pertinent qu’un accord d’entreprise puisse fixer la majoration des heures supplémentaires tel que le prévoit l’article 2 du projet de loi ? Je ne crois pas que vous vous soyez exprimés sur ce point.

Ma deuxième question porte sur l’article 11. Comment justifiez-vous qu’un salarié, qui refuse la modification de son contrat de travail dans le cadre d’un accord de préservation et de développement de l’emploi, puisse être licencié pour motif personnel et non plus pour motif économique comme c’est le cas actuellement ?

Ma troisième question s’adresse à l’ensemble des organisations syndicales. J’ai entendu peu de propositions sur la médecine du travail. Le projet de loi a introduit un doute et un risque d’affaiblissement du travail de prévention effectué dans ce cadre. La prévention ne peut se limiter aux métiers à risques, toutes les professions étant exposées notamment aux risques psychosociaux. Comment maintenir le rôle de prévention de la médecine du travail tout en tenant compte des difficultés de recrutement avérées dans ce secteur ?

En termes de propositions et de protections nouvelles pour les salariés, avez-vous des mesures à préconiser pour les travailleurs de l’économie collaborative ? Comment intégrer ces derniers dans le code du travail ? La majorité d’entre eux subissent un lien de subordination réelle sans bénéficier de droits sociaux. Comment remédier à cela ?

Enfin, quelle est votre position sur le renforcement de la présence des salariés dans les conseils d’administration, qui pourrait être une façon d’introduire une gestion partagée de l’entreprise ?

Mme Dominique Orliac. Au nom du groupe Radical, républicain, démocrate et progressiste, je vous remercie, mesdames et messieurs les représentants des syndicats, pour votre présentation et pour votre présence, ce matin, au sein de notre commission.

Ma première question se rapporte à l’article 10. Dans l’exposé des motifs, il est indiqué : « L’article 10 renforce la légitimité des accords d’entreprise en modifiant la règle de validité des accords d’entreprise : la règle de l’accord majoritaire sera progressivement étendue. » Cela signifie que la validité de l’accord est subordonnée à la signature d’une organisation syndicale représentative ayant recueilli plus de 50 % des suffrages exprimés. À défaut, l’accord pourra être valide s’il est signé par des organisations syndicales représentatives ayant obtenu 30 % des suffrages exprimés, et approuvé par une majorité de salariés directement consultés sur demande de ces organisations syndicales. Ces nouvelles dispositions reviennent donc sur la loi de 2008 relative à la représentativité syndicale ; elles subordonnent la validité d’un accord à un seuil de 30 %, tout en prévoyant un droit d’opposition majoritaire. Les syndicats ayant adopté des positions très divergentes sur le sujet, j’aurais aimé avoir l’avis de ceux qui ne se sont pas encore exprimés.

L’article 15, quant à lui, prévoit que les collectivités territoriales ou leurs groupements peuvent mettre des locaux à disposition des syndicats, lorsque ces derniers en font la demande. La mise à disposition de locaux au profit des syndicats est un usage répandu dans de nombreuses collectivités territoriales. Toutefois, le cadre juridique de ces pratiques est très incomplet. Les nouvelles dispositions vous semblent-elles aller dans le bon sens ? Répondent-elles aux demandes adressées l’an passé à François Rebsamen ? Les estimez-vous encore incomplètes ?

L’article 25 étend le champ de la négociation annuelle relative à la qualité de vie au travail aux modalités d’exercice par le salarié de son droit à la déconnexion. L’inscription de ce nouveau droit vise à prendre en compte les contraintes afférentes aux outils numériques mis à disposition par l’employeur et pesant sur les salariés. Il est présenté comme un enjeu majeur pour certaines catégories de salariés. Qu’en pensez-vous ? Le texte prévoit une entrée en vigueur de la mesure au 31 décembre 2017, afin de permettre la négociation. À défaut, les modalités d’exercice de ce droit seront définies par l’employeur. Le délai accordé est-il suffisant pour permettre à l’ensemble des acteurs sociaux de s’accorder sur ces modalités ?

Ma dernière question porte sur l’article 27 qui vise à renforcer l’utilisation des outils électroniques et numériques de l’entreprise par les organisations syndicales, et à permettre le recours au vote électronique simplifié. Selon l’étude d’impact, le vote électronique offrirait de nombreux atouts : simplification de l’organisation du scrutin, limitation des risques d’erreurs et de fraude lors du dépouillement, augmentation du taux de participation avec la possibilité de voter à distance pendant plusieurs jours, inscription du processus électoral dans une démarche de préservation de l’environnement. Quel est votre avis ?

Mme Jacqueline Fraysse. Au nom du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, je voudrais à mon tour remercier les organisations syndicales qui ont bien voulu participer à ces débats et qui nous éclairent sur leurs préoccupations. Pour l’essentiel, leurs préoccupations confirment les miennes.

Comme je l’ai dit hier, lors de l’audition de Mme la ministre, nous rejetons tant la philosophie qui sous-tend ce projet de loi que l’essentiel de son contenu. Il est absolument inacceptable d’établir un lien entre la baisse des protections des salariés et les créations d’emploi. Ce lien n’a jamais été démontré. J’ai interrogé Mme la ministre à ce sujet mais elle ne m’a pas répondu. Quelle étude permet d’établir un tel lien ? J’aimerais le savoir.

Le débat ne porte pas sur la nécessité de développer, de fluidifier, d’améliorer, de faciliter le dialogue social. Nous sommes tous d’accord là-dessus. Mais il faut prendre en compte un rapport hiérarchique lourd. Dans quelles conditions le dialogue social se déroule-t-il ? C’est tout le problème qui nous est posé.

Comme certains l’ont rappelé, la vocation initiale du code du travail est la protection des salariés. Non seulement cette protection ne doit pas être remise en cause mais elle devrait être améliorée, modernisée, mieux adaptée à la société actuelle. Or le texte, y compris dans sa deuxième version, marque des reculs en matière de temps de travail, de protection contre les licenciements abusifs, de santé, etc. Ce n’est pas une modernisation, c’est un retour en arrière.

Pour conclure ces observations générales, je précise que nous ne prônons pas pour autant le statu quo. Il s’agit évidemment de travailler avec tous, organisations syndicales et citoyens, afin de mettre en place des dispositions modernes et équilibrées, qui permettront d’explorer des formes nouvelles de salariat et des droits nouveaux, tout en tenant compte de la diversité des contraintes des entreprises, que personne ne nie et qu’il faut effectivement examiner. Nous devrions débattre d’un autre texte, ouvert sur l’avenir. C’est la raison pour laquelle nous souhaitons que celui-ci soit retiré.

Vous avez déjà répondu aux questions que je désirais vous poser sur le CPA et le mandatement. Il m’en reste trois autres.

Comment souhaitez-vous être associés à la commission qui est chargée de la refondation du code du travail ?

Le texte prétend renforcer les moyens qui sont accordés aux représentants des personnels. Que pensez-vous des articles 15 et 16 qui traitent des locaux et des heures de délégation ?

Concernant la hiérarchie des normes, je crois savoir que la CGT évoque la constitutionnalisation du principe de faveur pour ne pas risquer ces retours en arrière. Que pensent les autres organisations syndicales de cette proposition qui me paraît intéressante ?

Mme la présidente Catherine Lemorton. Nous en venons aux questions des députés.

M. Gilles Lurton. Le code du travail, selon M. Mikula, n’a cessé d’être assoupli depuis trente ans. Cependant, nombreux sont ceux qui estiment que les lois adoptées au fil des dernières années n’ont fait qu’y ajouter des pages supplémentaires, le rendant ainsi plus complexe au point d’être incompréhensible par les entreprises, en particulier les PME, qui sont pourtant les plus créatrices d’emploi. La loi impose la consultation des partenaires sociaux lors de toute modification du code du travail. Je vous pose donc la question : êtes-vous tous convaincus que le code du travail doit être simplifié – ce qui constitue l’un des premiers objectifs de ce projet de loi ?

D’autre part, j’estime qu’une réforme du code du travail ne doit avoir pour seul objectif que la relance de l’emploi afin de permettre aux jeunes, aux personnes peu qualifiées et aux seniors au chômage de retrouver un emploi. Selon la CGT, les droits et intérêts des salariés ne doivent pas s’effacer derrière les intérêts économiques et financiers, et je pourrais partager ce point de vue ; il n’est pas tolérable, néanmoins, que notre pays compte plus de 3,7 millions de chômeurs et que les contrats précaires s’y multiplient. En quoi ce projet de loi, dans la version qui nous est présentée aujourd’hui, est-il susceptible de relancer l’emploi ?

Enfin, le plafonnement ou la fixation d’un barème des indemnités prud’homales ne figure plus dans cette version du projet. Pourquoi cette disposition, telle qu’elle était initialement conçue, était-elle selon vous inacceptable ?

Mme Martine Carrillon-Couvreur. Ainsi conçu, le compte personnel d’activité, qui permet d’attacher des droits à la personne tout au long de son parcours, constitue la pierre angulaire d’un nouveau contrat social. Nos concitoyens attendent une plus grande autonomie des décisions qui les concernent. Vous avez été plusieurs à soulever la notion du temps concernant le CPA, et je partage cette préoccupation. Comment entendez-vous poursuivre le travail en la matière ? Il semble que des difficultés empêchent d’aller plus loin et de bâtir un CPA tenant pleinement compte de la notion de temps, pourtant essentielle.

D’autre part, chacun connaît les situations dramatiques que créent les problèmes de reclassement dans les entreprises. Le projet de loi ne saurait éluder cette question. Une seule proposition de reclassement ne peut suffire : il faut veiller à ce que plusieurs propositions soient faites et prévoir l’accompagnement adapté pour que les intéressés retrouvent concrètement un poste et s’y maintiennent. Nous améliorerons ce faisant la sécurisation des parcours professionnels.

M. Jean-Louis Costes. Il existe un principe général de laïcité dans le secteur public. Ne serait-il pas temps d’établir enfin un principe identique dans les entreprises du secteur privé ?

M. Michel Liebgott. Votre franchise, mesdames et messieurs les représentants des syndicats, a fait apparaître de profondes divergences, au point que l’on peut s’interroger sur ce qu’aurait été la version initiale de ce projet de loi si elle avait été maintenue – ou si d’autres devaient y revenir un jour. Je comprends mieux pourquoi M. Fillon, par exemple, déclarait récemment qu’il gouvernerait par ordonnances au cours des deux mois suivant son élection.

Nous sommes tous témoins sur le terrain d’accords passés par les organisations syndicales dans les entreprises – la CGT signe environ 84 % des textes, la CFDT 94 %. Autrement dit, la volonté de dialogue social existe. Paradoxalement, comme le rappelait M. Combrexelle, on semble préférer que la loi, plutôt que le dialogue social et les échanges qui ont lieu au sein de l’entreprise, impose les règles. Certains d’entre vous souhaitent se dessaisir de ce pouvoir, ce qui me semble préjudiciable pour les salariés, car nul ne connaît mieux une situation que celui qui la vit sur le terrain. Ainsi, dans le secteur sidérurgique à Florange, les accords passés n’ont pu être signés que parce que les syndicats étaient forts. Certes, je ne suis pas favorable au modèle allemand, dans lequel il est nécessaire d’adhérer à un syndicat pour bénéficier des avantages d’un accord. Nous pourrions cependant nous inspirer de la qualité du dialogue social qui existe dans ce pays et de mesures très concrètes concernant le temps partiel, par exemple, qui ont permis à l’Allemagne de traverser la crise sans compromettre la formation professionnelle.

Je conclurai par un point positif. « L’État n’avait jamais concédé le pilotage de ce type d’opération de formation aux conseils régionaux, et je m’en félicite », déclarait récemment le président de la nouvelle région Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine : c’est la preuve que nous pouvons encore avancer ensemble, de manière concrète et pragmatique !

M. Arnaud Viala. Ce projet de loi vise à « instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs » et à apporter des solutions au contexte économique pour le moins dégradé que nous connaissons. Il a également été présenté comme un outil permettant d’établir un dialogue constructif entre les différentes parties prenantes de l’économie et de l’emploi.

Selon vous, la réforme du code du travail n’améliorera pas les conditions économiques de notre pays. Pouvez-vous nous donner quelques pistes qui permettraient d’y parvenir ? Cette question est le nœud du problème, en effet ; faute d’y répondre, nous nous contenterions de postures, les organisations syndicales se contentant de défendre les salariés, les organisations patronales de défendre le patronat et les formations politiques de se ranger derrière ceux qu’ils estiment – parfois à tort – constituer leur électorat.

J’en viens à la question de la méthode, que j’ai posée hier à la ministre sans obtenir de réelles réponses. Vous avez eu connaissance bien avant nous de ce texte – à cet égard, Madame la présidente, les membres de la commission ne disposent toujours pas d’un exemplaire imprimé du texte, ce qui me semble tout à fait anormal – qui tend à placer le dialogue et la négociation au cœur du dispositif. Or, vous avez tous déploré le fait que vous n’auriez pas été suffisamment consultés. Qu’en est-il ?

Mme la présidente Catherine Lemorton. Le texte est disponible en ligne depuis jeudi dernier comme cela vous a été rappelé par mail hier. Libre à vous de l’imprimer, monsieur Viala.

Mme Chaynesse Khirouni. Concernant la question de savoir si l’entreprise serait le meilleur niveau auquel conduire certaines négociations, en particulier sur le temps de travail, nos auditions ont permis de recueillir plusieurs inquiétudes. Certains employeurs nous ont rappelé que les TPE et les PME craignent des distorsions de concurrence en raison de la coexistence de conditions de travail et d’organisation différentes dans un même secteur d’activité, d’où une préférence pour les accords de branche ; ils s’inquiètent également de la pression accrue des sous-traitants. Du point de vue des salariés, les accords d’entreprise peuvent prévoir des dispositions moins favorables que les accords de branche ce qui, dans un contexte économique difficile, modifie forcément le rapport de force et fragilise la situation et les droits des salariés, les pressions s’exerçant au sein de l’entreprise étant plus fortes. Quelle réponse faites-vous à ces différentes craintes ?

D’autre part, en quoi la multiplication des accords d’entreprise permettrait-elle de simplifier et de fluidifier le marché du travail ?

M. Bernard Perrut. Les jeunes sont au cœur de nos préoccupations en matière d’emploi. Le Premier ministre a déclaré que la garantie jeunes serait une révolution pour la jeunesse – encore faut-il que cela se vérifie dans les faits, ce qui n’est pas certain. Le représentant de la CGT a évoqué son rôle au niveau européen en faveur du financement de cette mesure. Avons-nous seulement la même vision de cette garantie ? À mon sens, elle ne doit pas constituer un droit universel sans contrepartie, ni une nouvelle trappe à précarité. Convenez-vous des strictes obligations dont elle doit être assortie en termes de sélection, d’engagement, de détermination et de motivation des jeunes concernés ?

Que pensez-vous d’autre part du budget nécessaire au déploiement de cette mesure, la presse s’étant fait l’écho d’un débat imprécis sur cette question ? Quoi qu’il en soit, la garantie jeunes ne réussira que si les obligations et exigences qui l’accompagnent sont respectées afin de conduire les jeunes vers la formation et l’emploi.

Mme Kheira Bouziane-Laroussi. L’un des objectifs de ce projet de loi vise à répondre au besoin des chefs d’entreprise de disposer d’une meilleure visibilité dans les situations de contentieux, ce qui permettrait, semble-t-il, de favoriser les créations d’emplois. Les organisations syndicales, qui font partie des juridictions prud’homales compétentes en la matière, ont-elles des propositions à formuler pour améliorer le règlement des litiges, lesquels ne constituent pas une période plus facile pour les salariés que pour les employeurs ?

M. Yves Censi. Le droit du travail est de nature éminemment jurisprudentielle ; c’est pourtant une dimension que l’on néglige souvent lorsque l’on envisage la simplification du code du travail, dont la complexité tient pour l’essentiel à la somme de jurisprudence émise par la chambre sociale de la Cour de cassation. Tout comme les organisations d’employeurs, les organisations syndicales sont des acteurs de la justice prud’homale ; ne pensez-vous qu’en la matière, ce projet de loi passe à côté de quelque chose ?

D’autre part, le sixième principe énoncé à l’article 1er ne contient aucune nouveauté concernant la liberté d’expression des salariés ; en revanche, certaines dispositions disparaissent. Ainsi, pour s’opposer à la libre expression religieuse d’un salarié, un employeur doit aujourd’hui arguer non seulement de nécessités proportionnées au but recherché – ce qui est maintenu dans le texte – mais aussi d’exigences essentielles et déterminantes, en lien avec la tâche à accomplir – qui disparaissent. Qu’en pensez-vous ?

Enfin, ce projet de loi me semble se caractériser par une profonde ambiguïté concernant la hiérarchie des normes. Il dispose que « En cas de conflit de normes, la plus favorable s’applique aux salariés si la loi n’en dispose pas autrement ». Une telle rédaction laisse à penser qu’il n’a pas été mis fin au principe de faveur – bien au contraire, elle le renforce. Êtes-vous opposés à la suppression de ce principe et pensez-vous que la chambre sociale de la Cour de cassation et les autorités jurisprudentielles l’accepteraient aisément ?

M. Gérard Sebaoun. Par principe, je suis favorable à l’article 25, relatif au droit à la déconnexion, mais je reste tout de même très dubitatif. En effet, aborder ce sujet revient à aborder celui de la place des outils numériques dans notre vie professionnelle et personnelle. Or, le chevauchement de l’une et de l’autre ne trouvera pas de solution dans la loi, car les usages n’ont pas le même poids selon les individus, les organisations, les entreprises. L’arc des champs concernés s’étend de la protection des salariés – qui incombe naturellement aux employeurs – à une autonomie revendiquée, laquelle peut aussi se traduire par un mieux-être – et non un mal-être – au travail. On ne saurait traiter de la même manière la situation des salariés qui gèrent leur messagerie au moment de leur choix et ne le font pas toujours depuis leur lieu de travail, et ceux qui reçoivent des instructions à toute heure du jour voire de la nuit, ce qui constitue manifestement un facteur de risque et de stress. Autrement dit, le texte peut-il se limiter à prévoir une charte élaborée après avis des instances représentatives du personnel ?

D’autre part, le télétravail – objet de l’article 26 – connaît un certain retard en France. Avez-vous une idée de son développement actuel ? Je suis favorable à ce qu’il se développe par la négociation, à domicile comme dans des espaces de co-working.

Ces deux articles entraîneront un profond bouleversement de l’architecture très hiérarchisée de nos entreprises et provoqueront une véritable révolution du rôle des managers.

Mme Véronique Descacq. L’insuffisance de la couverture des mandatés dans les petites entreprises – à laquelle M. Sirugue a proposé de remédier par deux pistes alternatives – n’est pas un sujet de préoccupation pour la CFDT, qui ne s’inquiète pas de l’éventualité qu’un salarié éprouve des difficultés à trouver une organisation syndicale qui le mandaterait, et pour cause : nous avons déjà fait cette expérience lors des accords sur la réduction du temps de travail, dans le cadre de l’application des lois Aubry, sans rencontrer de problèmes. Les organisations syndicales étant organisées par profession et par territoire, et compte tenu des moyens de communication modernes, il est toujours aisé de trouver la porte d’entrée menant à l’interlocuteur susceptible de mandater un salarié.

Quant à votre proposition de faire valider les accords issus de la négociation dans les petites entreprises par les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE), ce n’est pas une piste que nous envisageons : une telle mesure ne relève en effet plus du champ de la négociation collective, mais d’une décision administrative. Nous préférons en l’occurrence prévoir à l’échelle de la branche la négociation d’accords-types de deux catégories : les accords-types d’application directe et les accords-types pouvant être appliqués par la branche sous réserve de leur adaptation dans les entreprises, le mandatement pouvant alors intervenir. Dans ce domaine, la branche a toute sa place à tenir : songez aux dispositions de la loi Rebsamen concernant les commissions paritaires des TPE, qui ont permis à certaines branches de créer des commissions spécifiques aux TPE pouvant utilement contribuer à la négociation d’accords-types applicables à ces entreprises.

S’agissant du principe de publication des accords, madame Iborra, nous proposons qu’il n’appartienne plus à l’employeur de choisir unilatéralement si les accords doivent ou non être publiés. D’autre part, la question de l’évaluation est majeure : au fil des réformes adoptées ces dernières années, le contenu du modèle social et la manière dont il se construit ont profondément changé. Il est impératif d’en évaluer les résultats, ce qui a d’ailleurs été fait suite aux accords nationaux interprofessionnels de 2008 et 2013. Nous devons reconnaître que notre première réponse n’est pas forcément la bonne : il faut poursuivre le changement lorsque l’on constate que les orientations prises étaient malvenues ou insuffisantes. C’est précisément ce que nous avons fait au sujet des accords de maintien dans l’emploi : nous avons estimé que les mesures prises en 2013 n’avaient pas permis de développer ces dispositifs parfois utiles pour les entreprises et pour les salariés. En clair, il est légitime que les lois reviennent sur des expériences qui ont montré leurs limites.

La CFDT, madame Le Callennec, ne souhaite pas réformer à tout prix pour flexibiliser un marché du travail déjà très flexible. Nous ne croyons pas non plus un seul instant à la solution miracle d’une réforme du marché du travail qui libérerait les employeurs de leurs angoisses existentielles en matière d’embauche et qui, du même coup, donnerait naissance à une génération spontanée d’emplois. En revanche, nous croyons que la société et l’économie traversent des mutations profondes. Or, à n’y répondre qu’en réduisant le coût du travail et les contraintes, on s’engagerait dans une spirale qui tirerait vers le bas non seulement les droits des salariés, mais aussi l’économie dans son ensemble.

C’est pourquoi les réformes mises en œuvre doivent selon nous poursuivre un triple objectif. Le premier vise à permettre aux entreprises de s’adapter au contexte nouveau en renforçant leur compétitivité ; de ce point de vue, le dialogue social est le moyen le plus pertinent de faire coïncider le nécessaire objectif de compétitivité des entreprises et celui de la protection des salariés. Le deuxième objectif consiste à attacher des droits à la personne afin de permettre aux personnes d’être plus mobiles et de changer de métier à mesure que les secteurs d’activité, qu’ils soient industriels ou agricoles, évoluent. C’est précisément le sens du compte personnel d’activité et de la sécurisation des parcours professionnels. Le troisième objectif, enfin, a trait à la montée en compétences et à l’ensemble des orientations relatives à la formation professionnelle, dont on ne saurait prétendre qu’elle continue encore aujourd’hui à favoriser les salariés les mieux formés. C’était le cas autrefois, en effet, mais la réforme de la formation professionnelle de 2014 était justement destinée à mettre fin à cette situation. Elle commence seulement à produire ses effets, mais elle va réorienter massivement les fonds alloués à la formation professionnelle en direction des personnes les moins qualifiées, qu’il s’agisse de salariés, de demandeurs d’emploi ou de jeunes en insertion ou en recherche d’emploi. Si je me félicite de cette deuxième version du projet de loi, c’est parce qu’elle parachève l’ambition défendue dans la réforme de 2014 en privilégiant les personnes les moins qualifiées.

Il va de soi que nous souhaitons être associés aux travaux de la commission d’experts créée par l’article 1er, au moyen d’échanges intelligents permettant aux organisations syndicales de formuler des contre-propositions. C’est d’ailleurs cette démarche pertinente qui a été adoptée avec le comité présidé par M. Badinter.

J’en viens au fameux principe n° 6 de l’article 1er concernant la laïcité en entreprise. Cette disposition suscite nombre de polémiques et de malentendus. Nous pensons que son retrait ne serait pas préjudiciable : l’article 1er suffirait en lui-même à conserver les règles telles qu’elles existent aujourd’hui dans le droit du travail et, en grande partie, dans la jurisprudence, comme l’a rappelé M. Censi. Toutefois, on peut légitimement se demander s’il suffit de préserver le droit actuel. Pour la CFDT, la question de la laïcité relève en partie de la pratique et du dialogue social. Légiférer sur ce sujet très sensible ne permet pas forcément de répondre aux nombreuses questions qui se posent dans les entreprises – nombreux sont nos militants qui nous signalent des problèmes liés non seulement à la pratique religieuse en entreprise, mais aussi aux relations entre les hommes et les femmes. Cela étant, s’il est tout de même décidé de modifier le droit positif, ce n’est sans doute pas dans le présent texte qu’il convient de le faire, car il ne permettra pas de s’appuyer sur un nécessaire débat citoyen plus large et instruit. À ce stade, nous en proposons le retrait, le premier principe suffisant à répondre à la question.

Je rappelle que la mise en place d’un régime complémentaire de santé, qui peut relever de la décision unilatérale de l’employeur, se fait toujours par la négociation – soit d’entreprise, soit de branche, comme nous le souhaiterions davantage. Autrement dit, le pouvoir unilatéral de l’employeur est extrêmement limité puisqu’il consiste à signer – sans le négocier – le contrat avec l’organisme prestataire.

Ce projet de loi permettra-t-il de remédier à la complexité du code du travail ? Il n’est guère possible de répondre à la complexité du marché du travail par un principe simple et unique. En revanche, cette nouvelle architecture nous paraît très pertinente, puisqu’elle vise à établir pour tous des règles qui protègent. La CFDT s’est notamment battue pour que la règle des 35 heures soit préservée dans l’ordre public social afin de protéger tous les salariés. En clair, il nous semble important que cet ordre public social protège tous les salariés, qu’il s’agisse des grands principes ou de règles plus détaillées concernant le volume horaire hebdomadaire ou le contrat de travail. Cela étant, certaines branches professionnelles ont toute légitimité pour négocier telle ou telle mesure, en matière de classifications par exemple. Ainsi, il nous semble pertinent que les branches se saisissent de la question des parcours professionnels au sein de chaque métier. De même, pour protéger les salariés, nous avons souhaité que la négociation qui permet de déroger à la durée minimale hebdomadaire du travail à temps partiel demeure de la responsabilité de la branche, car c’est là que se font la régulation économique et la concurrence entre les entreprises en la matière.

Le renvoi à la négociation d’entreprise nous semble intelligent à quelques conditions près, qui ont trait à la question du rapport de force. De fait, ce rapport de force est déjà pris en compte par la loi, qui prévoit la protection des salariés mandatés. De ce point de vue, le discours du patronat concernant le dialogue social direct – qui n’est pas synonyme de management – est un leurre, car il ne saurait y avoir de dialogue social direct entre personnes qui entretiennent un lien de subordination. L’intermédiation des organisations syndicales et la protection des salariés mandatés, dont nous souhaitons qu’elle soit étendue aux commissions paritaires de branche, sont des éléments essentiels. Autre élément essentiel : les accords majoritaires. Enfin, le rapport de force s’appuie sur un socle supplétif. Dès lors qu’il est à droit constant, l’employeur sait que s’il veut négocier, il doit passer par un accord d’entreprise et, par conséquent, donner des contreparties.

J’en reviens à la question du temps de travail et de la rémunération des heures supplémentaires. Il faut arrêter de dire que désormais, dans les entreprises, il sera possible de rémunérer les heures supplémentaires à un taux de majoration inférieur à 25 % et qui pourra descendre à 10 % : c’est faux. Quelle organisation syndicale signerait sans aucune contrepartie un accord majoritaire prévoyant une moindre rémunération des heures supplémentaires ? Cela n’a aucun sens. S’il peut y avoir une marge de manœuvre entre 10 % et 25 %, c’est parce que, dans le cadre de la négociation au sein de l’entreprise, des contreparties peuvent être proposées qui sembleront pertinentes aux organisations syndicales, donc aux salariés : possibilité de choisir l’organisation de son travail, de faire financer le mode de garde de ses enfants, d’être indemnisé pour un transport en taxi selon l’heure à laquelle on termine, etc. Toutes ces modalités qui complètent ou remplacent les 25 % de majoration du paiement des heures supplémentaires ne peuvent être fixées ni par une loi ni par un accord de branche, mais par une approche au plus près des réalités et des besoins des salariés, afin de savoir ce que ces derniers demandent en contrepartie de l’abandon de ce seuil – qui, en mettant les choses au pire, atteindrait 10 %.

Voici ce que je veux dire sur ce sujet, et qui permet aussi de répondre à la question sur la hiérarchie des normes et le principe de faveur. Celui-ci est facile à appliquer lorsque l’on négocie sur les salaires : quand on parle chiffres, savoir ce qui est plus ou moins favorable relève de l’arithmétique élémentaire. Mais les accords que négocient aujourd’hui les représentants du personnel dans les entreprises et dans les branches sont beaucoup plus complexes : il s’agit d’un enchevêtrement de dispositions, de contreparties, de dérogations, d’avantages qui peuvent être appliqués au niveau de l’entreprise bien que l’on n’y ait pas nécessairement pensé au niveau de la loi ni de la branche. Dans cet enchevêtrement, qui va juger de ce qui est plus ou moins favorable ? Si l’on ne veut pas que ce soit le juge, afin de ne pas judiciariser les relations sociales, il faut que ce soient les organisations syndicales légitimement élues par les salariés et qui représentent au moins 50 % des voix. Je ne vois pas comment décréter un principe de faveur dans des accords qui ne sont pas uniquement financiers, mais qui constituent un ensemble complexe de contreparties touchant notamment à l’emploi.

Faute de temps pour m’exprimer plus longuement, j’espère que vous trouverez les autres réponses à vos questions dans le texte qui présente les propositions de modification formulées par la CFDT.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Pour la parfaite transparence de nos débats, je rappelle que le rapporteur procède depuis la semaine dernière à des auditions en vue desquelles des convocations sont envoyées à tous les députés de la commission. La plupart des syndicats ont répondu favorablement à son invitation, mais il y a une organisation syndicale dont nous attendons toujours la réponse. Or, même si l’on souhaite le retrait du texte, il est important, à des fins de transparence et d’échange, de répondre aux demandes d’audition du rapporteur, d’autant que celui-ci a su s’adapter, proposant beaucoup de dates différentes. Je lance donc un nouvel appel, en toute cordialité et amitié, au syndicat qui n’a pas répondu.

M. Fabrice Angei. Le 31 mars, c’est un peu compliqué !

Mme la présidente Catherine Lemorton. Nous avons proposé d’autres dates, par exemple la semaine dernière. Il ne s’agit pas de polémiquer, simplement de signaler que les autres syndicats ont répondu et que nous avons déjà beaucoup échangé.

M. Bernard Sagez. Pour ma part, je répondrai d’abord aux questions concernant les accords.

Nous sommes favorables au mandatement : au mandatement a priori – puisque, à un moment donné, il faut bien mandater un salarié en l’absence de délégué syndical –, mais aussi à un contrôle a posteriori des termes de l’accord par l’organisation mandante : cela relève de sa responsabilité, qu’elle a engagée en désignant un mandataire.

Nous sommes également tout à fait favorables à la transparence complète des accords ainsi qu’à leur évaluation.

Sans être opposés aux accords majoritaires, nous restons favorables à la possibilité également offerte aux syndicats représentant au moins 30 % des suffrages de soumettre l’accord qu’ils approuvent au référendum des salariés. Elle ne met pas les syndicats hors-jeu, mais tient compte du fait que, dans une entreprise, il n’est pas toujours possible de faire approuver un accord par des organisations représentant 50 % des voix. On a d’ailleurs pu signer dans la fonction publique des accords qui étaient bien loin de susciter ce degré d’approbation et qui n’en ont pas moins permis des avancées pour les salariés. Cette seconde option permet aux organisations syndicales qui ont négocié l’accord de s’assurer qu’elles sont sur la bonne voie : le référendum est une confirmation. Nous souhaitons donc, je le répète, le maintien de ces deux niveaux de validation des accords sur le terrain.

Favorable à l’idée de subsidiarité permanente, la CFTC estime que ses délégués syndicaux ont toute compétence pour négocier au plus près des entreprises et faire en sorte que les accords soient équilibrés, et qu’ils doivent être formés à cette fin par l’organisation.

En ce qui concerne les questions de flexibilité, de précarité et d’emploi, il serait exagéré d’affirmer que ce projet de loi va créer de l’emploi. Toutefois, dans un monde en bouleversement où apparaissent de nouveaux métiers, il faut fluidifier le marché du travail. Les salariés doivent occuper un emploi, mais ils ne garderont pas le même pendant quarante-deux ans ; or cette fluidification sera impossible si ce n’est pas à la personne que les droits sont attachés. C’est donc ainsi qu’il faut procéder, sur le modèle du CPA, et dans le cadre des négociations locales. Ainsi, le salarié sait qu’il pourra rebondir – dans une autre entreprise, comme autoentrepreneur – même si, pour telle ou telle raison, l’emploi qu’il occupe devait ne plus exister. Nous ne parlons donc pas à ce sujet de précarité, mais de parcours professionnel et personnel. Il faut évidemment que le dispositif soit équilibré.

S’agissant du fameux sixième principe de l’article 1er, nous estimons nous aussi qu’il n’apporte rien de nouveau par rapport aux dispositions existantes et devrait donc être retiré, à moins de mentionner la laïcité au premier principe, comme cela a été proposé.

En ce qui concerne la décision unilatérale de l’employeur, nous avions contesté la place qui lui était faite dans la première version du texte, aux termes de laquelle elle s’imposait en l’absence d’accord. Or cet aspect a été largement remis en cause : dans la version actuelle, on reste presque toujours à droit constant lorsqu’il n’existe pas d’accord, ce qui nous paraît satisfaisant.

Enfin, sans revenir en détail sur notre position concernant la branche, nous approuvons l’application d’accords-types négociés par la branche aux PME et TPE, où elle permettra une régulation.

M. Franck Mikula. Je répondrai pour ma part à Mme Iborra que le débat traditionnel qui oppose CDD et CDI, travail indépendant et travail salarié, mérite d’être modernisé : aujourd’hui, c’est l’opposition entre consommateur et salarié qui se développe. D’où le recours au low cost : « ce n’est pas bien d’acheter ses billets d’avion chez Ryanair, mais ce n’est pas cher, et je n’ai pas trop les moyens, donc je le fais quand même » ; « ta fille ne pourra pas devenir hôtesse de l’air, travailler dans cette entreprise où elle sera payée moins du SMIC ! – c’est vrai, mais tant pis ; je le dénonce, mais je l’accepte ». Or je suis de ceux qui pensent que l’on ne fera qu’accentuer cette opposition en ramenant la négociation au niveau de l’entreprise. Prenez l’exemple de Walmart, aux États-Unis : partout où l’entreprise s’implante, elle ruine tous les épiciers de la ville, car, en rémunérant moins les heures supplémentaires, elle réduit les garanties dont bénéficient tous les salariés qui font le même métier ; c’est exactement ce que l’on est en train de faire ici. C’est ainsi que l’on détruit la régulation existante et celle que l’on tente de construire par les accords de branche. Mme Iborra a salué le « volontarisme » du Gouvernement, qui entend « faire bouger les choses » ; je suggère simplement de prendre garde au « bougisme », qui ne crée pas d’emplois.

Madame Fraysse, lors de la concertation qui a eu lieu dans le cadre de la mission Badinter, nous avions proposé de constitutionnaliser les principes du droit du travail, à l’instar de la Charte de l’environnement, pour en garantir la solidité. M. Badinter nous avait répondu que ce n’était pas nécessaire : il suffisait d’en faire le préambule du code du travail, sur le modèle du code de procédure pénale dont chacun sait que c’est du solide et que l’on n’y touche plus. Je n’y connais rien, n’ayant jamais été garde des Sceaux, n’étant pas appelé à le devenir : je l’ai cru. Or je constate aujourd’hui que ces principes ont presque totalement disparu, au point que je me demande à quoi ils vont servir. Antoine Lyon-Caen lui-même, qui faisait partie du comité Badinter, ne cautionne pas du tout le présent projet de loi et critique ce qu’y deviennent les principes qu’il avait contribué à dégager.

M. Viala nous a demandé ce que nous, syndicats, proposions puisque nous n’acceptons rien.

M. Arnaud Viala. Ce n’est pas ce que j’ai dit !

M. Franck Mikula. Je vous l’accorde. Mais c’est une objection que nous entendons souvent – il y a quelques jours encore de la part de vos collègues. Ma réponse est toujours la même : je ne suis pas chargé de l’intérêt général, contrairement à vous dont c’est la responsabilité et l’honneur ; je suis compétent dans le domaine de l’entreprise et du dialogue social ; il m’est très difficile d’aller plus loin.

Simplement, dans le champ social, nous évaluons dès que possible les accords qui ont été négociés. C’est dans ce cadre que nous nous sommes penchés sur les accords nationaux interprofessionnels (ANI) de 2008 et de 2013, ce qui nous a conduits à nous interroger sur la loi relative à la sécurisation de l’emploi de juin 2013. Je ne partage d’ailleurs pas le point de vue de Véronique Descacq sur les accords de maintien de l’emploi.

Pourquoi ne faites-vous pas de même, comme législateur, en ce qui concerne les lois adoptées en matière économique et financière ? Je ne citerai qu’un exemple, celui d’un illustre ministre de l’économie, M. Strauss-Kahn, qui brisa un tabou séculaire en autorisant le rachat par les entreprises de leurs propres actions. S’est-on jamais interrogé sur l’efficacité de cette mesure du point de vue de la compétitivité des entreprises ou de notre pays ?

Avant de s’attaquer au droit social et au code du travail, rien n’interdit de les simplifier. Réformer le code du travail, c’est ce que nous faisons en permanence : c’est notre travail – et le vôtre. Mais, chaque fois que nous y touchons, nous lui ajoutons dix ou quinze pages. C’est ce que vient de faire la loi Macron. Voilà pourquoi M. Lurton peut m’objecter que l’assouplissement du code de travail depuis trente ans n’a fait qu’en accroître le volume. S’il existait une seule règle, la loi, uniformément applicable sur tout le territoire, le code du travail occuperait quatre pages. Mais, à force de vouloir l’adapter au terrain, on ne cesse de le compliquer.

Ne méconnaissons pas les problèmes de compréhension que soulève ce code. Vous me dites que vous-mêmes, législateur, n’y comprenez plus rien : je vous avoue qu’il nous arrive, à nous aussi, de rencontrer quelques difficultés. Cependant, une entreprise n’utilise jamais la totalité du code : une PME en applique un tiers à peine, voire 20 %. Si c’est cela qui pose problème, alors sortons du code les règles applicables aux PME, éditons un code des PME, et l’on ne verra plus aucun candidat à l’élection présidentielle balancer sur la table, devant les journalistes, un code du travail pesant quatre kilos – oubliant de parler du code de l’environnement, du code général des impôts, du code du commerce, tout aussi épais et compliqués que le code du travail !

Mme Le Callennec a posé une autre question récurrente : celle de la proportion de syndiqués. La CFE-CGC est l’un des plus petits syndicats représentatifs en France ; pourtant, elle compte plus d’adhérents que la plupart de vos partis. Mais peu importe, car là n’est pas la question, et heureusement : votre légitimité, c’est de l’élection que vous la tenez, comme nous. Or les élections professionnelles bénéficient d’un taux de participation qui vaut bien celui des élections politiques, voire le dépasse. Dès lors, quand on parle emploi, entreprise ou négociation, nous sommes légitimes. Et nous sommes favorables aux accords majoritaires car c’est une source de légitimité supplémentaire. Née des urnes, notre légitimité est aussi valable et respectable que celle des élus et des hommes politiques.

M. Didier Porte, secrétaire confédéral de FO. Monsieur Sirugue, la pression est plus forte au niveau des entreprises, et la négociation peut s’y dérouler sous la contrainte d’un chantage à l’emploi ou d’éléments propres à l’entreprise. Lorsque la marge de manœuvre de nos équipes se limite à négocier une remise en cause du code du travail, ce n’est plus une question de confiance vis-à-vis des syndicats d’entreprise. Il faut se mettre à la place de ces syndicats : on est en train de leur refiler cette remise en cause du code !

Quant aux deux propositions destinées à faire face à une multiplication des demandes de mandatement, je rappellerai notre position : nous souhaitons qu’il soit possible de désigner des représentants syndicaux à la main des syndicats et de travailler sur des accords de branche d’application directe. Ici, on prend le problème à l’envers. S’il faut une validation de branche comme il a pu en exister auparavant, pourquoi pas ? Mais telle est bien notre revendication.

Je le répète, il ne s’agit pas pour nous d’une évolution, mais d’une remise en cause, dans le cadre de la négociation collective, de l’un des piliers du pacte républicain et de notre République sociale : c’est une véritable rupture. Tous les citoyens sont concernés par le droit du travail, notamment les jeunes qui vivent actuellement une prise de conscience. Pour notre part, nous n’avons jamais confondu l’intérêt général, qui est de votre ressort comme parlementaires, avec l’intérêt particulier des salariés. Le droit du travail s’applique aux salariés, mais tout le monde a conscience du fait que ce projet de loi remet fortement en cause leurs droits.

En ce qui concerne les CDD et les CDI, l’importante négociation de la convention d’assurance chômage, qui est en cours, va peut-être sécuriser l’embauche en CDI en soumettant les employeurs à un dispositif de bonus-malus. En revanche, je ne vois pas ce qui, dans le présent projet de loi, garantira l’embauche en CDI.

Quant aux conséquences de la décentralisation du dialogue social au niveau européen, je citerai quelques chiffres. En Espagne, entre 2008 et 2013, le nombre d’accords de branche ou nationaux est passé de 1 448 à 706 ; le nombre d’accords d’entreprise, de 4 539 à 1 702 – on voit combien les Espagnols, eux aussi, font confiance à leurs syndicats d’entreprise ! – et le nombre de salariés couverts de 12 à 7 millions. Ces chiffres, qui émanent d’un institut syndical rattaché à la Confédération européenne des syndicats, ne sont pas contestables, eux non plus ! Au Portugal, l’évolution est comparable puisque le nombre de salariés couverts y a été ramené de 1,9 million à 328 000. La situation est un peu différente en Allemagne ; je n’y reviens pas.

La publication des accords d’entreprise sera bien une obligation. Peut-être faudra-t-il envisager de créer un site Négofrance, sur le modèle de Légifrance, auquel le juge chargé de trancher un contentieux pourrait se reporter au lieu de devoir se mettre en quête d’accords très disparates, de même que les avocats ou les défenseurs syndicaux. Cela risque d’être problématique.

Si nous n’avons pas parlé des demandeurs d’emploi, la question n’en a pas moins été évoquée. Nous attendons toujours l’étude qui nous prouvera que la déréglementation crée des emplois. Nous sommes solidaires des demandeurs d’emploi ; nous ne croyons pas que les salariés veulent garder jalousement leur emploi aux dépens des chômeurs, ni que la déréglementation permettra à ces derniers de retrouver des emplois corrects.

Tous s’accordent à considérer qu’il faut réduire le nombre de branches et redynamiser celles-ci. J’ai entendu la proposition concernant les commissions paritaires régionales interprofessionnelles issues de la loi Rebsamen mais, pour notre organisation, ces CPRI, qui peuvent apporter des éléments favorables au droit du travail au sein des petites entreprises, ne sauraient être un lieu de négociation. Le risque est de dévitaliser la négociation de branche au profit d’une négociation interprofessionnelle pour les TPE.

S’agissant du CPA, il faudra aussi prendre garde qu’il ne devienne pas un outil de remise en cause des grandes garanties collectives et d’individualisation des droits. De ce dernier point de vue, il peut être dangereux d’affecter des droits non plus à un statut, mais à une personne.

La hiérarchie des normes contribue à la lutte contre le dumping social ; c’est l’une des raisons pour lesquelles nous y sommes attachés ainsi qu’au principe de faveur. L’égalité de droits et de traitement au niveau national, dont on entend parler en ce moment, fait partie des valeurs républicaines auxquelles nous tenons. Faire primer l’accord d’entreprise représenterait une véritable inversion de la hiérarchie des normes, favoriserait le dumping social et balkaniserait le droit des salariés. Comme l’a dit mon camarade, il y aura bientôt autant de codes du travail que d’entreprises : du point de vue des valeurs, cela pose d’énormes problèmes.

En ce qui concerne le dialogue social direct, il s’agit d’une revendication patronale destinée à contourner les syndicats, qui sont pourtant les représentants officiels et légitimes des salariés, désignés par leur vote. Alors que la loi de 2008, défendue par le patronat et certaines organisations syndicales, visait à accroître la légitimité syndicale – je le dis d’autant plus librement que nous n’en étions pas signataires –, cette légitimité même est aujourd’hui battue en brèche ! Sachez que 80 % du contentieux prud’homal émane de salariés d’entreprises dépourvues de syndicat. En d’autres termes, lorsque les organisations syndicales sont présentes au sein des entreprises, le contentieux est réglé en amont, sans qu’il soit nécessaire de le porter devant les prud’hommes. Lorsque le patronat le comprendra, il aura fait de gros progrès !

Quant au taux de syndicalisation, je pourrais évoquer à ce sujet la discrimination syndicale, mais il me faudrait beaucoup plus de temps.

Le problème de la médecine du travail est lié au manque d’attractivité de cette profession. Il faut y remédier au lieu d’adopter des dispositifs destinés à contourner le déficit de médecins du travail.

Par ailleurs, notre organisation syndicale est également à l’initiative de l’article de loi relatif à la mise à disposition de locaux aux syndicats. Je vous invite à relire le rapport de l’IGAS, dans lequel M. Dole préconisait une loi obligeant les communes, les départements et les régions, à héberger les syndicats, conformément à un usage datant de la création des bourses du travail. On nous a expliqué qu’on ne pouvait pas aller aussi loin : pour une raison de constitutionnalité, il n’était pas possible en effet d’imposer à des structures régionales, départementales, ou municipales, une telle obligation. Pour autant, l’hébergement des syndicats pose des difficultés dans les grandes villes. Donner aux organisations syndicales les moyens de représenter les salariés passe par la mise à disposition de locaux leur permettant de travailler dans de bonnes conditions. C’est une question de démocratie.

S’agissant du droit à la déconnexion, j’ai l’impression que l’on réinvente le droit au repos. Il est clair, là encore, que le texte ne va pas assez loin. D’abord, l’entrée en vigueur de ce droit va devoir attendre le 31 décembre 2018. Ensuite, on manque de précision sur sa teneur. Enfin, son application ne sera pas uniforme, ce qui aboutira à renforcer les différences de conditions de travail. Il semble en effet que certaines modalités seront réservées aux entreprises de moins de 300 salariés, tandis que les entreprises de plus de 300 salariés bénéficieront d’une charte. Nous revendiquons la mise en place d’une vraie négociation dans le cadre d’un ANI, pour assurer l’égalité de traitement entre les salariés s’agissant du droit à la déconnexion. Je rappelle en outre qu’aucune sanction n’est prévue en cas de non-respect de la disposition dans les entreprises. C’est donc complètement insuffisant.

En matière de télétravail, on progresse, même si c’est encore insuffisant. Ce sujet doit faire l’objet de négociations, et aboutir à un accord véritablement encadré. Il faut se pencher sur la question de l’isolement des salariés en télétravail, sur les conditions matérielles assurées aux intéressés. Les grands principes ont été mis en place : il faut à présent les renforcer. Le télétravail évite en effet à certains salariés de faire trois heures de transport par jour. C’est particulièrement appréciable en région parisienne.

Pour le CPA, il faut commencer par travailler sur le contenant ; nous verrons pour la suite. Comme l’a dit la ministre, nous ne participons pas à la commission de réécriture.

Par ailleurs, la constitutionnalisation du principe de faveur est une idée intéressante. Je n’ai pas de mandat pour en parler devant vous, mais, a priori, nous ne sommes pas contre.

J’en viens au code du travail. Aujourd’hui, il ne convient à personne. Mais il faut que l’on s’accorde sur certains objectifs. Ainsi, le code du travail n’est pas fait pour créer des emplois. Cela étant, notre organisation s’interroge. Que font les chambres consulaires ? Que font les organisations patronales ? Elles devraient, elles aussi, assurer un suivi et une assistance aux employeurs. En effet, personne ne peut connaître le code du travail sur le bout des doigts ; il faut être juriste pour cela. On veut simplifier le code du travail pour le rendre accessible aux employeurs des TPE et PME. Mais un code du travail réduit à quelques feuillets risque d’être problématique.

Je terminerai sur notre opposition au plafonnement des indemnités en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, dans la mesure où cela ne permettait pas de prendre en compte l’ensemble des préjudices subis par les salariés. Seul le critère de l’ancienneté était retenu. Mais quid de l’âge du salarié licencié ? Quid de sa situation par rapport à l’emploi ? Il est parfois plus compliqué de retrouver du travail dans certains bassins d’emploi, quand on a cinquante ans, que l’on est moins mobile, etc.

Sans compter que l’on était dans une stratégie d’évitement du juge. Je rappelle tout de même que les juges sont paritaires – il y a des employeurs, et des salariés. On met en avant l’insécurité juridique. Mais le code du travail visait à l’origine à apporter de la sécurité juridique aux salariés, et pas aux employeurs. Or certaines dispositions, notamment dans le cadre du licenciement économique pour cause personnelle, peuvent aboutir au licenciement du salarié qui n’accepte pas la mise en place d’un accord pour l’emploi. Dans ces conditions, le salarié peut-il avoir une vision à long terme ?

M. Fabrice Angei. Je voudrais dire à M. le rapporteur que nous sommes disponibles pour trouver une date. De même, nous pourrons rencontrer l’ensemble des groupes qui nous ont sollicités – à l’exception bien sûr des députés Front national.

Sur la question du mandatement, nous avons une position commune avec la CFDT. Nous ne soutenons pas la proposition consistant à faire valider des accords par la DIRECCTE pour suppléer les difficultés de mandatement, dans la mesure où il s’agit là d’une autorisation administrative. Je rappelle que le droit à la négociation est un droit des salariés, qui figure dans le Préambule de la Constitution et qui est exercé par les représentants syndicaux. Il est important de s’y tenir. D’autres moyens existent que l’on a évoqués tout à l’heure et sur lesquels je ne reviendrai pas.

Nous avons également la même position que la CFDT s’agissant de la laïcité. Nous sommes favorables, nous aussi, au retrait du sixième principe. Il n’est pas nécessaire de légiférer en la matière, cela ne ferait qu’entraîner des complications. Un travail intéressant est actuellement conduit avec le ministère et l’ensemble des acteurs sociaux pour définir une sorte de déontologie en ce domaine. Une telle façon de procéder est préférable.

Sur le vote électronique, qui a été largement développé dans la fonction publique, nous avons constaté que sa mise en place ne facilitait pas la participation électorale. D’ailleurs, celle-ci est élevée dans les élections professionnelles – en cas de dépôt de listes. Cela étant, nous ne sommes pas opposés à une extension des modalités de vote. Pour élire les représentants du personnel au niveau de l’entreprise, le principe doit être le vote sur place. Mais les salariés et les cadres sont nombreux à se déplacer. Il faut donc trouver de nouvelles modalités pour tenir compte des spécificités de certains.

S’agissant de la représentation des salariés au conseil d’administration, nous y sommes favorables et nous avons des propositions précises à faire en ce domaine – nous vous les communiquerons. Malgré tout, nous raisonnons différemment : il ne suffit pas, selon nous, d’élargir la représentation dans les CA. Nous considérons qu’il faut doter les instances représentatives du personnel de droits élargis, notamment en matière de contrôle des aides aux entreprises, et de droit de suspension pour s’assurer du « bien-fondé », ou plutôt de la réalité des licenciements économiques décidés par une entreprise. Mieux vaut donner davantage de droits, que d’élargir la représentation.

Concernant ce que l’on appelle, et cela nous est insupportable, les « insiders » et les « outsiders », avec des salariés protégés par un contrat en CDI, qui empêcheraient les chômeurs d’accéder à l’emploi, les politiques que vous êtes doivent se méfier de ce genre de raisonnement qui désigne des boucs émissaires, favorise la division et renforce finalement l’extrémisme et le Front national, comme on le constate à chaque élection. Cela étant, il y a des choses à faire.

Je pense à la taxation des CDD, que la ministre a rejetée en expliquant que cela relevait de la négociation sur l’UNEDIC. Pourtant, elle l’avait proposée. Je ne vois pas pourquoi on ne s’engagerait pas sur cette piste, ni pourquoi on n’entend pas de recommandations fortes en ce sens – le Gouvernement sait le faire, dans les négociations qui se déroulent aujourd’hui.

Deuxièmement, le nombre des ruptures conventionnelles a explosé. En fait, ces ruptures permettent de pallier la pénibilité au travail qui est mal prise en compte, constituent une réponse à l’intensification du travail, à l’allongement de l’âge de départ en retraite et à la souffrance au travail. Ce sont les séniors qui ont le plus souvent recours à la rupture conventionnelle – déguisée ou non. Comme ils sont à bout, ils quittent l’entreprise. On les retrouve ensuite à l’UNEDIC, ce qui aggrave le déficit par ailleurs.

Pour favoriser l’accès à l’emploi, et dès lors que la rupture conventionnelle n’est pas motivée par un licenciement économique, mais découle d’une volonté contractuelle, il faudrait assujettir chaque rupture à un recrutement. Il faut aller jusqu’au bout de la logique. Sinon, il y a détournement du dispositif.

S’agissant de la complexité du code du travail, il faut relativiser les choses. Sur les 3 580 pages de l’édition Dalloz, 2 500 concernent la santé et la sécurité des travailleurs ; ce sont des dispositions très précises sur certains métiers et certaines activités. Chacun a donc du code une lecture sélective, « à la carte ». De la même façon, les TPE ou les entreprises de moins de 50 salariés ne sont pas concernées par les dispositions relatives aux délégués du personnel ou aux comités d’entreprise. Ainsi, l’ensemble du code ne s’applique pas à tout le monde.

En Grande-Bretagne, il n’y a pas de code du travail mais 500 dispositifs législatifs régissent les relations sociales du droit du travail. On ne peut pas dire que certains pays ont un droit surabondant, et d’autres pas. Le volume de notre législation du travail n’est pas plus important que celle de nos voisins, que l’on ne critique pas par ailleurs.

Bref, il convient de relativiser la complexité de notre code. Pour autant, à la CGT, nous ne sommes pas pour le statu quo. Nous sommes favorables à la simplification, à condition qu’elle ne se traduise pas par l’amoindrissement des droits et des garanties effectives. C’est en ce sens que nous prenons nos distances avec ce qui se passe aujourd’hui – l’ordre public social que l’on veut mettre en place, et le renversement de la hiérarchie des normes que l’on veut imposer.

Comment créer de l’emploi ? Tout le monde le dit : la situation de l’économie et de l’emploi est grave et l’heure est à l’action. Dans le même temps, chacun reconnaît – y compris le MEDEF – que ce n’est pas le code du travail qui va permettre de créer de l’emploi. Pour nous, il peut créer de l’emploi, mais pas par la flexibilité. Par exemple, la réduction du temps de travail, mesure de progrès social, est créatrice d’emploi. Pourquoi ne pas fixer la norme à 32 heures hebdomadaires, puis l’aménager selon les métiers et les entreprises ?

Les petites entreprises souffrent de la minceur de leurs carnets de commandes pas d’un manque de flexibilité. On ne crée pas assez d’emplois, parce que notre croissance est atone : moins de 60 000 emplois ont été créés en 2015. C’est donc bien un changement de politique économique qui est nécessaire. Et celui-ci passe, notamment, par l’augmentation des salaires, la réduction du temps de travail et le contrôle des aides.

La réponse est économique. Elle n’est pas dans le code du travail qui sert depuis deux cents ans à protéger les salariés. Notons qu’à l’époque, cette protection avait été demandée par les entreprises. Lorsqu’en 1918, on est passé à huit heures de travail par jour, c’était pour prendre en compte les personnes qui revenaient de la guerre. Il s’agissait de travailler moins pour que tous travaillent. Ainsi, la protection n’est pas l’ennemi de l’emploi. Bien au contraire.

Madame la présidente, je pense avoir dit l’essentiel. Je terminerai par un point sur lequel nous n’avons pas la même position que Force Ouvrière – mais plutôt la même que la CFDT : les commissions paritaires régionales interprofessionnelles (CPRI). Nous considérons en effet que la sous-commission doit être un lieu de négociation pour les petites entreprises et les TPE.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Merci à tous de vous être prêtés à cet échange.

La séance est levée à douze heures cinquante-cinq.

Présences en réunion

Commission des affaires sociales

Réunion du mercredi 30 mars 2016 à 9 heures 30

Présents. – M. Élie Aboud, M. Bernard Accoyer, M. Alexis Bachelay, M. Gérard Bapt, Mme Gisèle Biémouret, Mme Kheira Bouziane-Laroussi, Mme Valérie Boyer, Mme Sylviane Bulteau, Mme Marie-Arlette Carlotti, Mme Martine Carrillon-Couvreur, M. Yves Censi, M. Gérard Cherpion, Mme Marie-Françoise Clergeau, M. Philip Cordery, M. Jean-Louis Costes, M. Rémi Delatte, M. Jean-Pierre Door, M. Richard Ferrand, Mme Jacqueline Fraysse, M. Renaud Gauquelin, M. Jean-Patrick Gille, M. Henri Guaino, M. David Habib, Mme Joëlle Huillier, Mme Monique Iborra, M. Denis Jacquat, Mme Chaynesse Khirouni, Mme Bernadette Laclais, Mme Conchita Lacuey, Mme Isabelle Le Callennec, Mme Annie Le Houerou, Mme Catherine Lemorton, M. Jean Leonetti, Mme Marie-Thérèse Le Roy, M. Céleste Lett, M. Michel Liebgott, M. Gilles Lurton, Mme Véronique Massonneau, M. Pierre Morange, M. Hervé Morin, M. Philippe Noguès, Mme Dominique Orliac, M. Bernard Perrut, Mme Bérengère Poletti, M. Pierre Ribeaud, M. Arnaud Richard, M. Jean-Louis Roumégas, M. Gérard Sebaoun, M. Christophe Sirugue, M. Dominique Tian, M. Jean-Louis Touraine, M. Francis Vercamer, M. Arnaud Viala, M. Jean-Sébastien Vialatte

Excusés. – M. Stéphane Claireaux, Mme Michèle Delaunay, M. Dominique Dord, Mme Gabrielle Louis-Carabin, M. Jean-Philippe Nilor, Mme Monique Orphé, M. Denys Robiliard, M. Arnaud Robinet, M. Jonas Tahuaitu, M. Jean Jacques Vlody

Assistaient également à la réunion. – M. Luc Belot, M. Jean-Louis Bricout, Mme Fanélie Carrey-Conte, Mme Sophie Dion, Mme Marie-Lou Marcel, Mme Eva Sas, M. Jean-Charles Taugourdeau