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40ème anniversaire de la 1ère élection de Michel Crépeau à l’Assemblée nationale

Séance publique du 26 mai 1998

Intervention dans la discussion générale du projet de loi sur le cumul des mandats

M. le président. La parole est à M. Michel Crépeau.

M. Michel Crépeau. Mes chers collègues, il y a plus de vingt-cinq ans, plus d’un quart de siècle, que je suis dans cette maison et je retrouve ces circonstances très particulières où, par devoir de conscience, les radicaux de gauche ne votent pas comme le groupe socialiste. La première fois, c’était quand M. Laignel nous a dit : nous sommes politiquement majoritaires, donc nous avons juridiquement raison. La seconde fois, c’est lorsqu’on nous a imposé cette idée faramineuse d’un peuple corse différent du peuple français.

M. Pierre Albertini. Hélas !

M. Michel Crépeau. On sait ce qu’il en est advenu !

Aujourd’hui, il y a le même devoir de conscience vis-à-vis des valeurs républicaines.

Nous, les radicaux, nous sommes des hommes de laliberté avant tout, et il y a des libertés fondamentales auxquelles il convient de ne pas toucher. Parmi ces libertés,il y a celle du citoyen de choisir ses représentants à l’Assemblée nationale, que ces représentants soient des hommes, des femmes, des blancs, des noirs, des maires,des conseillers généraux. Dès lors qu’ils sont citoyens français, ils ont le droit d’être élus et de représenter la France.

Au nom de quoi, au nom de quel principe, si ce n’est quelques délibérations...

M. Pierre Albertini. Funestes !

M. Michel Crépeau. ... du parti socialiste, décréterait-on aujourd’hui qu’un maire n’a pas le droit d’être député ou sénateur ?

M. Michel Herbillon. Au nom d’une promesse électorale !

M. Michel Crépeau. Le groupe a-t-il délibéré sur ce sujet ? Je parle en ami du groupe socialiste. C’est l’honneur de la gauche et du parti socialiste d’avoir de nombreux députés-maires, de grands députés-maires. J’aimerais qu’ils nous disent ce qu’ils pensent, eux, en leur âme et conscience,...

M. Renaud Donnedieu de Vabres. On peut suspendre la séance ! (Sourires.)

M. Michel Crépeau. ... sans tenir compte de ce qu’a pu dire ou penser tel ou tel apparatchik !

Le Parlement a-t-il un rôle à jouer ?

M. Renaud Donnedieu de Vabres. Oui !

M. Michel Crépeau. Mon groupe, tout le monde s’en moque un peu, mais il a au moins cette vertu que chacun vote en son âme et conscience, en toute liberté.

Mme Nicole Bricq. C’est un autre problème !

M. Michel Crépeau. Voilà la raison d’être et l’honneur du Parlement !

Mme Odette Grzegrzulka. Aucun rapport avec les projets de loi.

M. Michel Crépeau. Je fais donc appel à chacun de mes amis de la gauche. Nous sommes les gardiens des libertés fondamentales. Ne laissons pas hypocritement le soin au Sénat de décider en nos lieu et place ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l’Union pour la démocratie française.)

MM. Alain Calmat et Albert Facon. Très bien !

M. Michel Crépeau. Affirmons-nous pour ce que nous sommes, les représentants du peuple, et non pas les représentants des partis, des grandes écoles ou de l’Ecole nationale d’administration ! (Applaudissements sur les mêmes bancs.)

MM. Alain Calmat et Albert Facon. Très bien !

M. Michel Crépeau. Il y a dans ce pays deux légitimités, qui sont respectables toutes les deux. C’est cela la spécificité française, c’est là qu’est notre tradition.

Du temps de Philippe le Bel, il y avait les légistes, puis la commune de Paris. Sous Richelieu et sous Colbert, il y avait les intendants, mais aussi les communes et même les Parlements qui, déjà, se mêlaient de ce qui ne les regardaient pas. C’est une autre affaire. On en reparlera. Mais la spécificité de la France tient au fait qu’il y a, d’une part, une légitimité qui vient des grandes écoles, du savoir, et de l’autre, une légitimité qui vient de l’élection locale, qui monte depuis le peuple, à partir des maires, des conseillers généraux. Il est nécessaire que deux légitimités, qui fondent le pouvoir, car il n’y a pas de pouvoir sans légitimité, se retrouvent dans cet hémicycle, au sein du Parlement.

MM. Alain Calmat et Albert Facon. Très bien !

MM. Jean-Claude Guibal et François Cornut-Gentille. Très bien !

M. Michel Crépeau. C’est cela notre tradition, et vous ne moderniserez pas la vie politique en oubliant nos traditions et nos racines. Je le répète : il n’y a de progrès que dans une tradition qui se prolonge. Si vous oubliez cela, vous perdez l’essentiel. Lequel d’entre vous, alors qu’il était candidat à une élection législative, n’a pas commencé par dire à ses électeurs : « Il faut que votre maire et votre conseiller général ait l’autorité pour parler en votre nom à Paris, et il ne l’aura que s’il est parlementaire. » ?

Mme Yvette Benayoun-Nakache. Moi.

M. Michel Crépeau. Comment tous ceux qui ont mentionné qu’ils étaient maire ou conseiller général pourront-ils voter les textes qui leur sont proposés par le Gouvernement ?

Mme Odette Grzegrzulka. C’est la modernisation !

M. Michel Crépeau. Ce serait renier la façon dont ils se sont présentés devant l’opinion publique. L’abus dans le cumul des mandats est, je le crois fondamentalement, condamnable. On a vu un maire de Paris être aussi président du conseil général de Corrèze, député de la Corrèze ! A Bordeaux, c’est pareil ! C’est vrai, on a vu de grands féodaux, mais ni Gaston Defferre, député-maire de Marseille, ni François Mitterrand, député-maire de Château-Chinon, ni Michel Debré, député-maire d’Amboise n’ont déshonoré le Parlement, aucun. Il faudrait quand même que ce pays s’habitue à respecter ses élites et ne pas jouer du populisme en répondant comme la foule répond toujours : « Barabbas ! Barabbas ! » Vous voulez Barabbas ? Et bien votez ces lois ! Moi, je ne les voterai pas ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l’Union pour la démocratie française.)

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