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40ème anniversaire de la 1ère élection de Michel Crépeau à l’Assemblée nationale

Séance publique du 19 avril 1978

Intervention à la suite de la déclaration de politique générale du Gouvernement

M. le président. L'ordre du jour appelle la suite du débat sur la déclaration de politique générale du Gouvernement.

La parole est à M. Crépeau.

M. Michel Crépeau. Monsieur le Premier ministre, pour inattendue qu'elle soit, votre victoire ne doit pas vous tromper.

Ce qui la caractérise, à mon sens, c’est qu'elle n'a fondamentalement, rien changé aux problèmes que la France connaît aujourd'hui - la crise économique continue, la crise politique aussi

Bon nombre d'intervenants ont évoqué les problèmes économiques ; c'est d'un problème politique plus particulier que pour ma part, je voudrais vous entretenir.

La crise politique est générale. Elle se traduit un peu partout dans le monde par la montée de la violence et par le recul des libertés. Elle se traduit en France par un refus de l'exercice individuel et collectif des responsabilités, par une inadaptation de l'éducation et du langage, par un déphasage manifeste de l'ensemble des institutions par rapport à leurs missions et par rapport aux besoins réels du pays, par une aggravation des inégalités, non seulement des inégalités économiques et sociales mais aussi des inégalités culturelles . Dans ce noir tableau qu'il nous faut bien dresser, nous constatons aussi un recul de l'institution parlementaire dans les pays mêmes qui l'ont vu naître.

Ce n'est probablement pas là l'un des aspects les moins préoccupants de la crise de la démocratie.

C' est pourquoi je souhaiterais que, ce soir, en ce début de législature, nous nous interrogions ensemble, car ce débat nous concerne véritablement tous, la gauche comme la droite, le Gouvernement comme le Parlement. Et, dans ce domaine comme dans tout autre, nous devons être lucides, imaginatifs, responsables et, plus peut-être encore, audacieux.

Ce dialogue franc, complet, utile, reconnaissez, monsieur le Premier ministre, qu'il a bien mal commencé, comme a fort mal commencé, en vérité, cette législature elle-même. A croire que, comme dans la tragédie antique, un dieu perfide et malicieux s'acharne à instruire les hommes du poids de la fatalité. Le sort n'a t-il pas voulu que l'âge désigne pour introduire nos débats celui qui est le symbole même de l'absentéisme parlementaire et des liens toujours suspects entre le monde politique et le monde de l'argent ? (Applaudissements sur les bancs des socialistes et sur plusieurs bancs des communistes.)

Etrange spectacle aussi que celui de la majorité partagée en deux parties hostiles (Protestations sur les bancs du rassemblement pour la République et de l'union pour la démocratie française), tout démontrant que les deux héros s'étaient trompés de camp, s'étaient trompés de rôle et, à l'évidence, s'étaient trompés de langage.

Mais, après tout, cela n'est que la petite histoire . ..

M. Hector Rolland. Non, de la grande !

M. Michel Crépeau. . . . qui amuse les chroniqueurs, nourrit les gazettes et divertit les salons.

De toute évidence, le vrai problème du Parlement est ailleurs : c'est celui de l'adaptation de l'institution parlementaire, née à la fin du siècle dernier, aux réalités de notre temps.

Or, malgré la volonté affirmée en maints endroits de créer les conditions d'un dialogue, d'une « dédramatisation » de la vie politique française, nous ne voyons rien apparaître qui témoigne d'autre chose que de velléité.

M. Hector Rolland . Vous refusez ce dialogue!

M. Henri Emmanuelli . Nous refusons la charité !

M. Michel Crépeau . J'ai même l'impression que nous avons reculé par rapport à la législature précédente.

M. Hector Rolland . Vous Savez bien que vous refusez tout !

M. le président . Monsieur Rolland, vous n'avez pas la parole !

M. Michel Crépeau . Vous êtes peut-être, monsieur Rolland, l'illustration vivante de ce que je m'efforce d'expliquer.

M. Paul Balmigère . Très bien !

M. Hector Rolland . C'est nébuleux !

M. Michel Crépeau . Ce n'est évidemment pas la proposition d'abandonner à l'opposition une seule présidence de commission sur les six qui était susceptible de créer l'événement attendu.

Les parlementaires de l'opposition ne vous demandent pas la permission de présider une commission ; ils vous demandent les moyens de participer aux deux tâches qui correspondent normalement au rôle du Parlement : le contrôle budgétaire et le travail législatif.

D'abord, s'agissant du contrôle budgétaire, nous avons reculé. ..

M. Hector Rolland . Vous reculez toujours !

M. Michel Crépeau. . . . par rapport à la législature précédente, puisque des rapports importants, sur le budget de la santé ou sur celui de la culture, par exemple, nous ont été retirés et que, globalement, le pourcentage de crédits budgétaires dont les parlementaires de l'opposition sont les rapporteurs a très largement diminué.

De même faut-il s'interroger sur le fait qu'aucun député de l'opposition ne soit chargé de rapport sur des projets de loi relatifs à la défense nationale. Y aurait-il donc deux catégories de parlementaires, ou deux' catégories de Français, lorsqu'il s’agit de défendre la France? (Applaudissements sur les bancs des socialistes.)

II en est de même pour l’exercice du pouvoir législatif. L'ouverture d'un véritable dialogue ne consistait pas à nous proposer une seule présidence de commission ; elle viendrait bien davantage, par exemple, de l'inscription à l'ordre du jour de l'Assemblée de propositions de loi émanant de parlementaires de l’opposition. Personne n’ignore en effet, dans cette enceinte, que ces propositions de loi ne viennent pratiquement jamais en discussion ; et lorsque des propositions de loi intéressant tous les parlementaires sont déposées par l'opposition, elles sont immédiatement reprises dans des termes très voisins par des membres de la majorité qui procèdent ainsi à une sorte de contrefaçon . (Applaudissements sur les bancs des socialistes et sur plusieurs bancs des communistes.)

M. Michel Crépeau. Mais tout cela, monsieur le Premier ministre, ne serait encore que gestes de bonne volonté. Si nous voulons permettre au Parlement de jouer vraiment son rôle, nous devons aller beaucoup plus loin dans la voie du changement.

Sans préjuger du grand choix qui s'imposera fatalement un jour entre le système présidentiel et le contrat de législature, je bornerai à cet égard mon propos à l'organisation même du travail parlementaire.

Pourquoi, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, les députés seraient-ils les seuls citoyens français à avoir le privilège de ne travailler que deux fois trois mois par an, mais à être systématiquement obligés de travailler la nuit ?

Sont-ce là les conditions d'un bon travail parlementaire ?

Ne provoquent-elles pas très largement l'absentéisme et ne nuisent-elles pas au prestige et au rôle du Parlement ?

Pourquoi ne pas envisager de modifier, d'adapter s'il le faut, les textes constitutionnels, le règlement ou les lois organiques qui sont à l'origine de cette situation?

Pourquoi, à la fin du XX° siècle, la vie parlementaire repose-t-elle sur la fiction du forum, qui impose la présence de 491 députés qui doivent théoriquement être présents pour voter un projet de loi, quelle qu'en soit l'importance, alors que seuls quelques-uns d'entre eux ont directement participé à son élaboration ?

Pourquoi aussi le cumul des mandats ?

N'y a-t-il pas beaucoup à revoir dans la séparation traditionnelle des domaines législatif et réglementaire ? Nous savons parfaitement que, par -l'exercice excessif du pouvoir réglementaire, l'exécutif parvient bien souvent à paralyser l'application des textes que nous avons votés ; nous savons aussi que certains règlements font peser sur les libertés mêmes des Français des menaces beaucoup plus grandes que celles qui résultent de l'exercice du pouvoir législatif. Je n'en veux peler .exemple que certains règlements d'urbanisme.

Tout cela est à revoir. Nous vivons sur des traditions respectables, certes, mais aussi sur des habitudes, fâcheuses. Si nous voulons réellement que le Parlement redevienne ce lieu de grands débats dont notre pays tout entier a besoin, nous devons non seulement faire les uns et les autres un effort d'imagination pour améliorer les conditions de notre travail dans les circonstances actuelles, niais aussi voir plus loin, beaucoup plus loin. Tout à l'heure, M. Michel Debré nous expliquait qu'après tout la France a successivement vécu sous différents régimes politiques, ce qui est rigoureusement exact. Mettre un terme au régime d'assemblée était peut-être souhaitable en 1958, monsieur le Premier ministre. Mais le moment n'est-il pas venu, vingt ans après, de se demander si l'on n'est pas allé trop loin, beaucoup trop loin ?

Un nouvel équilibre des institutions ne doit-il pas être recherché, d'abord pour leur assurer un meilleur fonctionnement, ensuite pour affirmer la liberté française. (Applaudissements sur les bancs des socialistes.)

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