Fabrication de la liasse
Déposé par : Le Gouvernement

Rédiger ainsi cet article :

Le troisième alinéa de l’article 7 du code de procédure pénale est complété par les mots : « ; lorsque, avant l’expiration de ce délai, l’auteur d’un viol commis sur un mineur commet un nouveau viol sur un autre mineur, le délai de prescription du premier crime est prolongé, le cas échéant, jusqu’à la date de prescription du nouveau crime ».

Exposé sommaire

Le présent amendement a pour objet d’instituer un mécanisme de « prescription prolongée » des viols, commis sur des mineurs, similaire dans son objectif à ce que prévoit l’article 4 quater adopté par le Sénat.

L’objectif de ces dispositions est en effet, sans revenir sur le droit actuel datant de 2018 qui prévoit, une prescription de 30 ans à compter de la majorité de la victime, d’instituer un dispositif spécifique applicable dans le seul cas où une personne commet de façon répétée et sur une longue durée des viols sur différents mineurs, afin de limiter les situations (incompréhensibles pour les victimes et l’opinion publique), dans lesquelles une personne peut être poursuivie et condamnée pour un viol commis sur un mineur alors même que seraient prescrits de précédents viols commis par le passé contre d’autres victimes mineures, qui viendront dès lors participer au procès d’assises comme de simples témoins, sans pouvoir se voir reconnaître leur qualité de victime.

Ce dispositif spécifique n’a cependant ni pour objet ni pour effet de ré-ouvrir des prescriptions qui seraient déjà acquises, et qui le resteront donc de manière définitive.

Il prévoit seulement que si, avant l’expiration du délai de prescription du premier viol commis (soit avant que la victime mineure atteigne ses 48 ans), la personne commet un nouveau viol sur un autre mineur, la prescription du premier crime est prolongée jusqu’à la date de prescription du nouveau crime lorsque cette date est postérieure à celle de la prescription du premier crime, ce qui permet que ces deux crimes se prescrivent à la même date. Il en résulte que si des poursuites interviennent avant la prescription du dernier crime, l’ensemble des crimes commis pourront être jugés en même temps.

Ces dispositions seront très utiles dans deux situations très fréquentes en pratique, mais qui sont en quelque sorte « inversées » :

- Lorsque des faits très anciens, et normalement prescrits, sont dénoncés par une victime de plus de 48 ans, et que cette dénonciation tardive provoque la libération de la parole de victimes plus jeunes, qui révèlent avant leur 48ème année, les crimes sexuels dont elles ont fait l’objet de la part du même auteur. Si ces crimes plus récents ont été commis avant les 48 ans de la première victime, le premier crime ne sera pas prescrit, et leur auteur pourra être jugé pour l’ensemble de ses actes.

- Lorsqu’à l’occasion de poursuites engagées pour un crime non prescrit car révélé avant les 48 ans de la victime, il est découvert l’existence d’autres crimes plus anciens, commis sur des victimes âgées de plus de 48 ans. Là encore, si le dernier crime a été commis avant que les victimes des précédents crimes atteignent l’âge de 48 ans, la personne pourra être poursuivie et condamnée pour l’ensemble de ses crimes.

Le dispositif proposé ne heurte aucun principe constitutionnel de légalité, de nécessité ou de proportionnalité.

Il n’institue nullement une imprescriptibilité, dès lors d’une part qu’en tout état de cause la prescription sera définitivement acquise lorsque la dernière victime atteindra l’âge de 48 ans, et que, d’autre part, si aucun nouveau crime n’a été commis, après le crime le plus ancien, avant les 48 ans de la première victime, ce premier crime sera également définitivement prescrit.

Le dispositif s’inspire en réalité de deux notions traditionnelles du droit pénal :

- celle des infractions connexes, ce qui peut être le cas de crimes sériels commis de façon répétée par un même auteur, et qui seront considérés, au regard de la prescription, comme un seul acte, la prescription ne courant qu’à partir du dernier d’entre eux (théorie qui notamment pu être appliquée pour des attentats terroristes),

- celle des causes d’interruption de la prescription, qui prévoit que la survenance de certains actes avant l’acquisition de la prescription peut faire repartir celle-ci à zéro : en l’espèce, l’acte interruptif émane de la personne elle-même, qui commet un nouveau crime avant la prescription du précédent.

Il s’agit toutefois d’un dispositif pour partie sui generis, en particulier parce que le mécanisme des actes interruptifs n’était pas totalement adapté, puisque en matière de crime sexuel sur mineur la prescription de 30 ans ne commence à courir qu’à la majorité de la victime : or si une interruption était prévue, en cas de nouveau crime commis après la majorité de la première victime, il aurait couru, à compter de ces nouveaux faits, un délai de 30 ans, alors que, la prescription du nouveau crime étant acquise 30 après la majorité de la nouvelle victime mineure, donc quelques années plus tard, il en serait résulté que les nouveaux faits auraient pu être jugés alors que les précédents étaient prescrits.

C’est pourquoi il est prévu que la prescription du nouveau crime permettra de prolonger celle du précédent, du moins dans les cas où elle sera plus lointaine (à défaut, cela aurait pu raccourcir la prescription du premier crime, par exemple si après un an après un crime commis sur un mineur de 10 ans était commis un crime sur un mineur de 14 ans, prescrit donc 35 ans plus tard, alors que le premier crime était prescrit 38 ans après sa commission, soit 2 ans après le second crime). 

En pratique, cette modification permettra par exemple qu’une personne ayant commis un viol sur un mineur ayant eu 18 ans en 1998, et qui aurait dû être prescrit en 2028[1], d’être jugé pour ce viol en 2031, dans le cadre d’une procédure concernant également un viol commis sur un mineur en 2022 et révélé, en même temps que le premier viol, en 2029. A défaut de réforme, seul le second viol pourrait être poursuivi.

En revanche, si cette même personne ne commet pas de nouveaux crimes avant 2029, le premier crime commis sera définitivement prescrit.

Par ailleurs, la conséquence pratique immédiate de cette réforme est de dissuader les personnes ayant commis dans le passé des crimes sexuels sur les mineurs d’en commettre de nouveau, car ces nouveaux faits pourront non seulement être punis avant l’acquisition de la prescription, les concernant mais ils empêcheront également la prescription des précédents crimes.



[1] Compte tenu de l’augmentation de 20 à 30 ans de la prescription intervenue en 2018, qui n’a pu s’appliquer qu’à des faits non encore prescrits en 2018, les premières extinctions de prescription de crimes sexuels qui interviendront dans le futur ne pourront pas advenir avant 2028.