N° 1864

    ——

    ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 14 octobre 1999.

AVIS

PRÉSENTÉ

    AU NOM DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES (1) , SUR LE PROJET DE loi de finances pour 2000 (n° 1805)

    TOME II

DÉFENSE

DISSUASION NUCLÉAIRE

PAR M. René GALY-DEJEAN,

Député.

——

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

                      Voir les numéros : 1861 (annexe n° 40))

      Lois de finances.

    La commission de la défense nationale et des forces armées est composée de :

    M. Paul Quilès, président ; MM. Didier Boulaud, Arthur Paecht, Jean-Claude Sandrier,
    vice-présidents
     ; MM. Robert Gaïa,
    Pierre Lellouche, Mme Martine Lignières-Cassou, secrétaires ; MM. Jean-Marc Ayrault, Jacques Baumel, Jean-Louis Bernard, André Berthol, Jean-Yves Besselat, Bernard Birsinger, Jacques Blanc, Jean-Marie Bockel, Loïc Bouvard, Jean-Pierre Braine, Philippe Briand, Jean Briane, Antoine Carré, Bernard Cazeneuve, Gérard Charasse, Guy-Michel Chauveau, Alain Clary, Charles Cova, Michel Dasseux, Jean-Louis Debré, François Deluga, Claude Desbons, Philippe Douste-Blazy, Jean-Pierre Dupont, François Fillon, Christian Franqueville, Yves Fromion, Yann Galut, René Galy-Dejean, Roland Garrigues, Henri de Gastines, Bernard Grasset, Elie Hoarau, François Hollande, Jean-Noël Kerdraon, François Lamy, Claude Lanfranca, Jean-Yves Le Drian, Georges Lemoine, François Liberti, Jean-Pierre Marché, Franck Marlin, Jean Marsaudon, Christian Martin, Guy Menut, Gilbert Meyer, Michel Meylan, Jean Michel, Charles Miossec, Alain Moyne-Bressand, Jean-Claude Perez, Robert Poujade, Michel Sainte-Marie, Bernard Seux, Guy Teissier, André Vauchez, Emile Vernaudon, Jean-Claude Viollet, Michel Voisin, Aloyse Warhouver, Pierre-André Wiltzer, Kofi Yamgnane.

INTRODUCTION 7

PREMIÈRE PARTIE : QUELLE POLITIQUE D’ÉQUIPEMENT POUR LA DISSUASION DE DEMAIN ? 9

I. — LE CONTEXTE DE LA RÉFLEXION : LA DISSUASION FRANCAISE ET L’EUROPE 9

    A. LA FRANCE A-T-ELLE EU RAISON TROP TÔT ? 10

    1. La dissuasion française et la sécurité européenne  : une préoccupation de longue date 11

    2. Un débat nécessaire 12

    3. Un débat avorté 15

    B. L’EUROPE ET L’ARME NUCLÉAIRE : UNE CLARIFICATION POURTANT NÉCESSAIRE À TERME 16

    1. Les avancées de la construction de l’Europe de la défense 17

    2. Quels interlocuteurs pour la France ? 17

    3. Une approche nécessairement pédagogique 19

II. —  LES CHOIX D’ÉQUIPEMENT : L’OBLIGATION DE LA COHÉRENCE 21

    A. 2003-2008 : UN FINANCEMENT PROBLEMATIQUE DES PROGRAMMES DE LA DISSUASION ET DE LA MARINE 22

    1. Le financement de la dissuasion à moyen terme : la nécessaire augmentation des crédits budgétaires 22

    2. Le financement des programmes de la Marine : des besoins financiers préoccupants entre 2002 et 2010. 24

    B. LE MAINTIEN DE LA COHÉRENCE DE NOTRE MODÈLE D’ARMÉE, UN ENJEU FONDAMENTAL 28

    1. La dissuasion, un concept qui reste d’actualité 28

    2. La projection de forces, une fonction indispensable à la présence de la France sur la scène internationale 31

    C. L’INVERSION DES PRIORITÉS ENTRE LE QUATRIÈME SOUS-MARIN NUCLÉAIRE ET LE DEUXIÈME PORTE-AVIONS GARANTIRAIT LA COHÉRENCE DE NOTRE MODÈLE D’ARMÉE 31

    1. Le report du quatrième sous-marin nucléaire lanceur d’engins de nouvelle génération ne remettrait pas en cause la crédibilité et la cohérence de notre dissuasion 32

    2. Il permettrait de garantir la cohérence de notre capacité de projection à travers le groupe aéronaval 36

DEUXIÈME PARTIE : LE FINANCEMENT DE LA DISSUASION NUCLEAIRE DANS LE PROJET DE LOI DE FINANCES POUR 2000 41

I. — LA DISSUASION DANS LE PROJET DE LOI DE FINANCES POUR 2000 45

    A. UN ECART CROISSANT AVEC LES PREVISIONS DE LA LOI DE PROGRAMMATION MILITAIRE 45

    B. UN BUDGET AMBIGU 47

    1. Le niveau des autorisations de programme : un rattrapage bienvenu qui ne lève cependant pas toutes les inquiétudes 49

    2. Des crédits de paiement à nouveau en baisse 50

    C. LA BAISSE DES CRÉDITS TRANSFÉRÉS AU CEA 51

II. — PRÉPARER L’AVENIR : LES GRANDS PROGRAMMES DE LA DISSUASION 53

    A. LES ÉTUDES AMONT 53

    B. LES PROGRAMMES LIÉS AUX DEUX COMPOSANTES DE LA DISSUASION 54

    1. La force océanique stratégique 55

      a) La propulsion navale : le programme de réacteur d’essais (RES) 55

      b) Les sous-marins lanceurs d’engins 58

      c) Les vecteurs : les programmes de missile M 4, M 45 et M 51 60

      d) Les têtes nucléaires 61

      e) Le programme de sous-marin d’attaque futur (SMAF) 63

    2. La composante aéroportée 63

    3. Le maintien en condition opérationnelle des instruments de la dissuasion 67

    C. LE PROGRAMME DE SIMULATION DES ESSAIS 70

    1. La simulation : la problématique du renouvellement des équipes et de la continuité des compétences 70

    2. La dimension technique de la simulation 72

      a) Le système Airix 73

      b) Le laser mégajoule 74

      c) Les logiciels de calcul 74

    3. La simulation dans les autres pays nucléarisés 75

    D. LES PROGRAMMES DE TRANSMISSION 77

    1. Le programme RAMSÈS (Réseau Amont Maillé Stratégique et de Survie) 77

    2. Les programmes TRANSFOST 1 et 2 78

    3. Les programmes ASTARTE et SYDEREC 78

III. — S’ADAPTER AU PRÉSENT : LES RESTRUCTURATIONS DU NUCLÉAIRE MILITAIRE 78

    A. LES RESTRUCTURATIONS LIÉES À L’ABANDON DE LA COMPOSANTE TERRESTRE DE LA DISSUASION 79

    1. Le démantèlement du système Hadès 79

    2. Le démantèlement du plateau d’Albion 80

    B. LES RESTRUCTURATIONS LIÉES A L’ARRET DE PRODUCTION DES MATIÈRES FISSILES 81

    C. LES CONSÉQUENCES DES RESTRUCTURATIONS SUR LE COMMISSARIAT À L’ÉNERGIE ATOMIQUE 82

    CONCLUSION 83

TRAVAUX EN COMMISSION 85

I. — AUDITION DU GÉNÉRAL JEAN-PIERRE KELCHE, CHEF D’ÉTAT-MAJOR DES ARMÉES 85

II. — EXAMEN DE L’AVIS 94

    MESDAMES, MESSIEURS,

    A l’occasion de chacun des rapports budgétaires dont notre Commission me confie la responsabilité, je m’efforce d’accompagner l’analyse des crédits budgétaires consacrés à la dissuasion nucléaire de notre pays d’une réflexion portant sur les problèmes plus généraux que pose la mise en œuvre d’un tel système d’armes à tous égards exceptionnel.

    Dans mon premier rapport, publié à l’automne 1997, j’avais développé une analyse personnelle sur l’état de la doctrine de dissuasion nucléaire française, en regard des évolutions stratégiques constatées et des comportements des différentes puissances nucléaires du monde. A partir de cette analyse, j’avais avancé un certain nombre de propositions représentant ce que j’avais appelé une contribution à l’évolution de notre doctrine de dissuasion, évolution jugée par moi nécessaire. Une partie de ces propositions prenait en compte les problèmes que le fonctionnement de la dissuasion pose eu égard à la construction de l’Europe.

    Mon deuxième rapport, publié à l’automne 1998, avait centré la réflexion sur ce que j’ai appelé la nécessaire mais désespérante quête du désarmement nucléaire, toujours poursuivie, toujours plus médiocrement atteinte. La principale conclusion de cette analyse mettait en lumière l’extension irrépressible du fait nucléaire militaire, jointe à une prolifération balistique déjà avérée.

    Cette démarche me conduit, cette année, à replacer les investissements affectés à la dissuasion par le projet de loi de finances pour 2000 dans le cadre plus général des capacités financières de la France, telles qu’elles résultent des budgets successifs que nous avons votés au cours des dernières années ou quelles sont envisageables pour les années qui viennent.

    Pourquoi une telle entreprise ? En 2000, une décision importante va être prise, avec la commande du quatrième sous-marin nucléaire lanceur d’engins de nouvelle génération. Or, cette décision ne manquera pas d’avoir des incidences considérables sur notre dissuasion, certes, mais également sur le financement de l’ensemble des programmes d’armement, de la Marine notamment.

    Un bref regard sur les moyens financiers futurs de nos armées montre, en effet, que l’équilibre sur lequel reposait le financement de l’équipement militaire dans la loi de programmation militaire 1997-2002 a été rompu par les encoches, annulations et charges indues supportées par le budget d’investissement du ministère de la Défense. Le projet de loi de finances pour 2000 ne fait d’ailleurs qu’amplifier le déséquilibre, avec une encoche historique puisque 81,5 milliards de francs seront réellement ouverts pour l’équipement des armées, au sein desquels la part des crédits consacrés à la dissuasion poursuit sa chute.

    Telle est la réalité des moyens budgétaires que la France consacre à la modernisation de ses matériels militaires. Tel doit être le socle de toute réflexion sur le financement à moyen terme de notre défense en général, de la dissuasion nucléaire en particulier.

    Les propositions que je suis amené à faire dans mon rapport sont donc le résultat d’une réflexion personnelle dont je ne suis pas certain que notre Assemblée pourra y souscrire. J’espère que mes collègues voudront bien à tout le moins considérer qu’il s’agit là d’une contribution utile à l’examen des problèmes qui se posent au Gouvernement et à notre Assemblée pour ce qui est du financement et de la constitution de notre outil de défense.

PREMIÈRE PARTIE :

QUELLE POLITIQUE D’ÉQUIPEMENT
POUR LA DISSUASION DE DEMAIN ?

    Alors que nous sommes à mi-chemin de l’application de la loi de programmation militaire 1997-2002 et que, déjà, se profilent ici et là les premiers débats sur la programmation suivante, votre rapporteur souhaiterait développer, dans les pages qui vont suivre, une réflexion sur les choix futurs d’équipement de nos armées. Dans le domaine de la dissuasion certes, d’autant que l’année 2000 devrait voir la commande du dernier exemplaire de sous-marins nucléaires lanceurs d’engins de nouvelle génération, mais plus largement encore, au regard des autres fonctions assignées à nos armées, les choix étant, dans l’approche moderne de systèmes de forces, largement interdépendants.

    Dans quel contexte faut-il mener cette réflexion ? C’est là un préalable nécessaire, alors que la multiplication des programmes européens et l’accélération de la construction de l’Europe de l’armement que peut laisser présager l’alliance entre Aérospatiale-Matra et l’Allemand DASA, montrent que notre politique de défense ne peut plus être envisagée d’un strict point de vue national. En matière de dissuasion cependant, ce préalable peut sembler étonnant, tant le fait nucléaire est, dans le domaine de la défense, largement écarté des enceintes européennes. Et pourtant, peut-on, aujourd’hui, mener une réflexion sur le moyen et le long terme sans se poser la question du rapport de l’Europe à l’arme nucléaire française ?

    C’est à cette question que votre rapporteur tentera d’abord de répondre, avant de présenter l’état de sa réflexion sur les choix d’équipement futurs, notamment dans le domaine de la dissuasion.

    I. — LE CONTEXTE DE LA RÉFLEXION : LA DISSUASION FRANCAISE ET L’EUROPE

    Dans le rapport que votre rapporteur avait consacré voici maintenant deux ans à la dissuasion nucléaire, il s’était interrogé sur les modalités de définition d’une nouvelle doctrine, tant lui semblaient obsolètes les fondements hérités en ce domaine de la guerre froide. Il avait notamment souligné que la mise en place de la monnaie unique européenne ne manquerait pas d’avoir des retombées multiples, y compris dans le domaine militaire et que la question du lien entre l’arme nucléaire française et l’Europe, que la France a soulevée à plusieurs occasions avec sa proposition sur la dissuasion concertée, ne manquerait pas d’être posée à nouveau.

    Cette réflexion lui paraît devoir être poursuivie aujourd’hui, alors que, d’une part, l’euro est devenu une réalité et que, d’autre part, le conflit du Kosovo est porteur de nombreuses questions sur les modalités de mise en œuvre d’une défense européenne et sur la manière dont les Européens conçoivent la notion même de sécurité sur leur continent. Il faut ajouter à cela le fait qu’au travers de la renégociation du concept stratégique de l’OTAN, achevée au printemps dernier, et avec le cinquantième anniversaire de l’organisation atlantique, c’est l’ensemble de la question de la sécurité de l’Europe et, en toile de fond, les modalités d’émergence d’une véritable identité européenne de défense, qui est mise en avant.

    Aux yeux de votre rapporteur, l’émergence d’intérêts communs européens économiques, politiques, stratégiques et diplomatiques devrait conduire les Européens à s’interroger sur le rôle de l’arme nucléaire en Europe, instrument politique autant, voire davantage, qu’outil militaire. Or, que constatons-nous en ce domaine, sinon un décalage énorme entre les avancées du discours en matière de défense européenne et l’absence de toute référence à l’arme nucléaire, élément pourtant majeur de la sécurité de l’Europe en cette deuxième moitié du vingtième siècle ? Sans se réfugier dans l’explication trop simpliste du « tabou » nucléaire, il semble nécessaire à votre rapporteur de revenir, notamment au travers des réactions soulevées par la proposition de dissuasion concertée, sur les raisons qui expliquent cette répugnance de la plupart des Européens à seulement évoquer une question pourtant essentielle au regard de la sécurité et de la puissance de leur continent.

      A. LA FRANCE A-T-ELLE EU RAISON TROP TÔT ?

    Le débat que la France a souhaité lancer en 1995 avec sa proposition de dissuasion concertée était nécessaire : il aurait eu le mérite de poser clairement sur la scène publique la lancinante question du rôle de l’arme nucléaire, notamment française, en Europe. C’est cette conviction qui a conduit les autorités françaises à prendre une telle initiative, s’inscrivant en cela dans ce que l’on pourrait appeler une tendance lourde de la diplomatie française depuis les années soixante.

        1. La dissuasion française et la sécurité européenne : une préoccupation de longue date

    Lorsque le Président de la République évoque, dans le discours qu’il adresse aux ambassadeurs de France, le 31 août 1995, « l’initiative » française sur le rôle de la dissuasion française dans la défense en construction de l’Union européenne, il met en lumière ce qui ressort d’une préoccupation ancienne de nos dirigeants, consubstantielle à l’existence même de l’arme nucléaire française : comment articuler le concept de dissuasion français avec la défense européenne ? Tel est d’ailleurs clairement le sens de l’intervention présidentielle : « La notion de dissuasion face à toutes les menaces d’où qu’elles viennent conserve -et conservera longtemps encore- tout son sens. Ce qui peut évoluer, en revanche, c’est sa signification géographique. A mesure qu’elle construira sa défense, l’Union européenne pourrait souhaiter que la dissuasion française joue un rôle dans cette défense ».

    Il faut le souligner : les dirigeants français ont toujours eu présent à l’esprit les enjeux européens de la dissuasion française, même lorsqu’il s’agissait, au regard du contexte particulier de l’époque, d’en souligner les limites. Sans aller jusqu’à évoquer les négociations très poussées entre la France, l’Allemagne et l’Italie qui eurent lieu en 1957, avant même l’achèvement du programme nucléaire français, et qui allèrent jusqu’à la signature d’un protocole d’accord, il convient de souligner que, dès les années 1970, un embryon de coopération, sans doute très laborieux, réunit les deux puissances nucléaires européennes. En 1975, Jacques Chirac, alors Premier ministre, déclare que « nos armes peuvent apporter, par leur existence même, une contribution à la défense de l’Europe ».

    Avec la fin de la guerre froide et l’évolution radicale du contexte stratégique, la question revient à l’ordre du jour. Le 10 janvier 1992, le Président de la République déclare que « le débat sur la défense de l’Europe pose des problèmes non résolus qu’il faudra résoudre. Je pense en particulier à la puissance nucléaire. Seuls deux des douze sont détenteurs d’une force atomique, chacun avec sa doctrine nationale. Est-il possible de concevoir une doctrine européenne ? C’est cette question-là qui deviendra très vite une des questions majeures de la construction d’une défense européenne commune ». Le débat avait été lancé par Jacques Delors qui, le 6 janvier 1992, avait déclaré que « la force nucléaire française devrait être mise au service de la politique de défense commune ». C’est d’ailleurs en 1992 qu’apparaît le terme de « dissuasion concertée », dans la bouche du ministre de la Défense de l’époque.

    Si le thème n’est abordé que très discrètement dans le Livre Blanc sur la défense de 1994 -« Avec le nucléaire en effet, l’autonomie de l’Europe en matière de défense est possible. Sans lui, elle est exclue »-, l’année 1995 voit le sujet revenir au premier plan. Outre l’intervention précitée du Président de la République, fondatrice en ce qu’elle émane du responsable ultime de la dissuasion, il faut citer les paroles de M. Alain Juppé, Ministre des Affaires étrangères, le 30 janvier 1995, lors du vingtième anniversaire du Centre d’analyse et de prévision : « Après l’élaboration d’une doctrine commune à la France et au Royaume-Uni, notre génération doit-elle craindre d’envisager, non une dissuasion partagée, mais au minimum une dissuasion concertée avec nos principaux partenaires ? ». C’est d’ailleurs encore M. Alain Juppé qui, en tant que Premier ministre, développe devant l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN), le 7 septembre 1995, le contenu de l’initiative annoncée quelques jours auparavant par Jacques Chirac.

    Le Président de la République revient sur ce thème en 1996, à l’Ecole Militaire d’abord, le 23 février : « notre dissuasion, qui contribue déjà à la dissuasion globale de l’Alliance atlantique, est appelée à revêtir une dimension européenne accrue. L’imbrication des intérêts vitaux entre les nations européennes, le caractère commun de bien des menaces auxquelles celles-ci pourraient être exposées ont conduit la France à lancer l’idée de dissuasion concertée ». Dans l’allocution de clôture qu’il prononce devant les auditeurs de la 48ème session de l’IHEDN, le 8 juin 1996, le Président de la République précise le concept, en soulignant qu’« il ne s’agit pas bien sûr, de substituer une garantie française ou franco-britannique à la dissuasion américaine » et encore qu’« il ne s’agit ni d’élargir unilatéralement notre dissuasion, ni d’imposer à nos partenaires un nouveau contrat. Il s’agit de tirer les conséquences d’une communauté de destin, d’une imbrication croissante de nos intérêts vitaux ». Il explicite également la démarche française en insistant sur le fait que la France ne propose pas « un concept achevé, mais une démarche progressive, ouverte aux partenaires qui souhaitent s’y engager ».

        2. Un débat nécessaire

    Pourquoi la France a-t-elle choisi de relancer la question de la dissuasion concertée à ce moment-là ? Beaucoup a été dit alors, notamment par les pays qui s’étaient élevés contre la reprise des essais nucléaires et qui considéraient la proposition française comme une manœuvre de diversion. En posant cette question, votre rapporteur ne prétend pas justifier a posteriori la démarche française mais se tourne bien davantage vers l’avenir. En effet, les réponses apportées à cette interrogation restent valables aujourd’hui, après ce qu’il faut bien appeler l’échec de la proposition française.

    La question de la dissuasion concertée se situe à la croisée de trois problématiques, dont on ne peut que penser que leur actualité perdurera, et qui représentent autant d’arguments en faveur du bien-fondé de la position française.

    En premier lieu, au travers de la proposition de dissuasion concertée, c’est la question de l’avenir de la dissuasion française qui est posée. Dans une perspective nationale, on peut estimer qu’il s’agit là d’une initiative non seulement souhaitable, mais même indispensable. En effet, en dépit de l’évolution du contexte stratégique, il n’y a pas eu de remise à plat de la doctrine française ni de réflexion de fond sur le rôle du nucléaire dans la défense de la France, ainsi qu’en témoigne le Livre Blanc de 1994. Par ailleurs, sur le plan financier, il n’est pas illégitime de s’interroger sur la capacité de la France à financer seule sa dissuasion.

    Or, que ce soit dans l’opinion publique ou même dans la classe politique, il faut bien reconnaître que l’arme nucléaire fait l’objet d’un consensus mou, au mieux, d’une absence totale d’intérêt, au pire. Le débat sur la dissuasion concertée permettrait d’expliciter ce qui apparaît comme un choix tacite, voire un non-choix par facilité, en un mot, de relégitimer la dissuasion française.

    La deuxième justification de ce débat est liée aux progrès de la construction de l’identité européenne de sécurité et de défense : peut-on raisonnablement imaginer que la constitution progressive d’une Europe de la défense pourra faire l’économie d’un débat sur l’arme nucléaire ? Il faut même aller plus loin : la perspective d’une défense commune inscrite dans le Traité sur l’Union européenne implique la prise en compte de la dimension nucléaire de la politique de défense.

    L’approfondissement des débats sur le nucléaire militaire entre Européens permettrait de tirer les conséquences de l’intégration croissante des Etats européens. Tel est d’ailleurs l’accent qui a été mis par le Président de la République qui, à l’occasion de la présentation de la proposition française, a évoqué la « communauté de destin » qui unissait les Européens. On peut même considérer qu’il serait souhaitable d’éviter que le statut nucléaire de la France et du Royaume-Uni ne soit un obstacle à la poursuite de la construction de l’Europe de la défense et de faire en sorte que les armes nucléaires soient au contraire un instrument de nature à y contribuer.

    Or, le débat sur les liens entre le nucléaire et l’Europe n’a pas véritablement eu lieu au sein de la structure qui assure la sécurité de l’Europe : les questions nucléaires ont été volontairement écartées lors de la renégociation du concept stratégique de l’OTAN. Seule est intervenue la mise au point, d’ailleurs assez sèche, des trois alliés nucléaires de l’OTAN à l’égard des propos du chef de la diplomatie allemande sur le non-emploi en premier. Autant dire que les vraies questions n’ont pas été traitées, alors que, depuis la fin de la guerre froide, les moyens nucléaires de l’OTAN en Europe ont fait l’objet d’un redimensionnement majeur puisqu’ils sont désormais moindres que les moyens nucléaires français et britanniques. Le débat sur la dissuasion concertée permettrait de redéfinir le lien entre l’Europe et les armes nucléaires.

    En lien avec cet argument de la construction de l’Europe de la défense, il faut rappeler la proximité stratégique très forte des alliés nucléaires de l’OTAN. Aujourd’hui, la France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis partagent les mêmes principes doctrinaux fondamentaux ; notamment, il n’y a plus d’ennemi identifié, la dissuasion s’adressant à « ceux qu’elle est susceptible de concerner » pour reprendre l’expression de Sir Michael Quinlan. La Grande-Bretagne et la France ont, d’ailleurs, explicitement reconnu aux Chequers en 1995 qu’il n’y avait pas de différence fondamentale entre leurs doctrines.

    La dernière série d’arguments est liée à l’avenir de l’OTAN. Au regard de la très forte réduction des arsenaux nucléaires de l’OTAN basés en Europe, il n’est pas illégitime de se demander comment va évoluer la protection nucléaire offerte aux Européens dans le cadre de l‘OTAN et si les Américains accepteront indéfiniment de payer pour l’entretien et le stockage des armes nucléaires encore basées en Europe. Les tentatives du Congrès américain pour réduire de manière substantielle la part financière des Etats-Unis dans le financement de l’OTAN nourrissent ce genre de débats, de même que le retour d’un certain isolationnisme américain, dont il ne faut certes pas surestimer le poids et qu’il ne faut pas mélanger avec les manœuvres de politique intérieure, mais dont la tentation est latente.

    Faut-il, à cet égard, s’inquiéter de l’impact qu’aurait la mise en place d’une défense antimissiles aux Etats-Unis sur les relations entre l’allié américain et les Etats européens de l’Alliance ? Certains sont en effet très prompts à voir dans les avancées du programme NMD (National Missile Defense) une menace sur la protection américaine dans l’OTAN. Il semble à votre rapporteur que ces craintes sont largement exagérées : le NMD n’est pas un avatar de l’initiative de défense stratégique prônée par le Président Reagan en 1985 et nous sommes très loin d’un risque de découplage, tel qu’il existait avant 1957. Pour l’heure, il s’agit d’un programme aux ambitions limitées, qui visent les Etats voyous (rogue states), c’est-à-dire des Etats assez peu équipés et aux manœuvres militaires visibles.

        3. Un débat avorté

    La proposition française n’a pas eu le succès que ses initiateurs pouvaient en escompter. Sans doute les réactions de nos partenaires européens ne sont-elles pas uniformes, allant de l’hostilité viscérale à tout débat sur l’arme nucléaire à l’intérêt prudent, en passant par l’indifférence. Seule la Grande-Bretagne a semblé apporter un certain soutien à la France et a souhaité obtenir des précisions sur les éléments de la proposition française.

    Les causes de cet accueil, pour le moins mitigé, réservé à la proposition française sont multiples. Sans doute la coïncidence entre la démarche française et la campagne d’essais a-t-elle été malheureuse et a lourdement pesé sur la possibilité d’instaurer un débat serein. Mais il existe également des raisons de fond qui ont motivé l’attitude de nos partenaires.

    Les Etats viscéralement opposés au nucléaire soulignent l’incompatibilité entre un débat sur la dissuasion concertée et une politique européenne de lutte contre la prolifération. Pour cette école de pensée, on ne peut à la fois valoriser l’arme nucléaire à travers la dissuasion et en minimiser le rôle au nom de la lutte contre la prolifération. Votre rapporteur fait simplement remarquer que la France fournit au contraire l’exemple d’un pays qui a toujours appuyé la cause du désarmement et qui est aujourd’hui l’un des pays moteurs dans la lutte contre la prolifération.

    La deuxième raison de la réticence de nos partenaires à aborder cette question tient à la présence de la garantie américaine assurée dans le cadre de l’OTAN. L’attachement de nos partenaires à l’OTAN ne doit en effet pas être sous-estimé. Il demeure puissant, en dépit - ou peut-être à cause - de l’absence de remise à plat de la doctrine de l’OTAN en matière nucléaire et de l’affaiblissement du dispositif nucléaire de l’OTAN en Europe. Faut-il aller jusqu’à estimer que la dissuasion concertée n’a de chances que si la garantie nucléaire des Etats-Unis devient moins crédible ? Ceci pose la question, fondamentale, du lien entre une dissuasion concertée européenne et la dissuasion élargie américaine de l’OTAN, qui rejoint la question lancinante du lien entre une défense européenne par les Européens et l’OTAN (concurrence, redondance, complémentarité). Il faut pourtant rappeler qu’à aucun moment, la France n’a prétendu remettre en cause le rôle des Etats-Unis en Europe : jamais la dissuasion concertée n’a été conçue par la France comme un outil de sape du rôle fondamental de nos alliés d’outre-Atlantique dans la défense du continent européen.

    Une autre difficulté doit encore être soulignée, qui concerne moins le principe d’un débat que le calendrier de la construction européenne. De fait, les réactions de la plupart des partenaires de la France en 1995 ont montré qu’à leurs yeux, ce dossier n’était pas prioritaire dans l’Europe qui se construit. D’après eux, il n’y aurait aucune urgence à évoquer cette question, l’arme nucléaire n’étant plus au centre des débats stratégiques dans l’après-guerre froide. Plus encore, un tel débat, en faisant resurgir des positions divergentes marquées, crisperait, selon eux, les relations intraeuropéennes et pourrait bloquer d’autres dossiers, à commencer par celui de la constitution d’une identité européenne de sécurité et de défense. Ainsi, le secrétaire générale de l’OTAN, Javier Solana, avait déclaré, lors du Conseil européen de 1996, que « traiter des questions nucléaires dès maintenant reviendrait à construire une maison en commençant par le toit ».

    Votre rapporteur estime qu’on peut tout autant soutenir que l’absence de menace majeure et la pause stratégique induite justifient l’actualité d’un débat : jamais l’Europe n’a connu une situation aussi favorable au regard de sa sécurité globale, c’est donc le moment idéal pour débattre, à froid, de cette question qui ne sera pas polluée par d’autres thèmes. En conséquence, il serait judicieux de profiter de cette pause stratégique pour lever ce qui s’apparente jusqu’alors à un tabou ou à un non-dit de la future Europe de la défense.

      B. L’EUROPE ET L’ARME NUCLÉAIRE : UNE CLARIFICATION POURTANT NÉCESSAIRE À TERME

    Sans doute ne peut-on aujourd’hui que prendre acte du refus de nos Alliés européens de traiter de la question de l’arme nucléaire en Europe.

    Néanmoins -et c’est là la conviction profonde que votre rapporteur avait déjà formulée dans son rapport sur le projet de loi de finances pour 1998-, elle ne manquera pas de revenir sur le devant de la scène, au fur et à mesure lors que se préciseront les contours de la défense européenne. Remarquons au passage que la démarche de dissuasion concertée, inscrite dans la loi de programmation militaire 1997-2002, demeure à l’ordre du jour de notre diplomatie, et n’a pas été « enterrée », comme l’ont confirmé à votre rapporteur les responsables des Affaires stratégiques du ministère des Affaires étrangères et du ministère de la Défense. Ainsi, sans évoquer formellement la notion de dissuasion concertée, le Premier ministre déclarait devant les auditeurs de l’Institut de la Défense nationale, le 7 septembre 1997, que la France chercherait « à approfondir le dialogue avec ses principaux partenaires européens sur l’ensemble du domaine de la dissuasion ».

        1. Les avancées de la construction de l’Europe de la défense

    Les progrès de la construction de l’Europe de la Défense auront une incidence sur la dissuasion française. Or, la période récente a été riche en avancées dans ce domaine.

    C’est d’abord la poursuite de l’approfondissement du dialogue franco-britannique avec la déclaration de Saint-Malo à la fin de l’année 1998 : sans doute celle-ci ne concerne-t-elle pas spécifiquement le domaine nucléaire. Mais il est indéniable que, constituant un pas supplémentaire dans la construction d’une vision franco-britannique commune des moyens de l’Europe de la défense, elle peut faciliter, à moyen terme, les conversations franco-britanniques sur la future dimension européenne de la dissuasion nucléaire.

    C’est ensuite la construction progressive, laborieuse sans doute, d’une Europe de l’armement, avec l’accord de fusion signé tout récemment, au mois d’octobre 1999, entre Aerospatiale-Matra et l’Allemand Dasa. Il faut d’ailleurs noter à ce sujet que cette fusion a soulevé le problème du contrôle à long terme par la France de l’ensemble des activités d’Aérospatiale-Matra liées à la dissuasion nucléaire. Cette question devrait être réglée par l’introduction d’un mécanisme donnant un pouvoir de contrôle à l’Etat français sur les opérations relatives aux actifs concernant ce volet de l’activité de l’entreprise.

    Sans doute, ces « solidarités de fait » seront-elles porteuses, comme elles le furent dans les domaines économiques civils, de rapprochements ultérieurs dans des domaines plus politiques.

        2. Quels interlocuteurs pour la France ?

    Même si elle ne concerne pas la dissuasion nucléaire mais se situe davantage dans le champ du désarmement, l’intervention récente, solennelle et nécessaire, du Président de la République Jacques Chirac, du Chancelier allemand Gerhard Schröder et du Premier ministre anglais Tony Blair, à l’adresse du Sénat américain afin qu’il ratifie le Traité d’interdiction complète des essais signé à New York le 24 septembre 1996, montre qu’en cas de crise, des pays européens sont à même de parler d’une seule et même voix.

    Sans doute objectera-t-on d’abord que ce message fort émanait, non pas de l’Union européenne, mais des trois pays ayant les responsabilités les plus importantes en matière de défense. Il est vrai que l’Union européenne, actuellement sous présidence finlandaise, n’a pas souhaité s’exprimer en tant que telle dans ce débat. Toutefois, nul ne peut croire que la marche vers la dissuasion concertée se fera d’emblée dans le cadre de l’Union européenne.

    Le débat devra en effet partir du cadre existant, et dont le bilan de fonctionnement semble satisfaisant, de la coopération franco-britannique. Pour autant, rien ne pourra se faire sans l’Allemagne. Ce principe, valable pour la construction européenne dans son ensemble, revêt une acuité particulière en matière de défense pour des raisons historiques évidentes.

    · D’abord ponctuelle, la coopération franco-britannique est devenue structurelle lorsqu’en juillet 1993, la commission mixte sur les questions de politique et de doctrine nucléaires qui avait été créée en décembre 1992 a été transformée en un organe permanent. Cette commission est composée de hauts fonctionnaires des ministères de la Défense et des Affaires étrangères des deux pays. Si les rapports qu’elle a rendus n’ont pas été publiés, il semble qu’elle ait permis de réaliser de grandes avancées : Jacques Chirac et John Major n’ont-ils pas déclaré le 30 octobre 1995, à l’issue du sommet des Chequers, qu’ils ne voyaient pas « de situations dans lesquelles les intérêts vitaux de l’un de nos deux pays, la France ou le Royaume-Uni, puissent être menacés sans que les intérêts vitaux de l’autre ne le soient également » ?

    Le champ potentiel de la coopération franco-britannique est large : coordination des zones et des temps de patrouille des sous-marins afin de fermer toute fenêtre de vulnérabilité, coopération limitée dans le domaine du ciblage, ouverture des facilités portuaires, coopération technique en matière de capacité de pénétration des systèmes et des moyens d’information et de renseignement.

    Pour l’heure cependant, force est de constater que nous sommes loin de ce type de coopérations. Il semblerait même que les avancées réalisées jusqu’en 1995 n’aient pas été suivies de progrès satisfaisants depuis. Seule une volonté politique forte, et commune aux deux nations qui y siègent, permettra à cette instance de jouer le rôle, qu’elle n’a pas aujourd’hui, de socle d’une démarche de dissuasion concertée.

    · Tous les spécialistes soulignent avec force qu’aucun débat sérieux ne pourra être engagé sur la dissuasion concertée sans que l’Allemagne y soit étroitement associée. Si celle-ci a été relativement prudente dans ses réactions à la proposition de 1995, elle est néanmoins toujours favorable à un débat conduisant à une concertation accrue.

    Ainsi, l’Allemagne n’a pas hésité à s’engager, prudemment, avec la France dans cette voie. Le concept stratégique franco-allemand adopté par Jacques Chirac et Helmut Kohl en décembre 1996 évoque le problème de la dissuasion nucléaire : « Nos pays sont prêts à engager un dialogue sur le rôle de la dissuasion nucléaire, dans le contexte d’une politique de défense européenne ». Il faut toutefois noter que, dans ce même document, la France reconnaît que « la garantie suprême de la sécurité des Alliés est assurée par les forces stratégiques de l’Alliance, en particulier par celles des Etats-Unis ». Il est douteux que l’Allemagne se serait engagée dans cette voie sans ce rappel du rôle prééminent des Etats-Unis dans la défense de l’Europe. C’est à la France qu’il appartiendra, aux yeux des Allemands, de faire la preuve qu’elle n’entend pas, par la démarche de dissuasion concertée, remettre en question le parapluie nucléaire de l’OTAN.

        3. Une approche nécessairement pédagogique

    L’intervention commune du Président de la République, du Premier ministre anglais et du Chancelier allemand, soulève un aspect important de la démarche de dissuasion concertée. Faut-il en effet s’en tenir à une conception cloisonnée de la concertation européenne sur ces questions, avec d’un côté, les problèmes de désarmement et de non-prolifération nucléaire, et de l’autre, le « tabou » de la dissuasion ?

    En ce mois d’octobre 1999, c’est au nom du désarmement que ces responsables européens se sont exprimés et la dissuasion n’est nullement concernée par cette prise de position commune. En fin de compte, rien de très nouveau puisque, dès 1995, à l’occasion de la Conférence d’examen et de prolongation du Traité de non-prolifération, l’Union européenne a adopté une action commune. Par ailleurs, à l’exception de la Suède, de l’Irlande et de l’Autriche, tous les membres de l’Union européenne votent généralement ensemble à l’ONU sur les questions nucléaires.

    Votre rapporteur estime que seule une démarche pédagogique et progressive permettra de mener à un débat serein sur la dissuasion concertée. C’est une bonne chose que les dirigeants européens prennent la parole, d’une seule et même voix, sur les questions liées à la prolifération ou au désarmement. Au niveau européen, il n’est ni souhaitable ni possible de mettre en avant la seule question de la dissuasion, la plus complexe et la plus délicate. Par la suite, les questions nucléaires devront donc être abordées dans leur ensemble : le désarmement et la non-prolifération, le rôle de l’arme nucléaire dans le monde contemporain, les menaces et les risques. On pourrait dire, à l’instar de certains spécialistes, que, pour que la dissuasion concertée ait une chance d’aboutir, elle doit d’abord passer par une politique européenne de non-prolifération et de désarmement nucléaire car ces deux dimensions font désormais partie intégrante de la légitimité du nucléaire.

    Il est clair, par conséquent, que la dissuasion concertée sera davantage un processus qu’un aboutissement. Le Président Chirac l’avait d’ailleurs déjà souligné, le 8 juin 1996, lors de son discours devant l’IHEDN, en rappelant que la France ne proposait pas « un concept tout fait, mais un processus graduel, ouvert à ceux de nos partenaires qui souhaitent s’y joindre ». Tout au long de ce processus, la France devra s’employer à démontrer que, non seulement la fin de la guerre froide ne signifie pas l’obsolescence de l’arme nucléaire et de la doctrine de dissuasion, mais qu’elle garde même un rôle majeur en Europe. Sans doute, ce point est-il difficile à argumenter, mais l’affirmation inverse ne l’est-elle pas tout autant ?

    Il lui faudra également convaincre ses partenaires que l’Europe ne peut prétendre jouer un rôle de premier plan sur la scène internationale sans disposer d’une capacité propre en matière nucléaire. Pour autant, la France devra éviter de laisser penser à ses partenaires qu’elle veut mettre fin à la garantie nucléaire américaine sur le continent européen. Telle n’a jamais été d’ailleurs l’optique de la France lorsqu’elle a présenté son initiative.

    Le débat sur la dissuasion concertée aurait le mérite de lever les ambiguïtés, d’expliciter les non-dits sur un sujet qui semble devenu tabou dans l’Europe d’aujourd’hui, fait d’autant plus paradoxal que la situation nucléaire mondiale est loin d’être stabilisée, comme l’illustre le cas asiatique. Au regard de tels enjeux, le consensus par défaut actuel ne saurait suffire.

    Pour autant, votre rapporteur est bien conscient qu’un très long chemin, dont il a tenté d’esquisser le tracé, reste à parcourir. C’est là une donnée dont il faudra tenir compte dans les choix d’équipement de nos armées.

    II. —  LES CHOIX D’ÉQUIPEMENT : L’OBLIGATION DE LA COHÉRENCE

    En 2000, c’est une décision importante qui va être prise, dont le projet de budget porte la trace, avec la commande du quatrième sous-marin nucléaire lanceur d’engins de nouvelle génération (SNLE-NG), ainsi que le prévoit d’ailleurs la loi de programmation militaire 1997-2002. Il s’agit là d’une décision majeure eu égard au financement de la dissuasion d’une part, et de la Marine d’autre part. Pour autant, est-ce une étape décisive pour la crédibilité de notre dissuasion ? La commande du quatrième sous-marin nucléaire lanceur d’engins de nouvelle génération en 2000 est-elle indispensable à la validité de notre dissuasion ?

    Cette question peut paraître iconoclaste, surtout lorsqu’elle émane du rapporteur des crédits de la dissuasion, dont personne ne peut nier l’attachement profond au choix nucléaire de la France pour sa défense.

    Mais précisément, c’est en tant que rapporteur de la dissuasion que l’auteur de ces lignes estime nécessaire de se poser cette question, fruit d’une analyse menée de longue date sur ces questions. Car est en cause l’avenir à moyen terme du financement de notre dissuasion : si le budget de la dissuasion reste à son niveau et que tous les programmes qui sont prévus (simulation, M51…), qui sont nécessaires à la dissuasion, sont maintenus en l’état, c’est une crise de financement qui se posera au cours de la période 2003-2008.

    Cette question est également celle d’un membre de la commission de la Défense : on ne saurait raisonner de manière étroite, sans prendre en compte l’ensemble de notre appareil de défense. C’est, à l’instar de l’Etat-major des armées, un raisonnement par système de forces qu’il convient d’adopter. Or, si l’on se place dans cette perspective, non seulement il faut se demander si la commande, en 2000, du quatrième sous-marin nucléaire lanceur d’engins de nouvelle génération est indispensable, mais plus encore si cette décision n’est pas porteuse de conséquences majeures sur d’autres fonctions et sur la cohérence du format de notre armée.

    Car c’est sous le signe de la cohérence que votre rapporteur souhaiterait placer les développements qui suivent : cohérence entre les analyses et les choix, cohérence entre les choix et les moyens.

      A. 2003-2008 : UN FINANCEMENT PROBLEMATIQUE DES PROGRAMMES DE LA DISSUASION ET DE LA MARINE

    La loi de programmation militaire 1997-2002 marque ce que l’on pourrait appeler l’aggiornamento de notre dissuasion, à la suite des décisions nécessaires annoncées par le Président de la République le 23 février 1996. Si le concept reste le même, les moyens s’adaptent, eux, au nouveau contexte stratégique. La revue des programmes n’a pas remis en cause ces orientations et les adaptations qu’elle propose s’inscrivent dans le cadre tracé par le Président de la République. Aujourd’hui, missions et moyens sont en phase. Cette cohérence est-elle garantie à moyen terme ?

        1. Le financement de la dissuasion à moyen terme : la nécessaire augmentation des crédits budgétaires

    Depuis 1995, les modalités et les composantes de notre dissuasion sont soumises à de profondes restructurations. Ainsi, au-delà des programmes de fabrications des armes nucléaires et de leurs supports, dont le nombre a été revu à la baisse, notamment suite au retrait de la composante terrestre, le budget de la dissuasion supporte depuis 1996 les programmes de réorientation de notre arsenal nucléaire : démantèlement des usines de Pierrelatte et de Marcoule suite à l’arrêt de la production de matières fissiles, fermeture du centre d’essais du Pacifique après l’arrêt des essais, financement d’un programme de simulation pour pallier l’absence d’essais, démantèlement des missiles Hadès et du plateau d’Albion après l’abandon de la composante terrestre…

    C’est dans un contexte de baisse des crédits budgétaires de la dissuasion que se déroulent ces mutations. Ainsi, la loi de programmation militaire 1997-2002 prévoit d’affecter à cette fonction de notre défense moins de 20 % des crédits d’équipement militaires à l’issue de son application, à comparer à la proportion de près du tiers que représentait la dissuasion dans le budget d’investissement de nos armées à l’aube des années 1990. Avec un budget global d’équipement militaire à 85 milliards de francs courants (francs 1998) tel que l’a fixé la revue des programmes, cela représente un montant annuel de 17 milliards de francs.

    Depuis 1998, le niveau atteint, en loi de finances initiale, par le budget de la dissuasion nucléaire est inférieur au montant fixé dans la loi de programmation militaire, même s’il est vrai que la formulation retenue par cette loi autorise un montant annuel inférieur. Après 16,38 milliards de francs inscrits dans la loi de finances initiale pour 1998 et 16,58 milliards de francs en 1999, le projet de budget pour 2000 prévoit d’affecter 19,1 % des crédits d’équipement militaires, soit 15,4 milliards de francs, au financement de la dissuasion. Il semble donc que ce budget soit stabilisé, en loi de finances initiale, autour de 16 milliards de francs.

    Une question simple se pose alors : peut-on, à budget constant, mener à bien l’ensemble des programmes concourant à l’adaptation et à la modernisation de notre dissuasion dans la décennie à venir, et notamment à l’horizon 2008-2010, date d’échéance des programmes de sous-marin SNLE-NG, de missile M51 et de simulation notamment ? En posant cette question, et notamment en retenant l’hypothèse d’une enveloppe financière constante, votre rapporteur ne croit pas faire preuve d’un pessimisme excessif. Un bref regard sur l’évolution du budget de la défense dans les années passées ainsi que la conviction, triste mais réaliste, que l’équipement de nos armées n’est plus, tant s’en faut, une priorité, suffisent à prouver la pertinence de cette interrogation. Au regard des enjeux de sécurité, majeurs pour notre pays, qui s’attachent à la préservation d’un outil de dissuasion crédible, c’est même, en tout état de cause, une question qui doit être posée.

    Or, il semble qu’existe une incertitude majeure sur cette question. Car, pour la dissuasion comme pour les autres fonctions de note défense, la période 2003-2008, qui correspond à la durée de la prochaine loi de programmation, se présente comme particulièrement difficile. C’est à cette période que le financement des cinq principaux programmes de la dissuasion que sont la simulation, le missile de type M51, le missile ASMP amélioré, le programme de réacteur d’essais (RES) et le quatrième SNLE de nouvelle génération atteindra son pic. Ainsi, ce sont environ 15 milliards de francs qui resteront à financer sur le programme de sous-marins nucléaires lanceurs d’engins de nouvelle génération. Quant au programme de missile M51 qui équipera à terme tous les sous-marins de ce type, il représente un coût global de 30 milliards de francs, dont 20 restant à financer après 2002. Enfin, le programme ASMP amélioré représente un montant total de 7,24 milliards de francs (francs 1998). Quant au programme RES, d’un coût total de 4 milliards de francs, il nécessitera l’apport de 1,8 à 2 milliards de francs de crédits de paiement de 2003 à 2007.

    Encore cette liste ne prend-elle pas en compte la fabrication des têtes nucléaires de type TN75 qui équiperont les missiles des bâtiments de la FOST, ni le développement de sa remplaçante, la TNO, en service à partir de 2015. Ne sont pas non plus inclus les crédits nécessaires aux transmissions. Quant au maintien en condition opérationnelle, il représente 25 % des crédits de la dissuasion dans la configuration actuelle de notre armement.

    Votre rapporteur ne dispose pas des éléments lui permettant un calcul précis des montants en jeu, et donc de se prononcer sur la capacité de financement du budget de la dissuasion entre 2003 et 2008. Il s’en remet néanmoins à l’avis qui, au regard des échéances futures venant d’être décrites, paraît tout à fait valable, de certains responsables de la dissuasion qui jugent l’exercice impossible, toutes choses étant égales par ailleurs.

        2. Le financement des programmes de la Marine : des besoins financiers préoccupants entre 2002 et 2010.

    En dépit d’une baisse continue, durant les années récentes, de la part des crédits de la force océanique stratégique (FOST) dans le total du budget de la Marine, la force de dissuasion océanique représente toujours un volet important du budget de la Marine. Ainsi, dans le projet de loi de finances pour 2000, près du cinquième (19,2 %) des crédits d’équipement de la Marine sont consacrés à la FOST, hors crédits destinés aux missiles stratégiques, rattachés à l’état-major des armées et y compris le maintien en condition opérationnelle.

    Au regard du rôle-clé de la composante océanique pour la crédibilité de notre dissuasion et par comparaison avec les montants de crédits en cause pour la composante aérobie, la Marine est, de loin, l’armée la plus concernée par la dissuasion. A ce titre, le rapporteur des crédits affectés à notre arme nucléaire ne peut pas ne pas s’intéresser à l’ensemble du budget de la Marine qui a, jusqu’alors, largement accordé une priorité marquée à la FOST.

    Or, l’analyse à moyen terme des besoins de la Marine révèle, de façon sans doute encore plus préoccupante que dans le cas de la dissuasion, une impossibilité absolue de financement. Là encore, votre rapporteur se place ici dans l’hypothèse d’un budget constant, soit 20 milliards de francs comme c’est le cas dans le projet de loi de finances pour 2000.

    Les perspectives pour la première décennie du prochain siècle apparaissent particulièrement sombres, notamment entre 2003 et 2010. Sans doute votre rapporteur ne dispose-t-il pas d’informations complètes et très détaillées, mais, à dire vrai, il n’est nul besoin de disposer de documents très pointus pour se rendre compte que la « bosse » de financement des programmes d’armement, d’ailleurs évoquée de façon récurrente depuis le début de la présente loi de programmation, est particulièrement accentuée pour la Marine.

    Dans l’hypothèse d’une stabilisation du budget de la Marine à son niveau actuel, pour les années 2003 — 2010, la Marine disposera d’un budget de fabrication de 112 milliards de francs, soit 14 milliards de francs (francs 1999) pour chacune des huit annuités, le reste, soit le tiers environ, étant dévolue au maintien en condition opérationnelle des bâtiments. Dans cette enveloppe, elle devra financer trois types de bâtiments, ainsi que les infrastructures et les munitions.

    Ÿ La FOST constitue le premier pôle du budget de la Marine. Si l’on exclut le programme M 51, financé par le budget de l’état-major des armées, deux programmes majeurs devront être financés d’ici à 2010.

    Le premier, celui des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins de nouvelle génération, dont le coût total est de 88,4 milliards de francs, est déjà largement entamé puisque 2/3 des crédits ont déjà été votés et consommés, un seul des quatre sous-marins nucléaires lanceurs d’engins prévus restant à commander et à construire, pour une livraison qui devrait intervenir en 2008.

    Il convient de prendre en compte également l’environnement des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, ceux-ci ayant besoin, pour remplir leur mission en toute sérénité, de la protection de sous-marins d’attaque, dotés de capacités anti-navires, anti-sous-marines, et, sans doute à l’avenir, anti-terre, à l’instar des sous-marins britanniques. Or, les sous-marins nucléaires d’attaque actuels arrivant en fin de vie à partir de 2010, le ministère de la Défense a lancé le programme Barracuda, qui devrait permettre de définir le sous-marin d’attaque futur (SMAF), successeur des sous-marins nucléaires d’attaque de type Rubis. L’étude de faisabilité du SMAF est en cours, d’ailleurs alourdie par la demande pertinente du Chef d’état-major de la Marine, de doter ce bâtiment de capacités anti-terre. Si le coût de ce programme n’est pas encore défini précisément, plus encore après la demande de révision des spécifications du bâtiment, un plafond de 34 milliards de francs a été néanmoins fixé.

    Ce sont donc, au total, 50 à 52 milliards de francs qui seront nécessaires au financement de la composante océanique de la dissuasion, au titre du budget de la Marine, dans la première décennie du siècle prochain.

    Ÿ Le deuxième axe du budget de la marine s’ordonne autour du groupe aéronaval. A partir de 2003, deux programmes pèseront, de manière inégale, sur le budget de la Marine ; le programme Rafale et le programme d’avion de guet aérien Hawkeye.

    De loin le plus lourd, le programme Rafale prévoit la livraison de 60 exemplaires à la Marine, la première flottille de 10 appareils devant être constituée d’ici à la fin de l’année 2002. Ce sont donc 50 appareils qui devront être livrés à la Marine entre 2003 et 2012. La Marine évalue le coût annuel de ce programme pour son budget à 3 milliards de francs environ, soit un besoin de financement total de 24 milliards de francs durant la période de référence définie par votre rapporteur.

    Beaucoup plus modeste est le programme d’avions de guet aériens Hawkeye, qui remplissent une mission de défense aérienne du porte-avions. Sur les trois appareils que la France devrait commander auprès de la société américaine Northrop Grumman, deux l’ont été en 1995 et livrés, pour l’un, à la fin de l’année 1998, pour l’autre en avril 1999. Quant à la commande du troisième exemplaire, elle devrait intervenir en 2001, pour livraison en 2003. On peut donc estimer le reste à dépenser sur ce programme dont le coût atteint 6 milliards de francs environ à 1,5 milliard de francs, 2,5 milliards de francs de crédits de paiement ayant à ce jour été dépensés et 996 millions de francs étant inscrits en crédits de paiement dans le projet de loi de finances pour 2000.

    S’agissant des frégates de premier rang qui accompagnent le porte-avions, il faudra remplacer les deux frégates lance-missiles, Suffren et Duquesne, dont le retrait du service actif est normalement prévu pour 2005. Tel est l’objet du programme Horizon, programme aujourd’hui franco-italien après le retrait britannique, dont le coût est évalué à 11 milliards de francs, y compris le système d’armes PAAMS. A cela vient s’ajouter la nécessaire modernisation de bâtiments, tels que le Cassard, frégate antiaérienne entrée en service en 1978 ou encore le Georges Leygues, frégate anti-sous-marins entrée en service en 1979 et dont le retrait est envisagé à la fin de la prochaine décennie. Ce sont, d’après les données fournies par l’état-major de la Marine, 4 à 5 milliards de francs qui seront nécessaires à la modernisation de ces frégates de premier rang.

    Au total, votre rapporteur estime entre 40 et 42 milliards de francs environ la somme de crédits budgétaires nécessaires au complément et à la modernisation du groupe aéronaval entre 2003 et 2010.

    · Le troisième ensemble est plus hétérogène, puisqu’il rassemble des programmes aussi divers que le programme d’hélicoptères NH90, le programme de torpilles MU90, de transport de chalands de débarquement et l’ensemble du renouvellement de la flotte de surface, hormis les frégates déjà évoquées, qui devrait concerner 45 % environ des bâtiments entre 2003 et 2010. Votre rapporteur estime le besoin de financement de l’ensemble à environ 23 milliards de francs.

    S’il est difficile de donner un décompte précis de cet agrégat, notamment en ce qui concerne le renouvellement des patrouilleurs de service public, des bâtiments de soutien (pétrolier ravitailleur, bâtiment atelier polyvalent, bâtiments de soutien mobile), des bâtiments de transport légers …, on peut néanmoins en chiffrer le coût à 10 ou 11 milliards de francs environ, soit 1,3 milliard de francs de moyenne annuelle.

    S’agissant du programme d’hélicoptères NH 90, devant remplacer les hélicoptères Lynx à bord des frégates, afin d’y assurer des missions de lutte anti-sous-marine et anti-navires, ainsi que les Super-Frelon, à des fins de transport logistique et de service public, on peut en estimer le coût sur la période choisie à 4,5 ou 5 milliards de francs pour la Marine, la livraison de ces bâtiments intervenant entre 2005 et 2010.

    Quatre transports de chalands de débarquement ((TCD) équipent actuellement la Marine, dont deux, le Foudre et le Sirocco sont récents (respectivement 1990 et 1998). C’est en 2004 et en 2006 que devra intervenir le remplacement des deux autres bâtiments, l’Ouragan et l’Orage, évalués à 3,8 milliards de francs environ.

    Enfin, il convient de prendre en compte le programme de torpilles MU 90, dont les 5/6 seront livrées après 2002. Sur la période 2003 — 2010, ce programme mobilisera 2,5 milliards de francs de crédits de paiement.

    Sachant enfin que la Marine consacre environ 800 millions de francs à l’entretien et à la modernisation de ses infrastructures, ce sont donc au total, au bas mot, 123 milliards de francs qui seront nécessaires à la Marine entre 2003 et 2010, sans compter l’achat de recharges et de munitions.

EVALUATION DES BESOINS FINANCIERS DE LA MARINE ENTRE 2003 et 2010

    (en milliards de francs)

    Programme liés à la FOST

    16-18

    Programme de sous-marin d’attaque futur

    34

    Programmes liés à l’aéronaval hors frégates

    25,5

    Flotte de surface et environnement

    38-39

    Munitions (programme MU 90)

    2,5

    Infrastructures

    6,5

    Total

    122,5-125,5

    A l’évidence donc, si l’enveloppe financière attribuée à la Marine entre 2003 et 2010 est calculée sur la base de l’actuel budget d’équipement de cette armée, soit 14 milliards de francs pour les programmes, la France ne pourra pas financer les programmes pourtant nécessaires aux missions de dissuasion, de projection et de service public que remplit la Marine. Ce sont en effet entre 10 et 15 milliards de francs qui lui feront défaut, hypothèse basse qui ne prend pas en compte les éventuels retards ni les annulations certaines qui toucheront le budget de la Défense, ni enfin l’achat de recharges et de munitions.

      B. LE MAINTIEN DE LA COHÉRENCE DE NOTRE MODÈLE D’ARMÉE, UN ENJEU FONDAMENTAL

    Ce double constat d’insuffisance des moyens budgétaires ne peut que susciter la plus extrême inquiétude. Car, si jusqu’alors la diminution des budgets militaires s’est faite de manière homothétique, sans remettre en cause la cohérence entre le format des armées et les missions qui leur sont attribuées, les impasses financières décrites précédemment hypothèquent gravement le modèle d’armée 2015 décrit par la loi de programmation militaire 1997-2002. Il y a là un risque de fragilisation de notre outil de défense.

    Or, qu’il s’agisse de la dissuasion ou de la projection de forces, la France ne saurait les mettre en péril, sous peine d’un risque majeur pour la sécurité et sa capacité à peser sur la scène internationale.

        1. La dissuasion, un concept qui reste d’actualité

    La loi de programmation militaire 1997-2002, tout comme le modèle d’armée 2015, définissent un schéma extrêmement cohérent de la dissuasion pour les années à venir.

    Il importe à tout prix de maintenir cette cohérence qui est relativement fragile, du fait du concept de stricte suffisance en vertu duquel est configuré notre outil de dissuasion : qu’un chaînon manque, et c’est l’ensemble de l’édifice qui perd sa crédibilité. Or, c’est là un risque que nous ne pouvons pas courir. Beaucoup a été dit, dans les années récentes, sur l’obsolescence, la perte de sens, de l’arme nucléaire dans le monde de l’après-guerre froide. Le raisonnement qui sous-tendait de tels discours était somme toute très simple : pendant l’affrontement entre les Etats-Unis et l’URSS, les relations stratégiques internationales étaient structurées par l’arme nucléaire. C’est d’ailleurs consciente de cette polarisation du jeu politique international que la France, soucieuse de continuer à avoir les moyens d’affirmer ses intérêts et ses valeurs, s’est dotée de l’arme nucléaire. Dès lors que l’affrontement entre les deux grands aurait cessé, l’arme nucléaire aurait, à en croire certains, perdu son rôle structurant. Or tel n’est pas le cas : certes, l’arme nucléaire n’est plus le seul étalon de la puissance, de l’influence et de la sécurité ; elle n’en garde pas moins un rôle déterminant dans les relations internationales. Le monde de l’après-guerre froide n’est pas un monde post-nucléaire.

    · L’état des arsenaux des autres puissances nucléaires en est une première illustration.

    LES ARSENAUX NUCLÉAIRES1 (AU 01/04/1999)
    DES AUTRES PUISSANCES NUCLÉAIRES
    RECONNUES PAR LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE

     

    Etats-Unis

    Russie

    Chine2

    Royaume-Uni

    ICBM

    vecteurs

    têtes

    701

    2 451

    756

    3 590

    130

    126

    48

    192

    SSBN/SLBM

    vecteurs

    têtes

    464

    3 776

    592

    2 424

    12

    12

    -

    -

    Bombardiers

    vecteurs

    têtes

    315

    1 731

    74

    564

    150

    150

    -

    -

    Total général

    vecteurs

    têtes

    1 480

    7 958

    1 422

    6 578

    292

    292 (+ 120 dans l’artillerie)

    48

    192

    (1). Littérature ouverte et chiffres officiels.

    (2) Les évaluations concernant le potentiel chinois sont difficiles à obtenir. L’ordre de grandeur de 400 têtes nucléaires généralement admis jusqu’à présent commence à être contesté. Par ailleurs, des chiffres, non vérifiés, circulent attribuant à la Chine plus de 2 350 têtes nucléaires (1 800 têtes stratégiques, 550 têtes tactiques), avec une capacité de production de 140 à 150 têtes par an.

    · Les événements qui se déroulent dans le sous-continent indien sont également là pour le rappeler. Loin de s’inscrire dans les soubresauts de l’histoire héritée de la guerre froide, ils répondent à une logique régionale tout à fait actuelle. Au vu des événements importants survenus au cours de cette année 1999, votre rapporteur souhaiterait d’ailleurs s’attarder sur la situation dans le sous-continent indien. Le fait que la partie du globe la plus peuplée devienne une zone de concentration de puissances nucléaires -trois pays aux frontières contiguës et contestées, configuration jusqu’alors inédite- appelle en effet quelques développements.

    Rappelons en effet qu’en mai 1998, l’Inde, Etat non juridiquement reconnu comme doté de l’arme nucléaire par le Traité de non-prolifération, a procédé, très officiellement, à cinq essais nucléaires souterrains lui permettant de valider les engins de son programme nucléaire militaire, qui faisaient suite à un premier essai réalisé en 1974. Aujourd’hui, l’Inde maîtrise toutes les filières du nucléaire militaire : enrichissement, retraitement sur les sites de Kalpakkam, Trombay et Tarapur, production de tritium, séparation d’isotopes du lithium. Elle est supposée avoir produit suffisamment de plutonium 239 pour réaliser plusieurs dizaines d’armes. L’Inde possède également les vecteurs capables de délivrer des armes nucléaires, qu’il s’agisse de vecteurs aériens –elle possède 800 avions de combat, Jaguar, Mirage-2000, Mig 21, 23 , 27 et 29 et a en outre commandé à la Russie 40 SU-30, dont la livraison a débuté en juin 1997 –ou de vecteurs balistiques. Dans ce domaine, l’Inde a lancé au début des années 1980 un programme ambitieux visant à développer une large gamme de missiles, allant du missile stratégique sol-sol Agni, dont la portée atteint 2 500 km, aux missiles sol-sol de courte portée (150 à 250 km) Prithvi, en passant par une gamme de missiles sol-air et antichar. Des programmes plus ambitieux encore en terme de portée sont même évoqués.

    Si les essais de 1998 avaient montré le désir de l’Inde de s’affirmer officiellement comme un Etat doté de moyens nucléaires, l’élaboration d’une véritable doctrine marque son souhait d’apparaître comme une puissance nucléaire assumant ses responsabilités. Ainsi, en août 1999, le Gouvernement indien a rendu public un « document de travail » définissant la « doctrine nucléaire indienne ». Synthétique et, aux dires des spécialistes de la question, bien construit, ce document définit les bases d’une « dissuasion nucléaire minimale crédible », sans toutefois répondre à toutes les questions, en matière d’armes tactiques par exemple ou même sur les moyens financiers que l’Inde compte affecter à son ambitieux programme. Les éléments de base d’une doctrine nucléaire sont néanmoins présents : la doctrine indienne, fondée sur la menace de représailles punitives, est fidèle au principe du non-emploi en premier. Elle suppose le développement d’un arsenal nucléaire conséquent reposant sur une triade nucléaire et capable de résister à une première frappe adverse. En termes institutionnels, la responsabilité de la décision nucléaire appartient au Premier ministre.

    Si le programme nucléaire pakistanais est moins avancé techniquement et si le Pakistan ne dispose pas d’un potentiel scientifique, notamment humain, aussi important que l’Inde, en dépit de sa coopération avec la Chine, ce pays est aujourd’hui le troisième Etat nucléaire en Asie du Sud-Est. En réaction aux essais indiens des 11 et 13 mai 1998, le Pakistan a fait la démonstration de sa capacité nucléaire militaire en effectuant des expérimentations souterraines les 28 et 30 mai. Six tirs ont été menés, dont l’objectif était de tester un concept d’armes intégrales dans une ogive de missile. Au total, le Pakistan pourrait disposer de près de 25 bombes, tandis que l’Inde posséderait un parc trois fois plus important.

    Le Pakistan dispose d’une industrie missilière, susceptible de produire plusieurs types de missiles, dont la portée varie de 200-300 km à plus de 1 000 km. Un nouveau missile, d’une portée de 2 000 km, est annoncé pour la fin de l’année. Il est à noter toutefois que la décision d’équipement des vecteurs par des charges nucléaires n’aurait pas été prise. Contrairement à l’Inde, le Pakistan n’a pas fait état de sa doctrine en matière nucléaire.

    En citant ces deux exemples, votre rapporteur n’entend nullement brandir l’épouvantail de la menace nucléaire ou encore l’image éculée de la bombe islamique. Il entend seulement rappeler que la doctrine française tous azimuts est toujours valable et que le fait nucléaire est un acquis sur lequel on ne reviendra pas. Dans ce contexte, il est de notre devoir de préserver, pour la sécurité des générations futures, nos capacités de dissuasion : qui peut dire ce que sera le contexte stratégique, ne serait-ce que dans dix ans ?

        2. La projection de forces, une fonction indispensable à la présence de la France sur la scène internationale

    Dans le monde d’aujourd’hui, c’est, la plupart du temps, hors et même loin de nos frontières, que se nouent des conflits qui engagent la capacité de la France à respecter ses engagements internationaux ou mettent en cause sa sécurité. La loi de programmation militaire l’a rappelé avec clarté : « Les menaces militaires à prendre en compte sont désormais plus éloignées de nos frontières, la localisation des zones de conflits potentiels, aussi bien en Europe qu’à l’extérieur du continent européen, impliquent une capacité d’action à distance qui dépasse le champ très limité, assigné au principal de nos forces dans le passé. C’est pourquoi notre défense et la mise en jeu de nos obligations internationales se joueront souvent sur des théâtres situés à distance du territoire national ».

    Le conflit du Kosovo a fait la démonstration de la nécessité pour la France de disposer de capacités de projection de forces performantes et cohérentes. Le groupe aéronaval (porte-avions Foch, Super-étendard, sous-marins nucléaires d’attaque, frégates anti-aériennes de type Cassard), pilier de la fonction de projection, a été une pièce essentielle du dispositif militaire que la France a déployé au Kosovo.

      C. L’INVERSION DES PRIORITÉS ENTRE LE QUATRIÈME SOUS-MARIN NUCLÉAIRE ET LE DEUXIÈME PORTE-AVIONS GARANTIRAIT LA COHÉRENCE DE NOTRE MODÈLE D’ARMÉE

    Maintenir notre garde et conserver les moyens de notre défense et de notre sécurité, tels sont les deux impératifs rappelés par la loi de programmation militaire 1997-2000.

    Pour ce faire, la cohérence du format des forces armées est déterminante. Or, au vu des éléments qu’il a exposé, votre rapporteur estime qu’un risque d’incohérence pèse sur les moyens d’équipement de nos armées.

    Les difficultés de financement prévisibles du modèle d’armée 2015 dans la prochaine décennie risquent en effet de contraindre les responsables politiques à des choix impossibles. Sans doute –votre rapporteur en a eu confirmation- les états-majors sont-ils conscients de ces difficultés qu’ils travaillent à aplanir, mais, en l’occurrence, c’est au politique qu’il revient d’anticiper et de poser les problèmes sur la place publique.

    Devons-nous prendre le risque qu’entre 2005 et 2010, la France ne dispose plus des moyens de ses ambitions et qu’elle soit contrainte d’adapter ses ambitions à ses moyens ? Si une telle configuration devait se produire, la décision politique serait réduite au rang de mesure de gestion. C’est donc aujourd’hui, alors que les choix sont encore possibles, qu’il faut commencer à traiter ce problème.

    Votre rapporteur préconise donc un report de la commande du quatrième SNLE-NG afin de desserrer le double étau qui pèse sur nos capacités de dissuasion et de projection. Outre le fait que ce choix ne remet pas en cause la crédibilité de notre dissuasion, il faciliterait la constitution d’un groupe aéronaval cohérent en dégageant des marges de manœuvre financières.

        1. Le report du quatrième sous-marin nucléaire lanceur d’engins de nouvelle génération ne remettrait pas en cause la crédibilité et la cohérence de notre dissuasion

    Votre rapporteur est bien conscient du caractère quelque peu iconoclaste d’une telle proposition. Mais c’est précisément parce qu’il souhaite préserver les capacités de financement de la dissuasion dans un contexte budgétaire qui demeurera contraint qu’il estime nécessaire le report de la commande du quatrième SNLE-NG.

    Si l’on raisonne en termes de bilan coût-avantage, on voit en effet que l’impact positif de cette mesure serait supérieure à ses conséquences négatives.

    En termes stratégiques–c’est là la question primordiale-, quelles seraient les conséquences d’un report de la commande du dernier-né de la nouvelle génération de sous-marins ? Sachant qu’un parc de quatre sous-marins est nécessaire pour assurer la présence à la mer en permanence d’au moins un bâtiment de la FOST –deux en cas de crise-, il est clair que la crédibilité de notre dissuasion ne serait pas affectée par cette décision.

    Actuellement, quatre bâtiments sont en service dans la FOST : les trois premiers –l’Indomptable, le Tonnant et l’Inflexible- sont des sous-marins du type le Redoutable, admis au service actif respectivement en 1976, 1980 et 1985. Le dernier, le Triomphant, premier SNLE-NG, a été admis au service actif le 21 mars 1997. Le calendrier du passage de relais entre l’ancienne et la nouvelle génération est ainsi bâti :

    — fin 1999 : retrait du Tonnant

        admission au service actif du Téméraire,

        2ème SNLE-NG

    — fin 2003-mi 2004 : retrait de l’Indomptable

        admission au service actif du Vigilant

        3ème SNLE-NG

    — 2006-2008 Retrait de l’Inflexible

                    admission au service actif du 4ème SNLE-NG

    C’est cette dernière étape que votre rapporteur propose de modifier : comme les spécialistes l’ont confirmé, le maintien au service actif de l’Inflexible peut être prorogé jusqu’en 2010. Par conséquent, la commande du quatrième SNLE-NG peut être repoussée à l’échéance maximale de 2003-2004. Le délai sera-t-il suffisant pour que le quatrième SNLE-NG puisse être admis au service actif en 2010 ? Un regard rétrospectif sur le calendrier de construction du programme SNLE-NG permet de répondre positivement à cette question.

    Beaucoup a été dit, beaucoup a été écrit sur ce programme, qui, à l’instar de nombreux programmes d’équipements militaires, a connu de multiples vicissitudes. Ainsi, pour prendre l’exemple du Triomphant, la découverte de défauts de réalisation en 1993 puis quelques incidents lors des essais préliminaires se sont traduits à un report de six mois au total de la présentation aux essais officiels. Il faut également évoquer les retards techniques imputables aux industriels, essentiellement dus aux technologies très innovantes mises en œuvre sur ce programme. Le Triomphant, premier bâtiment de la série, a très logiquement pâti le plus de ces difficultés techniques, ainsi que le montre le tableau ci-dessous.

LE PROGRAMME SNLE-NG : CONSÉQUENCES DES
RETARDS TECHNIQUES IMPUTABLES AUX INDUSTRIELS

     

    TRIOMPHANT

    TEMERAIRE

    VIGILANT

    4ème SNLE-NG

    OBSERVATIONS

    1989

    8 mois

         

    Augmentation de la durée prévue des essais à la mer du Triomphant

    1993

    6 mois

    9 mois

    6 mois

     

    Prise en compte des difficultés techniques

    1996

    6 mois

           

    Il faut enfin compter avec les retards imputables aux décisions politiques d’étalement du programme, généralement liées à des préoccupations budgétaires de court ou moyen terme ou encore, dans le cas du quatrième sous-marin de nouvelle génération, à des modifications techniques (construction au standard du missile M 51). Le tableau suivant montre que ce phénomène n’a fait que s’accentuer avec l’avancée du programme.

PROGRAMME SNLE-NG : MODIFICATIONS DE CALENDRIER LIÉES À DES DÉCISIONS GOUVERNEMENTALES

       

      TRIOMPHANT

      TEMERAIRE

      VIGILANT

      4ème SNLE-NG

      OBSERVATIONS

      1991

      6 mois

      12 mois

      18 mois

      36 mois

       

      1996

         

      12 mois

      30 mois

       

      1997

         

      12 mois

         

      1998

         

      6 mois

      12 mois

      4ème SNLE-NG en version M51

    Comme on le voit ci-dessus, sans les retards accumulés, le Triomphant, premier bâtiment de la série, aurait pu être admis au service actif dès 1995, et non en 1997, soit sept ans et demi après sa commande. Et encore ce bâtiment, étant le premier de la série, a subi de nombreux retards techniques. Si l’on prend l’exemple du deuxième SNLE-NG, le Téméraire, commandé le 18 octobre 1989 et qui va être admis au service actif dix ans après sa commande, il aurait pu l’être dès 1995, soit seulement six ans après sa commande, sans les retards liés aux décisions gouvernementales, y compris les délais supplémentaires dus à des problèmes techniques.

    Ceci démontre qu’il est techniquement tout à fait possible de disposer en 2010 du 4ème SNLE-NG s’il est commandé vers 2003-2004.

    Votre rapporteur est conscient des objections que son analyse est susceptible de soulever et souhaite d’ores et déjà y répondre.

    · Tout d’abord, d’aucuns pourraient lui objecter que le programme SNLE-NG n’est pas le seul programme participant à la dissuasion : pourquoi, dès lors ne pas chercher de marges de manœuvre ailleurs, que ce soit sur le programme de simulation ou de missile M51 ?

    Une telle objection ne résiste pas à l’analyse : autant le report de la commande du quatrième SNLE-NG n’atteint pas la crédibilité de notre dissuasion, autant toute modification du calendrier des deux autres programmes majeurs de la dissuasion que sont la simulation et le M 51 remettrait en cause la cohérence, et donc la crédibilité, de notre outil de dissuasion.

    S’agissant tout d’abord du programme de simulation, il faut rappeler que, dans le contexte d’absence d’essais nucléaire, la garantie des armes de notre dissuasion ne peut plus être assurée que par la simulation. Or, la simulation repose certes sur des outils techniques ultramodernes tels que la machine de radiographie Airix et le laser mégajoule, mais également, et peut-être avant tout, sur les équipes chargés de la mettre en œuvre. Ce facteur humain est déterminant. Or, la formation et le renouvellement des équipes de chercheurs travaillant sur la fiabilité des armes posent un problème très concret : quand les concepteurs d’armes qui ont l’expérience des essais partiront en retraite, qui pourra former et évaluer leurs successeurs ? Car, dans ce domaine, les connaissances scientifiques sont une chose, l’acquisition d’un savoir-faire en est une autre. Le passage du relais entre l’ancienne et la nouvelle génération de chercheurs se trouve donc au cœur de la réussite du programme de simulation, dont il détermine le calendrier. Sachant que le nombre de concepteurs confirmés ayant participé aux essais nucléaires décroît rapidement par érosion naturelle liée aux départs en retraite et qu’en 2002, ils ne seront plus que dix, on comprend dès lors que le calendrier du programme de simulation est immuable. Ajoutons en outre que le coût annuel du programme de simulation, deux milliards de francs, ne permettrait pas de dégager des marges de manœuvre financières à la hauteur des enjeux.

    S’agissant ensuite du programme de missile balistique M 51, son report est tout aussi inenvisageable. La décision prise, lors de la revue des programmes en 1998, d’avancer la date d’achèvement de ce programme de 2010 à 2008, prouve d’ailleurs que ce débat n’a plus lieu d’être et qu’un consensus existe sur le calendrier de ce programme. Du point de vue de la crédibilité de la dissuasion, la mise au point du format M 5 est impérative, compte tenu des capacités accrues dont il est doté par rapport au missile M 4-M 45, notamment en termes de robustesse. Il faut ajouter que le programme M 51 est techniquement lié à la mise au point de la tête nucléaire océanique (TNO) qui remplacera la TN 75 à l’horizon 2015.

    Par conséquence, le programme SNLE-NG représente le seul programme majeur de la dissuasion sur lequel des marges de manœuvre existent.

    • La deuxième objection qui pourra être faite est financière. On a beaucoup glosé sur l’alourdissement du coût du programme SNLE-NG, largement dû aux multiples retards induits par les décisions gouvernementales d’étalement du programme.

    Votre rapporteur ne conteste pas la validité de cet argument qu’il convient toutefois de nuancer au regard des avantages considérables d’une telle décision pour l’équipement de nos armées d’une part et du caractère relativement modeste du dépassement par rapport au surcoût global du programme d’autre part.

    • Plus préoccupante en revanche est la délicate question du plan de charges de l’établissement de la Direction des constructions navales de Cherbourg, seul port français capable de construire des sous-marins nucléaires. Votre rapporteur ne méconnaît pas le lien consubstantiel entre Cherbourg et la dissuasion : sans la DCN Cherbourg, il n’y a pas de dissuasion, et inversement. Mais, pour autant, faut-il aller jusqu’à fixer le calendrier du programme SNLE-NG en fonction du plan de charges de l’établissement, comme on le fait en prévoyant la commande du dernier SNLE-NG pour 2000 ? D’autre part, il faut rappeler qu’outre le troisième SNLE-NG, qui sera admis au service actif en 2003, la DCN Cherbourg aura à construire les six exemplaires du sous-marin d’attaque futur entre 2001 et 2010.

        2. Il permettrait de garantir la cohérence de notre capacité de projection à travers le groupe aéronaval

    Le report de la commande du quatrième SNLE-NG ne remet pas en cause la crédibilité de notre dissuasion. Plus encore, il permettrait de dégager des marges de manœuvre susceptibles de garantir une meilleure cohérence de nos forces de projection, et notamment du groupe aéronaval.

    À ce moment de la démonstration qu’il a entreprise, votre rapporteur souhaite d’emblée désamorcer toute objection sur le supposé caractère binaire de son raisonnement. La question n’est pas de préférer le sous-marin ou le groupe aéronaval, ou l’inverse, ni de s’enfermer dans une fausse alternative. La question, répétons-le, est celle de la cohérence du format de nos armées : il faut dégager, aujourd’hui, des marges de manœuvre afin de préserver, demain, la cohérence de l’équipement des armées. Or, pour votre rapporteur, le problème de cohérence majeur qui se posera dans les années à venir est celui des matériels assurant la projection de forces, et notamment celle du groupe aéronaval.

    Peut-on, en effet, affirmer que la France disposera d’un groupe aéronaval cohérent pour les années à venir ? Pourra-t-elle atteindre le premier volet du concept de « manœuvre maritime », adopté par toutes les grandes marines du monde, qui consiste à aligner une force aéronavale et amphibie efficace, le second volet de ce concept étant l’aptitude à déployer, à titre préventif, des bateaux de surface et des sous-marins nucléaires d’attaque ?

    Si la France ne dispose que d’un seul porte-avions, elle ne le pourra pas, la permanence du groupe aéronaval à la mer n’étant assurée qu’à 60 %. En effet, dès 2004-2005, notamment, le porte-avions nucléaire Charles de Gaulle sera indisponible pour huit à dix mois au moins pour cause d’entretien. Et le scénario se reproduira tous les quarante-deux mois, avec, pour l’indisponibilité de 2008, une durée d’au moins dix-huit mois, en raison de la dépose de la chaudière nucléaire.

    Nos alliés ont déjà fait leur choix dans ce domaine. La Joint Vision 2010, document prévisionnel de référence des armées américaines, prévoit notamment douze porte-avions, douze bateaux d’assaut amphibies, une cinquantaine de sous-marins nucléaires d’attaque, et toujours quatorze SNLE. Le Royaume-Uni, avec lequel les comparaisons sont plus évocatrices, se fixe un objectif de deux porte-avions de 40 000 tonnes à l’horizon 2012.

    Il faut donc un deuxième porte-avions pour la France, et, pour ce faire, inverser les priorités en commandant le bâtiment avant le quatrième SNLE-NG dont la commande doit être repoussée à 2003-2004.

    Quel mode de propulsion faut-il adopter ?

    On va découvrir dans les années qui viennent à la fois le coût de fonctionnement et d’entretien ainsi que la difficulté de maintien en condition opérationnelle de la propulsion nucléaire. Certes les avantages de celle-ci existent à coup sûr et sont connus. Mais ces avantages n’existent qu’à un coût très élevé par rapport au diesel et surtout si la présence à la mer est assurée par plusieurs porte-avions. Il faut donc être très riche pour pouvoir se la payer.

    Si donc, pour ne pas cumuler les inconvénients de deux navires à propulsion nucléaire, le changement de système de propulsion était retenu, on sait que cette décision nécessiterait de réviser l’architecture du bâtiment et d’entreprendre de nouvelles études pour un montant d’au moins un milliard et d’une durée d’environ deux ans. Mais, en revanche, il est aujourd’hui très probable que le coût d’acquisition de ce nouveau porte-avions, forcément moins sophistiqué que le Charles de Gaulle, ne dépasserait pas 12 milliards de francs. Ce chiffre est à comparer aux 14 milliards de francs que coûterait le SNLE-NG.

    Si l’on se reporte aux deux calendriers évoqués ci-avant, on voit bien que pour échapper à l’indisponibilité majeure du groupe aéronaval des années 2008-2010, il y a lieu, après avoir différé le lancement du quatrième SNLE, de lancer dès cette année, les études pour un deuxième porte-avions à propulsion classique, en se fixant un objectif de mise en service vers 2008-2009.

    Faut-il s’en remettre à un porte-avions européen ?

    Au motif très vraisemblable que la France n’interviendrait plus que dans des opérations multinationales et que la mise en commun des capacités, en particulier avec la Grande-Bretagne, pourrait être envisagée, d’aucuns préconisent d’attendre les réflexions des Britanniques avant toute décision majeure. Ceci revient à dire que l’on attendrait de savoir si oui ou non les Britanniques vont investir dans un ou deux porte-avions, lesquels s’intégreraient à l’occasion dans le groupe aéronaval français, si besoin était.

    En dehors du fait que les informations que votre rapporteur a recueillies ne militent guère dans le sens d’un tel effort budgétaire anglais en direction de ces hypothétiques porte-avions, il ne peut imaginer que la France s’en remette ainsi, pour la mise en œuvre de l’essentiel de sa stratégie de projection, aux décisions budgétaires d’un de ses partenaires européens. A cet égard, rappelons ici le budget de défense absolument catastrophique que l’Allemagne s’apprête à voter pour l’an 2000. Enfin, personne aujourd’hui ne peut nous donner l’assurance que dans tel ou tel engagement, l’Angleterre n‘aura pas une position particulière excluant sa propre intervention.

    Par ailleurs, il n’est pas assuré que les porte-avions anglais, à supposer qu’ils soient réalisés, soient adaptables au groupe aéronaval français. En effet, la réflexion anglaise basée sur des navires dotés de systèmes rustiques avec équipages réduits empêcherait toute interopérabilité avec le GAN français. Or cette réflexion est effectivement en cours.

    En tout état de cause, donc, il ne saurait être question de s’en remettre au mirage de la coopération européenne pour éviter de poser une question à laquelle la France, doit, seule apporter la réponse. Elle ne l’a jusqu’alors pas fait, la loi de programmation militaire 1997-2002 étant, sur ce point, neutre puisqu’elle dispose que la construction d’un second porte-avions sera fonction des conditions économiques.

    Cette contrainte économique peut être levée aujourd’hui, à condition que les priorités d’équipement actuellement définies soient corrigées.

    Telle est la conviction du rapporteur des crédits de la dissuasion, qui tient à rappeler que le porte-avions participe à la manœuvre de dissuasion dont il représente un élément méconnu. En effet, les contraintes simplificatrices du discours politique d’une part, le poids des investissements dans les deux composantes essentielles, la composante océanique et la composante aérienne d’autre part, occultent le rôle du porte-avions. Il reste cependant que nos porte-avions, tant le Clemenceau ou le Foch hier, que le Charles de Gaulle aujourd’hui, ont eu et gardent la capacité nucléaire à travers les Super-Etendards et le Rafale marine nucléaire. L’embarquement et la présence des missiles nucléaires sur le navire restent soumis à une procédure secrète mais l’on peut constater que le Charles-de-Gaulle possède tous les dispositifs et toutes les soutes à munitions adaptés au traitement et à l’emploi éventuel de missiles nucléaires ASMP ou, demain, ASMP améliorés. On peut ainsi considérer que la construction d’un second porte-avions et la présence permanente à la mer du groupe aéronaval qui en résulterait constituerait une contribution non négligeable à la manœuvre nucléaire de la France, à la disposition du Chef de l’Etat, Chef des Armées. A l’inverse, il faut bien admettre qu’avec un seul porte-avions et la perspective d’une permanence opérationnelle tronquée et aléatoire, ou d’un recours à un porte-avions européen, cette ressource particulière de notre dissuasion serait particulièrement bancale.

    Telle est également la conviction du membre de la Commission de la Défense, et, en définitive, du citoyen préoccupé par la cohérence de notre politique de défense et de sécurité.

DEUXIÈME PARTIE :

LE FINANCEMENT DE LA DISSUASION NUCLEAIRE
DANS LE PROJET DE LOI DE FINANCES POUR 2000

    Le budget de la dissuasion nucléaire est sans conteste un budget complexe, du fait de son caractère interarmées. Il ne s’agit pas, en effet, d’examiner les crédits dévolus à telle ou telle armée mais bien ceux qui s’appliquent à l’une des quatre fonctions définies par la loi de programmation militaire 1997-2002. De ce fait, une approche horizontale est nécessaire, qui bouleverse l’organisation budgétaire fondamentale du ministère de la Défense, structurée autour de la notion de « gouverneur de crédit », plusieurs gouverneurs de crédits intervenant en effet dans la dissuasion.

    A cet égard, votre rapporteur ne peut que saluer la réorganisation des responsabilités budgétaires en matière de dissuasion au sein du ministère de la Défense, intervenue pour l’annuité budgétaire 1999. De fait, la réponse à la première partie de la question du « qui fait quoi ? » en matière de dissuasion était généralement omise. Il est vrai que l’édifice institutionnel dans ce domaine est complexe.

    Les changements importants intervenus dans ce domaine pour le budget de 1999 clarifient considérablement l’organisation budgétaire de la dissuasion.

    L’axe central de cette réforme est le transfert à l’Etat-major des armées d’une partie importante des crédits concourant à la dissuasion, dont la DGA avait jusqu’alors et depuis toujours, la responsabilité. Loin d’être une simple mesure d’ajustement technique, cette réduction du gouvernorat de crédits de la DGA, qui a perdu la responsabilité d’environ 5 milliards de francs, représente une rupture à la mesure du rôle historique joué par la DGA dans la mise en œuvre du programme nucléaire depuis 1961.

    Si cette réforme traduit le recentrage de la Délégation générale pour l’Armement sur ses missions premières, elle tire surtout les conséquences budgétaires du décret du 12 juin 1996 qui précise les responsabilités institutionnelles concernant les forces nucléaires.

LE DÉCRET N° 96-520 DU 12 JUIN 1996
PRÉCISANT LES RESPONSABILITÉS INSTITUTIONNELLES CONCERNANT LES FORCES NUCLÉAIRES

— La mission, la composition et les conditions d’engagement des forces nucléaires font l’objet de décisions arrêtées en Conseil de défense.

— Le Premier ministre prend les mesures générales d’application de ces décisions.

— Le Ministre de la Défense est responsable de l’organisation, de la gestion, de la mise en condition d’emploi des forces nucléaires et de l’infrastructure qui leur est nécessaire. A ce titre, il répartit les moyens constituant les forces nucléaires au sein de commandements de forces. Il fixe les attributions opérationnelles des commandants de ces forces. En outre, il détermine la composition, l’organisation et le fonctionnement de ces moyens.

— Le Chef d’état-major des Armées est chargé de préparer les plans d’emploi et les directives opérationnelles, de s’assurer de la capacité opérationnelle des forces nucléaires et des transmissions associées, de tenir informé le Ministre de la Défense et de rendre compte en Conseil de défense de l’état de ces moyens. Il est chargé de faire exécuter les opérations nécessaires à la mise en œuvre des forces nucléaires. Il s’assure de l’exécution de l’ordre d’engagement donné par le Président de la République.

    Notre force de dissuasion ne peut que gagner à cette mise en cohérence de l’organisation budgétaire avec les responsabilités institutionnelles. Comme il est écrit dans la loi de programmation militaire 1997-2002, « notre dissuasion entre dans une ère nouvelle ». Or, à l’évidence, la gestion par la DGA de crédits liés la mise en œuvre des programmes nucléaires était une survivance héritée du passé. Il n’était pas sain qu’existât une telle confusion entre la préparation des choix et la gestion du déroulement des programmes, constat qui est d’ailleurs à l’origine de la grande réforme entreprise depuis maintenant deux ans par la DGA. On pourrait même aller jusqu’à dire qu’une telle situation n’était pas souhaitable pour la crédibilité de notre force de frappe dans la mesure où l’autorité responsable de la préparation des plans d’emploi et du maintien des capacités opérationnelles des forces nucléaires, à savoir l’Etat-major des armées, n’exerçait qu’une responsabilité limitée sur les crédits afférents.

    Désormais donc, il existe, au sein du ministère de la défense, quatre responsables bien identifiés des crédits de la dissuasion : l’Etat-major des Armées, la DGA, la Marine et l’armée de l’Air. Ce panorama serait bien entendu incomplet si on n’y ajoutait pas le rôle éminent du Commissariat à l’Energie Atomique, et notamment de la direction des applications militaires (DAM), la dissuasion française étant « l’œuvre commune »du Commissariat à l’Energie Atomique et du ministère de la Défense.

    Le tableau ci-contre permet de mieux comprendre l’organisation budgétaire de la dissuasion et d’appréhender le poids respectif de chacun des deux grands protagonistes que sont le ministère de la Défense et le CEA-DAM. Au regard des quelques sept milliards de francs de crédits transférés du ministère de la Défense au CEA, on voit que l’expression d’« œuvre commune » garde toute sa validité aujourd’hui, le ministère de la Défense gérant 55 % des crédits de la dissuasion et le CEA les 45 % restant.

    Au sein même du ministère de la défense, on perçoit le rôle désormais prééminent de l’Etat-major des armées, et, à l’inverse, celui, maintenant réduit aux études amont et à une partie des crédits liés à la propulsion nucléaire, de la DGA. Ce constat doit toutefois être nuancé par le fait que la DGA est présente dans le service mixte des chaufferies nucléaires de propulsion navale (STXN), qui regroupe les trois acteurs de la propulsion nucléaire (Marine, CEA et DGA).

    Au sein du ministère de la Défense, l’Etat-major des armées est désormais le principal gouverneur de crédits dans le domaine de la dissuasion (36 % des dotations budgétaires). La DGA reste le second gouverneur, avec 34,5 % des dotations. Le poids de l’état-major de la Marine (25 % des dotations budgétaires) traduit le rôle prééminent de la force océanique stratégique dans la dissuasion.

    L’ORGANISATION BUDGÉTAIRE DE LA DISSUASION

    Gouverneur
    de crédit

    Chapitre et article budgétaire

    Montant
    des AP

    Montant
    des CP

    Montant total
    des crédits gouvernés

    Transfert(1)
    au CEA

       

    (en millions de francs)

    (en millions de francs)

     

    AIR

    Ch. 51.71-11 – Forces nucléaires

    505

    796,3

    505

    796,3

    non

    MARINE

    Ch. 51.71-31 – Programme SNLE-NG

    Ch. 51.71-32 – FOST hors SNLE

    Ch. 51.71-34 – MCO(2) SNLE

    Ch. 51.71-35 – Aéronautique navale
    Adaptation des moyens aériens

    1 484,5

    1 771

    3 523,3

    3 852,1

    oui

       

    1 901,8

    1 967,1

       

    non

       

    137

    113

       

    non

       

    1

       

    non

    DGA

    Ch. 51.71-51 – Armement et propulsion
    nucléaires

    Ch. 51.71-57 – Etudes amont domaine nucléaire

    Ch. 51.71-41 – Infrastructures(3)

    5 419,3

    5 181,4

    5 661,3

    5 488,4

    oui

                 
       

    240
    2

    305
    2

       

    non

    Etat-major
    des Armées

    Ch. 51.71-61 – Charges nucléaires

    1 581

    1 609

       

    oui

     

    Ch. 51.71-62 – Missiles stratégiques

    Ch. 51.71-63 – Transmissions nucléaires

    Ch. 51.71-64 – Programme M51

    Ch. 51.71-65 – Systèmes nucléaires

    Ch. 51.71-66 – Véhicules spéciaux (4)

    Ch. 51.71-62 – Etudes technico-opérationnelles

    1 876,1

    1 784,1



    8 733,1



    5 718,1

    non

       

    187

    302

       

    non

       

    5 054

    1 980

       

    non

       

       

    non

       

    16

    24

       

    non

       

    19

    19

       

    non

    (1) Le transfert peut être partiel.

    (2) MCO : maintien en condition opérationnelle.

    (3) BEM Monge.

    (4) Charge utile de l’avion ASTARTE.

    I. — LA DISSUASION DANS LE PROJET DE LOI DE FINANCES POUR 2000

    Le budget de la dissuasion nucléaire pour 2000 présente deux caractéristiques.

    Tout d’abord, il perpétue le décalage entre les crédits prévus par la loi de programmation militaire 1997-2002 et les crédits ouverts par les lois de finances initiales successives depuis 1997. En cela, il met à mal la théorie de « l’encoche » qui avait permis au ministre de la Défense de justifier la forte réduction des crédits de paiement ouverts par la loi de finances initiale pour 1998. En l’occurrence, pour ce qui concerne le budget de la dissuasion, c’est d’une baisse tendancielle qu’il faut parler, qui va au-delà des dispositions de la loi de programmation militaire 1997-2002 sur ce sujet.

    En outre, il se distingue par une déconnexion entre autorisations de programme et crédits de paiement, beaucoup plus favorable que celle que votre rapporteur avait relevée l’an dernier, les autorisations de programme étant, dans le projet de loi de finances pour 2000, supérieures de 2,6 milliards de francs aux crédits de paiement, alors qu’elles étaient en retrait de 3,3 milliards de francs l’an dernier par rapport à ce même référent.

      A. UN ECART CROISSANT AVEC LES PREVISIONS DE LA LOI DE PROGRAMMATION MILITAIRE

    La loi de programmation militaire 1997-2002 définit le cadre d’évolution des crédits de la dissuasion selon deux critères.

    En premier lieu, elle dispose que l’enveloppe totale de ces crédits sur la période 1997-2002 s’établit à 105,8 milliards de francs 1995, selon l’échéancier suivant.

    ECHEANCIER INITIAL DES MOYENS DEVOLUS A LA DISSUASION NUCLEAIRE PAR LA LOI DE PROGRAMMATION MILITAIRE 1997-2002

    (en millions de francs courants jusqu’en 1999, constants à partir de 1999)

    Années

    1997

    1998

    1999

    2000

    2001

    2002

    Total

    Autorisations de programme

    19760

    18626

    18896

    18840

    16745

    16398

    109 265

    Crédits de paiement

    18896

    18805

    18682

    18323

    18003

    17794

    110 503

    Source : Ministère de la Défense

    En second lieu, elle détermine le niveau des crédits de la dissuasion nucléaire en termes relatifs puisqu’elle dispose qu’il devra être inférieur à 20 % de l’ensemble des crédits d’équipement militaire.

    Alors que nous abordons la quatrième annuité de la loi de programmation militaire, force est de constater qu’il y a loin des dispositions légales aux réalisations effectives. On observe ainsi que l’écart entre les crédits prévus par l’échéancier de la loi de programmation militaire et les crédits successivement inscrits dans les lois de finances initiales s’accroît encore, après s’être stabilisé aux environs de 11 % en 1999. Si l’on raisonne en montants cumulés, le constat vaut tout autant.

    ÉCART ENTRE LES PRÉVISIONS DE LA LOI DE PROGRAMMATION MILITAIRE 1997-2002 ET LES CRÉDITS DE PAIEMENT OUVERTS EN LOI DE FINANCE INITIALE (1)

             

    Ecart entre crédits programmation et crédits loi de finances initiale

     

    Crédits
    programmation

    Crédits loi de finances initiale

    Par annuité

    Sur les montants cumulés

     

    Annuité

    Cumul

    Annuité

    Cumul

    - 0,25 %

    - 11,83 %

    - 11,01 %

    - 14,41 %

    - 0,25 %

    - 6,00 %

    - 7,70 %

    - 9,30 %

    1997

    18896

    18896

    18848

    18848

       

    1998

    18805

    37701

    16580

    35428

       

    1999

    18682

    56383

    16624

    52052

       

    2000*

    18323

    74706

    15682

    67734

       

    * Projet de loi de finances

    (1) En millions de francs courants jusqu’en 1999, en millions de francs 1999 en 2000

    Même si l’on corrige le montant cumulé des annuités des diminutions de crédits induites par les décisions prises par la revue des programmes en matière de dissuasion nucléaire, l’écart avec les prévisions de la loi de programmation reste élevé, à 7 %. Ce sont en effet quelque 2 milliards de francs qui ont été retirés au budget de la dissuasion à la suite de la revue des programmes, soit 763 millions de francs au titre de la révision du calendrier du programme SNLE-NG (retard de six mois de l’admission au service actif du Vigilant ainsi que du quatrième bâtiment du programme), 400 millions de francs au titre de l’anticipation du retrait du service actif du système ASTARTE, un milliard de francs sur les études, 225 millions de francs supplémentaires venant en revanche s’ajouter au budget initialement prévu suite aux décisions prises sur le programme M51 (adaptation des SNLE).

      B. UN BUDGET AMBIGU

    L’effort budgétaire en faveur de la dissuasion s’établit, dans le projet de loi de finances pour 2000 à 18,42 milliards de francs en autorisations de programme et à 15,85 milliards de francs en crédits de paiement. Les deux tableaux suivants permettent d’appréhender la répartition des crédits, par chapitre pour le premier, par poste de dépenses pour le deuxième.

LES CRÉDITS BUDGÉTAIRES DE LA DISSUASION EN 2000 :
RÉPARTITION PAR CHAPITRE

    (en millions de francs courants)

     

    Autorisations de programme

    Crédits de paiement

    5171 – Forces nucléaires

    18 162

    15 529

    5281 – Etudes

    259

    324

    5441 – Infrastructures*

    2

    2

    TOTAL

    18 423

    15 855

    *Travaux se rapportant au BEM (bâtiment d’expérimentation de la Marine) Monge

LES CRÉDITS BUDGÉTAIRES DE LA DISSUASION EN 2000 :
RÉPARTITION PAR CATÉGORIES DE COÛT

    (en millions de francs courants)

     

    Autorisations de programme

    Crédits de paiement

    Etudes

    1 280

    1 343

    Développements et prototypes

    7 855

    4 445

    Fabrications

    2 754

    3 631

    Maintien en condition opérationnelle

    4 720

    4 697

    Infrastructure et divers

    1 813

    1 739

    TOTAL

    18 423

    15 855

    D’emblée, ce projet de budget frappe par la déconnexion qu’il opère entre autorisations de programme et crédits de paiement, au détriment de ces derniers. Ainsi, alors que les autorisations de programme augmentent de 38,13 % en francs courants (36,6 % en francs constants), les crédits de paiement enregistrent une baisse de 4,62 % en francs courants (5,66 % en francs constants).

    Si l’évolution erratique des autorisations de programme est assez complexe à expliquer, en revanche, s’agissant des crédits de paiement, le constat est simple, comme le montre le tableau suivant. Loin d’être une encoche, la chute des crédits d’équipement de la dissuasion nucléaire entre 1997 et 1998, qui s’inscrit certes dans une tendance à la baisse de long terme, a cependant accéléré l’évolution, allant en cela au-delà des dispositions de la loi de programmation militaire qui prévoyait une décrue plus régulière.

    CRÉDITS OUVERTS EN LOI DE FINANCES INITIALE POUR LA DISSUASION DEPUIS 1990

     

    En millions de francs courants

    En millions de francs 1999

     

    Autorisations de programme

    Crédits de paiement

    Autorisations de programme

    Crédits de paiement

    1990

    31 320

    32 089

    36 532

    37 429

    1991

    31 291

    31 024

    35 452

    35 150

    1992

    26 136

    29 866

    29 033

    33 177

    1993

    21 789

    26 420

    23 656

    28 684

    1994

    20 914

    21 721

    22 331

    23 193

    1995

    19 464

    20 745

    20 441

    21 786

    1996

    18 479

    19 452

    19 130

    20 137

    1997

    19 689

    18 848

    20 092

    19 236

    1998

    16 402

    16 580

    16 586

    16 762

    1999

    13 337

    16 624

    13 337

    16 624

    2000(*)

    18 423

    15 855

    18 222

    15 682

    (*) projet de loi de finances

        1. Le niveau des autorisations de programme : un rattrapage bienvenu qui ne lève cependant pas toutes les inquiétudes

    Votre rapporteur ne peut que se réjouir de la très forte hausse du niveau des autorisations du programme, due en grande partie à la modification du calendrier du programme M51 décidée par la revue des programmes. Sans doute s’agit-il donc, de ce point de vue, d’un budget qui prépare l’avenir. Cette hausse est-elle pour autant un effort budgétaire exceptionnel ? Si l’on observe l’évolution des autorisations de programme de la dissuasion nucléaire dans les lois de finances initiales récentes, elle apparaît bien plutôt comme un rattrapage partiel.

    Les chiffres sont là : même si la baisse des autorisations de programme de la dissuasion nucléaire est une tendance lourde depuis maintenant une décennie, c’est véritablement un décrochage historique du niveau des autorisations de programme qui s’est opéré entre 1997 et 1998. Entre 1997 et 1998, les autorisations de programme ouvertes en loi de finances initiale sont ainsi passées de 19,68 milliards de francs à 16,4 milliards de francs. Il s’agit là de ce qui a été décrit à l’époque comme une « encoche ». Plus inquiétant encore est le niveau catastrophique qu’elles ont atteint en 1999, à 13,34 milliards de francs. Sans doute, ce chiffre n’est-il pas représentatif des autorisations de programme disponibles ni des engagements effectifs. Mais à tout le moins peut-on dire qu’il constitue un signal négatif pour l’avenir, sauf à penser que les gestionnaires de crédits de la dissuasion disposent d’une masse importante d’autorisations de programme disponibles héritées des précédentes lois de finances initiales. On peut en douter cependant, au regard de la réforme des autorisations de programme engagée par le ministère de la Défense, qui vise précisément à « éponger » cette masse d’autorisations de programme dites « dormantes » et à rétablir le lien entre les autorisations de programme et les crédits de paiement.

    Sans doute l’augmentation de quelque 5 milliards de francs des autorisations de programme dans le projet de loi de finances pour 2000 vient-elle corriger ce signal négatif. Comme il a été dit précédemment, elle correspond largement à la mise en œuvre de l’accélération du programme de missile M 51, avancé par la revue des programmes de 2010 à 2008 : ainsi, alors qu’aucune autorisation de programme n’avait été ouverte sur ce programme dans la précédente loi de finances initiale, le projet de budget pour 2000 ouvre 5,04 milliards de francs à l’article du chapitre 51-71 « Forces nucléaires » consacré au programme M 51.

    Faut-il considérer que toute inquiétude est pour autant levée ? L’évolution assez heurtée des autorisations de programme en matière nucléaire, qui se caractérise par un double mouvement de baisse et d’instabilité, peut en effet susciter quelques interrogations. Notamment, la chute en valeur absolue du niveau des autorisations de programme en matière de dissuasion en 1998 et 1999 ne manquera pas de produire des effets particulièrement sensibles sur le niveau des crédits de paiement à venir. Le niveau des crédits de paiement dans le projet de budget pour 2000 en témoigne déjà. Mais c’est sans doute dans les deux dernières annuités de la loi de programmation militaire que l’évolution des autorisations de programme se ressentira plus encore.

        2. Des crédits de paiement à nouveau en baisse

    D’ores et déjà donc, l’annuité 2000 voit les crédits consacrés à la dissuasion atteindre un niveau historiquement bas, à 15,85 milliards de francs. Sans doute la baisse des crédits consacrés à la dissuasion est-elle inscrite dans la loi de programmation qui précise que la part de ces crédits sera, en fin de période de programmation, inférieure à 20 % du titre V du budget de la Défense. Cet objectif a été atteint dès 1998, pour être largement dépassé en 1999, la loi de finances initiale fixant la part des crédits de la dissuasion nucléaire à 19,3 % du total des crédits d’équipement. En 2000, cette proportion baissera encore pour s’établir à 19,1 %.

    Sans doute les crédits de paiement sont-ils les engagements d’hier : ainsi, du fait de cet automatisme technique, le niveau des crédits de paiement pour l’annuité 2000 serait mécaniquement déductible des engagements passés. Le ministère de la défense argue ainsi des faibles niveaux d’engagement réalisés en 1995 et 1996 pour justifier la limitation des crédits de paiement sur le titre V pour 2000.

    Cette explication n’est que partiellement satisfaisante. Seule une partie des paiements réalisés en 2000 correspond à des engagements passés en 1995 et 1996. Pour le reste, il faut se tourner vers les engagements effectués en 1997 et 1998, les clés de paiement pour certains programmes étant plus courtes que veut bien le laisser croire le ministère de la Défense. Or, le bon niveau des engagements réalisés en 1997 et en 1998 pour le Titre V (respectivement 80,2 et 80,7 milliards de francs) ne se retrouve pas dans le projet de budget de la dissuasion pour 2000. Plus encore, comme votre rapporteur l’a fait observer précédemment, même si le niveau des autorisations de programme ouvertes en loi de finances initiale n’est pas celui des autorisations de programme effectivement engagées, le décrochage des autorisations de programme de la dissuasion en 1999 (- 18,7 % par rapport à 1998) ne peut qu’inciter au pessimisme.

    Il faut mentionner par ailleurs que les crédits de paiement de la dissuasion ont fait l’objet, en 1999, d’une annulation de 488 millions de francs, dans le cadre du financement des dépenses liées aux opérations extérieures notamment, par le décret d’avances du 30 août 1999.

    CONSEQUENCES DES ANNULATIONS DE 1999 SUR LES CREDITS DE LA DISSUASION

    (en millions de francs)

    Article budgétaire

    Libellé

    Armée concernée

    Montant annulé

    Chapitre 51-71/11

    Forces nucléaires (SPAé)

    Air

    10

    Chapitre 51-71/32

    FOST hors SNLE (SPN)

    Marine

    186

    Chapitre 51-71/62

    Missiles stratégiques (SPNuc)

    EMA

    160

    Chapitre 51-71/63

    Transmissions nucléaires (SPOTI)

    EMA

    61

    Chapitre 51-71/64

    Programme M51 (SPnuc)

    EMA

    71

    Total

    488

    Sans doute faut-il se réjouir que, d’une part, les crédits transférés au CEA n’aient pas été touchés et que, d’autre part, la partie des crédits de la dissuasion dans le montant total des crédits annulés soit inférieure à leur part dans le budget d’équipement (12,2 % contre 19,3 %).

    Toutefois, d’après les données fournies par le ministère de la Défense, cette annulation pourrait se traduire en fin de gestion par l’apparition d’un report de charges de 100 millions de francs environ, en particulier pour le programme M51, à condition toutefois qu’une régulation budgétaire ultérieure n’intervienne pas, ce qui ne pourrait qu’aggraver ce phénomène.

      C. LA BAISSE DES CRÉDITS TRANSFÉRÉS AU CEA

    Les crédits destinés au financement des activités du CEA pour les programmes de défense s’élèveront en 2000 à 6,94 milliards de francs en autorisations de programme et 6,73 milliards de francs en crédits de paiement, hors crédits Marine, soit une diminution de 0,8 % en autorisations de programme et de 3 % en crédits de paiement par rapport aux crédits pour 1999. Si l’on inclut les crédits transférés de la Marine, le CEA devrait disposer de 7,27 milliards de francs d’autorisations de programme et de 7,02 milliards de francs de crédits de paiement en 2000, soit une diminution des autorisations de programme de 0,4 % et des crédits de paiement de 5 %.

    TRANSFERTS DU MINISTÈRE DE LA DÉFENSE
    VERS LE CEA EN 1999 ET EN 2000

    (En millions de francs courants)

     

    Ressources 1999

    Ressources 2000(3)

     

    AP

    CP

    AP

    CP

    Chapitre 51 71 (1)

           

    Article 31 (programme SNLE NG

    57,0

    172,3

    67

    56,1

    Article 32 (force océanique stratégique hors SNLE NG)

    70,5

    70,5

    51

    68

    Article 51 (armement et propulsion nucléaires)

    5 486,0

    5 448,0

    5 358,3

    5 120,4

    Article 61 (charges nucléaires)

    1 512,0

    1 487,0

    1 581,0

    1 609,0

    Sous-total 51.71

    7 125,5

    7 177,8

    7 057,3

    6 853,5

    Chapitre 53 81

           

    Article 62 (programmes et constructions neuves)

    20,2

    18,2

    40

    17,2

    Article 71 (programme PA CdG)

    7,4

    109,0

    49

    66,6

    Sous-total 53.81

    27,6

    127,2

    89

    83,8

    Chapitre 55 11 (2)

           

    Article 37 (équipements militaires à terre)

    8,1

    8,1

    12

    7,8

    Sous-total 55.11

    8,1

    8,1

    12

    7,8

    Chapitre 55 21 (2)

           

    Article 33 (maintien en condition opérationnelle des bâtiments)

    86,9

    79,5

    118

    76,3

    Sous-total 55.21

    86,9

    79,5

    118

    76,3

    TOTAL

    7 248,1

    7 392,6

    7 276,3

    7 021,4

    (1) Le Chapitre 51 71 regroupe l’ancien chapitre 51 70 et la pars SNLE et FOST de l’ancien chapitre 53 80

    (2) Ces trois chapitres sont issus de l’ancien chapitre 53 80

    (3) Prévisions

    La diminution des crédits de paiement s’explique en partie par la réduction automatique des crédits de la Marine liée à l’évolution des programmes. Pour le reste, cette réduction aura une incidence sur les programmes, le CEA estimant avoir déjà réduit ses frais généraux au maximum en ce qui concerne son activité défense, notamment par la fermeture de deux centres et par la diminution des effectifs de 7 000 en 1998 à 4 500 en 2000. Devraient être notamment touchées, très légèrement, les opérations d’assainissement menées dans la Vallée du Rhône et, éventuellement, le programme de tête nucléaire océanique qui subirait un léger décalage.

    II. — PRÉPARER L’AVENIR : LES GRANDS PROGRAMMES DE LA DISSUASION

        Le projet de budget de la dissuasion pour 2000 devrait permettre de poursuivre les deux grands axes de la politique d’équipement de la dissuasion :

        — la modernisation de notre outil de dissuasion, en cohérence avec le modèle d’année 2015. L’effort porte tout autant sur les deux composantes, balistique et aéroportée, de la dissuasion que sur la simulation ou les transmissions ;

        — la gestion des restructurations liées aux décisions d’abandon de la composante terrestre, d’arrêt de la production des matières fissiles et des essais nucléaires.

    LES MOYENS FUTURS DES FORCES NUCLÉAIRES

     

    1996

    2002

    Modèle de référence (2015)

    Dissuasion nucléaire

    5 SNLE dont 1 NG

    1 lot TN 75

    Mirage 2000 N/ASMP

    18 Mirage IV P/ASMP

    Super Etendard ASMP

    4 SNLE dont 3 de nouvelle génération

    2 lots TN 75

    Mirage 2002 N/ASMP

    et

    Super Etendard ASMP

    4 SNLE-NG

    3 lots TNO***

    Rafale / ASMP

    Simulation

     

    LMJ* phase 1 (LIL)**

    LMJ* pleine puissance

    * Laser mégajoule

    ** Ligne d’intégration laser

    *** Tête nucléaire océanique

      A. LES ÉTUDES AMONT

    Les études amont du domaine nucléaire concernent essentiellement quatre domaines :

    — la réduction du coût global de possession des systèmes d’armes participant à la dissuasion, incluant des actions sur les propulseurs et sur la conception des chaînes fonctionnelles ;

    — l’amélioration des performances opérationnelles face à l’évolution de la menace, avec des travaux portant sur la pénétration des missiles balistiques, le recalage et la navigation des SNLE, la précision des systèmes d’armes nucléaires, la discrétion des SNLE, la lutte sous-marine et la guerre des mines, la pénétration des missiles aérobies, les performances et la survie des transmissions nucléaires ;

    — la sûreté nucléaire, avec notamment des travaux sur la connaissance des réponses des propulseurs à poudre aux diverses agressions et sur l’amélioration des méthodologies d’acquisition de la sûreté ;

    — le maintien de la capacité nationale en matière de conception et de réalisation des armes nucléaires et la simulation du fonctionnement de ces armes.

    Votre rapporteur ne dispose pas à ce jour du détail des crédits consacrés aux études amont. Il rappellera seulement que 259 millions de francs en autorisations de programme et 324 millions de francs en crédits de paiement sont inscrits au chapitre 52-81 « Etudes » pour la dissuasion, contre respectivement 262,4 millions de francs et 374,6 millions de francs dans la loi de finances initiale pour 1999.

      B. LES PROGRAMMES LIÉS AUX DEUX COMPOSANTES DE LA DISSUASION

    Si, face aux menaces et aux risques d’aujourd’hui et de demain, la dissuasion nucléaire garde toute sa légitimité, le Chef de l’Etat, tirant profit du répit qu’offre la situation stratégique actuelle et conforté par les résultats de l’ultime série d’essais nucléaires, a décidé une réduction des moyens et une adaptation de la posture nucléaire, dans le respect des principes de suffisance et de crédibilité.

    Notre dissuasion repose sur deux composantes complémentaires et modernes capables de répondre ensemble à toutes les situations politiques et militaires justiciables de la dissuasion. Elle comprend ainsi, outre la composante balistique emportée par sous-marins, une composante aéroportée bâtie autour de missiles aérobies.

    Tenant compte de la permanence de certains risques et des évolutions favorables de l’environnement international, la loi de programmation militaire 1997-2002 représente la traduction juridique de la décision prise par le Chef de l’Etat, le 23 février 1996, de privilégier et de moderniser les deux composantes balistique et aéroportée de la dissuasion française.

    Le projet de budget pour 2000 répond globalement à cet objectif de modernisation, s’agissant notamment de la composante balistique emportée par les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, d’ancienne et de nouvelle génération.

LES CRÉDITS BUDGÉTAIRES DE LA DISSUASION EN 2000 :
RÉPARTITION PAR PROGRAMME

    (en millions de francs courants)

     

    AP

    CP

    SNLE-NG

    1 485

    1 771

    Adaptation M51 des SNLE-NG

    485

    358

    M51

    5 054

    1 980

    M4 & M45

    0

    107

    TN75

    637

    666

    TNO

    417

    393

    ASMP amélioré

    745

    206

    TNA

    329

    334

    Simulation

    1 899

    1 794

    Démantèlement des usines de matières

    716

    705

    Programme RES

    191

    226

    SYDEREC

    0

    193

    TRANSFOST (étape 2)

    0

    100

    Autres dont maintien en condition opérationnelle

    6 465

    7 022

    TOTAL

    18 423

    15 855

        1. La force océanique stratégique

    La force océanique stratégique (FOST) représente la composante balistique de notre système de dissuasion. Elle repose sur trois éléments : la plate-forme, c’est-à-dire les sous-marins lanceurs d’engins, les vecteurs et la tête nucléaire elle-même.

    La loi de programmation militaire 1997-2002 redéfinit un nouveau format pour la FOST : au lieu de cinq sous-marins du type le Redoutable, le format de la FOST est ramené à quatre SNLE en 2002, dont trois seront des sous-marins de nouvelle génération du type le Triomphant. Quant aux vecteurs, ils seront modernisés : les sous-marins seront armés de deux lots de missiles M 45 et d’un lot de M 4 équipé de la TN 71, au lieu d’un lot de M 45 et trois lots de M 4.

        a) La propulsion navale : le programme de réacteur d’essais (RES)

    · Souvent oubliés ou méconnus, ou alors évoqués en incidente lorsque des difficultés se produisent – on citera à cet égard les multiples polémiques autour des difficultés rencontrées par les chaufferies nucléaires du porte-avions Charles de Gaulle –, les programmes de propulsion navale nucléaire sont pourtant au cœur de notre dissuasion, tant d’un point de vue historique et technique qu’en termes stratégiques.

    Historiquement tout d’abord, il faut rappeler que c’est la divergence du réacteur du prototype à terre (PAT) en 1954 qui marque l’acte de naissance de ce qui sera en 1972, avec la première patrouille du Redoutable, la force océanique stratégique. C’est en effet à partir de cette installation expérimentale basée à terre qu’est mis au point le système de propulsion nucléaire des sous-marins. Depuis lors, la France a gardé le principe d’une expérimentation à terre des systèmes de propulsion nucléaire, à partir de laquelle est, en outre, organisée la formation des équipages.

    Par la suite, en effet, la mise au point des chaudières nucléaires embarquées et la qualification des cœurs ou des générateurs de vapeur ont été effectuées grâce aux installations du CEA exploitées par Technicatome à Cadarache, particulièrement grâce à un réacteur d’essais basé à terre, le RNG (réacteur de nouvelle génération), dérivé de la chaufferie avancée prototype (CAP) datant de 1975, mais modernisé pour le programme de sous-marins et de porte-avions nucléaire. La réalisation et l’exploitation de ces installations sont confiées au CEA et au STXN, service technique mixte créé en février 1993, et rassemblant des personnels du CEA, de la DCN et de l’état-major de la Marine.

    En termes stratégiques, il n’est nul besoin de souligner l’impact sur la crédibilité de notre dissuasion de la discrétion acoustique et de l’autonomie des SNLE assurées par la propulsion nucléaire.

    · La propulsion nucléaire fait, depuis 1993, l’objet d’une organisation particulière. Il importait en effet d’optimiser au mieux les crédits destinés à la propulsion navale, notamment dans le cadre de la mise au point des chaudières du porte-avions Charles de Gaulle.

CRÉDITS TRANSFÉRÉS PAR LE MINISTÈRE DE LA DÉFENSE AU CEA POUR LA PROPULSION NAVALE NUCLÉAIRE DEPUIS 1990

    En millions de francs courants

    1990

    1991

    1992

    1993

    1994

    1995

    1996

    1997

    1998

    1999*

    Autorisations de programme

    677

    462

    711

    700

    791

    512

    626

    563

    350

    250

    Crédits de paiement

    735

    462

    738

    645

    747

    531

    691

    673

    483

    365

    * Prévisions de transfert au cours de cette année

    Ainsi, s’agissant de l’organisation des flux de crédits budgétaires, les activités relatives à la propulsion navale nucléaire sont financées par les crédits venant de la DGA et de la Marine.

    Les crédits budgétaires Marine destinés au financement de la propulsion navale nucléaire sont gouvernés par l’état-major de la Marine (EMM) et gérés par le service des programmes navals (SPN). Ils ont pour origine les ressources mises en place pour les programmes et opérations concernés. Les crédits Marine sont en principe transférés chaque année, en deux fois, aux premier et dernier trimestre.

    Le montant des crédits transférés est arrêté sur décision de l’EMM, suivant les besoins financiers exprimés par le CEA. Ces besoins résultent des contrats passés entre le SPN et le CEA/mission propulsion pour mener les actions décidées. Les crédits transférés au CEA financent les prestations qui relèvent de sa responsabilité en tant que maître d’ouvrage. Ils sont alors gérés par le CEA, et notamment par le service technique mixte des chaudières nucléaires de propulsion navale(STXN).

    Ce service est né le 4 février 1993 d’un protocole tripartite signé par le Délégué général pour l’Armement, l’Administrateur général du commissariat à l’énergie atomique et le Chef d’état-major de la Marine. Différents partenaires, le CEA, la Marine et la DGA, ont regroupé dans cette structure mixte commune leurs moyens techniques centraux (bureau des chaufferie nucléaires de la direction des constructions navales, bureau matériel-énergie-propulsion de l’état-major de la Marine, personnels travaillant pour le directeur délégué à la propulsion navale du CEA).

    Le STXN est constitué d’une quarantaine de personnes mises à disposition pour une durée déterminée par l’EMM, la DGA et le CEA. Au 1er janvier 1999, l’effectif était de 37 personnes, soit 5 membres de la Marine, 8 membres de la DGA et 24 du CEA. Les personnels conservent leur statut d’origine, à l’exception du chef du STXN qui, s’il n’appartient pas au CEA, est détaché au CEA pour la durée de son affectation. Compte tenu du caractère tripartite du STXN, le chef du STXN est nommé par l’Administrateur général du CEA avec l’accord explicite du Chef d’état-major de la Marine et du Délégué général à l’Armement. Il peut cumuler cette fonction avec celle de directeur délégué à la propulsion nucléaire du CEA. Le STXN est implanté au siège du CEA et lui est rattaché. Le CEA assure la gestion et veille au bon fonctionnement de ce service, dont le budget s’établit à 24 millions de francs, 13,2 millions de francs provenant des crédits gouvernés par la DGA dans le chapitre 51-71 et les 11 millions de francs restants étant financés par les crédits Marine gérés par les directeurs de programme auxquels le STXN apporte un soutien (Cœlacanthe, Barracuda, porte-avions Charles de Gaulle et flotte en service).

    Les chaufferies nucléaires de propulsion navale et les installations à terre nécessaires à leur soutien constituent le domaine d’activité du STXN. Les principaux objectifs assignés au STXN par les trois autorités de tutelle sont :

    — assurer la sûreté des chaufferies nucléaires et la démontrer ;

    — améliorer la disponibilité des bâtiments à propulsion nucléaire ;

    — maîtriser et réduire les coûts.

    C’est donc aux STXN que revient la prise en charge du programme de réacteur d’essais (RES), qui absorbe 226 millions de francs des 292 millions de francs de crédits de paiement qui devraient être transférées en 2000 au CEA pour la propulsion navale et 191 millions de francs des 337 millions de francs d’autorisations de programme.

    Ce programme est destiné à remplacer le RNG. La préparation de la prochaine génération de chaufferies destinées aux sous-marins d’attaque de nouvelle génération et le soutien des chaufferies en service nécessitent la réalisation de nouvelles installations (programme RES 2001) comportant un réacteur, le renouvellement de la pile AZUR pour valider les essais neutroniques et des installations de stockage de combustible.

        b) Les sous-marins lanceurs d’engins

    La configuration actuelle de la composante océanique est la traduction directe du nouveau contexte stratégique, la Marine ayant reçu mission d’avoir la capacité de maintenir un sous-marin lanceur d’engins en permanence à la mer et deux en cas de crise. En effet, au regard de la nouvelle donne stratégique, on peut considérer que, hors temps de crise, le seul risque qu’encourt ce type de bâtiment est d’ordre technique (indisponibilité matérielles, fortune de mer). Afin d’éviter que ce type d’incident ne vienne fragiliser notre dissuasion – car comment exclure la probabilité que cette avarie soit publique ? -, il convient de disposer en permanence d’un sous-marin de remplacement, susceptible d’appareiller dans des délais raisonnables.

    Ce scénario n’est toutefois pas adapté au temps de crise : que se passe-t-il en effet si le sous-marin à la mer est neutralisé et si l’adversaire éventuel fait obstacle à l’appareillage d’un sous-marin de remplacement ? C’est la capacité même de la France à riposter qui serait réduite à néant. Pour cette raison, la Marine doit être en mesure de mettre à la mer en temps de crise, deux SNLE à la mer, en permanence : même en cas de perte d’un bâtiment, c’est-à-dire d’affaiblissement de ce qui constitue aujourd’hui le cœur de notre dissuasion, la menace que ferait peser sur la France un adversaire éventuel resterait entière. Compte tenu des cycles d’entretien des sous-marins, un parc de quatre SNLE est nécessaire pour atteindre la posture requise par le temps de crise de deux bâtiments à la mer en permanence.

    Actuellement, trois des quatre sous-marins nucléaire lanceurs d’engins sont du type le Redoutable. Il s’agit de l’Indomptable admis au service actif en 1976, du Tonnant (1980) et de l’Inflexible. Construits sur un même principe, ces sous-marins ont depuis subi un certain nombre de refontes, destinées notamment à les adapter aux missiles balistiques de nouvelles générations (refontes M4 entre 1987 et 1990). L’Inflexible, dernier né de la série, a bénéficié, quant à lui, d’améliorations telles, sur le profil et la forme de la coque, sur ses systèmes de transmissions, de navigation et de traitement de l’informatique, qu’il peut même être considéré comme une transition entre les programmes SNLE et SNLE-NG.

    L’annuité 1999 voit s’effectuer un passage de relais entre ces programmes puisqu’à compter de cet automne, le retrait du service actif du Tonnant s’accompagne de l’admission au service actif du Téméraire, deuxième né de la nouvelle génération des sous-marins. Ce sont, à partir de cette date, deux des quatre SNLE-NG prévus qui sont en service, le Triomphant étant pour sa part en service actif depuis le 21 mars 1997.

    Le projet de loi de finances pour 2000 ouvre 3,85 milliards de francs de crédits de paiement sur le chapitre 51-71 « forces nucléaires » pour la plate-forme de la composante océanique, y compris le maintien en condition opérationnelle des SNLE, soit une baisse de 6,7 % par rapport à la loi de finances initiale pour 1999 (7,5 % en francs constants). Cette diminution fait suite à la baisse de 3,7 % observée dans la loi de finances initiale pour 1999. Le programme poursuit néanmoins son déroulement conformément au calendrier établi par la revue des programmes.

    LA FOST DANS LE PROJET DE LOI DE FINANCES POUR 2000
    (CHAPITRE 51-71)

    (en millions de francs)

       

    AP

    CP

    Article 31

    Programme SNLE-NG

    1 484,5

    1 771

    Article 32

    FOST hors SNLE-NG

    1 902

    1 967

    Article 33

    Programmes de transmission FOST

    0

    0

    Article 34

    Maintien en condition opérationnelle des SNLE

    137

    113

    Total du chapitre pour la FOST

    3 523,5

    3 852

        c) Les vecteurs : les programmes de missile M 4, M 45 et M 51

    Deux types de missiles arment aujourd’hui les bâtiments de la FOST : le M 4, équipé de la tête nucléaire TN 71, et le M 45, équipé de la tête nucléaire TN 75, qui diffère du M 4 par ses capacités de pénétration. Tandis que le M 4 est en service sur les SNLE du type le Redoutable, le M 45 équipe, pour sa part, depuis le début de l’année 1997, les deux premiers sous-marin de nouvelle génération, le Triomphant et le Téméraire. C’est en effet au mois de mai dernier que le ministère de la Défense a procédé, avec succès, au tir d’un missile M 45 depuis le bâtiment, au large de Quimper, tir qui a marqué l’acceptation du système d’armes du Téméraire, avant admission au service actif du bâtiment cet automne.

    Les crédits de paiement pour le M 4 et le M 45 prévus dans le projet de budget 2000 s’élèvent à 107 millions de francs (hors têtes nucléaires et maintien en condition opérationnelle), aucune autorisation de programme n’étant prévue. Pour les deux dernières annuités de la loi de programmation, les crédits de paiement prévisionnels s’élèvent à 131 millions de francs.

    Dès 2008 cependant, c’est le missile M 51 qui armera les sous-marins de nouvelle génération.

    Le programme de missile M 51 est né d’un constat simple : le missile M 4, qui équipe actuellement les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, ne pourra être prolongé jusqu’au retrait du service des sous-marins de nouvelle génération, c’est-à-dire vers 2020-2030 -, même en prenant en compte sa version modernisée, le M 45. Il faut en effet rappeler que le début du développement de ce missile remonte à 1973 et sa mise en service en 1985. Nul besoin d’ajouter qu’au-delà du seul vieillissement de l’arme elle-même, il importait que notre outil de dissuasion bénéficie des progrès technologiques et accroisse par là même sa crédibilité. A cet égard, le missile M51 dont la portée, avec chargement complet, atteint 6 000 km, est très nettement supérieur au M45, d’une portée de 4 000 km. Il disposera par ailleurs d’une capacité multi-objectifs et sera durci vis-à-vis des agressions nucléaires.

    C’est au regard de ce constat que fut décidé, en 1992, le lancement du développement du programme de missile M 5. En février 1996, un souci d’économie a conduit le Président de la République à réorienter le programme vers un missile moins ambitieux baptisé M 51. La revue des programmes décidé par le Ministre de la Défense à la fin de l’année 1997, qui se traduisit par la mise en place d’un groupe de travail (MINOS) tripartite (états-majors, DGA, CEA) a apporté d’importantes modifications au programme initial, sans le remettre en aucune manière en cause. La principale décision concerne l’avancement du programme de deux ans, de 2010 à 2008, qui se traduit par une réduction du coût à terminaison du programme de 5,5 milliards de francs. Plus précisément, quatre décisions ont été prises :

    — le quatrième SNLE-NG sera construit directement pour recevoir le M 51 et servira de plate-forme pour les derniers tirs de développement du missile à partir de mi-2007 ;

    — l’Inflexible emportera des missiles M 45, ce qui permet d’éviter de conserver deux chaînes maintenance différentes pour le missile M 4 et le M 45. Il faut en effet rappeler ici qu’initialement, les SNLE du type le Redoutable ne pouvaient pas emporter de missiles M 45 ;

    — le nombre d’essais à terre et en vol du missile M 51 sera réduit ;

    — enfin, il a été décidé d’abandonner un certain nombre de voies technologiques explorées pendant la phase de faisabilité du missile et de la TNO.

    Si ces mesures induisent une économie notable sur le programme dont le coût à terminaison est estimé à 30 milliards de francs, l’avancement de la mise en service du M 51 à 2008 se traduit toutefois par une augmentation des flux financiers, dont l’échéancier fait l’objet de discussions avec l’industriel. Une commande devrait être notifiée en 2000 à l’industriel Aérospatiale-Matra. Cette montée en puissance du programme est perceptible dans le projet de loi de finances pour 2000 puisque les crédits de paiement demandés pour ce programme augmentent de 36,5 %, passant de 1,45 milliard de francs en 1999 à 1,98 milliard de francs pour 2000 et que les autorisations de programme s’établissent à 5,05 milliards de francs, après avoir été nulles en 1999.

        d) Les têtes nucléaires

    · Deux types de têtes nucléaires sont actuellement en service sur les bâtiments de la FOST :

    — la tête nucléaire TN 71, d’une masse de 120 kg, emporte une charge thermonucléaire qui développe une énergie d’une centaine de kilotonnes. Elle équipe les 32 missiles de type M 4 embarqués sur les SNLE du type le Redoutable ;

    — nettement plus petite, moins lourde, la tête nucléaire TN 75 développe une énergie du même ordre que la TN 71. Elle en diffère cependant nettement par ses qualités de furtivité et de durcissement, très améliorées, qui lui confèrent des qualités de pénétration bien supérieures.

    Destinée à remplacer progressivement les TN71 embarquées à bord des missiles M4, elle constitue l’arme du missile M45 et est entrée en service au début de l’année 1997, lors de l’embarquement du premier lot de M45 sur le SNLE le Triomphant. La livraison du dernier lot aura lieu en 2003, date à partir de laquelle les TN71 seront démantelés.

    Le projet de budget 2000 prévoit de consacrer 637 millions de francs d’autorisations de programme et 666 millions de francs de crédits de paiement à la TN75, hors maintien en condition opérationnelle. Pour les deux annuités 2001 et 2002, le montant cumulé des crédits de paiement prévus dans la loi de programmation militaire au titre de la TN75 s’élève à 1,04 milliard de francs 1999, hors maintien en condition opérationnelle.

    · D’ores et déjà, le lancement de la remplaçante de la TN75 a été effectué. A partir de 2015, en effet, la tête nucléaire océanique (TNO) viendra remplacer la TN75. La TNO, qui emportera une charge thermonucléaire issue des essais effectués durant l’ultime campagne d’essais nucléaires réalisés par la France, sera la première arme nucléaire mise au point par la simulation, d’où des concordances de calendrier intangibles entre ces deux programmes. Actuellement en phase de faisabilité, ce programme passera en phase de définition en 2003 et en production en 2011. Sur le plan technique, la TNO sera d’une portée nettement accrue, compatible avec les performances du missile M51 en cours de développement ; par ailleurs, elle devra pouvoir pénétrer des défenses anti-balistiques modernes, dont la prolifération est à craindre au regard de la politique suivie par les Etats-Unis dans ce domaine.

    Il faut rappeler en effet, qu’en ce mois d’octobre 1999, les Etats-Unis ont réalisé une interception réussie d’un missile balistique, affichant ainsi leur maîtrise technique et leur volonté politique de mener à bien le programme NMD (National missile defence). Dans quelle mesure le missile-cible était-il coopératif avec le missile assaillant ? Quelles étaient les capacités technologiques du missile-cible en termes de leurre ? L’absence de données précises sur cet essai incite à la prudence. Le fait est cependant qu’en proposant au Japon, à la Corée du sud, et maintenant à la Russie, une coopération dans ce domaine, les Etats-Unis risquent de relancer la course aux armements dans certaines régions. Il est, par conséquent, essentiel que les spécifications de la tête nucléaire océanique répondent à ces enjeux, de façon à préserver la crédibilité de notre dissuasion.

    Le projet de budget 2000 prévoit de consacrer à la TNO 417 millions de francs en autorisations de programme et 393 millions de francs en crédits de paiement.

        e) Le programme de sous-marin d’attaque futur (SMAF)

    Six sous-marins nucléaire d’attaque (SNA) de type Rubis sont actuellement en service dans la Marine française, qui remplissent des mission de lutte anti-sous-marine ou anti-navire, tant au profit du groupe aéronaval que de la FOST.

    C’est en prévision de leur retrait du service actif, à partir de 2010, qu’a été lancé le programme de sous-marins d’attaque futurs baptisé « Barracuda », actuellement en phase de faisabilité. Il faut noter d’ailleurs que l’étude de faisabilité a été alourdie, la Marine souhaitant doter le SMAF de capacités anti-terre. La guerre du Kosovo a en effet démontré le caractère indispensable de cette capacité, dont les SNA britanniques, armés de missiles Tomahawk, ont fait la preuve.

    Pour l’heure, 134 millions de francs d’autorisations de programme et 65 millions de francs de crédits de paiement sont inscrits pour ce programme dans le projet de loi de finances 2000.

        2. La composante aéroportée

    Actuellement articulée autour des Super Etendard du groupe aéronaval et des Mirage 2000-N des forces aériennes stratégiques (FAS), armés du missile ASMP, la composante aéroportée devrait, dans le modèle d’armée 2015, comprendre les Mirage 2000-N qui seront encore en service à cette date, ainsi que les Rafale Air et Marine.

    Votre rapporteur ne reviendra pas dans cette partie sur le rôle méconnu du porte-avions en matière de dissuasion, qu’il a évoqué précédemment. Signalons seulement que, dans le projet de loi de finances pour 2000, un million de francs de crédits de paiement sont prévus pour l’adaptation des moyens aériens nucléaires du groupe aéronaval.

    Le deuxième volet de la composante aéroportée est placé sous la responsabilité conjointe de l’armée de l’Air et de l’état-major des armées ; organiquement, c’est sous le commandement des forces aériennes stratégiques que sont regroupés les moyens nucléaires de la composante aéroportée.

    La composante aérienne des forces stratégiques est constituée, d’une part, de 60 Mirage 2000 N, qui portent le missile ASMP, et d’autre part de 11 C 135 FR ravitailleurs complétés de 3 ravitailleurs KC 135 R achetés aux Etats-Unis entre 1997 et 1998. Les Mirage IV P, antérieurement affectés aux forces aériennes stratégiques, ont été retirés du service à l’été 1996, à l’exception de cinq appareils qui sont maintenus en activité pour assurer des missions de reconnaissance stratégique. Par son allonge, sa souplesse et ses capacités démonstratives, l’ensemble cohérent Mirage 2000 N/ASMP/C 135 apporte complémentarité et diversification à nos moyens stratégiques.

    Les FAS assurent de plus le commandement opérationnel de l’unité Astarte (avion station-relais de transmissions exceptionnelles), dont la mission principale est de transmettre l’ordre d’engagement aux SNLE, quelles que soient les circonstances, ainsi que le commandement opérationnel du réseau Ramsès (réseau amont-maillé stratégique et de survie), destiné à assurer à la diffusion, vers les stations aéromobiles Astarte et vers les principaux centres de commandement et unités nucléaires, de l’ordre d’engagement et des ordres opérationnels nécessaires à la mise en œuvre des forces nucléaires.

    Les crédits affectés à la composante aérienne des forces stratégiques sont gouvernés, d’une part par l’armée de l’Air pour les vecteurs, les transmissions et l’infrastructure spécifiques, et, d’autre part, par l’Etat-major des armées pour les missiles, les charges et la partie transmissions d’Astarte.

    Le montant des crédits inscrits dans le projet de loi de finances pour 2000 est détaillé dans le tableau suivant :

LES FORCES AÉRIENNES STRATÉGIQUES
DANS LE PROJET DE LOI DE FINANCES POUR 2000

    (en millions de francs)

    Gouverneur

    Chapitre – article

    AP

    CP

    AIR

    51.71.11

    505

    796,3

    EMA

    51.71 61/62/65

    1 385

    1 118

    Total général

    1 890

    1 914,3

    Ces crédits sont destinés à financer :

    — les évolutions des Mirage 2000 N vers les standards K 2 et K 3 ;

    — la rénovation de l’avionique des ravitailleurs C 135 ;

    — le maintien en condition opérationnelle des appareils des FAS (Mirage 2000 N, C135 FR, et C160 ASTARTE) et de l’infrastructure ;

    — l’évolution des transmissions des Mirage 2000 N, des transmissions spécifiques FAS et des systèmes de préparation de mission.

    S’agissant des crédits gouvernés par l’armée de l’Air, on notera qu’ils ont suivi une évolution orientée à la baisse depuis le début de la loi de programmation, au-delà de l’effet optique de remontée en 1999, dû à « l’encoche » de 1998.

LES CRÉDITS DES FAS GOUVERNÉS
PAR L’ARMÉE DE L’AIR :

ÉVOLUTION EN LOI DE FINANCES INITIALE DEPUIS 1997

    (en millions de francs courants)

     

    1997

    1998

    1999

    2000

    Autorisations
    de programme

    600

    525

    805

    505

    Crédits de paiement

    874

    733

    823

    796,3

    Il faut noter sur cette période l’arrêt de la mission opérationnelle du système d’armes sol-sol balistique stratégique S 3 D intervenue le 16 septembre 1996 conformément à la décision annoncée par le Président de la République le 22 février 1996. A la suite des opérations de démantèlement de ce système et des installations de support, la dissolution de la base aérienne 200 est effective depuis cet été. Un régiment étranger de génie (REG) de l’armée de Terre, fort d’un effectif de 1 000 professionnels est dorénavant implanté sur le site.

    Les crédits gouvernés par l’état-major des armées ont, tout au contraire, vu leurs poids augmenter depuis le début de l’entrée en vigueur de la loi de programmation militaire 1997-2002, comme l’indique le tableau ci-dessous.

LES CRÉDITS DES FAS GOUVERNÉS PAR
L’ÉTAT-MAJOR DES ARMÉES :

ÉVOLUTION EN LOI DE FINANCES INITIALE DEPUIS 1997

    (en millions de francs courants)

     

    1997

    1998

    1999

    2000

    Autorisations
    de programme

    1 091

    859

    955

    1 385

    Crédits de paiement

    849

    906

    1 078

    1 118

    Cinq priorités ont été identifiés par l’état-major des armées pour cette période :

    — le lancement de l’opération VESTA (Etude et développement d’un vecteur à statoréacteur de génération nouvelle) ;

    — le lancement du programme ASMP amélioré, dont la dynamique est maintenue dans le projet de budget pour 2000 ;

    — les études de prolongation de la durée de vie de l’ASMP ;

    — la poursuite des travaux d’étude de la future tête nucléaire aéroportée TNA.

    — le maintien en condition opérationnelle des missiles ASMP et des têtes TN 81.

    A terme donc, c’est une totale mutation qu’aura connue la composante aéroportée, le système d’arme Rafale – ASMP-A se substituant au couple Mirage 2000 N – ASMP. En 2007, en effet, l’ASMP, arrivé en fin de vie opérationnelle, sera remplacée par l’ASMP amélioré qui associera un corps de vecteur dérivé de l’ASMP et une charge nucléaire nouvelle, la tête nucléaire aéroportée (TNA). Seul le Rafale nucléaire, dont la mise en service est prévue pour 2008, sera capable d’emporter le missile ASMP-A. La phase de définition préliminaire de ce missile s’achèvera en 1999 et le développement commencera en 2000.

    Le projet de budget pour 2000 a inscrit 206 millions de francs de crédits de paiement et 745 millions de francs d’autorisations de programme dans le cadre du développement de l’ASMP amélioré.

        3. Le maintien en condition opérationnelle des instruments de la dissuasion

    Le maintien en condition opérationnelle des systèmes d’armes concourant à la mission de dissuasion est essentiel : sa crédibilité même en dépend. C’est pourquoi une masse importante de crédits destinés à la dissuasion est affectée à cette fonction. Dans le projet de loi de finances pour 2000, c’est plus du quart des crédits de la dissuasion (25,12 %), soit 3,9 milliards de francs de crédits de paiement, qui seront consacrés à l’entretien des deux composantes.

LE MAINTIEN EN CONDITION OPERATIONNELLE DES SYSTEMES D’ARMES CONCOURANT A LA DISSUASION

— AUTORISATIONS DE PROGRAMME

    (en millions de francs courants)

     

    1997

    1998

    1999

    2000

    Composante balistique

    2 761

    2 082

    2 235

    2 306

    - dont SNLE

    1 418

    896

    1 245

    1 281

    - dont missiles

    948

    948

    792

    892

    - dont têtes

    395

    238

    199

    133

    Composante aéroportée

    353

    367

    351

    311

    - dont missiles

    303

    318

    288

    259

    - dont têtes

    50

    49

    63

    52

    Transmissions

    167

    138

    68

    69

    Autres*

    1 287

    1 668

    1 513

    1 319

    TOTAL

    4 568

    4 255

    4 167

    4 004

    * Notamment avions des FAS

— EN CRÉDITS DE PAIEMENT

    (en millions de francs courants)

     

    1997

    1998

    1999

    2000

    Composante balistique

    2800

    2 369

    2 276

    2 279

    - dont SNLE

    1 405

    1 188

    1 188

    1 184

    - dont missiles

    1 009

    945

    890

    948

    - dont têtes

    386

    236

    198

    147

    Composante aéroportée

    364

    400

    416

    383

    - dont missiles

    314

    352

    355

    328

    - dont têtes

    50

    48

    61

    55

    Transmissions

    165

    122

    157

    87

    Autres*

    1 444

    1 490

    1 564

    1 243

    TOTAL

    4 773

    4 381

    4 413

    3 992

    * Notamment avions des FAS

    Il est à noter que la part du maintien en condition opérationnelle dans le budget de la dissuasion est globalement stable depuis 1997, en loi de finances initiale tout au moins. Votre rapporteur ne dispose pas en effet du coût réel, c’est-à-dire des crédits effectivement consommés, du maintien en condition opérationnelle.

    L’organisation institutionnelle et budgétaire du maintien en condition opérationnelle des armements intervenant dans la dissuasion est extrêmement complexe. Pour le seul exemple du maintien en condition opérationnelle des SNLE, la nomenclature budgétaire fait apparaître un budget de 113 millions de francs dans le projet de loi de finances 2000 (chapitre 51-71, article 34), réalisé par le service des programmes nucléaires, alors que le tableau ci-dessus fait apparaître un budget prévisionnel de 1,28 milliard de francs et que la matrice des responsabilités telle qu’elle a été présentée à votre rapporteur attribue la compétence dans ce domaine au service des programmes naval.

LES RESPONSABILITÉS ORGANIQUES ET FONCTIONNELLES DANS LE DOMAINE DU MAINTIEN
EN CONDITION OPÉRATIONNELLE

    Système

    Service de programme

    Gouverneur de crédits

    SNLE

    SPN

    Marine

     

    SPOTI (pour les transmissions)

    Marine

    Missiles océaniques

    SPNuc

    EMA

     

    SPNuc

    Marine (pour les opérations réalisées sur le site de l’Ile longue)

    Têtes océaniques

    SPNuc (travaux menés par le CEA)

    EMA

    Missiles aéroportés

    SPNuc

    EMA

    Têtes aéroportées

    SPNuc

    EMA

    Transmissions (hors transmissions spécifiques force océanique stratégique)

    SPOTI
    SPAé pour l’avion ASTARTE

    EMA

    Autres

    SPNuc (travaux CEA)

    EMA

     

    SPAé (avions)

    Armée de l’Air

     

    SPART (véhicules spéciaux)

    EMA

     

    SPNuc (démantèlement des têtes retirées du service)

    EMA

    Sans doute, comme il est précisé par le ministère de la Défense dans la réponse qu’il a faite à votre rapporteur, les montants figurant sur la ligne « SNLE » se rapportent non seulement aux bâtiments eux-mêmes, mais également à leur environnement. Il n’en reste pas moins que ces chiffres montrent, une fois encore, le caractère extrêmement lacunaire des documents budgétaires. Il semblerait qu’en réalité 1,18 milliard de francs de l’article 32 du chapitre 51-71, « FOST hors SNLE-NG » soient également destinés au maintien en condition opérationnelle. Ce sont donc 1,297 milliard de francs et non 1,184 milliard de francs de crédits de paiement qui sont ouverts pour le maintien en condition opérationnelle des SNLE. Quant à la double compétence du service des programmes naval et du service des programmes nucléaires, elle s’explique par la spécificité de l’entretien des chaudières nucléaires.

    Dans le cas des sous-marins, on peut supposer que l’augmentation des autorisations de programme est à relier à l’entrée dans le cycle opérationnel du Téméraire et au début du démantèlement du Tonnant et du Foudroyant. S’agissant des missiles de la composante océanique, on peut logiquement supposer — et ceci a été confirmé à votre rapporteur par le Chef d’état-major des armées — que l’anticipation de la mise en service du missile M 51 décidée par la revue des programmes et son corollaire, l’arrêt précoce du missile M 45, ne pourra qu’induire des économies en matière de maintien en condition opérationnelle, du fait de l’inutilité de la commande de propulseurs de rechange pour les missiles de types M 4 et M 45.

      C. LE PROGRAMME DE SIMULATION DES ESSAIS

    Après l’arrêt des essais nucléaires et la signature, en septembre 1996, du traité d’interdiction complète des essais nucléaires, la simulation représente l’unique moyen de garantir la fiabilité et la sécurité des charges nucléaires et, ainsi, de pérenniser la capacité de dissuasion nucléaire de la France. Elle devra notamment permettre de faire face au vieillissement des armes actuelles, puis de garantir les charges qui les remplaceront lorsqu’elles seront en fin de vie. Les têtes nucléaires des futurs missiles M 51 et ASMP amélioré (TNO et TNA) devront ainsi être entièrement réalisées sans essai nucléaire, par le seul système de simulation. Nul besoin de souligner l’ampleur du défi que doit relever la direction des applications militaires du CEA, défi technique sans doute, mais également, et peut être surtout, humain.

        1. La simulation : la problématique du renouvellement des équipes et de la continuité des compétences

    La mise en œuvre de la simulation pour la conception, la maintenance et le renouvellement des charges nucléaires suppose l’existence d’un ensemble de compétences qui vont des domaines les plus ouverts des sciences et des techniques à des secteurs extrêmement pointus dont les spécialistes sont peu nombreux. C’est à cette catégorie qu’appartient le cercle restreint des concepteurs de charges nucléaires. Pour cette raison, la réussite du programme de simulation passe avant tout par la capacité du CEA à constituer une équipe de scientifiques très complète, y compris dans des domaines de compétence extrêmement rares.

    La formation et le renouvellement de ces personnels soulèvent des difficultés dont l’acuité est fortement liée au degré de spécialisation des métiers reliés aux armes nucléaires : si les ingénieurs et scientifiques travaillant sur des sujets ouverts ou peu protégés sont disponibles sur le marché du travail et donc faciles à recruter, en revanche, les experts disposant de compétences spécifiques ou pluridisciplinaires en matière d’armes, ne pourront acquérir leur savoir-faire qu’à la direction des applications militaires du CEA, où les programmes d’armes et l’activité de simulation leur apporteront un cadre approprié. Dans ce contexte, il importe de disposer, au sein du CEA, de formateurs expérimentés ; c’est à cette condition que le CEA pourra conserver un groupe de concepteurs confirmés, ce qui est certainement le problème le plus aigu dans le contexte d’arrêt des essais nucléaires.

    Quelles peuvent être les modalités de la formation d’une nouvelle génération de concepteurs dans ce nouveau contexte ? Alors qu’à l’époque des essais nucléaires, les concepteurs pouvaient proposer des idées nouvelles pour les futures générations d’armes nucléaires à partir de l’observation des essais, désormais, la conception des armes ne pourra reposer que sur les connaissances acquises, notamment des expérimentations nucléaires passées, et sur les capacités des outils prédictifs de la simulation (modèles physiques et logiciels informatiques).

    La direction des applications militaires du CEA a pris précocement conscience de cette nouvelle problématique et a d’ores et déjà mis en place une formation adaptée impliquant fortement les concepteurs confirmés. En effet, c’est à eux que revient la lourde charge de former la relève des futurs concepteurs des armes. Car, au-delà de l’acquisition des connaissances en physique de base, il importe que cette nouvelle génération bénéficie de l’expérience que l’on pourrait qualifier de subjective de leurs aînés : ceux-ci devront leur transmettre leur jugement sur les expériences passées ainsi que l’appréciation qu’ils portent sur la validité des modèles d’évaluation des essais.

    La pérennité des capacités du CEA/DAM en matière de conception, de maintenance et de renouvellement des armes nécessite un vivier d’une vingtaine de concepteurs confirmés. Or, le nombre de concepteurs confirmés ayant participé aux essais nucléaires décroît rapidement par érosion naturelle liée aux départs en retraite. En 2002, ils ne seront plus que dix et en 2019, ils auront tous quittés le CEA/DAM.

    Ce constat justifie l’urgence des mesures à prendre en matière de formation, compte tenu des délais (huit à neuf ans) pour devenir concepteur, d’autant plus que tous les concepteurs en formation ne deviendront pas des concepteurs confirmés, et seront réorientés vers les autres secteurs d’activités du CEA/DAM (études, recherches, fabrications…).

    Actuellement, l’acquisition des compétences nécessaires au métier de concepteur s’articule en trois étapes correspondant successivement à :

    — la formation en physique de base pour les armes (deux à trois ans) ;

    — la formation à la physique des armes en symbiose avec un tuteur spécialiste du domaine (trois ans) ;

    — la formation au métier de concepteur au sein d’une équipe constituée comprenant des concepteurs confirmés (deux ans).

    Les prestations et les qualités du candidat au métier de concepteur sont évaluées par un jury à la fin de la deuxième et de la troisième étape avec, à la clef, la délivrance du label de concepteur confirmé.

    Il faut bien avouer que le recrutement d’un nombre suffisant de concepteurs se heurte à l’image de marque du nucléaire, aujourd’hui fortement décriée par les médias. Plus encore, cette politique de recrutement s’inscrit dans le contexte, peu porteur, de restructuration de la direction des applications militaires. Ainsi, l’effort de réduction des structures demandées au CEA/DAM se traduit par une diminution des effectifs, qui passeront de 7 000 agents en 1988 à 4 500 au 1er janvier 2000, et par la fermeture des centres de Vaujours et de Limeil, ce qui ne favorise pas les vocations.

    Il faut espérer que la politique de communication active menée par le CEA pourra contribuer à donner une image positive de ses activités. Pour l’heure, le CEA a pu recruter 90 ingénieurs en 1997 et autant en 1998.

        2. La dimension technique de la simulation

    La simulation consiste à reproduire, à l’aide d’expériences ou par le calcul, les phénomènes rencontrés au cours du fonctionnement d’une charge nucléaire. L’objectif est de disposer d’un ensemble de logiciels décrivant les différentes phases du fonctionnement d’une arme nucléaire et reposant sur une représentation des lois physiques mises en jeu. La validation globale en sera obtenue par recalage sur les résultats des essais nucléaires passés tandis que la validation des modèles physiques décrivant les phénomènes essentiels du fonctionnement des armes nucléaires reposera sur des moyens de laboratoire appropriés.

    Les deux principaux moyens spécifiques sont la machine radiographique Airix, pour la visualisation détaillée du comportement dynamique de l’arme, et le laser mégajoule, pour l’étude de nombreux processus physiques élémentaires, dont celle des phénomènes thermonucléaires. Par ailleurs, l’intégration des nombreux modèles physiques et la précision requise pour les évaluations numériques nécessiteront des calculateurs environ 1 000 fois plus puissants que ceux actuellement disponibles.

        a) Le système Airix

    Moyen de radiographie, le système Airix est également composé de deux autres éléments : une machine dite « un axe », qui sera mise en service à la fin de l’année 1999 et une machine dite « deuxième axe » qui devrait permettre d’obtenir, au cours d’une même expérience, plusieurs clichés radiographiques à différents instants et, si possible, suivant différents angles d’observation.

    Il a été décidé au début de l’année 1999 de retarder de trois ans l’investissement « Airix deuxième axe » qui devrait être livré en 2010. Cette décision a été prise afin de permettre d’avancer de deux ans la date d’achèvement du laser Mégajoule (2008 au lieu de 2010), sans pour autant modifier les prévisions de coût annuel du programme de simulation.

CALENDRIER DU PROGRAMME AIRIX

    Lancement du projet

    Octobre 1992

    Fin du développement

    Mars 1997

    Réception de la première machine d’irradiation dite axe

    Septembre 1999

    Réalisation des premières expériences avec le premier axe d’Airix

    Fin 1999

    Lancement du deuxième axe d’Airix

    2005

    Livraison de la machine d’irradiation du deuxième axe

    2010

    Les 12,5 millions de francs d’autorisations de programme et les 46,5 millions de francs de crédits de paiement inscrits dans le projet de loi de finances pour 2000 devraient permettre d’achever la première phase du programme Airix, dont le coût total atteint plus de 600 millions de francs.

        b) Le laser mégajoule

    Le laser mégajoule (LMJ) est un élément clé du programme de simulation : c’est en effet lui qui permettra le déclenchement d’une réaction thermonucléaire, par la puissance de l’énergie (1,8 mégajoule) qu’il déposera sur la cible fusible. Les lasers de puissance sont le seul moyen expérimental disponible permettant d’accéder à des conditions thermodynamiques (température et densité) proches de celles rencontrées dans un engin thermonucléaire. Ce sont ainsi, dans le cas du LMJ, 240 faisceaux élémentaires qui convergeront sur la cible placée dans une chambre d’expérience.

    Le développement du projet implique d’abord la construction de la ligne d’intégration laser (LIL), comportant huit faisceaux et une chambre d’expérience adaptée à une énergie sur cible de 60 kilojoules. Cette installation permettra de valider et qualifier la définition de la chaîne laser de base du LMJ et de mettre au point les diagnostics. Par la suite, la LIL sera un outil d’accompagnement du LMJ.

    A ce jour, les premiers composants de la LIL, sur laquelle les expériences débuteront en 2001, ont été reçus par le CEA, qui maintient sur ce programme une coopération très fructueuse avec les Etats-Unis. Votre rapporteur se réjouit notamment du don récent au CEA, effectué par le Department of Energy américain de la chambre d’expérience (chambre à dix faisceaux) que les Etats-Unis avaient utilisée pour le laser Nova et qui, au stade actuel du développement du programme français de simulation, répond parfaitement à nos besoins. Aux yeux de votre rapporteur, cette coopération, outre qu’elle montre que la France est parfaitement en mesure d’être au même niveau que les Etats-Unis dès lors qu’elle s’en donne les moyens, est exemplaire de ce que devrait être la coopération scientifique entre deux pays alliés.

    1,89 milliard de francs en autorisations de programme et 1,79 milliard de francs en crédits de paiement sont ouverts dans le projet de loi de finances 2000 pour le programme de simulation, dont 827 millions de francs en autorisations de programme et 740 millions de francs en crédits de paiement pour le laser mégajoule.

        c) Les logiciels de calcul

    Le développement du programme simulation nécessite d’abord la modélisation physique de tous les phénomènes mis en jeu dans le fonctionnement de l’arme, puis l’adaptation de ces modèles au calcul sur ordinateur. Les logiciels de calcul sont donc au centre du programme simulation, car ils intègrent l’essentiel des connaissances disponibles à un instant donné et les unissent dans un outil mis à la disposition des physiciens des armes.

    La satisfaction des besoins liés à ce programme exige un très net changement d’échelle dans les performances des outils de calcul. Les gains à obtenir sur la vitesse de calcul correspondent à un facteur 100 au moins pour les calculs en deux dimensions et 1 000 au moins pour les simulations en trois dimensions. Les capacités de la mémoire des machines doivent également croître considérablement. Le CEA doit donc acquérir les machines les plus performantes, l’objectif étant de fournir aux physiciens une puissance de calcul d’environ 1 teraflops (1 000 milliards d’opérations par seconde). L’acquisition de cette machine est prévue pour 2000.

    Force est de constater, en ce domaine, l’écrasante et incommensurable supériorité des Américains. Toutefois, la concurrence entre les constructeurs américains permet au CEA de bénéficier d’offres très intéressantes.

    Le projet de loi de finances pour 2000 ouvre 226 millions de francs en autorisations de programme et 211 millions de francs en crédits de paiement pour financer l’acquisition et l’installation de cette machine ainsi que la mise en œuvre des logiciels.

        3. La simulation dans les autres pays nucléarisés

    Même si tous les Etats détenteurs de l’arme nucléaire n’ont pas ratifié le traité d’interdiction complète des essais nucléaires, la simulation est une préoccupation commune des cinq Etats reconnus par le Traité de non-prolifération.

    Néanmoins, la situation de la simulation dans les autres pays nucléarisés doit être analysée en distinguant deux groupes : la Chine et la Russie, d’une part, les Etats-Unis et le Royaume-Uni, d’autre part.

    Dans le premier groupe, la situation réelle n’est pas très bien connue. La Chine semble être la moins préparée au passage à la simulation. Les Russes, quant à eux, laissent entendre qu’ils font une analyse comparable à celle des Occidentaux mais n’ont pas publié de plan d’action structuré. Il est en tout cas clair que les difficultés économiques de la Russie l’empêchent actuellement d’effectuer un effort significatif. Ainsi, même si les Russes ont des compétences expérimentales reconnues et des physiciens de très grande valeur, ils ne disposent pas de machines leur permettant de se passer complètement d’essais en vraie grandeur et leur retard en capacité de calcul les met dans une situation particulièrement difficile. Il ressort néanmoins qu’en dépit de ces difficultés, les analyses issues des visites les plus récentes montrent que la Russie a fait un effort spécifique pour maintenir les capacités de ses laboratoires nucléaires militaires, tant en ce qui concerne les moyens que les équipes d’experts qui, finalement, sont restées sur place et sont toujours opérationnelles.

    Du côté des alliés nucléaires de la France dans l’OTAN, la situation est plus claire. Les Britanniques bénéficiant de relations spéciales dans le domaine nucléaire avec les Etats-Unis, c’est surtout la stratégie de ces derniers qui est déterminante.

    Selon les Etats-Unis, dans un contexte d’interdiction complète des essais nucléaires, la confiance en l’arsenal nucléaire reposera sur un changement complet de philosophie que le directeur du laboratoire national de Los Alamos appelle un « nouveau paradigme ». Il s’agit de parvenir à un « maintien de l’arsenal fondé sur la science » (SBSS : Science-Based Stockpile Stewardship). Cette appellation globale désigne le recours à un ensemble de moyens expérimentaux, théoriques et numériques, selon une approche voisine de celle justifiant le programme français de simulation.

    Les Etats-Unis ont lancé en particulier la construction d’un laser de caractéristiques voisines de celles du laser mégajoule (le NIF : National Ignition Facility) qui sera opérationnel fin 2003. En matière de radiographie, le ministère de l’Energie (DoE) dispose depuis juillet 1999 d’un moyen opérationnel « Dart un axe » équivalent au générateur « Airix un axe » du CEA et dont la mise en service est attendue pour la fin de l’année 1999.

    Le développement d’« Airix un axe » a d’ailleurs bénéficié de la collaboration entre le CEA/DAM et le laboratoire américain de Los Alamos. L’installation « Dart un axe » va être complétée par un deuxième axe, actuellement en phase de développement, qui permettra de réaliser quatre clichés radiographiques successifs et qui devrait être opérationnel en septembre 2002.

    Sur le plan des capacités de calcul avancé, les Etats-Unis ont lancé une nouvelle opération (ASCI : Accelerated Strategic Computing Initiative) dont l’objectif est d’obtenir en dix ans des moyens de simulation numérique (ordinateurs et logiciels associés) dix mille fois plus puissants que ceux disponibles aujourd’hui.

    La satisfaction des nouveaux besoins conduit le ministère de l’Energie à estimer le financement nécessaire à ses programmes de défense à environ quatre milliards de dollars par an pendant les dix prochaines années. Le montant des investissements relatifs au NIF est de l’ordre de 1,2 milliard de dollars.

      D. LES PROGRAMMES DE TRANSMISSION

    Rarement évoqués, à l’opposé des grands programmes d’équipement des deux composantes de la dissuasion nucléaire, les programmes de transmission jouent pourtant un rôle essentiel : en cas de crise, c’est d’eux que dépend la capacité de la France à faire preuve de sa crédibilité en matière nucléaire. Pour cette raison, les moyens dévolus tant à l’entretien qu’à la modernisation des moyens de transmission intervenant dans la dissuasion font l’objet d’un suivi attentif. Notamment, les progrès réalisés en matière de traitement des signaux et de guerre électronique impliquent la modernisation constante des réseaux existants.

        1. Le programme RAMSÈS (Réseau Amont Maillé Stratégique et de Survie)

    Achevé depuis la fin de l’année 1998, ce programme vise à l’acheminement en toutes circonstances des ordres exceptionnels en matière de dissuasion et bénéficie des évolutions technologiques les plus récentes en matière de robustesse interne et de capacité de résistance aux agressions externes.

    D’un coût total de près de deux milliards de francs, ce programme bénéficie dans le projet de loi de finances pour 2000 de 60 millions de francs d’autorisations de programme et de 87 millions de francs de crédits de paiement, destinés à assurer son maintien en condition opérationnelle. Comme l’indique le tableau suivant, ces crédits sont sensiblement identiques à ceux qui avaient été ouverts par la précédente loi de finances initiale.

LE PROGRAMME RAMSÈS DANS
LES LOIS DE FINANCES INITIALES DEPUIS 1997

    (en millions de francs courants)

    Crédits inscrits au chapitre 51-71-63

    1997

    1998

    1999

    2000*

    AP

    85

    78

    68,2

    69

    CP

    79

    60

    88

    87

    * Projet de loi de finances

        2. Les programmes TRANSFOST 1 et 2

    Les programmes Transfost 1 et 2 concernent les transmissions avec la flotte de sous-marins nucléaires lanceurs d’engins.

    Première étape de la rénovation de l’ensemble des moyens de transmission de la FOST, le programme Transfost 1 est achevé depuis juin 1997. Il comprend la rénovation ou la refonte d’éléments de la chaîne de transmission entre les PC de la FOST et les SNLE. Son coût total atteint 962 millions de francs.

    Dès 1994, il a été relayé par le programme Transfost 2, qui marque la deuxième étape de la rénovation de l’ensemble des moyens de transmission de la FOST et devrait s’achever à la fin de l’année 2001. Son coût total prévisionnel devrait être sensiblement identique à celui de Transfost 1.

    Le programme arrivant à terme en 2001, aucune autorisation de programme n’est ouverte dans le projet de loi de finances 2000. En revanche, 100 millions de francs sont inscrits au chapitre 51-71-32 « Force Océanique Stratégique hors SNLE-NG ».

        3. Les programmes ASTARTE et SYDEREC

    L’avion Astarte est destiné à pallier la destruction des stations VLF/LF terrestres en diffusant les ordres primordiaux nécessaires à la dissuasion. Le programme de transmissions de secours, qui comprend quatre avions Astarte, a été mis en service opérationnel en 1989. Il sera retiré du service en 2001, lors de la mise en service de Syderec. Aucun crédit n’est ouvert dans le projet de loi de finances 2000 pour ce programme.

    Le programme Syderec (SYstème de DErnier RECours) a pour mission d’assurer la transmission des communications nucléaires essentielles dès lors que les autres moyens auront été détruits ou neutralisés. 193 millions de francs de crédits de paiement sont inscrits dans le projet de loi de finances pour 2000 pour ce programme, sur le chapitre 51-71-63 « Transmissions nucléaires ».

    III. — S’ADAPTER AU PRÉSENT : LES RESTRUCTURATIONS DU NUCLÉAIRE MILITAIRE

    Depuis maintenant plus de trois ans, la France est engagée dans de profondes restructurations de son outil de dissuasion, suivant en cela les décisions prises par le Président de la République : démantèlement de la composante terrestre, devenue inadaptée au nouveau contexte stratégique, arrêt de la production de matière fissile et arrêt des essais. L’acteur majeur de l’aventure nucléaire française, le CEA, est, de ce fait, contraint lui aussi à de profondes remises en cause de ses structures.

      A. LES RESTRUCTURATIONS LIÉES À L’ABANDON DE LA COMPOSANTE TERRESTRE DE LA DISSUASION

        1. Le démantèlement du système Hadès

    Annoncé par le Président de la République, le 23 février 1996, le retrait définitif du système d’arme Hadès a débuté dès le 1er avril 1996, pour s’achever au mois de mars 1998.

    Les matières nucléaires récupérées du démontage des têtes nucléaires sont retraitées et injectées à nouveau dans le circuit de fabrication des armes nucléaires. Ainsi, au titre de l’année 1999, il est prévu de retraiter une dizaine de sous-ensembles nucléaires (têtes nucléaires TN 93 démontées).

    Le coût total du démantèlement sur la période 1996-2000 est évalué à 97 millions de francs courants, se répartissent comme suit :

LE COÛT TOTAL DE DÉMANTÈLEMENT
DES SYSTÈMES HADÈS DE 1996 À 2000

    (en millions de francs)

    Programme

    Travaux

    Montant

    Têtes nucléaires

    Réactivation du centre de Valduc, transport, stockage et démontage

    28

    Transmissions et informatique des PC

    Démantèlement

    10

    Système de tir (quart Aérospatiale)

    Démantèlement et maintien en condition partiel

    47

    Divers

    Infrastructure, sûreté nucléaire, contrôle gouvernemental

    12

       

    97

    Dans le projet de loi de finances pour 2000, les crédits consacrés au démantèlement du système d’arme Hadès s’élèvent à deux millions de francs en autorisations de programme et crédits de paiement (chapitre 51-71-61 « Charges nucléaires ») et concernent uniquement les sous-ensembles nucléaires.

        2. Le démantèlement du plateau d’Albion

    Conformément à la décision annoncée par le Président de la République le 22 février 1996, l’arrêt de la mission opérationnelle du système d’armes sol-sol balistique stratégique S 3 D a été effectué le 16 septembre 1996. Les opérations de démantèlement ont concerné dix-neuf têtes nucléaires, les vecteurs associés, ainsi que le déséquipement des dix-huit zones de lancement, des deux postes de conduite de tir, des sites de transmission associés et des installations de soutien implantées sur la base aérienne n° 200 d’Apt. La dénucléarisation du plateau d’Albion a été effective le 25 février 1998, avec le départ du dernier colis nucléaire issu du démontage des têtes nucléaires.

    La période courant de l’été 1998 à l’été 1999 a été consacrée aux travaux de génie civil (démolitions et terrassements).

    À ce jour, la destruction des parties spécifiques des sites de transmission implantés sur le Mont Ventoux est en cours de finalisation.

    Tous les sites, matériels et installations ayant été au contact des éléments nucléaires ont fait l’objet d’un contrôle de non contamination par le service de protection radiologique des Armées. Un certificat global de non-contamination a été délivré par le service. Les zones de lancement sont ainsi laissées dans un état permettant leur rétrocession aux communes ou à toute autre personne ayant un projet de reconversion du site. Certaines d’entre elles resteront propriété de l’Etat, faisant l’objet soit d’une réutilisation par la Défense, soit d’études particulières, notamment liées à leur vieillissement, soit de non-réaffectation.

    Le coût global du démantèlement de la force sol-sol balistique stratégique est estimé à 433 millions de francs.

    S’agissant de la situation des personnels militaires et civils, une prise en compte précoce des souhaits de chacun et l’application des dispositions prévues dans le cadre des restructurations ont permis de conduire au mieux le processus de dissolution de la base aérienne. En particulier, les personnels civils concernés, soit 48, ont été soit intégrés au sein du régiment de l’armée de Terre nouvellement créé, soit mutés avec les indemnités compensatrices prévues, ou encore, pour une dizaine d’entre eux, ont bénéficié de départs en retraite.

    Par ailleurs, conformément à la décision du Ministre de la Défense, l’armée de l’Air poursuit la mise en œuvre et l’exploitation du cercle mixte « Rolland Garros » dans l’attente de la conclusion d’un accord de cession avec un partenaire. La première adjudication publique, qui s’est tenue à Apt en juin 1999, a été infructueuse. Hormis ce cas, aucune difficulté particulière n’a été rencontrée et les travaux de démantèlement se sont déroulés conformément au calendrier prévu.

      B. LES RESTRUCTURATIONS LIÉES A L’ARRET DE PRODUCTION DES MATIÈRES FISSILES

     Justifié par le fait que la France dispose des quantités de plutonium militaire nécessaires pour atteindre le niveau de suffisance qu’elle s’est fixée pour sa dissuasion, l’arrêt de la production de plutonium de qualité militaire a été décidé en octobre 1991. Toutefois, c’est seulement à la fin de l’année 1997 que l’usine de Marcoule, unique site français habilité à produire cette matière, a cessé son activité, suite à la poursuite d’activités de retraitement des combustibles provenant des réacteurs civils.

    Les opérations de mise à l’arrêt définitif, entreprises depuis 1998, devraient être achevées en 2001, année à partir de laquelle pourront débuter les opérations de démantèlement des installations qui s’étaleront sur plusieurs décennies.

    Ce programme, dont le coût total est estimé à plus de 30 milliards de francs, dont environ la moitié à charge du ministère de la Défense, bénéficie dans le projet de loi de finances pour 2000 d’une inscription de 415 millions de francs en autorisations de programme et en crédits de paiement.

    • La France s’est également engagée, depuis 1996, dans le démantèlement de l’usine de Pierrelatte, les quantités d’uranium très enrichi disponibles en stock étant suffisantes au regard de la configuration de notre outil de dissuasion.

    L’arrêt définitif des productions est intervenu dès le mois de juin 1996. En 1997 et 1998 ont été menées les premières opérations de mise à l’arrêt définitif des installations, qui devraient s’achever en 1999. C’est également en 1999 que devraient cesser les études de définition du démantèlement, opération qui devrait durer jusqu’en 2007 au moins.

    992 millions de francs d’autorisations de programme et 965 millions de francs de crédits de paiement ont été transférés au CEA de depuis 1997 pour mener à bien ces opérations, pour lesquelles 301 millions de francs en autorisations de programme et 290 millions de francs en crédits de paiement sont inscrits dans le projet de loi de finances pour 2000. Le coût total du démantèlement stricto sensu est estimé à plus de 1,8 milliard de francs.

      C. LES CONSÉQUENCES DES RESTRUCTURATIONS SUR LE COMMISSARIAT À L’ÉNERGIE ATOMIQUE

    La diminution constante de la dotation transférée au CEA par le ministère de la défense a contraint cet organisme à rechercher d’importants gisements d’économie.

    Or, le maintien de l’investissement étant nécessaire au regard de l’importance des programmes en cours, c’est sur les frais généraux (rémunérations et charges sociales, fonctionnement) que le CEA a dû réaliser des gains de productivité. Engagée en 1996, dès l’arrêt définitif des essais nucléaires, la restructuration de la direction des applications militaires du CEA doit s’achever à la fin de l’année 1999.

    Le CEA estime que la restructuration qu’il a menée en son sein lui permettra de réaliser des économies sur le fonctionnement de 350 millions de francs environ par an à partir de 2000. Sur l’ensemble des crédits prévus pour le CEA/DAM dans le projet de budget 2000, 3,82 milliards de francs sont destinés au fonctionnement de l’organisme, soit :

    — 1,85 milliard de francs pour les dépenses de salaires, de charges sociales et de retraite ;

    — 1,1 milliard de francs pour les frais de fonctionnement ;

    — 872 millions de francs pour l’investissement.

CONCLUSION

    Le projet de budget de la dissuasion pour 2000, budget d’avenir ? La forte augmentation des autorisations de programme pourrait le laisser penser. Ce serait oublier toutefois la double encoche qu’elles ont subi en 1998 et surtout en 1999. Quant au niveau des crédits de paiement, il atteint son plus bas niveau historique. Il faut espérer que le calendrier des programmes n’en sera pas affecté.

    Néanmoins, le projet de budget 2000 est, à coup sûr, un budget qui engage l’avenir du financement des grands équipements. La commande du quatrième sous-marin nucléaire lanceur d’engins de nouvelle génération, si elle est notifiée en 2000, pèsera lourd sur les choix futurs.

    C’est pourquoi votre rapporteur affirme à nouveau sa conviction de la nécessité qu’il y a de renoncer provisoirement au lancement de ce bâtiment, au profit de la mise en œuvre rapide du deuxième porte-avions. Cette inversion des priorités, loin de mettre en jeu la cohérence de notre dissuasion, en conforterait l’avenir, de même qu’elle permettrait de donner à la France la certitude de pouvoir faire face aux défis de la paix dans la première décennie du siècle qui s’ouvre.

TRAVAUX EN COMMISSION

    I. — AUDITION DU GÉNÉRAL JEAN-PIERRE KELCHE, CHEF D’ÉTAT-MAJOR DES ARMÉES

    La Commission de la Défense a entendu, le 20 octobre 1998, le Général Jean-Pierre Kelche, Chef d’état-major des Armées, sur le projet de loi de finances pour 2000.

    Accueillant le Général Jean-Pierre Kelche, le Président Paul Quilès a rappelé les conditions délicates dans lesquelles il exerçait sa mission puisqu’il avait à veiller à la capacité opérationnelle de forces qui se trouvent elles-mêmes en profonde restructuration dans le cadre de la professionnalisation. Soulignant que l’équipement des armées était de haut niveau si l’on en juge par la contribution de la France au conflit du Kosovo, mais qu’il appelait un effort continu de modernisation et de développement des capacités, en particulier dans les domaines de la frappe de précision à distance de sécurité ainsi que du renseignement, il a indiqué que l’audition du Chef d’état-major pouvait être pour la Commission l’occasion de mieux évaluer l’incidence prévisible du projet de budget de la Défense pour 2000 sur l’état de préparation et les capacités opérationnelles des forces françaises.

    Le Général Jean-Pierre Kelche a exposé que le projet de loi de finances pour 2000 formait la quatrième annuité de la loi de programmation militaire 1997-2002. Il l’a caractérisé, au titre III, par un respect des engagements de la professionnalisation, voire peut-être un arrêt de la dégradation du fonctionnement, mais, au titre V, par un niveau d’autorisations de programme contraint, non optimisé et susceptible d’avoir des conséquences sur les capacités de la future armée professionnelle et un niveau de crédits de paiement qui, pour être explicable, n’en est pas moins préoccupant.

    S’agissant d’abord de la professionnalisation, le Chef d’état-major des Armées a considéré qu’aux deux tiers du parcours, le constat était positif. D’ores et déjà, la Marine, l’armée de l’Air et la Gendarmerie sont très proches de leur format final, l’armée de l’Air n’en étant éloignée que de 1 % seulement. Dans l’armée de Terre, les départs des cadres et la création de postes d’engagés se déroulent favorablement.

    Le Général Jean-Pierre Kelche s’est néanmoins déclaré en accord avec les préoccupations du Chef d’état-major de l’armée de Terre en ce qui concerne la décrue de la ressource en appelés, le sous-effectif devenant chronique, de l’ordre de 15 à 20 %, ce qui, combiné avec l’insuffisance de recrutements des personnels civils, créait une tension forte, l’armée de Terre étant encore très dépendante de la conscription.

    Il a rappelé que l’an dernier, il estimait que la hausse des rémunérations et charges sociales comprimait de façon excessive, dans la loi de finances pour 1999, les crédits de fonctionnement et jugé que, dans le projet de budget, la situation était différente puisque la moindre progression des coûts de personnel aboutissait à diminuer la pression sur les dépenses de fonctionnement, qui ne sont réduites que de 1,8 % par rapport aux crédits votés de 1999.

    Il a néanmoins ajouté que, depuis le début de la programmation, les crédits de fonctionnement avaient diminué de 21,5 % alors que la loi de programmation militaire avait prévu une réduction de 20 % seulement et ce, à l’horizon 2002. Il a ajouté que l’avance ainsi réalisée avait permis de prendre en 2000 des mesures palliatives pour restaurer un peu les conditions d’entraînement. Il a expliqué que, dans les conditions actuelles, seul le volume important d’opérations extérieures en cours permettait d’assurer un niveau d’activités acceptable, mais a souligné que l’action menée en Bosnie-Herzégovine et au Kosovo, quelle que soit sa qualité, ne pouvait se substituer à un entraînement au combat.

    S’agissant des rémunérations et charges sociales, il a relevé que le projet de loi de finances prévoyait des évolutions limitées des crédits pour les indemnités, un glissement vieillesse-technicité négatif, sur lequel il s’est interrogé, et un développement de la sous-traitance en contrepartie de postes supprimés ou non honorés. Il a, à ce propos, observé que le transfert d’activités à la sous-traitance ne pourrait être immédiat, ce qui pourrait soulever le problème de l’exécution des crédits correspondants. Il a ajouté que pour la première fois certains chefs d’état-major avaient décidé de présenter des mesures de « dépyramidage », des postes de sous-officiers étant supprimés au profit de postes de militaires du rang.

    Il a indiqué enfin que, si le titre III progressait d’un milliard de francs, cette évolution incluait l’intégration au sein du ministère de la Défense du secrétariat aux Anciens combattants, la progression à périmètre constant n’étant que de 300 millions de francs. Il a conclu que le titre III du projet de budget de la Défense était convenable, mais que son niveau devrait être relevé pour les exercices à venir de manière à éviter des pertes de compétence des forces (entraînement opérationnel).

    S’agissant des crédits d’équipement, le Chef d’état-major des Armées s’est déclaré nettement moins optimiste. Il a souligné que les réductions cumulées causées essentiellement par la revue des programmes, les « encoches », les annulations, elles-mêmes dues en majeure partie à la nécessité de financer les opérations extérieures, le transfert progressif au titre V des crédits d’entretien programmé du matériel et l’inscription au budget de la défense de dépenses civiles de recherche et de développement (dépenses du BCRD) représentaient 59 milliards de francs, soit 11 % du montant des dotations d’équipement initialement prévu par la loi de programmation. Il a fait valoir que cette situation avait obligé les armées à opérer des choix difficiles, notamment en matière d’approvisionnement en munitions, de sorte qu’à l’occasion du conflit du Kosovo on avait été amené à constater que les stocks étaient à la limite de la rupture, ce qui avait obligé à les recompléter d’urgence.

    Le Général Jean-Pierre Kelche a précisé que les crédits prévus par la loi de programmation militaire n’intégraient pas de contribution au BCRD dans le cadre des dépenses en faveur de l’espace, alors qu’avaient été inscrits à cet effet au titre V 500 millions de francs en 1998, 900 millions de francs en 1999, et 1,5 milliard de francs en 2000. Il a fait remarquer également que cette contribution au BCRD comportait peu de dépenses de nature réellement duale, leur montant pouvant être estimé à 75 millions de francs seulement pour 2000. Il s’est toutefois réjoui des efforts du Ministre de la Défense pour donner un véritable caractère de dualité aux dépenses du BCRD financées par les crédits militaires dans le domaine spatial.

    Il a ajouté, que si le niveau des crédits de paiement paraissait compatible avec les engagements réalisés et prévus, on constatait en revanche dans le projet de budget une déconnexion entre les autorisations de programme et les crédits de paiement qui risquait de provoquer à terme des retards dans le déroulement des programmes. Il a ajouté que le niveau des autorisations de programme, tout en excédant de 4,5 milliards de francs celui des crédits de paiement, restait insuffisant pour lancer l’ensemble des commandes globales prévues, et qu’il avait fallu de ce fait reculer la passation de certaines d’entre elles après l’année 2000. Remarquant que si le décalage, effectué dans ces conditions, de la seconde commande globale d’avions Rafale n’avait pas eu de conséquences sur les conditions de livraison, tel ne serait pas le cas pour d’autres si cette politique était maintenue. Il a cependant fait observer que le ministère des Finances avait dû sans doute se persuader que le ministère de la Défense ne disposait plus guère d’un surplus d’autorisations de programme disponibles puisque le dernier arrêté d’annulation n’avait porté que sur les crédits de paiement. En tout état de cause, les montants prévus d’autorisations de programme ne permettent pas de couvrir les engagements prévus au titre des programmes M 51 et NH 90, pour ce qui concerne son industrialisation et sa fabrication. Les besoins éventuels d’autorisations de programme pour l’ATF ne sont pas prévus.

    Malgré ces insuffisances, le projet de budget pour 2000 n’entraîne pas de rupture dans le domaine de la politique d’équipement qui conserve sa cohérence.

    Plusieurs livraisons relevant des programmes majeurs seront au rendez-vous de 2000 : 4 Rafale, 12 Mirage D, 3 Mirage 2000-5, 3 Transall rénovés, 34 chars Leclerc, des missiles Eryx, Mistral, Mica…

    Ainsi, aux deux tiers de la loi de programmation militaire, les armées disposeront de 227 Leclerc sur les 307 qui doivent être acquis d’ici 2002 et de 90 avions de combat de dernière génération sur les 300 prévus à l’horizon 2002. Par ailleurs, le Charles de Gaulle entrera en service au troisième trimestre 2000 et la Marine alignera quatre des cinq frégates furtives La Fayette inscrites en programmation.

    Les 21 programmes menés en coopération européenne absorberont 8 % des crédits de paiement du titre V en 2000 alors qu’ils n’en représentaient que 5,4 % en 1997. En 2002, ils consommeront 11 % des ressources prévisibles.

    Dans le domaine de l’espace, la coopération européenne connaît des difficultés. En matière de télécommunications spatiales, la France qui poursuit seule, après le retrait des Britanniques, la définition du programme qui succédera à Syracuse II négocie toujours la possibilité d’une coopération avec l’Allemagne. En matière d’observation, la revue de programmes de 1998 a conduit, après le retrait de l’Allemagne, à l’interruption du programme de satellite radar. Enfin, l’Espagne a renoncé à sa participation au programme de satellite Hélios II dont le lancement est prévu en 2003.

    Depuis le début de la loi de programmation militaire, les armées ont consenti un important effort de clarification dans la gestion des crédits du titre V (nouvelle nomenclature, développement de l’informatisation, suivi de la consommation des crédits en temps réel…).

    Abordant les activités des armées en 1999, le Général Jean-Pierre Kelche a indiqué que les opérations extérieures avaient coûté environ 4,5 milliards de francs, soit un peu moins que prévu il y a quelques mois, en raison notamment de la réduction de la participation française à la KFOR rendue possible par l’arrivée de troupes d’autres pays. Le conflit du Kosovo qui a coûté globalement 2,8 milliards de francs a donné lieu à des dépenses particulièrement lourdes au titre V (1,6 milliard de francs) en raison des consommations de munitions.

    Le Général Jean-Pierre Kelche a conclu en soulignant que le projet de budget pour 2000 ne remettait pas en cause les objectifs de la loi de programmation militaire, alors que le conflit du Kosovo avait démontré que chacune des trois armées conservait une réelle capacité opérationnelle conformément à l’engagement pris pour la période de restructuration. Ainsi, malgré une légère érosion en nombre d’appelés et grâce au déroulement satisfaisant des processus de restructuration, le projet d’armée professionnelle conserve une bonne crédibilité au sein de l’institution militaire.

    Le Général Jean-Pierre Kelche a néanmoins attiré l’attention de la Commission sur la nécessité d’être vigilant pour les budgets des années postérieures à 2000.

    Interrogeant le Général Jean-Pierre Kelche sur les enseignements tirés du conflit du Kosovo, le Président Paul Quilès a demandé si des aménagements des priorités et du rythme d’exécution des programmes lui paraissaient nécessaires au vu de cette expérience. Il a souhaité savoir si, dans le domaine aérien, ce conflit pourrait donner lieu à une révision des doctrines d’emploi et en conséquence des spécifications des matériels. Il a également demandé quelle politique il jugeait souhaitable dans le domaine des munitions, eu égard aux insuffisances constatées.

    Souhaitant que soit communiqué à la Commission l’état des personnels militaires présents dans les représentations diplomatiques françaises à l’étranger, M. Didier Boulaud a attiré l’attention du Général Jean-Pierre Kelche sur l’importance de leurs effectifs dans certains postes et s’est interrogé sur les critères d’affectation de ces personnels expatriés et donc coûteux.

    M. Guy-Michel Chauveau a d’abord interrogé le Général Jean-Pierre Kelche sur une éventuelle évolution de la doctrine française vers un emploi civilo-militaire de nos forces, notamment à la lumière de l’expérience du Kosovo.

    Puis, notant que les armées européennes appartenant à l’OTAN étaient numériquement bien plus nombreuses que celle des Etats-Unis, mais sensiblement plus pauvres en moyens budgétaires, il a demandé si un meilleur effort de complémentarité des dépenses militaires en Europe ne permettrait pas d’éviter des redondances et d’améliorer les capacités opérationnelles. Il s’est également interrogé sur le ratio entre les effectifs et les dépenses d’équipement dans les armées européennes et américaines.

    Il a enfin interrogé le Général Jean-Pierre Kelche sur la coopération européenne en matière de recherche et de développement ainsi que sur le pouvoir d’impulsion et d’orientation des Etats dans ce domaine face aux groupes industriels de plus en plus puissants qui se constituent.

    M. Pierre Lellouche a demandé au Général Jean-Pierre Kelche s’il n’était pas possible d’envisager un système de financement des opérations extérieures qui n’obère pas les crédits disponibles pour l’entraînement des forces et la modernisation de leurs équipements. Il s’est demandé si une dotation ne pouvait pas être créée pour financer la partie constante, d’une année sur l’autre, des dépenses d’opérations extérieures. De la même manière, il a demandé si le surcoût en munitions du conflit du Kosovo réduirait les ressources des programmes en cours.

    Puis il a demandé au Général Jean-Pierre Kelche s’il était en mesure de chiffrer les corrections nécessaires pour les budgets des deux prochaines années. Enfin, constatant que les Etats-Unis avaient refusé de ratifier le Traité d’interdiction totale des essais nucléaires et avaient décidé d’engager des négociations pour modifier le Traité ABM de 1972, il a demandé quelles implications cette politique pourrait avoir à terme sur la dissuasion nucléaire française.

    Remarquant que les armées et en particulier, l’armée de Terre, éprouvaient des difficultés dans le recrutement des appelés, M. Charles Cova a souligné que, sur une ressource annuelle de plus de 250 000 jeunes, nos forces n’en avaient besoin que de 90 000 en 2000 et 60 000 en 2001. Désireux de proposer de nouvelles mesures pour assouplir les règles du report du service militaire, il a demandé au Général Kelche si les déficits constatés ne concernaient que certaines spécialités ou l’ensemble des postes encore occupés par les appelés.

    Le Général Jean-Pierre Kelche a apporté les éléments de réponse suivants :

    — soulignant que les objectifs de l’intervention contre la République fédérale de Yougoslavie n’étaient pas d’infliger un maximum de dommages, ni de détruire un pays mais plutôt d’obtenir par une action progressive et mesurée un effet de découragement afin de faire céder le pouvoir yougoslave, il a estimé que l’utilisation de l’arme aérienne dans ce cadre ne constituait qu’un exemple parmi d’autres. Sa progressivité, son caractère prévisible pour l’adversaire, le souci de limiter dans toute la mesure du possible les dommages infligés aux populations civiles étaient contraires aux canons habituels de l’art de la guerre aérienne. Les contraintes spécifiquement militaires ne concernaient que la recherche de l’efficacité dans les tirs et la sécurité d’emploi qui conditionnait la durée de l’intervention. L’emploi des forces aériennes pourrait être différent dans le cadre d’un autre conflit où nos appareils auraient, par exemple, à appuyer des forces terrestres. Il serait donc hasardeux de revoir de manière radicale la doctrine d’emploi des forces aériennes sur la base d’un conflit qui peut être considéré, à certains égards, comme atypique. L’essentiel est de disposer d’un outil militaire aussi ouvert que possible dans ses capacités ;

    — s’agissant des munitions, la France ne s’est pas trouvée en rupture de stock. Néanmoins, les stocks constitués pour certaines catégories d’armements se sont révélés très limités, au point que des commandes de recomplètement aux Etats-Unis ont été nécessaires. La certitude qu’il était possible de racheter certaines munitions, si nécessaire, expliquait ce faible niveau des stocks ;

    — des informations peuvent être communiquées aux parlementaires sur les effectifs et la répartition des postes de personnels à l’étranger, question à laquelle le Chef d’état-major des Armées porte une attention soutenue. L’Etat-major des Armées est confronté en ce domaine à un problème de pénurie, notamment lorsqu’il s’agit de nommer des officiers dans les GFIM de l’OTAN ;

    — l’armée de Terre adapte ses doctrines d’emploi à la nature des engagements dans lesquels elle est amenée à intervenir. Ainsi, les capacités de mobilité et de puissance de feu du char Leclerc, initialement conçu dans la perspective de l’affrontement des deux blocs, ont permis de faire la démonstration de la force de la présence militaire alliée à l’égard des populations locales. Conjointement avec l’artillerie, le Leclerc contribue aussi à un dispositif permettant de dissuader les Serbes de toute action armée éventuelle ;

    — la comparaison du rapport entre effectifs et budget d’investissement en Europe et aux Etats-Unis doit être faite avec prudence. Ce type de raisonnement peut être fallacieux, comme l’exemple du Kosovo l’a montré : si l’Europe n’a assuré que 20 % des missions de frappe aérienne, c’est par choix et non du fait de capacités limitées. Le fait que son niveau de participation à la force terrestre déployée au Kosovo soit bien supérieur à celui des Etats-Unis résulte d’ailleurs tout autant d’un choix ;

    — en matière de complémentarité des systèmes de défense européens, il existe actuellement une volonté commune des Européens de passer des décisions politiques symboliques, telles que la constitution de la brigade franco-allemande, de l’Eurocorps, de l’Euromarfor, etc. à la mise en œuvre de systèmes opérationnels, que la France propose d’ailleurs depuis longtemps déjà. Tel est le sens de l’évolution de l’Eurocorps vers une force de réaction rapide et de la décision de doter l’Euromarfor d’une structure permanente nécessaire à sa crédibilité. La prochaine loi de programmation militaire devra prendre en compte ces perspectives de complémentarité intereuropéenne accrue. Elle devra cependant tout autant tenir compte du fait que la complémentarité a ses limites : d’une part, les coalitions d’Etats ad hoc qui se forment peuvent différer selon la nature de la crise ; d’autre part, la persistance d’intérêts exclusivement nationaux nécessite le maintien de capacités d’action autonomes pour la France ;

    — en matière de recherche et développement, la démarche adoptée est celle d’une sélection, au niveau national, des créneaux jugés prioritaires, qui sont ensuite présentés à nos alliés européens en vue de la constitution de partenariats de compétences croisées. Dans cette perspective, un pas important a été franchi avec la présentation au Royaume-Uni et à l’Allemagne du plan prospectif à trente ans, document de référence pour l’équipement à long terme de nos forces. L’étape du décloisonnement des planifications nationales, que la France a proposé à ces mêmes partenaires, n’a pas encore rencontré leur adhésion ;

    — la question du provisionnement des crédits nécessaires au financement des opérations extérieures est depuis longtemps objet de débats. L’orthodoxie budgétaire commanderait d’évaluer le socle de dépenses reconduit d’année en année et de le provisionner en loi de finances initiale. Faute d’une telle démarche, et le titre III ne pouvant assumer cette dotation sous enveloppe constante, le ministère de la Défense en est réduit aux deux expédients que sont le provisionnement minimal de crédits dans un article en loi de finances initiale (160 millions de francs en rémunérations et charges sociales dans le projet de loi de finances pour 2000) et l’annulation, en cours d’année, de crédits sur le budget d’investissement qui retarde d’autant la modernisation des équipements militaires, afin de gager des ouvertures de crédits pour financer les surcoûts en dépenses ordinaires.

    M. Pierre Lellouche a alors estimé nécessaire de créer un titre nouveau dans le budget de l’Etat, distinct des titres III, V et VI pour y inscrire les crédits destinés au financement des opérations extérieures. Des procédures seraient alors mises en place pour permettre la consommation des crédits de ce titre en fonction des besoins.

    M. François Lamy a fait observer que le problème du financement des opérations extérieures était régulièrement discuté à l’occasion des débats sur la loi de finances rectificative. Il a ajouté qu’aux termes d’une décision du Conseil de défense de mars 1997 distinguant les opérations extérieures normales et exceptionnelles, les secondes devraient être financées sans prélèvement sur les ressources de la Défense.

    M. Arthur Paecht s’est demandé s’il ne fallait pas faire appel au financement de l’organisation internationale sur le mandat de laquelle les opérations extérieures étaient exécutées.

    M. Pierre Lellouche a objecté que la pénurie des ressources de l’ONU rendait ce système difficilement praticable et que l’OTAN disposait déjà de procédures particulières de financement.

    Le Président Paul Quilès a rappelé que M. François Lamy préparait un rapport d’information sur la question du contrôle parlementaire des opérations extérieures, dans lequel il traiterait également des procédures permettant leur financement.

    Il a souligné que la Commission de la Défense reprendrait ce débat à l’occasion de l’examen de ce rapport d’information et du prochain projet de loi de finances rectificative.

    Le Général Jean-Pierre Kelche a alors indiqué que les majorations de crédits prévues pour les munitions dans le projet de loi de finances pour 2000 avaient réduit d’autant les dotations destinées à la modernisation de l’équipement des armées.

    S’agissant du niveau des autorisations de programme demandées dans le projet de budget, il a constaté qu’il se traduirait par un report de certaines commandes globales, qui pèserait sur les dotations d’équipement de 2001. A cet égard, il a estimé nécessaire d’augmenter le montant des autorisations de programme dans le budget de 2001, afin de passer ces commandes globales. Il a indiqué que, pour les commandes globales prévues dès 2001 dans le cadre des trois programmes NH 90, M 51 et Rafale, environ 18 milliards de francs d’autorisations de programme seraient nécessaires.

    Évoquant enfin le refus du Sénat américain d’approuver le traité d’interdiction complète des essais nucléaires, il a estimé qu’il aurait un impact considérable sur l’opinion mondiale et risquait de constituer un encouragement à la prolifération des armes nucléaires.

    Le Général Jean-Pierre Kelche a toutefois indiqué que les orientations de la politique américaine n’étaient pas de nature à entraîner une modification de la doctrine de dissuasion française, en vertu de laquelle l’armement nucléaire de la France était dimensionné afin de faire face tant à une agression majeure qu’à celle d’un trublion de dimension régionale. On peut toutefois craindre que les trublions régionaux ne se multiplient après la décision du Sénat américain.

    De même, il a jugé grave la décision américaine de remettre en cause le traité ABM, tout en notant que la position française, pourtant rationnelle, n’était pas reçue par des interlocuteurs américains, qui ne comprennent pas que puisse être contesté aux Etats-Unis le droit de défendre leur territoire et leur population contre des Etats voyous (rogue states). Il a estimé que l’argumentaire français devait mettre l’accent sur le caractère inacceptable de la démarche bilatérale actuellement suivie par les Etats-Unis. Il a ajouté que ces initiatives risquaient d’alimenter la course aux armements dans certaines régions, telles que le Golfe, le sous-continent indien ou le sud-est asiatique, qui constituaient autant de zones où pouvaient apparaître des menaces de nature balistique.

    Rappelant que la doctrine classique française de dissuasion nucléaire conduisait à faire l’impasse sur les moyens de défense antibalistique, M. Pierre Lellouche s’est interrogé sur les conséquences stratégiques de l’évolution de la position américaine.

    M. René Galy-Dejean a souligné que le coût d’un programme de défense antibalistique avoisinait les 300 milliards de francs.

    Le Général Jean-Pierre Kelche a estimé que la dissuasion offrait une garantie de sécurité crédible contre les menaces de tirs balistiques nucléaires. Il a par ailleurs exprimé ses doutes sur la possibilité d’édifier un bouclier antibalistique parfaitement étanche à l’échelle de l’Europe, ajoutant que vouloir suivre la voie des États-Unis en ce domaine reviendrait à s’engouffrer dans un piège financier similaire à celui qui avait été fatal aux Soviétiques lorsqu’avait été lancée l’initiative de défense stratégique. Il s’est néanmoins prononcé en faveur d’une vigilance accrue en matière de lutte contre la prolifération. La priorité n’en restait pas moins de construire un outil capable de faire face aux crises survenant en Europe.

    Revenant sur l’état des ressources en appelés, il a insisté sur la difficulté à prévoir le comportement des jeunes bénéficiant d’un report d’incorporation. Le déficit actuellement constaté porte sur de multiples emplois, pour lesquels des palliatifs partiels de sous-traitance sont étudiés.

    A une question de M. Arthur Paecht sur les problèmes d’effectifs du service de santé des Armées liés à la diminution du nombre d’appelés, le Général Jean-Pierre Kelche a indiqué que la situation demeurait difficile aux niveaux de la sélection et du recrutement des personnels employés sur contrats civils.

    II. — EXAMEN DE L’AVIS

    La Commission de la Défense s’est réunie le 27 octobre 1999, sous la présidence de M. Paul Quilès, Président, pour examiner les crédits du ministère de la Défense pour 2000 consacrés à la dissuasion nucléaire, sur le rapport de M. René Galy-Dejean, rapporteur pour avis.

    En préalable à son intervention, M. René Galy-Dejean a rappelé qu’il s’efforcerait, à l’instar des années précédentes, d’accompagner l’analyse des crédits budgétaires consacrés à la dissuasion nucléaire de notre pays d’une réflexion portant sur les problèmes plus généraux que pose la mise en œuvre d’un tel système d’armes à tous égards exceptionnel. Il a indiqué que cette démarche le conduisait cette année, à l’occasion de la présentation du rapport budgétaire dont la Commission lui confiait la responsabilité, à replacer les investissements affectés à la dissuasion par le projet de loi de finances dans le cadre plus général des capacités financières de la France, telles qu’elles résultent des budgets successifs votés au cours des dernières années ou qu’elles sont envisageables pour les années à venir. Il a fait observer que les propositions qu’il était conduit à faire dans son rapport, étaient le résultat d’une réflexion personnelle à laquelle il n’était pas certain que l’Assemblée nationale pourrait souscrire. Il a cependant émis le vœu que ses collègues veuillent bien à tout le moins considérer cette réflexion comme une contribution utile à l’examen des problèmes qui se posent au Gouvernement et à l’Assemblée nationale, s’agissant du financement et de la constitution de notre outil de défense.

    Il a expliqué que trois motifs au moins justifiaient sa démarche.

    Le premier porte sur le financement de la dissuasion elle-même. Notre pays va en effet avoir le plus grand mal à financer l’ensemble des programmes indispensables au maintien de la crédibilité de notre dissuasion nucléaire. Il y aurait certes un moyen de résoudre cette difficulté, en augmentant d’ores et déjà et au cours des années à venir les crédits d’investissement affectés à ce secteur de notre Défense.

    Tel n’est malheureusement pas le cas : le pourcentage du budget de la Défense consacré à ce système d’armes décroît régulièrement depuis plusieurs années et continue encore cette année à décroître. La diminution de 22 % des autorisations de programme affectées au budget de la Marine, dont la force océanique stratégique (FOST) constitue un des éléments essentiels, illustre tristement cette situation. M. René Galy-Dejean a indiqué qu’il procédait dans son rapport à une analyse détaillée des crédits indispensables à l’exécution des programmes déjà engagés pour la dissuasion et qu’il concluait à une impossibilité de réalisation, à budget constant.

    Il a présenté ensuite le deuxième motif qui inspirait sa démarche et qui tenait aux contraintes pesant sur le budget de la Marine, dont il a rappelé combien il est marqué par l’élément principal de notre dissuasion qu’est la FOST. C’est en effet ce budget qui doit supporter, au cours de la prochaine décennie, la masse la plus impressionnante de financement de grands programmes nouveaux. Précisant qu’il analysait dans son rapport les éléments constitutifs de ce qu’il est habituel d’appeler « la bosse financière » des prochaines années, M. René Galy-Dejean a estimé que, pour la Marine, cette bosse pouvait être évaluée à au moins 15 milliards de francs, certaines projections, parmi les plus fiables, allant jusqu’à 30 milliards de francs de crédits impératifs, qui viendraient s’ajouter aux inscriptions budgétaires telles qu’elles existent actuellement.

    Il a ensuite abordé la présentation du troisième motif qui le conduisait à resituer les éléments du présent projet de loi de finances dans le contexte plus général des lois de programmation militaire, à savoir l’inscription envisagée, dans le projet de budget pour 2000, des crédits nécessaires au lancement du quatrième sous-marin nucléaire lanceur d’engins de nouvelle génération (SNLE-NG). Il a rappelé que ce lancement était effectivement prévu à cette échéance par la loi de programmation militaire 1997-2002. Faisant observer qu’il conviendrait normalement de se réjouir de voir ainsi respecté le vote de l’Assemblée nationale, il a considéré toutefois qu’il fallait mettre en regard de ce calendrier le contexte financier dans lequel s’inscrivait une telle réalisation, qui a, au fil des années, profondément changé. Il a, à cet égard, évoqué les propos du Chef d’état-major des Armées lors de son audition devant la Commission, rappelant que d’encoches en annulations, de transferts du titre V vers le titre III en crédits non consommés, les armées avaient été privées, entre 1997 et 2000, de plus de 50 milliards de francs de crédits de paiement. Il a donc posé la question de savoir si l’on pouvait continuer à inscrire la réalisation de grands programmes militaires, tout en supprimant année après année les crédits nécessaires à leur financement.

    Il a fait observer que cette question valait évidemment pour le quatrième SNLE-NG, d’autant plus que se pose un double problème de cohérence financière et de cohérence stratégique pour les prochaines années.

    Le problème de cohérence financière réside dans la réalisation des grands programmes de la Marine. La France va investir, au cours des prochaines années, des sommes considérables dans le financement d’un groupe aéronaval dont il est d’ores et déjà de notoriété publique qu’il sera indisponible, et de fait inutilisable en tant que tel, quarante à cinquante pour cent du temps, du fait de l’existence d’un seul porte-avions. Cette distorsion entre les sommes investies et l’inefficacité opérationnelle va constituer dans les années à venir une grave incohérence.

    S’y ajoutera une incohérence stratégique, puisque l’action et la projection de forces constituent désormais des éléments très importants de notre doctrine de défense. Or, cette stratégie ne pourra être mise en œuvre que pendant les cinquante à soixante pour cent de temps de disponibilité du groupe aéronaval.

    Le rapporteur pour avis a considéré que ce double problème de cohérence commandait absolument la construction la plus rapide possible d’un deuxième porte-avions. Il a expliqué que ces considérations, jointes au désengagement budgétaire par rapport à la programmation, l’avaient conduit à juger que la problématique du deuxième porte-avions et du quatrième SNLE-NG méritait d’être posée, ajoutant qu’elle ne consistait pas en une simple préférence entre forces nucléaires et forces classiques ou entre bâtiments de surface et sous-marins. Il a estimé qu’il s’agissait de quelque chose de beaucoup plus grave concernant, d’une part, la dissuasion française, s’agissant du SNLE et, d’autre part, la cohérence stratégique de notre système de défense, s’agissant du porte-avions et du groupe aéronaval.

    Il a indiqué que tel était l’esprit qui avait conduit sa réflexion et l’avait fait aboutir à la conclusion qu’il était possible de renoncer provisoirement au lancement immédiat du quatrième SNLE-NG au profit de la mise en œuvre rapide d’un programme de deuxième porte-avions. Il a souligné que son raisonnement s’appuyait sur des éléments financiers, budgétaires et donc de calendrier, qu’il s’était efforcé de vérifier auprès des services compétents du ministère de la Défense.

    Quant à son raisonnement, il s’articule autour des éléments suivants :

    — le budget de la Marine apparaît impossible à financer dans les prochaines années au regard des programmes prévus ;

    — quant au point de savoir si la mise en œuvre immédiate du quatrième SNLE-NG est indispensable au maintien en condition de notre dissuasion, la réponse est négative, tout d’abord au regard du comportement des Européens, ensuite par rapport à la manœuvre nucléaire souhaitable pour la France dans le moyen terme et, enfin, eu égard au récent développement du fait nucléaire dans le monde ;

    — la nécessité d’un porte-avions apparaît prégnante compte tenu des enseignements de la guerre du Kosovo, après examen du problème posé par son mode de propulsion et des conséquences qui en découlent et eu égard à l’insupportable délai d’attente d’une présence raisonnable du groupe aéronaval à la mer ;

    — le porte-avions est un élément méconnu de la dissuasion nucléaire française. A ce propos, le rapporteur pour avis a précisé qu’en réfléchissant sur la question du porte-avions, il ne s’était pas éloigné de la doctrine nucléaire française, les porte-avions français, et le Charles de Gaulle tout particulièrement, ayant toujours eu la capacité nucléaire et pouvant donc de ce fait éventuellement contribuer à la manœuvre nucléaire. Il a précisé que ces éléments faisaient l’objet dans son rapport d’un raisonnement complexe et parfois très technique, qui avait toujours gardé en ligne de mire les éléments financiers et budgétaires qui concernent, au premier chef, l'Assemblée nationale.

    S’agissant de l’attitude à adopter quant à l’approbation du budget de la dissuasion nucléaire dans le projet de loi de finances, il a indiqué qu’il ne comportait pas que des aspects négatifs. En effet, un certain nombre d’investissements, et notamment ceux qui concernent la simulation et la réalisation des missiles M 51 et ASMP amélioré, peuvent être considérés comme satisfaisants. Il a jugé que ces aspects positifs du présent projet de budget confortaient la crédibilité de la dissuasion française pour la prochaine décennie et au-delà.

    Il a toutefois fait observer que la démonstration qu’il avait souhaité faire de la nécessité d’une inversion des priorités entre le quatrième SNLE-NG et le deuxième porte-avions l’empêchait d’approuver une démarche budgétaire, dont il avait indiqué qu’elle ne lui paraissait pas cohérente, ni sur le plan financier, ni sur le plan stratégique. Il s’en est par conséquent remis à la sagesse de l'Assemblée nationale pour le vote sur les crédits de la dissuasion.

    Le Président Paul Quilès s’est déclaré troublé par l’inversion de priorités proposée par le rapporteur, alors que le Ministre de la Défense avait précisé le calendrier de réalisation du quatrième SNLE-NG et qu’un second porte-avions n’était pas inscrit dans la loi de programmation militaire.

    M. René Galy-Dejean a estimé avoir démontré dans son rapport que le maintien du calendrier de réalisation du quatrième SNLE-NG rendait impossible tout financement d’un éventuel second porte-avions. Reconnaissant que ses propositions pouvaient donner lieu à débat, il a considéré que la France ne pourrait assumer le coût de ces deux programmes qu’au prix d’un accroissement annuel du budget de la Défense de 3 à 4 milliards de francs. Il a par ailleurs souligné qu’en 2008, le porte-avions Charles de Gaulle serait en IPER majeure, ce qui signifiait une indisponibilité de dix-huit mois à deux ans empêchant la France d’assumer ses responsabilités en cas de conflit nécessitant l’envoi d’un groupe aéronaval.

    M. Guy-Michel Chauveau a fait part de son étonnement devant les propositions du rapporteur, estimant que son raisonnement s’appuyait, soit sur l’hypothèse d’une mauvaise construction initiale de la loi de programmation, soit sur celle de l’impossibilité de réaliser sur le titre III les économies initialement prévues. Il a ajouté qu’une inversion des priorités impliquait de renoncer à d’éventuels partenariats avec d’autres pays européens pour la mise en œuvre commune d’un groupe aéronaval, tout en empêchant la construction du quatrième SNLE-NG.

    M. René Galy-Dejean a estimé que les paramètres sur lesquels les équilibres de la loi de programmation militaire avaient été définis avaient évolué en raison de l’insuffisance des ressources budgétaires effectivement disponibles face à la conjonction des programmes de la Marine entre 2002 et 2010 : quatrième SNLE-NG, second porte-avions, sous-marin d’attaque futur, NTCD, missile antinavire futur ou torpille MU 90. Précisant qu’il s’était sérieusement interrogé sur le réalisme de la programmation militaire, il a attiré l’attention des membres de la Commission sur le fait qu’au moins 50 milliards de francs manquaient d’ores et déjà pour la réalisation des équipements prévus, ce qui se répercutait nécessairement sur leur réalisation dans de bonnes conditions. Il a estimé que les économies éventuellement réalisables grâce à la professionnalisation n’étaient pas à la hauteur des besoins de financement découlant des programmes d’équipement de la Marine.

    Le Président Paul Quilès a rappelé qu’il avait été de ceux qui avaient douté de la réalité des économies espérées de la professionnalisation des forces.

    M. Charles Cova a déclaré partager l’opinion du rapporteur sur les priorités à retenir pour l’équipement de la Marine. Il a précisé que sa réflexion s’appuyait sur le constat de l’évolution récente des conflits et sur la nécessité de donner à la dissuasion une dimension européenne.

    M. René Galy-Dejean a souhaité apporter quelques précisions sur le concept de dissuasion concertée avancé conjointement par le Président de la République et le Premier ministre de l’époque en 1995-1996. Il a regretté que cette démarche ait échoué en raison du désintérêt allemand et de l’absence de soutien britannique.

    Le Président Paul Quilès a estimé que cet échec ne devait pas conduire à abandonner pour l’avenir toute recherche de convergence entre Européens en matière de dissuasion.

    Notant qu’un groupe aéronaval nécessitait, au-delà d’un porte-avions, des frégates d’accompagnement, M. Charles Cova a demandé si la présence simultanée de deux SNLE à la mer était réellement nécessaire.

    M. René Galy-Dejean a indiqué que, grâce notamment aux 2 milliards de francs « prêtés » par l’armée de l’Air, le programme des frégates Horizon peut être lancé. Il a ajouté que le nombre de SNLE simultanément à la mer pouvait être inférieur à 2, chiffre à comparer à la moyenne britannique inférieure à 1.

    Faisant remarquer que la durée des IPER du porte-avions Charles de Gaulle était connue dès sa conception, M. Robert Gaïa a demandé si la volonté de construire un deuxième porte-avions français ne revenait pas à tourner le dos à la perspective d’une défense européenne.

    M. René Galy-Dejean a répondu, qu’en théorie, un seul porte-avions pourrait suffire dans l’hypothèse d’une coopération avec les Britanniques. Il a toutefois fait remarquer que le Royaume-Uni ne disposait pas encore des deux porte-avions dont son gouvernement envisageait la construction et qu’il éprouvait également des difficultés à trouver les financements nécessaires. Par ailleurs, s’en remettre à la coopération avec un pays étranger peut s’avérer risqué en cas de divergence d’appréciation ou d’intérêt lors d’une crise.

    Il a également fait remarquer que les IPER, nécessairement longues, des porte-avions à propulsion nucléaire en faisaient des bâtiments qui présentaient de l’intérêt surtout pour un pays ayant les moyens d’en acquérir plusieurs. Il a estimé en conséquence que, malgré les avantages de la propulsion nucléaire, celle-ci n’était pas absolument nécessaire pour le second porte-avions. S’il était doté d’un mode de propulsion classique, et si ses spécifications étaient moins sophistiquées que celles du Charles de Gaulle, son coût pourrait être ramené à un montant situé entre 10 et 12 milliards de francs, chiffre à rapprocher des 14 milliards de francs de crédits nécessaires à la réalisation du quatrième SNLE-NG.

    M. Guy-Michel Chauveau a alors exprimé la conviction que le Royaume-Uni construirait les deux porte-avions de 40 000 tonnes à pont long qu’il envisage, ce qui rend crédible la perspective de coopération européenne. Il a par ailleurs fait remarquer au rapporteur, qu’en demandant de reporter la construction d’un SNLE, il contredisait la position qu’il avait défendue l’année précédente concernant l’urgence du M 51.

    M. René Galy-Dejean a rappelé que tout système d’armes comprenait, outre la plate-forme, le vecteur et la munition. Or, la crédibilité de l’actuelle munition, la TN 75, est garantie jusqu’en 2015, échéance à laquelle elle pourra être remplacée par une nouvelle tête, la TNO, grâce aux efforts de simulation, pour lesquels le financement est adéquat. Quant au vecteur d’emport, l’actuel M 45, il est essentiel qu’il soit remplacé à l’échéance prévue par le M 51, de manière à donner à notre dissuasion le caractère tous azimuts qui lui est indispensable.

    M. Loïc Bouvard a alors fait remarquer que, pour assurer la fonction indispensable de projection de forces, un second porte-avions, qui pourrait ne pas être nucléaire, s’imposait.

*

    La Commission de la Défense a procédé le 3 novembre 1999, dans l’après-midi, au vote sur les crédits de la défense pour 2000 ().

    La Commission a successivement donné un avis favorable à l’adoption des crédits consacrés à la dissuasion nucléaire, à l’espace, à l’armée de l’Air, à l’armée de Terre, à la Marine, à la Gendarmerie, les membres des groupes DL, RPR et UDF votant contre et ceux du groupe communiste s’abstenant. Elle a également donné un avis favorable à l’adoption des crédits consacrés aux Services communs, les membres des groupes DL, RPR et UDF votant contre et ceux du groupe communiste ainsi que M. Michel Meylan s’abstenant. Enfin, elle a donné un avis favorable à l’adoption de l’ensemble des crédits du titre III et des titres V et VI du ministère de la Défense ainsi que des articles 40 et 41 du projet de loi de finances pour 2000, les membres des groupes DL, RPR et UDF votant contre et ceux du groupe communiste s’abstenant.

    N°1864-02. - Avis de M. René Galy-Dejean, au nom de la commission de la Défense, sur le projet de loi de finances pour 2000. - Défense : dissuasion nucléaire

- Cliquer ici pour retourner au sommaire général

- Cliquez ici pour retourner à la liste des rapports et avis budgétaires

- Cliquez ici pour retourner à la liste des discussions budgétaires



© Assemblée nationale

Il est d’ailleurs intéressant de noter que tel a toujours été le principe de la doctrine de dissuasion française qui s’exerçait tous azimuts. De ce point de vue, la doctrine française apparaît aujourd’hui beaucoup plus moderne que celle des Etats-Unis notamment.

() Cette réunion a été précédée, le 3 novembre 1999 au matin, de l’audition de M. Alain Richard, Ministre de la Défense, sur les crédits de son ministère au cours d’une séance ouverte au public et à la presse. Le compte rendu de cette séance figure dans les avis n° 1864, tomes VII et VIII, de la Commission de la Défense relatifs respectivement aux dépenses ordinaires et aux dépenses en capital du projet de budget de la Défense pour 2000.