N° 3322

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 11 octobre 2001.

AVIS

PRÉSENTÉ

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES (1)

SUR LE PROJET DE loi de finances pour 2002 (n° 3262),

TOME III

AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COOPÉRATION ET DÉVELOPPEMENT

PAR M. JEAN-YVES GATEAUD,

Député

--

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

La Commission des Affaires étrangères est composée de :

M. François Loncle, président ; M. Gérard Charasse, M. Georges Hage, M. Jean-Bernard Raimond, vice-présidents ; M. Roland Blum, Mme Monique Collange, M. René Mangin, secrétaires ; Mme Michèle Alliot-Marie, Mme Nicole Ameline, M. René André, Mme Marie-Hélène Aubert, Mme Martine Aurillac, M. Édouard Balladur, M. Raymond Barre, M. Dominique Baudis, M. Henri Bertholet, M. Jean-Louis Bianco, M. André Billardon, M. André Borel, M. Bernard Bosson, M. Pierre Brana, M. Jean-Christophe Cambadélis, M. Hervé de Charette, M. Yves Dauge, M. Patrick Delnatte, M. Jean-Marie Demange, M. Xavier Deniau, M. Paul Dhaille, Mme Laurence Dumont, M. Jean-Paul Dupré, M. Charles Ehrmann, M. Jean-Michel Ferrand, M. Raymond Forni, M. Georges Frêche, M. Michel Fromet, M. Jean-Yves Gateaud, M. Jean Gaubert, M. Valéry Giscard d'Estaing, M. Jacques Godfrain, M. Pierre Goldberg, M. François Guillaume, M. Jean-Jacques Guillet, M. Robert Hue, Mme Bernadette Isaac-Sibille, M. Didier Julia, M. Alain Juppé, M. André Labarrère, M. Gilbert Le Bris, M. Jean-Claude Lefort, M. Guy Lengagne, M. François Léotard, M. Pierre Lequiller, M. Alain Le Vern, M. Bernard Madrelle, M. Jean-Paul Mariot, M. Gilbert Maurer, M. Jean-Claude Mignon, Mme Louise Moreau, M. Jacques Myard, Mme Françoise de Panafieu, M. Étienne Pinte, M. Marc Reymann, M. François Rochebloine, M. Gilbert Roseau, Mme Yvette Roudy, M. René Rouquet, M. Georges Sarre, M. Henri Sicre, Mme Christiane Taubira-Delannon, M. Michel Terrot, Mme Odette Trupin, M. Joseph Tyrode, M. Michel Vauzelle

SOMMAIRE

___

INTRODUCTION 5

I - LE BUDGET : Seuls un accroissement important de nos budgets de coopération et la progression de notre Aide Publique au Développement
à 0,7 % du Produit Intérieur Brut en 5 ans nous donneront les moyens
nécessaires à nos ambitions
7

A - EN 2002, LES MARGES DE MAN_UVRE RESTENT ENCORE FAIBLES
DANS L'ATTENTE D'UNE PROGRESSION SIGNIFICATIVE DES CRÉDITS DE COOPÉRATION
7

B - UNE VOLONTÉ POLITIQUE FORTE MET LA FRANCE AU PREMIER RANG
DE POLITIQUES MULTILATÉRALES PARTICULIÈREMENT MARQUANTES
15

II - LA RÉFORME DE LA COOPÉRATION : la réforme de notre coopération
et la rénovation de nos politiques d'aide plaident justement pour un
accroissement des moyens et elles doivent se poursuivre notamment en
termes de conditionnalités et de partenariats
25

A - LA CAPACITÉ DE NOTRE COOPÉRATION À SE RÉFORMER ET À RÉNOVER
SES POLITIQUES EST ÉVIDENTE QUAND ON EXAMINE LES EFFETS POSITIFS
DE LA RÉFORME DU MINISTÈRE SUR LA COOPÉRATION D'INFLUENCE
25

B - L'AVENIR DE NOTRE COOPÉRATION PASSE AUSSI PAR UNE MEILLEURE DÉFINITION DES CONDITIONNALITÉS DE NOTRE AIDE ET UN APPEL ACCRU
AU PARTENARIAT, NOTAMMENT DES ONG
32

CONCLUSION 49

EXAMEN EN COMMISSION 51

Annexe 1 - Programme de la visiste en Tunisie 87

Annexe 2 - Programme de la visiste en Côte d'Ivoire 89

Annexe 3 - Liste des personnalités auditionnées 91

Mesdames, Messieurs,

Il nous faut toujours replacer l'action de la France en matière de coopération et d'aide au développement dans son contexte : la mondialisation. A ceux qui seraient tentés de penser qu'on peut soit ignorer ce contexte, soit se dispenser de réguler les effets néfastes de la globalisation, la réalité a opposé un démenti récent d'une brutalité jamais envisagée.

Le fort gradient de développement entre le nord et le sud, qui voit le premier concentrer les richesses du monde et les 20 % les plus pauvres de la planète n'en détenir qu'1 % au sud, n'est sans doute ni la préoccupation première d'Oussama Ben Laden et de son organisation, ni la cause première des actes kamikazes commis aux Etats-Unis. Il n'empêche que la définition en moyens comme en orientations de notre politique de coopération ne peut faire abstraction des enseignements de ces événements. Le rappel à l'ordre du 11 septembre est éloquent. Le long terme doit l'emporter sur le conjoncturel. L'aune électorale est inappropriée, voire déplacée, pour décider des évolutions budgétaires, donc des moyens. Orienter avec quelque chance de succès nos rapports avec les pays du sud exige du temps ; nos politiques doivent s'imprimer dans la longue durée ; les budgets de la coopération doivent suivre. Cette année encore, nous n'en sommes pas là. Certes, concernant les crédits consacrés par la France à la coopération et à l'aide au développement, l'essentiel a été sauvé. Les parlementaires qui ont agi dans ce sens avec les Ministres et avec leurs principaux collaborateurs, s'en réjouissent. L'examen de ces crédits est pourtant décevant car nous n'y trouvons pas toujours les améliorations significatives attendues.

Au sein du budget des Affaires étrangères dont la dotation en francs constants n'est pas préservée compte tenu des fluctuations des cours du dollar, les crédits consacrés à la coopération et à l'aide au développement restent stables pour l'exercice 2002. Le budget des affaires étrangères n'enregistre, à structure constante que 1,3 % d'augmentation pour 2002 contre 5,3 % en 2001 soit 3 630 millions d'euros (23,8 milliards de francs). L'effet « change », si le cours du dollar devait rester celui observé en 2001, entraînerait en réalité une diminution de ces moyens.

Dans cette enveloppe assez mince les crédits consacrés à la coopération, qui avaient accusé une diminution de 3,3 % en 2001, et ceux de l'aide au développement évoluent peu. On ne pouvait faire moins compte tenu des engagements pris devant la représentation nationale.

I . SEULS UN ACCROISSEMENT IMPORTANT DE NOS BUDGETS DE COOPÉRATION ET LA PROGRESSION DE NOTRE AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT (APD) À 0,7 % DU PRODUIT INTÉRIEUR BRUT (PIB) EN 5 ANS NOUS DONNERONT LES MOYENS NÉCESSAIRES À NOS AMBITIONS.

A - En 2002, les marges de man_uvre restent encore faibles dans l'attente d'une progression significative des crédits de coopération

Le budget de la coopération ne fait pas partie des priorités affichées par le gouvernement que sont l'emploi, la sécurité et la justice notamment. Il aurait pu en souffrir. Il n'en est rien et c'est un point positif.

A périmètre constant, l'enveloppe dévolue aux actions de coopération et d'aide au développement qui comprend les crédits d'intervention culturelle, ceux de l'Agence pour l'enseignement du français à l'étranger (AEFE), ceux du Fonds de solidarité prioritaire (FSP) et les dons-projets de l'Agence française de développement (AFD) augmente de 17,6 millions d'euros (soit environ 115 millions de francs). C'est aussi un point positif.

En réalité, si l'on considère les modifications d'inscription des crédits (transferts de crédits vers les ministères qui accueillent les assistants techniques contractuels et regroupement des crédits de formation des coopérants sur le titre III), ce budget est à placer sous le signe d'une quasi-stabilité en 2002. Le pire a donc été évité mais on est loin du mieux. Du coup, il faut se réjouir du possible.

1) Les mesures nouvelles sont modestes mais lisibles

Dans ce cadre budgétaire réduisant strictement les marges de man_uvre, un certain nombre de mesures nouvelles s'inscrivent comme autant de réponses à des orientations souhaitées ou à des besoins exprimés, notamment ici à l'Assemblée Nationale. Les rapports parlementaires sont lus, comme il se doit, et celui, incisif et décapant, d'Yves Dauge sur le réseau des établissements culturels français à l'étranger le fut manifestement. Les établissements culturels et de recherche bénéficient d'une mesure nouvelle de 4,7 millions d'euros (31 millions de francs environ).

Un effort particulier sera consenti en 2002 pour l'accueil des étudiants étrangers en France en consacrant 1,5 million d'euros à un programme de bourses « Major » relayant les bourses d'excellence de l'AEFE.

800 000 euros seront consacrés à diffuser livres, écrits et revues spécialisés auprès des universitaires, chercheurs et journalistes francophones.

4 millions d'euros permettront dans l'audiovisuel d'améliorer notamment l'audience de TV5 en adaptant la chaîne francophone au contexte du continent américain.

La création, au sein du chapitre 42-37 « Autres interventions de politique internationale », d'un article pour les opérations de sorties de crise doté de 7,6 millions d'euros se fait quant à elle par simple transfert de crédits (crédits précédemment inscrits chapitre 68-91, article 20 « Fonds de solidarité prioritaire - Opérations exceptionnelles »), mais elle permet d'assurer une continuité depuis les situations d'urgence humanitaires jusqu'à l'aide au développement. De même, la fusion des chapitres de coopération et de développement (42-11 et 42-12) en un chapitre 42-15 global innove sans coûter plus mais facilite la gestion en concrétisant une volonté politique de cohérence de notre coopération.

Enfin, un appui accru aux activités extérieures de la société civile (organisations de solidarité internationale et coopération décentralisée) et l'objectif de maintenir les moyens de l'assistance technique viennent compléter cet ensemble de mesures nouvelles. Les marges de man_uvre dégagées restent modestes comparées aux ambitions mais la lisibilité de la politique française de coopération s'en trouve cependant renforcée.

2) Le niveau de notre Aide Publique au Développement (APD) reste le point faible

L'inscription de la contribution au Fonds européen de développement (FED) dans le budget des affaires étrangères permet de valoriser l'effort français d'aide au développement sans augmenter les crédits disponibles, mais le budget 2002 ne permet pas d'augmenter de façon substantielle l'aide publique au développement (APD). C'est là son point le plus faible.

Avec une APD représentant une part du Produit Intérieur Brut (PIB) de 0,32 % en 2000 (contre 0,39 % en 1999) - mais alors on comptabilisait encore dans l'APD les flux à destination de deux Territoires d'Outre-Mer (Nouvelle-Calédonie et Polynésie française) - et de 0,34 % sans doute en 2001 (grâce au traitement de la dette des pays pauvres et aux contributions multilatérales), nous sommes encore très loin du niveau atteint par notre APD au milieu des années 90 et de l'objectif de 0,7 %. Cette amorce de remontée, même confirmée en 2002, reste très insuffisante pour atteindre l'objectif de 0,7 % dans un délai raisonnable.

Nous ne pouvons nous en satisfaire même si on peut aisément expliquer la baisse constatée dans les années quatre-vingt dix et même si nous restons - en part du PIB - nettement devant les grands pays développés, le Royaume-Uni (0,31 %), le Japon et l'Allemagne (0,27 %), le Canada (0,25 %), l'Italie (0,13 %) et surtout les Etats-Unis (0,10 %).

En volume, avec 4,1 milliards de dollars, nous n'arrivons déjà plus qu'au cinquième rang derrière le Japon (14,2 milliards), les Etats-Unis (10,4), l'Allemagne (5,5) et le Royaume-Uni (4,8), devant les Pays-Bas (3,3), le Danemark et le Canada (1,9) ainsi que l'Italie (1,5).

Ce budget sauvegarde l'outil de coopération, mais ne permettant pas d'augmenter de façon substantielle et ciblée l'APD, il laisse peu de marges de man_uvre pour faire face à une situation internationale incertaine.

On attend donc toujours que soit enclenchée une progression réelle, forte et programmée de l'APD, l'amenant à 0,7 % du PIB en cinq ans. D'autant que les efforts de la France sont très importants par ailleurs.

3) Notre coopération de développement est bridée par une APD bilatérale insuffisante et des aides multilatérales très critiquées dans leur mise en _uvre

Les réflexions sur la régulation de la mondialisation, la gestion des biens publics globaux et les partenariats à mettre en place avec les pays en développement sont au centre de la doctrine française de coopération.

a) au niveau bilatéral

La stratégie française d'aide au développement est axée sur la consolidation de l'Etat de droit et l'enracinement de la démocratie. Elle est fondée sur la lutte contre la pauvreté et les inégalités, l'éducation, la santé de base et l'amélioration de la condition des femmes. La lutte contre les mécanismes qui engendrent la pauvreté par la promotion d'économies plus diversifiées, le développement des petites entreprises, la gestion rationnelle des ressources naturelles et l'aménagement des territoires, sont donc les priorités, notamment en Afrique. Mais le volume de l'APD française stagne.

Les crises politiques et sociales traversées par certains pays africains entraînent une baisse marquée des flux d'aide publique (c'est le cas pour la République Démocratique du Congo, le Rwanda, le Burundi, la République Centrafricaine, le Niger, le Togo, la Guinée-Bissao, la Côte d'Ivoire, le Liberia, la Sierra Leone) et surtout une diminution sensible de l'assistance technique. La baisse de certains décaissements multilatéraux ou communautaires, expliquerait dans certains cas la baisse de l'APD. L'incapacité à mobiliser l'aide non utilisée sur d'autres programmes, l'absence de souplesse dans l'attribution de certaines aides, les longueurs des procédures de décaissement, sont autant de freins. Malgré la protestation répétée de la représentation nationale, une profonde inertie prévaut à ce sujet.

On constate qu'en 2000 l'APD versée par la France s'est élevée, selon les dernières estimations disponibles, à 4,44 milliards d'Euros (289,1 milliards de Francs) représentant 0,32 % du PNB. L'objectif de 0,7 % n'est aujourd'hui atteint ni par la France ni par la plupart des pays donateurs à l'exception des pays nordiques.

Pour la première fois, en 2000, les flux à destination de deux territoires d'outre-mer -Nouvelle Calédonie et Polynésie française) n'ont pu être comptabilisés dans l'APD. A structure constante (hors TOM), la baisse de l'APD française en 2000 par rapport à l'année précédente n'est plus que de 5 % (voir le tableau ci-après sur la part de l'APD consacrée aux TOM).

Entendus par votre Rapporteur, MM. Hubert Prévot, Président de la Coordination Sud et Jean-Marie Fardeau, secrétaire général du Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD) se sont interrogés sur l'étendue de la zone de solidarité prioritaire (ZSP), notamment par rapport à notre niveau d'APD. Pour l'instant, le périmètre de la ZSP n'a pas été remis en cause puisque le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) ne s'est pas encore réuni à ce sujet. Avec 61 Etats, cette zone malgré ses cohérences géographiques et historiques est beaucoup trop étendue pour une APD française insuffisante en volume. Le système ne permet pas à l'aide bilatérale française de donner toute sa mesure. Certains pays nordiques ou les Pays-Bas sont plus sélectifs. Ils se limitent à la mise en _uvre de programmes choisis dans des Etats bien déterminés. En outre, plus de 5 % de leur aide transite par les ONG.

La répartition structurelle de l'aide bilatérale française évolue depuis cinq ans : les tableaux suivants montrent une augmentation de la part de la coopération technique, scientifique et culturelle de 31,4 % en 1995 à 42,8 % en 2000.

La part de l'aide multilatérale s'accroît et passe de 21,9 % en 1991 à 31,1 % en 2000. Ce mouvement semble irréversible alors que la façon dont l'Union européenne procède dans la gestion de l'aide au développement est stigmatisée avec unanimité.

b) au niveau multilatéral

Il est impossible d'assister à une réunion sur la politique d'aide au développement de l'Union européenne sans entendre une série de sarcasmes sur la lourdeur des procédures de décaissement des aides, l'absence d'utilisation pas toujours justifiée des crédits alloués, etc. La réforme mise en _uvre pour pallier ces carences ne semble pas avoir porté ses fruits. En Tunisie, les autorités se sont plaintes amèrement du système et de ses retards ; quant à certains opposants, ils ont ironisé sur le manque de professionnalisme des équipes européennes qui, chargées de promouvoir la liberté de la presse dans un pays où elle est notoirement inexistante, subventionnait les médias locaux dépendants du pouvoir donnant ainsi une sorte de prime à la censure.

On s'étonne également des difficultés que rencontrent de grandes ONG comme Médecins du Monde pour obtenir le règlement des financements promis. Le Docteur Gilles Raguin, vice président de Médecins du Monde, a estimé que des engagements n'ont pas été tenus. Médecins du Monde attend depuis trois ans des financements de l'Union européenne et envisage de remettre en question certains programmes en raison de ce retard. La réforme des services d'aide au développement de l'Union européenne se traduit par la volonté de limiter les intervenants et de s'adresser à de grandes ONG anglo-saxonnes pour sous traiter des programmes entiers en se coupant ainsi des ONG locales. Ainsi Médecins du Monde pourrait ne plus recevoir de subventions communautaires.

L'Union européenne peine à asseoir sa crédibilité en matière de coopération-développement ; ses procédures sont obscures, les délais trop longs et on ne peut qu'être surpris que ces critiques unanimes déjà formulées et renouvelées presque chaque année aient si peu d'effets immédiats. A ce bilan négatif s'ajoutent les problèmes de coordination que rencontre l'Union avec les grandes agences onusiennes.

L'incompatibilité des réglementations qui s'imposent respectivement à la Commission et au système onusien a entraîné des difficultés, qui ont pris en 1999 une tournure politique. Un échange de lettres avait permis de dégager un compromis, mais le volume des financements à certaines agences n'en avait pas moins été affecté comme le soutien de l'Office humanitaire ECHO au HCR. La Commission a engagé une discussion interne et développe une approche, fondée sur un engagement à améliorer ses relations avec les agences des Nations Unies en fonction de leur avantage comparatif et de l'amélioration de la représentation de l'Union dans leurs instances dirigeantes, afin de peser sur les décisions à la mesure de ses contributions.

Les conclusions du Conseil « Développement » du 31 mai 2001 constituent un message politique sur l'attachement du Conseil au renforcement du partenariat entre l'Union européenne et les Nations Unies. La possibilité de soutenir des programmes, sans exiger systématiquement le fléchage des appuis communautaires, est mentionnée. Des formules de compromis ont été trouvées pour marquer la volonté de la Commission d'être représentée dans les instances de décision des fonds et programmes.

c) des concepts nouveaux ?

La stagnation du volume de notre APD conjuguée aux difficultés politiques et économiques que connaissent certains pays conduit à s'interroger sur la mise en _uvre des concepts nouveaux.

MM. Hubert Prévot et Jean-Marie Fardeau ont insisté sur la nécessité de refonder l'APD sur des concepts nouveaux comme celui de biens publics mondiaux que sont la qualité de l'environnement, la sécurité, la société, etc... Les pays du Sud participent peu à la production de biens publics mondiaux mais ils peuvent générer selon eux des maux publics mondiaux.

B - Une volonté politique forte met la France au premier rang de politiques multilatérales particulièrement marquantes

Le niveau de l'APD ne doit pas masquer cette volonté politique .

1) L'allégement de la dette des pays pauvres les plus endettés

L'allégement de la dette des pays pauvres très endettés (PPTE) marque bien cette volonté. La France y contribue au-delà des engagements internationaux et procède à des annulations supplémentaires de créances selon le mode original des « contrats de développement et de désendettement » (C2D) qui, en lieu et place d'une annulation stricto sensu, permettent un réinvestissement sur place des sommes remboursées. Ce réinvestissement se fait sur la base de programmes et de projets spécifiques à chaque pays mais dans quatre domaines d'action retenus par le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) : l'éducation de base et la formation professionnelle, les soins de santé primaire et la lutte contre les grandes endémies, les équipements et infrastructures des collectivités locales, l'aménagement du territoire et la gestion des ressources naturelles.

Le refinancement par dons des créances à travers les contrats de désendettement et de développement auxquelles la France contribue largement a été développé. Mais, si ce système de réinvestissement sur place des sommes remboursées permet de lutter contre la pauvreté, on ne doit pas en exagérer la portée. D'après M. Jean-Claude Faure, Président du Comité d'Aide au Développement de l'OCDE, ce système judicieux soutient les efforts financiers et budgétaires des pays qui s'engagent dans ces stratégies cependant il n'est en aucun cas un moyen d'augmenter l'APD, mais seulement un système de recyclage utile de cette aide qui devrait apparaître dans les comptes du trésor.

2) La lutte contre le SIDA

De même que pour l'allègement de la dette des PPTE, la France est aussi au premier rang de l'effort international de lutte contre le SIDA. On sait combien sont effrayants les éléments du constat concernant cette pandémie : 22 millions de morts déjà, entraînant chute de la population active et déséquilibre des pyramides des âges ; 26 millions de personnes infectées pour la seule Afrique sub-saharienne ; plus de 13 millions d'orphelins particulièrement vulnérables ; diminution de la durée moyenne de vie ; impact économique, social et pas seulement démographique...

a) L'impact du Sida sur le développement

Plus de 36 millions de personnes vivent actuellement avec le Sida dans le monde dont 1,4 million d'enfants de moins de 15 ans. Le cumul des décès depuis l'apparition de la maladie est estimé à près de 22 millions. Cette situation conduit, dans les pays les plus touchés où la chute démographique pourrait représenter un cinquième de la population active, à une destructuration des pyramides des âges et des déséquilibres forts entre adultes actifs et personnes dépendantes.

A elle seule, l'Afrique sub-saharienne compte 26 millions de personnes infectées et 21 des pays où le taux de séropositivité est le plus élevé. Un quart des adultes est infecté au Botswana, au Zimbabwe ou en Namibie, et plus de 10 % le sont dans au moins 10 autres pays. Avec près de 70 % du total des personnes infectées, l'Afrique sub-saharienne supporte donc le plus gros fardeau de cette maladie qui est désormais la première cause de mortalité. La plupart des personnes infectées mourront dans les dix années à venir pour s'ajouter aux 14 millions d'Africains déjà emportés par l'épidémie. Aujourd'hui, la probabilité qu'un enfant né en Zambie ou au Zimbabwe meure du sida dépasse 50 %.

En 2010, les pays d'Afrique australe devraient être les plus touchés par le Sida, avec des taux de prévalence dans la tranche d'âge 15-49 ans qui pourraient atteindre 40 % au Botswana, 38 % en Afrique du Sud ou encore 34 % au Zimbabwe. Ces taux sont bien supérieurs aux taux de prévalence prévus pour les pays d'Afrique de l'est et orientale (13 % en moyenne) et pour ceux d'Afrique centrale et de l'ouest (15 % en République Centrafricaine, 13 % en Côte d'Ivoire et 11 % au Nigeria, par exemple).

Comme le montrent les tableaux ci-après, le Sida est une véritable catastrophe démographique.

Région

Adultes

et enfants

vivant avec le VIH/SIDA

Total

des nouveaux cas

d'infection

à VIH

Taux

de prévalence

chez les adultes

(15 -49 ans)

% femmes

parmi les

adultes

séropositifs

Afrique

subsaharienne

25, 3 millions

3,8 millions

8,8 %

55 %

Afrique du Nord

et Moyen-Orient

400 000

80 000

0,2 %

40 %

Asie du Sud

et du Sud-Est

5,8 millions

780 000

0,56 %

35 %

Asie de l'Est

et Pacifique

640 000

130 000

0,07 %

13 %

Amérique Latine

1,4 million

150 000

0,5 %

25 %

Caraïbes

390 000

60 000

2,3 %

35 %

Europe orientale

et Asie centrale

700 000

250 000

0,35 %

25 %

Europe occidentale

540 000

30 000

0,24 %

25 %

Amérique du Nord

920 000

45 000

0,6 %

20 %

Australie et

Nouvelle Zélande

15 000

500

0,13 %

10 %

TOTAL

36,1 millions

5,3 millions

1,1 %

47 %

Nombre de personnes vivant avec le VIH/SIDA

Total

Adultes

_ Femmes

Enfants _ 15 ans

36,1 millions

34,7 millions

16,4 millions

1,4 million

Nouveaux cas d'infection à VIH en 2000

Total

Adultes

_ Femmes

Enfants _ 15 ans

5,3 millions

4,7 millions

2,2 millions

600 000

Décès dus au SIDA en 2000

Total

Adultes

_ Femmes

Enfants _ 15 ans

3 millions

2,5 millions

1,3 millions

500 000

Total cumulé des décès dus au Sida depuis

le début de l'épidémie

Total

Adultes

_ Femmes

Enfants _ 15 ans

21,8 millions

17,5 millions

9 millions

4,3 millions

ONUSIDA - Tableau récapitulatif de l'épidémie
d'infection à VIH/SIDA

Le Sida est une tragédie sociale dont la conséquence dramatique est l'érosion des progrès réalisés depuis plusieurs décennies en matière d'espérance générale de vie et de survie de l'enfant.

On estime actuellement à plus de 13 millions le nombre d'enfants orphelins du Sida et à 40 millions l'effectif attendu en 2010 ; la majorité d'entre eux se trouve en Afrique sub-saharienne soit, dans certains pays, plus de 10 % de l'ensemble des enfants. Ces enfants, qui doivent généralement subvenir à leurs propres besoins et assumer souvent des responsabilités d'adultes dans un foyer qu'ils sont par ailleurs plus susceptibles que d'autres d'abandonner ou de perdre, sont particulièrement vulnérables vis à vis de l'accès aux soins et à l'éducation ; ils sont soumis à des risques majeurs d'extrême paupérisation, d'exclusion et de marginalisation avec tous les dangers qui y sont liés.

La question des enfants des rues entre pour partie dans cette problématique, compliquée encore par le fait que les enfants affectés par le décès de leurs parents morts du Sida peuvent également en être infectés. Indépendamment des différences de cultures et de pays, la famille africaine élargie et la communauté pourvoyaient traditionnellement aux besoins de ces enfants. L'ampleur sans précédent du problème posé, le modernisme et ses tendances individualistes, la pression socio-économique, le développement de la mobilité géographique et de l'urbanisation, l'importance des coûts liés à une prise en charge moderne (éducation, santé...) ont érodé, voire singulièrement mis à mal ce système traditionnel dont les mécanismes de solidarité ne sont plus guère opérants.

De ce fait, les projections démographiques établies par les Nations Unies sont alarmantes. Il est indéniable que le Sida limite la croissance économique des pays les plus touchés, même s'il demeure difficile d'en quantifier l'impact macro-économique.

En Afrique du Sud, la population, de l'ordre de 40 millions d'habitants aujourd'hui, pourrait atteindre 43 millions en 2015 au lieu de 50 millions prévisibles en l'absence de Sida. Dans ce même pays, l'espérance de vie (55 ans actuellement) pourrait régresser à 47 ans d'ici 2010, soit un écart de 20 ans par rapport aux projections établies pour une situation de référence sans Sida (67 ans). La durée moyenne de vie en Zambie a chuté de manière spectaculaire, passant de 43 ans en 1996, à 37 ans actuellement. Les situations sont globalement identiques pour l'ensemble des pays, même si les écarts sont moins prononcés. Pour sa part, la Banque mondiale estime qu'au delà d'un taux de prévalence de 8 % chez les adultes, chaque point supplémentaire coûte 0,4 point de croissance.

Le Sida est une menace économique aux multiples composantes touchant les secteurs productifs publics et privés. Il laisse derrière lui des familles détruites, une force de travail diminuée et donc des perspectives de développement paralysées ou fortement entravées. En touchant surtout les tranches d'âge les plus actives, la pandémie de Sida pèse ainsi sur la croissance et ses facteurs, notamment l'éducation.

Les dépenses de santé associées à la propagation du virus augmentent constamment. Cet accroissement s'opère au détriment des secteurs productifs. En réduisant les revenus, l'extension de la maladie provoque également une diminution de l'épargne privée et publique et réduit, dès lors, l'accumulation du capital et la création d'emplois, notamment dans le secteur moderne de l'économie.

Du fait de son impact démographique, économique et social, le Sida pourrait conduire à un affaiblissement politique des pays les plus touchés, voire à une déstabilisation des régimes en place. La progression des phénomènes de pauvreté, de précarité et d'exclusion dans les sociétés déjà fragilisées, constitue une épée de Damoclès pour les autorités politiques nationales. La perspective, dans les pays les plus affectés, de la disparition sur une décennie, de près d'un quart de la population adulte, représente une saignée humaine sans précédent dans l'histoire moderne. La chute démographique et ses conséquences économiques et sociales, comme le fort taux de prévalence dans certains segments de la population, notamment les forces armées, pourraient affaiblir considérablement certains pays qui émergent actuellement comme des puissances régionales, l'Afrique du Sud notamment.

Le gouffre existant entre la situation au Nord où la pandémie est sous contrôle et où les malades ont largement accès aux trithérapies et le Sud (explosion du nombre de malades privés d'accès aux soins) n'est pas soutenable à court terme et pourrait conduire à une forte dégradation du climat international si l'hécatombe, que les statistiques actuelles laissent entrevoir, devient une réalité.

b) La réponse internationale

La communauté internationale s'est organisée pour faire face à cette pandémie en élaborant de véritables stratégies de lutte et en mettant en place au niveau de l'ONU des fonds multilatéraux de lutte contre le Sida, dont la gestion a été confiée en 1987 à l'OMS. La prise de conscience de la menace a franchi une étape importante au cours de l'année 2000. Le Conseil de sécurité des Nations Unies, qui n'avait jamais abordé une question de santé publique en 45 ans d'histoire, s'est réuni à trois reprises en l'espace d'une année pour aborder celle du Sida.

La réunion du G 8 d'Okinawa en juillet 2000 a aussi fait référence au Sida et contient des engagements clairs pour renforcer la réponse internationale. La Commission européenne a organisé en septembre 2000 une table ronde internationale pour une action accélérée sur le Sida.

Le 27 juin 2001, l'ONU a adopté une déclaration d'engagement sur le Sida intitulée « A crise mondiale action mondiale » demandant un renforcement de l'APD, des initiatives en faveur des pays pauvres très endettés et en ciblant les populations les plus vulnérables. Elle a demandé que des ressources nouvelles soient allouées pour atteindre d'ici à 2005 un montant annuel de dépenses de 7 à 10 milliards de dollars pour la lutte contre l'épidémie dans tous les pays à faible revenu.

Cependant, d'après le Docteur Gilles Raguin, vice-président de Médecins du Monde, la réunion de New York a révélé des points de blocages inquiétants pour la prévention et le traitement de la maladie. Les prostituées, les drogués et les homosexuels ne sont pas reconnus comme populations vulnérables en raison du refus des pays musulmans qui les considèrent comme des « démons sociaux ».

Les Etats-Unis ont de leur côté pesé pour que l'accent soit mis sur la prévention plus que sur la généralisation du traitement par trithérapie. Or la prévention a montré ses limites : l'épidémie est en progression partout à l'exception de l'Ouganda et de la Thaïlande. On ne peut donc dissocier prévention et intervention thérapeutique.

Les grandes entreprises ont mis au point des programmes sociaux pour financer le traitement de leurs salariés évitant ainsi les conséquences économiques de la maladie contrairement à la stratégie préconisée à tort par les Etats-Unis. De leur côté, les laboratoires semblent vouloir négocier pays par pays les programmes de traitement pour obtenir que ces pays renoncent aux antirétroviraux génériques ce qui constituera une source de difficultés financières pour ces pays.

c) Le rôle de la France

Dans le cadre d'une prise de conscience enfin généralisée et de plus en plus à la hauteur de l'enjeu, Organisation de l'unité africaine (OUA), ONU, Bureau international du travail (BIT), société civile (des ONG aux communautés de villages ou de quartiers et aux associations) sont maintenant mobilisés. La France a fait plus vite que d'autres (dès 1985), avec plus de moyens (80 millions de francs en moyenne par an en direction des pays en voie de développement de 1987 à 1997) et plus fort encore à partir de 1997 avec la création du Fonds de solidarité thérapeutique international. Notre pays poursuit aujourd'hui dans cette voie en accroissant de façon considérable ses contributions financières à cette lutte. Alors que la France consacre déjà plus de 15 millions d'euros par an d'aide bilatérale à la lutte contre le Sida, le Premier Ministre a annoncé récemment un effort supplémentaire très important : sur les 10 milliards d'euros que le Gouvernement affectera à l'annulation de la dette des pays les plus pauvres, 1 milliard sera consacré à la lutte contre le Sida dans les pays concernés. La France contribuera en outre à hauteur de 150 millions d'euros sur trois ans à la constitution du Fonds mondial pour le Sida et la santé.

Le programme du gouvernement français, d'appui à la lutte contre le Sida dans les pays en développement, a en effet démarré en 1985 en mobilisant d'importants moyens. Sur la base des conclusions de l'évaluation externe des programmes de lutte contre le Sida pour la décennie 1987-1997, l'effort du gouvernement français en direction des pays en développement a représenté, en moyenne 80 millions de Francs de dépenses totales effectives, y compris l'assistance technique, soit pratiquement le quart de l'action dédiée au domaine sanitaire. Cet engagement s'est renforcé, en 1997, avec la création du Fonds de solidarité thérapeutique international, qui a démontré qu'il était possible aux malades du Sud d'accéder aux antirétroviraux et a pu ainsi faire admettre la nécessité de développer des programmes de lutte globaux, alliant prévention et soins. C'est également dans cette perspective que la France a proposé d'organiser fin novembre 2001, à Dakar, une réunion internationale consacrée à l'accès aux soins dans les pays en développement victimes de la pandémie. L'objectif général de la réunion internationale, coorganisée avec ONUSIDA et l'OMS, sera de proposer des solutions réalistes et durables au problème de la prise en charge des malades dans les pays en développement afin de réduire les inégalités Nord-Sud.

Pour 2000-2001, on compte 45 projets d'appui à la lutte contre le Sida. Ils sont en cours d'exécution ou d'instruction dans 28 pays, pour un montant total de plus de 200 millions de Francs évalué sur la durée des projets et programmes (voir tableau ci-après). Il reste donc à mettre au diapason de ces efforts considérables pour désendetter les pays pauvres et lutter contre le SIDA les niveaux de nos budgets de coopération et de notre aide publique au développement. Cela passe par un accroissement important de nos crédits de coopération qui n'est toujours pas à l'ordre du jour en 2002, ou en tant cas pas à la hauteur de la volonté politique exprimée par ailleurs.

II - LA RÉFORME DE NOTRE COOPÉRATION ET LA RÉNOVATION DE NOS POLITIQUES D'AIDE PLAIDENT JUSTEMENT POUR UN ACCROISSEMENT DES MOYENS ET ELLES DOIVENT SE POURSUIVRE NOTAMMENT EN TERMES DE CONDITIONNALITÉS ET DE PARTENARIATS

A - La capacité de notre coopération à se réformer et à rénover ses politiques est évidente quand on examine les effets positifs de la réforme du ministère sur la coopération d'influence

1) Une réflexion sur ses enjeux impulse les efforts de rationalisation de notre coopération scientifique et technique

La France s'est efforcée de développer une relation de partenariat avec les pays en développement car selon M. Bruno Delaye, directeur de la Direction générale de la coopération internationale et du développement (DGCID), les futurs enjeux planétaires sont conditionnés par la maîtrise des connaissances et des savoirs, le rayonnement intellectuel et culturel. Aussi s'agit-il de rapprocher la coopération d'influence et la coopération de développement, de peser dans les débats par une politique de communication en encourageant les intellectuels, les scientifiques, les chercheurs, à séjourner à l'étranger, à y effectuer des recherches, à débattre sur les médias, à affirmer leur différence culturelle. La réforme de la coopération a été l'occasion d'un renouvellement de la pensée et pas seulement des méthodes et d'une réflexion sur les enjeux à venir.

2) Au niveau des personnels, une perception positive de la réforme et une nouvelle culture de projet

a) Une fusion et une clarification des rôles réussies

Ces effets sont perceptibles quand on interroge les personnels concernés sur le terrain comme ce fut notre cas en Tunisie et en Côte d'Ivoire. Dans les deux pays, la réforme a été bien perçue par les personnels français, passées les craintes premières. En effet la fusion des deux administrations concernées, malgré sa difficulté, est réussie. Ainsi, en moins de deux ans d'existence, la DGCID a su rapprocher les logiques de la coopération culturelle, scientifique et technique et celle de la coopération de développement. Les modalités de mise en _uvre du Fonds de solidarité prioritaire (FSP) sont aujourd'hui clarifiées et font prévaloir une culture de projet modernisée. Le fonctionnement de l'Agence française de développement (AFD) a suivi la même évolution ; elle réalise des infrastructures dans les secteurs éducatifs et sociaux, en liaison avec la coopération « institutionnelle » du Ministère des Affaires étrangères, tout en intervenant avec d'autres agences de coopération.

b) Quelques difficultés de procédures encore

Ce système novateur connaît pourtant parfois des difficultés d'application qu'a évoquées M. François Colas, directeur du département des projets sociaux de l'AFD. En effet le financement des infrastructures de santé et d'éducation par l'AFD ne permet pas de régler, dans les pays de la ZSP, les questions liées à des problèmes d'entretien de ces infrastructures ou au fonctionnement des administrations locales.

Il ne sert à rien de construire des écoles si les enseignants font défaut. Or, dans la plupart des pays de la ZSP en Afrique, le système scolaire est sinistré : le coût des salaires des enseignants par rapport au PIB par habitant y est deux fois plus élevé qu'en Asie. Dans ces conditions, selon M. François Colas, l'AFD doit s'assurer avant toute construction d'infrastructure que le projet est viable quel que soit son financement. Avant de construire une école, elle s'assure que la demande existe et que, par exemple, des maîtres exercent déjà dans des locaux précaires. L'Agence est ainsi amenée à travailler en partenariat avec des ONG (Ecoliers du monde) notamment.

Les nouvelles procédures ne sont pas forcément bien comprises par nos partenaires qui ont des difficultés à cerner les secteurs qui relèvent de l'AFD (les infrastructures) et celles qui relèvent des Services de coopération et d'action culturelle (SCAC). Un exemple de ces difficultés fut donné par M. Ben Fraj, directeur de l'Institut du patrimoine à Tunis, souhaitant que la France participe à la construction d'un musée à Douga.

Il est difficile aussi de traiter de la même manière tous les pays de la ZSP tant les niveaux de développement sont différents. Ainsi M. Merdassi, Ministre tunisien de la Coopération internationale et des Investissements extérieurs tout en se réjouissant du volume et de la qualité de la coopération franco-tunisienne a critiqué les mécanismes compliqués du Fonds d'aide aux études et au secteur privé (FASEP) et de la réserve des pays émergents qui compliquent par leur lenteur, selon lui, les relations de partenariat et limitent la présence des entreprises françaises dans certains secteurs.

c) Une assistance technique stabilisée

L'adaptation de l'assistance technique aux besoins de la coopération internationale se poursuit. La programmation des postes d'assistants techniques en 2002 renforce la démarche contractuelle en la matière. C'est en fonction des besoins liés aux projets et aux programmes, soit d'assistance technique « résidentielle », soit d'expertise de courte et moyenne durée, que seront mobilisées par la DGCID les compétences requises.

Les inquiétudes exprimées par des parlementaires l'an dernier au sujet de la diminution très rapide du nombre de postes semblent avoir été entendues. Il y avait de quoi s'inquiéter : 6 309 postes en 1991, 1 568  en 2001 (moins 4 741). Une ligne de 58 millions de francs a été ouverte par le ministère sur son budget 2002, qui correspond au montant des postes supprimés en 2001, c'est-à-dire à autant de créations de postes en 2002. On devrait donc revenir au niveau de l'année 2000 (1 919 postes) et mettre en _uvre, semble-t-il, la volonté exprimée par le Ministre de la Coopération, de "maintenir un effectif à hauteur de 2 000 postes."

Ces dix dernières années, le nombre de postes d'assistants techniques ne cessait de décroître inexorablement malgré les vives protestations que cette décrue suscitait, comme le montre l'évolution des effectifs d'assistants techniques depuis 1991 :

1991 6309

1992 5598

1993 4877

1994 4213

1995 3637

1996 3196

1997 2919

1998 2577

1999 2174

2000 1919

2001 1568

Les prévisions pour 2002 n'ont pas été complètement précisées même si l'on indique vouloir assurer le maintien global des moyens budgétaires dévolus à l'assistance technique, et même si le Ministre de la Coopération a indiqué au Sénat le 5 juin dernier que « le prochain Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) devait décider la création de 500 emplois budgétaires pour l'expertise ponctuelle ». L'effectif total devrait donc bien se situer à un peu plus de 2 000 postes.

Cela devrait permettre le maintien effectif de l'effort d'assistance technique, faciliter l'arbitrage entre les approches sectorielle et géographique en matière de créations de postes et accompagner le redéploiement des actions en faveur des pays nouveaux de la ZSP et des pays du « hors-champ ».

L'assistance technique relève jusqu'à présent de deux régimes : d'une part celui issu du Ministère des Affaires étrangères concernant les agents de l'Etat et des établissements publics en poste à l'étranger, régi par le décret du 28 mars 1967, et d'autre part celui issu de l'ex-Ministère de la coopération, régi par une loi de 1972 et le décret de 1992. Le Ministère des Affaires étrangères a décidé d'harmoniser la situation de ces agents. Au 1er janvier 2002 le régime prévu par le décret du 28 mars 1967 sera étendu à l'ensemble de l'assistance technique, selon des modalités tenant compte dans toute la mesure du possible des particularités les plus pertinentes du décret de 1992.

3) Des effets bénéfiques pour l'image de la France

Les effets positifs de la réforme sur la coopération d'influence sont aussi bénéfiques pour l'image de la France dans le monde. Encourager l'internationalisation de la recherche française, soutenir nos chercheurs pour les colloques et congrès internationaux, aider les organismes français de recherche, développer les programmes visant à une meilleure connaissance des pays en voie de développement, favoriser l'émergence de communautés scientifiques au sud, développer nos moyens de pénétration par l'audiovisuel vont dans ce sens. De même, la promotion de la diversité culturelle par la valorisation des savoir-faire culturels français et le développement au sein de la ZSP de politiques culturelles propres à conforter les identités nationales et les productions autonomes.

Comme l'explique M. Bruno Delaye, directeur de la DGCID, ces options doivent à l'évidence s'accompagner d'une implication financière plus grande de la France : c'est le cas dans TV5, notamment pour ses programmes en direction du continent américain où le déficit d'audience était inquiétant compte tenu de l'inadaptation évidente de la programmation au public de la région.

Par la coopération culturelle, scientifique et technique, la France participe au renforcement de son image et de son rôle en Europe et dans le monde ; elle promeut ainsi la diversité culturelle et offre une alternative aux influences anglo-saxonnes. Elle s'efforce de développer le plurilinguisme afin de soutenir les fondements de la diversité culturelle.

La formation des futures générations en français et la valorisation de l'image de la langue française comme vecteur de modernité, sont devenus prioritaires. Mais il faut savoir que l'usage du français dans les institutions internationales, notamment l'ONU, et les secteurs économiques et scientifiques régresse. Dans ces secteurs les Français ont eux-mêmes tendance à s'exprimer en anglais et à publier dans cette langue. Les institutions de la francophonie multilatérale, inadaptées aux nouveaux enjeux, deviennent même un handicap tant elles tardent à s'adapter comme l'a montré le rapport de Mme Yvette Roudy sur « Francophonie et droits de l'Homme ».

4) Elargir notre offre d'enseignement : une autre priorité

Rénover nos politiques en matière de coopération d'influence passe par une autre priorité : élargir notre offre d'enseignement, notamment en favorisant l'accueil des étudiants étrangers en France.

La tendance à la baisse du nombre d'étudiants étrangers accueillis en France a été enrayée : ils étaient près de 174 000 en 2000, soit 25 000 de plus qu'en 1998. La création de l'agence Edufrance est un progrès mais il reste à mieux faire connaître notre offre de formations supérieures, à simplifier les démarches de ces jeunes et à mieux les accueillir.

En matière de bourses, il était temps de réagir. En dix ans, le nombre de boursiers du gouvernement français avait peu diminué : 22 171 en 1990, 21 884 en 2000. Mais les crédits étaient passés dans le même temps de 718 millions de francs à 618 millions de francs, diminuant le nombre de mensualités accordées de 126 846 (5,72 mois par boursier) en 1990 à 84 611 (3,86 mois par boursier) en 2000, ce qui marquait une dégradation inquiétante mais relativement peu visible, pour ne pas dire relativement bien cachée, de notre système, les postes diplomatiques gérant ainsi la diminution des crédits globaux.

Cette évolution s'est inversée depuis deux ans : augmentation de la durée des bourses et du nombre de boursiers, fléchage des crédits affectés aux bourses, création du programme de bourses d'excellence Eiffel, développement maintenant du programme de bourses Major (mesure nouvelle de 10 millions de francs en 2002) sont les principales mesures de ce redressement. Elles demeurent à confirmer et à amplifier.

Programme de bourses - Données globales

Données

1990

1991

1992

1993

1994

1995

1996

1997

1998

1999

2000

Nombre total de boursiers

22171

22074

24896

24065

23069

23563

23413

23545

23023

22221

21884

Nombre total de mensualités

126846

127859

116433

106640

100327

90037

86559

85944

80194

80419

84611

Nombre de mois par boursiers


5,72


5,79


4,68


4,43


4,35


3,82


3,70


3,65


3,48


3,62


3,86

Coût total en MF


718


777


739


689


631


616


633


628


595


593


618

Coût en M€

109

118

113

105

96

94

97

96

91

90

94

Coût par mensualité en F


5660


6077


6347


6461


6289


6842


7313


7307


7420


7374


7299

Après avoir constaté que c'est vers le monde anglo-saxon que s'orientent de plus en plus fréquemment les étudiants étrangers, notamment dans les disciplines du commerce et de la haute administration, les programmes de bourses ont en effet été revus pour mieux jouer leur rôle de formation des élites étrangères et d'attraction des étudiants étrangers en France. Le Ministère des Affaires étrangères a mené plusieurs actions en s'appuyant sur l'Agence EduFrance, opérationnelle depuis 1999 (simplification des procédures d'obtention des visas étudiants, création d'un espace européen de l'enseignement supérieur), mais les formalités restent un frein.

La création au sein de la DGCID d'un Bureau de la formation des étrangers en France marque aussi cette priorité désormais accordée à la formation des étrangers en France. Ainsi le fléchage des crédits affectés aux bourses permet d'éviter qu'ils ne soient utilisés à d'autres fins par les postes.

Les programmes de bourses ont été restructurés afin de mieux jouer leur rôle pour la formation des élites étrangères et attirer un plus grand nombre d'étudiants étrangers en France. Depuis le lancement début 1999 du système de bourses d'excellence Eiffel, destinées à former en France des décideurs étrangers de l'entreprise et de l'administration, plus de 1 100 étudiants ont été sélectionnés sur environ 3 200 dossiers de candidatures évalués. De plus, de grands programmes de formations, très ciblés, ont été mis en place en collaboration avec des partenaires étrangers, cofinancés par chacun des pays : la gestion en est confiée à des opérateurs français publics ou privés (Brésil, Chili, Colombie, Malaisie, Syrie, Vietnam).

Conformément aux conclusions du rapport du professeur Elie Cohen remis en juillet 2001, un plan d'action pour améliorer l'accueil des étudiants étrangers en France a été engagé pour faciliter l'accès des élèves des lycées français de l'étranger à l'enseignement supérieur français.

Le développement du programme de bourses Major est prévu. Il donne aux meilleurs des anciens élèves étrangers des lycées français à l'étranger, sélectionnés par l'Agence pour l'enseignement du français à l'étranger (AEFE) la possibilité de bénéficier d'une bourse d'excellence de deux ans dans l'enseignement supérieur et de poursuivre leurs études en second cycle trois années supplémentaires. Ce programme devrait bénéficier à près de 250 de ces étudiants. Il est très bien perçu dans le Maghreb et notamment en Tunisie.

La répartition par région fait apparaître que les étudiants originaires d'Afrique du Nord demeurent les premiers bénéficiaires de bourses en 2000 (28 %), malgré une baisse continue depuis 1997 (32,2 %) et l'augmentation depuis dix ans du nombre de boursiers en provenance de l'Europe de l'Est (de 3 541 à 3 843, soit 14,6 % en 1990 et 17,6 % en 2000). La croissance du nombre total de boursiers étrangers va de pair avec une baisse importante de ceux venus d'Afrique subsaharienne, ce qui montre les limites de certains choix.

Les établissements scolaires français à l'étranger participent à l'élargissement de l'offre d'enseignement de la France. Ils concernent à un titre ou à un autre, presque tous nos compatriotes : enseignants, élèves et parents. Votre Rapporteur a pu constater, notamment en Afrique et en particulier en Côte d'Ivoire, que des réformes seront nécessaires dans un proche avenir sur au moins trois plans. D'abord, la gestion de ces établissements mériterait d'être clarifiée pour s'assurer que si elle n'est pas dans tous les cas publique, elle aboutit néanmoins véritablement à un service public. Ensuite, le statut des enseignants relevant peu ou prou de trois niveaux très disparates, notamment en terme de rémunération, devra être simplifié sinon unifié au niveau médian : il est aujourd'hui aussi difficile de justifier le coût d'un « expatrié » que d'admettre la situation des « recrutés locaux ». Enfin, il conviendra de faire en sorte que les tarifs des « écolages » soient encadrés afin d'éviter que, pour des raisons de coût excessif, des établissements français soient inaccessibles à certains Français !

B - L'avenir de notre coopération passe aussi par une meilleure définition des conditionnalités de notre aide et un appel accru au partenariat, notamment des ONG

1) La question des conditionnalités

Le débat sur la conditionnalité des aides au développement est récurrent. Faut-il continuer d'aider les pays qui ne respectent pas les règles de bonne gouvernance et les droits de la personne ? Les politiques de sanctions ont-elles un impact sur les régimes politiques ou pénalisent-elles plus sûrement les populations les plus vulnérables ? Tels sont les termes d'un débat difficile à trancher que les attentats du 11 septembre ont replacé au c_ur de l'actualité.

Au-delà de raisonnements simples trop souvent employés dans ce débat récurrent, on sait bien aujourd'hui que la liste des conditionnalités issues de la volonté de voir respecter les règles de bonne gouvernance et les droits de la personne peut être longue. Le Haut Conseil de la Coopération internationale (HCCI) en a recensé plusieurs centaines. C'est dire aussitôt leur difficulté d'application donc leur inefficacité. On sait tout aussi inefficaces les politiques de sanction dont on a mesuré les effets pervers dans les rapports des opinions publiques avec les gouvernements concernés et dans les risques encourus par les populations les plus vulnérables.

a) Un bilan mitigé des conditionnalités et des politiques sanctions

Le rapport du 26 juin 2001 de notre collègue M. René Mangin « ONU : les sanctions en question » comme l'avis du Haut Conseil de la Coopération internationale (HCCI) du 10 juillet 2001 sur « Coopération internationale et droits de l'Homme » dressent un bilan sans complaisance des effets néfastes des politiques de sanctions comme des conditionnalités strictes sur les populations.

Le HCCI a affirmé que les droits de l'Homme devaient être une composante clé de la coopération internationale. Dressant le bilan de l'efficacité des différentes conditionnalités imposées par les donateurs (parfois plusieurs centaines) il constate qu'il est très difficile aux bénéficiaires de les prendre en compte et de se les approprier ; que cette pratique engendre de fortes inéquités car plus un pays est économiquement puissant et stratégiquement important, moins les exigences sont fortes. Les sanctions infligées pour le non respect de certaines conditionnalités peuvent avoir un double effet pervers. Elles soudent l'opinion publique du pays sanctionné autour de son gouvernement fut-il le pire, contre les bailleurs de fonds par réflexe de patriotisme. Elles mettent en péril les populations les plus vulnérables.

Le HCCI et le rapport précité plaident pour une approche contractuelle plutôt qu'unilatérale et une application souple plutôt qu'une imposition rigide. L'idée de conditionnalité positive est peut-être une solution aux difficultés constatées. Certains pays l'appliquent déjà, tels les Pays-Bas. La France semble plus réticente.

Le CICID a souligné le 22 juin 2000 que l'intensité de la coopération de la France avec les différents Etats de la ZSP pouvait varier en fonction du comportement des pays concernés. Le Ministère des Affaires étrangères considère quant à lui que « si une politique des droits de l'Homme s'inscrit volontairement dans une politique globale de coopération, les difficultés de mise en _uvre de cette politique n'en sont pas moins réelles car l'universalité et l'indivisibilité des droits de l'Homme sont des principes contestés dans certaines régions du monde ».

En tout cas, la définition par la France des conditionnalités de son aide est toujours très attendue. Votre Rapporteur a pu le mesurer aussi bien en Côte-d'Ivoire où le Forum de réconciliation nationale et la reprise de l'aide internationale ne sont pas seulement deux événements parallèles, qu'en Tunisie où nos aides à la formation de journalistes ne parvenant qu'aux médias officiels sont perçues par la Ligue Tunisienne des Droits de l'Homme comme une prime à la censure, ce qui n'est pas exactement le but recherché.

Votre Rapporteur a souhaité étudier plus particulièrement le cas de ces deux pays fort différents de la zone de solidarité prioritaire qui ont en commun le fait d'être des partenaires anciens et importants en volume de crédits de la coopération bilatérale avec la France. Il s'est rendu en Tunisie du 19 au 21 septembre et en Côte d'Ivoire du 1er au 6 octobre .

b) Le cas de la Tunisie

Les relations franco-tunisiennes sont caractérisées par une coopération importante dans tous les domaines et une large convergence de vue sur les principaux sujets internationaux. En revanche les divergences de vue sur la question des droits de l'homme affectent les relations politiques.

L'intensité des échanges économiques entre la France et la Tunisie est frappante : la France demeure le premier partenaire de la Tunisie.

Premier client (27 % des exportations tunisiennes), la France est également le premier fournisseur de la Tunisie (28 % des importations tunisiennes). Entre 400 et 500 entreprises françaises sont implantées en Tunisie. La France y est le premier investisseur étranger et le premier bailleur de fonds bilatéraux. Au cours des onze dernières années, les concours publics bilatéraux de la France en Tunisie se sont élevés en moyenne annuelle à 722 MF par an.

A côté des aides bilatérales, la France participe à hauteur d'environ 18 % aux programmes d'aide financés par l'Union européenne (notamment les projets inscrits sur les lignes MEDA : 408 millions d'Euros engagés pour la période 1996-1999). En outre, les engagements nets de l'AFD en Tunisie ont connu une croissance soutenue et atteignent aujourd'hui, tant en engagements qu'en décaissements, environ 70 millions d'Euros par an, ce qui fait de ce pays le premier emprunteur du groupe en 1999 et le deuxième en 2000. Les engagements de 2001 devraient restés sur la tendance des années précédentes. De ce fait, l'AFD est devenue un bailleur de référence en Tunisie.

Malgré ces efforts, la demande des autorités politiques rencontrées (M. Merdassi, Ministre de la Coopération internationale et des investissements extérieurs et M. Maaoui, Ministre délégué auprès du Premier Ministre, chargé des droits de l'homme, de la communication et des relations avec le Parlement) d'intensifier la coopération en matière économique est pressante. C'est selon eux une nécessité absolue pour que l'économie tunisienne se mette à niveau. La Tunisie entre en effet dans la phase la plus délicate du processus de démantèlement tarifaire avec l'Union européenne ; ses productions locales ont donc cessé d'être protégées de la concurrence extérieure.

Malgré l'importance de cette coopération bilatérale et l'engagement de l'Union européenne, la Tunisie, pays de loin le plus prospère du Maghreb et le mieux préparé à la vie démocratique ne respecte pas les conditionnalités minimales en matière de droits de l'homme.

La situation des droits de l'homme en Tunisie reste très critique depuis la répression de grande ampleur menée entre 1990 et 1992 contre l'opposition islamiste. Le régime tunisien maintient un contrôle très étroit sur l'ensemble de la vie politique et sociale. Le verrouillage total du système politique, consacré par le résultat des élections d'octobre 1999 et la multiplication récente des affaires touchant les défenseurs des droits de l'homme, confère à la question des droits de l'homme une place centrale dans les relations de la Tunisie avec l'extérieur et affaiblissent les relations bilatérales au niveau politique.

L'opposition au régime est mal tolérée. Selon la Fédération des droits de l'homme (FIDH), Amnesty international et Reporters sans Frontières, plusieurs centaines de personnes sont incarcérées pour raison politique. La torture et les mauvais traitements dans les prisons et les commissariats ne sont pas rares. La surveillance policière, les tracasseries administratives (confiscation des passeports) constituent des moyens de pression sur les opposants et les membres d'organisations de défense des droits de l'homme, ainsi que sur leurs familles et leurs amis. La Tunisie peut apparaître ainsi comme un « commissariat avec vue sur la mer ».

La presse locale a perdu pratiquement toute liberté critique ; la presse étrangère et notamment française est censurée. Il en va de même pour la télévision. France 2 n'a plus de canal et n'est captée que par antenne satellitaire.

La répression, centrée au début de la décennie sur la menace islamiste, s'est rapidement déplacée vers les défenseurs des droits de l'homme et les militants de l'opposition laïque, qualifiés d'extrémistes. Cette évolution inquiétante est illustrée par la multiplication au cours des derniers mois de violations des droits de l'homme et des libertés publiques : procès du Professeur Moncef Marzouki, ancien président de la Ligue tunisienne des droits de l'homme (LTDH), inculpé pour « maintien d'association non autorisée, diffusion de fausses nouvelles, distribution de tracts et de diffamation », et gel des activités de la LTDH auquel s'ajoute l'emprisonnement du 26 juin au 11 août 2001 de la militante tunisienne des droits de l'homme, Mme Bensedrine et l'affaire du haut magistrat Mokhtar Yahyaoui, etc...

Actuellement le régime politique tunisien ne semble donner aucun signe tangible d'ouverture et les attentats du 11 septembre risquent de renforcer son argumentation en faveur de sa politique autoritaire. Pourtant les membres de l'opposition rencontrés par votre Rapporteur n'ont pas demandé l'application de règles de conditionnalités strictes en matière d'aide bilatérale, multilatérale ou de coopération car selon eux elles seraient pénalisantes dans une phase critique de l'économie tunisienne et ne contribueraient pas à affaiblir le caractère autoritaire du régime.

C'est la sélectivité de la coopération, de l'aide qui a été demandée par les défenseurs des droits de l'homme, afin d'éviter qu'elles contribuent au renforcement du régime. Selon eux, il convient d'évoquer la question des droits de l'homme à l'occasion de la distribution de ces aides et de veiller scrupuleusement à ce qu'elles profitent à la société civile et aux ONG indépendantes. Ainsi la gestion des aides à la formation des journalistes à travers les crédits MEDA a-t-elle été stigmatisée. Ne parvenant qu'aux médias officiels , elle est perçue comme une prime à la censure. Pour les défenseurs des droits de l'homme, la France ne favorise pas assez la coopération avec la société civile. L'aide bilatérale importante est de fait confisquée par l'Etat et les Tunisiens n'ont donc pas conscience des efforts consentis par la France.

Selon le Rassemblement socialiste progressiste, les embargos et les mesures de diminution des aides ne renforcent pas la démocratie. La fragilisation des couches sociales les plus vulnérables à laquelle elle aboutit ne pousse pas au sursaut démocratique. Au contraire il convient de soutenir toutes les initiatives que favorise l'ouverture économique.

c) Le cas de la Côte d'Ivoire

La France reste le premier partenaire économique de la Côte d'Ivoire qui accueille près de 20 000 Français. En 1999 la Côte d'Ivoire était le premier bénéficiaire de l'aide publique française au développement sur le continent africain avec un montant de 1,2 milliard de Francs. Avant le coup d'Etat de décembre 1999, la coopération civile entre la France et la Côte d'Ivoire était fondée sur les accords bilatéraux de 1969 et était très substantielle, les apports français s'étant élevés entre 1980 et 1996, à 28,5 milliards de Francs français, soit plus de la moitié de l'aide totale extérieure totale reçue par ce pays.

La France a réaménagé son dispositif de coopération : elle a gelé les programmes de coopération ne bénéficiant pas aux populations ivoiriennes et retiré les coopérants civils et militaires dans les domaines touchant aux fonctions régaliennes de l'Etat. Cependant, les programmes destinés à appuyer le redressement économique et financier du pays ont été préservés, de même que les bourses d'études ou de stages. En raison des arriérés de la Côte d'Ivoire à l'égard de l'AFD à hauteur de 176 millions d'Euros, celle-ci a suspendu, depuis le 1er septembre 2000, les versements sur prêts à l'Etat.

Actuellement, la nécessité d'accompagner le retour à la démocratie en Côte d'Ivoire a été prise en compte, conduisant à réactiver, depuis janvier 2001, différentes actions de coopération civile avec Abidjan. La priorité de la coopération française au premier semestre 2001 a été l'aide à la Côte d'Ivoire dans son dialogue avec les institutions de Bretton Woods. Un appui à la négociation financière internationale, d'un montant de 10,7 millions de Francs a été prévu.

Afin de lutter contre le processus de déliquescence de l'armée et de la gendarmerie ivoiriennes qui aurait pu porter les germes de nouvelles difficultés pour l'Etat ivoirien, la décision de reprise progressive et conditionnelle de la coopération militaire avec la Côte d'Ivoire a été prise en juin 2001 avec une enveloppe de 42 millions de Francs.

La période de transition ouverte avec le coup d'Etat militaire de décembre 1999 a eu pour effet d'amplifier les problèmes : la conjonction des incertitudes liées aux événements politiques et à la suspension des aides internationales a provoqué une croissance négative - 2,6 % en 2000. Si les matières premières (café, cacao, coton) ont connu une bonne année, conduisant à une croissance de 13,6 % du secteur primaire, les secteurs secondaire et tertiaire se sont fortement repliés (de 13,8 % et 7,9 % respectivement). Les investissements se sont quant à eux contractés de 32,2 %.

Dans un tel contexte la reprise de l'aide internationale est nécessaire d'autant qu'un processus de réconciliation nationale est en cours, même s'il est imparfait. L'acquittement des gendarmes dans l'affaire de Yapougon jette le trouble. Les principaux responsables des organisations de défense des droits de l'homme souhaitent que, dans cette affaire comme dans d'autres, la lutte contre l'impunité devienne une priorité. Appliquer des conditionnalités plus radicales à la Côte d'Ivoire ne lui permettrait pas de connaître une vie politique plus apaisée et pénaliserait les plus faibles. La crise économique a accentué la crise des secteurs de santé et d'éducation. L'aide internationale a donc repris graduellement.

d) Les conditionnalités en matière de santé de la reproduction

Une meilleure définition par la France des conditionnalités de son aide passe non seulement par la question des droits de l'Homme en général, mais aussi par celle des droits des femmes en particulier. Le développement ne peut être possible s'il ne repose d'abord sur l'éducation des jeunes et de l'émancipation des femmes. Concernant ce deuxième point, des évolutions importantes sont en cours ; l'action des ONG et de l'Europe progresse très rapidement, notamment en prenant en compte l'énorme enjeu de ce que les anglo-saxons appellent la "santé de la reproduction". Cela recouvre la question de la lutte contre le SIDA déjà évoquée et aussi la question des mutilations génitales féminines, excision en particulier.

Le 10 septembre dernier, le Parlement européen a adopté une résolution sur les mutilations génitales féminines demandant de prendre des mesures pour combattre ce phénomène, pour soutenir les femmes qui en sont victimes et surtout pour leur ouvrir le droit d'asile quand elles risquent de les subir. Notre pays doit s'efforcer d'aborder et de traiter ce problème à travers les conditionnalités de son aide quand on sait que dans certains pays africains, ce sont plus de 90 % des filles et des femmes qui sont soumises à ces mutilations.

Tous les pays concernés n'ont pas encore légiféré pour interdire ces pratiques (le Mali par exemple) ; dans certains cas, le droit n'a même pas suffisamment évolué pour qu'elles soient reconnues comme des mutilations ; dans ces régions sub-sahariennes, certains plaident même pour une médicalisation de la pratique de l'excision au prétexte qu'elle ne poserait qu'un problème de santé publique et de risque de complications pour la femme ou la fille et non un problème d'atteinte à l'intégrité de la personne, donc de droit.

Nos liens particuliers avec les pays les plus touchés par ces pratiques et le développement de ces pratiques en France même par le biais de l'immigration doivent inévitablement amener notre pays à se préoccuper autant de cette question que de la lutte contre le SIDA. C'est une question de conditionnalités plus que de moyens financiers : cela n'est pas plus facile pour autant. Nous aurons bien besoin de partenaires pour réussir. Ces partenaires existent : associations locales de femmes, ONG locales et étrangères... Aujourd'hui, un vaste mouvement se dessine, la France doit y prendre toute sa place.

En travaillant sur place cette question dans le cadre d'une mission organisée pour un groupe de parlementaires d'Europe par le Forum Parlementaire inter-européen pour la population et le développement, avec l'IPPF (International Planned Parenthood Federation : Fédération internationale pour la planification familiale) relayée en France par l'ONG d'influence « Equilibres et Populations » et en Afrique par les ONG burkinabe ABBEF (Association burkinabé pour le bien-être familial) et malienne AMPPF (Association malienne pour la promotion et la protection de la famille) votre Rapporteur a pu mesurer l'ampleur du problème.

Il faut d'abord souligner comme particulièrement préoccupante la situation économique, politique, juridique et sociale des femmes dans ces sociétés, peu en rapport avec leur rôle central dans la famille et dans la communauté.

Voici ce qu'écrit le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) à propos des femmes maliennes : « Les femmes du Mali constituent 51,7 % de la population. Leur situation est marquée par un taux de fécondité élevé (6,7 enfants par femme), par le mariage précoce (16 ans pour 30 % d'entre elles contre 25,8 ans pour les hommes), par une mortalité maternelle très élevée (577 décès pour cent mille naissances vivantes pour la période 1991-1996), par le faible niveau d'alphabétisation (14,1 % en 1994 contre 32,3 % pour les hommes), par le taux de scolarisation également faible (33,4 % contre plus de 50 % pour les garçons en 1995-1996) et par la malnutrition aiguë pour une forte proportion des femmes (16 %). Tous ces facteurs contribuent à faire des femmes le groupe le plus vulnérable à la pauvreté et à la paupérisation dont les contraintes majeures identifiées sont les suivantes : l'analphabétisme, la multiplicité et la pénibilité des travaux domestiques, le manque de formation et le peu de technicité, la sous information, un état de santé précaire (taux de morbidité et de mortalité élevé), un statut défavorable, le manque de moyens de production et les difficultés d'accès aux crédits.

« En dépit de leur contribution intense aux activités socio-économiques, les femmes sont socialement maintenues dans des liens de dépendance quasi-généralisés.

« Le statut juridique de la femme est marqué par son infériorisation, son inféodation, légalisé à travers la législation (code du mariage), les interprétations abusives et/ou erronées des lois, leur ignorance et/ou leur non application. Ayant difficilement accès à la propriété d'une part, à la décision d'autre part, les femmes sont désavantagées au triple plan économique, juridique, et socio-culturel. D'où la nécessité d'appréhender la problématique femme dans ces trois dimensions. »

Dans son livre blanc sur « la situation de la femme malienne » l'Association pour le progrès et la défense des droits des femmes (APDF) présidée par Madame Fatoumata Siré Diakité recense, au sein des multiples violences faites aux femmes de ce pays - mais la situation est identique dans bien d'autres régions ou pays d'Afrique -, les « pratiques traditionnelles néfastes à la femme ». Elle explique :

« Souvent imposées par la société, elles constituent des formes de violence exercée à l'encontre de la femme au nom de la culture et de la tradition. Certaines de ces pratiques traditionnelles néfastes sont : les scarifications, les tatouages, le gavage, le lévirat (obligation pour la veuve d'épouser un parent de son époux défunt), le sororat (obligation pour la jeune s_ur d'épouser le mari de sa s_ur défunte), les rites liés au veuvage, les tabous nutritionnels, le perçage. Enfin les mutilations génitales féminines (MGF), communément appelées excision au Mali, constituent la pire forme des pratiques traditionnelles néfastes. »

Ce phénomène de l'excision est ainsi décrit très objectivement par le Ministère malien de la Promotion de la femme, de l'enfant et de la famille et le Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP) :

« Les procès intentés contre certains Maliens résidant en France ayant excisé leurs filles en février 1999 ont mis la lumière sur l'une des pratiques traditionnelles les plus vieilles de la société malienne. L'excision n'est pas propre au Mali seulement. Elle aurait été pratiquée en Angleterre et en Russie jusqu'au début du 20ème siècle. En Afrique des pays comme le Bénin, le Burkina Faso, l'Egypte, l'Ethiopie, l'Erythrée, la Guinée, le Kenya, la Mauritanie, le Sénégal, la Somalie, le Soudan, la Tanzanie, le Togo, le Yémen, etc. pratiquent l'excision même si aujourd'hui des lois l'interdisent dans certains d'entre eux (le Burkina Faso, la Côte d'Ivoire, l'Egypte, la Guinée, le Sénégal, le Togo etc.).

« L'excision, qui consiste en l'ablation du clitoris et/ou des petites lèvres de l'appareil génital féminin est actuellement pratiquée sous plusieurs formes. La plus fréquemment rencontrée au Mali est l'excision du prépuce et du clitoris et l'excision partielle ou totale des petites lèvres.

« L'excision est pratiquée dans toutes les régions du Mali puisque 94 % de la population féminine âgée de 15 à 49 ans l'ont subie. Si la religion ne semble pas jouer un rôle important dans sa pratique, l'appartenance ethnique par contre semble jouer un rôle déterminant. En effet, il existe des ethnies au Mali chez qui la pratique de l'excision est peu répandue. Ce sont : les Arabes, les Bwa, les Sénoufo, les Songhay et les Touaregs.

« Les us et les coutumes sont les principales explications avancées pour justifier cette pratique. Si traditionnellement, au Mali, l'excision entrait dans le cadre de la socialisation de la fille et était considérée comme un rite de passage dans le monde des femmes, aujourd'hui elle ne joue plus ce rôle. Elle est dans la plupart des cas pratiquée sur des fillettes de moins d'un an.

« S'il existe plusieurs pratiques néfastes au Mali - le Comité National d'action pour l'éradication des pratiques néfastes (CNAEPN) a dénombré seize pratiques néfastes - l'excision apparaît cependant comme celle qui pose aujourd'hui le plus de défis. Ses nombreuses conséquences peuvent être immédiates ou tardives et peuvent même entraîner la mort. Les principales sont :

« Les conséquences gynéco-obstétricales ; Il s'agit essentiellement de : hémorragies, infections aiguës et chroniques y compris le VIH (virus du Sida), distocies obstétricales (difficultés d'accouchement), chéloides (tumeurs cicatricielles), dysménorrhées (douleurs pendant les règles), hématocolpos (accumulation du sang menstruel dans le vagin), lésions des organes de voisinage (vessie et urètre), traumatisme du clitoris, fistules vésico-vaginales, stérilité suite aux infections chroniques.

« Les conséquences urologiques ; il s'agit notamment de : la sténose ou béance du méal urétal, le diaphragme préméatique, l'atrophie vulvaire, la dysurie (difficulté à uriner).

« Les conséquences psychologiques et sociales : des études relèvent certains problèmes socio-psychologiques tels que : la peur des rapports sexuels, la douleur dans les rapports sexuels, la frigidité pouvant conduire à des mésententes conjugales, l'exclusion sociale des femmes souffrant d'incontinence urinaire ou fécale suite aux fistules.

A noter que l'excision est aussi un phénomène ayant une composante économique, selon l'APDF : « L'autre raison qui est évoquée de plus en plus par les femmes exciseuses est économique : en effet, la pratique des MGF n'est pas gratuite, elle se paie. Pour chaque fille excisée ou infibulée, les parents paient en argent une somme dont le montant varie selon les localités (5 000 F CFA à Bamako, 500 F CFA ailleurs). Le paiement se fait aussi en nature (animaux, volailles, céréales, savons, habits, etc.) »

Les mutilations génitales féminines constituent donc une pratique généralisée et persistante au Mali mais très présente aussi ailleurs (Burkina Faso, Sénégal, etc.). Il est donc bien nécessaire que la France, comme les autres pays du Nord, intègre systématiquement, en leur donnant une place particulière, les questions de santé de la reproduction dans ses politiques de coopération d'aide au développement et de façon générale dans ses relations internationales ; qu'elle prenne dans ce cadre, toutes mesures favorisant l'abandon des mutilations génitales féminines et l'éradication de l'excision ; qu'elle mette enfin, au c_ur des stratégies de développement l'éducation des jeunes et la reconnaissance de la place des femmes.

Les témoignages rapportés lors de la table ronde organisée en juin 2000 par Equilibres et Populations et le Groupe pour l'abolition des mutilations sexuelles (GAMS) sont éloquentes : « A chaque fois que je discute avec des vieilles femmes, on aboutit toujours à cette constatation : cela nous a été imposé par les hommes et que pouvions-nous faire ? Nous étions ignorantes... Plus les filles seront éduquées, plus ces pratiques disparaîtront... »

Comme l'a fait observer Mme Eugénie Czorny, responsable du groupe santé générique de Médecins du Monde le rôle des femmes est capital pour faire disparaître ces pratiques. Il est nécessaire de s'appuyer sur les associations locales pour y parvenir mais, dans certaines régions elles sont peu nombreuses. Elle a évoqué aussi le cas des femmes qui, victimes de viols dans les conflits, restent sans secours ni soins et le problème grave et méconnu des enfants issus de ces viols. Plus généralement, selon elle, la prise en charge de la douleur est totalement insuffisante dans les pays sous-développés et notamment en Afrique subsaharienne alors qu'on pourrait souvent y remédier à peu de frais.

2) Un appel accru au partenariat

La plupart des pays très pauvres et très endettés ayant une capacité d'absorption de l'aide limité (absence d'administration efficace, délitement de l'Etat, conflits) de nouvelles modalités de coopération de développement doivent être étendues. On peut augmenter la part de l'aide bilatérale ou multilatérale transitant par les ONG, favoriser le développement de la coopération décentralisée ou de micro-projets en privilégiant des secteurs clés.

a) Institutionnaliser les relations avec les ONG et augmenter la part de l'APD gérée par elles

En France 1 % seulement de l'APD est gérée par les ONG contre 5 % dans les pays nordiques alors que les ONG connaissent souvent mieux que quiconque le terrain et les populations.

Certes le Ministère des Affaires étrangères mobilise plusieurs directions et services dans ses rapports avec les organisations de solidarité internationale (OSI) ; la Mission pour la coopération non gouvernementale (MCNG) occupe une place privilégiée dans cette relation qui se trouve ancrée au sein de la DGCID. La Direction des Nations Unies et des organisations internationales (DNUOI), le Service de l'action humanitaire (SAH), et les postes diplomatiques et consulaires entretiennent aussi des rapports avec les OSI.

Les OSI peuvent demander au ministère une subvention pour mener à bien un projet qu'elles ont préparé ou à l'inverse le ministère peut, quant à lui, lancer un appel d'offres auquel elles répondent dans le cadre de la réglementation en vigueur, en particulier celle concernant la concurrence. Le gré à gré est aussi possible. Les ambassades (services de coopération et d'action culturelle) financent des actions conduites par des ONG, souvent étrangères, dans le cadre du Fonds de solidarité et de développement (FSD) ou, indirectement, par les fonds de contrepartie de l'aide alimentaire par exemple.

Une troisième catégorie de projets ou de programmes concerne les actions concertées, fondées presque toujours sur le partenariat : les conventions-programmes, les programmes concertés (par pays ou par secteur d'activité), les dotations au partenariat pour renforcer les ONG des pays tiers, les programmes d'éducation au développement, les missions de volontariat.

L'évolution des relations entre le ministère et les OSI s'est traduite par la mise en _uvre de ces nouveaux instruments ainsi que par la place reconnue aux organisations de solidarité internationale créées et animées par des migrants résidant en France (OSIM), qui participent aux projets de co-développement en particulier.

Les crédits attribués par la MCNG aux OSI vont pour plus de 50 % à des actions localisées en Afrique et dans la zone de solidarité prioritaire (ZSP). Le secteur rural reçoit 37 % des ressources et reste le premier bénéficiaire. 84 % des crédits du SAH destinés aux ONG concernent les Balkans alors que cette région reçoit 62 % de l'ensemble des crédits du SAH, 25 % allant à l'Afrique Subsaharienne.

Traditionnellement, le financement des projets de développement constitue le socle de la relation entre l'Etat et les OSI. L'accès des OSI au Fonds de solidarité prioritaire (FSP) conforte cette base. Mais la prolifération de petits projets peut conduire à l'engorgement du système de financement. D'où la volonté de lancer des programmes inter-associatifs et concertés et le regroupement des OSI en coordination. Un climat assez consensuel prévaut actuellement entre les organisations regroupant les acteurs non gouvernementaux et le Ministère.

En effet la coopération d'Etat a montré ses limites, alors que les ONG et les collectivités territoriales ont montré leur capacité à conduire des projets innovants au plus près des besoins des populations concernées. Ces acteurs sont complémentaires. Les sociétés des pays bénéficiaires de l'aide au développement se sont transformées. Il n'est plus pensable d'élaborer des stratégies de développement auxquelles n'adhéreront ni les responsables locaux, ni les bénéficiaires directs.

b) Coopération décentralisée, co-développement, partenariats multiples

Qui de mieux placé qu'une collectivité territoriale pour comprendre les attentes d'une autre collectivité territoriale ? Qui de mieux placé que les organisations de solidarité internationale pour renforcer les organisations de bases, soutenir les comités de village, comprendre les craintes des populations, entendre leurs besoins ? Les ONG, les collectivités territoriales et les autres acteurs non gouvernementaux aujourd'hui présents sur la scène internationale sont devenus incontournables et partagent souvent avec l'Etat des objectifs de portée internationale.

Médecins du Monde comme la Coordination Sud ont cependant regretté le manque de moyens financiers. M. Hubert Prévot, Président de la Coordination Sud a dénoncé le risque d'annulation des programmes prévue en 2001 faute de ligne de crédit sur le chapitre 42-4.

En Tunisie comme en Côte d'Ivoire, votre Rapporteur a pu le constater sur place, la coopération scientifique, technique comme de développement doit s'effectuer en partenariat et associer à la réalisation d'un même projet des intervenants locaux, des ONG, des migrants et des acteurs étatiques. Ces partenariats sont très prisés et très efficaces.

Les collectivités locales et les associations d'immigrés dans le cadre du codéveloppement manifestent régulièrement leur volonté de travailler en partenariat, pour développer les zones d'origine des populations immigrées, leur intégration dans la cité. On recense au moins une trentaine de collectivités locales françaises travaillant dans leur projet de coopération internationale, avec des associations de migrants ou OSIM (Organisations de Solidarité internationale issues de l'immigration).

Des Conventions de codéveloppement ont été signées entre le Mali et la France (21 décembre 2000) et entre le Sénégal et la France (25 mai 2000). Elles encouragent les démarches entre les pays, impliquant une gestion conjointe des migrations entre les trois pays. Ces conventions de codéveloppement prévoient des moyens financiers. D'ailleurs, les migrants sont de plus en plus reconnus comme acteurs de solidarité internationale : des rencontres, séminaires, témoignent de cette évolution.

L'association Cités Unies France qui a signé avec le Ministère des Affaires étrangères une convention d'objectifs, prépare un guide d'information pour ses adhérents intitulé « Coopération décentralisée et migrations ».

Un programme visant à renforcer les capacités opérationnelles des OSIM, à aider à leur structuration en France est en cours d'élaboration et pourrait être financé par le Fonds d'Action Sociale et le ministère des Affaires étrangères, associant éventuellement des Conseils régionaux.

En tenant compte des mesures nouvelles demandées, le montant de la dotation du chapitre 42-13, article 10 (appui aux projets et programmes des OSI, devrait être de 8 009 671 Euros (52 540 000 Francs) se répartissant comme suit :

Programmes d'éducation au développement 1 981 837 € (13 000 000 F)

Appuis aux collectifs et plates-formes 960 429 € (6 300 000 F)

Renforcement des capacités des acteurs du Sud 609 796 € (4 000 000 F)

Partenariats OSI/Entreprises et secteurs innovants 304 898 € (2 000 000 F)

Nouvelle contractualisation 1 981 837 € (13 000 000 F)

Actions de terrain hors ZSP 1 561 078 € (10 240 000 F)

Mesures nouvelles 609 796 € (4 000 000 F)

Ces mesures nouvelles concernent le renforcement de la présence française dans les instances internationales où interviennent les OSI, la valorisation des actions soutenues par le Ministère des Affaires étrangères (publications, communication) et le renforcement des actions de terrain en Amérique latine.

La dotation de 2002, sur le chapitre 42-13, article 20 (appui au volontariat de solidarité internationale), devrait être la même qu'en 2001, soit 19 629 335 € (128 759 997 F) , se répartissant selon les prévisions suivantes :

Association française des volontaires du Progrès 12 436 791 € (81 580 000 F)

Volontariat civil-décret de 1995 5 945 512 € (39 000 000 F)

Volontariat civil international (ex-CSN) 548 816 € (3 600 000 F)

Appuis divers 698 216 € (4 580 000 F)

3) La coopération militaire en question

La Direction de la coopération militaire et de Défense a depuis 1998 élargi le concept de coopération militaire et de défense et redéployé 10 % des crédits jusqu'ici affectés à l'Afrique subsaharienne. Le champ d'action de cette coopération s'est élargi au soutien à l'Etat de droit à la sécurité régionale. Les derniers événements aux Comores, au Niger et en Côte d'Ivoire ont confirmé qu'il est nécessaire d'inscrire l'action de coopération dans le développement de l'Etat de droit. Les derniers postes de conseillers détachés auprès d'autorités politico-militaires ont été fermés. Il y eu retrait lorsque n'existait pas la possibilité réelle de corriger les dysfonctionnements structurels (rigidités sociales et ethniques, pyramides des grades et des âges inversées) souvent à l'origine des coups de force militaires.

Ainsi la France a suspendu sa coopération militaire avec le Congo Brazzaville en juin 1997, en raison des affrontements opposant les partisans de MM. Lissouba et Sassou Nguesso. La coopération militaire, une première fois relancée en octobre 1998, a été de nouveau suspendue suite à la reprise des combats dans les quartiers sud de Brazzaville en décembre 1998. Elle vient de nouveau d'être relancée, de manière progressive et conditionnelle après une mission d'audit des forces armées congolaises. Il s'agit principalement d'un soutien à la réorganisation et à la restructuration des forces armées et de la gendarmerie.

La coopération avec les Comores a été suspendue le 30 avril 1999 à la suite du coup d'Etat. Il en a été de même avec la Mauritanie en juillet 1999 à la suite de l'affaire du capitaine Ould Dah sur demande des autorités mauritaniennes et avec la Côte d'Ivoire en décembre 1999 en raison du coup d'Etat militaire. Cette suspension s'est traduite par un gel de la coopération militaire bilatérale sans retrait de coopérants. Une reprise de la coopération est en cours avec ce pays.

La coopération militaire revêt pourtant actuellement une importance capitale. Il en est de même en matière de police. Cette coopération répond à des objectifs de sécurité évidents à la lumière des attentats du 11 septembre. Là aussi, le contexte nouveau devra être pris en compte très rapidement pour orienter l'action de la France.

CONCLUSION

La zone de solidarité prioritaire aujourd'hui et demain

Les ondes de choc des attentats du 11 septembre et la riposte de la coalition ont et auront des conséquences sur la politique de coopération de la France et de l'Union européenne. Les opinions publiques des pays arabo-musulmans membres de la ZSP ont pour l'instant assez peu réagi. Cependant en Afrique le Nigeria vient de connaître des émeutes graves qui risquent de le déstabiliser durablement. Dans ce contexte incertain et menaçant pour la sécurité faudra-t-il repenser complètement certains aspects de la politique française de coopération ?

Il est évident que le volume de l'APD doit augmenter plus rapidement que prévu pour atteindre 0,7 % du PIB. Le fossé entre un Nord prospère et sécurisé et un Sud pauvre où les conflits internes se multiplient car les Etats n'y jouent plus leur rôle, ne doit pas se creuser davantage. M. Jean-Claude Faure, président du Comité d'aide au développement de l'OCDE a lui aussi estimé que les attentats du 11 septembre obligeaient à réfléchir sur les effets de l'écart entre le Nord et le Sud ce qui logiquement devrait entraîner un accroissement de l'APD. Il serait pour le moins paradoxal de laisser à Oussama Ben Laden, issu d'une famille saoudienne richissime, le rôle de défenseur des damnés de la terre.

La question des pays à aider en priorité est plus que jamais d'actualité. Le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID), qui doit fixer le périmètre de la ZSP devait en débattre cet automne. A ce jour, il ne s'est toujours pas réuni.

En effet, lors de sa réunion du 22 juin 2000, le CICID s'est longuement intéressé à l'impact que pouvaient avoir sur la coopération française les situations d'exception, les guerres, les coups d'Etat ainsi que les compromissions en matière de blanchiment d'argent telles que définies par le GAFI. Certes, comme l'appartenance à la ZSP n'implique aucun automatisme de l'effort d'aide au développement, l'intensité de la coopération française peut varier en fonction du comportement des pays concernés, sur le plan interne comme international. Le CICID a donc maintenu le périmètre de la zone de solidarité prioritaire défini en 1999 et les critères ayant servi à l'établissement de la zone n'ont pas été modifiés en 2000.

Mais que dire de l'affichage ? Appartenir à la ZSP peut avoir un sens, pour certains Etats et leurs gouvernants, très éloigné de la seule coopération ! Pour être efficace et peser sur les choix des bailleurs de fonds multilatéraux comme la Banque mondiale et le FMI, ne vaut-il pas mieux réduire la ZSP et concentrer l'APD française sur des secteurs déterminés dans un nombre limité de pays comme le font de nombreux Etats ? Sans préjuger des réponses qui seront apportées, il est temps que le CICID se pose ces questions dans leur contexte d'aujourd'hui.

Après le 11 septembre, les nouvelles dimensions de notre coopération

Ce sera un lieu commun de dire qu'après les attentats du 11 septembre, les problèmes demeurent mais que la nécessité de les régler est devenue plus évidente. Il n'empêche que, dans ce cadre, notre politique de coopération internationale et d'aide au développement telle que nous l'examinons à travers le budget 2002 devient de la plus haute nécessité. Elle seule permet, au-delà du dialogue absolument nécessaire avec le monde arabo-musulman, de considérer ces questions dans toute leur dimension nord-sud, dimension présente dans la stratégie des terroristes déjà, et tout aussi présente dans ce qui est venu depuis et pas seulement avec la riposte et ses conséquences.

Notre politique de coopération internationale et d'aide au développement nous permet de nous adresser aux populations des pays concernés donc aux opinions publiques autant qu'aux gouvernements. Au-delà de la relative stabilité du budget 2002, notre pays devra donc se donner les moyens financiers non seulement de ses ambitions mais des nécessités de l'heure dans ce domaine. Ce sera l'affaire maintenant de la prochaine législature.

EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa réunion du 18 octobre 2001, la Commission a examiné pour avis les crédits de la coopération et du développement pour 2002.

Audition de M. Hubert Védrine, Ministre des Affaires étrangères, et de M. Charles Josselin, Ministre délégué à la Coopération et à la Francophonie

M. François Loncle, Président de la Commission des affaires étrangères - Merci de votre présence matinale à cette séance spéciale de la Commission, la deuxième organisée selon une nouvelle procédure budgétaire que tout le monde estimait nécessaire. La première a eu lieu en 1999 et l'année 2000, pour des raisons de calendrier, n'en a pas connu. Je vous rappelle que nous ne disposons que d'un temps limité. Les interventions des ministres ne devront pas dépasser une demi-heure et les rapporteurs disposeront de dix minutes chacun. Je demande aux représentants des groupes et aux autres députés de s'exprimer de façon concise, car nous ne devrons pas dépasser 13 heures. Enfin, lors de la mise aux voix des crédits, seuls les membres de la Commission des affaires étrangères participeront au vote.

M. Hubert Védrine, Ministre des affaires étrangères - Je vais m'efforcer de donner l'exemple de la concision. En ce qui concerne la situation internationale, nous en sommes encore au stade de ce qui a été considéré comme une légitime réponse à l'agression du 11 septembre. Notre participation porte davantage sur la lutte de fond contre le terrorisme que sur l'action militaire proprement dite. Nous restons cependant très attentifs à ce que les opérations se déroulent de façon ciblée et à ce qu'aucun amalgame ne soit fait. C'est d'ailleurs tout à fait la ligne que suivent MM. Georges Bush et Colin Powell.

Si un pays n'a pas attendu le 11 septembre pour dénoncer les maux du monde et constater qu'il fallait s'attaquer aux questions qui divisent le nord et le sud, les riches et les pauvres, ou aux problèmes du Proche-Orient, c'est bien le nôtre. Nous avons mené une action de fond avec ténacité, malgré les grandes difficultés que nous avons rencontrées. Nous avons constamment pris la mesure des situations intolérables que l'on rencontre dans le monde, qui n'ont pas créé l'extrémisme, folie en soi, mais qui le nourrissent. Le débat sur la mondialisation, les événements de Durban ont été révélateurs des fractures du monde. La communauté internationale reste à construire et nous continuerons à y travailler pour défendre nos valeurs, l'équité et la sécurité.

J'en viens au budget des affaires étrangères. Il est manifestement insuffisant et ce caractère n'est malheureusement pas nouveau. Les crédits ne correspondent pas à tout ce qui est attendu du ministère, de la représentation diplomatique classique mais nécessaire aux actions de coopération totalement novatrices. Dans les dix années qui ont précédé notre venue aux affaires, le ministère des affaires étrangères est celui qui a proportionnellement perdu le plus d'effectifs. Comme il partait de très bas, ce mouvement a été un handicap constant pour notre politique étrangère. M. Charles Josselin et moi avons enrayé cette tendance : pour la troisième année consécutive, les crédits augmentent. Pour 2002, leur progression est de 1,3 % et les effectifs sont stabilisés.

En 2002, transferts et compensations de l'effet de change compris, les crédits des affaires étrangères atteindront donc 23,8 milliards de francs. Cette progression n'est pas aussi substantielle qu'il y paraît, et elle ne permettra pas de satisfaire l'ensemble des besoins, mais elle est cependant notable. L'augmentation de ces crédits nous permettra de poursuivre nos actions prioritaires, même si une partie des moyens nouveaux risque d'être absorbée par les effets de change.

Ces priorités, quelles sont-elles ? En tout premier lieu, la coopération internationale, dont M. Charles Josselin vous parlera en détail. Nous continuerons d'agir sur le plan culturel, par l'accueil d'étudiants en France, par la contribution à TV5, par la coopération décentralisée et par l'assistance technique. L'une des innovations de ce projet tient d'ailleurs à la simplification de la structure du dispositif de coopération et par l'inscription des crédits du FED à ce budget, ce qui permet, enfin, une vue d'ensemble.

Des moyens nouveaux seront également dégagés pour traiter des demandes d'asile, dont le nombre ne cesse d'augmenter, au point que 21 500 dossiers sont actuellement en attente. Le ministère procédera à 94 recrutements. Nous serons également attentifs à la situation de nos deux millions de compatriotes qui vivent à l'étranger, pour certains en situation précaire. Cette attention portera sur tous les aspects de leur vie : protection sociale, éducation et sécurité. Les crédits consacrés à ce dernier volet, déjà renforcés au cours des exercices antérieurs, seront encore augmentés.

La modernisation du ministère se poursuivra. On se félicitera de la stabilisation des effectifs, qui s'établiront à 9 466 postes budgétaires. Le redéploiement visera en particulier un meilleur encadrement des services des visas. Je souligne, à cet égard, que les problèmes rencontrés cette année - dont le nombre a été insignifiant au regard du nombre de visas délivrés par nos postes diplomatiques - sont dus, pour une large part, à l'érosion constante des effectifs, qui nous a privés des moyens d'un encadrement sûr.

La formation constitue une autre priorité. A mon arrivée au ministère, j'ai constaté que d'excellentes formations étaient dispensées mais qu'elles n'étaient pas systématiques si bien que l'on pouvait parfaitement devenir directeur ou ambassadeur sans s'être soumis à des sessions de formation continue. La formation ne doit être considérée ni comme un pensum ni comme une vexation, et chaque agent doit pouvoir en bénéficier. Une telle politique suppose des moyens, qui figurent dans ce budget. La formation concernera aussi les personnels recrutés localement, qui constituent 70 % du réseau d'exécution, et qui devront également être mieux rémunérés. Une dotation est prévue à cet effet. Enfin, un Institut diplomatique va être créé, comme je m'y étais engagé.

Ce projet marque une nouvelle étape de la déconcentration du ministère, qui aboutira à une gestion plus simple et plus efficace.

Le Président François Loncle - Je salue la présence parmi nous de M. Didier Migaud, Rapporteur général du budget.

M. Charles Josselin, Ministre délégué à la coopération et à la francophonie - L'économie mondiale sera sans nulle doute affectée par les conséquences des attentats commis le 11 septembre aux Etats-Unis, et les pays en développement seront les premiers touchés. Il est donc plus que jamais indispensable de poursuivre les actions de coopération et d'aide au développement, sans céder à la tentation de les reléguer au second plan. Il le faut d'autant plus que la mondialisation suscite des critiques qui risquent de creuser l'incompréhension entre le Nord et le Sud. Dans un tel contexte, la coopération doit être considérée pour ce qu'elle est : l'un des outils nécessaires à la construction d'un monde plus sûr et plus équitable.

C'est le point de vue que nous faisons valoir dans les instances internationales et chacun connaît l'impulsion que la France a donnée à l'annulation de la dette des pays les plus pauvres, annulation à laquelle elle s'est engagée à participer pour 10 milliards d'euros. La France approuve, par ailleurs, la perspective de l'assouplissement des critères de « soutenabilité de la dette », pour tenir compte de l'aggravation vraisemblable de la situation des pays les plus endettés. D'autre part, la contribution de la France au Fonds mondial santé-sida continuera de progresser avec 150 millions d'euros supplémentaires sur 6 ans, de même que sa contribution au Fonds mondial pour l'environnement.

Sur le plan européen, la France participe à hauteur de 24 % au budget du FED. L'Agence européenne est désormais opérationnelle et sa concentration se poursuivra. Au 1er novembre, cinq délégations couvrent huit pays ACP. Le transfert au budget de la coopération de la contribution de la France au FED marque notre volonté d'accroître notre influence politique sur son usage. Vous constaterez que 3,358 milliards d'euros sont inscrits en AP, et 218 millions seulement en CP. Cet écart considérable crée une très grande incertitude, et nous comptons sur votre Commission pour que les abondements éventuellement nécessaires soient votés.

S'agissant de la coopération bilatérale, le projet prévoit 129 millions d'euros de mesures nouvelles. J'espère ne devoir constater aucune annulation. Au total, les crédits de la DGSI s'établissent à 1,4 milliard d'euros à structure constante, en progression de 1,8 %. Cette tendance devrait se confirmer.

Dans ce contexte, le projet de budget exprime nos priorités. Concernant celles de l'Agence française de développement, une lettre de mission adressée au nouveau directeur général vient de les fixer : promotion d'un développement économique stable et efficace, respectueux de l'environnement et plus soucieux de cohésion sociale. D'autres priorités sectorielles concernent la lutte contre la pauvreté, contre les inégalités et pour le développement durable : santé primaire, lutte contre le sida et le paludisme, enseignement et formation professionnelle, ressources en eau, aménagement urbain. Concernant enfin l'organisation de l'Etat, nos priorités sont le soutien à l'état de droit et aux droits de l'homme, la bonne gouvernance, la stabilité de l'environnement économique, les réformes institutionnelles.

Pour réaliser ces objectifs la modernisation de nos instruments se poursuit. C'est par exemple la réforme de l'assistance technique, avec la stabilisation des crédits et la création d'une ligne souple pour financer le développement d'expertises de courte ou moyenne durée. C'est encore la promotion de la coopération non gouvernementale dont les moyens progressent de près de 6 millions de francs, en particulier au bénéfice de la coopération décentralisée et des associations de solidarité internationale. Les crédits de paiement du fonds de solidarité prioritaire sont abondés de 35 millions de francs, soit 5,4 millions d'euros alors que les autorisations de programmes sont réduites de 15 millions d'euros pour mieux les ajuster aux crédits de paiement. Une enveloppe particulière de 7,6 millions d'euros est créée pour les projets dits « mobilisateurs » du FSP. Un article est créé au titre 1er pour les opérations exceptionnelles liées aux sorties de crise : doté de 7,6 millions d'euros, il comble un vide budgétaire en assurant la continuité entre les situations financées par le fonds d'urgence humanitaire et l'aide au développement.

Le projet de budget apporte des moyens supplémentaires pour la bataille des idées. La programmation des crédits de la coopération et de l'action culturelles traduit nos objectifs dans ce domaine : rénover notre réseau culturel, soutenir la pensée française dans la bataille des idées, former les élites mondiales, développer l'audiovisuel extérieur. Ainsi l'AEFE bénéficie de 4 millions d'euros de mesures nouvelles et les centres culturels de 3 millions d'euros, ce qui répond aux suggestions de votre collègue, M  Yves Dauge. Des bourses d'excellence permettront aux meilleurs élèves des lycées français à l'étranger de poursuivre leurs études en France. Nous aidons à la diffusion des revues françaises. Les opérateurs de l'action audiovisuelle extérieure voient leurs moyens accrus de près de 4 millions d'euros, ce qui permettra notamment de reconfigurer la position de TV5 sur le continent américain.

A beaucoup d'égards, ce projet est l'aboutissement de la logique de réforme et de fusion que nous avons mise en _uvre avec M. Hubert Védrine. Je pense notamment à l'adaptation des dispositifs d'assistance technique, au dispositif de sortie de crise, à la fusion de la coopération culturelle et scientifique et de la coopération technique et au développement dans un grand chapitre global : la mise en _uvre de la nouvelle loi organique relative aux lois de finances exige en effet l'adoption de cadres qui permettent une meilleure lisibilité du budget et une meilleur traçabilité des dépenses d'APD. Au total, la programmation des crédits de coopération et d'action culturelle, la poursuite de la modernisation des instruments, le développement de mécanismes financiers nouveaux nous donnent les moyens de traduire les axes prioritaires de notre politique de coopération, pour un monde plus stable et plus équitable.

M. Yves Tavernier, Rapporteur spécial de la Commission des finances pour les affaires étrangères - A l'évidence, ce budget n'est pas un budget prioritaire. Certes le temps semble révolu où le ministre, entre 1994 et 1997 jugeait son efficacité à la réduction de ses moyens. Après une saignée qui a supprimé 9 % des effectifs en 10 ans, soit 895 emplois, l'heure est à la stabilité, diront les optimistes, à la stagnation, diront les réalistes : à structure constante, le budget augmente de 1,3 %, comme les prix à la consommation. Les crédits des affaires étrangères représentent 1,37 % du budget de l'Etat en 2001. C'est mieux que l'an dernier, avec 1,28 %, mais nous sommes loin de l'âge d'or de 1992-93 où ce taux atteignait 1,68 %.

Il est vrai que le budget du Quai d'Orsay ne représente qu'une partie des moyens d'action extérieurs de la France. L'effort national total, incluant les comptes spéciaux du Trésor et la contribution française à l'action extérieure de l'Union européenne, s'élève à 8,92 milliards d'euros, soit 58,51 milliards de francs, en hausse de 4,68 % par rapport à 2001.

Telles sont les données budgétaires. Mais elles ne correspondent pas exactement aux dépenses réellement effectuées, en raison de l'effet change-prix. Une grande partie des dépenses est libellée en dollars : rémunérations des personnels et contributions internationales obligatoires. Toute erreur de prévision initiale sur le cours du dollar entraîne des ajustements. Bercy prend ces derniers en compte pour les rémunérations, mais non pour les autres dépenses. Ainsi le projet de budget est présenté de façon biaisée. Pour 2002 le cours du dollar a été fixé à 7,05 francs, alors que le taux pondéré du dollar pour les trois premiers trimestres de 2001 s'élève à 7,35 francs. Si ce taux devait être observé en 2002, les crédits correspondants s'en trouveraient réduits de 4 %.

Dans des conditions budgétaires difficiles, le ministère des affaires étrangères a poursuivi son effort de modernisation : réforme de la gestion financière, poursuite de la déconcentration, simplification des procédures, modernisation des outils informatiques et de communication, rigueur accrue dans la passation des marchés. Cet effort est contesté par la direction du budget du ministère des finances, notamment pour la gestion immobilière. Certes la suspicion est une seconde nature à la direction du budget ; mais elle est tellement systématique dans l'appréciation qu'elle porte sur la gestion des crédits des affaires étrangères qu'on s'interroge sur le rôle excessif qu'elle joue dans l'attribution des moyens nouveaux, notamment des moyens de fonctionnement. J'ai donc décidé d'auditionner à plusieurs reprises cette année la direction du budget.

Les moyens de fonctionnement, qui représentent 41,2 % du budget, progressent de 2,8 %. Les emplois diminuent de 5 unités : trois suppressions et deux transferts vers les services généraux du Premier ministre. Les demandes présentées par le Quai d'Orsay n'ont pas été retenues ; je crois utile de les mentionner ici. Pour l'Algérie, à la suite de l'ouverture de trois centres culturels et pour assurer la reprise de nos activités consulaires, le Quai demandait 21 postes pour le Consulat, 24 pour la sécurité, et 6 emplois contractuels : tous ont été refusés. Il demandait d'autre part la création de 20 postes consulaires dans les pays sensibles, conformément aux conclusions de mon rapport sur les services des visas ; le remplacement des CSN informaticiens par 10 emplois contractuels ; et la création de 3 postes d'assistantes sociales, préconisée par la sénatrice Monique Ben Guiga. L'opposition du ministère des finances à ces demandes ne me semble pas justifiée, même s'il y sera pourvu par redéploiement ; je la crois préjudiciable aux intérêts de la France.

Concernant les frais de réception et de voyages exceptionnels, la Cour des Comptes s'est interrogée sur la portée de l'autorisation parlementaire dans l'ouverture des crédits. Pour 2002 il est proposé de reconduire ceux de 2001 : cela ne correspond pas à la réalité des besoins.

Pour les investissements immobiliers, qui ont connu une forte progression en 2000 puis une réduction en 2001, il est proposé une augmentation de 14,7 % des crédits de paiement. Les interventions de politique internationale, qui ont connu une forte progression de 27 % l'an dernier, sont stabilisées pour 2002 avec plus 0,8 %. Les contributions au financement des opérations de maintien de la paix atteindront 1,163 milliard de francs, en légère baisse par rapport à 2001. J'insisterai sur nos contributions volontaires, essentiellement destinées aux programmes et aux fonds des Nations unies. Elles passeront de 557 à 564 millions de francs, soit une légère hausse de 1,26 %. Rappelons qu'elles avaient chuté de 67,3 % entre 1990 et 1998. Je me réjouis de cette progression pour la troisième année consécutive. Elle situe cependant la France au douzième rang mondial, ce qui est peu glorieux. Pour préserver notre influence, et assurer notre présence dans les conseils d'administration, il aurait suffi d'accroître nos contributions de 62 petits millions de francs. Le ministère des affaires étrangères l'a souhaité. Je regrette qu'il n'ait pas été entendu.

Nous sommes passés du quatrième rang en 1995 au dix-huitième en 1997 parmi les contributeurs au Haut commissariat pour les réfugiés. Notre contribution au PNUD est trois fois moindre aujourd'hui qu'en 1993. Notre contribution au programme des Nations unies pour l'environnement n'est pas à la hauteur de nos ambitions.

Pour la quatrième année consécutive, le budget des affaires étrangères progresse légèrement en francs courants. Le coup d'arrêt à l'érosion des crédits et des effectifs est confirmé. Mais nous sommes encore loin de la reconquête annoncée.

La thèse de Bercy est simple et constante : la France possède un réseau surdimensionné par rapport à ceux des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne, ou de l'Allemagne. Il faudrait donc supprimer de nombreux consulats, en particulier en Europe. A cette approche purement quantitative, il est urgent que le Quai d'Orsay apporte une réponse publique, transparente et argumentée. Le ministère des Finances reproche à celui des Affaires étrangères de ne pas avoir procédé aux arbitrages nécessaires. Selon Bercy, si l'on versait 17 % au FED au lieu de 24,7 %, nous pourrions être les premiers contributeurs au HCR. Ce jeu de ping-pong irritant devra être tranché. Est-ce au ministère des finances de définir la politique africaine de la France ?

Aussi bien, les moyens en jeu sont-ils extrêmement modestes. Pour que la France soit fidèle à sa tradition et soit à la hauteur de ses ambitions il manque 60 millions de francs à nos contributions volontaires aux Nations unies. Pour que la France tienne toute sa place dans le concert des nations il manque 220 millions, soit les 2/5èmes du montant du transfert d'un joueur de football au Real de Madrid ! Pour soutenir la politique internationale et de coopération de la quatrième puissance mondiale, pour défendre notre culture à travers le monde, les affaires étrangères disposent d'un budget à peine supérieur à celui des anciens combattants. Il est grand temps que les choix politiques déterminent les moyens, et non l'inverse.

Pour conclure, retenons néanmoins que ce projet de budget, en stabilisant les crédits, offre un espoir d'évolution. C'est pourquoi la Commission des finances a adopté les crédits du ministère des affaires étrangères.

Le Président François Loncle - Merci d'avoir respecté votre temps de parole à deux minutes près ; merci surtout pour la vigueur de votre intervention, qui sera bien utile et à nous et au ministère, tant vous avez dit des choses vraies, justes et fortes. Quant au Real de Madrid, nous inviterons Zinedine Zidane pour voir quelle contribution il pourrait nous apporter.

M. Pierre Brana, Rapporteur pour avis de la Commission des affaires étrangères, pour les affaires étrangères - Je ne reprendrai pas les analyses de mon collègue Tavernier, avec lequel je suis en plein accord.

Dans le domaine international, nous n'avons pas fini de mesurer les conséquences des tragiques événements du 11 septembre. L'action diplomatique des Etats-Unis se caractérise par la concertation et la consultation, une attitude qui tranche avec les huit premiers mois de la présidence de George Bush, et qui est particulièrement positive. Après les attentats du 11 septembre, le monde est conduit à relire autrement l'histoire de l'après-guerre froide. Se sont produites alors une prolifération des armements et une augmentation du risque d'un terrorisme disposant d'armements massifs et de puissants moyens financiers provenant en particulier du trafic de stupéfiants. Cette relecture est d'autant plus traumatisante que l'ennemi est devenu inconnu : il s'agit de réseaux transnationaux face auxquels la dissuasion classique n'a pas de sens. S'y est longtemps ajoutée la complicité passive des Etats occidentaux. Aussi faut-il aller désormais vers un nouvel ordre international, fondé sur les valeurs d'humanisme, d'universalisme et de rationalisme. Cette démarche est déjà engagée. Ainsi la notion de droit d'ingérence s'est développée, et une cour pénale internationale est sur le point d'être mise en place. Sans doute reste-t-il beaucoup à faire pour établir une véritable justice internationale. Il ne s'agit nullement de renier la fonction de l'Etat, mais de faire en sorte que les frontières n'offrent plus de protection pour les criminels et n'opposent plus d'obstacle à la justice.

J'en viens au budget du ministère des Affaires étrangères, dont la stabilité des crédits pour 2001 a été présentée comme une grande victoire à son actif. Mais dès le 30 juin 2001, 250 millions manquaient à l'appel : 45 millions étaient annulés, 205 autres gelés. Les chapitres 42-11 et 42-12 relatifs aux dépenses d'intervention pour la coopération internationale étaient les plus touchés, avec 130 millions d'annulations et de gels. Ces décisions sont d'autant plus choquantes que nos postes ont été avertis très tard, par un télégramme en date du 27 juillet. Nos postes agissant de plus en plus en partenariat, on comprend l'impact de ces mesures sur la crédibilité de l'engagement français à l'extérieur. De plus c'est au moment où le ministère communique sur son projet de budget 2002, soulignant la priorité accordée à la coopération internationale et à l'aide au développement, que l'on demandait aux postes cet effort budgétaire. Ce qui est grave dans la concomitance de ce double discours, c'est l'amertume et le découragement que sa répétition annuelle provoque chez ceux qui travaillent sur le terrain au service de notre pays. Leur travail mérite le respect, dont la première expression consisterait à ne pas les obliger à se déjuger.

L'évolution du dollar en 2001 a provoqué une perte au change estimée à 0,75 % par rapport au budget initial. Or les crédits de fonctionnement et d'intervention ne font pas l'objet d'une compensation, ce qui est scandaleux. Aussi demandons-nous la compensation intégrale de l'effet de change sur la totalité des crédits du ministère des affaires étrangères.

Nous avons constaté que la protection consulaire que nous offrons à nos compatriotes à l'étranger était bien plus importante que celle de nos partenaires. Il en découle pour nos agents une forte charge de travail, comme nous l'avons observé à Vilnius et Riga. Les services proposés dans nos consulats sont parfois plus importants que ceux délivrés par la mairie d'une petite commune de France. Il faut tenir compte de ce choix ambitieux.

Cependant la fermeture de certains consulats peut être envisagée, essentiellement dans l'Union européenne. Une réflexion est en cours sur des mécanismes de coopération consulaire entre les Etats de l'Union pour leurs ressortissants. Nous y sommes très favorables.

Il nous a été signalé une multiplication des questionnaires destinés à obtenir des réponses qui sont déjà connues des services centraux. Voilà qui alourdit inutilement la charge de travail de nos postes.

Sur les moyens d'action, je renvoie à l'intervention de M. Yves Tavernier.

En conclusion, les priorités dégagées dans ce budget sont de nature à renforcer les instruments d'influence de la France dans le monde. C'est en quoi ce budget est bon. Le ministère a réussi à mener à bien une importante réforme. Aujourd'hui, ce dont il a le plus besoin, c'est de continuité. Je regrette d'autant plus que l'on n'ait pas jugé utile de dégager les 200 millions nécessaires. Mais je connais la difficulté des arbitrages budgétaires.

M. Maurice Adevah-Poeuf, Rapporteur spécial de la Commission des finances pour la coopération - Ce budget est très mauvais... mais c'est le moins mauvais depuis dix ans (Sourires). Certes, il stagne, mais il permet de satisfaire des demandes très anciennes. Pour reprendre l'image de Christian Sautter de l'édredon qu'il faut faire entrer dans la valise, nous regrettons que la partie qui y tient demeure insuffisante.

La coopération est maintenant dans sa troisième année de réforme et le nouveau chapitre 42-15 rend les actions du ministère plus efficaces et plus rapides. Cela va dans le bon sens, même si l'édredon y laisse quelques plumes au passage. Cette réforme traduit le passage progressif d'une culture de la culpabilité-complicité de la France vis-à-vis de ses anciennes colonies à une culture de la co-responsabilité entre le nord et le sud. Je souscris à cette orientation, même si elle comporte quelques risques de dilution des interventions françaises dans un cadre multilatéral de plus en plus libéral et si elle entraîne une érosion de la valeur ajoutée France dans les politiques de coopération.

La culpabilité-complicité n'a toutefois pas fini de produire ses effets. Ainsi, l'aide française est de 400 dollars par habitant au Congo et à Djibouti et de 26 dollars seulement au Bénin et au Mali, Etats pourtant convenablement démocratiques et dépourvus de ressources naturelles. Je souhaite donc que la réorientation aille un peu plus vite.

Il convient par ailleurs de saisir l'occasion de redéployer nos moyens en faveur d'un véritable développement, c'est-à-dire un développement économique et non une simple lutte contre la pauvreté, qui marque d'ailleurs une reconnaissance des échecs des politiques passées.

L'initiative en faveur des pays pauvres très endettés est une chance pour la coopération française et pour ses partenaires locaux. On peut toutefois se demander qui va la mettre en _uvre. Ainsi, le Cameroun va recevoir 600 millions de francs en 4 ans pour l'éducation, la culture et la santé, mais on peut s'interroger sur sa capacité à les mobiliser dans la mesure où il ne parvient à engager que 20 % de son propre budget.

La valeur ajoutée de la France, c'est d'abord ses personnels. Or l'assistance technique est en érosion constante et le service national a disparu par anticipation. C'est une bonne chose pour nos jeunes, mais une catastrophe pour la politique de développement, le volontariat civil n'étant nullement en mesure de se substituer aux VSNA. Les Volontaires du progrès sont aussi en grande difficulté et il faudrait trouver au plus vite un accord avec l'association.

On compte 5 850 recrutés locaux. La France a les moyens de les augmenter, mais elle n'a aucune politique de rémunération. Par ailleurs, il n'y a plus assez de fonctionnaires capables de travailler avec nous dans les pays où nous intervenons. Si l'on appliquait à la France les ratios que le FMI et la Banque mondiale imposent aux pays en développement, il n'y aurait chez nous que 300 000 fonctionnaires, fort mal payés, et non 3 millions, bien rémunérés. Avec quels partenaires publics allons-nous monter les contrats de désendettement-développement s'il n'y a plus assez de fonctionnaires locaux, si nous les débauchons et s'ils sont si mal payés que cela peut conduire certains à des pratiques condamnables ?

Il y a aussi quelque difficulté à faire cohabiter des expatriés, payés selon leur statut, des résidents, payés aussi selon leur statut, et des recrutés locaux, qui gagnent parfois trois fois plus qu'un directeur d'administration centrale dans leur pays, mais trois fois moins que la secrétaire résidente qui travaille à leurs côtés. Nous avons donc bien créé un désordre et provoqué un vide chez nos partenaires, il convient d'y remédier par une vraie politique de rémunérations.

La Commission des finances a adopté hier matin, sur ma proposition et à l'unanimité, l'ensemble des crédits de la coopération tout en souhaitant qu'ils soient revalorisés, compte tenu de la modicité des enveloppes en cause.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur pour avis de la Commission de la défense pour les affaires étrangères et la coopération - Trois aspects de ce budget intéressent plus particulièrement la Commission de la défense : l'ONU et les opérations de maintien de la paix, la coopération militaire et de défense, l'Europe de la défense. La Commission de la défense n'examinera ce budget que dans deux semaines, je ne puis donc en rapporter ici l'avis, mais je me réjouis de pouvoir poser quelques questions aux ministres.

Après plusieurs années de crise, la réorganisation du département des opérations de maintien de la paix et une meilleure définition des conditions d'engagement des forces ont permis une reprise des opérations conduites par l'ONU. En Sierra Leone, au Congo, en Ethiopie et en Erythrée, au Kosovo, les opérations menées, dans des conditions parfois très difficiles, connaissent de réelles réussites. Cela entraîne une augmentation considérable des dépenses de l'ONU, les appels de cotisations étant passés, pour la France, de 54 millions de dollars en 1998 à 230 millions en 2001.

En 2000, l'appel initial avait été de 80 millions de dollars. Pour honorer l'appel final, de 167 millions, il avait fallu une provision complémentaire en loi de finances rectificative et la France s'était ainsi trouvée en retard de cotisations, contribuant ainsi, malgré elle, aux difficultés financières de l'ONU. L'activité de maintien de la paix apparaissant stable, on peut se demander si l'appel initial pour 2002, de 165,7 millions de dollars, sera suffisant. Si tel n'est pas le cas, le ministère a-t-il prévu les moyens d'éviter des retards dans ses règlements ?

On peut se demander par ailleurs si le règlement annoncé par les Etats-Unis de leur arriéré de cotisations à la suite de la diminution de leur quote-part pourrait aboutir à une remise en cause de la reprise des opérations de maintien de la paix et à un blocage de certaines opérations sensibles.

Ma deuxième question concerne la contribution de votre département à la coopération militaire. Les actions conduites par l'ancienne mission militaire de coopération ont été transférées au ministère des affaires étrangères. En 1998, il a été décidé de redéployer 10 % des crédits vers les pays autres que les pays traditionnels dits « du champ ». Pendant trois ans, la mise en _uvre a été correcte. Cependant, pour 2002, on note une diminution de 5,6 % des crédits de coopération militaire. S'agit-il d'une diminution conjoncturelle ou d'une nouvelle orientation ? Dans ce dernier cas, le soutien militaire aux armées africaines, qui paraît essentiel pour le maintien de la paix en Afrique, ne sera-t-il pas remis en cause ? Enfin, la coopération militaire bilatérale ne mériterait-elle pas plus de soutien ?

Ma dernière question concerne la création d'une identité européenne de sécurité et de défense. Pouvez-vous faire le point sur le caractère opérationnel des instances de décision ? Merci de vos réponses sur des sujets qui nourriront utilement le rapport pour avis que je présenterai devant la Commission de la défense.

M. Jean-Yves Gateaud, Rapporteur pour avis de la Commission des affaires étrangères pour la cooopération - Il faut toujours replacer l'action de coopération dans le contexte de la mondialisation. Ceux qui l'ignorent ou qui veulent passer outre viennent de se voir opposer un démenti brutal par la réalité. Le nord concentre la richesse du monde, les pays les plus pauvres du sud ne rassemblent que 1 % de la richesse mondiale. Ce n'est certes pas ce qui motive les actions de Ben Laden, mais notre politique de la coopération ne peut pas en faire abstraction. Le long terme doit toujours primer sur le conjoncturel. En d'autres termes, l'aune électorale n'est pas adaptée. Nos rapports avec les pays du sud exigent du temps, et le budget de la coopération doit suivre.

En ce qui concerne les crédits de la coopération et de l'aide au développement, l'essentiel est sauvé. Ce qui ne veut pas dire que nous y trouvions les améliorations attendues. Seule la progression de ces crédits jusqu'à 0,7 % du PIB nous donneront les moyens de nos ambitions. Le budget de la coopération ne fait pas partie des priorités du Gouvernement mais il n'en a heureusement pas souffert. Les crédits d'intervention, ceux de l'Agence pour l'enseignement du français à l'étranger, du Fonds de solidarité prioritaire, et de l'Agence française de développement augmentent. Si l'on considère la modification de l'inscription des crédits, le budget pour 2002 est quasiment stable. Le pire a donc été évité, mais on est loin du mieux. On peut donc se féliciter que dans un cadre aussi strict, des mesures nouvelles aient été prises et qu'elles répondent aux recommandations des rapports parlementaires. Ainsi, suite au rapport décapant concernant les centres culturels français à l'étranger, des crédits sont attribués aux établissements culturels et de recherche. Un effort particulier sera consenti pour l'accueil des étudiants étrangers en France et pour diffuser les publications auprès des universitaires et chercheurs francophones.

D'autres crédits permettront à TV5 d'élargir son audience notamment sur le continent américain. Il suffit de se rendre en Tunisie, où France 2 a été supprimée, pour voir que notre couverture audiovisuelle a encore beaucoup de progrès à accomplir. La création d'une ligne pour les opérations de sortie de crise se fait par redéploiement. De même, la fusion des chapitres de coopération et de développement est une innovation qui favorise la cohérence de notre politique. Un appui accru aux activités extérieures de la société civile et le maintien des moyens d'assistance technique viennent compléter ces mesures nouvelles. Les marges de man_uvre sont modestes mais la lisibilité de notre politique de coopération s'en trouve cependant renforcée.

Si l'inscription de notre contribution au Fonds européen de développement dans le budget des affaires étrangères permet de valoriser notre effort, les crédits ne sont pas augmentés, notamment ceux de l'aide publique au développement. C'est là le point le plus faible du budget. Avec une part de l'aide publique de 0,34 % du PIB en 2001, contre 0,32 % en 2000 et 0,39 % en 1999, nous sommes encore très loin du niveau du milieu des années 90. La remontée amorcée en 2002 reste insuffisante par rapport à l'objectif de 0,7 %. Nous ne pouvons nous en satisfaire, même si nous restons nettement devant les grands pays développés en pourcentage : en volume, nous ne sommes déjà plus qu'au cinquième rang.

Une volonté politique forte place la France au premier rang des politiques multilatérales. Ainsi, nous contribuons à l'allègement de la dette des pays les plus surendettés au-delà de nos engagements internationaux, notamment au moyen des contrats de développement et de désendettement, moyen original qui permet de réinvestir sur place les sommes remboursées. J'aimerais à ce propos savoir sur un plan strictement technique comment ces sommes sont comptabilisées. La France est également au premier rang dans la lutte contre le sida. La prise de conscience internationale a enfin eu lieu, mais la France a agi plus vite - dès 1985 - et plus fort. En 1997, elle a créé le Fonds de solidarité thérapeutique international et va accroître sa contribution financière de façon considérable. Nos budgets de la coopération et de l'aide publique doivent être mis au diapason de ces deux actions exemplaires.

La réforme de nos politiques plaide pour un tel accroissement des moyens. La fusion des deux administrations a été réussie. Des inquiétudes concernaient la baisse du nombre des postes, qui a été de 75 % entre 1991 et 2001. Toutefois, une ligne a été ouverte en 2002 pour des créations de postes et semble montrer votre volonté de ne pas descendre plus bas. Une autre priorité est d'élargir notre offre d'enseignement. La tendance à la baisse du nombre des étudiants étrangers en France est enrayée. Il était d'ailleurs temps de réagir dans le domaine des bourses. Le nombre des mensualités avait dramatiquement baissé et montrait la dégradation du système. Cette tendance est inversée depuis deux ans avec une augmentation de la durée des bourses et la création de programmes particuliers. Il reste à confirmer ce mouvement. L'avenir de la coopération passe aussi par une meilleure conditionnalité des aides issue de la volonté de voir respecter les règles de la bonne gouvernance et les droits des personnes. Le Haut conseil de la coopération internationale en a recensé plusieurs centaines. C'est dire la difficulté de les rendre efficaces. Tout aussi inefficaces sont les politiques de sanction. Le Haut conseil plaide donc pour une approche contractuelle et pour des règles plus souples.

En tout cas, la définition par la France de cette conditionnalité des aides est toujours très attendue, par exemple en Côte d'Ivoire et en Tunisie. Elle devra forcément passer par les droits de l'homme et surtout de la femme : le développement n'est pas possible sans l'éducation des jeunes et l'émancipation des femmes. Sur ce dernier point, l'action des ONG et de l'Europe progresse très rapidement, selon notamment ce que les anglo-saxons appellent « la santé de la reproduction » qui recouvre la lutte contre le sida et celle contre les mutilations génitales féminines. Le Parlement européen a adopté une résolution sur ce sujet et notre pays ne peut pas s'abstenir d'aborder le sujet. Dans certains pays africains, 90 % des femmes sont mutilées et certains vont jusqu'à plaider pour la médicalisation de ces pratiques. Ils placent le problème sur le seul terrain de la santé publique et non de l'intégrité des personnes. Agir sur la conditionnalité sera aussi utile qu'agir par des moyens financiers. Mais nous aurons aussi besoin de partenaires . En effet, l'avenir de la coopération passe par les ONG. Aujourd'hui, 1 % de notre aide publique au développement est géré par elles, contre 5 % pour les pays nordiques. Pourtant, elles savent agir au plus près des populations concernées. Les programmes interassociatifs et le regroupement des organisations de solidarité internationale en coordination répondent à l'éparpillement des acteurs et des projets. Les ONG sont en tout cas devenues les partenaires indispensables de la coopération d'Etat.

Après les attentats du 11 septembre, les problèmes demeurent, mais la nécessité de les régler est devenue plus évidente. Dans ce contexte, la poursuite de notre politique de coopération et d'aide au développement est plus indispensable que jamais. Le budget 2002 est relativement stable ; notre pays devra donc se donner les moyens financiers de ses ambitions, mais ce sera l'affaire de la prochaine législature. Commençons par voter ce projet : c'est ce que je suggère à la Commission.

M. Patrick Bloche, Rapporteur pour avis de la Commission des affaires culturelles, pour les relations culturelles internationales et la francophonie - Certes, l'examen des crédits qui nous sont soumis peut conduire à exprimer des insatisfactions. On constate cependant que les priorités seront poursuivies en 2002. Il en est ainsi du réseau des établissements culturels à l'étranger, à propos desquels les recommandations de notre collègue Dauge ont commencé d'être appliquées. Leur carte et leurs missions ont été révisées, ce que l'on ne peut qu'approuver, même si les délégations parlementaires en visite à l'étranger doivent, à cause de cela, essuyer quelques critiques... Le projet prévoit d'autre part un effort particulier en faveur de l'enseignement du français à l'étranger, ce qui est bien. On constate également le retournement d'une funeste tendance, avec l'accroissement des crédits consacrés à l'accueil des étudiants étrangers en France, dont 22 000 bénéficient de bourses du ministère. L'audiovisuel extérieur bénéficie d'un appui accru, et la réforme de TV5-Amérique est en voie d'achèvement. L'occasion m'est donnée de saluer le travail remarquable accompli par Jean Stock à la tête de cette chaîne de télévision.

S'agissant de la francophonie multilatérale, dont le budget s'élève à 1,2 milliard de francs - et auquel la France contribue pour les deux tiers - on se félicitera du regroupement et de la contractualisation engagés.

J'exprimerai cependant le regret que les crédits aient été gelés en 2001, ce qui a conduit à l'annulation des nombreuses manifestations artistiques dans les antennes culturelles françaises à l'étranger. A cet égard, je souhaite que les crédits de l'AFAA fassent l'objet d'une attention particulière.

Nul n'ignore que Mme Yvette Roudy a traité de la Francophonie et des droits de l'Homme. Je vous renvoie, à ce sujet, au rapport complémentaire que j'ai soumis à la Commission des affaires culturelles, et qui récapitule les instruments dont dispose la francophonie multilatérale pour contribuer à la promotion des valeurs démocratiques. Sous l'influence de M. Boutros Boutros-Ghali, la francophonie institutionnelle s'est dotée d'instances spécifiques, telles que la Délégation aux droits de l'homme ou l'Observatoire de la démocratie et des droits de l'homme, et elle participe à l'observation d'élections dans certains pays francophones, en y déléguant des missions. On sait les limites de telles interventions, mais au moins ont-elles le mérite d'exister. De même, les instances francophones dépêchent des « facilitateurs » dans les zones de conflits qui relèvent de son influence culturelle. La francophonie institutionnelle bénéficie d'atouts incontestables, dont le moindre n'est pas son fonctionnement égalitaire, et les débats qui se déroulent en son sein ignorent la langue de bois. On se félicitera de l'existence de ce forum, même si des efforts doivent encore être accomplis pour concilier au mieux raison d'Etat et valeurs démocratiques. A cette fin, la Déclaration de Bamako, qui instaure un système de sanctions, devrait être appliquée avec davantage de vigueur. De même, la francophonie institutionnelle est apparue bien timorée à propos des graves sujets que sont l'esclavage des enfants ou le statut des femmes.

Plus largement encore, la Francophonie devrait intensifier ses efforts en faveur de la scolarisation. A dire vrai, ce devrait être la priorité absolue des instances francophones, qui ne peuvent se satisfaire que le Sénégal, la Guinée, le Mali, le Niger, le Burkina Faso et le Tchad, tous pays de la sphère francophone, soient ceux où le taux de scolarisation est le plus faible du monde. Nul doute que la lutte contre l'intégrisme et l'apprentissage des valeurs démocratiques passent par l'éducation. La scolarisation est donc un facteur de démocratisation.

M. Georges Hage, Rapporteur pour avis de la Commission des affaires étrangères pour les relations culturelles internationales et la francophonie - Ce monde est inhumain, et la recherche du profit maximal fait qu'il marche à l'envers : tout, y compris la personne, est devenu valeur marchande. Mais cela ne doit pas empêcher de rêver les yeux ouverts et de penser pouvoir réintroduire le merveilleux si la pensée unique est refusée, si la lucidité l'emporte, si aucune voix ne reste silencieuse et si le droit des peuples à s'enrichir par de multiples échanges est respecté.

La présidente de la Commission de la culture et des médias du Bundestag le soulignait avec raison : la mondialisation engendre de nombreux effets d'ordre culturel ; le ciment traditionnel des Etats nationaux se délite, et le dialogue interculturel n'en est donc que plus important aujourd'hui. C'est pourquoi, tout en condamnant le néolibéralisme dominant, j'appelle de mes v_ux le libre échange des richesses spirituelles, qui seules se multiplient en se partageant, comme le révélait une parabole célèbre.

Je pense donc qu'un sursaut de l'action culturelle extérieure de la France, malmenée par la mondialisation, s'impose. S'il est connu au moins depuis Karl Marx que l'impérialisme dominant tend à imposer sa langue, et s'il est vrai qu'un immense ressentiment existe en ce bas monde à l'encontre du fait politique dominant qu'est l'impérialisme américain, ce qui n'est pas étranger au terrorisme, il ne s'agit pas de faire de l'anti-américanisme primaire. Mais il faut souligner que d'autres puissances, comme la France, la Russie, la Chine ou l'Inde, ont les moyens de répondre, notamment sur le terrain de la langue et de l'influence culturelle. La langue, premier vecteur de la civilisation et de la culture, est le premier acte de la résistance. Défendre notre langue est vital pour notre identité, et relève de la responsabilité de chacun, à commencer par ceux qui agissent sur la scène internationale. Plus largement, il faut encourager la préservation des identités culturelles et linguistiques du monde entier.

Cela requiert un effort budgétaire en faveur de la coopération culturelle. Cet effort surgit enfin, après plusieurs années de sacrifices, puisque le Ministre des affaires étrangères annonce 14,7 millions d'euros de mesures nouvelles. Elles concernent l'AEFE, les établissements culturels et de recherche à l'étranger, les bourses d'excellence majors, la diffusion de la pensée française et l'audiovisuel extérieur, essentiellement TV5 Amérique. Même s'il reste des efforts à faire, le ministère semble avoir pris la mesure de sa faiblesse, en partie avec l'aide des parlementaires, et s'être donné les moyens de ses priorités. Plus globalement, il a enfin réussi à préserver les moyens de la direction générale de la coopération internationale et du développement, qui servaient jusqu'à présent de variable d'ajustement. C'est pourquoi je recommande l'adoption des crédits des relations culturelles internationales et de la francophonie, pour encourager le Gouvernement à poursuivre dans cette voie.

Le Président François Loncle - Nous passons maintenant à l'expression des groupes.

M. Jean-Bernard Raimond - Le budget du ministère des Affaires étrangères, qui s'élève à 3,63 millions d'euros, présente toujours la même difficulté : il est trop faible, bien qu'il représente 1,36 % du budget général. Compte tenu de la diversité de ses missions, les orientations que vous avez retenues, Messieurs les ministres, ne sont pas critiquables en elles-mêmes, mais au regard des objectifs. L'augmentation des crédits sera de 1,3 % en 2001, ce qui est plus faible que l'an dernier. Vous avez privilégié le rayonnement de la France et de la francophonie, et notamment les établissements culturels et l'audiovisuel : c'est une activité qui pouvait bien justifier une augmentation des crédits.

Je me limiterai à ce qui m'apparaît comme le c_ur même de l'action du ministère. Les événements du 11 septembre imposeraient une augmentation des moyens des services. Il est vrai que vous avez insisté sur la modernisation du ministère, qui est indispensable, et que depuis quelques années vous avez donné un coup d'arrêt à la diminution des emplois. Mais une mission essentielle, que le ministère des affaires étrangères est presque seul à remplir, est l'information sur les pays étrangers et l'analyse de leur vie politique. Les renseignements que recueillent les agents du ministère et leurs jugements sur les tendances politiques des différents pays sont aussi importants que le travail des services des renseignements.

De plus, à la suite des attentats du 11 septembre, la situation internationale joue désormais un rôle central dans la politique générale des Etats, comme l'a bien souligné M. Tavernier. Je crois donc utile d'appeler l'attention du Gouvernement sur l'excessive faiblesse des crédits des affaires étrangères, malgré les demandes justifiées du Ministre.

Les événements du 11 septembre présentent une telle gravité que nous avons l'impression d'avoir changé de siècle et de monde. En réalité la date historique demeure 1989, avec l'effondrement du totalitarisme soviétique et la fin de la guerre froide. Avec la crise actuelle, c'est l'avenir immédiat qui devient indiscernable. Il ne s'agit pas d'une guerre de religion de l'islam contre la chrétienté : le terrorisme a une couverture religieuse, mais il n'a que des objectifs politiques. Et il ne vise pas les seuls Etats-Unis, ni même l'Occident, mais tous les peuples, y compris le monde arabo-musulman. Dans l'hypothèse la moins pessimiste, il s'agit d'une alerte : nous n'avons pas su définir une stratégie rationnelle pour l'après-guerre froide. Si les actes du 11 septembre n'étaient pas imaginables, la menace en revanche était prévisible. Le 28 mai, devant la Commission de la défense, le Secrétaire général de la défense nationale, M. Jean-Claude Mallet appelait notre attention sur la situation en Afghanistan et au Pakistan. Il est de l'intérêt commun, disait-il, des Européens, des Américains et des Russes de surveiller ce double foyer de guerre et de propagation du terrorisme. Il ajoutait que des réseaux terroristes établis au Maghreb, en Asie centrale et en Europe, trouvaient des soutiens dans ces deux pays. La situation internationale, concluait-il, s'éloigne de plus en plus des termes de référence de la guerre froide.

Les événements du 11 septembre soulignent combien la bonne politique, depuis la fin de la guerre froide, était celle de l'ingérence et de l'intervention dans les conflits. Ce n'est pas que les causes du terrorisme soient à rechercher dans un conflit donné : l'attaque contre les Etats-Unis aurait eu lieu même si un règlement était intervenu au Proche-Orient, et personne n'est dupe de l'appel de Ben Laden à défendre la Palestine. Pour ce qui concerne en revanche les conflits locaux, il est satisfaisant de voir que les Balkans ont retrouvé un calme relatif, même si des problèmes demeurent irrésolus : le Monténégro, l'avenir du Kosovo et surtout la Macédoine. L'effort de médiation des Américains, des Européens et de l'OTAN, et l'appui russe ont permis d'éviter des dérives autrefois inévitables. On ne souligne pas assez la présence militaire des Russes depuis 1995 en Bosnie et depuis 1999 au Kosovo. Le rôle de la Russie est désormais central. Si le Président Poutine a pris clairement position contre le terrorisme, ce n'était pas seulement pour saisir l'opportunité d'effacer provisoirement son échec en Tchétchénie. Peut-être même ce rapprochement lui permet-il de résoudre un problème qui n'a pas fondamentalement de rapport avec le terrorisme. Qui aurait pu penser en effet, avant le 11 septembre, que le Président Poutine favoriserait la présence en Ouzbékistan d'un important contingent militaire américain ? C'est une décision spectaculaire. L'attitude de Vladimir Poutine depuis le 11 septembre traduit l'aspiration de Moscou à se rapprocher de l'ensemble européen ; elle s'inscrit dans la ligne suivie par les dirigeants soviétiques puis russes depuis 1985.

Toutes ces convergences révélées ou renforcées par le 11 septembre permettent peut-être une nouvelle approche pour mettre fin au conflit israélo-palestinien. Bill Clinton et Ehoud Barak avaient presque abouti à un accord partiel avec Yasser Arafat, mais ils ont échoué à relancer le processus de paix. Américains et Israéliens ont longtemps écarté les Européens de la table de négociation. Pourtant, quand l'Amérique aujourd'hui reconnaît implicitement la nécessité d'un Etat palestinien, elle a été précédée depuis longtemps par l'Europe sur ce point. Les Européens ont donc vocation à participer aux négociations. On pourrait aussi y associer la Russie, qui depuis 1990 a cessé de jouer le rôle négatif qui était celui de l'URSS.

Quant à l'Union européenne elle-même, elle apparaît absente dans le contexte actuel, alors que le terrorisme la vise aussi. Sans doute la Grande-Bretagne a-t-elle participé à la première phase de l'offensive ; sans doute le Président Chirac a-t-il exprimé un engagement résolu aux côtés des Américains. Mais l'absence d'une Europe politique et d'une Europe de la défense se fait cruellement sentir. Seule la capacité militaire de l'Union européenne donnerait une crédibilité à la politique extérieure et de sécurité commune.

Cependant, il serait injuste de ne pas souligner les progrès réalisés par l'Europe de la défense depuis la rencontre franco-britannique de Saint-Malo en 1998. Les Européens disposent déjà en commun de 60 000 hommes, d'une centaine de bâtiments et de 400 avions. Les sommets de Nice et de Göteborg ont marqué à leur tour des avancées décisives. Les nouveaux organismes mis en place depuis le début de l'année assurent ainsi une bonne gestion du conflit macédonien.

Au total, il semble qu'un point final soit mis à la période de la guerre froide. Il serait hasardeux de s'attendre à un conflit nord-sud. Les options stratégiques traditionnelles des Etats-Unis et de la Russie d'un côté, des Européens de l'autre, devraient se rapprocher, au profit d'une politique d'intervention et d'ingérence collectives dans des conflits qui s'éternisent. Les Etats-Unis devraient se rallier aux propositions formulées par Jacques Chirac sur une politique de défense et de sécurité commune, comportant un partage de la décision politique.

Face à des défis inédits, s'ouvre peut-être un avenir dans lequel les Européens, les Américains, les Russes et d'autres peuples agiront ensemble pour définir un siècle nouveau.

M. René Mangin - L'actualité internationale met en évidence le rôle prépondérant de la France dans les affaires du monde. Aussi le ministère des affaires étrangères doit-il être en état d'agir. De fait, il s'est engagé depuis 1999 dans un effort de modernisation. Avec 151 postes diplomatiques et consulaires, le réseau français est l'un des plus importants et doit le demeurer. Le rapprochement des services des affaires étrangères avec leurs homologues des finances est très positif. Nous apprécions aussi l'augmentation des crédits d'action sociale.

Pour éviter que la place de la France régresse dans le monde, nous devons consolider les moyens et stabiliser les effectifs du ministère. Il convient aussi d'attirer les étudiants étrangers, et c'est pourquoi nous approuvons la création récente de bourses d'excellence dans le budget pour 2002. Il convient aussi de soutenir les actions de coopération décentralisée, de relever les moyens accordés à nos centres culturels ainsi qu'aux services des visas dans les consulats et à ceux de la sécurité.

Les crédits accordés à l'audiovisuel extérieur augmentent de 2,3 %, tant au profit des chaînes existantes, en particulier TV5, que de nouvelles chaînes se créant par exemple en Afrique. Saluons la volonté d'améliorer la procédure de traitement des demandes d'asile. 15 millions d'euros sont consacrés à l'aide alimentaire programmée et 9 millions d'euros à l'action alimentaire d'urgence. L'expertise civile et technique n'est pas oubliée. Dans ce domaine, la France figure au premier rang avec, pour le FED, 218 millions d'euros en crédits de paiement.

Tout en regrettant que le budget des affaires étrangères représente moins de 1,5 % du budget général, les commissaires socialistes approuvent ces crédits.

M. Pierre Lequiller - Le groupe DL votera contre ce budget, qu'il juge trop faible. Sans doute apprécions-nous les efforts de modernisation du ministère, ainsi que l'amélioration de la formation et celle du statut des recrutés locaux. En revanche, la situation de notre enseignement à l'étranger nous inquiète. Notre système de lycées est insuffisamment diversifié, en particulier en direction des pays émergents en Asie. De plus, il est excessivement centré sur les Français de l'étranger, au détriment des populations locales ; la francophonie y perd beaucoup.

Je me félicite du développement de TV5 aux Etats-Unis. Je souhaiterais disposer de comparaisons avec la Grande-Bretagne et l'Allemagne sur notre présence audiovisuelle à l'étranger. En voyageant, nous constatons la place importante occupée dans ce domaine par nos partenaires.

Même si la crise internationale actuelle n'est pas liée au contraste opposant les pays riches et les pays sous-développés, il est indispensable à long terme d'accroître l'aide extérieure au développement. Voilà des années que l'on se gargarise du chiffre de 0,7 % ! Mais nous en sommes toujours à 0,38 %. Il est de la vocation de la France de consentir un effort particulier, à l'instar de certains pays de l'Europe du nord. S'agissant du maintien de la paix, je voudrais savoir quelles conséquences concrètes sont tirées du rapport confié à M. Brahimi par l'ONU.

Je suis du même avis que M. Jean-Bernard Raimond : l'occasion nous est donnée de relancer l'Europe de la défense et de la sécurité. On peut regretter sur ce point que la récente réunion tenue à Bruxelles au sujet du mandat d'arrêt européen n'ait pas véritablement abouti. Il est urgent de parvenir à un accord, ainsi qu'à une définition commune du terrorisme. De même, dans le domaine de la sécurité extérieure, nous avons besoin d'une agence européenne de renseignements. Même si nous apprécions vos prises de position, Monsieur le Ministre, et celles de Joschka Fischer, nous regrettons que la voix de l'Europe ne se fasse guère entendre. Chaque pays de l'Union, à commencer par la Grande-Bretagne, paraît s'exprimer pour son propre compte. L'occasion est pourtant favorable pour faire avancer ces notions de défense et de sécurité communes. Je rejoins M. Pierre Brana sur la nécessité de faire progresser l'idée de créer des consulats européens au sein de l'Union et ailleurs dans le monde.

Telles sont nos observations. Au nom de notre collègue Ehrmann, je vous demande, suite à la modernisation du ministère promise en 1997, ce qu'il en est de la mobilité des personnels et de la gestion des ressources humaines.

Mme Marie-Hélène Aubert - Je m'exprime au nom des députés Verts, d'abord pour dresser un constat généralement admis : le budget des affaires étrangères est très faible, voire « riquiqui », par rapport aux enjeux et aux défis actuels. N'est-il pas un peu irréel de discuter de crédits si médiocres alors que la situation internationale est ce qu'elle est ? Nous croyons qu'il faut aujourd'hui sortir d'une vision par trop nationale, au profit d'un débat plus ouvert sur les objectifs de la politique française en 2002.

Il faut redéfinir nos objectifs au regard de la situation internationale et des progrès d'une forme de mondialisation très contestable. Il faut aussi renouveler nos pratiques démocratiques.

Certes, la Constitution donne une forte prééminence au Président de la République, mais elle peut être révisée afin d'associer davantage la société civile à la définition de la politique étrangère. Cela passe d'abord par un renforcement du rôle des élus. Il n'est plus acceptable que nous découvrions dans les médias les décisions prises, au nom de la France, face à des situations particulièrement graves. Au-delà de l'information du Parlement, c'est une véritable codécision qu'il faut promouvoir. Par ailleurs, je me réjouis de la présence, ce matin, de membres de la Commission de la défense, mais on ne peut continuer à dissocier affaires étrangères et défense, d'autant que les crédits engagés au titre de la loi de programmation militaire sont bien supérieurs à ceux des affaires étrangères. Nous plaidons donc en faveur d'une commission commune.

Donner plus de poids à la société civile suppose aussi que l'on écoute davantage les ONG. Des progrès ont été accomplis mais beaucoup reste à faire. Les acteurs économiques jouent également un rôle considérable, notamment les grandes entreprises multinationales qui influent sur notre politique étrangère et sur l'image de la France. Il n'est plus conforme à la réalité d'affirmer que les entreprises font de l'économie et les diplomates de la politique étrangère.

Nous avons aussi besoin d'outils transversaux et non sectoriels pour traiter les grands enjeux globaux de la paix, de la lutte contre la pauvreté, du développement durable. De ce point de vue, force est de souligner la faiblesse de nos moyens. Ainsi, le Bureau de l'Assemblée a regretté hier de ne pouvoir faire face à toutes les demandes de missions. D'autres parlements, comme le Bundestag, sont bien mieux lotis.

En ce qui concerne l'aide publique au développement, et le soutien affiché par la France à l'état de droit, je pense, comme M. Jean-Yves Gateaud, qu'il faut agir dans le long terme et non seulement quand l'actualité et des événements tragiques nous y poussent. Or l'incapacité à anticiper les crises et à assurer un suivi sont des caractéristiques de la politique française.

On peut aussi s'interroger sur la faible lisibilité de notre politique à l'étranger, voire sur ses contradictions. Comment ne pas s'étonner, alors que les élections au Tchad ont été marquées par une fraude massive, que le président ait été chaleureusement félicité pour sa réélection. Pourtant, nous plaidons régulièrement pour des élections transparentes... En Bosnie, c'est la faiblesse de notre aide bilatérale qui pose problème. Je ne pense pas par ailleurs que les affaires d'Elf en Afrique appartiennent à un passé totalement révolu. Et d'autres groupes français ont des agissements contestables. Ainsi Bolloré est impliqué dans la déforestation. Nos entreprises doivent se montrer plus respectueuses des droits de l'homme et de l'environnement.

Si nous sommes tous d'accord pour renforcer les moyens de la francophonie et du rayonnement de la France, on est souvent, là aussi, fort loin du combat pour les droits de l'Homme.

Je m'interroge également sur la pertinence de nos dispositifs militaires à l'étranger.

L'aide publique au développement est beaucoup trop faible, nous le disons chaque année, mais cela devient désespérant. Certes, nous ne sommes pas les seuls à réduire cette aide au profit d'une logique économique et commerciale, mais nous devons nous interroger sur la nécessité, dans le cadre d'une mondialisation mieux maîtrisée, d'un plan d'aide massive à tous les pays, notamment en Afrique, où la pauvreté est extrême. Comment croire que le plan « tout sauf les armes » de l'Union européenne est de nature à sortir les pays en développement de leurs grandes difficultés ?

Je n'exonère nullement leurs dirigeants de leurs responsabilités, mais les grandes puissances font preuve d'un cynisme déplorable. Après les terribles attentats du 11 septembre, plus personne ne peut penser que l'extrême pauvreté et les conflits n'ont aucune répercussion dans nos pays. Nous sommes confrontés à des difficultés liées à l'immigration, au crime organisé, au terrorisme, qui nous empêchent de fermer les yeux sur la situation insupportable du Sud.

L'aide publique au développement est aussi beaucoup trop gérée par Bercy, elle doit revenir aux affaires étrangères. Il conviendrait aussi de créer un fonds d'urgence qui permettrait de répondre aux crises sans ponctionner d'autres programmes.

Sur la dette, je me demande comme M. Jean-Yves Gateaud où nous en sommes. Nous sommes comptables des situations qu'ont entraînées les politiques d'ajustements structurels dont tout le monde dénonce aujourd'hui les effets nocifs, notamment sur les services publics de la santé et de l'éducation.

Je ne peux développer, faute de temps, d'autres questions importantes : quel rôle pour l'OMC ? Quel bilan tire-t-on des accords du GATT ? Comment va-t-on renforcer la conditionnalité des aides afin de rompre avec l'indulgence envers des régimes au mieux incompétents, au pire corrompus et dictatoriaux ?

Je plaide aussi pour une politique européenne de sécurité et de défense beaucoup plus forte qui permettrait, par exemple, de mettre fin à la succession des visites de ministres de différents pays.

Ce budget trop faible est inadapté aux enjeux. Il exige un large débat démocratique. Les réformes doivent se poursuivre pour rendre l'action de la France plus lisible. Nous avions voté contre l'année dernière, cette année c'est un peu mieux ; aussi nous nous abstiendrons.

Mme Bernadette Isaac-Sibille - Je suis un peu inquiète de la réforme de l'Institut de recherches méditerranéennes. Vous semblez compter, Monsieur le Ministre, sur la coopération financière du ministère de l'éducation nationale, mais je n'ai trouvé aucun crédit pour cela dans le budget de ce ministère.

Je me félicite de l'excellente idée de créer un Institut de recherche au Moyen-Orient. Seule la connaissance permettra d'aller vers une paix voulue par tous ces pays qui sont à l'origine de la pensée humaine.

Je déplore, par ailleurs, la faiblesse du per diem accordé aux recrutés locaux : 110 F par jour, cela ne suffit vraiment pas pour se loger et pour se nourrir en France. Il leur faut donc trouver un hébergement bénévole, j'abrite ainsi moi-même actuellement une stagiaire à l'école des bibliothécaires.

Enfin, écoutant les excellents rapports de MM. Tavernier et Adevah-Poeuf, cette citation de Claudel me venait à l'esprit : « Ce qui m'étonne, dit Dieu, c'est l'espérance ». Eh bien, pour ma part, j'espère que ce budget pourra être un peu amélioré. Le groupe UDF arrêtera son vote après les réponses des ministres.

Mme Yvette Roudy - Je souhaite, bien sûr, que l'on renforce le lien entre francophonie et droits de l'homme. Or à l'occasion du rapport que je viens de préparer, je me suis aperçue que la plupart des responsables francophones ne se préoccupaient nullement des droits de l'homme.

Ce n'est pas supportable alors que des pays se livrent encore à des trafics d'enfants et de femmes et il faut en faire une condition dans la répartition de nos subsides.

Je m'inquiète aussi du recul de la francophonie. J'ai communiqué aux ministres début septembre le résumé de la conférence d'une francophile américaine qui cite des chiffres très préoccupants. L'enseignement du français s'effondre aux Etats-Unis. Il n'y aura bientôt plus de professeurs. Entre autres choses, Mme Spencer ne comprend pas comment la France peut admettre que les documents financiers destinés aux épargnants n'aient plus l'obligation d'être rédigés en français. Imposer seulement l'usage d'une langue usuelle en matière financière - et ce ne sera ni le grec ni le norvégien - est incroyable.

Le Président François Loncle - Je peux vous assurer que M. Charles Josselin a lu la totalité de la communication de Mme Spencer

M. Gérard Bapt - J'ai posé une question écrite sur la Syrie et la réponse qui m'est parvenue cette nuit me satisfait. Je me félicite que le budget de la coopération bilatérale soit toujours une priorité pour le Gouvernement. Je voudrais toutefois revenir sur le concept qui autorise à séparer le terrorisme de la résistance. Au Liban et en Syrie, les événements ont prouvé que ce débat n'a rien de purement sémantique. Les pays qui sont confrontés au problème du terrorisme doivent clarifier leur position à ce sujet.

Le Président François Loncle - Terrorisme et résistance, voilà un beau sujet de thèse. La procédure des questions écrites est satisfaisante, mais les réponses ont été tardives. Il faudra améliorer les délais l'an prochain. Il faudra aussi veiller à ce que l'ensemble des députés disposent de ces réponses afin d'éviter les doublons.

M. Hubert Védrine, Ministre des affaires étrangères - Le Premier ministre me demande d'urgence à Matignon et je vous demanderai de m'excuser de partir avant la fin de la séance. M. Josselin répondra à toutes vos questions particulières. Je voudrais pour ma part vous livrer quelques réflexions générales.

Je voudrais d'abord remercier l'ensemble des intervenants. Même ceux qui, pour des raisons conjoncturelles, sont obligés de ne pas voter ce budget qui augmente alors qu'ils ont voté des budgets qui baissaient (Sourires), se sont exprimés avec la plus grande compréhension de la situation. La France a besoin de l'instrument de sa présence dans le monde pour défendre ses droits et promouvoir ses valeurs. Même si cet instrument se modernise, il n'a pas les moyens dont il devrait disposer et je regrette que notre échange d'arguments ait eu lieu ce matin hors de la présence de ceux qui sont toujours hostiles à notre politique. La répartition des crédits dans notre enveloppe limitée peut donner lieu à un débat légitime, mais l'objectif essentiel de l'augmentation du budget rassemble une coalition de bonnes volontés parmi les spécialistes et c'est à eux de faire prendre conscience aux autres décideurs que ce budget est un instrument fondamental, qu'on le conçoive de la façon la plus idéaliste, sur le plan des valeurs, ou de la façon la plus réaliste sur le plan de la sécurité nationale.

On ne peut pas dire que la diplomatie française a des difficultés à réagir. Il y a peu de diplomaties aussi actives, rapides et inventives - et ce n'est pas spécialement de mon fait. Nous étions déjà engagés sur tous les problèmes que les autres pays ont découverts après le 11 septembre. Nous nous préoccupions déjà de la situation au Proche Orient, du fossé entre les riches et les pauvres et de la politique occidentale de conditionnalité et nous savons combien ces problèmes sont complexes. Par exemple, la France a été la première à dire qu'il ne fallait pas raisonner uniquement du point de vue humanitaire ou militaire en Afghanistan, mais enclencher un processus politique pour que les Afghans retrouvent la maîtrise de leur destin. Depuis, la Grande-Bretagne, l'Italie, l'Union européenne mais aussi les Etats-Unis sont sur la même ligne. Beaucoup d'entre vous ont parlé d'un changement de siècle. Mais à force d'en parler, nous en serions déjà au vingt-cinquième ! Un changement majeur a eu lieu lors de l'effondrement de l'URSS en 1989-1991. Les événements actuels s'inscrivent dans un monde post-bipolaire. Ce qui vient de s'écrouler, c'est la bulle d'Irrealpolitik dans laquelle on s'imaginait que le monde s'acheminait avec allégresse vers la démocratie générale contre laquelle seuls les méchants Milosevic et Saddam Hussein conspiraient. Mais dès avant le 11 septembre, les débats à l'OMC et ailleurs ont montré la fausseté de cette opinion. Les événements de Gênes, ceux de Durban, qu'on ne peut limiter aux propos inadmissibles qui ont été tenus envers Israël, illustrent le désaccord qui existe sur la politique de conditionnalité. Nous sommes certes habités par la volonté de faire progresser les valeurs démocratiques, mais la façon dont nous voulons les imposer n'est pas admise. Il n'y a pas d'accord sur la répartition des richesses, sur le contenu ni le fonctionnement des institutions internationales et encore moins sur la politique de conditionnalité, considérée par les quatre cinquièmes du monde une politique occidentale.

Si au bout de quarante ans d'aide, nous en sommes encore à déclarer l'urgence de la lutte contre la pauvreté, il y a de quoi s'interroger ! Si la façon dont nous voulons faire profiter le monde de notre niveau de démocratie et de progrès est contestée majoritairement, il ne suffit pas de serrer la vis, sous peine de mener cette politique à l'américaine que nous contestons souvent. Il s'agit d'un de mes principaux sujets de réflexion et je regrette d'ailleurs que la représentation nationale ne s'y attache pas assez.

On a beaucoup parlé du choc des civilisations. Je pense qu'il ne faut pas combattre la théorie, mais le risque. Combien de pays partagent le monde entre les Occidentaux et les autres ! Un journaliste japonais, qui ne voulait aucunement polémiquer, m'a demandé récemment mon opinion sur la crise internationale et sur notre façon de répandre partout les valeurs « chrétiennes ». Cette façon de parler est largement répandue. Plus on est progressiste et ambitieux, plus on souffre de l'absence de droits, de démocratie et de progrès, plus on doit s'interroger sur cet affrontement intellectuel et conceptuel.

Et ce n'est certainement pas parce que nous vivons dans un monde globalisé que le problème serait moindre : bien au contraire, il se pose avec une force beaucoup plus grande encore ! Des hommes politiques responsables ne peuvent ignorer ce qu'ils entendent dans l'ensemble du monde, que leurs interlocuteurs soient arabes, chinois, latino-américains ou même russes. Ils le doivent d'autant moins que le choc du 11 septembre n'a aucunement eu pour conséquence le ralliement des Etats-Unis au multilatéralisme. Que font les Américains ? Ils constituent des coalitions ad hoc, et négocient, sujet par sujet, les contreparties qu'ils consentent en fonction des services qui leur sont rendus. Il n'existe vraiment aucun signe que les Etats-Unis font leur la conception européenne de la négociation multilatérale et il serait illusoire de croire à un rapprochement des points de vues, puisque ce dont il s'agit au fond est bien un affrontement de politiques et de puissances.

Qu'il soit clair que ce que je vous expose là une analyse générale, qui ne s'applique pas à l'action militaire lancée, il y a une dizaine de jours, dans le cadre de l'article 51 de la convention des Nations unies : cette réaction ciblée était logique et indispensable.

Deux mots, maintenant, à propos de l'Europe. Il n'y a pas lieu, à mon sens, de parler de « masochisme européen ». L'Europe n'a jamais eu pour objectif de constituer un corps expéditionnaire destiné à être déployé en Asie centrale ! La question pourrait se poser - et encore... - pour l'OTAN, mais pas pour une Union européenne dont, par ailleurs, les dirigeants ont fait preuve d'une harmonie immédiate. Certains s'expriment davantage que d'autres, mais qu'importe, puisqu'il n'existe aucun désaccord dans l'analyse politique de la situation actuelle et que l'accord se fait aussi sur l'avenir politique souhaitable de l'Afghanistan. En matière d'affaires intérieures et de procédure judiciaire, l'Histoire retiendra que les attentats commis le 11 septembre auront eu pour conséquence une prise de conscience salubre en Europe, ce qui permettra d'atteindre en un an ce qui, sinon, aurait demandé une décennie. Pour ma part, je considère que l'Europe n'a en rien été désavouée.

Je remercie votre Rapporteur spécial, M. Tavernier, qui a magistralement analysé la partialité et la mauvaise information qui sévissent dans quelques bureaux de la sous-direction du budget. Et c'est ainsi que certains, parce qu'ils ont de son action une vision contestable, imposent au ministère des affaires étrangères des diktats financiers qu'ils se gardent bien de s'appliquer à eux-mêmes. Il est bon que votre Rapporteur spécial ait mis en évidence la persistance de préjugés enkystés en dépit de nos efforts, reconnus, de rationalisation et de modernisation. Certes, une augmentation de 1,37 % des crédits est préférable à un accroissement de 0,9 % par exemple, mais elle n'est pas suffisante pour répondre à la force des attentes que vous avez manifestées. 200 millions de francs nous seraient nécessaires pour être plus à l'aise, et que sont 200 millions de francs dans le budget de l'Etat ? Bien des ministères les dépensent sans même que l'on en parle ! Je me félicite donc que les choses aient été dites, et je me félicite aussi de la qualité et de la bienveillance des rapports que j'ai entendus.

Le Président François Loncle - Je ne doute pas qu'au-delà des clivages politiques, chacun aura apprécié la clarté et la vivacité de vos propos au moment où l'on assiste au retour en force de la politique étrangère.

M. Charles Josselin, Ministre délégué à la coopération et à la francophonie - Comme l'a souligné le Ministre, les signes avant-coureurs de la crise étaient flagrants. Ainsi, le désaccord entre le Nord et le Sud s'est-il exprimé bruyamment à Seattle déjà et, malgré cela, notre arrogance d'Occidentaux n'a pas fléchi. La lutte contre le terrorisme international est d'autant plus complexe que le consensus qui transparaît dans les discours officiels est souvent en décalage avec l'opinion publique. Une preuve sanglante en a été donnée au Nigeria, mais le phénomène se vérifie partout, et pas seulement à la sortie des mosquées. Il s'agit bien d'un affrontement entre les riches et les pauvres, et c'est ainsi qu'à Durban les frustrations se sont focalisées sur la Palestine.

S'agissant des crédits proprement dits, M. Tavernier s'est inquiété des effectifs. Les concours de catégorie C ouverts en 2001 et 2002 permettent d'envisager 250 recrutements, ce qui devrait répondre aux besoins. Quant à l'effet-change, le ministère des finances le compense à hauteur de 150 millions de francs pour les rémunérations ; le ministère des affaires étrangères devra financer sur ses fonds propres 125 millions d'effet-change pour ses frais de fonctionnement. De ce fait, l'augmentation nette des crédits s'établira entre 30 et 50 millions.

S'agissant des contributions volontaires, elles ont beaucoup baissé depuis 1992. Alors qu'elles s'établissaient à 652 millions de francs cette année-là, elles n'étaient plus que de 231 millions de francs en 1995. Après avoir connu une petite remontée en 1996, nous sommes parvenus à 240 millions de francs en 1998. Depuis lors nous avons entendu la plainte non seulement des parlementaires mais des organismes eux-mêmes : nous sommes remontés à 292 millions en 1999, 302 en 2000, 317 en 2001 et 320 l'an prochain. Dans le cadre du Programme des Nations unies pour le développement, nous fournissions 50 millions en 1997 : nous en apportons 105 aujourd'hui. Le président du PNUD est conscient de cet effort et estime que nous sommes redevenus un bon partenaire. Nous conduisons avec lui un certain nombre d'actions dites « bi-multi » sous le double drapeau de la France et du PNUD.

Les dépenses au titre des opérations de maintien de la paix ont connu une augmentation considérable, et l'on peut penser que cela continuera. Déjà l'idée d'une force internationale en Afghanistan est émise. On imagine ce que sera son coût, si l'on considère ce que coûtent déjà Timor et la Sierra Leone.

Quant au fonds européen de développement, le point de vue des Finances est que tout irait bien si nous étions à 17 %. Mais il n'y aurait plus de FED ! Si nous sommes allés à 25 %, c'est pour sauver ce fonds. On peut d'ailleurs regretter qu'il n'ait pas encore gagné en efficacité et en réactivité. Il faut encore parfois quatre à cinq ans pour mobiliser les crédits. Il a fallu trois ans après le cyclone d'Amérique centrale. La responsabilité de cette lenteur est partagée entre nos propres lourdeurs administratives européennes et le manque d'expertise des pays bénéficiaires, qui renvoie à la faiblesse de leurs fonctions publiques.

Je confirme à M. Brana que la régulation a concerné 250 millions en 2001, dont 45 déjà annulés et 205 gelés. Nous avons d'autre part engagé une réflexion sur la réduction du réseau consulaire en Europe, que permettrait une simplification des procédures avec nos partenaires européens. Il est toujours difficile politiquement de fermer un consulat, mais il faudra aller dans cette direction.

Il est clair, M. Adevah-Poeuf, que le nombre des recrutés locaux augmente : c'est la réponse inévitable à l'érosion des emplois titulaires. Nous avons mis en _uvre un plan d'amélioration de la situation des recrutés locaux qui porte à la fois sur les rémunérations, la régularisation des contrats et la protection sociale. Les crédits consacrés aux recrutés locaux connaîtront une hausse de 20 millions en 2002, après 30 millions en 2001. Il est difficile de trouver le point d'équilibre entre la rémunération des fonctionnaires locaux et celle de nos agents expatriés : nous avons en tout cas essayé de réduire le différentiel qui est de 1 à 20, ce qui est choquant.

M. Adevah-Poeuf demande qu'on passe d'une culture de culpabilité de la France à une culture de co-responsabilité nord-sud ou multilatérale, et cela me semble assez juste. Si le multilatéral s'est développé, il ne représente encore qu'un tiers de notre coopération. Mais il est appelé à continuer de s'accroître.

M. Jacques Myard - Malheureusement !

M. Charles Josselin, Ministre délégué à la coopération et à la francophonie - C'est une bonne chose au contraire, à condition que nous sachions peser mieux que nous ne le faisons dans les enceintes internationales. Ici la francophonie peut nous aider, mais c'est un combat difficile. Nous nous efforçons de former des experts de pays francophones qui leur permettront de s'exprimer dans ces enceintes, mais nous rencontrons des obstacles.

Nous restons fidèles à notre engagement de mettre fin à l'érosion de l'assistance technique. Nous nous calons sur le chiffre de 2 000 assistants techniques. Le fonctionnement de cette assistance va créer un besoin d'expertise de courte et moyenne durée : cela fait l'objet d'une ligne budgétaire spécifique. Mais il n'est pas question de négliger la coopération de résidence, essentielle à la présence de la France, et nécessaire à une mise en _uvre réelle des contrats de désendettement-développement.

On a relevé la grande différence entre l'aide par habitant à Djibouti et ce qu'elle est dans certains pays du Sahel. Mais Djibouti est un cas exceptionnel en raison de la présence d'une importante base militaire : cela n'est pas sans peser sur notre dialogue avec les autorités djiboutiennes concernant les crédits de coopération. Mais je n'oublie pas que les pays du Sahel comptent parmi les pays les plus pauvres, même si nous ne sommes pas les seuls à les aider : il y a, notamment au Mali et au Burkina-Faso, une coopération de l'Europe elle-même et de nombreux pays européens.

Sur la question de la dette, bien que tout ne soit pas arrêté, je peux vous dire que 40 pays sont éligibles à l'initiative PPTE ou «  pays pauvres très endettés ». Fin 2000, un peu plus de 20 pays ont atteint le « point de décision » : dès lors, sur la base d'un programme provisoire, ils commencent à bénéficier de report de dettes. C'est au « point d'achèvement », deux ou trois ans plus tard, qu'il y a vraiment effacement de la dette sur la base d'un contrat stratégique de lutte contre la pauvreté. Parmi les pays avec lesquels la France a des relations étroites, le premier à bénéficier de cette procédure sera le Cameroun : ce sont 600 millions qui constitueront pour lui une marge de man_uvre supplémentaire. Il devra en faire bon usage, et c'est toute la question des contrats désendettement-développement. L'un d'entre vous a dit que le rapport de force entre Bercy et le Quai d'Orsay était trop souvent déséquilibré en faveur du premier. Mais tout contrat de désendettement-développement s'appuie sur un contrat stratégique de lutte contre la pauvreté conduit par l'ambassadeur : c'est lui qui coordonne sur le terrain toutes les administrations, y compris celles qui relèvent du ministère des finances. En outre, l'opérateur le plus important de la coopération sur le terrain est l'agence française de développement, et nous faisons en sorte que dans cette institution les diplomates occupent toute leur place à côté des responsables du Trésor.

Concernant le volontariat, il est vrai que dès 2001, la fin du service national nous a posé des problèmes. Nous avons des difficultés pour remplacer les VSN par des volontaires civils dans les domaines médical et informatique, et la question du renouvellement des enseignants va se poser à l'automne 2002.

Pour ce qui est des fonctions publiques nationales, nous ne cessons d'insister, dons nos contacts au plan européen, sur la nécessité de consolider les Etats. Il faut certes aider les sociétés civiles du sud. Mais nous devons nous garder de situations aberrantes, où un fonctionnaire, mal payé ou pas du tout, crée une ONG, bénéficie à ce titre d'une subvention, et trouve ainsi une bonne raison pour ne plus aller à son bureau d'administration. Nous constatons ce phénomène de plus en plus, et nous le faisons savoir à nos partenaires pour qu'ils en tiennent compte. En effet, nous croyons qu'il faut se mobiliser sur une ligne simple : construire des Etats aussi, y compris des administrations. C'est pourquoi la France fait de l'appui institutionnel l'un des points forts de sa politique : construire de la justice, de la police, des finances publiques, des douanes, voilà aussi une nécessité, dont nous devons convaincre également la Banque mondiale ou le FMI.

M. Cazeneuve a attiré l'attention sur la coopération militaire, dont les crédits, c'est vrai, ont diminué ces dernières années, et continueront à le faire l'an prochain. En effet, 2001 a été la dernière année d'un mouvement de redéploiement, à raison de 10 % par an, de l'Afrique vers l'Europe centrale. L'équilibre entre ces deux pôles est désormais atteint. De plus, nous procédons à l'évaluation de notre coopération avec certains pays, comme la Guinée, le Tchad, la République centrafricaine. En revanche, nous aurons à accroître notre coopération militaire avec la Côte d'Ivoire. Tenons compte, enfin, d'une tendance croissante à la coopération multilatérale dans ce domaine, y compris au niveau des écoles.

Oui, M. Gateaud, une politique de coopération a besoin de la durée pour être efficace. S'agissant de l'APD, on déplore que nous soyons loin des 0,7 %. De fait, nous sommes descendus à 0,32 % mais à la fin de cette année nous en serons à 0,33 % ou 0,34 %, compte tenu de l'aménagement de la dette et des fonds sida et environnement. Si nous sommes toujours au premier rang du G 7 en pourcentage pour l'APD, certains pays se rapprochent, comme la Grande-Bretagne et la Belgique ; les Etats-Unis, eux, sont encore un peu loin... Au reste, ne mesurons pas l'APD seulement à son volume mais aussi à son efficacité. Des crédits sont souvent mal utilisés, et Bercy ne se fait pas faute de nous le faire remarquer. Cette situation tient à nos procédures, au principe de conditionnalité, aussi à l'état de crise dans lequel se trouvent certains pays. L'insuffisance de l'expertise nationale dans nombre de pays empêche souvent un véritable partenariat et une bonne utilisation de l'aide accordée.

Oui, M. Gateaud, l'absence de France 2 en Tunisie est regrettable. J'en ai parlé avec le Président Ben Ali. La présence française en Afrique du Nord serait effectivement renforcée par la réception de France 2. Il est dommage que certains pays s'en privent.

Pour mieux connaître l'état dans lequel se trouvent nos centres culturels, le rapport Dauge s'est révélé utile, même si M. Yves Dauge a peut-être fait preuve dans le choix des centres étudiés d'un certain a priori. Je sais des centres qui marchent bien et qui ne se plaignent pas. Pour les autres, nous apportons une réponse budgétaire. Mais le problème de la carte des centres culturels est posé : pourquoi ne pas procéder à des restructurations autour des centres les plus importants ? De plus, un centre culturel en Europe et un autre en Afrique sont à considérer tout à fait différemment.

S'agissant de la conditionnalité évoquée par M. Gateaud et Mme Aubert, la question du genre, ou pour mieux dire celle des femmes, est au c_ur de certaines de nos coopérations avec l'UNICEF : nous avons ainsi développé des programmes d'aide à l'éducation des filles et de lutte contre les mutilations sexuelles. Patrick Bloche a fait allusion à l'esclavage des enfants. Là aussi nous sommes mobilisés. Mais le concept de travail des enfants n'est pas le même en zone sahélienne d'élevage et dans les usines asiatiques. C'est vrai, certains pays francophones possèdent un trop faible taux de scolarité ; mais la situation n'est pas meilleure dans les pays anglophones. Dans les pays d'élevage, la relation des populations avec les équipements scolaires demeure nécessairement problématique. Nous étudions avec l'USN, et en particulier avec le sénateur Mc Govern, un programme tendant à assurer systématiquement le repas de midi.

Les crédits de bourses, M. Gateaud, sont toujours insuffisants ; néanmoins, ils sont passés de 618 millions en 2000 à 640 millions en 2001 et s'élèveront à 650 millions l'an prochain. Nous comptions en 2000 141 700 étrangers inscrits dans nos universités et 175 000 au total en comptant les autres établissements d'enseignement supérieur, soit 15 000 de plus qu'en 1999. Il est vrai que l'ensemble des effectifs dans l'enseignement supérieur augmente.

Dans l'important domaine de la coopération décentralisée, il convient d'éviter un foisonnement excessif sans toutefois donner l'impression de caporaliser un mouvement qui repose sur l'initiative des collectivités locales. Les troisièmes assises de la coopération décentralisée se tiendront le 26 novembre à l'Institut du monde arabe. Nous y constaterons que cette coopération est très appréciée de nos partenaires africains, en particulier parce qu'elle a l'intérêt de fabriquer de la sociabilité civile. Vis-à-vis des opinions publiques, un principe de base s'impose : la transparence des actions de coopération. Faisons connaître chez nous nos actions, et aussi et surtout chez les peuples partenaires du Sud.

La société civile devrait être informée de l'attribution de tout crédit attribué au Sud, ce qui permettrait d'exercer un meilleur contrôle et d'éviter certaines dérives. Il faut toutefois être conscient que le niveau incroyablement faible des rémunérations dans la fonction publique de ces pays, donne quelques circonstances atténuantes à certains petits détournements. D'ailleurs, nous faisons de plus en plus systématiquement figurer dans notre offre de coopération, en partenariat avec les services de M. Michel Sapin, un appui à la restructuration des fonctions publiques.

M. Patrick Bloche a évoqué TV5 Amérique. La restructuration engagée depuis deux ans a enfin abouti. Désormais l'essentiel des programmes sont confectionnés à Paris, y compris ceux qui sont destinés à l'Amérique latine et à l'Amérique du Nord, à l'exception, bien sûr, du Canada et du Québec. Il est trop tôt pour mesurer tous les effets de cette réforme, mais nous en attendons beaucoup.

M. Pierre Lequiller a comparé les moyens de l'audiovisuel extérieur français avec ceux d'autres pays. En effet, nos moyens ne représentent que 38 % de ceux engagés par la Grande-Bretagne et 33 % de ceux de l'Allemagne, même s'il faut tenir compte de notre participation dans ARTE. On peut aussi comparer les 90 millions d'euros du budget de TV5 pour le monde entier avec les 213 millions de RFO pour les seuls DOM TOM. De fait, l'écart entre ces derniers et leurs voisins ne cesse de se creuser, ce qui risque d'accroître les tensions. On peut ainsi imaginer les réactions aux Comores quand de nouveaux programmes sont annoncés à Mayotte. Il est vrai que nous avons besoin de 200 millions, eh bien je sais où l'on pourrait les trouver...

Des discussions sont engagées avec le secrétariat d'Etat à l'outre-mer en vue de bâtir un certain nombre de programmes communs. Cela apparaît particulièrement nécessaire quand on voit, par exemple, des femmes venir accoucher à Saint-Laurent-du-Maroni, faute d'hôpital de l'autre côté de la frontière, et même des enfants venir étudier dans nos écoles.

M. Patrick Bloche a aussi parlé des missions politiques de la francophonie. La déclaration de Bamako prévoit des programmes très importants. Le sommet de Beyrouth en a pris acte et la conférence ministérielle de la fin de l'année organisera leur mise en _uvre. Ils portent notamment sur l'information, la formation, les médias, pour lesquels la francophonie peut jouer un rôle important.

M. Georges Hage a lui aussi insisté, comme à son habitude, sur la francophonie. Nous lui consacrons environ 800 millions, ce qui ne tient pas compte des programmes bilatéraux, par exemple en faveur de l'éducation en Afrique. Nous couvrons ainsi entre 60 et 70 % de l'ensemble des moyens. La réforme des opérateurs a été engagée. Elle a déjà été menée à bien pour l'Agence universitaire, que dirige désormais Mme Gendreau-Massaloux. L'évaluation de l'Agence technique et de l'Université Senghor d'Alexandrie est engagée.

Mme Yvette Roudy s'est fait l'écho de la plainte d'une amie professeur de français aux Etats-Unis. Il est vrai que le français a reculé par rapport à l'espagnol qui a fait d'énormes progrès dans le paysage culturel et linguistique américain. Néanmoins, le Congrès des professeurs de français qui a réuni l'an dernier 3 000 participants à Paris a témoigné de la vitalité encore forte de la langue française. Certes, nous reculons ici, mais nous avançons ailleurs. De ce point de vue aussi, la question de l'audiovisuel est déterminante et l'augmentation, dans le budget 2002, des moyens destinés à TV5 répond à une nécessité. La réflexion sur le rôle international des autres chaînes françaises est aussi ouverte.

Je remercie M. Jean-Bernard Raimond d'une intervention qui s'inscrivait essentiellement dans le champ diplomatique.

Mme Marie-Hélène Aubert a souhaité que l'on articule mieux notre stratégie politique et celle des entreprises. Le Secrétaire général des Nations unies a pris l'initiative de réunir un forum des entreprises en ce sens. Nous entretenons des contacts réguliers avec les entreprises. J'ai ainsi réuni il y a peu des patrons de firmes installées dans des pays où sévit le sida pour voir avec eux comment la question était traitée, en ce qui concerne aussi bien la prévention, la prise en charge et le traitement de la maladie que l'élaboration d'un code de déontologie pour éviter les discriminations. J'ai trouvé auprès d'eux un écho très favorable car ils paient un lourd tribut au sida, qui touche surtout les catégories les plus actives.

Oui, il faut tenir compte de l'état de droit pour l'aide publique au développement. Mme Aubert a parlé du Tchad, je rappelle que la Commission européenne, le Parlement européen et nous-mêmes avons dit notre insatisfaction au lendemain des élections présidentielles. Nous comptons mettre sous surveillance étroite les législatives qui se préparent. Pour autant, des sanctions pénaliseraient d'abord la population civile qui n'y est pour rien : refuse-t-on un enfant à l'école au motif que son père le bat ? Les victimes ont d'abord besoin de notre appui et il faut donc faire le tri entre les différentes sanctions, en arrêtant par exemple la coopération militaire, mais en essayant de préserver tout ce qui concourt à la lutte contre la pauvreté.

Je veux insister sur l'importance de la nouvelle initiative africaine lancée par plusieurs chefs d'Etat à l'occasion du sommet du millenium et qui a fusionné avec le plan OMEGA du président Wade. Ce dernier a présenté cette initiative au G8 de Gênes, qui a pour la première fois consacré une part importante de ses travaux à la question du développement. Une réunion des bailleurs de fonds aura lieu en janvier pour envisager le financement de cette initiative. Une importante réunion sur le financement du développement est également prévue à Monterrey en mars prochain. Il faut s'attendre à une forte poussée de la demande de remise de dette, de la part non seulement des pays les moins avancés, mais aussi des pays intermédiaires.

Enfin, l'aide au développement a son rôle à jouer dans la lutte contre le terrorisme. De nombreux pays africains sont en effet conscients de leur fragilité en matière de capitaux sales. Nous leur soumettons une offre spécifique d'expertise bancaire, financière et policière pour les aider dans la lutte contre le financement du terrorisme et le blanchiment de l'argent. Ces éléments devront être pris en compte pour la définition du périmètre prioritaire de l'aide et les recommandations du GAFI en la matière devront utilement être prises en considération. Le dernier comité interministériel pour la coopération internationale et le développement, qui devait réfléchir à la définition de la zone de solidarité, n'a pas eu lieu compte tenu des événements récents. Nous cherchons une date pour qu'il puisse se tenir le plus vite possible.

Le Président François Loncle - Merci, Monsieur le Ministre, d'avoir répondu si complètement. La séance qui vient de se tenir a été de grande qualité.

Suivant l'avis du Rapporteur, la Commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits pour 2002 de la Coopération et du Développement.

ANNEXE 1 - PROGRAMME DE LA VISITE EN TUNISIE

Mercredi 19 septembre

15 h 00 - Entretien avec M. Contenay, Ambassadeur de France en Tunisie

16 h 15 - Entretien avec M. Bouche, Consul général et M. Pages, attaché financier au Consulat

17 h 30 - Réunion avec MM. Verbois, chef de la Mission économique et financière et Peccoud, directeur de l'Agence Française de Développement (AFD Tunisie)

18 h 30 - Entretien avec M. Verbois

20 h 30 - Dîner à la Résidence de France

Jeudi 20 septembre

9 h 00 - Entretiens avec M. Peccoud, directeur de l'AFD et l'équipe de direction

11 h 15 - Entretiens avec M. Vernet, conseiller culturel et l'équipe de direction de l'Institut Français de Coopération

12 h 30 - Déjeuner avec MM. Peccoud et Vernet et leurs collaborateurs

15 h 30 - Entretien avec M. El Gaied, Directeur général de la Recherche Scientifique

16 h 30 - Entretien avec M. Abib Achour, Directeur général de la Santé

18 h 00 - Entretien avec M. Ben Fraj, directeur général de l'Institut National du Patrimoine

Vendredi 21 septembre 2001

9 h 00 - Entretien avec M. Merdassi, Ministre de la Coopération internationale et des Investissements extérieurs

11 h 00 - Entretien avec M. Maaoui, Ministre délégué auprès du Premier Ministre, chargé des droits de l'Homme, de la communication et des relations avec le Parlement

12 30 - Déjeuner avec M. Fanti, adjoint au délégué de l'Union européenne

15 h 15 - Entretien avec M. Trifi et Mme Belhassem, président et vice-présidente de la Ligue Tunisienne des droits de l'Homme

16 h 15 - Entretien avec M. Chebbi, secrétaire général du Rassemblement socialiste progressiste

ANNEXE 2 - PROGRAMME DE LA VISITE EN COTE D'IVOIRE

Mardi 2 octobre

8 h 00 - Réunion au Service de Coopération et d'Action Culturelle (SCAC)

8 h 30 - Réunion à l'Union des villes et communes de Côte d'Ivoire (UVICOCI), présidé par M. Mobio Maire d'Abidjan

10 h 00 - Entretien avec M. Koulibaly, Président de l'Assemblée nationale

11 h 00 - Réunion sur les droits de l'Homme à la chancellerie avec Amnesty international, en présence de M. Kouassi N'Guessan, Président du Mouvement Ivoirien des droits de l'Homme (MIDH) et le Professeur Martin Bleou, Président de la Ligue Ivoirienne des droits de l'Homme (LIDHO)

13 h 00 - Déjeuner avec la communauté française

15 h 30 - Visite du projet de formation sanitaire urbaine FSU-Abobo-Avocatier et visite de l'Hôpital général Abobo Nord

18 h 30 - Cocktail à la Résidence de France avec la communauté française

Mercredi 3 octobre

7 h 00 - Départ pour Bouaké

10 h 30 - Installation à Bouaké

11 h 00 - Visite au Préfet

12 h 00 - Visite du Lycée français René Descartes

15 h 00 - Réunion avec le Maire et la municipalité

16 h 30 - Visite du Centre de dépistage volontaire du Sida

18 h 30 - Rencontre avec la communauté française

Jeudi 4 octobre

8 h 00 - Visite de l'Ecole d'application de Bouaké (projets éducatifs Ecole 2002)

10 h 30 - Départ de Bouaké

12 h 30 - Déjeuner à Yamousoukro avec M. Abouo, Ministre de la Santé publique et des responsables de projets de santé publique

17 h 30 - Rencontre avec M. N'Guessan, Ministre de l'Education nationale

18 h 30 - Cocktail à la Résidence de France avec les agents des services français

ANNEXE 3 - LISTE DES PERSONNALITÉS AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR

11 septembre :

- M. Hubert Prévot, président de la Coordination Sud

- M. Jean-Marie Fardeau, secrétaire général du Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD)

25 septembre :

- M. Bruno Delaye, directeur général de la Direction Générale de la Coopération internationale et de Développement (DGCID)

26 septembre :

- Docteur Gilles Raguin, vice-président de Médecins du Monde, accompagné de M. Alexandre Kamarotos, secrétaire international, et de Mme Eugénie Czorny, responsable du département santé générique

- M. François Colas, directeur des projets sociaux à l'Agence Française de Développement (AFD)

8 octobre :

- M. Jean-Claude Faure, président du Comité d'aide au développement de l'OCDE

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N° 3322-III.- Avis de M. Jean-Yves Gateaud (commission des affaires étrangères) sur le projet de loi de finances pour 2002 - Affaires étrangères : Coopération et développement.


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