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Commission des affaires culturelles et de l’éducation

Mardi 26 mars 2013

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 35

Présidence de M. Patrick Bloche, président

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Geneviève Fioraso, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche sur le projet de loi relatif à l’enseignement supérieur et à la recherche (n° 835) (M. Vincent Feltesse, rapporteur)

Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION

Mardi 26 mars 2013

La séance est ouverte à seize heures quinze.

(Présidence de M. Patrick Bloche, président de la Commission)

——fpfp——

La Commission des affaires culturelles et de l’éducation procède à l’audition de Mme Geneviève Fioraso, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, sur le projet de loi relatif à l’enseignement supérieur et à la recherche (n° 835) (M. Vincent Feltesse, rapporteur).

M. le président Patrick Bloche. Nous accueillons aujourd’hui Mme Geneviève Fioraso, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, pour présenter le projet de loi relatif à l’enseignement supérieur et à la recherche, adopté mercredi 20 mars en conseil des ministres. Nous avions souhaité, madame la ministre, vous auditionner dès le 20 mars, mais le dépôt d’une motion de censure et son examen ont différé votre audition d’une semaine.

Bien que la conférence des présidents n’ait pas encore fixé l’ordre du jour du mois de mai, le projet de loi pourrait être débattu en séance publique dès la semaine du 13 mai. La Commission des affaires culturelles et de l’éducation pourrait ainsi se saisir du texte le mardi 23 et le mercredi 24 avril. La Commission des affaires économiques et la Commission des affaires sociales vont par ailleurs se saisir pour avis du projet de loi, et une autre Commission pourrait faire de même. Nous avons, pour notre part, désigné M. Vincent Feltesse comme rapporteur du texte.

Le projet de loi relatif à l’enseignement supérieur et à la recherche a fait l’objet d’une véritable concertation avant son adoption en conseil des ministres. Ainsi, des Assises de l’enseignement supérieur et de la recherche ont mobilisé de nombreux acteurs de ce domaine et produit des conclusions qui ont été fort utiles lors de la rédaction du projet de loi.

Mme Geneviève Fioraso, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Une réforme s’imposait. Pour la première fois, elle devait intégrer l’enseignement supérieur et la recherche, qui, bien qu’indissociables, ont toujours été traités séparément. Pendant des mois, les Assises de l’enseignement supérieur et de la recherche ont rassemblé 20 000 acteurs dans des séminaires thématiques et suscité plus de 3 000 contributions, mobilisant une belle base démocratique. Le débat a permis de retrouver une confiance ébranlée durant le quinquennat précédent et de partager un bilan.

On observe ainsi que la réussite en licence a reculé de cinq points, malgré un plan licence de 730 millions d’euros – somme qui a en réalité plutôt servi de rustine pour colmater les déficits des universités. Le pourcentage de jeunes accédant à un diplôme de l’enseignement supérieur est à peine supérieur à 40 % en comptant les étudiants de bac + 2 et bac + 3, et atteint à peine 30 % si on se limite aux bac + 3, conformément aux critères européens, alors que l’objectif fixé à Lisbonne est de 50 %. Notre pays a donc un grand retard par rapport à l’Allemagne ou au Danemark, où ce pourcentage se situe entre 44 % et 46 %, sans parler des pays émergents tels que la Corée du Sud, où 70 % des jeunes sont diplômés au moins à bac + 3. Le monde bouge autour de nous, alors que nous sommes plutôt en régression.

De même, l’ascenseur social a reculé : 23 % de nos concitoyens disposent de revenus modestes mais leurs enfants ne représentent que 13 % des inscrits en première année de licence, 9 % des inscrits en master et 5 % au niveau du doctorat. Loin de s’améliorer, ce bilan ne fait que s’aggraver.

Notre système d’enseignement supérieur et de recherche s’est aussi considérablement complexifié. Ainsi, alors que, du temps de Jack Lang, le système français s’était harmonisé avec le système européen de Bologne, les intitulés de licence et de master se sont multipliés sans réelle régulation de la part de l’État, bien peu stratège en la matière. On compte ainsi 7 700 intitulés de masters dans les différentes universités et 5 800 spécialités. Si l’on ajoute à ces chiffres les habilitations accordées par le ministère au niveau des écoles, on parvient à 10 000 intitulés de masters. Comment, alors que les experts eux-mêmes ont du mal à se retrouver dans un tel maquis, les familles ne disposant pas du niveau d’expertise ou de décryptage requis, les jeunes, les employeurs et les étudiants étrangers tentés par notre système de formation pourraient-ils le faire ?

La frénésie d’appels d’offres pour la recherche, y compris fondamentale – et alors même que celle-ci, par essence, ne connaît pas les domaines d’application de ses explorations et ne peut donc pas préjuger de ses « délivrables » –, a encore amplifié la complexité des différentes strates, en créant de nouvelles personnes morales et juridiques. Le système est ainsi devenu consommateur d’une bureaucratie qui n’est pas la principale valeur ajoutée des chercheurs et qui est peu lisible à l’extérieur, avec une telle dilution de la stratégie de recherche qu’on ne sait plus qui en est chargé.

Cette stratégie de recherche confuse s’accompagne d’un affaiblissement de la présence de la France en Europe, notre taux de retour dans les projets européens ayant baissé de cinq points. Cela ne tient pas au niveau de la recherche française, dont le taux de succès est supérieur à la moyenne européenne et même à celui de nos voisins allemands, mais nos chercheurs sont allés moins volontiers à la rencontre de l’Europe. La France a ainsi reculé en termes non seulement de financement, mais aussi d’influence, et se trouve moins présente dans les partenariats européens qui donnent à la recherche européenne une véritable visibilité et un rayonnement international.

Sur la base des préconisations de M. Vincent Berger, rapporteur général du comité de pilotage des Assises présidé par le professeur Françoise Barré-Sinoussi, prix Nobel de médecine en 2008, et du rapport que M. Jean-Yves Le Déaut a remis au Premier ministre en janvier de cette année, nous avons proposé un projet de loi d’orientation – et non de programmation –, destiné à indiquer simplement le cadre permettant de pallier tous les dysfonctionnements repérés. Les moyens sont identifiés par ailleurs : les 5 000 postes qui seront créés au cours du quinquennat sont intégrés dans le projet de loi pour la refondation de l’école de la République, et, pour les années 2013, 2014 et 2015, ont été intégrés dans la loi de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017, votée le 20 décembre dernier.

Nous disposons également d’un plan de résorption de la précarité des personnels techniques, des techniciens, des ingénieurs et du personnel administratif, souvent de catégorie C, dont on entend moins parler, mais qui est peut-être le plus important. Dans les universités, il prévoit 2 100 titularisations par an pendant quatre ans : nous allons ainsi résorber la précarité pour 8 400 personnels, majoritairement de catégorie C.

Cette loi se développe selon deux grands axes : d’une part, elle fait de la réussite et de l’insertion du plus grand nombre d’étudiants une priorité politique ; d’autre part, elle veut rétablir la confiance dans l’université et la recherche françaises, et leur capacité à se projeter dans l’avenir à un bon niveau international – c’est-à-dire qu’elle entend rétablir les conditions du redressement et du rayonnement de la recherche française, en engageant, plus que par le passé, le dialogue avec la société.

Pour ce qui est du premier axe, il faut élever le niveau de qualification de toute une classe d’âge. Nous nous sommes fixé l’objectif de faire passer de 43 % à 50 % d’une classe d’âge le pourcentage de diplômés de l’enseignement supérieur. À cette fin, et pour la première fois, la loi prévoit d’agir sur l’orientation, en donnant priorité aux titulaires des baccalauréats professionnels dans les filières des sections de technicien supérieur (STS) pour obtenir un brevet de technicien supérieur (BTS) et aux titulaires de baccalauréats technologiques dans les instituts universitaires de technologie (IUT) afin d’obtenir des diplômes universitaires de technologie (DUT), avec des passerelles permettant à ceux qui le souhaitent de se diriger vers les universités ou les écoles.

À la demande du Conseil d’État, nous allons prévoir des quotas tenant compte de la diversité des disciplines et des territoires. Nous demanderons aux recteurs de fixer ces quotas dans les académies en tenant compte des spécificités du terrain et des disciplines, et en dialogue avec les établissements. Alors que, dans un IUT, la réussite d’un titulaire de baccalauréat technologique ne présente que cinq points d’écart avec celle du titulaire d’un baccalauréat général, le bachelier technologique se dirige souvent, par défaut, vers l’université, où ce ratio est de 1 à 3,5. Les faits sont têtus et les chiffres sont formels.

Quant aux titulaires de baccalauréats professionnels qui, n’ayant pas été acceptés en STS ou en IUT, se retrouvent par défaut à l’université, le risque d’échec y est pour eux neuf fois plus élevé que pour les titulaires du baccalauréat général : seuls 4,5 % d’entre eux parviennent à la licence, et très rarement en trois ans. Ces jeunes étant souvent issus des milieux les plus défavorisés, un effort prioritaire d’orientation était nécessaire en leur faveur afin qu’ils se dirigent vers des filières plus adaptées, qui, du reste, leur étaient destinées à l’origine.

J’insiste sur ces points, car on entend citer de nombreux chiffres différents. Ceux que j’avance sont les statistiques officielles.

Nous avons également voulu améliorer l’orientation professionnelle, inscrite dans les missions des établissements d’enseignement supérieur par la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU) de 2007, mais pas appliquée.

L’insertion des jeunes suppose d’abord d’ouvrir les universités sur leurs écosystèmes – ceux des collectivités territoriales et de l’économie sociale et solidaire, mais aussi celui des entreprises. Nous nous sommes fixé pour objectif le doublement de l’alternance, aujourd’hui beaucoup trop faible avec un taux de 8 % dans l’enseignement supérieur et de 4 % dans les universités. J’ai constaté sur place que les universités qui n’ont pas de passé académique pratiquent bien plus l’alternance que les autres, s’ouvrant bien davantage sur leur écosystème. Le taux d’alternance atteint ainsi 27 % à l’université de Marne-la-Vallée et 18 % à l’université de Cergy. Or tous les chiffres démontrent que l’alternance favorise l’insertion professionnelle des jeunes. Elle permet aussi à des jeunes dont les parents n’ont pas, malgré les bourses, les moyens de subvenir à leurs études, de poursuivre des études avec un contrat de travail, et à des jeunes qui ont été en échec scolaire et qu’une formation plus conceptuelle rebute, de revenir à une formation plus théorique en reprenant confiance dans le milieu professionnel.

Nous avons aussi voulu donner, assez radicalement, une lisibilité à l’offre de formations : les 5 800 spécialités des masters, source d’obscurité, sont supprimées et nous allons engager avec les établissements une formule d’accréditation et définir une nomenclature très simplifiée et très lisible dans laquelle les établissements inscriront leurs formations. Certains établissements, comme l’université de Dijon, que j’ai visitée la semaine dernière, l’ont déjà fait. Je vous invite à consulter le site de cette université, qui offre une entrée très lisible par formation et par grands domaines. L’université a élaboré elle-même des outils informatiques très conviviaux, qui sont à la disposition des jeunes et de leur famille dans des médiathèques et favorisent grandement l’orientation.

Dans le système actuel de l’admission post-bac (APB), certes meilleur que le précédent, une orientation en trois clics ne permet pas à un jeune ne bénéficiant pas d’un réseau de relations et d’expertises de s’orienter, a fortiori dans une offre de formation aussi complexe. Cette démarche s’inscrit dans le cadre du projet du bac – 3 au bac + 3 mis en œuvre avec le ministre de l’éducation nationale, M. Vincent Peillon. J’observe d’ailleurs qu’une telle collaboration est une innovation, car les relations entre le ministère de l’enseignement supérieur et le ministère de l’éducation nationale n’étaient jusqu’à présent, pour rester polie, pas très collaboratives.

Le système APB doit être anticipé au cours des trois années du lycée, avec des présentations des métiers et une présentation des établissements d’enseignement supérieur par les enseignants, qui indiqueront ce qu’ils attendent des lycéens. De fait, l’enquête que nous avons réalisée a révélé que, s’ils ne disposent pas d’un réseau relationnel, les lycéens se posent des questions élémentaires, ignorant s’ils auront un ou plusieurs professeurs, combien d’heures de cours ils devront suivre ou comment ils seront évalués. Ces questions sont anxiogènes et obèrent leurs chances de réussite. Elles peuvent aussi dissuader certains élèves inscrits en baccalauréat professionnel ou technologique de poursuivre des études au-delà du baccalauréat, ce qui limite leurs chances d’insertion et de réorientation professionnelles, cette dernière étant indispensable dans un monde où les parcours professionnels ne sont plus aussi linéaires qu’auparavant.

Une innovation pédagogique est également prévue avec le numérique. Certains cours en amphi peuvent être facilement remplacés par des cours en ligne qui peuvent donner lieu à des échanges de plus petit format avec des enseignants et à un accompagnement plus personnalisé des étudiants. Ce système, applicable notamment au droit et à la médecine
– laquelle le pratique déjà –, contribue à la réussite des étudiants.

Tous les enseignants recevront une formation dans les écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE) dont la création a fait l’objet de longs débats parlementaires. Ces écoles accueilleront aussi les enseignants-chercheurs, car il n’y a pas de raison que ceux-ci ne soient pas formés à l’enseignement. La transmission est un métier. Certains d’entre vous savent que, la première fois qu’on se retrouve devant des étudiants dans un amphithéâtre sans avoir reçu de formation à l’enseignement et à la transmission, il faut de solides qualités intrinsèques pour ne pas avoir le trac. L’enseignant sait qu’il est jugé à la première prestation, et un public d’étudiants a un bon jugement.

Il importe donc de former tous les enseignants, y compris ceux du supérieur. Ces écoles disposeront de centres de ressources numériques permettant aux enseignants à qui le numérique fait peur d’échanger avec des étudiants « digital natives », qui sont nés avec le numérique et en ont une approche plus intuitive. Il importe en effet de mettre tout le monde en situation de réussite.

La loi prévoit également un décloisonnement des filières, avec une spécialisation plus progressive dans le premier cycle, qui permet une réorientation sans redoublement. Cette mesure est favorable à la démocratisation de l’enseignement supérieur et à l’acquisition d’un socle qui permettra des réorientations et des adaptations ultérieures face aux mutations de la vie professionnelle.

La recherche publique ne peut être le seul débouché des docteurs. Nous avons du mal à faire accepter, à l’instar des « ingénieurs docteurs » nombreux en Allemagne, le titre de docteur dans les conventions collectives des entreprises. Nous avons engagé et poursuivrons un dialogue à cette fin avec les syndicats, la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) et le Mouvement des entreprises de France (MEDEF), et la loi comporte également une mesure précisant notre volonté d’intégrer les docteurs d’une façon transversale dans la haute fonction publique. Cette mesure apportera en outre de la diversification dans les différents secteurs de la haute fonction publique. La diversification culturelle, source de créativité, est toujours une bonne chose, et tout particulièrement dans une période où la créativité est nécessaire pour répondre à des enjeux complexes.

J’en viens aux mesures relatives à la recherche.

Il importe tout d’abord de retrouver une stratégie et de savoir clairement qui la définit : l’État, avec ses organismes de recherche et appuyé sur un Conseil stratégique de la recherche qui, conformément au conseil d’Hubert Curien pour qui la création d’une nouvelle strate administrative doit s’accompagner de la suppression d’au moins deux autres, se substituera à deux conseils. Le Conseil stratégique de la recherche contribuera à mettre en place un véritable agenda de la recherche, qui s’harmonisera avec le grand programme européen « Horizon 2020 », comme c’est déjà le cas au Royaume-Uni et en Allemagne. Comme l’Europe, nous avons choisi d’axer ces priorités autour de huit grands enjeux sociétaux, plus lisibles pour nos concitoyens. De fait, à l’exception de certaines applications médicales ou particulièrement médiatisées – et parfois controversées –, la multiplication des logos et la complexité des intitulés empêchent les citoyens de s’approprier les enjeux de la recherche.

Afin de préserver en amont la recherche fondamentale, nous avons demandé à l’Agence nationale de la recherche (ANR) d’établir des contrats de moyen et long terme qui remplaceront les contrats annuels.

Il nous faut également pousser, en aval, la recherche technologique. La France peut s’enorgueillir de posséder une recherche fondamentale de très bon niveau, une formidable école de mathématiques récompensée par de nombreux prix Henri-Poincaré et médailles Fields, une école de physique et de chimie non moins remarquable et des lauréats du prix Nobel de médecine, mais la recherche technologique y est trop faible par rapport à des pays équivalents.

La politique de transfert est également trop timide. Tout ce qui s’invente dans nos laboratoires n’est pas suffisamment valorisé. Les inventions ne se transforment pas assez en innovation, donc en création d’emplois dans des filières nouvelles ou traditionnelles. Le projet de loi prévoit donc un effort en ce sens, consacrant notamment tout un chapitre au transfert, conçu comme une mission de service public pour les chercheurs dans les laboratoires qui s’y prêtent – c’est-à-dire bien évidemment pas dans les laboratoires de recherche fondamentale, celle-ci ne pouvant préjuger de ses applications.

Dans cette stratégie, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), émanation de la représentation nationale, se verra confier un rôle d’expertise, et le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) exercera une mission transversale.

Afin de définir un agenda de la recherche, notre ministère s’appuiera sur les alliances thématiques dont la création a été une bonne initiative prise pendant le quinquennat précédent et qui regroupent de multiples organismes autour de l’énergie, de l’environnement, de la santé, des sciences et technologies de l’information et de la communication et des sciences humaines et sociales. Nous recourrons également, je le répète, à l’expertise d’un nouveau conseil, ainsi qu’au regard critique et aux contributions de l’OPECST. Nous disposerons ainsi d’une stratégie lisible, tant sur le plan national qu’à l’international, pour nos voisins européens.

La nouvelle gouvernance que nous mettons en place est destinée à assurer une meilleure lisibilité des universités et du regroupement des écoles et des universités. Il n’est pas question de bouleverser du jour au lendemain notre système dual, unique au monde, mais – pour reprendre les termes du Président de la République – de les rapprocher sans les confondre.

Nous le ferons au moyen de conventions entre les classes préparatoires aux grandes écoles et les universités, et de regroupements au sein des académies ou interacadémiques, voire transfrontaliers, entre les établissements universitaires dépendant du ministère et les écoles et autres établissements. Il est prévu d’identifier une trentaine de regroupements, qui contractualiseront avec le ministère et dont nous pourrons suivre les actions en matière de réussite étudiante, d’ouverture sur les écosystèmes et de rapprochement entre écoles et universités.

La loi vise également à assurer l’ouverture à l’international. Notre pays accueille aujourd’hui environ 12 % d’étudiants étrangers. Ceux issus des pays émergents sont trop peu nombreux, car toutes les formations proposées sont en français. Pour amener des étudiants étrangers à pratiquer notre langue, il faut d’abord les attirer dans notre pays. Nous ne pouvons nous satisfaire de voir que la majorité des étudiants coréens ou indiens et, plus généralement, des étudiants asiatiques ou venant des pays émergents vont étudier dans les universités anglo-saxonnes.

Nous souhaitons donc proposer davantage de formations en anglais, par dérogation à la « loi Toubon », mais instaurer parallèlement des cours d’initiation au français. Nous ferons ainsi venir à la culture de notre pays davantage d’étudiants issus des pays émergents, ce qui est bon non seulement pour le rayonnement de notre culture, mais aussi pour l’emploi.

De fait, pour réindustrialiser notre pays et pour faire monter en gamme nos produits et les exporter, il nous faut nouer des liens avec ces pays qui se développent. Ce qui est bon pour l’emploi dans notre pays est bon pour la solidarité nationale. Tous ceux qui connaissent le monde universitaire, le contexte international et les pratiques économiques confirmeront que les échanges et la mobilité des étudiants et des chercheurs sont la meilleure entrée vers les pays émergents.

Nous voulons également favoriser la mobilité de nos étudiants, qui est un plus dans leur curriculum vitæ. J’ai exprimé ma ferme volonté de multiplier les programmes Erasmus et je me bats, avec quelques-uns de mes homologues, pour y parvenir à l’échelle européenne. Ces programmes doivent bénéficier aux jeunes inscrits dans les filières professionnelles et technologiques, qui sont souvent issus des milieux les plus modestes et qui, n’ayant pas voyagé avec leur famille et ne possédant pas les codes sociaux des voyages, ont le plus d’appréhension à partir. Nous voulons donc instaurer un système préférentiel afin de donner à ces jeunes les moyens financiers de ces expériences Erasmus et les chances de progression de carrière qu’elles leur offrent.

Enfin, et bien que ce point ne figure pas dans le projet de loi, nous entendons faciliter les conditions d’attribution de visas pour les étudiants et chercheurs venant de l’étranger. On a parfois honte de l’accueil réservé aux jeunes chercheurs qui ont choisi de venir dans notre pays enrichir nos laboratoires de leur savoir et de leur expertise – je pense par exemple à une jeune mathématicienne coréenne très courtisée par les États-Unis qui, ayant déjà soutenu sa thèse, n’a plus de statut d’étudiante et pas encore de statut professionnel, et qui doit passer tous les trois mois une journée, voire une nuit, à la préfecture pour prolonger son visa.

Afin de développer le rayonnement et l’attractivité de notre pays, des propositions seront formulées avec le ministre de l’intérieur, M. Manuel Valls, pour faciliter la délivrance de visas à l’intention des chercheurs publics et privés et des étudiants étrangers désireux de venir dans notre pays. Certains, qui ont été admis dans nos écoles, sont parfois dans l’impossibilité d’y suivre leurs études, parce qu’ils ont obtenu leur visa trop tard.

M. Vincent Feltesse, rapporteur. J’indique à mes collègues que les dates des auditions ont été fixées et vous seront transmises demain. On les trouvera, entre autres informations, dans « mon journal de rapporteur », que j’ai créé sur la plateforme de blog Tumblr.

Le projet de loi intervient après la vaste concertation à laquelle vous avez procédé, madame la ministre, et dont le succès n’était pas acquis d’avance. Il met en œuvre votre volonté de simplifier et de rendre plus lisible notre système et les appels d’offres, et de continuer à réformer sans tout bouleverser, compte tenu des signes d’épuisement manifestés par la communauté universitaire. Nous vous interrogerons nécessairement sur les aspects budgétaires liés à l’autonomie des universités – nous avons tous à l’esprit le pourcentage d’universités en déficit ces deux dernières années.

Le projet de loi s’articule autour de trois axes : la vie étudiante, la recherche et la gouvernance.

En ce qui concerne la vie étudiante, je souhaiterais que vous nous présentiez plus précisément l’article 22 relatif aux études de médecine, la spécialisation croissante au fil de l’avancement de la licence et les évolutions que vous proposez en matière d’accréditations.

Dans le domaine de la recherche, pouvez-vous préciser les mesures prévues en matière d’évaluation de la recherche, notamment pour ce qui est de l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (AERES), que vous n’avez pas citée ?

En matière de gouvernance, nous sommes très favorables à l’orientation générale consistant à regrouper et à coordonner les différents acteurs. Comment concevez-vous cependant les articulations entre les pôles de recherche et d’enseignement supérieur (PRES) actuels, les communautés d’université et d’établissement et les conventions de site ? De fait, de nombreux débats ont eu lieu sur la composition des conseils d’administration, les présidents, l’autonomie et les deux conseils.

Mme Sandrine Doucet. Merci, madame la ministre, pour cet exposé très complet, qui traduit l’ambition de rendre à l’enseignement supérieur et à la recherche la place qui leur est due en Europe et dans le monde, tout en répondant aux attentes de la jeunesse à l’égard de l’efficacité des études. Il faut rappeler que 24 % des jeunes Français sont demandeurs d’emploi à leur sortie des études alors que jamais, en France comme en Europe, les parents n’ont dépensé autant d’argent dans les études de leurs enfants.

Il s’agit aussi de s’inscrire dans une ambition internationale, d’abord européenne, et, à cette fin, de doter les structures, les écoles, les enseignants et les chercheurs des moyens décidés au mois de décembre et d’une nouvelle gouvernance.

Vous avez indiqué votre volonté de faire d’APB un projet d’orientation plutôt que le moment d’angoisse que vivent actuellement les parents au mois de mars. Comment envisager concrètement, à la rentrée prochaine, l’adéquation entre les nouveaux baccalauréats professionnels et technologiques issus de la réforme des lycées et le monde des BTS et des IUT ?

Pouvez-vous préciser vos projets en faveur de la mobilité européenne des jeunes inscrits dans l’enseignement professionnel et technologique ?

Vous avez émis le souhait que le nouveau classement européen des universités U-Multirank, lancé au mois de février et testé dans un premier temps dans l’enseignement mécanique, électrotechnique et économique, prenne également en compte les sciences humaines, parfois évacuées du dossier de la professionnalisation dans un souci d’efficacité. Je rappelle que l’École polytechnique ne figure dans aucun classement. Comment la nouvelle gouvernance des universités permettra-t-elle de nous classer ?

Au nom du groupe SRC, je vous remercie pour ce projet de loi qui n’oublie ni les jeunes ni la dimension internationale de l’université.

M. Patrick Hetzel. Madame la ministre, on constate, hélas, un décalage entre certaines de vos déclarations et le contenu réel du texte. Celui-ci est avant tout inspiré par le souci de défaire ce qui a été fait au cours des cinq dernières années en matière d’enseignement supérieur et de recherche. Pourtant, la politique menée en la matière de 2007 à 2012 a représenté un élan considérable, salué par de nombreux observateurs. En refusant de poursuivre cette dynamique, non seulement vous portez un coup d’arrêt à l’enseignement supérieur et à la recherche de notre pays, mais vous retournez plusieurs décennies en arrière, avant même la loi Savary de 1984.

À l’évidence, votre texte n’est pas à la hauteur des enjeux, mais en décalage complet avec ce qui se passe dans l’enseignement supérieur en Europe et partout dans le monde. Votre orientation reste très hexagonale, accordant une part très importante aux organisations syndicales là où il faudrait s’ouvrir sur le monde et sur l’ensemble de l’environnement de nos universités. Vous ne faites rien pour que les orientations du texte permettent de créer des champions français de la formation et de la recherche, comme le préconisait le rapport Juppé-Rocard, qui avait fait consensus – c’est du reste dans cette perspective qu’a travaillé la précédente législature. Avec ce texte, il est clair que vous allez mettre en péril les initiatives d’excellence développées par le gouvernement précédent. On ne peut que le regretter.

Vous déclarez que vous allez placer la formation des étudiants au cœur de votre réflexion et de votre travail. Vous prétendez apporter des améliorations et assurer une meilleure réussite des étudiants. Nous en doutons. Rien dans votre texte ne va dans ce sens. Où sont, à tout le moins, les mesures de fond qui le permettraient réellement ? Il faudrait soutenir le développement de filières d’excellence dans le premier cycle universitaire et les légaliser. Cela contribuerait à valoriser l’université et à la rendre plus attractive pour les lycéens. Rien de tout cela ne figure dans le texte.

L’insertion professionnelle, que vous avez mentionnée, a été instaurée par la loi LRU comme l’une des missions de notre université. Là aussi, vous êtes très en retrait. En 1960, on comptait 300 000 jeunes dans l’enseignement supérieur. Ils sont aujourd’hui plus de 2,4 millions. L’insertion professionnelle est donc une question importante pour nos jeunes, pour nos familles, pour nos entreprises et pour la compétitivité de ces dernières.

Vous entendez mettre en place, en matière de gouvernance des universités, une organisation bicéphale qui contribuera de toute évidence à une dilution des pouvoirs. Avec votre texte, le conseil d’administration de l’université, s’il voit le nombre de ses membres augmenter considérablement, sera privé d’une partie de ses prérogatives au profit d’un conseil académique – d’ailleurs pléthorique – dont le président n’est pas celui de l’université : vous organisez délibérément un face-à-face entre deux instances, et même entre deux présidents. Il en résultera inévitablement et inexorablement des situations de blocage et de conflit dommageables à la bonne gestion des universités. C’est là encore un important retour en arrière, dépassant même les dispositions de la loi Savary de 1984, qui avait su éviter cette dérive malgré la polysynodie instaurée par le développement des conseils des études et de la vie universitaire (CEVU) et des conseils scientifiques.

Avec tout cela, vous aller tuer l’autonomie qui était en marche.

Nous nous demandons aussi pourquoi votre projet de loi fait remonter au niveau de la loi des dispositions qui n’ont aucunement à en relever. Ainsi, un arrêté permet déjà aux bacheliers professionnels d’accéder à des BTS. De même, depuis 2007, un décret invite les classes préparatoires aux grandes écoles à signer des conventions de coopération avec les universités. Autre exemple : l’« arrêté licence » de 2011 précise que les licences générales opèrent une spécialisation progressive. Pourquoi inscrire tous ces points au niveau législatif ?

Par ailleurs, la suppression pure et simple de l’AERES est elle aussi un retour en arrière sans précédent, qui nous place en rupture totale avec ce qui se pratique ailleurs en Europe. La création de l’AERES avait été saluée par l’ensemble de nos partenaires européens. La discussion avec vos homologues étrangers s’annonce âpre dans les mois à venir.

Vous refusez de reconnaître que vos prédécesseurs ont mené une action positive et engagé un processus de modernisation sans précédent. En quelques années, les universités françaises étaient redevenues plus attractives pour nos étudiants, pour nos entreprises et pour les universités étrangères avec lesquelles elles avaient l’habitude de coopérer. En vous inscrivant en rupture avec les orientations de ces dernières années, vous prenez la lourde responsabilité de faire prendre beaucoup de retard à nos universités, alors qu’il fallait au contraire entretenir une dynamique certes perfectible, mais positive.

C’est dommage pour nos étudiants et pour la communauté universitaire, qui commence à être très critique, y compris la conférence des présidents d’université, qui s’est élevée contre ce texte. C’est surtout dommage pour le pays tout entier.

Nous émettons donc un avis très critique sur ce projet de loi.

Mme Isabelle Attard. Ce projet de loi comporte quelques avancées et, une fois de plus, le groupe écologiste propose de l’améliorer. Ainsi, nous saluons l’inscription dans la loi de la formation tout au long de la vie comme première mission du service public de l’enseignement supérieur. L’accès prioritaire des bacheliers professionnels et technologiques aux STS et IUT est également une très bonne nouvelle. Nous serons attentifs à la réalité de la mise en œuvre des intentions qui sont affichées.

Nous regrettons que rien ne soit fait pour améliorer réellement la transition entre le lycée et le supérieur, pour une réelle réforme pédagogique des enseignements, ni pour rapprocher effectivement les classes préparatoires aux grandes écoles et les universités. Il ne suffit pas de demander aux lycées de passer des conventions avec les universités : nous demandons une revalorisation réelle de la licence afin de la rendre attractive pour les meilleurs étudiants et une révision de la sélection dans les grandes écoles pour supprimer les concours et les remplacer par des sélections plus équitables, qui rendraient inutiles les classes préparatoires.

Vouloir faciliter la mise à disposition des supports de cours sur les réseaux de télécommunication est une excellente chose, mais ces pratiques ne se développeront que si elles sont solidement protégées par la loi. Accepterez-vous, madame la ministre, de travailler avec nous sur l’exception pédagogique, afin de simplifier le travail des enseignants de l’enseignement supérieur ?

Nous saluons évidemment la fin de l’AERES, organisme dont l’inefficacité n’avait d’égale que l’ampleur des critiques qu’il suscitait, mais son remplacement par le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur nous inquiète, notamment parce que la logique de nomination opaque de ses membres par décret reste identique à ce qui se pratiquait déjà.

Pourquoi en rester là ? Pourquoi ne pas supprimer les initiatives d’excellence (IDEX) et, plus largement, les investissements d’avenir ou les grands établissements à statut dérogatoire ? Pourquoi ne pas réformer l’ANR, dont la responsabilité dans la précarisation des chercheurs n’est plus à démontrer depuis que la Cour des comptes s’en est chargée, dans son rapport sur l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) ? En contraignant les chercheurs à consacrer une part importante de leur temps à chercher des financements, l’ANR les a transformés en laborieux « administrateurs quémandeurs » – il n’y a pas d’autre mot. Au lieu de payer des cerveaux à développer la connaissance de l’humanité, nous les employons à remplir des dossiers complexes qui sont mécaniquement condamnés à n’aboutir à rien, puisque la demande dépassera toujours amplement les financements disponibles.

La précarité des chercheurs est une réalité. Nous ne comptons plus les exemples d’enchaînements de contrats courts qui aboutissent systématiquement à un départ du chercheur atteint par la limite des six ans qui impose un recrutement en CDI. Nos laboratoires excluent tous les jours, pour des raisons purement administratives, des chercheurs qui sont au pic de leur carrière.

Il est temps de revoir en profondeur la gouvernance de la recherche en France, en y associant autant que possible les citoyens. Nous souhaitons notamment institutionnaliser les recherches participatives, citoyennes et coopératives et les accompagner par des partenariats entre les établissements d’enseignement supérieur et de recherche et les associations de la société civile concernées par les interactions sciences-société. En outre, les décisions stratégiques ne doivent plus être prises sans y impliquer la société civile, notamment les associations concernées par toutes les thématiques de la recherche, appliquée et fondamentale.

Enfin, votre projet met en avant le rayonnement international et l’attractivité du territoire. L’assouplissement de l’obligation de l’emploi du français dans les formations est donc une excellente chose. Cependant, si nous voulons attirer étudiants et chercheurs, il faut rendre les formations plus lisibles, améliorer les bourses pour les étrangers, rendre au Centre national des œuvres universitaires et scolaires (CNOUS) la gestion de l’accueil des étudiants étrangers et de leurs bourses en les retirant à Campus France, qui n’a pas démontré son efficacité en la matière, et enfin améliorer les conditions d’études et de recherche en France.

Tant que la précarité sera si forte, les salaires – surtout en début de carrière – si faibles et les conditions de travail si mauvaises, la France ne pourra pas devenir un pays vraiment attractif à l’échelle internationale.

Enfin, j’aimerais savoir, madame la ministre, pourquoi un si grand nombre des préconisations des Assises de l’enseignement supérieur et de la recherche ne figurent pas dans le texte.

Où est l’amélioration des conditions d’études ? Le nombre d’étudiants salariés ne cesse de croître et fait chuter dramatiquement les taux de réussite.

Où est passée la lutte contre la précarité dans la recherche, qui touche environ 50 000 personnes ? Il est malheureusement à craindre que les 8 400 embauches que vous avez évoquées concernent majoritairement les catégories C.

Que sont devenues l’amélioration du statut des enseignants-chercheurs et la revalorisation de leur carrière ?

Qu’est devenue la réflexion sur le recrutement et la gestion des carrières, notamment la lutte contre les recrutements locaux ?

Où est passée la démocratisation des institutions d’envergure ? Pourquoi la réduction du nombre de fondations de coopération scientifique a-t-elle disparu ?

Les idées et ambitions que vous avez formulées lors de votre première audition par notre Commission nous avaient redonné confiance. Nous gardons l’espoir que, sur toutes ces questions, nos propositions seront acceptées.

Je tiens enfin à féliciter M. Feltesse pour son initiative : tenir le journal public de son activité de rapporteur de la loi est une excellente idée. Tout effort qui permettra aux citoyens de mieux comprendre le fonctionnement de l’Assemblée nationale mérite d’être salué.

Mme Marie-George Buffet. Comme pour le projet de loi sur la refondation de l’école, le processus de concertation lancé par les Assises de l’enseignement supérieur et de la recherche a suscité de très fortes attentes. Le besoin de rupture était important et légitime, après des années qui ont profondément déstabilisé l’enseignement supérieur français du fait de deux lois : la LRU de 2007 et le Pacte pour la recherche de 2006, qui ont contribué à la restructuration de l’enseignement supérieur et de la recherche autour d’une dizaine de pôles, fondés sur l’idée de compétitivité économique et créant un système à deux vitesses.

Les attentes étaient nombreuses face à l’ambition nouvelle que vous donniez à l’enseignement supérieur et à la recherche. Aujourd’hui, à la lecture de ce projet de loi, la communauté scientifique et universitaire a de nombreuses questions sur les insuffisances de la rupture et sur la suite qui sera donnée à ses souhaits.

Entre la loi relative à la refondation de l’école, prioritairement consacrée à l’enseignement primaire, et votre projet de loi qui remet au premier plan les BTS et les DUT, quelles modifications faut-il apporter au lycée professionnel et technologique pour assurer un plus grand développement de ces études jusqu’au plus haut niveau ?

Faute de lieux qui les accueillent, de nombreux étudiants n’ont pas accès à l’apprentissage en alternance. Comment lever les obstacles au développement de l’alternance ?

Quelle est votre opinion sur le prérecrutement des étudiants qui se destinent à l’enseignement ?

Les conditions d’études sont très importantes pour permettre aux étudiants, en particulier à ceux qui sont issus des catégories sociales les plus défavorisées, d’atteindre le plus haut niveau, d’où l’importance des œuvres universitaires – CNOUS et centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (CROUS) – et du développement d’un logement étudiant à des prix abordables. Quelle est votre opinion sur une allocation d’autonomie permettant à chaque jeune de poursuivre ses études au plus haut niveau ?

La recherche demande des moyens et du temps. Comment préserver la recherche fondamentale en nous dotant de tous les atouts nécessaires pour l’innovation de demain ?

Les structures du Pacte pour la recherche, ainsi que l’ANR, sont maintenues, et la logique du financement par projet n’est pas remise en cause. Quant à l’AERES, elle est remplacée par le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, structure quasi équivalente dans sa composition et ses missions. Le crédit d’impôt recherche n’est pas remis en cause. Les responsabilités et compétences élargies des universités sont maintenues, et donc aussi leur autonomie financière et en matière de gestion de la masse salariale, alors même que les universités sont, de ce fait, en déficit et ont dû supprimer des emplois. Enfin, les instances de pilotage des universités ne sont pas réellement modifiées.

Je souhaiterais que vous nous éclairiez sur tous ces points, afin que nous puissions voir comment contribuer à améliorer le projet de loi.

M. Jean-Yves Le Déaut. Comment comptez-vous établir, entre les différentes filières, les passerelles destinées à fluidifier les parcours et à combattre le gâchis que constitue le taux d’échec considérable des étudiants en premier cycle ? Comment assurer la diversité des recrutements ? Comment vaincre les résistances qui font obstacle à la reconnaissance de la valeur du doctorat aussi bien dans le secteur public que dans le privé ?

Quel rôle peut jouer le financement sur projet dans le domaine de la recherche ? Comment vont s’articuler la loi sur l’enseignement supérieur et la recherche et la loi sur la décentralisation, et quel est le rôle de l’État dans ce domaine ? Êtes-vous favorable à l’institution de crédits-temps en faveur des enseignants du supérieur ?

Je suis surpris de la sévérité de certains collègues envers vos propositions de rénovation de la gouvernance universitaire. Une telle dichotomie est pourtant la règle dans les universités américaines. Le but est de recentrer le conseil d’administration sur sa fonction stratégique en déléguant à un conseil académique, qui se substituera au conseil scientifique et au conseil des études et de la vie universitaire, le soin de traiter les problèmes de gestion courante.

M. Benoist Apparu. Je partage certaines de vos analyses, madame la ministre, notamment quant à la nécessité de réduire la spécialisation en licence ou encore d’instaurer des quotas dans les BTS et les IUT en faveur des diplômés de baccalauréats technologiques et professionnels. Je pourrais approuver également vos analyses sur la réunification de l’enseignement supérieur si elles ne présentaient pas l’inconvénient de laisser de côté la question des STS.

Je regrette cependant que vous ne soyez pas capable d’assumer la possibilité d’un enseignement supérieur français à deux vitesses, où une dizaine d’établissements de recherche de niveau international coexisteraient avec des établissements d’enseignement supérieur dont la vocation première serait d’assurer l’insertion professionnelle de leurs étudiants.

Je m’interroge par ailleurs sur la pertinence de vos propositions de réforme de la gouvernance des universités. Elles me laissent le sentiment que vous revenez sur une avancée fondamentale de la loi LRU, en déplaçant le centre de gravité du pouvoir de la structure universitaire vers les composantes. Par ailleurs, la dualité de la gouvernance évoquée à l’instant par M. Patrick Hetzel risque de favoriser la dilution du pouvoir au sein des universités. Je m’interroge sur le mode de scrutin et, surtout, sur la désignation de personnalités qualifiées.

Votre projet de communautés d’universités me laisse deux regrets. Il me semble que leur création n’est obligatoire que pour les établissements dépendant de votre ministère. Nombreuses sont les grandes écoles qui échappent de ce fait au dispositif, ce qui contredit la volonté que vous affichez de rapprocher grandes écoles et universités. En outre, vous ne dites rien des CROUS : ceux-ci s’intégreront-ils aux communautés d’universités ?

Mme Julie Sommaruga. Ce projet de loi, madame la ministre, traduit votre volonté de faire de la réussite des étudiants une de vos priorités et propose de réelles avancées en ce sens : orienter prioritairement les titulaires d’un baccalauréat professionnel vers les STS et ceux d’un baccalauréat technologique vers les IUT, faire de l’étudiant l’acteur de sa formation, doubler le nombre d’étudiants en alternance, faire entrer l’université dans l’ère du numérique, valoriser le doctorat comme moyen d’accès à la haute fonction publique. Autre avancée, une définition d’un agenda stratégique de la recherche, en harmonie avec le programme européen, nous est enfin proposée. Je voudrais également saluer votre volonté d’ouvrir les universités sur le monde socio-économique.

On ne pourra pas faire l’impasse sur la question des moyens, même s’il s’agit d’une loi d’orientation, et non pas de programmation. Nous devons par ailleurs remédier à la désaffection dont souffrent les études scientifiques dans notre pays. J’aimerais également que vous nous précisiez comment vous comptez améliorer l’accueil des étudiants étrangers, notamment les étudiants africains, qui ont du mal à obtenir un visa.

La nécessité d’une évaluation extérieure, impartiale et globale de l’activité des universités n’est pas contestable. Quant à votre volonté d’installer l’alternance dans l’enseignement supérieur, elle pose la question du lieu nécessaire à la réussite de ce projet.

M. Paul Salen. La lecture de votre projet de loi suscite chez moi des inquiétudes, notamment quatre articles. En étendant les exceptions au principe qui fait du français la langue de l’enseignement, l’article 2 ne risque-t-il pas de marginaliser la place de la langue française dans l’enseignement supérieur ? Quid du rôle de la francophonie ?

Vous affichez votre volonté, exprimée par l’article 15, d’introduire l’alternance comme une modalité à part entière de la formation dans l’enseignement supérieur : pourquoi avoir alors abrogé la « loi Cherpion » sur l’apprentissage ?

L’article 17 propose d’inscrire dans la loi le principe de continuité entre le second cycle de l’enseignement du second degré et l’enseignement supérieur. Si vous ne pouvez pas nous dire quelles formes prendra exactement cette continuité et comment vous comptez l’inscrire dans les faits, cet article risque bien de n’être qu’une pure et simple déclaration d’intention.

Quant à l’article 18 qui, pour favoriser l’accès des bacheliers professionnels aux STS, et des bacheliers technologiques aux IUT, autorisera le recteur d’académie à prévoir un pourcentage minimal de ces catégories de bacheliers dans ces filières de formation, je suis moins optimiste que mon collègue Apparu : je ne suis pas persuadé qu’une telle politique des quotas garantira la qualité des recrutements.

Mme Martine Faure. Le niveau des moyens consacrés à la vie étudiante a singulièrement baissé au cours des dernières années : qu’en est-il aujourd’hui ? Comment peut-on aider les universités à sortir des difficultés financières où la loi LRU les a plongées ? Comment aider les futures écoles supérieures du professorat et de l’éducation à jouer pleinement leur rôle au sein des universités ?

M. Daniel Fasquelle. Si nous pouvons partager certains de vos constats, madame la ministre, vous faites fausse route en nous proposant un tel projet de loi. Ce n’est pas en réduisant le nombre de diplômes et de spécialités qu’on améliorera l’insertion professionnelle des étudiants, au contraire : ce qu’il faut aux universités, c’est plus de liberté, d’autonomie, de souplesse, afin que les diplômes universitaires correspondent aux besoins du terrain, notamment des entreprises. S’il y a tant de diplômes, c’est parce qu’il faut s’adapter à la diversité de la société et du monde économique.

De même, ce n’est pas en démolissant la licence et en diluant les formations que vous lutterez contre l’échec en premier cycle, ni même en proposant une énième réforme de l’orientation, dont on sait qu’elle n’aboutira à rien. Comment voulez-vous former de vrais professionnels si les étudiants ne reçoivent pas dès la première année un enseignement de base dans de véritables disciplines ?

Vous prétendez vouloir renforcer l’attractivité de notre pays, mais vous mettez en cause les filières d’excellence. Quant à votre proposition d’autoriser des cours en langue anglaise, son adoption constituerait un recul inouï de notre souveraineté et de notre culture. Dans quel pays apprendra-t-on encore notre langue si même la France ne peut plus en imposer l’usage dans ses universités ?

Quant à votre proposition de réforme de la gouvernance des universités, elle ne fera que la compliquer encore.

Mme Colette Langlade. Enfin un projet de loi qui lève les inquiétudes que la politique menée ces dernières années avait fait naître chez les étudiants, leurs familles et les enseignants !

Le code de l’éducation n’affirme pas explicitement la nécessité d’une continuité entre le lycée et l’enseignement supérieur. Pourtant, le taux d’échec considérable en premier cycle universitaire et l’accroissement du nombre des bacheliers technologiques et professionnels dans les formations supérieures obligent à repenser les liens entre l’enseignement secondaire et le supérieur, et je pense, madame la ministre, que vous y avez déjà réfléchi.

Mme Dominique Nachury. Comment créer les communautés d’universités prévues par le projet de loi sans revenir à la tutelle de l’État ? Vous ne nous dites pas dans quel cadre et sous quel contrôle seront définis les quotas destinés à sanctuariser les BTS et les DUT au bénéfice des bacheliers professionnels et technologiques. Qui coordonnera l’action des deux organes de la nouvelle gouvernance des universités, le conseil d’administration et le conseil académique, et quels seront leurs rapports hiérarchiques ? En un mot, qui sera le patron ?

M. Hervé Féron. On ne peut que se réjouir de la volonté de l’État d’améliorer l’intégration des titulaires de doctorat dans le monde professionnel, à travers la création de concours qui leur seront réservés. Parallèlement, le ministère a engagé avec le secteur privé une réflexion afin d’aboutir aux mêmes objectifs. Pouvez-vous nous préciser l’état d’avancement de ces travaux et les mesures envisagées par le gouvernement ?

La cooptation des enseignants-chercheurs est régulièrement mise en cause en ce qu’elle favorise les candidats locaux au détriment des candidats extérieurs. Si la désignation par les pairs est indispensable pour garantir l’indépendance des enseignants-chercheurs, quelle régulation permettrait de rendre ces recrutements plus justes ?

M. Jean-Pierre Giran. La structure du conseil académique qui sera compétente pour le recrutement des enseignants intégrera-t-elle les étudiants ? Je n’y suis pas favorable pour ma part, car on ne peut pas être juge et partie. Il faudra veiller par ailleurs à ce que le nombre des personnalités extérieures appelées à participer à la désignation du président de l’université ne soit pas trop élevé afin que ce choix continue à obéir à des critères académiques.

Quant à l’obligation de parité entre les femmes et les hommes pour la composition des listes de candidats aux conseils, je la juge parfaitement déplacée, ces listes devant être composées en fonction des compétences scientifiques et administratives des candidats.

J’observe que rien n’est proposé pour renforcer l’attractivité du métier d’universitaire, en dépit des difficultés de recrutement au concours d’agrégation de droit ou d’économie, par exemple.

En matière de formation des maîtres de conférences et des professeurs d’université, je crois davantage à la méthode traditionnelle d’apprentissage « sur le tas » qu’aux vertus d’écoles supérieures du professorat, qui ne formeront que des clones. Ce qui fait la force des universités, c’est la diversité et la personnalité des universitaires.

Mme Sophie Dessus. Ce texte traduit votre volonté de faire de l’avenir professionnel des jeunes l’objectif essentiel de l’université et de rapprocher enfin enseignement supérieur et recherche.

Je voudrais insister particulièrement sur la nécessité d’ouvrir l’enseignement supérieur sur les régions et leur écosystème à travers l’alternance et la transmission de savoir-faire traditionnels qui demandent à la fois une grande habileté manuelle, la maîtrise de compétences techniques et scientifiques et, dans le cadre des métiers d’art comme en Limousin, une parfaite connaissance de l’histoire de l’art. Il faut que cette alternance permette d’aider les jeunes à réinventer ces métiers, et à créer ainsi des entreprises et des emplois.

M. Pascal Deguilhem. L’importance du taux d’échec en licence et l’errance qui marque le parcours universitaire de nombreux étudiants ont un coût considérable pour l’université et pour l’étudiant lui-même. La politique menée par l’ancienne majorité s’étant révélée absolument impuissante à régler ce problème, il est essentiel de le mettre, comme vous le faites, au centre de nos préoccupations.

Je n’aurai qu’une question : ne faudrait-il pas sécuriser les IUT au sein même des universités ?

Mme Valérie Corre. Les questions de vie étudiante feront-elles l’objet d’un projet de loi spécifique ? Quel est l’agenda de votre projet de réforme s’agissant de cette thématique ? Comment s’articulera-t-il avec l’action de la mission sur la vie étudiante dont vous avez annoncé la mise en place ?

M. Michel Ménard. Quand on sait que neuf titulaires de baccalauréat professionnel sur dix sortent de l’université sans diplôme, on mesure à quel point l’objectif essentiel d’élever le niveau de qualification d’une classe d’âge suppose une réforme de l’orientation. Donner la priorité aux bacheliers professionnels et aux bacheliers technologiques à l’entrée des STS et des IUT, c’est leur donner une chance supplémentaire d’obtenir un diplôme de l’enseignement supérieur.

Ne faudrait-il pas établir une passerelle entre la terminale et la première année d’université de façon à réduire le taux d’échec en licence ?

Dans un contexte budgétaire particulièrement contraint, comment comptez-vous permettre aux universités d’équilibrer leur budget de façon pérenne ?

M. Pierre Léautey. Je voudrais saluer tout particulièrement votre volonté de réduire le taux d’échec dans le premier cycle universitaire, notamment en donnant la priorité aux bacheliers professionnels et technologiques dans l’accès aux STS et aux IUT. Cette mesure a également le mérite de rendre ces établissements à leur vocation initiale. À cela s’ajoutent les 1 000 emplois dédiés à la réussite en licence, le plan numérique et l’encadrement personnalisé.

Il est indiqué, dans l’exposé des motifs, que la réforme globale de la licence sera complétée par des mesures extra-législatives visant notamment à améliorer le dispositif d’admission post-baccalauréat. Pouvez-vous nous en exposer les grandes lignes ?

La création de Campus France a rendu plus difficiles l’accueil et la formation des étudiants étrangers. En effet, cet établissement public à vocation commerciale pratique des tarifs très élevés pour des services qui ne sont pas à la hauteur de ce que souhaitent les étudiants, notamment en matière d’hébergement, de couverture sociale ou de gestion des bourses. Envisagez-vous de prendre des mesures pour faciliter l’accueil des étudiants étrangers et promouvoir ainsi l’enseignement supérieur français dans le monde ?

M. Marcel Rogemont. Quelles initiatives comptez-vous prendre pour améliorer l’intégration des IUT au sein de l’université ?

Passer de 43 % à 50 % d’une classe d’âge diplômée de l’enseignement supérieur suppose d’améliorer les conditions de l’accueil des étudiants, notamment en premier cycle. Quelles mesures comptez-vous prendre dans ce dessein ?

M. Jean-Pierre Le Roch. Dans son avis sur le projet de loi, le Conseil supérieur de la recherche et de la technologie (CSRT) appelle de ses vœux une simplification des structures et des procédures afin de faciliter les interactions avec les acteurs économiques, particulièrement les PME. Par ailleurs, le CSRT souligne la nécessité d’ouvrir des perspectives permettant de renforcer l’engagement des entreprises dans la recherche, en particulier dans le cadre de partenariats collectifs. Comment comptez-vous prendre en compte la dimension bilatérale et partenariale du transfert propre aux relations entre l’entreprise et l’université ?

Quelle évolution du statut des enseignants-chercheurs permettrait de reconnaître et de valoriser leurs collaborations avec le monde de l’entreprise ?

M. Yves Daniel. Je suis convaincu que l’alternance facilite l’insertion professionnelle, voire l’insertion dans la société. Au-delà de ses bénéfices pour la formation supérieure et la recherche, elle peut constituer une alternative pour des jeunes en échec scolaire. J’aimerais avoir votre assurance, madame la ministre, que votre proposition d’accroître la part de l’alternance dans l’offre de formation ne sera pas que la solution de la dernière chance, mais constituera une véritable possibilité de choix pour les étudiants. L’article 15 suffira-t-il à donner toute sa place à l’alternance ?

Mme Françoise Dumas. La formation et la recherche doivent rester le levier de l’innovation, de la création de richesse et d’emplois. La volonté affichée du gouvernement est d’agir pour la réussite de tous les étudiants. Votre stratégie globale vise en premier lieu à réduire de manière significative le taux d’échec en premier cycle, grâce notamment à une orientation personnalisée dès le lycée et jusqu’à l’université. Le système actuel reproduisant les inégalités sociales, il était temps de démocratiser réellement l’accès à l’enseignement supérieur.

On doit plus que jamais organiser l’ancrage territorial, les synergies entre l’université, les laboratoires de recherche, les entreprises innovantes, en lien avec les chambres consulaires et les pôles de compétitivité.

Mme Maud Olivier. Lors de l’examen de la loi pour la refondation de l’école, nous avons demandé que la culture scientifique et technique soit un élément de la formation des enseignants. La culture scientifique et technique relevant de plusieurs ministères, la création d’une délégation interministérielle est-elle envisageable pour assurer sa diffusion et sa promotion dans notre pays ?

Mme Sylvie Tolmont. Pourriez-vous nous exposer sommairement les contours du service public territorialisé d’information dont vous comptez proposer la création ? Comment s’articulerait-il avec les structures existantes, telles que les services universitaires d’information, d’orientation et d’insertion professionnelle ou les centres d’information et d’orientation ?

Mme la ministre. Je voudrais d’abord vous remercier de la richesse de vos contributions, qui laisse augurer des débats très riches dans l’hémicycle sur des sujets qui intéressent tous les Français.

C’est la première fois que le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche a exprimé un avis aussi favorable à un projet de réforme de l’enseignement supérieur. Certes, des oppositions s’y sont exprimées, mais tout changement suscite des oppositions. En tout état de cause, ce projet a rallié plus de voix que les deux projets qui lui avaient été soumis durant le quinquennat précédent, puisque vingt membres du Conseil se sont prononcés en sa faveur – et vingt en sa défaveur, étant précisé que les représentants des étudiants, qui y étaient favorables, n’ont pas pu voter puisque leur élection n’avait pas été validée.

Les oppositions au projet ont souvent été justifiées par la question des moyens. C’est que la situation où vous avez laissé les universités était bien loin de correspondre au tableau idyllique que vous nous avez dépeint, monsieur Hetzel, sans même parler des 400 millions d’euros d’impasse budgétaire que j’ai eu la surprise de découvrir à mon arrivée à ce ministère. La réalité, c’est qu’elle n’a pas cessé de se dégrader depuis leur passage aux responsabilités et aux compétences élargies.

Certes, l’autonomie des universités, à laquelle nous sommes favorables, ne date pas du quinquennat précédent, puisque c’est Edgar Faure qui l’a mise en place il y a cinquante ans et Alain Savary qui l’a confortée. Mais la loi LRU n’a fait que transférer la masse salariale aux universités sans anticiper sur son évolution, et c’est l’un des problèmes les plus graves parmi ceux dont souffrent aujourd’hui les universités.

En dépit d’un contexte budgétaire difficile, notre ministère, qui fait partie des trois ministères considérés comme prioritaires, a obtenu que les moyens alloués aux universités augmentent de 2 % en 2013 et qu’elles bénéficient de la création de 1 000 postes supplémentaires par an. Mais ces apports supplémentaires risquent d’être absorbés en tout ou partie par les déficits dus à votre manque d’anticipation. Ainsi, vous n’avez anticipé ni l’augmentation du compte d’affectation spéciale Pensions ni le glissement vieillesse technicité. Si cela avait été le cas, les dotations supplémentaires auraient pu être en totalité consacrées à la réussite en licence, au lieu d’être utilisées pour colmater des brèches que vous avez vous-même ouvertes. Les 730 millions d’euros du Plan pour la réussite en licence, que vous aviez mis en place, avaient déjà connu ce sort, et c’est la raison pour laquelle ce plan n’a pas eu les résultats escomptés, bien au contraire.

En outre, vous avez multiplié par dix le budget des universités sans former les personnels. C’est la raison pour laquelle un quart des universités ont aujourd’hui une trésorerie à zéro, voire négative, et des fonds de roulement bien en dessous du seuil prudentiel. Hormis 10 % d’entre elles, les universités n’ont pas de comptabilité analytique. Elles ont de ce fait beaucoup de mal à anticiper les difficultés et à gérer leur budget.

Nous avons lancé des inspections et établi des diagnostics, et nous sommes en train d’établir des plans de redressement, même si on ne peut pas parler, comme certains le font, de dépôt de bilan des universités.

La question des aides aux étudiants n’est pas traitée dans la loi, puisqu’il s’agit d’une loi d’orientation, et non de programmation. Nous avons déjà lancé un plan en faveur du logement étudiant. Je vous rappelle que, sur les 40 000 logements dont la construction avait été programmée par le plan Anciaux de 2004, seuls 21 000 ont été réalisés ; seule la moitié des 53 000 logements dont ce plan avait prévu la réhabilitation a été effectivement rénovée.

La feuille de route que le Président de la République m’a fixée prévoit la construction de 40 000 logements étudiants au cours de ce mandat. Pour atteindre cet objectif, je compte notamment accélérer par tous les moyens, sans me limiter aux partenariats public-privé, la programmation de 13 000 logements prévus par le plan Campus, dont aucun n’a été construit à ce jour. Par ailleurs, nous avons identifié, pour les deux prochaines années, 19 000 logements étudiants. Pour la construction des 21 000 logements manquants, nous comptons travailler avec les collectivités locales, que vous aviez exclues de vos dispositifs, peut-être par idéologie. Il est pourtant évident que, sans elles, il n’est pas d’aménagement possible, comme l’a prouvé l’échec du Plan Campus.

Le budget de la vie étudiante, considérée comme la première des priorités, augmentera de 7 % en 2013.

Au titre de notre cotutelle sur Campus France, nous avons, avec le ministère des affaires étrangères, lancé une inspection commune afin que soit dressé un bilan de la première année de cet établissement avant de prendre des décisions. Je peux néanmoins d’ores et déjà vous dire que nous n’envisageons pas a priori de le supprimer, et que nous recherchons plutôt les moyens d’améliorer sa gestion et ses résultats.

Vous avez exprimé la crainte que cette loi fasse baisser le niveau, monsieur Hetzel, mais la France ne peut plus se payer le luxe de mettre une dizaine de sites en concurrence frontale, comme vous l’avez fait. Ne serions-nous pas mieux avisés de nous inscrire dans une perspective européenne qui nous permettrait de gagner en visibilité à l’international, et de privilégier ce qui a toujours fait la force de l’université et de la recherche française et européenne : la coopération plutôt que la compétition ? La coopération tire tout le monde vers le haut.

La pluridisciplinarité est désormais le standard mondial de l’excellence universitaire : des établissements comme le Massachusetts Institute of Technology sont pluridisciplinaires. Dans ces grandes universités, vous pouvez préparer en même temps une licence d’arts plastiques et une licence de mathématiques. C’est exactement ce type de culture que nous voulons promouvoir. La spécialisation progressive permettra les réorientations en licence sans redoublement. Cette disposition sera introduite dans APB qui, aujourd’hui, ne permet pas la réorientation en premier cycle. Ce dispositif, commun à mon ministère et à celui de M. Vincent Peillon, s’inscrira dans un continuum entre le lycée et l’université.

Une formation universitaire de qualité n’est pas antinomique avec une spécialisation progressive et avec des passerelles entre les filières, bien au contraire. Aujourd’hui, les recherches les plus avancées privilégient l’interdisciplinarité, qui suppose à la fois maîtrise d’une discipline et décloisonnement entre les disciplines. C’est exactement ce que ce projet de loi propose, et c’est ce qui se pratique dans la plupart des formations d’excellence.

Je refuse d’opposer excellence et démocratisation. Je pense même qu’une telle opposition a quelque chose d’infamant, comme si l’excellence était réservée aux happy few. Cet « entre-nous », bien à l’abri du monde, que l’enseignement en français devrait préserver, c’est le contraire du progrès. Celui-ci suppose au contraire l’ouverture de l’enseignement supérieur français aux étrangers. Un pays ne peut pas se passer de passerelles vers le reste du monde sans nuire à son développement et à sa recherche.

On peut aider les jeunes à trouver une formation en alternance, et ce sera le rôle des établissements.

Par ailleurs, les enseignants trouveront un intérêt à être formés à la transmission des enseignements, ce qui est tout différent de la maîtrise disciplinaire. La transmission, cela s’apprend. Même si certains, relativement rares, ont un don naturel pour l’exercer, c’est un métier, qui, comme tout métier, suppose l’apprentissage de compétences, de techniques et de savoir-faire. Cela ne signifie pas standardisation de la formation. Nous sommes fiers, au contraire, de la richesse de notre université et du modèle français, que nous comptons rénover.

L’intervention sur la parité était en elle-même un éloge de la parité, je n’y reviendrai donc pas, sinon pour préciser que ce sera la première fois que la composition des listes de candidats aux conseils d’université obéira au principe « un homme, une femme ». C’est une avancée essentielle puisque l’existence d’un plafond de verre limitant les carrières des femmes universitaires a été démontrée. Notre pari est que le caractère paritaire des instances dirigeantes contribuera à améliorer les carrières féminines. Il s’agit aussi, par la force de l’exemplarité, d’attirer un plus grand nombre de jeunes filles vers les carrières scientifiques. En effet, alors que le taux de réussite des filles au baccalauréat scientifique est meilleur que celui des garçons, celles-ci s’orientent moins vers les carrières scientifiques par manque de confiance en soi.

De ce point de vue, l’évolution de la proportion de femmes parmi les présidents d’université n’a rien de rassurant, puisque leur part a chuté de 18 % à 8 %. Cela est dû en grande partie à l’arrivée à la tête des universités d’une génération où les professeurs des universités-praticiens hospitaliers sont majoritairement des hommes.

C’est pourquoi j’ai, avec Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre du droit des femmes, signé la charte pour la parité dans l’enseignement supérieur et voulu inscrire ce principe de parité dans la loi.

Ce seront bien les titulaires d’un baccalauréat technologique qui seront en priorité orientés vers les IUT. Aujourd’hui, la différence de réussite aux diplômes universitaires de technologie entre les titulaires d’un baccalauréat technologique et ceux d’un baccalauréat général est de cinq points. Cette mesure ne va donc bouleverser radicalement ni le niveau ni la pédagogie. Elle ne provoquera pas non plus un afflux massif de titulaires d’un baccalauréat technologique, puisque les filières technologiques des lycées peinent à recruter des élèves. Il faut réorienter les jeunes vers ces filières, qui sont souvent très proches du milieu économique et offrent des débouchés.

Le nombre des titulaires de baccalauréats professionnels, en revanche, est en constante augmentation, mais seuls 50 % d’entre eux poursuivent leurs études. Ils sont majoritairement issus de milieux modestes. C’est pourquoi nous voulons leur permettre d’accéder aux STS, qui avaient à l’origine vocation à les accueillir.

Nous comptons par ailleurs favoriser l’innovation pédagogique par le biais des contrats que nous passons avec les universités. La réduction du nombre de contrats du fait des regroupements d’établissements nous permettra de leur donner un contenu qualitatif. L’innovation pédagogique englobera notamment une formation à l’entreprenariat, qui manque aujourd’hui. Celle-ci permettra de développer le travail en équipe, que la pédagogie traditionnelle néglige, favorisera l’insertion professionnelle et l’efficacité professionnelle des étudiants.

Le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur ne sera pas une version « Canada Dry » de l’AERES. Celle-ci ne pouvait pas disposer en son sein d’experts suffisamment pointus pour évaluer toutes les disciplines, si bien que nombre de ses évaluations étaient contestables, comme j’ai pu le constater moi-même dans le domaine des sciences humaines et sociales. Elle reconnaissait d’ailleurs elle-même son incapacité à évaluer les projets interdisciplinaires. Il est vrai que, ces derniers mois, peut-être sous l’effet de l’annonce de la suppression de l’agence, les responsables de l’agence ont fait des efforts pour améliorer significativement son fonctionnement, ce qui prouve qu’ils étaient conscients de ses faiblesses.

Nous avons décidé de changer radicalement de méthode. Le futur Haut Conseil sera composé d’experts choisis par les établissements, et ce sont ces derniers qui seront chargés de mettre en place eux-mêmes les comités d’évaluation. Sans revenir à l’ancienne évaluation entre pairs, dont vous avez, avec raison, souligné le caractère souvent consanguin, on responsabilisera les établissements par un système d’accréditation. Le ministère veillera à ce que les évaluations des établissements accrédités soient incontestables au regard des standards internationaux.

Je terminerai par une note européenne, qui devrait nous rassembler. La France est à l’origine du lancement par Mme Androulla Vassiliou, commissaire européenne chargée de l’éducation, d’un classement européen des universités, destiné à contrer le classement de Shanghaï, invention d’une poignée de personnes douées pour le marketing et construit sur un modèle anglo-saxon – ce qui explique que des universités européennes aussi réputées que Bologne ou Heidelberg, pour ne pas citer d’établissements français, n’y figurent pas. Le classement U-Multirank s’inscrit dans une stratégie d’ensemble qui vise à permettre à nos universités de gagner en visibilité, en force et en rayonnement, tant au niveau national qu’aux plans européen et international.

La séance est levée à dix-huit heures quarante-cinq.

Présences en réunion

Réunion du mardi 26 mars 2013 à 16 heures 15

Présents. – M. Benoist Apparu, Mme Isabelle Attard, Mme Huguette Bello, M. Luc Belot, M. Patrick Bloche, M. Xavier Breton, Mme Marie-George Buffet, Mme Valérie Corre, M. Pascal Deguilhem, Mme Sophie Dessus, Mme Sophie Dion, Mme Sandrine Doucet, Mme Françoise Dumas, M. William Dumas, Mme Martine Faure, M. Vincent Feltesse, M. Hervé Féron, Mme Michèle Fournier-Armand, M. Jean-Pierre Giran, M. Patrick Hetzel, M. Guénhaël Huet, M. Christian Kert, Mme Colette Langlade, M. Pierre Léautey, M. Dominique Le Mèner, M. Jean-Pierre Le Roch, M. Michel Ménard, Mme Dominique Nachury, Mme Maud Olivier, Mme Barbara Pompili, M. Michel Pouzol, M. Marcel Rogemont, M. Paul Salen, M. Rudy Salles, Mme Julie Sommaruga, Mme Sylvie Tolmont

Excusés. – M. Ary Chalus, Mme Jeanine Dubié, Mme Virginie Duby-Muller, Mme Sonia Lagarde, Mme Lucette Lousteau, Mme Claudine Schmid

Assistaient également à la réunion. – M. Daniel Fasquelle, Mme Bernadette Laclais, M. Jean-Yves Le Déaut, Mme Audrey Linkenheld