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Commission des affaires économiques

Mardi 2 octobre 2012

Séance de 21 heures 30

Compte rendu n° 2

Présidence de M. François Brottes Président

– Examen du projet de loi adopté par le Sénat, relatif à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives à l'outre-mer (n° 233) (Mme Ericka Bareigts, rapporteure)

– Information relative à la commission

La commission a examiné le projet de loi, adopté par le Sénat, relatif à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives à l'outre-mer (n° 233) (Mme Ericka Bareigts, rapporteure).

M. le président François Brottes. Je salue M. le ministre des outre-mer, en émettant le vœu qu’il puisse participer aussi à nos débats sur les articles, demain. Pour ce soir, nous nous en tiendrons en effet à la discussion générale sur ce projet de loi, très attendu, et qui a fait l’objet d’un travail des plus attentifs de la part du Sénat, puis de notre rapporteure et du rapporteur pour avis de la commission des Lois. Je souligne également l’action de la toute nouvelle Délégation aux outre-mer, saisie pour la première fois d’un projet de loi. Je laisse tout de suite la parole à M. le ministre.

M. Victorin Lurel, ministre des outre-mer. Mesdames et messieurs les députés, le présent projet de loi est la traduction concrète d’un engagement fort pris par le Président de la République envers les outre-mer. Il correspond aussi à l’une des trois priorités fixées pour ces territoires par le Premier ministre, dans sa déclaration de politique générale du début du mois de juillet.

Outre la lutte contre le chômage et l’ambition pour la jeunesse, le Gouvernement a en effet décidé de mettre en œuvre une réponse politique volontariste au problème de la vie chère qui, dans les outre-mer, constitue un frein au développement économique et au progrès social.

Le texte soumis à votre examen comprend deux volets. Le premier rassemble des mesures de régulation des marchés ultramarins ; le second porte sur une série de dispositions nécessaires à la mise à jour des législations applicables à Mayotte, en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie. Il a été très significativement amélioré par le travail tout à fait remarquable des sénateurs qui l’ont, par la suite, adopté à l’unanimité. Le Gouvernement compte évidemment sur les députés pour poursuivre cet utile travail d’amendement. Il s’agit en effet de créer les conditions d’une baisse des prix des biens et services, qui, outre-mer, affichent des écarts injustifiés – de 40 à 50 %, voire davantage – par rapport à l’Hexagone, écarts qui pénalisent durement les entreprises comme les ménages, en particulier les plus défavorisés.

Je serai assez bref sur l’objet du premier chapitre, consensuel et souvent baptisé « loi contre la vie chère ». Lutter contre la vie chère dans les outre-mer est une priorité politique, économique et sociale, et, j’ose le dire, un impératif – donc, pour nous, une obligation.

Il s’agit évidemment d’une priorité économique, car la vie chère touche aussi bien les marchés de gros que les marchés de détail : les coûts d’approvisionnement des entreprises élevés pénalisent l’activité dans son ensemble. La réponse proposée par le Gouvernement, dans la ligne des engagements du candidat élu à la Présidence de la République, récuse le faux choix entre, d’une part, ne rien faire et cultiver le fatalisme, et, d’autre part, bloquer les prix et tomber dans une économie administrée. Si un strict encadrement des prix peut-être utile pour faire face à une situation exceptionnelle, il ne saurait constituer une solution durable pour l’économie ultramarine. Ce ne sont donc plus seulement les symptômes de la vie chère qu’il nous faut traiter, mais aussi leurs causes véritables, lesquelles tiennent au système de formation des prix. Les prix de détail ne sont en effet que le résultat d’une accumulation de marges et de prix en amont.

Ce projet de loi propose précisément de créer de nouveaux outils allant des interventions sur les marchés de gros au contrôle de la chaîne logistique, en passant par la lutte contre les exclusivités abusives et par la régulation de la grande distribution. Cette boîte à outils, nous l’avons élaborée à la suite d’une très large concertation associant l’ensemble des acteurs de la vie économique et sociale ainsi que des élus. En particulier, les parlementaires ultramarins de tous bords ont été écoutés et il a été tenu compte de plusieurs de leurs remarques et de leurs propositions avant même d’entamer le débat parlementaire.

Ce texte est donc le fruit d’une intelligence collective, toujours en mouvement. Avant d’en présenter les principales dispositions, je tiens à souligner que le Gouvernement n’oublie pas nos concitoyens de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie française. La plupart des dispositions du projet de loi relèvent de la compétence de ces territoires et ne sauraient donc s’imposer à eux. Il appartiendra aux autorités compétentes, si elles l’estiment opportun, de transposer celles qu’elles jugent adaptées à la situation locale. Le Gouvernement les accompagnera dans cette démarche, tout en veillant à ce que, dans les matières qui relèvent de sa compétence – comme les tarifs bancaires –, les excès observés ne perdurent pas.

L’article 1er offrira à l’Etat la possibilité de réguler les marchés de gros, et uniquement ces marchés, passés entre les entreprises et ne concernant donc pas directement le consommateur final. Les marchés de détail, eux, sont traités par l’article 5 et le nouvel article 6 bis introduit au Sénat par un amendement du Gouvernement.

Cet article 1er a fait l’objet d’améliorations notables depuis le projet initial, en particulier lors de l’examen au Sénat. Nous nous sommes montrés particulièrement ouverts sur sa rédaction, car nous partageons tous le souci de le rendre opérationnel et efficace, et de n’omettre aucune disposition essentielle.

Les modifications doivent cependant rester dans la ligne et l’esprit du texte validé par l’assemblée générale du Conseil d’État. La régulation des marchés de gros se fera par décret en Conseil d’Etat, mais le passage de la loi au règlement est encadré par une triple garantie : le constat d’une restriction de concurrence doit être validé par l’avis d’une autorité indépendante ; la régulation doit se limiter à résoudre les problèmes constatés en matière de formation des prix ; les remèdes retenus doivent répondre aux critères de nécessité et de proportionnalité. On ne peut donc aller au-delà du mécanisme validé par l’Autorité de la concurrence.

Toutes ces procédures, permettez-moi de le souligner, sont complémentaires des recours juridictionnels de droit commun, devant le Conseil d’État pour les décrets de régulation, et devant la Cour d’appel de Paris pour les sanctions relatives au non-respect des mesures de régulation. En contrepartie de ce strict encadrement, le pouvoir réglementaire aura la liberté des moyens utilisés pour réguler les marchés de gros : obligation d’accès, non-discrimination, offres de référence, prix-plafonds ou encadrement des marges. Cette souplesse est indispensable pour être efficace et adaptée aux marchés. Un remède adapté à la régulation du fret vers les Antilles ne sera pas nécessairement bon pour le marché des matériaux de construction à Mayotte ; un autre visant le stockage des carburants à La Réunion ne sera pas forcément adapté au marché de l’oxygène liquide en Guyane. De plus, les entreprises pourront elles-mêmes proposer des solutions. Ce pragmatisme est d’ailleurs la règle dans le Code de commerce comme dans la pratique communautaire.

L’article 2 vise à interdire les exclusivités d’importation, lorsqu’elles ne peuvent être justifiées au regard de l’intérêt des consommateurs. Cet article a suscité beaucoup de débats, parfois légitimes. Je tiens à rappeler qu’il ne s’agit ni de décider d’une interdiction absolue, qui serait illégale, ni d’adopter des règles d’exemption du droit commun, car elles rendraient la disposition trop facilement contournable. C’est pourquoi nous souhaitons maintenir le cap fixé au Sénat, celui d’une exemption aussi limitée que possible.

Cet article n’interdit évidemment pas l’activité de grossistes : s’ils font la preuve de leur efficacité, ils pourront continuer à maintenir les exclusivités ; sinon, ils seront choisis sur leurs mérites et non plus subis comme des points de passage obligés.

La disposition essentielle de l’article 3 est l’extension aux régions d’outre-mer de saisir l’Autorité de la concurrence. Pour dire les choses simplement, ces régions auront, sur leur territoire, les mêmes pouvoirs que le ministre de l’économie, c’est-à-dire un pouvoir général de saisine quel que soit le secteur. Elles doivent être les porte-parole naturels de toutes les entreprises qui n’osent pas porter plainte elles-mêmes. Cette mesure n’enlève rien aux autres collectivités, qui conserveront leurs pouvoirs de saisine spécifiques, « pour défendre les intérêts dont elles ont la charge », selon les termes du code de commerce. Cette différence de traitement s’explique par la compétence de coordination économique des régions et par le fait que, en pratique, être partie à une procédure devant l’Autorité est une démarche assez lourde. Mais que ceux qui pourraient s’en inquiéter se rassurent : cette extension du pouvoir de saisine aux régions ne conduit en aucun cas le Gouvernement à renoncer au sien.

L’article 4 abaisse de 7,5 à 5 millions d’euros le seuil de contrôle des concentrations dans le commerce de détail outre-mer. Il s’agit de capter les opérations portant sur des surfaces moyennes supérieures à 600 mètres carrés, ce qui est un seuil significatif dans nos territoires.

L’article 5 est celui qui a fait couler le plus d’encre. Il a été présenté comme une stigmatisation de la grande distribution par le Gouvernement, ce qu’il n’a bien sûr jamais été. Il a cependant été notablement amélioré lors de son examen par le Sénat, et je crois pouvoir dire que les débats sont désormais très apaisés.

En l’état actuel, le droit de la concurrence ne permet pas de sanctionner la rente liée à des situations de monopole ou d’oligopole, car cette rente suppose des marges élevées ; or, dans une économie où les prix sont libres, il n’existe pas de normes en la matière. Le juge considère en général que, dans des marchés ouverts et de grande taille, la rente attire les concurrents, si bien que le bénéficiaire ne peut jamais en profiter longtemps. Mais lorsque l’accès au marché est réduit en raison d’une population peu nombreuse, de la rareté du foncier ou des coûts d’approche, comme c’est le cas dans les régions d’outre-mer, l’arrivée de concurrents n’est pas toujours aisée, et le monopoleur peut profiter de sa rente. C’est à ce problème que s’attaque l’article 5, qui ce faisant comble un angle mort du droit de la concurrence. Disons-le clairement, il faut s’attaquer aux marges abusives avec des moyens efficaces et dissuasifs pour éviter que des consommateurs captifs et souvent désargentés ne soient victimes de telles situations.

Il n’y a donc pas de stigmatisation. Au reste, dans la plupart des bassins de population, plusieurs enseignes se font concurrence. Mais nous ne devons pas rester désarmés si des situations anormales se présentent.

L’article est très clair sur le plan juridique : il faut un comportement effectif de rente pour que la procédure d’engagements volontaires, puis d’injonction et, le cas échéant, d’injonction structurelle soit mise en œuvre par l’Autorité de la concurrence. Cette dernière a d’ailleurs publié aujourd’hui un communiqué pour inviter le gouvernement néo-calédonien à transposer la mesure sur son territoire, afin de remettre en cause des situations oligopolistiques.

L’article 6 bis a été introduit au Sénat par un amendement gouvernemental et parachève l’édifice d’un projet de loi dont les effets structurels se feront sentir à moyen et à long terme. En effet, l’instauration, par cet article, d’un bouclier « qualité-prix » dans chaque territoire aura des effets à très court terme. Ce bouclier, à la création duquel s’était engagé le Président de la République, prévoit la tenue annuelle, dans chaque territoire, d’une négociation visant à fixer un prix global pour un panier de produits de consommation courante. L’article définit les modalités des négociations en fixant une obligation de résultat, et en donnant au préfet la possibilité de décider par arrêté le prix plafond du chariot-type si celles-ci devaient ne pas aboutir. Il illustre, à lui seul, la volonté du Gouvernement d’obtenir très rapidement, pas la négociation et la concertation, des résultats concrets et tangibles.

La seconde partie du projet de loi prévoit une mise à jour du cadre législatif des outre-mer par voie de ratification d’ordonnances, d’habilitation pour de nouvelles ordonnances, de validation législative de lois de pays et d’homologation de délibérations du Congrès de Nouvelle-Calédonie.

L’article 8 donne la faculté de ne pas obliger une collectivité d’outre-mer qui assure la maîtrise d’ouvrage à prendre en charge au moins 20 % du financement. Cette disposition dérogatoire existe déjà pour la Corse ; il s’agit, pour l’État, de l’utiliser dans des cas très précis pour des investissements d’intérêt public majeur, lorsque la collectivité concernée manque de ressources. Ainsi, en Guyane, où certaines communes n’ont pas les moyens de construire des centres de stockage des déchets ultimes (CSDU), l’État est condamné à verser des astreintes journalières : son intérêt objectif est donc d’assurer la maîtrise d’ouvrage de ces centres ; or, en l’état actuel du droit, il ne peut le faire.

Mme Éricka Bareigts, rapporteure. Ce projet de loi arrive à point nommé : les territoires d’outre-mer ont été plus durement frappés que l’Hexagone par la crise économique ; ils sont secoués depuis 2009 par des revendications sociales fortes, et les résultats des dernières élections présidentielle et législatives ont suscité un vif espoir. Les « Trente engagements pour les outre-mer » du candidat François Hollande ont témoigné de sa ferme volonté d’inscrire durablement les collectivités ultramarines dans la République, loin des stigmatisations et des préjugés dont elles souffrent trop souvent. Votre rapporteure ne peut que se réjouir de voir le chef de l’État tenir dès aujourd’hui ses promesses.

Le présent texte répond à l’urgence ressentie sur nos territoires face à la vie chère – thème qui a déjà occupé cette Commission sous la précédente législature, notamment à propos des carburants –, et il va doter les pouvoirs publics d’armes efficaces contre ce phénomène. Il opère un changement profond, en abandonnant les ressorts habituels de l’action publique, centrés sur l’encadrement systématique des prix de détail, au profit d’outils novateurs permettant de modifier les processus de formation des prix. En somme, l’amont sera privilégié sur l’aval.

Je limiterai mon exposé aux dispositions qui me paraissent les plus importantes.

Le projet de loi vise à réguler la vie économique outre-mer. Cette régulation revêt deux aspects. Il s’agit d’abord d’agir sur l’environnement concurrentiel qui s’attache à la formation des prix. Cela passe par la lutte contre les dysfonctionnements des marchés de gros, objet de l’article 1er, et par l’interdiction des exclusivités d’importation, comme y tend l’article 2.

Il convient aussi d’agir sur le fonctionnement actuel des marchés. Pour ce faire, l’article 4 permet de mieux encadrer les opérations de concentration. L’article 5, quant à lui, renforce notablement les attributions de l’Autorité de la concurrence en la dotant d’un nouveau pouvoir d’injonction structurelle, qui lui permettrait de remettre en cause les situations acquises afin de protéger les intérêts des consommateurs.

Par ailleurs, je me réjouis de l’introduction au Sénat d’un bouclier « qualité-prix » destiné à protéger nos concitoyens de hausses continues de prix affectant certains produits de consommation courante. En attendant que les mesures structurelles portent leurs fruits, il était en effet essentiel de répondre à l’urgence ; c’est même une condition nécessaire à la réussite des réformes de fond. La mise en œuvre d’un tel bouclier était un engagement du Président de la République ; elle pose le principe d’une négociation annuelle devant aboutir à un accord de modération des prix pour une liste de produits de consommation courante. En cas d’échec, le représentant de l’État pourra lui-même fixer, par arrêté, un niveau de prix. Cependant, si, comme je l’ai dit, je me félicite de cette mesure, j’en proposerai une nouvelle rédaction afin de clarifier le dispositif.

Je souhaite d’autre part appeler votre attention, monsieur le ministre, sur le sujet essentiel des observatoires des prix et des revenus (OPR). Mis en place dix ans après leur création par le législateur, ces organismes n’ont malheureusement ni les moyens humains, ni les moyens financiers de mener à bien les missions qui leur sont confiées. Ils souffrent en outre d’un manque de visibilité en raison de dispositifs juridiques éclatés. Je proposerai donc un amendement pour renforcer leur rôle et mieux consacrer leur existence dans le code de commerce. Toutefois, l’initiative parlementaire est bien faible au regard des règles de l’irrecevabilité financière : il nous est impossible de doter ces OPR de davantage de moyens, tant humains que financiers. Aussi je vous demande solennellement, monsieur le ministre, de soutenir mon initiative, partagée, je pense, par les parlementaires de tous bords.

Bien entendu, ce texte ne suffira pas à répondre à l’ensemble des enjeux auxquels nos territoires sont confrontés : il ne s’agit que d’une première étape.

Pouvez-vous enfin, monsieur le ministre, nous donner de plus amples informations sur le calendrier et sur les modalités d’organisation de la Conférence économique et sociale de l’outre-mer ?

Ce projet de loi engage le processus législatif en faveur des outre-mer, qui ne demandent pas à bénéficier d’un statut privilégié mais seulement d’évoluer dans un cadre juridique adapté à leurs difficultés structurelles, afin de tendre vers un développement dynamique et harmonieux.

M. Bernard Lesterlin, rapporteur pour avis de la commission des Lois. Saisie pour avis, la commission des Lois partage l’analyse de fond que nous ont présentée M. le ministre puis Mme la rapporteure. Elle ne s’est bien entendu saisie que des articles relevant effectivement de sa compétence. Ainsi, dans le premier volet, tendant à renforcer le libre jeu de la concurrence dans les outre-mer en vue d’y faire baisser les prix, cela n’a été le cas que des articles 1er à 5 et de l’article 7 bis B.

L’article 1er vise à remédier aux dysfonctionnements des marchés de gros et l’article 2, à interdire les accords ayant pour objet ou pour effet d’accorder des droits exclusifs d’importation à un opérateur, sauf lorsque le justifient des motifs objectifs d’efficacité économique au bénéfice des consommateurs. Il s'appliquera aux contrats et pratiques en cours. L'article 3 permet aux collectivités d’outre-mer compétentes en matière économique de saisir l’Autorité de la concurrence. L’article 4 abaisse de 7,5 à 5 millions d’euros le seuil prévu pour le contrôle des concentrations. L'article 5 confère à l’Autorité de la concurrence un pouvoir d’« injonction structurelle » en matière de commerce de détail, en cas de position dominante détenue par une entreprise ou un groupe d’entreprises soulevant « des préoccupations de concurrence du fait de prix ou de marges élevés ». Il permet à l’Autorité de la concurrence de forcer les entreprises ou groupes d’entreprises concernés à céder des actifs. Je proposerai demain à la commission des Lois quelques amendements purement rédactionnels à cet article. Quant à l’article 7 bis B, il tend à instituer un comité de suivi chargé d’évaluer l’application du projet de loi. L’opportunité et la pertinence de la création d’un tel comité ad hoc, dédié à la seule évaluation de l’application du projet de loi, ne me semblant pas avérées, je proposerai à la commission des Lois un amendement de suppression de cet article.

Le deuxième volet du projet de loi, tendant à consolider la législation applicable dans les départements d’outre-mer, vise, en premier lieu, à y poursuivre l’extension de la législation, plus particulièrement dans le dernier-né, Mayotte. Dans ce chapitre, l’article 9 a particulièrement retenu notre attention. En effet, il habilite le Gouvernement à légiférer par voie d’ordonnances sur un certain nombre de sujets tels que l’adoption, l’allocation personnalisée d’autonomie, la prestation de compensation du handicap, la couverture des risques vieillesse, maladie, maternité, invalidité et accidents du travail, les prestations familiales, la formation professionnelle et, enfin, disposition particulièrement sensible étant donné l’actualité, l’entrée et le séjour des étrangers à Mayotte.

Cette dernière habilitation est rendue indispensable par l’accès de Mayotte au statut de région ultrapériphérique (RUP) de l’Union européenne, changement de statut qui nécessite une reprise de l’acquis communautaire en matière de droit d’entrée et de séjour des étrangers. Je proposerai, par rapport à la rédaction retenue par le Sénat, une formulation qui n’aille pas trop dans le détail en matière de visa, ce sujet relevant strictement du domaine réglementaire, mais qui permette néanmoins d’indiquer au Gouvernement l’orientation générale à suivre pour maîtriser les flux migratoires vers Mayotte.

L’article 8 porte également sur un sujet délicat, puisqu’il exonère certaines collectivités d’outre-mer de l’application d’une disposition du code général des collectivités territoriales qui les oblige, elles ou leurs groupements, à financer au moins 20 % des projets d’investissement dont ils assurent la maîtrise d’ouvrage. Cependant, ainsi que l’a rappelé le ministre avec l’exemple guyanais, certaines collectivités d’outre-mer étant dépourvues de moyens, il nous paraît normal qu’elles bénéficient de cette exception.

Le projet de loi prévoit également d’homologuer des peines relevant de la compétence des territoires de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française. Cette disposition ne pose pas de problème particulier.

En conclusion, le présent projet de loi nous dote de nouveaux outils pour combattre efficacement la vie chère dans les outre-mer. Les attentes de nos concitoyens vivant dans ces territoires sont si fortes à cet égard que nous nous devons de poursuivre notre mobilisation. Pour toutes ces raisons, je proposerai à la commission des Lois d’émettre un avis favorable à l’adoption des articles dont nous nous sommes saisis pour avis, sous réserve de quelques amendements.

M. le président François Brottes. Je me porte ici garant de l’engagement pris par le Gouvernement de traiter, au sein du présent projet de loi, de la question posée par nos collègues de Nouvelle-Calédonie lors de l’examen du projet de loi relatif à la mobilisation du foncier public. Le ministre a certes évoqué la question mais j’attache de l’importance au fait que cet engagement soit réellement tenu.

Mme Catherine Vautrin. Chacun des membres du groupe UMP mesure les difficultés spécifiques auxquelles se heurtent nos compatriotes d’outre-mer et nous comprenons donc l’esprit qui a présidé à la rédaction de ce texte. Pour autant, plusieurs points font pour nous question.

Ce texte vise essentiellement le contrôle des prix et la régulation économique. Or, améliorer la situation des territoires d’outre-mer ne se réduit pas à cela mais suppose également de valoriser les filières locales de production, notamment l’agriculture et l’aquaculture. À cet égard, que fait le Gouvernement s’agissant de la prise en compte des spécificités de l’outre-mer dans la réforme en cours de la politique agricole commune (PAC) ?

Je ne partage pas totalement l’analyse que fait M. le ministre de l’article 5, dont la rédaction a certes été améliorée, mais insuffisamment. En premier lieu, cet article confère à l’Autorité de la concurrence un pouvoir général d’injonction structurelle qu’il conviendrait de limiter à l’outre-mer, conformément à l’avis rendu par le Conseil d’État sur la version initiale du projet de loi.

Deuxièmement, les sénateurs ont introduit dans le texte l’expression « prix et de marges élevés en comparaison des moyennes du secteur ». Outre que le terme « élevés » est particulièrement flou en l’état actuel de notre droit, la notion de marge ne concerne pas le consommateur, qui n’est affecté que par le prix final. C’est donc ce prix final qu’il faut viser si l’on souhaite lutter contre la vie chère.

En outre, l’exigence d’un caractère « abusif » des prix, introduit à la suite de l’avis du Conseil d’État, a été supprimée. Ce critère nous semble devoir être rétabli afin d’encadrer le pouvoir d’injonction structurelle de l’Autorité de la concurrence qui, sinon, disposerait d’un pouvoir discrétionnaire de sanction sans faute.

Quant aux prix et aux marges, ils sont définis en « comparaison des moyennes du secteur ». Cette formulation soulève des difficultés de compréhension : à quel secteur le texte fait-il référence ? S’agit-il du secteur d’activité ou du secteur de chalandise ? Le format du type de distribution est-il pris en compte ? Les prix varient en effet en fonction de celui-ci. Enfin, lorsqu’il n’existe qu’un seul concurrent, quelle moyenne observe-t-on ?

Qui plus est, cette mesure semble permettre le retour à l’exception d’alignement qui avait été supprimée par la loi du 1er juillet 1996 relative à la loyauté et à l’équilibre des relations commerciales, dite loi Galland. Cette exception d’alignement contribuait largement à légitimer et à généraliser les politiques de revente en dessous du prix d’achat, auxquelles l’outre-mer risque d’être exposé.

Nous nous interrogeons également sur les garanties entourant le pouvoir d’injonction de l’Autorité de la concurrence. Dans un État de droit, ce pouvoir quasi contentieux doit être assorti de garanties procédurales extrêmement solides, notamment celle du respect du principe du contradictoire, comme notre ancien collègue Jean Gaubert et moi-même l’avions souligné dans le rapport sur l’application de la loi de modernisation économique (LME) que nous avions soumis à cette Commission, qui l’avait adopté à l’unanimité. J’insiste donc à nouveau sur ce point.

Quant à l’article 6 bis nouveau, il constitue une forme de retour à la politique de prix administrés. La disposition mérite certes examen, étant donné le contexte tout à fait particulier du marché économique outre-mer, mais il est absolument nécessaire d’encadrer certaines définitions. Ainsi s’agissant des « prix des produits de première nécessité » et des « prix des produits de consommation courante », mentionnés aux alinéas 2 et 3 : il s’agit de deux notions complètement différentes qui ne couvrent pas du tout le même nombre de produits. Le ministre peut-il préciser à quels types de produits le projet de loi fait référence ? De même, à l’alinéa 2, il est fait allusion aux « familles de produits » : il s’agit encore une fois d’une notion fort large, pouvant inclure jusqu’à 500 ou 600 produits, et qu’il convient donc de préciser. Enfin, il nous paraît que la procédure prévue laisse une trop faible marge à la négociation et à l’échange entre les acteurs.

S’agissant de l'article 7 bis B nouveau, le rapporteur pour avis semble sceptique sur l’opportunité de créer un comité de suivi chargé d’évaluer l’application de la loi. Pour ma part, je souhaiterais une précision en ce qui concerne l’expression « syndicats locaux » : s’agit-il aussi bien des syndicats de salariés que des syndicats patronaux ? Il importe en effet que tous puissent être représentés dans ce type de concertation.

Enfin, s’agissant des articles 11 bis et 11 ter, je suis surprise que le président de la commission n’ait pas relevé que nous étions là en présence de cavaliers législatifs, alors même qu’il en est un spécialiste de leur dénonciation ! Je doute en effet que la tenue des registres du commerce et des sociétés contribue de quelque manière que ce soit à la lutte contre la vie chère outre-mer.

Pour toutes ces raisons, les députés du groupe UMP restent mobilisés dans le cadre de l’examen de ce texte sans être cependant tout à fait convaincus qu’il permette au Gouvernement d’atteindre ses objectifs. Les territoires ultramarins méritaient nettement mieux. C'est pourquoi nous nous abstiendrons.

M. le président François Brottes. Il convient de laisser le débat se dérouler avant d’en venir aux explications de vote ! Sur le fond, je rappelle que notre Commission, chargée d’examiner les projets de loi relatifs à la consommation, s’est efforcée au fil des années de donner un caractère normatif à un certain nombre de notions, au contenu initialement flou du point de vue juridique. Les mots devant toujours avoir un sens, il importe de préserver une certaine cohérence en la matière.

M. Serge Letchimy. Je veux croire que c’est dans un esprit constructif que Mme Vautrin a soulevé un certain nombre de problèmes techniques, que je comprends d’ailleurs. Permettez-moi de me réjouir d’autre part du nombre important de collègues présents : cette participation tranche avec celle que nous observions habituellement lorsque nous traitions de l’outre-mer et je veux y voir l’expression d’une prise de conscience de l’importance que revêtent des projets de loi tels que celui-ci.

Ce projet de loi constitue une réponse à deux faits majeurs : d’une part, le mouvement de fond qui, en février 2009, exprimait un malaise extrêmement grave ; d’autre part, la situation économique et sociale de nos territoires. De tout cela résulte la nécessité, non pas d’accroître systématiquement le soutien budgétaire de l’État, mais avant tout de prendre des mesures structurelles pour aider ces territoires. Ce texte constitue une première étape extrêmement importante à cet égard. En effet, si d’autres projets de loi sont programmés en faveur de l’outre-mer, par exemple en matière d’agriculture et de logement, celui-ci n’en est pas moins fondamental pour s’attaquer à la « profitation » – je reprends là une expression créole qui décrit parfaitement ce que vivent ces territoires : des situations dans lesquelles on abuse de plus faible que soi.

Ce texte répond de manière très claire à un besoin de justice économique et sociale. Je remercie donc Victorin Lurel d’avoir eu le courage de le proposer et d’avoir organisé une concertation extrêmement large, à la fois dans chaque département et au sein de la Délégation aux outre-mer, qui s’est prononcée favorablement tout en suggérant certaines améliorations.

Quant au Sénat, il a apporté une contribution essentielle au projet de loi car la demande est double. La régulation des prix est certes absolument nécessaire pour lutter contre les systèmes d’oligopoles et de monopoles, mais le texte n’allait pas suffisamment loin en la matière, compte tenu de la gravité de la situation. Rappelons que les écarts de prix varient de 30 à 60 % alors que les niveaux de revenu sont 40 % en deçà de ceux constatés dans l’Hexagone. Dans le même temps, le taux de chômage est de deux fois et demie à trois fois supérieur – il atteint 24 %, et même 64 % chez les jeunes. Des mesures exceptionnelles sont donc indispensables.

Le Sénat a été à l’origine d’avancées notables, que nous allons prolonger en proposant des amendements supplémentaires : il a, par exemple, adopté un article visant à faciliter les échanges commerciaux entre le marché intérieur des collectivités d’outre-mer et ceux des pays voisins. Voilà qui constitue une ouverture extraordinaire permettant de favoriser les circuits courts et de diminuer les importations en provenances de régions distantes de 8 000 kilomètres. Disposer d’une base logistique nous permettra de construire une politique nouvelle, et donc de faire baisser les prix.

Le pouvoir d’injonction structurelle de l’Autorité de la concurrence et la lutte contre les exclusivités de marque sont deux dispositifs très importants, tant la complexité des sociétés empêchent d’en avoir une vue claire. Il s’agit de donner ainsi à l’Autorité de la concurrence la possibilité, non pas d’opposer mécaniquement une réponse répressive, madame Vautrin, mais d’établir un dialogue permettant d’apporter des corrections.

Quelques points restent à clarifier : il s’agit de l’engagement pris publiquement au sujet de la Nouvelle-Calédonie, notamment par le ministre chargé des relations avec le Parlement ; de l’immigration à Mayotte ; de l’accès à la contribution au service public de l’électricité (CSPE) à Wallis-et-Futuna ; et, enfin, de la possibilité de transférer aux CCI les registres de commerce. On a dénoncé dans cette dernière disposition un cavalier législatif mais je ferai valoir qu’alors qu’il faut parfois aujourd’hui de six mois à un an pour déclarer une entreprise, les CCI peuvent permettre d’y parvenir en quatre jours, ce qui peut être bénéfique au pouvoir d’achat : plus l’on crée d’entreprises et d’activité, moins il y a de chômeurs. Si des pressions s’exercent pour supprimer cet article, nous soutenons pour notre part le ministre des outre-mer, en faveur de son maintien, quitte à y apporter quelques corrections.

Même si nous avons déposé des amendements, concernant notamment l’itinérance et la réduction des frais bancaires, nous soutenons donc avec grande détermination ce texte qui constitue une première étape essentielle pour le développement de nos territoires.

M. Philippe Gomes. Je félicite le ministre des outre-mer et le Gouvernement d’avoir déposé ce projet de loi afin de s’attaquer au « noyau dur » de la cherté de la vie outre-mer. Les facteurs économiques de cette cherté sont les mêmes quel que soit le territoire observé, que l’on se trouve dans le Pacifique, aux Antilles ou ailleurs : on a affaire à des micromarchés, à une clientèle captive, à une faible production locale, à un éloignement des sources d’approvisionnement et à une concentration locale des acteurs, souvent constitués en duopoles ou en monopoles. Le mélange de ces ingrédients sur un territoire donné aboutit à des niveaux de prix de 50 à 100 % plus élevés qu’en métropole.

Une enquête de l’UFC-Que Choisir a ainsi démontré que les prix moyens étaient deux fois plus élevés en Nouvelle-Calédonie que dans l’Hexagone. De même, une enquête réalisée en 2008 dans une cinquantaine de pays développés a conclu que le Big Mac calédonien venait au cinquième rang des Big Mac les plus chers de la planète, le Big Mac polynésien suivant immédiatement. Or ce produit combine tous les éléments qui nous intéressent en termes de formation des prix : c’est en effet un produit à la fois manufacturé, utilisant des produits agricoles, et supportant tout un ensemble de sujétions connexes, qu’il s’agisse du fret, de l’acconage, de l’organisation de l’immobilier commercial ou du coût de l’énergie..

Ces prix seraient peut-être acceptables si le niveau de vie était exceptionnellement élevé dans ces territoires, mais ce n’est pas le cas : 20 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, qui s’établit à 600 euros par mois en Nouvelle-Calédonie, alors que le salaire minimum brut est de 1 250 euros. Cela signifie qu’une partie de la population est frappée de plein fouet par la cherté de la vie. Si les choses ne se passent pas plus mal encore, on le doit à la persistance, dans ces sociétés où le collectif prime encore sur l’individu, de solidarités traditionnelles qui font fonction d’amortisseur social.

La population de Nouvelle-Calédonie a pourtant fini par manifester son mécontentement. Une intersyndicale « vie chère » s’est créée et a obtenu des pouvoirs publics la signature, il y a quelques mois, d’accords économiques et sociaux prévoyant des mesures de lutte contre la cherté de la vie. Au nombre de ces mesures figurent l’adoption d’une loi antitrust et l’institution d’un « gendarme » chargé de veiller à l’application de la loi, en l’occurrence une autorité locale de la concurrence disposant d’un pouvoir autonome d’enquête et de sanction, et indépendante des lobbies politiques et économiques, qui bien souvent s’interpénètrent dans nos îles. J’espère que le comité des signataires de l’accord de Nouméa prendra l’initiative, à la fin de l’année, de modifier la loi organique afin que prenne corps cette autorité locale de la concurrence.

Le rapport de l’Autorité de la concurrence, évoqué par M. le ministre, est effectivement extrêmement instructif en ce qui concerne la Nouvelle-Calédonie. On y apprend que, rapportées à l’assiette métropolitaine, les marges réalisées par les commerces de détail comme par les importateurs grossistes sont de 30 à 50 % supérieures à ce qu’elles sont en métropole. L’une des mesures préconisées par l’Autorité de la concurrence pour remédier à cette situation, que je vous proposerai d’inscrire dans ce texte, consiste à mettre sous surveillance les entreprises qui dépassent 30 % de parts de marché dans la zone de chalandise. Je crois en effet que nous avons le devoir de réfléchir, dans le respect du principe constitutionnel de liberté du commerce et de l’industrie, aux moyens de renforcer les armes prévues par ce projet de loi pour revivifier la concurrence là où elle tend à se réduire comme peau de chagrin. Si, dans cinq à dix ans – c’est le temps nécessaire pour qu’une telle réforme structurelle porte ses fruits –, on constate une réduction du coût de la vie outre-mer, c’est à cette loi que nous le devrons.

Mme Annick Girardin. Au nom du groupe Radical, Républicain, Démocrate et Progressiste, je me félicite que ce projet de loi soit un des premiers textes présentés par le Gouvernement, qui concrétise ainsi les promesses de François Hollande. C’est un signal fort adressé à nos concitoyens ultramarins. C’est aussi une nécessité face à la gravité et à l’urgence du problème de la cherté de la vie – et ce terme est un euphémisme pour décrire la situation outre-mer ! En effet, les prix de la plupart des biens de consommation courante et des services y sont de 30 à 60 % plus élevés qu’en métropole.

Ce projet de loi intervient à point nommé, d’autant que l’outre-mer a été frappé par la crise bien avant la métropole. Le changement de stratégie en matière de régulation économique qu’il opère démontrera certainement son efficacité dans la mesure où il s’attaque à la source même du problème, c’est-à-dire au processus de formation des prix. Je sais, monsieur le ministre, le courage qu’il vous a fallu pour porter cette réforme face à la pression de lobbies puissants. Le groupe RRDP ne vous mesurera donc pas son soutien tout au long de l’examen de ce texte.

J’ajouterai deux remarques. Il est urgent de doter les OPR des moyens d’accomplir les missions qui leur ont été confiées. Ne faudrait-il pas, en outre, circonscrire leur tâche à la surveillance des prix, qui constitue déjà une charge très lourde dans la plupart des territoires ?

D’autre part, monsieur le ministre, je vous demande de veiller à ce que les ordonnances prévues par le projet de loi respectent la volonté du législateur, et de prendre l’engagement qu’elles soient toutes édictées d’ici dix-huit mois.

Ce projet de loi n’est qu’une étape : il faudra compléter cette boîte à outils si on veut que les territoires d’outre-mer puissent relancer leurs économies.

M. Bruno Nestor Azerot. Je suis, comme tous les ultramarins, favorable à ce texte, qui est un signal très fort en direction des outre-mer. Tous les orateurs ont évoqué les maux qui sont les nôtres, notamment un chômage endémique. J’attends de cette loi qu’elle permette à la ménagère de donner à manger à ses enfants car, dans nos territoires, de plus en plus de familles s’endettent pour se nourrir.

Si mon soutien vous est acquis, monsieur le ministre, ce texte doit encore être enrichi et je proposerai des amendements à cette fin. Certes, cette loi ne sera pas la panacée, mais c’est une première étape.

M. le ministre. Je remercie votre Commission pour le travail qu’elle est en train d’accomplir, car je suis convaincu qu’une bonne loi est le fruit d’une bonne collaboration avec le Parlement. Je ne peux que me féliciter des apports du Sénat, qui a considérablement amélioré notre texte, et je n’en attends pas moins de l’Assemblée nationale.

S’agissant de la conférence économique et sociale, madame la rapporteure, j’ai donné instruction aux représentants de l’État dans ces territoires d’organiser au moins deux jours de concertation en octobre. Cette conférence permettra d’aborder tous les domaines de la vie économique et sociale, l’agriculture, la pêche, le dialogue social, etc. De même, nous organiserons une déclinaison locale de la conférence environnementale.

Il ne s’agit pas là d’une loi générale à quoi se résumerait toute la politique du Gouvernement à l’égard des outre-mer : c’est un projet de loi de lutte contre la vie chère. Ces territoires feront l’objet d’autres textes législatifs. Nous vous proposerons des mesures en faveur du développement de la production agricole outre-mer, dans le cadre d’un projet de loi que présentera Stéphane Le Foll. Des dispositions relatives au logement outre-mer devraient prendre place dans la loi Duflot. Nous présenterons également un projet de loi relatif au financement de l’économie outre-mer, grâce notamment à la mobilisation de l’épargne locale. L’encombrement du calendrier parlementaire nous contraint cependant à emprunter les véhicules législatifs plus larges qui se présenteront, plutôt que de présenter des projets de loi spécifiquement consacrés aux outre-mer.

Ce texte ne prétend pas à l’exhaustivité, madame la rapporteure, et j’attends de vos amendements des améliorations significatives. Pour avoir été dix ans député, je suis convaincu de l’importance du rôle du Parlement, même si je ne reprends pas la formule trop connotée de « coproduction législative ». J’attends notamment vos propositions d’amendements à l’article 5, qui fait beaucoup parler.

On peut envisager la suppression du comité de suivi, monsieur le rapporteur pour avis, si vous me proposez un meilleur dispositif. De même, nous serons attentifs à votre proposition d’une nouvelle rédaction des dispositions concernant Mayotte.

S’agissant du logement en Nouvelle-Calédonie, monsieur le président, je vous confirme que le Gouvernement compte présenter un amendement modifiant les dispositions de la loi de 1989.

Je constate avec bonheur, madame Vautrin, que vous approuvez l’économie générale du texte, dont vous ne récusez ni la méthode, ni le contenu. Vous concentrez vos critiques sur l’injonction structurelle de l’article 5, dont vous semblez craindre qu’elle ne présente un caractère punitif. Rassurez-vous : notre intention n’est pas de sanctionner des structures de marché, mais d’assurer l’applicabilité de dispositifs existants, en l’espèce l’article L.752-26 du code de commerce. L’Autorité de la concurrence elle-même a, comme je l’ai dit, recommandé que la Nouvelle-Calédonie s’inspire de la solution que nous proposons.

J’ai bien conscience de la distinction entre prix et marges, madame, mais la notion de « prix abusif » est inapplicable, comme le montre une jurisprudence abondante. Preuve en est qu’elle ne dérange en rien les représentants de la grande distribution. L’abus de position dominante est pratiquement impossible à prouver, et donc à sanctionner. En revanche, et contrairement à ce que vous affirmez, la moyenne des prix par secteur permet de définir précisément ce qu’est un prix élevé, alors que la notion de prix ou de marge abusifs reste floue. Je remarque d’ailleurs que, depuis le vote du projet de loi par le Sénat, certains responsables de la grande distribution m’ont demandé de supprimer à l’article 5 le qualificatif « élevés » appliqué aux prix et aux marges, ainsi que l’objectif de « garantir une concurrence effective ». La fameuse loi d’orientation pour le développement économique des outre-mer, la LODEOM, votée en 2009 quand tous les outre-mer étaient en ébullition, n’a jamais pu être appliquée, en particulier dans son article 1er qui autorise le Gouvernement à encadrer les prix des produits de première nécessité. Notre projet de loi vise simplement à rendre ce texte applicable, et non à réglementer l’ensemble de l’économie. Une « soviétisation » de celle-ci est d’autant moins à craindre que la définition jurisprudentielle des biens de première nécessité est très restrictive.

En revanche, le prix des produits de consommation courante fera l’objet d’une négociation annuelle obligatoire avec l’ensemble des acteurs, sous l’autorité des préfets et dans le cadre des observatoires des prix, des revenus et, peut-être, des marges. On sait que la grande distribution prétend que ses marges sont faibles en dépit de prix élevés : la comparaison avec les moyennes du secteur permettra à l’Autorité de la concurrence de définir de façon objective la notion de « prix élevé ».

Il s’agit donc d’un texte clair, facilement applicable et sans caractère inquisitorial, contrairement à ce que d’aucuns prétendent. Nous sommes dans un État de droit, où le principe du contradictoire et les garanties procédurales sont strictement respectés.

En matière de définition des secteurs, l’expertise de l’Autorité de la concurrence est incontestable, et un décret apportera les précisions nécessaires, étant entendu qu’on ne peut comparer que ce qui est comparable.

L’article 11 bis n’est pas un cavalier législatif : il relève bien de la régulation économique, puisqu’il s’agit de préciser le rôle du président du tribunal de commerce en la matière. Je reconnais qu’il convient de préciser le dispositif, et nous travaillons à un amendement prévoyant une expérimentation pendant trois ans.

Je vous remercie, monsieur Letchimy, d’avoir dit ce qu’il en était de l’article 5 : c’est une arme ultime de dissuasion, qui n’a pas vocation à s’appliquer au cas où le comportement incriminé deviendrait vertueux. Je vous rappelle qu’aux termes de l’article 752-26, l’entreprise en cause n’est passible d’une sanction que si elle refuse de se conformer aux recommandations de l’Autorité de la concurrence.

Je viens de recevoir une délégation rassemblant tous les élus des îles Wallis et Futuna. J’ai appris que l’électricité y était la plus chère du monde, alors que les revenus sont très faibles : le minimum vieillesse est de 121 euros ! Vous comprenez bien que dans ces conditions l’ordonnance portant adaptation de la législation relative au service public de l’électricité dans le département de Mayotte n’est pas transposable en l’état à Wallis et Futuna. Mais si nous sommes incapables de trouver le moyen de venir en aide à 13 500 concitoyens, c’est à désespérer de la République. Nous comptons donc engager dès la fin de l’année la concertation avec les distributeurs et avec le commerce de détail. L’ordonnance relative à Wallis-et-Futuna devra porter sur l’électricité et sur le fret maritime et aérien.

L’objectif de ce texte est de réarmer un État qui, en dépit des manifestations qui ont secoué tous les outre-mer, s’est révélé incapable d’encadrer les prix à l’exception des carburants. Mais alors qu’en métropole, la marge est d’un centime par litre de carburant pour les détaillants et de 0,4 centime pour les grandes surfaces, les distributeurs d’outre-mer réalisent des marges de neuf, dix, douze centimes. Cela signifie que l’État garantit des rentes de monopole : il y a là pour moi quelque chose d’inacceptable, non pas seulement du point de vue moral, mais du simple point de vue de la logique économique.

Sur la question des CCI, il faut avancer, quitte à accepter quelques compromis raisonnables.

Monsieur Gomes, merci de votre intérêt pour ce texte. J’ignorais que la Nouvelle-Calédonie mangeait le cinquième Big Mac le plus cher de la planète : voilà un exemple parlant, dont je prends connaissance avec gourmandise !

Sur la tarification bancaire, qui est une compétence de l’État central, nous préparons une réponse, mais cela pose quelques problèmes juridiques. S’agissant de l’autorité locale de la concurrence que vous souhaitez, nous pourrions certes la créer dans le cadre de la loi actuelle, mais cela amoindrirait ses pouvoirs. Nous vous suivrons donc, car il serait effectivement bon que cette autorité puisse constater et sanctionner de manière vraiment indépendante.

Beaucoup de députés demandent, comme vous, un contrôle des entreprises, ou des groupes d’entreprises, qui deviendraient majoritaires sur leur marché – un député de La Réunion avait proposé une barre à 25 % de parts de marché, vous proposez 30 %, d’autres ont proposé 50 %. Nous sommes ouverts sur cette question, mais il faudrait un avis, une recommandation car nous devons éviter d’entraver la liberté du commerce ou de sanctionner le travail et la réussite ! Nous ne voulons éliminer que les comportements fautifs, les dysfonctionnements du marché.

Madame Girardin, merci de votre soutien. Vous avez raison : les observatoires des prix et des revenus n’existent qu’outre-mer, et cette enquête sur les revenus est d’ailleurs assez inquisitoriale ; cela avait été mis en place pour supprimer la sur-rémunération. J’étais donc pour ma part favorable à la dénomination figurant dans la loi de modernisation de l’économie, celle d’observatoires des prix et des marges.

Il faut effectivement donner à ces OPR les moyens de travailler – ce n’est pas le cas aujourd’hui. L’INSEE pourrait également être renforcée pour contribuer à leurs investigations. Ces observatoires ne disposent pas aujourd’hui de la personnalité morale : il sera donc difficile de leur donner un pouvoir de saisine ; il ne serait de toute façon pas opportun de multiplier les instances disposant de ce pouvoir. Nous y reviendrons.

Vous souhaitez que les ordonnances soient prises sans dénaturer l’esprit du texte. Je comprends votre souci mais l’administration est compétente, elle fait bien son travail, et je ne lui ferai pas ce procès.

Monsieur Azerot, merci de votre soutien. Ce texte n’est, c’est vrai, qu’une première étape. Les suivantes exigeront plus de temps : il faudra en effet se pencher sur la situation de chaque secteur, notamment de ceux où il existe un monopole – transport maritime, transport aérien, carburant, fret, manutention portuaire...

Nous espérons régler la situation de la grande distribution plutôt par voie contractuelle, grâce à la modification par ce projet de loi de l’article 1er de la LODEOM. Nous n’en arriverons à réglementer plus fortement qu’en cas de crise ou de difficulté d’approvisionnement.

M. Daniel Gibbes. Au risque de vous surprendre, monsieur le ministre, je veux vous féliciter en tant que député ultramarin. Voilà un texte attendu, et qui me paraît utile.

Toutefois, était-il si urgent qu’il faille le présenter si vite ? Certaines difficultés particulières ne sont, me semble-t-il, pas résolues.

Sans vouloir paraître égoïste, je citerai le cas de Saint-Martin, dont je suis l’élu, et que vous connaissez parfaitement puisque vous en avez également été le député : c’est une île complexe, divisée par une frontière fictive. L’application du texte risque donc d’être difficile, car il faut éviter la fuite d’activités vers le côté hollandais. De nombreux autres problèmes ont été cités, ici et dans d’autres commissions : il aurait donc peut-être été préférable d’approfondir le travail législatif. Et j’espère que la situation de Saint-Martin suscitera chez vous autant de compassion que celle des îles Wallis et Futuna…

À mon avis, le présent projet ne réglera pas les problèmes de notre territoire, mais je suis prêt à travailler à une solution avec vous. Il faudrait d’abord, je crois, envisager des modifications institutionnelles, pour faire de Saint-Martin un pays et territoire d’outre-mer (PTOM), comme Saint-Barthélemy. L’affichage des prix en dollars pose d’autre part des problèmes spécifiques, car les mêmes marchandises se retrouvent du côté français et du côté hollandais de l’île. Je proposerai donc des amendements pour que certains dispositifs prévus par le projet de loi ne s’appliquent pas à Saint-Martin.

Je comprends les remarques faites par la porte-parole de mon groupe à propos de l’article 11 bis, mais je vous ai entendu également préciser que cette disposition servait un objectif de régulation économique. Le Sénat ayant introduit, à l’initiative de Michel Magras, un article 11 ter qui ouvre la possibilité de confier, à titre dérogatoire, la tenue du registre du commerce et des sociétés à la chambre économique multiprofessionnelle de Saint-Barthélemy, je proposerai une mesure identique pour Saint-Martin, où une simple immatriculation peut prendre deux à trois mois, quand il ne faudrait que vingt-quatre heures dans une situation normale.

M. Patrick Lebreton. Ce texte constitue une avancée majeure ! Depuis cinq ans, nous n’avons eu de cesse de dénoncer des mystifications, des chausse-trapes, des opérations de communication sans lendemain. Le Conseil interministériel de l’Outre-mer en est un exemple fameux – ou bien faut-il dire fumeux ? Ces dernières années, rien n’a changé ; les indicateurs sociaux ont sombré ; des révoltes contre la vie chère ont éclaté. Mais l’ordre économique ancien a prospéré…

Le système économique des outre-mer est à bout de souffle. C’est volontairement que je ne parle pas d’un modèle économique, mais bien d’un système, que nous subissons depuis des siècles. Je veux donc saluer votre initiative, monsieur le ministre : nous allons enfin changer ! Il ne s’agit pas de vouer aux gémonies les acteurs économiques, les capitaines d’industrie, les entrepreneurs, mais bien de poser les bases d’un nouvel ordre économique qui permettra à nos territoires de se développer.

Je proposerai, pour ma part, plusieurs amendements, notamment sur le petit commerce en milieu rural, ou encore sur certains abus très répandus – il faudrait en particulier que les services bancaires essentiels soient compris dans les produits de première nécessité. Ce texte devant être la première pierre d’une refondation de notre ordre économique – et je pèse mes mots. Je crois également primordial d’étudier la structure de certains prix, par exemple celui du billet d’avion, clef non seulement de la continuité territoriale mais aussi du développement touristique.

Pour mieux faire comprendre l’intérêt de l’article 11 bis, qui transfère aux chambres de commerce et d’industrie des DOM la tenue des registres du commerce et des sociétés, je veux donner un exemple. Un commerçant ne peut obtenir de lecteur de carte bancaire que s’il dispose d’un Kbis ; or, chez moi, il faut parfois six mois pour obtenir celui-ci ! Cela doit changer. Il y a peut-être un lobby parisien pour s’y opposer, mais les ultramarins doivent se faire entendre.

Monsieur le ministre, tenez bon, nous sommes avec vous !

M. Daniel Fasquelle. Lutter contre la vie chère, adapter la loi aux spécificités de l’outre-mer : ce sont là des objectifs que l’on ne peut que partager, et l’exercice auquel vous vous livrez n’est pas facile. Vous voulez, pour faire baisser les prix, accroître la concurrence : je m’en félicite. Vous devriez d’ailleurs peut-être en parler au président Brottes, qui veut imposer une économie administrée dans le domaine de l’énergie…

Je partage toutefois les inquiétudes de Mme Vautrin sur le manque de précision de votre texte, même si celui-ci est de nature économique. Nos débats permettront sans doute d’y remédier. Ainsi, je ne vois pas très bien ce que recouvre la « préoccupation de concurrence » : c’est une expression que je n’avais jamais rencontrée et que l’on pourrait, je crois, tout simplement supprimer. De même, le Sénat, pour prendre en considération des situations de fait, a introduit le terme d’« accords » ; mais on parle aussi, en droit de la concurrence, de « pratiques concertées » : en omettant ces termes, vous risquez de ne pouvoir traiter comme il convient certaines situations, où l’accord ne peut être prouvé. Peut-être faudrait-il donc les rajouter. Le Sénat a également introduit la notion de « gestion de facilités essentielles » : de quoi s’agit-il ? Ce flou pourrait amoindrir l’efficacité de votre texte – je fais ces remarques, vous l’avez compris, dans un bon esprit.

Ce projet de loi atteindra-t-il ses objectifs ? La politique économique générale du Gouvernement nous mène, j’en suis convaincu, à la catastrophe, mais c’est un autre débat. Je m’en tiens donc à un problème spécifique, celui de l’urbanisme commercial : outre-mer, le tissu commercial est souvent figé, ce qui rend difficile d’introduire la concurrence. Vous n’en parlez pas : est-ce délibéré ? Ne serait-il pas judicieux d’utiliser ce levier, peut-être dans un texte ultérieur ?

Je veux enfin revenir sur le cas de la Nouvelle-Calédonie. Nos collègues néo-calédoniens ont proposé un amendement au projet de loi sur le logement, auquel Mme la ministre avait donné un avis favorable, sous réserve que nous nous engagions à ne pas saisir le Conseil constitutionnel, ce que nous avions accepté. M. Le Roux a alors surgi brutalement dans l’hémicycle, les députés socialistes se sont mis au garde-à-vous et ont, à ma grande surprise et à ma grande déception, voté contre cet amendement. Je ne leur connaissais pas ce sens de la discipline, que l’on n’observe d’ailleurs pas pour tous les textes ces jours-ci…

Nous avons soutenu cet amendement mais, j’y insiste, c’est celui de nos collègues néo-calédoniens – il ne serait pas honnête qu’il soit récupéré. On nous a promis qu’il serait introduit dans le présent projet de loi : qu’en sera-t-il ?

Mme Laure de La Raudière. Je partage bien sûr votre volonté de réduire le coût de la vie outre-mer ; votre préoccupation était d’ailleurs partagée par le gouvernement précédent, comme l’a montré le vote de la LODEOM. Vous dites que celle-ci n’a pas été appliquée. Pourquoi ? Et ce texte-ci le sera-t-il ?

Nous légiférons beaucoup et souvent, mais, on le voit, nous ne mesurons pas toujours suffisamment les effets de nos lois. Notre collègue néo-calédonien a souligné les difficultés structurelles rencontrées dans les territoires d’outre-mer ; sur un cas spécifique comme celui-ci, il serait donc intéressant de mesurer précisément l’efficacité des mesures prises. Notre action n’en sortirait que grandie. En matière de réduction des prix, avez-vous fixé un objectif ?

Enfin, l’accès à Internet est extrêmement coûteux outre-mer ; c’est là un frein à la démocratisation des nouvelles technologies. Ce point n’est pas abordé dans le projet de loi : où en est la réflexion du Gouvernement sur le sujet ?

M. Jean-Philippe Nilor. Monsieur le ministre, votre initiative est courageuse. Une grande espérance s’est levée dans nos territoires. Elle nous dépasse tous, et nous n’avons pas le droit de la décevoir. La gauche doit s’attaquer à la profitation !

Votre texte a évolué dans le bon sens : un encadrement des prix, même limité, ainsi que la possibilité donnée aux collectivités de saisir directement l’Autorité de la concurrence, sont de bonnes mesures, quoiqu’encore un peu timides – mais je préfère voir le verre à moitié plein ! Il serait donc dommage que l’imprécision de certaines notions complique l’application de cette loi.

Sur un tel sujet, il sera possible, je l’espère, de réunir une très large majorité, au-delà des clivages classiques. Le texte a déjà été amélioré ; continuons dans ce sens, avec pour seule obsession d’améliorer concrètement la vie de nos concitoyens.

M. Serge Letchimy. On ne peut pas laisser croire que ce projet de loi porte seulement sur les marges de la grande distribution ou des grossistes. Au contraire, il prend en considération le fret, la fiscalité, l’acheminement… : tout ce qui constitue le prix. Nous proposons d’ailleurs, par amendement, de réfléchir sur la part de l’octroi de mer, sur la part du fret... Ce projet ouvre la possibilité de démanteler, en partenariat avec les acteurs économiques et non pas contre eux, tout ce qui concourt à l’augmentation abusive des prix.

L’octroi de mer représente de 30 à 60 % des recettes des collectivités, et pèse très fortement dans la construction du prix – parfois dans une proportion proche de 20 %. Ne convient-il pas de modifier radicalement notre régime fiscal, afin que les collectivités soient beaucoup plus autonomes mais cessent de dépendre des importations ? Ce sujet mérite réflexion.

Il faut agir vite ! Ce que nous voulons, c’est l’émancipation économique ; le reste, notamment l’émancipation politique, suivra. Nous entrons dans une nouvelle ère, qui ne sera plus celle de la subvention, ni celle du guichet : ce sera l’ère du développement endogène et local. Si nous ouvrons ces perspectives morales et psychologiques, nous pouvons permettre à l’outre-mer de constituer, au sein de la République, un modèle de développement pour le troisième millénaire.

M. Daniel Fasquelle. Très bien !

Mme Catherine Vautrin. Pour le groupe UMP, le texte proposé ne se limite pas à la régulation économique. D’où l’intérêt du comité de suivi, qui réunit l’ensemble des acteurs : il permettra de travailler à des approches nouvelles. Il ne s’agit donc pas d’un « comité Théodule » et il convient par conséquent de réfléchir à deux fois avant de le supprimer, comme y tend un amendement.

D’autre part, comme à Mme de La Raudière, il me paraît indispensable de disposer d’outils permettant d’évaluer l’efficacité du dispositif.

M. le ministre. En réponse à Mme Vautrin et à M. Fasquelle, qui reprochent au texte une imprécision dans les termes, je rappelle tout d’abord que l’expression « préoccupation de concurrence », qui traduit l’anglais « competition concern », figure déjà à l’article L. 464-2 du code de commerce, aux termes duquel « l'Autorité de la concurrence peut ordonner aux intéressés de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé ou imposer des conditions particulières. Elle peut aussi accepter des engagements proposés par les entreprises ou organismes et de nature à mettre un terme à ses préoccupations de concurrence susceptibles de constituer des pratiques prohibées visées aux articles L. 420-1, L. 420-2 et L. 420-5 ». L’expression est également consacrée par la Cour de cassation. Le texte est en outre validé par l’assemblée du Conseil d’État et a été soumis à l’Autorité de la concurrence : il ne s’agit donc nullement d’une formule que nous aurions rédigée à la hâte sur un coin de table.

L’introduction de la notion d’« accords » pourra faire l’objet d’un examen.

Quant à l’expression « facilités essentielles », il s’agit certes d’un terme franglais, qui correspond à l’anglais « facilities », mais un aéroport ou des cuves de stockage – comme celles de la Société réunionnaise de produits pétroliers (SRPP) à La Réunion ou celles de la Société anonyme de la raffinerie des Antilles (SARA) – n’en sont pas moins des « facilités », mises en place avec de l’argent public.

On paie à la SRPP un droit de passage qui pèse sur le prix du carburant. Déterminé en métropole par l’offre et la demande, ce prix l’est outre-mer en fonction des marges fixées par arrêté préfectoral – ce qui permet à certaines stations-service de réaliser des profits considérables. Il faut donc introduire plus de concurrence pour faire baisser les prix.

S’il n’est pas possible de fixer à cet égard un objectif unique valable pour tous les territoires – pratique qui relèverait de l’économie administrée –, le texte donne à l’État des moyens inédits qui lui permettront d’intervenir là où il ne pouvait plus le faire depuis l’ordonnance Balladur de 1986, même s’il n’est pas question aujourd’hui d’encadrer à nouveau les prix. Il faut sortir de l’impuissance constatée lors des émeutes provoquées par l’augmentation du prix du carburant. Nous examinerons donc la situation du carburant, du fret et de la production locale.

À cet égard, du reste, un texte relatif à la fiscalité est en préparation afin de permettre aux collectivités d’outre-mer de disposer des recettes suffisantes tout en assurant une baisse des prix. Cela suppose toutefois que les baisses en amont soient répercutées, comme le demandait précédemment un amendement de M. Letchimy. Il faut pour cela recourir au droit civil, qui prévoit la « répétition de l’indu ». Lorsque j’étais président de région, face au refus systématique de l’État de diminuer la TVA sur les produits de première nécessité, j’ai réduit de 10 millions d’euros les recettes de la collectivité, mais cette baisse n’a pas été répercutée en aval : cette captation indue aurait dû pouvoir donner lieu à une action civile. La répétition de l’indu, qui ne figure pas dans le texte, pourrait donc y être introduite par un amendement prévoyant que les baisses engrangées soient répercutées en totalité ou en partie.

Le projet de loi vise à s’assurer que les structures existantes fonctionnent et qu’elles ne génèrent pas de marges élevées. Depuis les mouvements sociaux, certains monopoleurs, comme la SARA, ont décidé de ne plus publier leurs comptes, préférant payer des amendes – du reste peu élevées – ou déclarer leur siège social en métropole pour compliquer la recherche des extraits Kbis par le greffe. Face à ces sociétés qui se retranchent derrière le « secret commercial », nous devons réagir. Certains amendements déposés visent à faire connaître les prix d’achat et les prix de vente, mais il serait difficile de suivre des centaines de produits. Il faut, en revanche, adopter des formulations assez précises pour permettre de déclencher l’action publique.

Plus que les moyens des observatoires des prix, ce sont ceux de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et des directions départementales de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DDCCRF), privées de leurs agents par la révision générale des politiques publiques (RGPP), qu’il faut augmenter. La population doit pouvoir observer les baisses et les agents de la DGCCRF doivent pouvoir constater et sanctionner.

Le contentieux lié aux avis de l’autorité de l’Autorité de la concurrence étant un contentieux judiciaire, jugé par la Cour d’appel de Paris, il serait possible de prévoir par amendement que le contentieux lié à l’action de la DGCCRF relève lui aussi des tribunaux civils, et non administratifs. Il suffit de peu d’agents pour assurer le contrôle – en Martinique, il en faudrait un seul pour suivre 200 produits. L’envoi des listings informatiques indiquant les prix des produits figurant dans le chariot-type défini avec le préfet permettrait un contrôle mensuel et ferait apparaître la chronique des fluctuations de prix.

Le projet de loi qui vous est soumis est une boîte à outils : après le vote, il y aura encore beaucoup à faire. Il faudra, par exemple, demander à CGA CGM, qui est en situation de quasi-monopole, de réduire ses marges, ce qui sera difficile dans une économie de liberté, mais le texte permettra au préfet, si le dialogue n’aboutit pas, de prendre une décision par arrêté.

Pour ce qui est de l’accès à l’Internet, Madame de La Raudière, les régions se sont substituées à l’État pour assurer le désenclavement numérique et prennent les devants pour définir des schémas directeurs d’aménagement numérique, dont le Grand emprunt permettra peut-être d’alléger le coût des opérations – qui a été de 29 millions d’euros pour la région Guadeloupe. Une société qui assurait le transit IP pour toute la Caraïbe et jusqu’à Miami, a été chargée, au titre d’un traité de concession, du désenclavement numérique. Nous avons fait descendre le prix, qui était de 2 000 euros par mégabit par seconde et par mois, à 375 euros puis, au terme de deux négociations, à 80 euros. Or, malgré les discussions menées avec les fournisseurs d’accès à Internet, ceux-ci ont capté la marge. C’est là encore un cas où la répétition de l’indu serait bienvenue.

Le texte vise à donner aux consommateurs le contre-pouvoir qui leur manque dans nos régions et à les inciter à s’occuper de ce qui les concerne. Il conviendrait de libéraliser les agréments d’associations de consommateurs, de recourir à des centres régionaux techniques de la consommation (CTRC) et de demander à Outre-mer Première de consacrer des émissions à la consommation.

L’urbanisme commercial pourra faire l’objet d’un amendement, mais une telle démarche est parfois à double tranchant. Il convient de trouver un équilibre dans le texte pour ce qui concerne notamment la délivrance des permis d’extension par la commission départementale d’aménagement commercial.

Monsieur Gibbes, pour avoir été moi-même député de Saint-Martin et Saint-Barthélemy jusqu’en juin dernier, je connais le sujet : Saint-Martin a certes pris son autonomie sous le régime législatif défini par l’article 74 de la Constitution, mais les compétences limitées adoptées par cette collectivité permettent que le présent texte s’y applique. Le préfet pourra donc, le cas échéant, inviter les distributeurs à la modération.

M. Daniel Gibbes. Oui, mais la proximité de la frontière crée des difficultés très particulières.

M. le ministre. Le projet de loi possède une souplesse qui permet de l’appliquer partout, y compris dans les îles Wallis et Futuna.

Je ne partage pas l’idée qu’un excès de contrôles ou d’exigences ferait fuir les entreprises, même s’il est vrai qu’un texte spécifique reste nécessaire pour tenir compte des difficultés frontalières que rencontre Saint-Martin. Celui qui vous est soumis aujourd’hui a pour seule ambition d’agir contre la vie chère et contre les oligopoles, les monopoles, les duopoles, les ententes illicites et les abus de position dominante – voire contre certaines structures de marché qu’il conviendrait de rendre plus vertueuses. Tout cela est applicable à Saint-Martin.

Pour ce qui est, par exemple, de la fourniture d’eau, dont le prix a pu atteindre jusqu’à 8 euros par mètre cube, le texte aurait permis au préfet de demander à la société concessionnaire – l’UGDEM – de baisser ses prix. Il faut donner à l’État des armes lui permettant de démontrer que certaines marges sont élevées – pour ne pas dire « abusives ». Aujourd’hui, nous sommes démunis et vous êtes matraqués. Ce texte est donc utile.

Les articles 11bis et 11ter ne sont pas des cavaliers législatifs, mais bien des articles de régulation. Les chambres de commerce et d’industrie possèdent déjà les centres de formalités des entreprises (CFE), qui disposent de nombreux renseignements – la chambre des métiers de l’artisanat gère ainsi le répertoire des métiers. Un certain nombre d’éléments, comme l’homologation, relèvent néanmoins de l’autorité du juge. En attendant le projet de loi plus large que prépare actuellement la Garde des sceaux, nous proposons donc des mesures expérimentales qui, sans obliger l’État à céder ses compétences régaliennes, permettraient d’éviter les blocages.

Mme Catherine Vautrin. La notion d’expérimentation ne figure pas dans le texte.

M. le ministre. En effet, mais l’examen du texte n’est pas terminé !

Il y a eu trop de privatisations. Il y a dans chaque département et chaque région d’outre-mer un administrateur judiciaire et un mandataire liquidateur – une seule personne gère les faillites de Martinique et de Guyane, ce qui prend énormément de temps. Les mesures proposées pour la gestion du registre du commerce ou du répertoire des métiers relèvent donc de la régulation économique et visent à fluidifier le fonctionnement du marché. Je suis ainsi, vous le voyez, aussi libéral que vous – mais attaché à ce qu’il y ait tout de même un peu d’encadrement.

Monsieur Lebreton, en matière d’urbanisme commercial, il faut instiller une dose supplémentaire de concurrence tout en protégeant – sans pour autant tomber dans le poujadisme – le petit commerce de proximité. C’est toujours la droite qui a libéralisé, anéantissant le petit commerce.

M. Daniel Fasquelle. C’est nous, au contraire, qui avons voté toutes les lois protégeant le petit commerce !

M. le ministre. C’est vous qui avez fixé le seuil de 1 000 mètres carrés, qui a tué le petit commerce dans les campagnes.

Il faut donc trouver un équilibre, mais c’est très problématique. Pour porter la baisse de prix dans les campagnes, on peut créer des centrales d’approvisionnement du petit commerce et des artisans ou mettre en place un dispositif un peu plus compliqué, organisé autour des préfets et consistant à susciter des adhésions volontaires au bouclier « qualité-prix » permettant d’étendre aux campagnes les accords de baisse de prix. Lorsque j’étais président de région, je n’ai pas attendu le vote d’une loi pour inviter les gens à se regrouper et à prendre des engagements de modération dans les campagnes. Il faut territorialiser la baisse des prix et les instruments permettant de lutter contre les ententes et les prix abusifs.

C’est avec les banques, les compagnies d’assurance et les compagnies aériennes que nous rencontrerons les plus grandes difficultés. L’ouverture du ciel encouragée par l’Europe n’existe pas outre-mer, où n’opèrent que trois compagnies françaises. Celles-ci, qui pratiquaient des prix de l’ordre de 1 800 à 2 000 euros, se sont coordonnées pour se défendre lorsqu’est apparue une compagnie low-cost, XL Airways, qui proposait des billets aller-retour à 399 euros. Les compagnies françaises ont commencé par déclarer que de tels prix étaient impossibles, puis ont proposé elles aussi, au bout de dix jours, des billets au même prix en attendant que leur concurrent se retire, après quoi elles pourraient à nouveau augmenter leurs tarifs. La surcharge de carburant, qui était de 200, puis de 260 euros, a subitement disparu, alors que le prix de ce carburant atteignait 1,91 euro le litre dans les îles Wallis et Futuna. Rappelons à ce propos que des émeutes ont éclaté en Guyane lorsque ce prix a atteint 1,77 euro – le pétrole le plus cher du monde à proximité immédiate des approvisionnements du Brésil, du Suriname, de Curaçao et de Trinidad auxquels les normes européennes interdisent de recourir !

Dans la recherche d’un équilibre entre une nécessaire ouverture commerciale et notre nostalgie du pacte colbertiste, ce texte représente un premier pas – qui devra être suivi, après moi peut-être, par bien d’autres.

M. le président François Brottes. Merci, monsieur le ministre, pour votre implication dans un sujet que vous connaissez parfaitement et qui a donné lieu à des échanges de qualité. Bon nombre des éléments que vous avez évoqués pourraient, en outre, donner lieu à une application expérimentale en métropole.

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Information relative à la commission

La commission a désigné M. Marc Le Fur rapporteur de la proposition de loi portant obligation d’informer de la localisation des centres d’appel (n° 143).

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mardi 2 octobre 2012 à 21 h 30

Présents. - M. Bruno Nestor Azerot, Mme Ericka Bareigts, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. François Brottes, Mme Jeanine Dubié, Mme Corinne Erhel, M. Daniel Fasquelle, M. Daniel Goldberg, M. Philippe Gomes, M. Jean Grellier, Mme Anne Grommerch, M. Henri Jibrayel, Mme Laure de La Raudière, Mme Annick Le Loch, M. Serge Letchimy, Mme Audrey Linkenheld, Mme Marie-Lou Marcel, Mme Frédérique Massat, M. Germinal Peiro, M. François Pupponi, Mme Béatrice Santais, Mme Catherine Troallic, Mme Catherine Vautrin

Excusés. – Mme Brigitte Allain, M. Thierry Lazaro

Assistaient également à la réunion. - M. Ibrahim Aboubacar, M. Daniel Gibbes, Mme Annick Girardin, Mme Sonia Lagarde, M. Patrick Lebreton, M. Bernard Lesterlin, M. Victorin Lurel, M. Jean-Philippe Nilor, M. Gabriel Serville, Mme Hélène Vainqueur-Christophe