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Commission des affaires économiques

Mardi 19 mars 2013

Séance de 17 heures 30

Compte rendu n° 58

Présidence de M. François Brottes Président

– Examen de la proposition de loi relative au paiement des salaires et des loyers (n° 394) (M. Thierry Braillard, rapporteur).

– Amendements examinés par la commission

La commission a examiné la proposition de loi relative au paiement des salaires et des loyers (n° 394) sur le rapport de M. Thierry Braillard.

M. le président François Brottes. La proposition de loi dont nous allons débattre a été déposée dans le cadre d’une niche parlementaire, en l’occurrence celle du groupe RRDP. Notre Commission est saisie de cinq-sixièmes des textes examinés dans ce cadre, ce qui démontre incontestablement son implication dans les sujets intéressant la vie quotidienne de nos concitoyens.

En l’espèce, l’apparente simplicité du texte qui nous est soumis ne doit pas tromper : cette proposition de loi bousculerait en profondeur les pratiques en matière de paiement des loyers et de rémunération des salariés.

M. Thierry Braillard, rapporteur. Cette proposition de loi, monsieur le président, concerne en effet directement la vie quotidienne des Français ; elle doit d’ailleurs être considérée avec les amendements que mes auditions m’ont conduit à déposer.

Un sentiment d’impuissance semble s’installer face à la dégradation continue du pouvoir d’achat des Français. Qui d’entre nous n’a pas été interpellé par ses électeurs sur ce sujet ? En général, nous ne sommes pas en mesure de leur apporter des réponses satisfaisantes. Pourtant, cette dégradation n’a rien d’une fatalité : des solutions simples sont possibles, en dépit des contraintes qui pèsent sur nos finances publiques. La présente proposition de loi répond de ce point de vue à une urgence, rendue plus sensible encore par le sentiment croissant d’inquiétude face à l’avenir, par la perte de confiance et par la crainte de la précarité ressentis, selon une étude de Femme actuelle d’octobre 2012, par une mère célibataire sur cinq, pour des raisons qui tiennent principalement à des fins de mois difficiles.

Les chiffres parlent malheureusement d’eux-mêmes. D’après l’Observatoire des inégalités, la moitié des salariés perçoivent moins de 1 700 euros nets par mois, somme qui représente donc le salaire médian. Selon une étude de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES), 3,6 millions de salariés des secteurs public et privé – soit près d’un salarié sur six – touchaient en 2011 un salaire inférieur ou égal aux deux tiers du salaire mensuel net médian. Enfin, un sondage réalisé en septembre 2012 montre que 21 % des Français sont en situation de découvert bancaire à la fin de chaque mois, proportion qui atteint même 30 % dans la tranche des personnes âgées de 35 à 49 ans.

Dans le même temps, le logement s’est imposé comme le premier poste de dépense des ménages, devant l’alimentation et les transports. Cette évolution affecte plus particulièrement les plus modestes ainsi que les locataires du parc privé, dont un sur cinq consacre plus de 40 % de ses revenus à son logement. Les locataires, d’ailleurs, ne représentent qu’un peu moins de 40 % de la population française, mais près de 80 % des personnes surendettées ; de fait, la hausse récente des cas de surendettement tient moins à l’accumulation des crédits qu’à des ressources devenues insuffisantes pour faire face aux charges courantes.

D’importantes mesures ont déjà été prises, que j’ai brièvement énumérées dans mon projet de rapport. Le décret du 20 juillet 2012 sur l’encadrement des loyers s’applique dans une quarantaine d’agglomérations où le parc locatif est soumis à de fortes tensions : cette mesure d’urgence vise à stopper la spéculation et les hausses de loyer abusives ; elle s’accompagne de l’expérimentation d’observatoires chargés de déterminer des fourchettes de loyers en fonction des quartiers et des principales caractéristiques du bien considéré. De plus, un plan d’urgence devrait être annoncé jeudi prochain afin de relancer un secteur de la construction très affecté par la diminution des mises en chantier.

En deuxième lieu, le Gouvernement s’est mobilisé en faveur de l’emploi à travers le contrat de génération, les emplois d’avenir, le pacte national pour la compétitivité, la croissance et l’emploi et le projet de loi, en cours d’examen, relatif à la sécurisation de l’emploi.

Enfin, le projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires, tel qu’il est issu des travaux de notre assemblée, étend le plafonnement des commissions d’intervention des banques à l’ensemble des ménages. Cette disposition permet de limiter l’accumulation des frais bancaires – facturation des incidents de paiement et des dépassements de découvert – qui fragilisent de nombreux ménages et affectent leur pouvoir d’achat ; le texte que je vous présente s’inscrit dans la même perspective.

Fondé sur un principe simple, la fixation d’une date pour le paiement des salaires et des loyers, il tend à offrir aux millions d’intéressés un gain de trésorerie dans la gestion quotidienne de leur budget, et vise des usages tellement ancrés dans les habitudes que nul ne songe à les remettre en cause. La loi du 19 janvier 1978 a instauré le principe du versement mensuel des salaires – qui, auparavant, s’effectuait souvent à la semaine, à la décade ou à la quinzaine –, mais sans assigner de jour précis : aux termes de ces dispositions figurant aux articles L. 3242-1 et suivants du code du travail, l’employeur a donc pour seule obligation de respecter cette périodicité mensuelle : rien ne l’oblige à verser les salaires à la fin du mois. Pour les salariés qui ne bénéficient pas de cette mensualisation – intermittents ou travailleurs saisonniers, par exemple –, le paiement doit intervenir au moins deux fois par mois, à seize jours d’intervalle au plus. Enfin, la loi autorise les salariés à demander un acompte sur leur salaire, mais peu d’entre eux osent faire usage de cette faculté.

D’autre part, les modalités de ce versement varient selon les catégories de salariés. Dans la fonction publique, qu’elle soit d’État, territoriale ou hospitalière, les traitements sont généralement versés avant la fin du mois. En revanche, les salariés du secteur privé sont plus fréquemment payés au début du mois suivant. Je connais le cas d’entreprises du BTP qui attendent même le 10 pour verser leurs salaires, une fois les feuilles de chantier transmises, ce qui leur permet de décaler d’un mois le paiement de leurs cotisations à l’URSSAF, précisément exigibles le 10 de chaque mois. Certaines entreprises n’hésitent donc pas à jouer avec la trésorerie de leurs salariés.

Le présent texte a pour but de pallier le silence de notre législation sur ces injustices. Le paiement des rémunérations le 15 de chaque mois, prévu par l’article 1er, s’apparente à ce que Pierre Mendès-France appelait une « révolution par la loi » ; cependant, après certaines auditions, j’ai décidé de vous proposer le report de cette date au 25, afin de calquer le régime du secteur privé sur celui du public. Certes, cela suppose un effort de la part des employeurs mais, je le répète, ma proposition de loi s’adresse aux millions de salariés qui connaissent des difficultés de trésorerie.

J’en viens aux modalités d’acquittement des loyers. La location à usage d’habitation principale est soumise à la loi du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs. Les règles fixant le régime du contrat de location prévoient notamment que celui-ci doit être établi par écrit et comprendre des mentions telles que l’identification du bailleur, des informations relatives à l’immeuble loué ou les conditions financières du loyer.

Les modalités de paiement du loyer sont, quant à elles, négociées librement entre les parties et précisées dans le contrat de location. La loi prévoit toutefois que le paiement mensuel est de droit, si le locataire en fait la demande. Dans la réalité, le contrat de bail s’apparente souvent à un contrat d’adhésion car le locataire, trop heureux d’avoir trouvé un logement, n’ose pas discuter de la date de paiement, qui d’ailleurs est souvent fixée dans un contrat de bail préimprimé. Afin de promouvoir une plus grande équité dans ce domaine également, je vous proposerai, à travers l’un de mes amendements, d’inscrire dans la loi que le paiement des loyers doit intervenir « à partir du 10 de chaque mois » plutôt que « le 15 de chaque mois », obligation sans doute trop contraignante. Cet amendement vise à garantir que la perception du salaire précède le paiement du loyer.

La proposition de loi que je vous soumets représenterait donc, pour de très nombreux Français qui consacrent une part notable de leur budget à leur loyer, un gain immédiat de trésorerie particulièrement bienvenu dans la situation actuelle.

M. Yves Blein. Ce texte, que le groupe SRC a examiné avec soin, se rapporte à un vrai problème, celui de la trésorerie des ménages. Il convient cependant d’en mesurer les conséquences pour l’ensemble des trois parties prenantes : non seulement les ménages eux-mêmes, mais aussi les employeurs et les bailleurs.

La première difficulté tient à une forme de discrimination, dans la mesure où tous les travailleurs ne bénéficient pas de la périodicité du versement de leur salaire ; la seconde est le surcoût de trésorerie induit pour les employeurs, alors même que nous venons de voter différentes mesures en faveur de la compétitivité. Une entreprise du secteur des services employant 1 000 salariés, réalisant 150 millions d’euros de chiffre d’affaires et dont la charge des salaires bruts représente 6,5 millions par mois aurait à décaisser, s’il lui fallait payer ces salaires le 25 au lieu du 10 du mois, 3,5 millions d’euros la première fois que la loi viendrait à s’appliquer. Cela devrait logiquement la conduire à augmenter son fonds de roulement et, pour ce faire, à prélever sur son résultat d’un à trois ans de bénéfices.

Pour les propriétaires de logement, la perception des loyers est souvent calquée sur des échéanciers de remboursement d’emprunt : le texte pourrait donc leur poser problème.

Enfin, le budget des ménages ne repose pas sur le seul salaire, mais sur un équilibre entre les charges et l’ensemble des recettes, lesquelles incluent aussi différentes prestations sociales. Pour un ménage ayant contracté des emprunts et devant faire face à des charges, le changement d’un seul paramètre risque de déséquilibrer l’économie d’ensemble.

Bref, si le texte soulève un vrai sujet, il pourrait bousculer les « écosystèmes » des entreprises, des ménages et des bailleurs : une étude d’impact plus approfondie nous semble donc nécessaire.

Mme Laure de La Raudière. Une fois n’est pas coutume, nos arguments sont en phase avec ceux du groupe SRC. Nous sommes évidemment sensibles aux difficultés financières de nombreux Français, mais les salariés ne sont pas seuls concernés : on peut aussi penser aux autoentrepreneurs, aux personnes en recherche d’emploi ou à de nombreux retraités. L’objectif est donc intéressant mais trop restreint. Vous entendez imposer aux entreprises une mesure qui bouleverserait leur trésorerie et leurs fonds de roulement, alors que les personnes ayant du mal à boucler leurs fins de mois ne sont peut-être pas majoritairement salariées : a-t-on des éléments chiffrés sur ce point ?

Vous avez par ailleurs omis de rappeler que l’ancienne majorité avait ramené le montant maximal du dépôt de garantie à un mois de loyer : c’est pourtant là une disposition importante pour la trésorerie des ménages.

Les priorités des Français, rappelons-le, sont l’emploi et la sortie de crise. Or je crains que votre texte ne fragilise certaines PME, dont l’un des principaux soucis, selon un constat unanime, réside précisément dans la gestion de la trésorerie. Je rappelle que 80 % des emplois, dans notre pays, sont créés dans des entreprises de moins de cinquante salariés, et même, pour une grande partie d’entre eux, de moins de vingt salariés, en d’autres termes dans des entreprises souvent déjà fragiles. En aggravant le chômage – qui, rappelons-le au regard de votre exposé des motifs, augmente deux fois plus vite depuis mai 2012 qu’auparavant –, cette proposition de loi créerait davantage de problèmes qu’elle n’en résoudrait ; aussi le groupe UMP s’y opposera-t-il.

Mme Michèle Bonneton. Cette proposition de loi procède de bonnes intentions. Pour les personnes aux revenus modestes, il est parfois difficile, en effet, de mettre de côté le montant de leur loyer d’un mois sur l’autre. Cependant, les propriétaires bailleurs peuvent avoir à rembourser des prêts immobiliers : nous devons aussi veiller à ne point décourager l’offre locative, notamment dans le contexte de crise du logement que nous connaissons. En 2012, faut-il le rappeler, l’offre de logements n’a guère été dynamique.

Il serait judicieux de mettre en cohérence le versement des salaires et le paiement des loyers ; cependant, les amendements du rapporteur modifient la substance du texte initial. L’un d’entre eux prévoit que le paiement des loyers doit intervenir « à partir du 10 de chaque mois », ce qui nous paraît bien flou : le bailleur aurait ainsi à négocier avec le futur locataire la date de paiement entre le 10 et le 30 ou le 31 du mois.

De même, le versement du salaire le 25 du mois est une mesure favorable aux salariés ; mais elle toucherait la trésorerie de toutes les entreprises. Une étude d’impact sérieuse et approfondie me semble donc souhaitable.

Malgré sa brièveté, cette proposition de loi introduirait de grands « chambardements », si vous me passez l’expression, et ses conséquences n’ont pas été suffisamment étudiées.

M. Michel Piron. Je songeais, en écoutant le rapporteur, que les meilleures intentions ne font pas forcément de bonnes lois. L’esprit du texte est de faire coïncider, pour ainsi dire, le versement des salaires et le paiement des loyers – selon une logique que l’on pourrait étendre à des charges telles que les factures d’eau ou d’énergie. Il vise donc la trésorerie et non la solvabilité des locataires, laquelle reste évidemment la question majeure.

D’autre part, à la souplesse du contrat – bien entendu encadré par la périodicité mensuelle –, vous entendez substituer la rigidité de la loi en fixant une date impérative, alors que les rapports entre le locataire et le propriétaire peuvent être tout à fait civilisés, et la négociation entre eux possible. Pourquoi toujours légiférer en fonction du pire ?

Votre proposition de loi exigerait sans doute aussi que les entreprises augmentent leur fonds de roulement dans des proportions considérables, notamment dans le secteur des services qui emploie beaucoup de main-d’œuvre. Où trouveraient-elles la trésorerie nécessaire alors que la tendance est plutôt au raccourcissement des délais de paiement ?

Quant au logement, je rappelle que la trésorerie de certains propriétaires est souvent serrée, elle aussi. À la fin de l’année, le nombre de logements construits restera sans doute inférieur à 300 000 : le moment est-il bien choisi pour faire peser des contraintes sur les bailleurs ?

Je m’interroge également sur la procédure suivie : si le logement est un sujet qui relève de la commission des affaires économiques, le versement des salaires, lui, concerne le droit du travail et j’aurais donc aimé connaître le point de vue de la commission des affaires sociales sur ce point.

Enfin, l’amendement du président Brottes, intéressant dans son contenu, suscite cependant des réserves quant à la forme. L’étude d’impact proposée ne devrait-elle pas constituer un préalable, afin d’évaluer toutes les conséquences d’un tel texte pour les parties prenantes ?

Pour ces différentes raisons, je ne puis approuver cette proposition de loi.

M. Daniel Fasquelle. Je veux faire part de mon scepticisme sur ce texte, même si j’en comprends les intentions. Pour régler les difficultés de certains Français, vous en créeriez d’autres pour les propriétaires et pour les entreprises, en déstabilisant leur trésorerie. Pour le versement des salaires, vous prenez pour référence le secteur public ; mais une entreprise privée a besoin de vendre ses produits pour payer les salaires : la situation est tout de même bien différente ! Quant aux propriétaires, ils ont parfois dû s’endetter pour acheter le logement qu’ils louent : pour ces Français modestes ou de la classe moyenne, le loyer constitue un complément de revenu important. Bref, évitons de déshabiller Paul pour habiller Jacques.

Votre texte serait de surcroît difficile à appliquer : pour les employés à domicile ou pour les intérimaires par exemple, le salaire à verser dépend du travail effectué au cours du mois écoulé, si bien qu’on ne peut le calculer à l’avance. On peut aussi penser, s’agissant du logement, aux locations à la semaine.

C’est en cessant d’accabler nos concitoyens sous la fiscalité qu’on leur redonnera du pouvoir d’achat : une proposition de loi visant à restaurer la défiscalisation des heures supplémentaires, par exemple, me semblerait plus opportune et plus concrète.

M. Dino Cinieri. Tout salaire est la contrepartie d’un travail effectué, au cours d’une période donnée. La mesure proposée désorganiserait la trésorerie des entreprises, qui devraient avancer les rémunérations avant d’avoir engrangé les résultats du mois en cours. Ce versement anticipé exigerait de surcroît de procéder à des rectifications à la fin de chaque mois. Les entreprises me semblent aujourd’hui avoir trop d’autres soucis pour qu’on n’y ajoute pas.

Quant à la date de paiement du loyer, elle est librement consentie entre le locataire et le propriétaire, dans le cadre du contrat qu’ils signent.

Enfin, je rappelle, monsieur le rapporteur, que votre groupe a voté la suppression de défiscalisation des heures supplémentaires, qui représentait, elle, un réel gain de pouvoir d’achat pour les salariés.

M. Jean-Claude Mathis. Votre amendement CE 2, monsieur le rapporteur, distingue, d’une part, entre les salariés en CDI et les salariés en CDD, et, de l’autre, entre les entreprises de moins et de plus de dix salariés. Qu’est-ce qui vous a conduit à faire ces distinctions ?

À supposer que votre texte soit applicable, il n’augmenterait le pouvoir d’achat des salariés que lors du premier versement anticipé ! Ensuite, la périodicité resterait la même.

Vous dites vouloir préserver la trésorerie des ménages : il faut aussi songer à celle des entreprises et des propriétaires, mais aussi des bailleurs sociaux. L’office départemental de HLM que je préside gère plusieurs milliers de logements ; en général, les loyers sont payés entre le 5 et le 10 du mois, mais les chèques sont tirés plusieurs jours après. Un retard de quinze jours est donc lourd de conséquences pour un office en permanence sur la corde raide, compte tenu du strict encadrement des loyers.

M. Éric Straumann. Séduisante en apparence, cette idée n’aurait aucun effet sur le pouvoir d’achat – sauf, comme on vient de le dire, le premier mois, lors du versement anticipé. Plusieurs collègues ont évoqué les différents problèmes techniques qu’elle poserait ; pour améliorer le pouvoir d’achat, je proposerais volontiers, pour ma part, des mois de quinze jours ! Bref, en lisant ce texte, je me suis demandé si nous n’étions pas le 1er avril. Les premiers bénéficiaires d’un éventuel décalage entre les dates de versement des salaires et les échéances de crédit seraient au demeurant les banquiers, qui sauraient parfaitement gérer la chose.

M. le rapporteur. Je me demandais, en écoutant les différents orateurs, si nous habitions le même pays. L’Alsace-Lorraine aurait-elle pris son indépendance ?

J’ai beaucoup entendu parler des entreprises, alors que mon texte s’adresse aux millions de salariés qui éprouvent le plus grand mal à boucler leurs fins de mois : pour le coup, les banques se régalent avec les frais de découvert, qui atteignent des niveaux considérables.

Étant moi-même chef d’une petite entreprise, je connais les contraintes liées au paiement des cotisations et des salaires ; aussi mon amendement CE 2, qui n’a rien d’un poisson d’avril, propose-t-il de repousser l’application de la loi d’un an dans les très petites entreprises, en particulier de l’artisanat et du commerce. Le but de la proposition de loi n’est évidemment pas de mettre les entreprises en péril. Quant aux salariés en intérim, je rappelle qu’ils sont payés sous quinzaine: mon texte ne change rien à la loi.

La date de paiement des loyers, madame Bonneton, est fixée par un contrat librement négocié. Je propose seulement, pour ma part, que ce paiement ne puisse intervenir avant le 10 de chaque mois. Il arrive qu’il intervienne le 15 car, monsieur Piron, la négociation entre bailleurs et locataires peut en effet être civilisée ; mais force est de constater que, la plupart du temps, ce n’est pas le cas.

Enfin, dans le logement social conventionné, les loyers sont payés à terme échu. Un salarié locataire d’un tel logement est donc avantagé par rapport à un locataire du parc privé, qui acquitte son loyer sur le terme à échoir. Cette différence d’un mois crée une inégalité que la loi pourrait corriger.

On avait presque envie de sortir les mouchoirs en vous écoutant, monsieur Fasquelle ; mais l’effort demandé aux propriétaires, fussent-ils modestes, ne représente que cinq jours de trésorerie !

Je ne suis pas davantage convaincu par les objections formulées au sujet du paiement des salaires. Les situations, sur ce point, demeurent inéquitables. Dans le privé aussi, certains salariés sont payés avant la fin du mois, quand d’autres le sont le 10 du mois suivant. Un tel écart de quinze jours est-il admissible ? Il peut au surplus être source de difficultés pour un salarié qui passe d’une entreprise à une autre, où la date de versement n’est pas la même. Le législateur doit y mettre de l’ordre.

Gardons-nous, monsieur Fasquelle, de tout esprit partisan : compte tenu de la situation budgétaire dans laquelle l’ancienne majorité a laissé le pays, nous n’avions aucune marge de manœuvre fiscale. La défiscalisation des heures supplémentaires avait un coût pour les finances publiques, contrairement à cette proposition de loi.

Enfin, j’ai toujours été surpris de constater, dans des affaires de divorce, lorsque se négocie la pension alimentaire, que les époux connaissent, presque à dix euros près, le niveau de leurs dépenses mensuelles. Pour ces personnes, un découvert de quelques dizaines d’euros peut déclencher un engrenage de découvert systématique, les frais bancaires s’accumulant chaque mois. C’est d’abord à cette majorité silencieuse que s’adresse ma proposition de loi.

M. Yves Nicolin. Malgré ses efforts répétés, la précédente majorité n’a pu obtenir que les retraites complémentaires, actuellement payables par trimestre, soient versées mensuellement, en raison du coût qui en aurait résulté pour les organismes d’assurance vieillesse. Vous demandez donc aux entreprises un effort que l’État n’a pas été capable de faire. Dans une situation de concurrence exacerbée et de marasme économique, et alors que la trésorerie de nombreuses entreprises est exsangue, votre texte risque de provoquer plus de préjudices que de bénéfices en termes d’emploi. Ce n’est pas cohérent. Peut-être aurait-il fallu que votre proposition de loi englobe la totalité des rémunérations versées mensuellement.

Mme Laure de La Raudière. Vous imposez aux entreprises un dispositif qui concerne quelques salariés – certes beaucoup trop nombreux –, sans vous préoccuper de toutes les autres catégories de personnes qui se trouvent dans la même situation.

M. le rapporteur. La proposition de loi se limite au paiement des salaires et des loyers.

Pour préserver la trésorerie des entreprises, elle comporte néanmoins deux aménagements : un délai de trois mois pour celles de plus de dix salariés et d’un an pour les autres.

Je connais une entreprise du secteur du bâtiment et des travaux publics qui prospère malgré la crise et crée des emplois et m’a indiqué qu’en payant ses salariés le 10 du mois suivant, elle réalisait des gains de trésorerie sur les cotisations à l’URSSAF. Je trouve choquant que les salariés, dont le salaire médian est de 1 800 euros, soient ainsi mis à contribution à des fins de gestion financière.

Le législateur doit se préoccuper de l’écart de quinze jours qui existe dans le paiement des salaires. « Dis-moi où tu travailles, et je te dirai quand tu perçois ton salaire. » Cette inégalité flagrante est l’une des motivations de la proposition de loi qui vous est soumise.

M. Yves Blein. D’une entreprise à l’autre, la structure économique est très différente. Ainsi les salaires représentent environ 30 % des charges d’une entreprise du bâtiment, mais 75 % de celles d’une société de services en ingénierie informatique (SSII), ce qui impliquerait un effort de trésorerie très différent. Il faut mesurer précisément, selon les situations, l’impact de la mesure proposée.

M. Daniel Fasquelle. Les entreprises de communes touristiques telles que celle dont je suis maire rencontrent des difficultés pour payer leurs salariés en janvier, février et mars, mois au cours desquels leur activité est très ralentie. Ces entreprises, qui emploient leurs salariés à l’année et dont les charges sont constituées en majeure partie par les rémunérations qu’elles versent, seraient fortement déstabilisées par la disposition que vous préconisez.

La commission en vient à l’examen des articles de la proposition de loi.

Avant l’article 1er

La commission est saisie de l’amendement CE 4 du président François Brottes, portant article additionnel avant l’article 1er.

M. le président François Brottes. La proposition de loi que nous examinons traite d’un sujet lié à de nombreuses autres questions relatives à la consommation, comme les dates de valeur appliquées par les banques, les manipulations sur les jours ouvrés et ouvrables et les délais de paiement par les clients des entreprises – lesquelles n’ont jamais de certitude quant à la réalité même du paiement. Le banquier sert souvent de variable d’ajustement en cas de difficultés, mais je ferai observer qu’une grande part des gens qui ont du mal à payer leur loyer sont également « débancarisés ».

Un chantier si important et qui a une telle incidence sur la vie quotidienne des ménages doit faire l’objet d’une étude d’impact sérieuse et ambitieuse. Le Gouvernement, que j’ai consulté sur ce point, serait disposé à mener une telle étude dans un délai d’un an.

Tel est l’objet de l’amendement que je propose – et qui, de toute évidence, se substituerait au contenu la proposition de loi, afin de nous donner le temps de la réflexion.

M. le rapporteur. Je ne puis être pleinement favorable à un amendement qui empêche la proposition de loi que j’ai déposée d’aller à son terme, mais cet amendement est réfléchi et exprime une position constructive…

Mme Audrey Linkenheld. Je soutiens cet amendement plein de sagesse. Je propose cependant de l’améliorer en ajoutant, après les mots : « locataires du parc privé », les mots « ou social », afin de prendre en compte l’ensemble des salariés qui ont des difficultés à payer leur loyer.

M. le président François Brottes. En tant qu’auteur de cet amendement, je souscris à cette modification.

M. le rapporteur. Cet ajout me semble en effet logique.

M. Daniel Fasquelle. Sur la forme, il n’y a pas lieu de voter un texte de loi à la seule fin d’obtenir un rapport. Nous avons du reste tous déploré par le passé, majorité comme opposition, la multiplication de telles demandes.

Sur le fond, nous serons prochainement saisis du projet de loi de M. Benoît Hamon sur la consommation et de celui de Mme Cécile Duflot sur le logement. Ces deux ministres pourraient étudier cette question dans le cadre des études d’impact relatives à ces projets.

M. Yves Blein. Nous soutenons cet amendement de sagesse et de bon sens, qui préserve l’objectif recherché par le rapporteur. Peut-être cependant certains véhicules législatifs, comme ceux que vient d’évoquer M. Fasquelle, permettraient-ils d’atteindre plus rapidement les objectifs définis.

M. le président François Brottes. Je précise que, lorsqu’une disposition ne figure pas dans un projet de loi ou est introduite par amendement, elle ne fait pas l’objet d’une étude d’impact. La demande que nous faisons au Gouvernement de réaliser une telle étude est le seul recours dont nous disposons pour qu’il mette ses moyens à la disposition du Parlement et éclaire nos travaux. Peut-être avez-vous oublié, monsieur Fasquelle, qu’au même titre que l’autorisation de légiférer par ordonnances, la demande d’un rapport doit faire l’objet d’un texte législatif.

Notre façon de travailler est différente de la vôtre : peut-être la demande d’un rapport ou le renvoi en commission étaient-ils précédemment destinés à enterrer un sujet, mais tel n’est pas notre état d’esprit – nous en faisons tous les jours la démonstration.

Sur ce chantier lourd, qui intéresse tout le monde, un travail d’expertise préalable est nécessaire, pour s’assurer que les véhicules législatifs qui viennent d’être évoqués nous permettront de nous rapprocher effectivement de l’objectif poursuivi. Or ces deux textes, relatifs à la consommation et au logement, devraient, je le rappelle, être examinés respectivement avant et après l’été.

M. Daniel Goldberg. Une remarque sémantique : pourquoi, dans l’amendement, distinguer les locataires selon le type de parc locatif dont ils relèvent ? Il existe d’ailleurs un parc privé social…

M. le président François Brottes. Il conviendrait donc plutôt de supprimer les mots : « du parc privé », afin de prendre en compte tous les salariés locataires.

M. Michel Piron. Pour améliorer la rédaction de l’amendement, il conviendrait aussi de supprimer le dernier membre de phrase : « suivant la promulgation de la présente loi ». En effet, l’étude d’impact doit intervenir avant la loi proposée.

M. le président François Brottes. Non, car la loi consisterait précisément, si l’amendement est adopté, à demander cette étude d’impact. J’admets toutefois que cette précision est superflue, mais elle est assez habituelle…

Je propose donc que la rectification de l’amendement se limite à supprimer les mots : « du parc privé ».

La commission adopte l’amendement ainsi rectifié.

Article 1er

La commission est saisie de l’amendement CE 1 du rapporteur.

M. le rapporteur. Il s’agissait de poser que le paiement du salaire doit intervenir le 25 du mois en cours.

M. le président François Brottes. L’adoption de mon amendement CE 4 rend superflu d’entrer dans le détail de votre proposition.

La commission rejette cet amendement.

Puis elle rejette l’article 1er

Après l’article 1er

La commission est saisie de l’amendement CE 2 du rapporteur, portant article additionnel après l’article 1er.

M. le rapporteur. L’amendement est défendu.

J’observe que votre demande d’une étude d’impact, monsieur le président, ne fait pas apparaître très clairement le fait que les salariés doivent être payés avant qu’ils n’acquittent leur loyer, ce qui est précisément l’objet de la proposition de loi.

M. le président François Brottes. Vous pourrez proposer un sous-amendement lors de l’examen du texte en séance publique.

La commission rejette l’amendement.

Article 2

La commission est saisie de l’amendement CE 3 du rapporteur.

M. le rapporteur. Cet amendement a trait à la date de paiement des loyers.

La commission rejette cet amendement.

Puis elle rejette l’article 2.

Article 3

La commission rejette l’article 3.

Puis elle adopte l’ensemble du texte de la proposition de loi modifié.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mardi 19 mars 2013 à 17 h 30

Présents. - M. Yves Blein, Mme Michèle Bonneton, M. Thierry Braillard, M. François Brottes, M. Dino Cinieri, Mme Corinne Erhel, M. Daniel Fasquelle, M. Daniel Goldberg, Mme Laure de La Raudière, M. Jean-Luc Laurent, Mme Annick Le Loch, Mme Annick Lepetit, Mme Audrey Linkenheld, Mme Marie-Lou Marcel, Mme Frédérique Massat, M. Jean-Claude Mathis, M. Yannick Moreau, M. Yves Nicolin, M. Germinal Peiro, M. Hervé Pellois, Mme Béatrice Santais, M. Éric Straumann, M. Lionel Tardy, M. Fabrice Verdier

Excusés. – Mme Marie-Hélène Fabre, M. Dominique Potier, M. Jean-Marie Tetart

Assistait également à la réunion. - M. Michel Piron