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Commission de la défense nationale et des forces armées

Mardi 30 octobre 2012

Séance de 16 heures 45

Compte rendu n° 18

Présidence de Mme Patricia Adam, présidente

— Projet de loi de finances pour 2013 :

– Avis sur les crédits de la mission « Sécurité » : « Gendarmerie nationale » (M. Daniel Boisserie, Rapporteur pour avis)

– Avis sur les crédits de la mission « Défense » : « Environnement et prospective de la politique de défense » (M. Jean-Yves Le Déaut, Rapporteur pour avis)

– Avis sur les crédits de la mission « Défense » : « Préparation et emploi des forces : air « (M. Serge Grouard, Rapporteur pour avis)

— Information relative à la Commission

La séance est ouverte à seize heures quarante-cinq.

Mme Patricia Adam, Présidente. Nous abordons cet après-midi la suite de l’examen des avis budgétaire, entamé la semaine dernière avec l’avis « Préparation et emploi des forces : marine ». Nous examinerons successivement l’avis sur la gendarmerie nationale et deux autres avis sur la mission « Défense » : « Environnement et prospective de la politique de défense » et « Préparation et emploi des forces : air ».

Préalablement je voulais vous faire part de l’invitation du chef d’état-major de l’armée de terre à effectuer une série de stages d’immersion d’ici à la fin de l’année, par petites délégations (entre 5 et 10), pour découvrir différents régiments de l’armée de terre et à participer à leurs activités pendant 24h, du mercredi soir au jeudi soir les :

– 14-15 novembre (4 propositions différentes) ;

– 21-22 novembre (3 propositions) ;

– 5-6 décembre (3 propositions).

Sur le principe, les propositions ne seront activées que s’il y a un minimum de 4 députés ou sénateurs (qui sont également invités). Il en est ainsi notamment des 2 premiers créneaux, pour lesquels une réponse avant le 6 novembre est demandée.

La semaine du 29 novembre est laissée libre pour l’invitation SCORPION de toute la commission au Centre d’entraînement aux actions en zone urbaine (CENZUB), 29 novembre, comme l’a rappelé le chef de l’état-major de l’armée de terre lors de son audition du 17 octobre dernier.

Vous recevrez dès demain par messagerie électronique les calendriers et programmes détaillés de toutes ces activités.

Nous allons d’abord entendre M. Daniel Boisserie, rapporteur pour avis des crédits du programme « Gendarmerie nationale » de la mission « Sécurité ».

M. Daniel Boisserie, Rapporteur pour avis. Après avoir présenté les grandes lignes du projet de loi de finances pour 2013, je vous proposerai un développement thématique sur l’immobilier de la gendarmerie, un sujet qui devient particulièrement sensible.

Le Président de la République a fait de la mission « Sécurité » une priorité et le projet de loi de finances (PLF) pour 2013 traduit cet engagement dans les faits. Le PLF pour 2013 propose un bon budget pour la gendarmerie. Les crédits du programme 152 « Gendarmerie nationale » sont globalement stables entre 2012 et 2013, autour de 7,9 milliards d’euros en engagement comme en paiement, ce qui représente un effort réel dans le contexte de réduction des dépenses de l’État.

Nous nous réjouirons tous de l’augmentation des effectifs de la gendarmerie. Hors évolutions de périmètre, le gain net sera de 193 ETPT. Il s’agit d’un ballon d’oxygène particulièrement bienvenu, qui permettra aux gendarmes de faire face aux sollicitations toujours plus nombreuses dont ils sont l’objet. Il s’agit d’une inversion de tendance qui fait écho aux demandes de notre commission.

À la suite de plusieurs années de diminution, les crédits de fonctionnement avaient atteint un niveau relativement faible. Pour 2013, cette tendance est arrêtée et les ressources seront stables. On pourrait souhaiter plus, mais il s’agit d’un premier progrès. Ces crédits permettront de répondre aux besoins essentiels, sans plus. La partie carburant pose une difficulté réelle, leurs missions de service public imposant aux gendarmes de parcourir l’ensemble du territoire national. Ils bénéficient pour ce faire d’une dotation globale exprimée en litres et il faut espérer que ce financement repose sur de bonnes anticipations de prix, faute de quoi l’enveloppe de fonctionnement pourrait se trouver fragilisée.

En 2013, les crédits d’investissement du programme 152 permettront de répondre à des besoins pressants ; travaux urgents dans les casernes, achat de véhicules, modernisation des systèmes d’information et de communication. L’arbitrage pour cette année a été de limiter les crédits d’investissement lourd dans le domaine immobilier et notamment domanial. La baisse est importante, puisque l’enveloppe passe de 289 millions d’euros à environ 165 millions d’euros. Ce montant permettra de parer au plus pressé mais, à l’avenir, il faudra dégager des crédits importants pour faire face aux besoins dans ce domaine.

Ces moyens permettent aux gendarmes d’assurer des missions nombreuses et toujours plus exigeantes. Je retiens tout d’abord l’évolution lente mais profonde de la place du gendarme dans la société. Il est de plus en plus souvent impliqué dans les drames du quotidien tels que les accidents de la route et de la vie ou encore les conflits familiaux. Dans les territoires où les services publics s’affaiblissent, et notamment dans les zones rurales, il est bien souvent le seul interlocuteur immédiatement disponible.

Au titre de ses missions traditionnelles, je relève sa forte mobilisation face à la croissance des cambriolages et notamment face à la délinquance itinérante. Des moyens particuliers sont aujourd’hui mis en place pour lutter contre un certain nombre de réseaux venus notamment de l’Europe de l’Est.

Outre-mer, la gendarmerie déploie des moyens essentiels au maintien de l’ordre et de notre souveraineté, que ce soit à Mayotte avec la lutte contre l’immigration clandestine ou bien sûr en Guyane, avec son investissement exemplaire dans l’opération HARPIE de lutte contre l’orpaillage clandestin.

Elle est également engagée en opérations extérieures. À ce titre, j’ai souhaité me rendre au Kosovo, qui est le deuxième théâtre de déploiement. Environ 70 gendarmes y sont déployés, dont 52 dans le cadre du programme de formation de l’Union européenne EULEX. La taille de notre contingent a régulièrement diminué et ma conclusion est que nous devons maintenant retirer nos gendarmes de ce théâtre. Le coût de déploiement de moyens blindés est trop élevé, les troupes ne sont pas suffisamment nombreuses pour intervenir en toute sécurité et, disons-le, je n’ai pas le sentiment que l’État kosovare soit devenu un partenaire particulièrement solide.

J’ai le sentiment que nos gendarmes sont maintenus artificiellement sur ce théâtre afin d’entretenir une présence française. Cela n’est pas tenable et, surtout, nous invite à constater, une fois de plus, que notre diplomatie politique et économique ne sait pas défendre nos intérêts sur les théâtres où nous envoyons nos militaires. Les ministères ne sont jamais parvenus à résoudre cette question. Peut-être devrions-nous nous en saisir ? D’autres pays savent mettre à profit leur présence militaire pour y promouvoir leurs intérêts économiques ; je pense par exemple à l’Allemagne.

Dans une démarche plus prospective, le constat des difficultés, liées au casernement de la gendarmerie m’a conduit à consacrer un développement spécifique aux questions immobilières en deuxième partie de mon avis budgétaire.

Je me suis efforcé de recenser les principales difficultés, qui sont surtout liées au manque d’investissement dans les casernes domaniales. Les besoins en rénovation sont considérables : il faudrait investir 200 à 300 millions d’euros par an pour remettre le parc à niveau.

Si, en dehors du parc domanial, le casernement est fréquemment en bon état - notamment lorsqu’il a été mis en place par des collectivités locales dans le cadre de financements innovants -, le coût des loyers va croissant, s’élevant de plus de 10 millions d’euros chaque année. Là encore, il nous faudra gérer une pression de plus en plus importante sur les crédits immobiliers.

Le ministère et notamment la direction générale de la gendarmerie nationale mettent en œuvre une série de mesures d’amélioration du parc, telles que l’isolation thermique ou l’installation de panneaux photovoltaïques. Mais cela ne répond pas complètement au fond du problème qui demeure fort simple : le manque de ressources. Dans le contexte particulièrement contraint que nous connaissons, j’ai donc considéré que mon rôle était de proposer des pistes réalistes pour améliorer la situation.

Avant d’investir dans les infrastructures, il nous faut revoir les implantations de la gendarmerie. Il n’est plus possible de travailler dans des casernes particulièrement dégradées. Faute d’investissement des collectivités notamment, les brigades sous-dotées en personnels devront être fermées. Maintenir des brigades à quatre ou cinq gendarmes présente en effet un coût de fonctionnement élevé sans qu’elles puissent assurer un niveau suffisant de service public. Nous devons avoir le courage de fermer certaines casernes.

Parallèlement, il me semble nécessaire de profiter de l’importante mobilisation du Gouvernement en faveur des économies d’énergie pour entreprendre un plan d’amélioration des logements. Cela doit constituer une priorité.

S’agissant là encore des questions géographiques, je relève que l’implantation des pelotons de surveillance et d’intervention de la gendarmerie pose parfois question, lorsque par exemple ils se trouvent à une heure de temps des agglomérations. En outre, une réflexion devra être conduite sur la pertinence du cadre départemental, le découpage administratif ne correspondant plus forcément à la réalité des problèmes de sécurité.

Enfin, notre commission devra suivre de près l’évolution des produits de cessions immobilières de la gendarmerie. La loi sur le logement social, dite loi Duflot, même retardée, prévoit un mécanisme de décote pour diminuer le prix de vente des emprises publiques afin d’aménager des logements sociaux. Dans le cas des gendarmes, cela pourrait signifier la diminution d’une ressource attendue à 120 millions d’euros d’ici à 2014 et pourtant vitale. Les préfets, qui décident de la décote, devront préserver les intérêts de la gendarmerie, car cet abondement est indispensable à la rénovation du parc domanial.

En conclusion, je considère que nous sommes face à un bon projet de budget. C’est pourquoi je vous recommande d’émettre un avis favorable à l’adoption des crédits du programme 152 « Gendarmerie nationale » de la mission « Sécurité » du projet de loi de finances pour 2013.

M. Nicolas Dhuicq. Je tiens à exprimer ici tout mon soutien aux militaires de la gendarmerie, dont l’application et la probité ne sont plus à prouver. J’ai toutefois le sentiment que, du fait de mécanismes qui ne sont pas sans rappeler le temps de la féodalité, tout n’est pas fait au niveau des départements et des régions pour qu’ils disposent de bonnes conditions de logement.

Je crois qu’il faut dépasser les logiques territoriales qui prévalent aujourd’hui. Cela rejoint d’ailleurs un constat fait en son temps par un officier éminent de la gendarmerie aujourd’hui disparu, le colonel Régis Bourçois, auquel je tiens à rendre hommage.

M. le Rapporteur pour avis. Je partage votre avis sur le nécessaire dépassement des logiques territoriales. Je constate l’affaiblissement des crédits d’investissement immobilier, mais il serait prématuré de se lancer dans des travaux d’infrastructures avant que l’on ait réfléchi aux modifications possibles des implantations de la gendarmerie.

M. Alain Marty. Une révision de la répartition des compétences territoriales entre la police et la gendarmerie est-elle actuellement à l’étude ?

M. le Rapporteur pour avis. Il existe aujourd’hui des enclaves placées sous l’autorité de la gendarmerie au sein de zones relevant de la police, l’inverse existant également. Certaines zones de compétence de la gendarmerie sont incluses dans des communautés d’agglomération relevant pour le reste de la police ; il serait utile d’y remédier. De même, dans un département tel que la Creuse, on observe que la zone d’intervention de la police est très réduite : dans ce cas, il serait cohérent que la gendarmerie soit compétente pour l’ensemble du département.

Conformément aux conclusions du Rapporteur pour avis, la Commission émet un avis favorable, à l’unanimité, sur les crédits « Gendarmerie nationale » de la mission « Sécurité ».

*

* *

Mme Patricia Adam, Présidente. Nous poursuivons en entendant M. Jean-Yves Le Déaut, Rapporteur pour avis des crédits du programme « Environnement et prospective de la politique de défense » de la mission « Défense ».

M. Jean-Yves Le Déaut, Rapporteur pour avis. Le programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense », a une place particulière dans la mission « Défense » : avec un peu moins de 2 milliards d’euros, il ne représente que 5 % des crédits, mais il a une importance stratégique parce qu’il finance la préparation de l’avenir. Le projet de loi de finances pour 2013 marque un effort très net en faveur de ces crédits : pour l’ensemble du programme, ils augmentent de 6,7 %. Ce programme finance principalement le renseignement, la recherche militaire, le soutien aux exportations et la diplomatie de défense.

La progression des crédits atteint même 11,7 % pour l’enveloppe consacrée aux recherches que l’on appelle les « études amont », c’est-à-dire les recherches appliquées qui ont pour objet de développer les technologies dont seront issues les armes de demain, à horizon de dix, quinze ou vingt ans. Dans un contexte budgétaire global extrêmement contraint, et dans un budget en croissance « zéro valeur » pour la Défense, il s’agit d’un effort significatif.

Toutes les actions du programme voient leurs dotations augmenter, et même augmenter en volume. Les crédits consacrés au renseignement augmenteront de 3 % : il s’agit essentiellement des dotations de direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD) et de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE). Les fonds dédiés au soutien des exportations et à la diplomatie de défense connaissent, eux, une croissance de plus de 9 %.

Surtout, les crédits de l’action « Prospective de défense », qui financent la recherche militaire, sont en progression de 9,1 %. Je crois que nous pouvons nous féliciter, car ces crédits concourent à la préparation de l’avenir, et leur progression montre que l’État ne la sacrifie pas sur l’autel des difficultés budgétaires.

Conformément à ce que le bureau de la Commission a décidé, j’ai consacré une large part de mes travaux à une analyse moins budgétaire, plus qualitative pourrait-on dire, ciblée sur un aspect des politiques financées par ce programme. J’ai retenu comme thème l’investissement dans la « recherche et technologie » (R&T), et particulièrement dans les études amont. Si j’ai choisi ce thème, ce n’est pas seulement parce que j’ai consacré une partie de ma carrière à la recherche scientifique et que j’ai présidé l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) ; c’est surtout parce qu’il me paraît être au cœur de la logique d’investissement dans la préparation de l’avenir de notre outil de défense. Le problème est simple : si l’on n’investit pas aujourd’hui dans les domaines de R&T critiques, on ne maîtrisera pas les innovations technologiques de demain, et après-demain, nous n’aurons pas d’offre industrielle française ou européenne pour répondre aux besoins de nos armées. Certains diront que cela ne fait pas pour autant des trous capacitaires, que l’on peut toujours se fournir à l’étranger. Mais que l’on ne se leurre pas : tout ne s’achète pas sur étagère, et les choses sont ainsi faites que lorsqu’on dépend d’autres pays pour des équipements critiques, on a toujours tendance à laisser se creuser des retards, voire des lacunes capacitaires : il suffit de penser au dossier des drones pour s’en convaincre.

Partant de là, quel est le constat ? Où en est notre R&T de défense ? C’est un bilan en demi-teinte. En effet, nous n’avons jamais atteint l’objectif de dépenses en études amont, objectif non-écrit mais largement admis, que nous nous étions fixé dans le cadre du précédent Livre blanc et de la loi de programmation militaire, à savoir : 1 milliard d’euros par an. Bon an mal an, on en est plutôt à 700 millions d’euros, avec un redressement bienvenu en 2013. De ce fait, nous n’avons pas pu développer toutes les technologies prometteuses que nous avions identifiées ; nous avons des lacunes technologiques. Mon rapport en énumère certaines, parmi lesquelles je citerai notamment les hélicoptères de transport lourd, les systèmes de communication satellitaire qui nous seraient particulièrement utiles dans des zones comme le Sahel, les moyens de surveillance de l’espace ou les capteurs optroniques. Mais il ne faut pas juger trop sévèrement notre politique de développement des technologies militaires : si nous en sommes restés à l’étiage strictement nécessaire pour animer nos laboratoires de recherche et nos bureaux d’études, au moins, contrairement à d’autres pays, comme le Royaume-Uni ou l’Allemagne, nous n’avons pas sacrifié l’effort public de soutien à la R&T de défense. En Europe, notre pays est encore celui qui investit le plus dans les technologies de défense.

Faut-il pour autant se satisfaire de notre position ? La réponse est non. Bien entendu, je n’ignore pas la nécessité de réaliser des économies budgétaires, et j’ai bien entendu ce que n’a pas manqué de me dire l’état-major des armées : 300 millions d’euros en plus pour la recherche, ce seraient 10 000 hommes en moins. Mais je crois que même à enveloppe constante, on aurait pu éviter certains décrochages technologiques, en investissant de façon plus pertinente. L’efficacité du pilotage administratif des études amont et de la R&T, que ce soit au niveau national ou au plan européen, joue un rôle non négligeable dans l’efficacité de la recherche de défense.

Si je parle du plan européen, c’est parce qu’aujourd’hui, une large part de nos projets de recherche est menée en coopération, soit dans un cadre bilatéral – notamment avec le Royaume-Uni –, soit dans un cadre multilatéral, notamment au sein de l’Agence européenne de défense. Mon impression, pour moi qui suis membre de notre Commission depuis peu de temps, c’est que l’on a beaucoup misé sur la coopération, au point d’en faire parfois une formule miracle, tout à la fois alibi et solution à notre impécuniosité. Or les résultats, c’est le moins que l’on puisse dire, ne sont pas toujours à la hauteur de nos espérances : pour toutes les raisons que nous connaissons bien, qui vont de l’exigence d’un « juste retour » à la multiplicité des spécifications en passant par des décalages calendaires, la coopération engendre trop souvent des surcoûts et des retards. Il y a là un véritable défaut de pilotage.

Mais des défauts de pilotage, il y en a aussi au plan national. Mes travaux m’ont donné le sentiment que dans la gouvernance de notre R&T de défense –et je l’ai dit à mes interlocuteurs –, l’influence de la direction générale de l’armement, la DGA, a tendance à décroître par rapport à celle de l’état-major des armées. C’est un constat partagé par beaucoup d’observateurs. Il explique selon eux que notre effort technologique ait tendance à privilégier ce qu’ils appellent les « effecteurs », pour faire court les armes et les équipements qui délivrent des effets tactiques, plutôt que ce qu’ils appellent les « capteurs », comme les moyens d’observation spatiaux.

Surtout, le cas le plus emblématique d’un pilotage erratique de notre R&T de défense est le cas des drones, et particulièrement des drones d’observation de moyenne altitude et de longue endurance (MALE). Depuis quinze ans, l’État – sans doute mal conseillé, certains anciens hauts responsables ayant même déclaré voir dans les drones « une mode » – a été incapable de reconnaître le caractère critique de ces équipements et, surtout, de se fixer un cap clair et de s’y tenir. Les retards considérables du Harfang, à peine livré et déjà dépassé, l’abandon de l’EuroMALE et du Talarion, les incertitudes qui pèsent sur le développement du drone MALE prévu pour 2020 par les accords de Lancaster House, auquel il semble que beaucoup d’acteurs ne croient plus, etc. : tout cela témoigne d’incroyables vicissitudes dans le pilotage du projet. Et je n’ai pas besoin de vous en rappeler les conséquences : à Uzbin, un drone MALE nous aurait été bien utile.

Résultat : pour combler notre lacune capacitaire, nous n’avons pas d’autre choix que d’acheter un drone MALE sur étagère. Mais là encore, on ne peut pas dire que la gestion du dossier brille par sa cohérence. Sans préjuger de la décision finale du ministre, il ressort de mes auditions que l’on s’oriente vers l’achat du Reaper américain plutôt que du Héron TP israélien francisé par Dassault. Le ministère nous assure que la deuxième offre est plus fiable que la première. Dont acte. Je ne prétends pas me substituer aux experts de la DGA, mais il me semble qu’il reste un vrai problème : le Reaper est doté d’outils d’observation et de liaison satellitaire américains. Ne serait-ce que pour ne pas dépendre de technologies américaines en la matière, il nous faut au minimum franciser ou européaniser la « charge utile » du Reaper. Or cela suppose que les Américains nous donnent accès aux codes source de l’appareil, ce qu’ils ont refusé aux Britanniques ; je ne vois guère de raison de penser qu’ils nous l’accorderaient plus facilement… Pour finir sur une note d’optimisme, je suggère que la France mène sur ce point des négociations communes avec d’autres États européens susceptibles d’acquérir le même matériel – par exemple, le Royaume-Uni et l’Allemagne. Ainsi, dans la négociation avec les États-Unis, le rapport de force pourrait-il être plus favorable à nos intérêts. Et au moins, en cas de succès, aura-t-on limité les pertes en potentiel technologique, et fait progresser l’Europe de la défense. Je pense aussi qu’un tel achat ne doit pas retarder les efforts de développement d’une filière industrielle européenne en la matière.

Partant de ce constat, que faire ? Je conclus mon rapport en formulant certaines recommandations, ou du moins certaines suggestions. Le thème d’étude que j’ai choisi s’inscrivant dans une stratégie de long terme, je pense en effet qu’il doit être mis au cœur des préoccupations des acteurs de la Défense dans le cadre de la rédaction du nouveau Livre blanc et de la prochaine loi de programmation militaire.

Je ne m’attarderai pas longuement, ici, sur les enjeux qui s’attachent au maintien de notre rang technologique en matière de défense, si ce n’est pour souligner simplement qu’il me semble plus important que jamais, compte tenu des évolutions récentes du contexte stratégique. Ce contexte, c’est un contexte de menaces qui sont à la fois de plus en plus diverses dans leurs formes, et de plus en plus rapides à se renouveler. C’est le cas par exemple dans les biotechnologiques, le bioterrorisme devenant une véritable menace. Il en va de même pour la cyberdéfense. Il nous faut des capacités de détection rapide des menaces, avec par exemple des laboratoires de haute sécurité. Ces tendances appellent une adaptation de notre outil de défense qui passe par le développement de technologies de pointe.

Dans ce contexte, il nous serait en effet impossible de conserver notre « autonomie stratégique », qui constitue le fil rouge de notre politique de défense depuis plusieurs décennies, si nous ne maîtrisions pas les technologies militaires critiques. En effet, quelle serait notre autonomie d’appréciation si nous ne possédions pas les moyens les plus sophistiqués d’observation et de renseignement ? Au cours de mes travaux, on m’a donné plusieurs exemples de tentatives d’intoxication de la part de plusieurs de nos alliés, y compris Américains… De même, quelle serait notre autonomie de décision si notre force de dissuasion devait devenir obsolète, du fait que nous ne soyons plus à même d’assurer la pénétration de nos têtes nucléaires et le renouvellement des matériels ? Et quelle autonomie d’action aurions-nous, à l’heure où la société supporte de moins en moins de voir ses soldats payer le prix du sang, si nous ne pouvions pas fonder notre supériorité tactique sur une avance technologique ?

Je tire des travaux entrepris dans le cadre du rapport trois séries de conclusions.

La première, c’est que la gouvernance de notre système de R&T de défense mérite d’être à la fois plus robuste et plus ouverte. Plus robuste, parce que nos choix scientifiques et technologiques de défense doivent être mieux intégrés dans notre démarche stratégique, afin d’éviter les vicissitudes que l’on a connues dans plusieurs dossiers. La R&T ne doit pas être la variable d’ajustement du budget de la défense : ce serait hypothéquer le futur. Ce serait irresponsable. Plus ouverte, parce que je crois que l’on est allé trop loin dans la culture de l’entre-soi et du secret-défense en la matière ; il faut trouver un juste équilibre entre la confidentialité nécessaire, et la transparence efficace. En la matière, il faut aller plus loin dans l’ouverture du système de recherche militaire aux acteurs de la recherche civile, comme les Américains le font. En outre, on a bien mis en place un système de contrôle parlementaire des activités de renseignement, système qui est peut-être imparfait, j’en conviens, mais qui a le mérite d’exister. Rien de tel n’existe pour évaluer des choix pourtant extrêmement structurants pour notre politique de défense. Peut-être, par exemple, une procédure de contrôle parlementaire plus robuste aurait-elle permis d’éviter que l’État ne gère le dossier des drones comme il l’a fait. Ma conviction, en tout cas, est que la transparence n’est pas antinomique avec l’efficacité ; au contraire.

Ma deuxième série de conclusions concerne l’organisation de nos structures de R&T de défense. À mes yeux, le caractère dual de la R&T incite à rechercher des synergies entre le ministère de la défense, ses partenaires institutionnels et les opérateurs civils de recherche, qu’ils soient académiques ou industriels, par exemple dans les domaines de l’optronique, des matériaux nouveaux, ou de l’observation satellitaire. Pour consolider cette infrastructure de R&T de défense, je plaide en faveur d’une politique volontariste visant à constituer un véritable « écosystème de recherche », associant le monde académique, les administrations publiques, les « grands » groupes industriels ainsi que les PME de défense. L’unité mixte de physique constituée entre Thales et le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), dirigée par M. Erick Lansard et au sein de laquelle travaille le professeur Albert Fert, prix Nobel de physique, en est un bon exemple. Les pôles de compétitivité et les instituts de recherche technologique peuvent y contribuer. Ces efforts méritent d’être poursuivis. S’agissant du soutien aux PME de défense, les programmes ASTRID et RAPID ont contribué à améliorer leur situation, mais je crois qu’il est temps que la France se dote d’un véritable Small Business Act à la française – que l’on l’appelle « Small » ou « Smart » Business Act importe d’ailleurs pu, pourvu qu’il sécurise l’accès des PME à une part de la commande publique et comporte des mesures de nature à rééquilibrer le rapport de force dans leurs négociations avec les grands groupes. Au-delà du cas des PME, je relève que les programmes d’investissement d’avenir ont très peu bénéficié à la Défense, qui est pourtant un secteur clé de notre industrie : il serait certainement légitime que le secteur ne soit pas écarté lors de la répartition des fonds encore disponibles. C’est une idée à soumettre à M. Louis Gallois, commissaire général à l’investissement.

Troisième série de conclusions, j’essaie d’esquisser un tableau des domaines de R&T qui paraissent prometteurs, c’est-à-dire susceptibles de recéler les ruptures technologiques de demain. Si vous me le permettez, j’aimerais approfondir cette question dans le cadre de mes travaux de l’an prochain. L’orientation de la recherche militaire est un exercice difficile, car il doit articuler deux impératifs contradictoires : d’une part, couvrir un large champ de domaines, parce qu’en sciences, la découverte n’advient pas toujours là où on l’attendait ; mais d’autre part, savoir investir massivement sur des technologies prometteuses, dans une logique de ciblage. On peut articuler ces deux exigences en maximisant le potentiel dual des avancées technologiques civiles, et en ciblant l’effort strictement militaire sur certains champs. Parmi ces champs, et sans prétendre à l’exhaustivité, j’en relève plusieurs : les nanotechnologies et nanosciences, les lasers, les sciences cognitives et les systèmes de traitement de l’information, la robotique et l’automatisation des fonctions, les nouvelles sources d’énergie, les techniques de propulsion, les nouveaux matériaux ou encore les nouvelles technologies de détection active. Mais si je devais citer ici un seul champ technologique critique, je vous dirais que selon moi, le prochain Livre blanc doit être celui de qui nous fera passer de la cybersécurité à la cyberdéfense. Il s’agit d’un domaine dans lequel nous n’avons pas d’alliés, mais tout au plus des partenaires : la concurrence est féroce, et l’information vaut cher. D’autres pays investissent déjà massivement dans ce champ ; il est urgent de rattraper notre retard. Là plus encore que dans les autres domaines, il est urgent de décloisonner la recherche civile et la recherche militaire.

J’émets sur les crédits du projet de loi de finances pour 2013 relatifs à l’environnement et à la prospective de notre politique de défense un avis favorable.

M. Nicolas Dhuicq. En quelque sorte les Américains mettent en œuvre le communisme de guerre, en entretenant une porosité permanente entre les domaines civil et militaire. Notre effort de recherche en faveur des nanotechnologies est-il suffisant pour les besoins de la défense ?

M. le Rapporteur pour avis. Nous devons promouvoir les liens entre recherches civile et militaire, tout en intégrant la problématique de la confidentialité des données. Dans le domaine des nanotechnologies, notre pays est particulièrement bien équipé. J’ai visité les installations de Thales et ai relevé leurs capacités remarquables : ils peuvent par exemple suivre les mouvements d’une personne, y compris dans une foule.

M. Philippe Folliot. Depuis la fin des essais nucléaires, la crédibilité de notre dissuasion repose sur la simulation. L’efficacité de ce procédé fait débat. Pourriez-vous nous donner votre sentiment sur ce point ?

M. le Rapporteur pour avis. Les crédits de recherche alloués aux études nucléaires, qui reposent entre autres sur la simulation, sont de 190 millions d’euros sur l’enveloppe de 750 millions d’euros consacrée aux études amont. Ces montants ont vocation à croître.

La France est la dernière à avoir conduit des essais nucléaires. Nos capacités de simulation se fondent les résultats tirés d’essais encore proches. Si l’on ajoute à cette donnée la qualité de nos installations, je pense par exemple au laser mégajoule, nous disposons d’une capacité de simulation de qualité supérieure à celle des États-Unis, dont les derniers essais sont plus éloignés dans le temps. Techniquement, nous disposons d’armes dites robustes, en ce sens qu’elles sont construites avec des marges d’erreur supérieures à celles des Américains. On pourrait même voir leurs déclarations sur la fin des armes atomiques comme révélatrices du fait qu’ils sont conscients des limites technologiques de leur arsenal, voire comme une tentative pour déstabiliser notre système.

C’est en tenant compte de ces éléments qu’il faut aborder la question de la fiabilité de la simulation. Rien n’indique qu’elle le sera encore dans 50 ans, mais, si cela ne devait ne pas être le cas, la difficulté concernerait toutes les puissances dotées.

M. Eduardo Rihan Cypel. Vous avez souligné à raison l’importance de la cyber sécurité pour l’avenir. Dans quelle mesure existe-t-il des synergies entre civil et militaire dans ce domaine ? Notre effort de recherche est-il suffisamment dual ?

M. le Rapporteur pour avis. Nous disposons d’un Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA), qui est de très bon niveau. En parallèle, la DGA va construire un laboratoire de haute sécurité. Les rapports entre civils et militaires sont bons, mais je ne dispose que de peu d’informations sur ce point et compte donc m’y intéresser davantage au cours des prochains mois. Cependant, j’observe que le Royaume-Uni investit cinq fois plus que nous dans ce domaine.

M. Alain Chrétien. Comment expliquer la diminution des crédits affectés au soutien à l’exportation, et particulier celle baisse d’un tiers des effectifs ?

M. le Rapporteur pour avis. Cette baisse n’est qu’apparente. Il s’agit en effet d’un simple transfert de crédits de personnels entre deux lignes budgétaires du programme 144 qui alimentent le même budget opérationnel de programme, le BOP de la DGA. Je précise au passage que les crédits de personnel de ce BOP progresseront d’une dizaine de millions d’euros en 2013.

M. Nicolas Bays. La France envisage l’acquisition de drones MALE Reaper sur étagère. Si les États-Unis ont refusé leur européanisation aux Britanniques, la France pourra-t-elle l’obtenir ? Je rappelle qu’il existe une solution alternative à travers la francisation du Heron TP, réalisable en quelques mois.

M. Jean-David Ciot. Si nous nous engageons dans un achat de drones sur étagère, disposerons-nous de moyens suffisants pour financer la R&D sur les drones de demain ?

M. le Rapporteur pour avis. S’agissant du système israélien, nous avons des échos selon lesquelles l’offre Heron TP serait loin de pouvoir aboutir. Pour moi, acheter le Reaper sans le franciser ne représenterait pas une solution d’avenir.

M. Nicolas Bays. Les exigences posées envers Dassault-Israël aerospace industries (IAI) semblent plus fortes que pour le projet américain.

M. le Rapporteur pour avis. Les discussions sont en cours. Ce dont nous sommes sûrs, c’est de la très grande utilité de cet outil.

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Conformément aux conclusions du Rapporteur pour avis, la Commission émet un avis favorable sur les crédits du programme « Environnement et prospective de la politique de défense » de la mission « Défense ».

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Mme Patricia Adam, Présidente. Nous allons maintenant entendre M. Serge Grouard, Rapporteur pour avis « Préparation et emploi des forces : Air » de la mission « Défense ».

M. Serge Grouard, Rapporteur pour avis. Je voudrais, en premier lieu, vous présenter quelques éléments budgétaires synthétiques. Pour 2013, les ressources globales de la mission « Défense » (hors pensions) s’élèveront à 31,4 milliards d’euros, soit approximativement le même montant que celui fixé en loi de finances initiale (LFI) pour 2012, avec il est vrai, 1,27 milliard d’euros de recettes exceptionnelles non acquises. Le périmètre budgétaire de l’armée de l’air englobe la totalité de l’action 4 « Préparation des forces aériennes » pour le programme 178  « Préparation emploi des forces » et l’action 11/sous-action 95 « Soutien-expérimentation Air » pour le programme 146 « Équipement des forces », sachant que l’analyse budgétaire des crédits affectés à ce dernier programme est plus spécifiquement traitée dans l’avis que notre collègue Jean-Jacques Bridey lui a dédié.

Les crédits inscrits dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2013 pour l’action 4 du programme 178 s’élèveront globalement à 4,76 milliards d’euros en autorisations d’engagement (AE), soit une hausse de 5,7 % par rapport aux AE ouverts en loi de finances initiale (LFI) pour 2012 et à 4,36 milliards d’euros en crédits de paiement, soit une baisse de 0,8 % par rapport aux crédits de paiement (CP) ouverts en LFI pour 2012.

S’agissant de cette diminution de 0,8 % des crédits de paiement, il ne faudra pas renouveler cet exercice si on veut éviter de reconstituer la « bosse ». Au regard de la dernière loi de programmation militaire (LPM) 2009-2014, je note que si les premières années ont été à peu près conformes aux prévisions, un décrochage a ensuite été enregistré en 2012, avec un réel risque d’accentuation pour 2013.

En second lieu, je voudrais attirer l’attention sur deux sujets particulièrement préoccupants, les ressources humaines et les programmes d’équipement, sur lesquels je me sens un véritable devoir d’alerte.

S’agissant des ressources humaines, l’armée de l’air a connu ces dernières années une baisse significative de ses effectifs. La réalisation du format fixé à 50 000 effectifs militaires et civils à l’horizon 2015 nécessite un effort très important de diminution des effectifs, avec une cible de réduction de 15 900 personnels militaires et civils sur la période s’étalant de 2008 à 2015. Cette déflation considérable des effectifs a naturellement déjà eu des conséquences en termes de fermeture de bases aériennes. Ainsi, entre 2009 et 2012, 8 bases ont été fermées en métropole et 4 outre-mer.

J’appelle l’attention sur le fait qu’il ne sera plus possible de baisser les effectifs dans le futur sans fermer de nouvelles bases et risquer ainsi de toucher au socle des compétences extrêmement diversifiées de l’armée de l’air. Nous sommes en effet aujourd’hui à l’étiage sur certaines professions très techniques. S’agissant de la formation, je note en outre qu’il faut aujourd’hui environ quatre ans pour former un pilote de chasse, c’est-à-dire une durée en définitive plus longue que celle nécessaire à la construction d’un avion. Cela pourrait devenir un point bloquant si nous devions amorcer rapidement une remontée en puissance, en cas de conflit majeur par exemple. Le nombre de nos pilotes est en fin de compte limité et nous devons constamment avoir en mémoire l’hommage que Churchill rendait à son armée de l’air : « jamais un aussi grand nombre de personnes n’auront dû leur salut à un si petit nombre ».

La LPM a fixé des objectifs d’heures d’entraînement pour les pilotes des différentes flottes. Alors que ceux-ci étaient par exemple de 180 heures par an pour les pilotes de chasse, nous en sommes aujourd’hui à une prévision de seulement 160 heures pour 2013 et la situation est encore pire pour les pilotes de transport, avec une prévision de 260 heures en 2013 pour un objectif prévu de 400 heures.

Je voudrais maintenant passer en revue un certain nombre de programmes d’équipements importants pour l’armée de l’air.

Pour ce qui concerne le transport tactique et stratégique, il faut se féliciter que le programme A400M, avion de transport quadrimoteurs, soit aujourd’hui en phase de développement et de production. Les 3 premiers, sur une cible finale de 50 au total, seront ainsi livrés à l’armée de l’air en 2013, mais cela n’empêchera pas qu’il subsistera toujours un risque d’insuffisance capacitaire en la matière.

Il est également bon que 2013 voit également le lancement des MRTT (Multi-Role Transport Tanker – avion multirôle de ravitaillement en vol et de transport), qui sont essentiels à la fois en termes de capacité de dissuasion et de projection. Il n’en demeure pas moins que les premiers avions ne seront livrés qu’en 2017-2018 et que nous sommes aujourd’hui en limite capacitaire basse sur les KC135.

Le renseignement demeure un besoin majeur pour l’armée de l’air, qui ne se limite pas seulement à la question des drones. À ce titre, la rénovation des avions de recueil de renseignement électromagnétique C160 Gabriel est extrêmement importante.

Je voudrais enfin insister sur un point trop peu connu qui concerne la protection et la surveillance aérienne du territoire. Notre réseau radar s’achemine lentement vers une obsolescence et il est désormais impératif que nous développions de nouveaux moyens de protection.

En troisième lieu, j’ai choisi d’axer plus particulièrement ma réflexion sur le bilan de l’opération Harmattan en Libye pour l’armée de l’air, le « Retex » (retour d’expérience) comme disent les militaires. Après avoir procédé à des auditions extrêmement enrichissantes, je suis en mesure d’établir deux constats. L’opération Harmattan a été l’occasion pour l’armée de l’air française d’user de l’ensemble de ses savoir-faire opérationnels et de ses capacités conventionnelles dans des conditions de réussite qui méritent l’admiration. Parallèlement, le réel succès de l’opération Harmattan ne doit pas nous démobiliser mais nous inciter au contraire à aller de l’avant, en regardant avec courage les défis qui nous attendent pour asseoir la crédibilité de notre force aérienne.

Concernant les points positifs, cette intervention a montré que la France est un des rares pays à disposer d’une capacité de C2 (commandement et contrôle) autonome. Nous avons également fait la preuve de notre capacité opérationnelle à entrer en premier sur un théâtre d’opérations, ce qui est un réel gage de crédibilité pour nos forces aériennes. De réelles prouesses ont par ailleurs été enregistrées en termes de logistique, tout au long de l’opération pour acheminer sur les bases les avions de combat, le soutien ainsi que les personnels.

Sans mettre pour autant en cause l’armée de l’air, ce retour d’expérience met aussi en évidence des pistes d’amélioration possibles.

Ainsi, on constate par exemple que près de 70 % des missions de ravitaillement en vol des avions de la coalition engagés dans l’intervention libyenne ont été opérées par les États-Unis, la France ne réalisant qu’environ 10 % de ces missions, ce qui demeure relativement faible.

Il faut également mentionner l’insuffisance de certains moyens de renseignements en profondeur. Ainsi, les 3 drones Harfang français présents sur le théâtre Libyen n’ont par exemple assuré que 24 missions de fin août à octobre 2011.

L’opération Harmattan a également montré que l’essentiel des missions de SEAD (Suppression of Ennemy Air Défense – suppression des défenses sol-air) a été réalisé par les États-Unis. La Libye disposait en définitive de peu de moyens de défenses antiaériennes, si bien que, face à d’autres adversaires potentiels mieux dotés, il n’est pas totalement acquis que nous aurions pu entrer en premier sur le théâtre d’opérations.

Si l’organisation de l’intervention des forces aériennes a été globalement très bonne, il reste évidemment quelques points perfectibles. On a ainsi enregistré une extrême centralisation française des autorisations de tirs. Ce processus a conduit à un effet d’engorgement et a donné lieu à des délais d’attente des autorisations incompatibles avec l’évolution de la situation sur le terrain, ce qui fait que la France n’a pas toujours pu peser, dans les décisions d’engagement des objectifs issus du processus de ciblage de la coalition, à la hauteur des moyens considérables qu’elle a engagés sur le terrain. Il faut certes se féliciter, au regard des moyens considérables engagés, qu’il n’y ait eu ni pertes, ni dégâts collatéraux, mais on pourrait encore certainement simplifier le commandement et la gestion des ordres de tirs.

À l’issue de mon travail, je peux dire que nous pouvons être légitimement fiers de notre armée de l’air, de ces gens remarquables qui œuvrent au service des armes de la France. Il est de notre responsabilité politique de leur donner les moyens de poursuivre leur mission. Si nous voulons que la France conserve son rang, nous allons indéniablement être confrontés à des choix cruciaux pour éviter un déclassement stratégique et une rupture capacitaire. Au cours de son histoire militaire, la France a souvent fait des erreurs majeures : en 1870, notre armée était inadaptée à un conflit terrestre ; en 1914, on est passés tout près de la catastrophe, et on connaît l’issue dramatique du conflit en 1940. Nous aurons certainement des choix douloureux à faire à l’avenir pour éviter toute répétition du passé. J’ai considéré la situation de l’armée de l’air avec objectivité, en prenant en compte la situation budgétaire, pour souligner certes les points positifs mais également les besoins non satisfaits. Le ministre nous a présenté un « budget d’attente », je vous propose en conséquence un vote d’abstention sur ce budget qui présente encore trop de lacunes.

M. Philippe Vitel. Je voudrais vous interroger sur le nombre de pilotes car on entend parfois dire que nous aurions plus d’avions que de pilotes : est-ce qu’il existe réellement une pénurie au niveau du recrutement ?

M. le Rapporteur pour avis. Nous n’avons pas, aujourd’hui, moins de pilotes que d’avions en situation de disponibilité opérationnelle. Jusqu’à présent, nous avons été confrontés à des missions longues et de faible intensité ou à des missions courtes mais de forte intensité, comme l’opération Harmattan par exemple, sans que nous ayons à déplorer de points bloquants pour notre capacité d’engagement.

Si nous étions confrontés à une opération de forte intensité sur un temps long, nous devrions certainement gérer différemment les ressources humaines dans leur ensemble pour être capables de soutenir l’effort dans la durée.

M. Philippe Vitel. Pour l’opération Harmattan, l’usage du porte-avions a permis de réduire les temps de vol de l’aéronautique navale. Le recrutement est lié aux moyens financiers qui sont alloués à la formation des pilotes : y a-t-il des motifs de s’inquiéter sur ce sujet ?

M. le Rapporteur pour avis. La formation de nos pilotes est aujourd’hui excellente et ceux-ci disposent d’une capacité opérationnelle, sur des équipements de haute technologie comme le Rafale ou l’A400M. Mais il faut demeurer attentif. Il est important que le triptyque recrutement-formation-entraînement soit cohérent.

Mme la Présidente. Le coût de l’entraînement est lié au coût de l’heure de vol. En volant sur des équipements moins onéreux, on peut faire baisser significativement le coût de la formation et de l’entraînement. Grâce à la réorganisation du centre de Dax, le coût des heures de vol sur hélicoptères a été justement réduit en volant sur des équipements moins onéreux. Je pense donc qu’il y a certainement d’autres gains de productivité de ce type à faire. Comme cela est-il appliqué dans l’armée de l’air ?

M. le Rapporteur pour avis. Je ne dispose pas de beaucoup d’éléments sur ce sujet. Il est important de répondre au mieux à la question des heures d’entraînement, sans pour autant nous exposer au risque de nous retrouver avec une armée de l’air à deux vitesses. C’est pourquoi il est indispensable selon moi d’engager la rénovation des Mirages 2000-D. Les heures d’entraînement actuellement réalisées, que je rappelle dans le rapport, sont toutes inférieures aux seuils fixés par la loi de programmation militaire, sauf pour les pilotes d’hélicoptères.

M. Nicolas Dhuicq. Il y a quelques années, la flotte de F15-C avait été bloquée au sol à cause de problèmes structurels communs à tous ces aéronefs. Je me réjouis donc que la France dispose de deux flottes d’avions bien distincts. Mais je m’inquiète aussi du report de la rénovation de nos Mirage 2000-D car cela remet en cause notre capacité future à disposer de deux types d’avions.

Depuis la disparition du Martel, nous ne disposons plus de système de défense anti-aérien sur notre territoire, ce que je regrette. Notre armée ressemble un peu à celle du Second Empire : elle a de bons équipements mais elle est mal organisée.

Je voterai donc contre ce budget.

M. le Rapporteur pour avis. Je partage votre analyse sur la nécessité de rénover au plus vite nos Mirage 2000-D pour qu’ils puissent rester en service après 2020.

M. Christophe Guilloteau. Je me réjouis que vous ayez analysé l’opération Harmattan et le rôle important qu’a su y jouer la France. Ma question porte sur les avions A400M : connaissez-vous le calendrier des livraisons ?

M. le Rapporteur pour avis. Le premier sera livré en mai-juin 2012, le deuxième à la rentrée, le troisième à la fin de l’année. Un quatrième sera livré à la Turquie en cours d’année.

M. Joaquim Pueyo. Je voudrais faire observer que ce budget n’est pas un budget de rupture et que, malgré les contraintes budgétaires que nous connaissons, plusieurs programmes d’équipement sont lancés.

Je voudrais savoir si les travaux prévus sur la base aérienne d’Orléans ont été entrepris pour préparer l’arrivée des A400M.

M. le Rapporteur pour avis. Les travaux sont effectivement en cours : la partie logistique est terminée et ce qui concerne la formation est en voie d’achèvement. Tout sera prêt lorsque les avions seront livrés.

M. Alain Marty. Vous avez souligné la qualité des pilotes de l’armée de l’air qui sont intervenus au cours de l’opération Harmattan. Je voudrais que l’on n’oublie pas de saluer les pilotes d’hélicoptère de l’armée de terre qui ont accompli 70 % des tirs vers le sol !

M. le Rapporteur pour avis. Si j’ai concentré mon analyse sur le rôle de l’armée de l’air dans cette opération, je n’oublie pas celui joué par l’armée de terre et la marine. C’est bien entendu l’ensemble de nos forces qu’il faut saluer.

M. Nicolas Bays. Je voudrais savoir si nous connaissons l’impact qu’aurait la vente de nos Rafale à l’Inde sur leur chaîne de production : est-ce que l’on serait obligé de revoir à la baisse la livraison annuelle de 11 Rafales à l’armée française ?

Vous avez exprimé votre inquiétude au sujet du recrutement des pilotes. Est-ce que vous connaissez l’impact de la révision générale des politiques publiques (RGPP) sur les autres corps de métier de l’armée de l’air, à commencer par celui des mécaniciens, dont le rôle est tout aussi indispensable ?

M. le Rapporteur pour avis. Nous souhaitons évidemment tous que ce marché avec l’Inde se conclue. Il est probable que cela changera effectivement la donne pour l’industriel. Mais le besoin opérationnel de l’armée de l’air restera le même. Celle-ci dispose d’un calendrier très précis du retrait de ses appareils, lié à la montée en puissance des livraisons de Rafales. Si ces livraisons étaient remises en cause, cela obligerait à maintenir en service des avions dont le retrait est prévu et conduirait donc à prévoir leur rénovation. Mais aujourd’hui, je ne crois pas qu’un tel plan existe.

Concernant la préservation des métiers, l’effort global qui est demandé à l’armée de l’air ne peut pas être réparti de manière homothétique sur tous les corps de métiers. Lorsque nous arrivons, comme c’est le cas aujourd’hui, à l’étiage, la question du maintien de certains savoir-faire se pose effectivement.

Mme la Présidente. La question du succès des Rafale à l’exportation a été soulevée lors de la rédaction du Livre blanc de 2008 et je pense qu’une réponse précise, avec des simulations en termes d’impact sur la chaîne de production, y a été apportée. Il faudrait s’y référer.

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Après avoir entendu les conclusions du Rapporteur pour avis préconisant l’abstention, la Commission émet un avis favorable sur les crédits relatifs à « Préparation et emploi des forces – Air » de la mission « Défense ».

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Information relative à la Commission

La commission a nommé les membres de la mission d’information sur le retrait d’Afghanistan :

– MM. Philippe Meunier et Philippe Nauche, Rapporteurs ;

– MM. Nicolas Bays, Jean-Jacques Candelier, Philippe Folliot, Yves Foulon, Christophe Guilloteau, Mme Marie Récalde et M. Jean-Michel Villaumé, membres de cette mission d’information.

La séance est levée à dix-huit heures trente.

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Membres présents ou excusés

Présents. – Mme Patricia Adam, M. Olivier Audibert Troin, M. Jean-Pierre Barbier, M. Nicolas Bays, M. Daniel Boisserie, M. Jean-Jacques Bridey, M. Alain Chrétien, M. Jean-David Ciot, M. Nicolas Dhuicq, Mme Marianne Dubois, M. Philippe Folliot, M. Jean-Pierre Fougerat, Mme Geneviève Gosselin, M. Serge Grouard, M. Christophe Guilloteau, M. Francis Hillmeyer, Mme Danièle Hoffman-Rispal, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Christophe Léonard, M. Jean-Pierre Maggi, M. Alain Marty, M. Philippe Meunier, M. Philippe Nauche, Mme Sylvie Pichot, Mme Émilienne Poumirol, M. Joaquim Pueyo, M. Eduardo Rihan Cypel, M. Jean-Michel Villaumé, M. Philippe Vitel

Excusés. – M. Ibrahim Aboubacar, M. Claude Bartolone, M. Philippe Briand, M. Jean-Jacques Candelier, Mme Catherine Coutelle, M. Richard Ferrand, M. Éric Jalton, M. Bruno Le Roux, Mme Daphna Poznanski-Benhamou, M. François de Rugy