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Commission de la défense nationale et des forces armées

Mardi 25 juin 2013

Séance de 17 heures 15

Compte rendu n° 80

Présidence de Mme Patricia Adam, présidente

— Examen de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, relative à l’instauration du 27 mai comme journée nationale de la Résistance (n° 849) (Mme Émilienne Poumirol, rapporteure)

La séance est ouverte à dix-sept heures quinze.

La commission examine, sur le rapport de Mme Émilienne Poumirol, la proposition de loi relative à l’instauration du 27 mai comme journée nationale de la Résistance (n° 849).

Mme la présidente Patricia Adam. Mes chers collègues, je laisse tout de suite la parole à notre collègue Émilienne Poumirol pour nous présenter son rapport sur la proposition de loi relative à l’instauration du 27 mai comme journée nationale de la Résistance, dont l’examen en séance publique est prévu le 9 juillet.

Mme Émilienne Poumirol, rapporteure. Madame la présidente, mes chers collègues, je suis très heureuse de vous présenter aujourd’hui cette proposition de loi visant à instituer une journée nationale de la Résistance. Il s’agit d’une initiative de notre collègue sénateur de Haute-Garonne, Jean-Jacques Mirassou, qui a été adoptée par le Sénat, le 28 mars dernier, dans un climat de très grand consensus, par 346 voix contre 2. Elle relaie une demande ancienne puisque Philippe Seguin avait déjà déposé un texte en ce sens en 1979, repris depuis par de nombreuses propositions de loi, amendements et questions écrites.

En cette année de célébration du soixante-dixième anniversaire de la création du Conseil national de la Résistance, le texte propose de fixer au 27 mai, date de sa première réunion, la journée nationale de la Résistance. C’est, en effet, ce même jour de l’année 1943 que, pour la première fois, se sont réunis, rue du Four, à Paris, sous la présidence de Jean Moulin, les représentants des huit plus importants mouvements de la résistance intérieure, des six grandes tendances politiques non collaborationnistes et de deux syndicats ouvriers. Lors de cette réunion, le Conseil national de la Résistance adopta à l’unanimité une motion répudiant « la dictature de Vichy, ses hommes, ses symboles, ses prolongements » et réclamant un gouvernement provisoire qui « soit confié au général de Gaulle ». C’est ainsi que la résistance intérieure et la résistance extérieure s’unirent pour la première fois.

Grâce au 27 mai, la France put devenir une nation alliée et obtenir une chaise à la table des vainqueurs, siège qu’elle occupe encore aujourd’hui au Conseil de sécurité de l’ONU. Rester dans le jeu des nations, éviter, à la libération, l’administration militaire alliée que projetait Roosevelt, tel était aussi l’enjeu de cette union.

Selon les mots de Jean Moulin, le 27 mai constitue « la première réunion d’une assemblée représentative de la France résistante, la première également depuis la trahison de l’Assemblée nationale, le 10 juillet 1940 ». Bien sûr, le CNR n’était pas monochrome, il réunissait des tendances de gauche et de droite, et sa mise en place a demandé de très longs mois de négociation, mais toutes ces tendances ont su s’accorder sur l’urgence qu’il y avait à faire l’union sous peine de perdre l’essentiel. Pour le général de Gaulle, le but premier de ce Conseil était de maintenir l’unité de la Résistance. Cette unification a évité à la France les déchirements trop souvent observés au lendemain de la guerre, en Grèce comme en Yougoslavie, l’obstination de chaque vainqueur ne permettant pas de construire un projet pour tous et conduisant à des guerres civiles terribles.

La réunion de la rue du Four préparait la suite : le fameux programme du Conseil national de la Résistance, adopté en mars 1944 à l’unanimité. Jetant les bases philosophiques et traçant les lignes politiques pour la reconstruction, il élaborait un modèle de société différent du précédent, qui avait échoué, et de celui contre lequel la Résistance se battait. « Au cours de cette nuit, sous l’occupation, des hommes réfléchissaient à ce qu’allait être le jour d’après », a résumé le chef de l’État, lors de son allocution, le 27 mai dernier, au lycée Buffon à Paris. L’œuvre du CNR tient donc aussi très largement au programme d’action qu’il établit et aux grandes réformes d’après-guerre qu’il imagine. Il n’est pas question, comme en 1918, de « retour à la normale », mais bien d’instaurer un « ordre social plus juste » assurant la prééminence des droits humains : droit à l’emploi, à la liberté syndicale, à la sécurité sociale, à la retraite, égalité d’accès à l’enseignement et à la culture pour tous. Ces éléments sont, aujourd’hui encore, au sommet de notre ordonnancement juridique, auquel chacun d’entre nous, et a fortiori nous, les législateurs, doit se conformer. Ces principes font partie du bloc de constitutionnalité défini par le Conseil constitutionnel, qui a une valeur supérieure à la loi.

C’est à ces deux messages forts de la Résistance, l’union pour le salut et l’affirmation de la dimension fraternelle et égalitaire de notre république, que cette proposition de loi veut rendre hommage.

Cette loi ne participe pas à l’inflation commémorative de ces dernières années constatée par le rapport Kaspi et liée à l’émergence d’un certain « clientélisme » ou « communautarisme » mémoriel. Elle prétend, au contraire, unifier la mémoire de la Résistance en mettant en place des pratiques commémoratives communes, à l’image de celles liées au souvenir de la Grande Guerre. Elle n’est pas non plus une loi mémorielle, qui viserait à faire dire à l’Histoire ce qu’elle n’est pas, à imposer un prisme. Cette proposition de loi ne crée pas d’interprétation, elle ne dit pas l’Histoire ; elle est tout simplement une loi du souvenir, une loi pour ne pas oublier.

Plusieurs rendez-vous du calendrier commémoratif sont aujourd’hui liés au souvenir de la Seconde Guerre mondiale ou de la Résistance mais aucun ne permet d’en restituer toute la signification. La journée nationale du souvenir des victimes et héros de la déportation, la journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l’État français, et le 8 mai ne concernent ainsi la Résistance que de façon incidente. L’appel du 18 juin constitue incontestablement l’acte fondateur de la Résistance, mais il symbolise avant tout la naissance de la France libre, c’est-à-dire de la résistance extérieure, puisqu’il constituait un appel aux forces combattantes à rallier l’Angleterre et non pas à préparer le retour d’un gouvernement légitime. Quant à la cérémonie d’hommage à Jean Moulin, chaque 17 juin au Panthéon, elle ne rencontre qu’un écho limité auprès du grand public.

À côté de ces commémorations nationales, la Fondation de la Résistance participe, chaque 27 mai depuis 2005, au ravivage de la flamme du soldat inconnu sous l’Arc de Triomphe, et dépose une gerbe au pied du monument à Jean Moulin, au jardin des Champs Élysées. En cette année anniversaire, le Président Hollande a prononcé un discours devant des lycéens, le ministre de la Défense et le ministre en charge des anciens combattants déposant, pour leur part, une gerbe devant l’immeuble de la rue du Four. Déjà, le 15 mars 1994, le Président Mitterrand, avait prononcé un discours sur l’importance historique et l’actualité du programme du CNR. Afin que l’hommage rendu à la Résistance ne soit pas soumis aux aléas des dates anniversaires ou des circonstances politiques, il importe d’inscrire le 27 mai, journée ni fériée ni chômée, dans la loi.

N’étant pas une loi mémorielle, le présent texte ne prétend pas graver dans le marbre la nature de cet hommage, laissant, au contraire, une grande liberté dans l’organisation de cette journée. On peut penser qu’elle ne prendra pas la forme d’une nouvelle cérémonie militaire avec dépôt de gerbe au pied de l’Arc de Triomphe, à l’image des cérémonies du 11 novembre ou du 14 juillet. Il appartiendra au Gouvernement de définir chaque année la façon dont il conçoit cette journée. Les lieux de mémoire ne manquent pas. Alors que beaucoup regrettent une certaine désaffection du public pour les commémorations, le choix original du Président Hollande d’échanger cette année avec des lycéens est peut-être un exemple à suivre.

Plus que l’organisation d’une cérémonie nationale, cette proposition de loi vise à associer les établissements scolaires au souvenir de la Résistance. Elle a donc une valeur essentiellement pédagogique. La Résistance est abordée à trois reprises dans les programmes scolaires : en troisième, en première et en terminale. Il ne s’agit donc pas d’ajouter un nouveau chapitre aux programmes mais plutôt d’inviter les enseignants de ces classes à se servir de cette journée pour évoquer avec leurs élèves la Résistance et ses valeurs. À l’heure où les grands témoins de cette période se font de plus en plus rares, il est important de conserver, dans les établissements scolaires, une initiative forte consacrée à la Résistance. Il n’existe, en effet, pas de relais social de cette mémoire, dans le sens où il n’existe pas de « communauté » résistante, d’enfants ou de petits-enfants de résistants. Les auditions ont, de plus, mis l’accent sur le fait que cette partie de l’histoire faisait l’objet d’un rétrécissement de plus en plus fort dans les manuels scolaires du fait des ajouts de l’histoire récente. Seule la création d’une journée nationale est donc à même de perpétuer cette mémoire.

Il reviendra aux enseignants de choisir les voies qu’ils jugent les plus adaptées à la transmission, en organisant des visites de lieux de mémoire ou de musées, en montant des pièces de théâtre, en projetant des films ou encore en publiant un journal. Pour cela, ils recevront le soutien du ministère de la Défense et des différentes associations, à l’image de la Fondation de la Résistance qui organise chaque année le concours national de la Résistance et de la déportation, lequel connaît un grand succès puisque près de 40 000 élèves de troisième y participent chaque année.

Le 27 mai dernier, le Président Hollande avait rappelé : « Il est des moments, dans notre histoire, où nous devons nous rassembler sur ce qui est l’essentiel, sur ce qui fait que nous sommes une Nation, que nous avons des valeurs – c’est ce qu’a fait le Conseil national de la Résistance ». Ce message d’unité, de rassemblement autour de valeurs partagées sera entendu, je l’espère, par la majorité d’entre vous. Je pense, en effet, comme l’a bien résumé le président Bartolone en séance publique, le 28 mai dernier, qu’il est du devoir des élus de la République, de notre devoir, de « faire vivre l’héritage de la Résistance et son idéal de démocratie économique, sociale et culturelle ».

En conclusion, madame la présidente, mes chers collègues, je vous demande d’adopter cette proposition de loi.

M. Daniel Boisserie. Voilà une très bonne initiative alors que très peu de scolaires assistent aux commémorations, et pratiquement aucun collégien et lycéen. Ne pourrait-on pas prévoir une disposition pour que les établissements scolaires soient tenus de faire assister au moins une classe à ces moments de mémoire ?

Mme la rapporteure. Au cours des auditions que j’ai menées, j’ai beaucoup insisté sur l’aspect pédagogique de cette loi, essentiel en l’absence d’une communauté résistante porteuse du souvenir.

La rédaction initiale de la proposition de loi était plus prescriptive à l’égard des enseignants que le texte finalement adopté par le Sénat. Compte tenu de l’expérience mitigée de la lecture aux écoliers de la lettre de Guy Môquet, l’esprit du texte est de laisser aux enseignants l’initiative des formes que ce travail mémoriel pourrait prendre. Puisqu’il n’y aura pas forcément, de la part du Gouvernement, ni cérémonie officielle ni commémoration, ni dépôt de gerbe sous l’Arc de Triomphe, on ne demandera pas aux adolescents de se rendre devant un monument aux morts. En revanche, pour qu’ils puissent vraiment s’impliquer, cette journée du 27 mai devra être consacrée en partie au souvenir de la Résistance, sous quelque forme que ce soit. Un film, un journal, une pièce de théâtre sont des moyens beaucoup plus actifs et dynamiques et permettraient une réelle appropriation par les enfants.

M. Damien Meslot. Je suis favorable à cette proposition de loi puisque les derniers survivants de cette période disparaissent peu à peu : ceux qui l’ont vécue ne pouvant plus la raconter, il ne nous reste plus que l’Histoire.

Compte tenu du nombre de commémorations déjà très important, comment inscrire cette date sans en faire une journée de plus et en lui donnant toute sa signification ? Face à la désaffection grandissante du public pour les commémorations, pourquoi ne pas recourir à des techniques modernes, tels qu’internet ou le cinéma ? Celles auxquelles fait appel l’Historial Charles de Gaulle à l’Hôtel national des Invalides ont permis de restaurer son attractivité. C’est également le cas d’autres lieux.

Je trouve positif d’expliquer ce qu’était le Conseil national de la Résistance, de rappeler comment, dans la France occupée, des gens de toute confession et de toute origine se sont retrouvés pour permettre à notre pays de siéger à la table des vainqueurs et de ne pas se retrouver sous administration américaine.

Cette loi, il faudra la faire vivre. À chacun – Gouvernement, inspecteurs d’académie, professeurs, élus locaux – de participer et de mettre le plus possible en valeur le Conseil national de la Résistance et ses idéaux.

La commission en vient au vote sur la proposition de loi, dont elle adopte, successivement et sans modification, les articles 1er, 2 et 3 à l’unanimité.

La séance est levée à dix-sept heures trente.

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Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Patricia Adam, M. Daniel Boisserie, Mme Edith Gueugneau, M. Christophe Guilloteau, M. Damien Meslot, Mme Émilienne Poumirol

Excusés. - MM. Ibrahim Aboubacar, M. Claude Bartolone, M. Philippe Briand, M. Jean-Jacques Candelier, M. Guy Delcourt, Mme Geneviève Gosselin-Fleury, M. Francis Hillmeyer, M. Éric Jalton, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Frédéric Lefebvre, M. Bruno Le Roux, M. Maurice Leroy, Mme Sylvie Pichot, M. François de Rugy, M. Philippe Vitel