Accueil > Travaux en commission > Commission des affaires étrangères > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission des affaires étrangères

Mercredi 19 juin 2013

Séance de 9 heures 45

Compte rendu n° 73

Présidence de Mme Elisabeth Guigou, Présidente, puis de M. Paul Giacobbi, Vice-président

– Accord-cadre entre la France et l’Espagne sur la coopération sanitaire transfrontalière – M. Jean-Philippe Mallé, rapporteur (n  578)

– Convention relative à la construction et à l'exploitation d'un laser européen à électrons libres dans le domaine des rayons X (n° 676), et convention relative à la construction et à l'exploitation d'une infrastructure pour la recherche sur les antiprotons et les ions en Europe (n° 677) – M. Philippe Baumel, rapporteur 

– Accord France-Vietnam relatif aux centres culturels – M. Gwenegan Bui, rapporteur (n° 975)

– Informations relatives à la commission

Accord-cadre entre la France et l’Espagne sur la coopération sanitaire transfrontalière (n  578)

La séance est ouverte à neuf heures quarante-cinq.

La commission examine, sur le rapport de M. Jean-Philippe Mallé, le projet de loi autorisant la ratification de l'accord-cadre entre la République française et le Royaume d'Espagne sur la coopération sanitaire transfrontalière (n  578).

M. Jean-Philippe Mallé, rapporteur. Avant de vous présenter le détail de ces deux textes, quelques mots pour rappeler l’importance de la coopération transfrontalière, notamment dans le domaine de la santé. Notre pays a déjà signé dans le passé deux accords dans ce domaine, avec l’Allemagne et avec la Belgique, en vigueur depuis 2006 et 2007. Dans les deux cas, il s’est agi de résoudre les difficultés d’accès aux soins dans les zones frontalières concernées et de mettre fin aux obstacles administratifs liés au franchissement des frontières. Ce sont des accords qui ont encouragé une coopération sanitaire fondée sur l’exigence de continuité des soins, et qui ont traduit la volonté commune des Parties d’une organisation de l’offre de soins qui soit adaptée aux besoins des populations locales. Ils ont donné aux différentes coopérations locales existantes un cadre juridique homogène.

Les zones frontalières représentent une part importante de notre territoire national, 28 départements au total, dans lesquels vivent 10 millions de nos concitoyens. Elles sont dynamiques mais pâtissent de leurs particularités, comme la mission parlementaire sur la politique transfrontalière l’avait conclu dans son rapport au Premier ministre en 2010, en proposant plusieurs recommandations pour mieux répondre aux besoins de services des populations frontalières.

Outre la coopération sanitaire, de nombreux autres secteurs font également l’objet de coopérations bilatérales, comme vous le verrez dans le rapport. Une dizaine de programmes sont actuellement mis en œuvre avec la Belgique, le Luxembourg, l’Allemagne, la Suisse, l’Italie et l’Espagne, soit avec la totalité de nos voisins, qui portent sur les questions économiques, sociales, culturelles, sur l’environnement, sur la valorisation des ressources naturelles, le partage d’infrastructures ou encore la recherche. Parmi ces multiples aspects, la question de la coopération sanitaire transfrontalière était notamment abordée dans le rapport de la mission parlementaire de 2010, qui proposait notamment de mutualiser une offre transfrontalière en matière de santé et d’accès aux soins.

Cette mutualisation existe d'ores et déjà : avec la Belgique ou l’Allemagne, de nombreuses conventions bilatérales unissent des établissements hospitaliers de chaque côté de la frontière. Ces accords organisent la libre circulation des patients de l’une ou l’autre nationalité, qui peuvent donc recevoir des soins dans l’un ou l’autre pays, et celle des professionnels de santé, qui peuvent intervenir sur le territoire de l’autre pays. C’est le cas des accords entre le CHU de Dunkerque et des hôpitaux belges, de ceux entre les hôpitaux de Mouscron et Tourcoing en matière d’hémodialyse ou de maladies infectieuses, ou encore la coopération pour les grands brûlés avec l’Allemagne.

Cette mutualisation est aussi très précisément l’objet de l’accord-cadre franco-espagnol. Les deux Parties innovent en créant le premier hôpital transfrontalier européen qui se situera à Puigcerdá, en Cerdagne, sur le côté espagnol de la frontière. Même s’il n’apparaît pas dans le texte, cet hôpital est néanmoins à l’origine de l’accord-cadre que nous examinons aujourd'hui. La Cerdagne est une région dans laquelle les conditions naturelles sont difficiles et rendent l’accès aux services de santé compliqués : c’est un plateau isolé, entouré par les Pyrénées, situé à une altitude comprise entre 1200 et 1500 mètres. La population totale est de près de 30 000 habitants sur quelque 1300 km2, également répartis de chaque côté de la frontière franco-espagnole. C’est un territoire peu peuplé : côté français, on dénombre 36 communes, dont la plus grande, Font-Romeu, n’atteint pas les 2000 habitants. En Basse Cerdagne, côté espagnol, la ville de Puigcerdá, qui est mitoyenne de Bourg-Madame, est un peu plus importante et compte 9000 habitants. Compte tenu de la très faiblesse densité de population, les conditions ne sont pas réunies pour une offre de soins développée. Ainsi, les seules maternités du département des Pyrénées orientales se trouvent à deux heures de route, à Perpignan, distante d’une centaine de kilomètres. La Cerdagne française ne dispose d’aucun service d’obstétrique ou de chirurgie, puisque la première clinique chirurgicale est à Prades, à 1h30 de route. Les conditions climatiques rendent en outre les routes, qui sont étroites, impraticables en hiver alors que la fréquentation touristique conduit à des pics de population de 150 000 personnes, notamment en hiver.

Ces données justifient de travailler à la bonne complémentarité des installations sanitaires existantes de chaque côté de la frontière, à leur amélioration, pour élever l’offre de soins tout en évitant un dédoublement coûteux des moyens disponibles. Après une coopération entamée il y a 25 ans avec l’hôpital de Puigcerdá, situé à un kilomètre de la frontière, la création d’un hôpital transfrontalier a été décidée et, pour la première fois, un hôpital est géré, dès sa construction, de manière transfrontalière. Un GECT - Groupement européen de coopération territoriale - entre la France et l’administration sanitaire catalane a été constitué pour assurer la gestion intégrée de la structure avec la participation du gouvernement français et de la Généralité de Catalogne. La construction du bâtiment est aujourd'hui terminée, et l’hôpital devrait ouvrir ses portes au plus tard à la fin de l’été, après quelques retards.

Cet accord a été conclu car, de la même manière que pour les précédents, avec la Belgique et l’Allemagne, il était nécessaire de donner à cette coopération un cadre juridique général dans lequel elle s’inscrirait. Les négociations entamées en 2007 ont abouti en 2008 à la signature des textes qui nous sont aujourd'hui présentés, qui ne se limitent évidemment pas au seul hôpital de Puigcerdá, qui n’est pas mentionné bien qu’il ait été l’élément déclencheur de la négociation. Côté français, sont concernées les zones frontalières des régions Aquitaine, Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées, et côté espagnol, les zones frontalières des Communautés autonomes du Pays basque, de Catalogne, d’Aragon et de Navarre.

L’accord définit surtout le cadre général de la coopération sanitaire transfrontalière entre nos deux pays et notamment sa finalité, qui est d’assurer un meilleur accès à des soins de qualité pour les populations de la zone, qu’elles soient résidentes ou de passage, de garantir à ces populations une continuité des soins, d’optimiser l’organisation de l’offre de soins en facilitant l’utilisation ou le partage des moyens humains et matériels et de favoriser la mutualisation des connaissances et des pratiques.

Dans la mesure où il est destiné à encadrer les coopérations locales, l’accord-cadre prévoit la possibilité de conventions de coopération sanitaire, destinées à organiser la coopération entre des structures et ressources sanitaires situées dans la zone frontalière, à définir et organiser des complémentarités entre les structures et ressources existantes.

L’article 3 de l’accord-cadre énumère le contenu de ces conventions qui doivent prévoir les conditions et les modalités obligatoires d’intervention des structures de soins, des organismes de sécurité sociale et des professionnels de santé, ainsi que de prise en charge des patients, étant précisé que cela porte selon les cas, sur les champs territorial et personnel dans lesquels s’appliquent ces conventions, sur l’intervention transfrontalière des professionnels de santé, y compris ses aspects statutaires, sur l’organisation du transport sanitaire des patients, la garantie de continuité des soins, sur les critères d’évaluation et de contrôle de la qualité et de la sécurité des soins, les moyens financiers nécessaires, ou encore les mécanismes de paiement, facturation et remboursement. Il est précisé que les conventions déjà existantes devront se conformer au présent accord-cadre. L’article 5 précise en outre, s’agissant de la prise en charge des soins, que les conventions devront prévoir la coordination nécessaire entre institutions compétentes pour l’envoi des patients sur le lieu de leurs soins en distinguant les cas dans lesquels une autorisation préalable est nécessaire, des autres cas.

L’accord d’application qui a été signé en septembre 2008 détaille de manière très précise les modalités d’application de l’accord-cadre. Il indique notamment quelles sont les autorités habilitées à conclure des conventions de coopération sanitaire ; concrètement, il s’agit pour la France des DRASS, DDASS ou des agences régionales de l’hospitalisation ainsi que des Unions régionales des Caisses d’assurance maladie. Il précise aussi minutieusement les conditions et modalités d’intervention transfrontalière des professionnels de santé, des structures de soins et des organismes de sécurité sociale, notamment quant à l’organisation des secours d’urgence et du transport sanitaire des patients, à la garantie de la continuité des soins et à l’évaluation et au contrôle de la qualité et de la sécurité des soins. Les modalités de prise en charge sont également précisées et un délai d’un an au maximum à compter de la date d’entrée en vigueur de l’accord-cadre est fixé pour la mise en conformité des conventions préexistantes, faute de quoi elles ne produiraient plus d’effet.

Je vous invite à approuver le projet de loi qui nous est soumis pour en autoriser la ratification qui permettra à cette coopération transfrontalière avec l’Espagne, et notamment à l’hôpital de Puigcerdá, de fonctionner de manière efficace et de rendre les services que les populations de la Cerdagne en attendent.

Mme la présidente Elisabeth Guigou. Cette convention apportera des améliorations pratiques qui sont nécessaires.

M. Philippe Cordery. Je tiens à féliciter le rapporteur pour son travail et, en tant que président du groupe d’études « zones et travailleurs frontaliers », je me félicite que cette convention arrive enfin devant nous, 5 ans après sa signature. Cette coopération sanitaire est essentielle car elle apporte des améliorations au quotidien. Elle permettra d’être soigné au plus près de chez soi. C’est important dans le cas d’urgence, par exemple : on n’aura plus à attendre qu’une ambulance vienne de loin. On peut aussi développer la complémentarité de l’offre de soins.

Sur l’hôpital transfrontalier de Cerdagne, la rapporteure pour avis a posé la question du droit du travail applicable, en fonction de qui embauche la personne. Il y a un volet de la réglementation européenne qui ne s’applique pas au droit transfrontalier et il faudra approfondir cela pour que les travailleurs soient protégés comme il se doit des deux côtés de la frontière. On pourra aussi regretter que la France ne soit actionnaire qu’à hauteur de 40% de l’hôpital, le précédent gouvernement n’ayant pas voulu s’engager plus.

Ma question porte sur la coordination des différentes initiatives. Vous avez parlé d’un observatoire franco-belge de la santé qui permet de coordonner toutes les initiatives dans la région. Est-il prévu de faire pareil avec l’Espagne, ce qui permettrait de mieux mettre en œuvre l’accord une fois celui-ci ratifié ?

M. Michel Terrot. La Principauté d’Andorre est-elle concernée par cet accord ?

M. Avi Assouly. Andorre n’est pas l’Espagne !

M. Jean-Pierre Dufau. Je félicite le rapporteur pour la clarté et la concision de son rapport sur un texte qui, enfin, arrive devant notre commission. La situation des zones frontalières est particulière. D’autres accords ont été signés avec la Belgique ou l’Allemagne. Je veux souligner la particularité des zones accidentées, qui rendent ces accords encore plus nécessaires et sur lesquelles je vais revenir. Je regrette qu’on n’ait pas établi de parité 50/50 entre la France et l’Espagne. C’est une carence, voire une faute, du précédent gouvernement.

Je me félicite qu’il y ait un premier établissement de ce type en Europe et que l’accord porte sur l’ensemble de la zone frontalière et pas seulement la Cerdagne. C’est important ! Je remarque que ce type d’accords pourrait s’étendre à d’autres champs que le secteur sanitaire et social et cela pourrait donner des idées intéressantes aux responsables de la coopération transfrontalière. Enfin, et puisque j’ai parlé de zones accidentées, il serait intéressant que l’Europe se soucie de faciliter des communications entre les zones transfrontalières. C’est la question des routes mais aussi des TGV. Il faut des investissements pertinents pour venir au soutien de ces coopérations.

M. François Rochebloine. Je remercie le rapporteur pour sa présentation. Je souhaiterais avoir des précisions sur la question de la prise en charge des frais. Comment est-elle concrètement assurée, avec quelle répartition du financement ?

M. Thierry Mariani. À l’occasion de cet accord-cadre, a-t-on pu avancer sur les problématiques de reconnaissance mutuelle et d’exercice mutuel de certaines fonctions, notamment s’agissant des diplômes d’infirmiers et de médecins ?

M. Jacques Myard. Je m’interroge sur la rédaction de l’article 10 de l’accord-cadre, qui prévoit la possibilité de dénoncer l’accord tout en énonçant que cela ne préjuge pas de l’efficacité des conventions en vigueur. Il s’agirait alors d’arrangements administratifs car si la base juridique est l’accord-cadre, les conventions sont frappées de nullité. Les rédacteurs s’en sont donc sortis par une pirouette mais qui risque d’être grave à l’avenir.

M. Serge Janquin. Ma question porte sur le droit de la nationalité. L’établissement étant situé en Espagne et comportant un service d’obstétrique, des enfants de parents français naîtront sur le sol espagnol. Or je crois savoir qu’il est parfois complexe d’établir la nationalité française. L’accord-cadre facilite-t-il la délivrance de la nationalité ?

M. Jean-Philippe Mallé, rapporteur. Tout d’abord, l’accord-cadre ne prévoit pas la création d’un observatoire mais d’une commission mixte dont l’objet est de suivre le fonctionnement de l’établissement et les initiatives prises.

Ensuite, il existe bien des coopérations transfrontalières en matière de transports dans d’autres domaines que le transport sanitaire. C’est le cas en matière de circulation entre Perpignan et Barcelone, sur la ligne à grande vitesse entre l’Aquitaine et l’Espagne ou encore sur l’autoroute maritime entre Nantes et Gijón.

Les enfants de parents français qui naîtront dans l’hôpital auront la nationalité française ; ce seront des Français nés à l’étranger.

S’agissant d’Andorre, la principauté n’est pas concernée par l’accord-cadre.

En matière de droit du travail, aucune disposition particulière n’est prévue.

Concernant enfin la prise en charge des frais ; l’accord-cadre prévoit que l’hôpital fonctionnera dans le cadre de conventions entre les ARS et leurs homologues, avec des mécanismes de coordination, notamment en cas d’autorisation préalable pour en automatiser la délivrance, pour ce qui concerne la tarification spécifique des soins et des actes, et sur les soins prodigués à des ressortissants non communautaires.

Je transmettrai des éléments complémentaires sur la législation européenne applicable en matière de droit du travail et de prise en charge.

M. Jean-Claude Guibal. D’autres accords de ce type sont-ils prévus ou ce type d’établissements existe-t-il déjà avec d’autres pays ?

M. Jean-Philippe Mallé, rapporteur. Il n’y a à ma connaissance pas de nouveaux projets mais il existe déjà des coopérations transfrontalières qui fonctionnent avec l’Allemagne et la Belgique, par exemple pour les grands brûlés.

M. André Schneider. Je connais bien l’accord franco-allemand. Il fonctionne en pratique, même si la mise en œuvre n’est pas toujours aussi simple qu’on pourrait le penser, notamment concernant les justificatifs et les tarifs de remboursement.

Mme la présidente Elisabeth Guigou. Le groupe d’études poursuivra ses travaux sur ces coopérations transfrontalières et je remercie Philip Cordery de l’attention qu’il leur porte.

Suivant les conclusions du rapporteur, la commission adopte sans modification le projet de loi (n° 578).

*

Convention relative à la construction et à l'exploitation d'un laser européen à électrons libres dans le domaine des rayons X (n° 676), et convention relative à la construction et à l'exploitation d'une infrastructure pour la recherche sur les antiprotons et les ions en Europe (n° 677)

La commission examine, sur le rapport de M. Philippe Baumel, le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification de la convention relative à la construction et à l'exploitation d'un laser européen à électrons libres dans le domaine des rayons X (n° 676), et le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de la convention relative à la construction et à l'exploitation d'une infrastructure pour la recherche sur les antiprotons et les ions en Europe (n° 677).

M. Philippe Baumel, rapporteur. Nous sommes saisis de deux conventions, la première signée à Hambourg le 30 novembre 2009, la seconde à Wiesbaden le 4 octobre 2010.

Ces deux textes, relatifs à deux très grandes infrastructures de recherche, ont été négociés en parallèle. Leur structure juridique est d’ailleurs très similaire : une convention très courte qui fixe un cadre général, une annexe contenant les statuts des sociétés chargées de gérer les infrastructures, ainsi que des documents techniques auxquelles les conventions renvoient. Celles-ci étant très comparables, il a paru logique de leur consacrer un rapport commun.

Avant d’en venir aux modalités prévues pour la construction et l’exploitation des deux infrastructures, je crois utile de présenter leurs principales caractéristiques, ainsi que leur valeur ajoutée en matière de recherche et d’applications potentielles. Ce sont en effet ces considérations qui rendent particulièrement souhaitable la réalisation des deux projets.

Dans les deux cas, il s’agit de très grandes infrastructures de recherche scientifique dont le caractère prioritaire pour la recherche européenne a été reconnu dès 2006 par leur inscription sur la première « feuille de route » du Forum stratégique européen pour les infrastructures de recherche (ESFRI).

Le laser européen à électrons libres (XFEL) sera principalement constitué d’un accélérateur linéaire supraconducteur, d’une longueur totale de 2 kilomètres, qui portera des électrons à une vitesse proche de celle de la lumière. Ils traverseront des « lignes onduleurs » constituées d’aimants permanents, où se produira un effet d’auto-amplification, ce qui génèrera des bouffées de rayons X cohérents.

Le laser XFEL se distinguera des autres lasers à électrons libres comparables, situés l’un à Stanford en Californie, l’autre au Japon, par ses performances supérieures  à plusieurs égards : tout d’abord, le niveau de cohérence des rayons X émis ; ensuite l’intensité de la lumière produite dans une longueur d’onde précise ; enfin, le nombre de flashs de lumière produits par seconde. Ils seront disponibles en mode « rafale » – jusqu’à 27 000 flashs par seconde, eux-mêmes d’une durée inférieure à 100 femtosecondes.

On pourra ainsi photographier image par image le déroulement de réactions chimiques ou de phénomènes biologiques impossibles à suivre pour le moment. XFEL devrait permettre d’analyser la structure de beaucoup plus de biomolécules et d’entités biologiques qu’on ne peut le faire aujourd’hui, en particulier certains virus, et l’on pourra aussi étudier leur comportement temporel. Dans le domaine de l’astrophysique, les scientifiques pourront notamment étudier la matière dans des conditions extrêmes. Les flashs produits seront en effet si intenses qu’ils pourront servir à créer des pressions et des températures semblables à celles que l’on trouve à l’intérieur des planètes.

De nombreuses applications civiles peuvent déjà être envisagées. Les caractéristiques uniques du XFEL européen devraient permettre de mieux comprendre les propriétés des matériaux, voire d’en créer de nouveaux avec des caractéristiques optimisées, ce qui offre un grand intérêt dans le domaine de l’électronique. Le XFEL européen devrait aussi permettre d’explorer la structure spatiale des nanostructures et d’étudier leur comportement temporel. Dans le domaine de la chimie, XFEL devrait permettre de suivre des réactions extrêmement rapides et de mieux comprendre les réactions de catalyse, ce qui pourrait ouvrir la voie à la fabrication de nouveaux médicaments.

Le second projet, relatif à la construction et à l’exploitation d’une infrastructure de recherche sur les antiprotons et les ions, dite FAIR (« Facility for Antiproton and Ion Reseach »), sera constitué d’un ensemble d’accélérateurs de particules unique au monde. Cette installation fournira des faisceaux d’ions d’une précision et d’une intensité incomparables, ainsi que des faisceaux d’antiprotons.

Son principe de base est de porter des faisceaux de particules à des vitesses proches de celle de la lumière pour les faire entrer en collision avec des cibles et d’étudier les particules générées à cette occasion. Des spectromètres séparateurs permettent de séparer ces particules selon leur type et leurs propriétés, afin de les analyser.

Par rapport aux installations similaires, FAIR devrait être unique par le nombre et la diversité des thématiques scientifiques qui pourront être abordées. Sur ce point, je me permets de renvoyer au rapport écrit. FAIR devrait être complémentaire du projet SPIRAL2, le nouvel accélérateur de particules en construction à Caen. SPIRAL2 devrait permettre de réaliser des recherches à basse énergie, quand FAIR couvrira des énergies plus élevées. Ces deux types de machines permettront d’utiliser des méthodes expérimentales différentes.

Là encore, les perspectives d’application des recherches sont multiples. Les faisceaux de particules accélérées pourraient être utilisés comme « sondes » afin d’étudier les processus et les propriétés des matériaux. Des expériences pourraient notamment être menées pour étudier les matériaux dans des conditions extrêmes. De même, FAIR pourrait être utilisé pour étudier les conséquences du rayonnement cosmique auxquels les astronautes, les satellites et les vaisseaux spatiaux sont exposés au cours de leurs missions.

J’en viens au contenu des deux conventions, de leurs annexes et des documents techniques, dont l’objet est d’établir les modalités de construction et d’exploitation de ces deux très grandes infrastructures de recherche que sont XFEL et FAIR.

Elles seront implantées en Allemagne, la première (XFEL) à cheval sur deux Länder, celui de Hambourg et celui du Schleswig-Holstein, la seconde (FAIR) à Darmstadt, dans le Land de Hesse. Le choix de l’Allemagne s’explique par la présence de sites de recherche pionniers dans les domaines concernés : d’une part, le centre de rayonnement synchrotron de Hambourg, connu sous son acronyme DESY, qui est spécialisé dans les accélérateurs de particules et les recherches en physique des particules et des hautes énergie ; d’autre part, le centre de recherche sur les ions lourds de Darmstadt, GSI, qui est le plus grand centre de recherche allemand en physique nucléaire.

L’idée d’une collaboration avec DESY et GSI pour la construction et l’exploitation des infrastructures s’imposait d’elle-même : elle permet de mobiliser des compétences acquises depuis des années dans ces centres de recherche, notamment pour la construction d’accélérateurs de particules. C’est au sein du centre allemand DESY qu’a eu lieu la première démonstration expérimentale du phénomène dit « SASE » d’amplification de la lumière produite qui sera utilisé par XFEL. DESY et GSI seront responsables des appels d’offres de génie civil et de la construction des accélérateurs, et leurs services administratifs contribueront à la gestion des infrastructures.

Sur le plan juridique, les infrastructures seront gérées par deux sociétés à responsabilité limitée, à but non lucratif et de droit allemand, dont les statuts sont fixés par les annexes aux deux conventions. Il ne s’agit donc pas d’organisations de droit international disposant de privilèges et d’immunités. Leur personnel sera régi par le droit allemand, en particulier les conventions collectives applicables aux personnels de la recherche publique.

A terme, environ 300 personnes devraient être employées sur place dans chacune des installations. Il faut ajouter à cela les chercheurs qui viendront y préparer et y réaliser des expériences – environ 4 000 pour XFEL et 1 500 pour FAIR. Comme il est d’usage pour ce type d’infrastructures de recherche, les propositions d’expériences seront étudiées par un comité scientifique.

Au plan financier, l’Allemagne doit apporter une contribution de 580 millions d’euros en valeur 2005 pour la construction de XFEL et de 705 millions d’euros pour celle de FAIR. La partie contractante allemande doit aussi mettre à disposition, gratuitement et prêts à la construction, les sites concernés. Dans les deux cas, la contribution allemande aux frais de construction est de très loin la plus élevée. La Russie, seconde contributrice, s’est engagée à apporter 250 millions d’euros en valeur 2005 pour XFEL, soit presque trois fois moins que l’Allemagne, et 178 millions d’euros pour FAIR, soit environ quatre fois moins. Pour sa part, la France s’est engagée à apporter respectivement 36 et 27 millions d’euros en valeur 2005.

Ces engagements de financement permettront de réaliser une première étape de la construction de chacune des infrastructures. Cette première étape sera pleinement fonctionnelle, mais la convention incite les parties contractantes à mobiliser ultérieurement des financements supplémentaires pour permettre la construction complète de XFEL et de FAIR. Les conventions ne fixent toutefois pas d’obligation en la matière.

Par ailleurs, afin de prévenir d’éventuels dérapages financiers, des plafonds sont prévus pour les coûts de construction, et des mesures destinées à les restreindre doivent être adoptées si nécessaire. Les plafonds ne pourront être révisés que par le Conseil de chacune des deux sociétés, réunissant les associés et statuant à l’unanimité. Ils sont fixés à 1 027 millions d’euros en valeur 2005 pour le « scénario modulaire de lancement » de FAIR, le coût total étant estimé à 1 493 millions d’euros, et à 1 082 millions d’euros en valeur 2005 pour la construction complète de XFEL, dont un montant estimé à 850 millions d’euros pour la première phase.

La participation française aux coûts de construction prendra exclusivement la forme de contributions en nature, lesquelles sont décrites dans le rapport écrit. Il s’agit d’opérations présentant une forte valeur innovante, avec un effort de R&D à la limite des capacités technologiques actuelles. Elles mobiliseront les ingénieurs et les techniciens du CNRS et du CEA qui y participeront, et elles devraient aussi se traduire par des contrats pour des entreprises françaises, telles que Thalès, Alsthom, Sigmaphi et différentes entreprises de sous-traitance mécanique.

En ce qui concerne les coûts de fonctionnement, les contributions doivent être réparties selon un schéma approuvé à l’unanimité par le Conseil de chacune des deux sociétés, au plus tard trois ans après le début de la phase de construction. Il est stipulé que ces contributions doivent être ajustées, si nécessaire, pour tenir compte de l’utilisation effective des installations.

En ce qui concerne XFEL, les principes adoptés sont les suivants : pendant les trois premières années d’exploitation, un partage au prorata de la contribution aux coûts de construction ; ensuite, un partage au prorata de la moyenne de l’utilisation effective constatée les trois années précédentes.

Les coûts d’exploitation ont été estimés à 120 millions d’euros en valeur 2005 pour l’installation FAIR et à 64 millions d’euros en valeur pour XFEL lors de son démarrage, puis à 83,6 millions d’euros en plein régime. Dans des déclarations annexées aux deux conventions, la France a précisé que sa contribution serait limitée à 2 % du total des coûts d’exploitation, étant entendu que ce pourcentage pourrait être révisé si l’utilisation par la communauté scientifique française était en réalité durablement et notablement supérieure. En l’état, cette contribution sera limitée à environ 2 millions d’euros pour XFEL en valeur 2013, et à environ 3 millions d’euros pour FAIR.

Ces différents mécanismes garantissent que la participation de la France au financement des coûts de construction et d’exploitation de XFEL et de FAIR ne représentera qu’une charge limitée et maîtrisée pour les finances publiques.

Ces deux conventions permettront à la communauté scientifique française d’accéder à deux grandes infrastructures de recherche aujourd’hui sans équivalent. Il devrait en résulter d’importants bénéfices tant en matière de recherche fondamentale que d’applications potentielles, avec un impact contrôlé sur les finances publiques.

Pour toutes ces raisons, je vous invite à adopter les deux projets de loi, en précisant que la construction des infrastructures a déjà commencé à titre provisoire, comme les conventions l’autorisent. En raison de ses contraintes constitutionnelles, la France n’y participe pas pour le moment. Il est plus que temps de le permettre.

M. Jean-Claude Guibal. Tout d’abord, pourquoi créer ce laser dès lors qu’il y en a déjà deux autres dans le monde ? Est-ce que leur accès est réservé ? Leurs capacités de traitement sont-elles insuffisantes ? Ou bien est-ce en raison de considérations stratégiques ?

Ensuite, quelles sont les relations entre les associés de la société et les pays financeurs ? Je comprends qu’il y a des financements publics et des associés ayant une personnalité morale de droit privé.

Enfin, pourquoi la France est-elle sensiblement moins intéressée que d’autres pays ? Le fait de ne contribuer qu’à hauteur de 2 % aux frais de fonctionnement me paraît témoigner d’un intérêt tout de même limité.

M. Philippe Baumel, rapporteur. La raison n’est pas seulement que les autres centres sont situés sur d’autres continents. Nous avons surtout besoin de ces outils pour aller plus loin en matière de recherche. Un certain nombre de pays européens, y compris la Russie, qui est l’un des plus grands contributeurs, ont une volonté commune d’avoir des outils exceptionnels à leur disposition pour nourrir leur avancée en matière de technologie et de recherche, notamment dans le domaine médical.

S’agissant des associés, il s’agit du CEA et du CNRS pour la France, en raison de leur expertise dans les domaines concernés, notamment celle de leurs chercheurs qui participeront au dispositif. Le financement des infrastructures de recherche aura effectivement lieu sur fonds publics, mais je vois mal en quoi cela pourrait constituer une difficulté. Les deux conventions comportent d’ailleurs des mécanismes d’encadrement afin d’éviter toute dérive financière.

Le niveau de la contribution française reste significatif. Le plafonnement de notre participation aux frais de fonctionnement correspond à une évaluation de l’utilisation qui pourrait être faite des installations par la communauté scientifique française. Une révision est envisageable, voire probable, compte tenu de l’intérêt manifesté par nos chercheurs.

M. Jacques Cresta. J’ai une interrogation sur le statut des chercheurs du CNRS et du CEA qui rejoindront des salariés de ces entreprises de droit allemand. Quelle sera leur situation professionnelle ?

M. Philippe Baumel, rapporteur. Il y aura plusieurs situations. Certains seront directement engagés par les sociétés dans le cadre de contrats de droit allemand ; d’autres seront missionnés auprès d’elles et resteront couverts par le droit français.

M. Jacques Myard. Je suis un peu étonné que l’on ait choisi un véhicule de droit international pour la coopération et un autre placé sous l’empire du droit allemand pour la mise en œuvre. Cette solution, qui n’est guère courante, peut conduire à quelques difficultés d’application. J’ai déjà eu l’occasion de dénoncer une telle pratique à propos d’une coopération franco-indienne. Pourquoi ne pas avoir retenu la même solution que pour le CERN ? Il s’agit d’investissements lourds.

M. Philippe Baumel, rapporteur. Je crois surtout qu’on a voulu faire simple, afin d’avancer rapidement. Il y a des cas comparables, notamment celui du synchrotron de Grenoble qui fonctionne particulièrement bien et accueille de nombreux chercheurs. Je ne vois pas pourquoi il faudrait s’attendre à des difficultés particulières avec l’Allemagne. Vous aurez d’ailleurs remarqué la présence dans les conventions d’un mécanisme de concertation fine, en particulier pour les financements.

Suivant les conclusions du rapporteur, la commission adopte sans modification les projets de loi (n°s 676 et 677).

*

Accord France-Vietnam relatif aux centres culturels (n° 975)

La commission examine, sur le rapport de M. Gwenegan Bui, le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le gouvernement de la République socialiste du Vietnam relatif aux centres culturels (n° 975).

M. Gwenegan Bui, rapporteur. L’année France-Vietnam a été inaugurée à l’Ambassade de France à Hanoï le 9 avril dernier, en présence de la Ministre du Commerce extérieur, Mme Nicole Bricq. Jusqu’à la mi-2014, comme pour toutes les années croisées, un large éventail d’évènements culturels, artistiques, sportifs, touristiques mais aussi économiques qui vont rythmer les relations entre nos deux pays.

C’est précisément en vue de renforcer la coopération franco-vietnamienne que notre Assemblée est saisie du présent projet de loi autorisant l’approbation d’un accord relatif aux centres culturels. Cet accord a été conclu le 12 novembre 2009 et se substituera à la Convention du 26 avril 1991 relative au Centre de la langue et de la civilisation française à Hanoï – devenue obsolète. Il vise à donner une base juridique solide à l’Institut français de Hanoï et au centre culturel vietnamien qui a ouvert à Paris en 2009 dans le 13ème arrondissement. Plus généralement, la conclusion de cet accord s’inscrit dans le cadre d’un ensemble d’actions visant à donner un nouveau souffle à notre relation avec le Vietnam, qui connaît une phase de développement significatif. A cet égard, il faut souligner le souhait des deux Etats d’élever leurs relations diplomatiques au niveau de partenariat stratégique en cette année du quarantième anniversaire de nos relations diplomatiques.

Le Vietnam est un pays en pleine mutation qui joue un rôle international croissant. Son émergence sur le plan économique, dans un contexte de fort dynamisme démographique (près de 90 millions d’habitants), se traduit aujourd’hui par un PIB de 138 milliards de dollars en 2012, soit 1500 dollars par habitant, et un taux de croissance de 5 %. Le Vietnam a accédé à l’OMC en 2007, il est depuis 2010 un pays à revenus intermédiaires et se fixe comme horizon 2020 pour devenir une économie industrialisée.

Le Vietnam mène en outre une politique étrangère de plus en plus affirmée et active. Il est membre de l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN), de la Coopération économique Asie-Pacifique (APEC) et participe actuellement aux négociations de Partenariat trans-pacifique (TPP). Notre pays devrait y voir un acteur-clef en Asie du Sud-Est, notamment dans le dossier sensible des litiges en mer de Chine du Sud.

Les défis auxquels le Vietnam fait face sont nombreux. Il doit consolider son développement, résorber les déséquilibres macro-économiques, avec une part aujourd’hui importante des investissements étrangers et des exportations, mieux répartir les fruits de la croissance et développer les infrastructures. Mais il faut aussi voir dans sa jeunesse des opportunités : 56 % de sa population a moins de 30 ans et un million de jeunes arrivent chaque année sur le marché du travail.

La France a été l’un des premiers pays à soutenir l’ouverture du Vietnam à l’orée des années 1990. Notre lien bilatéral est nourri de nombreuses visites de haut niveau. La France est par ailleurs le deuxième donateur au Vietnam après le Japon. Mais si les relations franco-vietnamiennes sont dynamiques, elles restent en deçà de leur potentiel, notamment sur le plan économique. La place de la France recule en effet avec la montée en puissance d’autres acteurs. Si nos échanges commerciaux sont en croissance, ils restent encore limités à 3,3 milliards d’euros. Notre pays ne se classe désormais qu’au deuxième rang des investisseurs européens au Vietnam, derrière les Pays-Bas, et le quinzième mondial, nettement derrière les Etats-Unis (5ème), ce qui est significatif. La part de marché française est de l’ordre de 1 %, avec près de 300 entreprises implantées employant quelque 26 000 personnes. Tout l’enjeu pour notre pays consiste à passer d’une logique d’aide au développement à une logique de partenariat, pour déployer au Vietnam une véritable diplomatie économique.

Pour renforcer nos liens, la richesse de ces échanges humains constitue un socle particulièrement favorable. La communauté française au Vietnam comprend 5 672 inscrits, tandis que la communauté vietnamienne en France atteindrait 19 500 personnes. Mais je souhaite surtout attirer votre attention sur l’importance de la communauté d’origine vietnamienne en France, qui pourrait constituer un point d’appui fortement négligé. On avance le nombre de 250 000 personnes, soit la deuxième communauté d’origine vietnamienne de l’étranger, au même niveau que l’Australie. Ce tissu affectif, forgé par l’histoire et des relations familiales, est un véritable atout notamment pour le développement des échanges. Les pays asiatiques l’ont bien compris et eux-mêmes sont très intéressés par le rôle de trait d’union entre les industries et les consommateurs occidentaux que peuvent jouer les étrangers issus de l’immigration. Le Vietnam leur a donné un nom, celui de « Viet kieu » ou « Vietnamiens de l’outre-mer » en qui ils voient un facteur de développement stratégique comme pour le Vietnam. Une plus grande attention devrait être portée à cette question.

J’ajouterai que la proximité à cultiver avec les Vietnamiens implique aussi de se préoccuper du développement du tourisme entre nos deux pays. Il est évident que le flux de touristes vietnamien est appelé à progresser à mesure que la classe moyenne se développe. J’attire l’attention sur ce point car nous n’avons pas su avec un pays comme la Chine mettre en place des outils et mettre en valeur les différents territoires comme nous l’aurions dû. Il serait utile de réfléchir dès aujourd’hui aux moyens, d’une part, de valoriser la France comme destination touristique, notamment en assurant au Vietnam la présentation et la promotion de notre patrimoine, d’autre part, de créer de bonnes conditions d’accueil de ces touristes en France.

Dans les domaines culturels et éducatifs, pour lesquels l’Institut français de Hanoï visé par l’accord qui nous est soumis est appelé à jouer un rôle important, nos échanges apparaissent à la fois anciens et diversifiés. Un accord de coopération culturelle, scientifique et technique a été signé dès 1977. Il est à signaler que le Vietnam est revenu à l’Organisation mondiale de la francophonie en 1997 et qu’il compte environ 450 000 locuteurs francophones (150 000 locuteurs francophones réels, 200 000 francophones occasionnels et 100 000 apprenants de français). Comme vous le savez, notre langue y est en perte de vitesse et il nous faut renouer avec un plus grand volontarisme dans ce domaine.

Cela passe par une coopération éducative franco-vietnamienne qui se caractérise par un grand nombre d’accords interuniversitaires – plus d’une centaine. Je me contenterai ici de citer, à titre d’illustration, le programme de formation d’ingénieurs d’excellence qui, appuyé par un consortium de grands établissements français, se déroule dans des instituts de Hanoï, Danang et Ho Chi Minh Ville. Le diplôme d’ingénieur est le premier diplôme délivré par un pays du Sud à être admis par la France sur proposition de la Commission française des titres d’ingénieur et le programme accueille actuellement plus de 1 200 étudiants. Concernant la mobilité des étudiants, la France se situe au troisième rang des destinations des étudiants vietnamiens à l’étranger (5 000 étudiants vietnamiens, soit une évolution de près de 40 % sur trois ans) et notre Ambassade à Hanoï prévoit un budget de près d’1,2 millions d’euros destinés à financer ou cofinancer quelque 500 bourses de mobilité étudiante.

L’accord relatif aux centres culturels que nous examinons ce matin couvre à la fois l’Institut français de Hanoï et le centre culturel vietnamien de Paris. Son intérêt premier est de clarifier le statut et de consolider le développement de l’Institut français. Je précise que l’Institut français de Hanoï regroupe les services de coopération, de diffusion du français et de projection de films, ainsi qu’une médiathèque et un espace Campus France. Il dispose de trois antennes à Ho Chi Minh, Hué et Danang, et emploie 94 personnes.

Cet accord remédie tout d’abord à la situation juridique incertaine dans laquelle se trouve aujourd’hui, sous l’empire de la Convention bilatérale du 26 avril 1991, l’Institut français de Hanoï. En effet, l’Institut français a hérité du statut de l’ancienne Alliance française de Hanoï, qui a fermé en 1995, et dont le statut était celui d’une association de droit privé local. Ce régime juridique suranné autorise le comité populaire de la province, c’est-à-dire les autorités vietnamiennes, à exercer la codirection de l’établissement.

Même si en tant qu’institution étrangère l’Institut français a toujours joui d’une véritable autonomie, les autorités du ministère de la culture vietnamien se montrant bienveillantes dans l’accord qu’elles donnent aux activités qu’il organise, le présent accord, à son article 2, octroie un statut officiel à l’Institut et assoit ainsi sa capacité d’action pour faciliter l’organisation de manifestations et d’échanges, ainsi que la publication et diffusion de supports culturels. Particulièrement, l’accord lui octroie la liberté d’opérer à l’extérieur de ses locaux sur tout le territoire du Vietnam et d’ouvrir des antennes dans d’autres villes sur simple échange de lettres.

L’article 3 définit la mission des centres culturels, qui est « de contribuer au développement des relations entre la France et le Vietnam dans les domaines de la culture, de l’art, de l’éducation, de la communication, de la science et de la technique, et de faire connaître directement au public les richesses et les réalisations des deux pays dans ces différents domaines. » On notera le caractère opportunément très général de la formulation, qui permet de faire beaucoup de choses.

L’article 4 de l’accord permet de clarifier les tutelles institutionnelles des établissements : Ministère français des Affaires étrangères pour notre Institut à Hanoï, Ministère vietnamien de la Culture, des Sports et du Tourisme pour l’institut culturel vietnamien de Paris. Ce même article reconnaît l’autorité de l’ambassadeur sur les services de chaque centre culturel.

Les articles 5 et 6 dressent la liste des activités des centres et prévoient le libre accès du public à leurs activités, qu’elles aient lieu dans leurs bâtiments ou à l’extérieur, et veillent à ce que les Centres puissent faire usage de tous les moyens disponibles pour informer le public de leurs activités. La mention de la conformité au droit national de l’Etat d’accueil, classique en droit, suscite cependant quelques interrogations eu égard au régime politique vietnamien, mais c’est évidemment un progrès par rapport à la situation actuelle où à tout moment les autorités locales pourraient décider d’exercer une véritable cotutelle.

L’article 7 de l’accord prévoit que les centres culturels de nos deux pays peuvent facturer des prestations, vendre des produits culturels liés aux manifestations qu’ils organisent, bénéficier de dons et de legs, ainsi que conclure des contrats de concession commerciale. Il s’agit d’un point essentiel pour notre Institut, qui jouit jusqu’à présent d’une simple tolérance dans ces matières, et dont le taux d’autofinancement est appelé à augmenter. Déjà, dans un contexte de réévaluation de ses dépenses, notamment de loyer et de masse salariale, l’Institut a accru son taux d’autofinancement, qui se portait en 2012 à 49,4 %.

Les articles 9 et 12 prévoient le bénéfice de certaines exonérations de droits et taxes. Le centre culturel français ne bénéficie pas à ce jour d’avantages fonciers ou fiscaux à caractère régulier. On notera néanmoins qu’il est l’objet d’une certaine tolérance de la part des autorités vietnamiennes, dans la mesure où il ne verse pas la taxe sur les recettes de cours qui pourrait être demandée.

Les articles 10, 11, 13 et 14 traitent des questions de personnels et de visas.

L’article 16 prévoit que le règlement d’éventuels différends se fera par la voie diplomatique. L’article 17 prévoit l’entrée en vigueur de l’accord le premier jour du deuxième mois suivant le jour de réception de la dernière notification. L’article 18 fixe à dix ans la durée de validité de l’accord, reconductible tacitement pour des mêmes durées. La partie vietnamienne a d’ores et déjà, par note verbale en date du 7 mai 2010, notifié aux autorités françaises l’accomplissement des formalités prévues par sa législation nationale pour l’entrée en vigueur de l’accord. Côté français, le Sénat a adopté le projet de loi au cours de sa séance du 17 avril dernier.

En conclusion, cet accord vient sécuriser le régime juridique de nos instituts culturels respectifs, consolider la coopération culturelle déjà diversifiée que la France cultive avec le Vietnam et – il faut l’espérer – s’inscrit dans une démarche partagée d’intensification de nos relations. L’Année France-Vietnam ayant déjà commencé, il est plus que temps de procéder à sa ratification pour être en conformité avec la volonté des deux Etats de conforter leurs relations.

M. Paul Giacobbi, vice-président. Monsieur le rapporteur, je vous remercie pour la clarté de votre exposé. Comme vous l’avez souligné, la partie vietnamienne a déjà notifié l’accomplissement de ses procédures internes de ratification.

M. Jean-Pierre Dufau. Je voudrais tout d’abord féliciter le rapporteur, qui a pris soin de bien expliquer quelle était la situation du Vietnam, ce qu’il représentait du point de vue économique, son potentiel et les liens entre nos deux pays. Lorsque l’on parle de l’Orient, il est de bon ton de s’intéresser à l’Inde et à la Chine. Pour autant, nous aurions tort de négliger des pays qui n’ont certes ni la surface ni l’émergence de ces grands pays, mais qui peuvent néanmoins avoir une importance singulière pour la France. Si l’on se réfère à notre influence en Asie, on se rend compte que la péninsule indochinoise, en particulier le Vietnam, est certainement notre point d’appui le plus important, d’où l’intérêt de ce traité culturel.

Certes, il peut apparaître, aux yeux de certains, comme un simple accord culturel, mais il est possible, à partir de cet accord, de décliner la coopération dans d’autres domaines : formation, éducation, échanges d’étudiants, diplomatie économique… Comme cela a été rappelé par le rapporteur, le Vietnam, tout comme le Laos et le Cambodge, fait partie des pays de l’Organisation internationale de la francophonie et partage avec nous la langue et la culture françaises. C’est la raison pour laquelle, dans le cadre de notre diplomatie, qui se veut la plus large possible, il serait bon de savoir se limiter et de cibler les pays sur lesquels on souhaite avoir une influence particulière, dans un souci d’efficacité. Pour entretenir ce lien, au-delà des possibles échanges culturels et économiques possibles, il faut également savoir s’appuyer sur les Vietnamiens d’outre-mer et ceux de la première génération vivant en Europe et plus particulièrement en France. Il y a certainement là un gisement d’influence que l’on peut développer. Il est donc urgent et opportun de ratifier ce traité.

M. François Rochebloine. Je voudrais tout d’abord remercier le rapporteur. Il est indiqué à l’article 5 que « conformément au droit national de l’Etat d’accueil, les centres peuvent librement (…) ». Quelle est la portée du mot « librement » ? Par ailleurs, dans ce même article, il est indiqué que les centres peuvent « inviter et accueillir des chercheurs, conférenciers, artistes,… ». Y a-t-il des problèmes de visas pour ces personnes et, le cas échéant, quels sont-ils ? S’agissant de la langue française, vous avez dit très justement qu’elle était en perte de vitesse au Vietnam et ce n’est malheureusement pas le seul pays concerné. Pouvez-vous nous dire dans quelle mesure la langue française est encore parlée au Vietnam ? Enfin, pouvez-vous nous dire un mot des établissements d’enseignement français dans ce pays ?

M. Jacques Myard. L’emploi de la formule « librement » dans un accord est une sorte de pirouette qui sert à mieux faire passer la pilule, mais c’est en réalité une source de « chicaillas » innommable. Cela me rappelle l’article 72 de la Constitution, qui dispose que les collectivités locales s’administrent librement dans les conditions prévues par la loi… Cela étant, je voudrais bien sûr saluer cet accord et avoir une pensée émue pour Hervé Bolot, qui était notre ambassadeur au Vietnam et est décédé peu de temps après avoir quitté son poste. C’était un camarade de concours et je prends donc la liberté de faire ce rappel.

M. Gwenegan Bui, rapporteur. M. Dufau, vous avez raison d’attirer l’attention de la Commission – il faudrait peut-être également attirer celle du ministère des Affaires étrangères - sur le fait que notre regard ne devrait pas être focalisé uniquement sur de grands pays comme l’Inde ou la Chine. Nous devons également regarder ce qui est en train de se passer aujourd’hui dans le monde émergent de l’Asie du Sud-est, que ce soit au Vietnam, en Indonésie, en Malaisie ou aux Philippines, car il y a là des relations à construire et des partenariats à élaborer. La question de l’influence de la France dans la péninsule indochinoise est réelle mais elle est actuellement mal exploitée. La péninsule indochinoise, au regard de son histoire, de sa francophonie, de ses échanges humains, de ses communautés, reste pour nous un grand champ en jachère qui nécessite que l’on s’y investisse plus, que la diplomatie et le monde économique français prennent conscience des potentialités qu’il y a là.

Le taux de croissance du Vietnam est de 5% mais les échanges commerciaux avec la France, bien qu’en développement, ne représentaient que 3 milliards d’euros en 2012, ce qui est très faible. Il y aura sûrement une discussion à avoir à ce sujet lors de notre prochaine rencontre avec le ministre des affaires étrangères, pour tenter de faire comprendre la nécessité d’ouvrir d’autres champs.

M. Myard a répondu partiellement à la question de M. Rochebloine sur l’article 5. Le mot « librement » signifie que l’Institut pourra exercer ses activités sans autorisation préalable. Jusqu’à présent, malgré une grande autonomie laissée à l’Institut, des procédures d’autorisation ou des échanges préalables étaient requis pour un certain nombre de manifestations organisées par l’institut français. Il fallait par exemple envoyer aux autorités locales la liste des intervenants et leur curriculum vitae, ou expliquer le cadre d’une exposition... Il a pu arriver que les autorités s’opposent à ce qu’une personne en particulier puisse intervenir dans une conférence. Le mot « librement » vient donc garantir l’autonomie de l’Institut. En réalité seuls trois incidents mineurs ont été recensés. Il faut au contraire souligner le fait que l’Etat vietnamien a toujours laissé une grande capacité d’action à l’Institut français et a facilité son développement, ce qui traduit un certain volontarisme dans la construction du partenariat culturel entre la France et le Vietnam.

Sur une population de près de 90 millions d’habitants, on estime à environ 450 000 le nombre de locuteurs francophones, dont 150 000 pratiquent notre langue au quotidien, essentiellement dans les tranches d’âge élevé. On compte aussi 250 000 francophones occasionnels et de nombreux apprenants, avec bien sûr une perte en ligne dans ce dernier cas. La mission d’information de notre commission sur la francophonie pourrait être l’occasion d’attirer l’attention sur l’effort à mener dans cette zone géographique où nous avons des positions anciennes.

En matière de visas, il n’y a pas de difficultés recensées pour l’exercice des missions de l’Institut français ni pour les migrations, et le nombre des étudiants vietnamiens qui viennent faire leurs études en France a augmenté de 40 % en trois ans. Il ne semble donc pas qu’il y ait de difficultés particulières. Le cas échéant, il faudrait attirer l’attention du ministre des affaires étrangères, car c’est un aspect important et en développement de notre coopération avec le Vietnam.

Concernant les lycées français, il existe deux établissements, l’un à Hanoï, l’autre à Hô Chi Minh Ville. Au regard de la demande, une extension est en projet. Quant aux 15 000 apprenants dans l’enseignement supérieur, ils ont vocation à participer à des échanges universitaires avec la France.

Mme Chantal Guittet. Ces échanges fonctionnent plutôt bien. C’est un terreau important pour la langue française. Nous avons autorisé, au début de la législature, l’approbation d’un accord relatif à l’université des sciences et des technologies de Hanoï, qui coopère avec une cinquantaine d’universités françaises.

M. Gwenegan Bui, rapporteur. Il y a aujourd’hui plus de cent accords interuniversitaires avec le Vietnam. On observe toutefois que seules trois zones géographiques sont vraiment concernées en France : Nantes, Aix-en-Provence et Paris. Il y a sans doute une réflexion à mener pour impliquer l’ensemble des grandes écoles et des universités françaises de notre territoire.

Suivant les conclusions du rapporteur, la commission adopte sans modification le projet de loi (n° 975).

*

Informations relatives à la commission

Au cours de sa séance du mercredi 19 juin 2013, la commission des affaires étrangères a nommé M. Avi Assouly rapporteur sur le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification de l'accord-cadre global de partenariat et de coopération entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et la République d'Indonésie, d'autre part (n° 1097).

La commission a également nommé les rapporteurs pour avis sur le projet de loi de finances pour 2014 :

– Affaires européennes

– Aide publique au développement :

– Action extérieure de l’Etat :

– Action extérieure de l’Etat :

– Défense :

– Ecologie, développement et aménagement durables :

– Economie :

– Immigration, asile et intégration :

– Médias :

La séance est levée à onze heures quinze.

_____

Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mercredi 19 juin 2013 à 9 h 45

Présents. - M. Avi Assouly, M. Christian Bataille, M. Philippe Baumel, M. Jean-Luc Bleunven, M. Alain Bocquet, M. Gwenegan Bui, M. Gérard Charasse, M. Jean-Louis Christ, M. Philip Cordery, M. Édouard Courtial, M. Jacques Cresta, Mme Seybah Dagoma, M. Jean-Louis Destans, M. Michel Destot, M. Jean-Pierre Dufau, M. François Fillon, Mme Marie-Louise Fort, M. Paul Giacobbi, M. Jean Glavany, Mme Estelle Grelier, M. Jean-Claude Guibal, Mme Élisabeth Guigou, Mme Thérèse Guilbert, Mme Chantal Guittet, M. Serge Janquin, M. Pierre Lequiller, M. François Loncle, M. Jean-Philippe Mallé, M. Thierry Mariani, M. Jean-René Marsac, M. Patrice Martin-Lalande, M. Jacques Myard, M. Axel Poniatowski, M. Jean-Luc Reitzer, M. François Rochebloine, M. François Scellier, M. André Schneider, M. Michel Terrot

Excusés. - Mme Nicole Ameline, M. Pouria Amirshahi, Mme Danielle Auroi, M. Jean-Claude Buisine, M. Jean-Paul Dupré, M. Jean-Jacques Guillet, M. Laurent Kalinowski, M. Jean-Marie Le Guen, M. Pierre Lellouche, M. Lionnel Luca, M. Noël Mamère, M. Jean-Claude Mignon, Mme Odile Saugues, M. Guy Teissier