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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mercredi 7 novembre 2012

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 11

Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, Président

– Examen de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, relative à l’abrogation du conseiller territorial (n° 57) (Mme Nathalie Appéré, rapporteure)

– Amendements examinés par la Commission

– Informations relatives à la commission

La séance est ouverte à 16 heures 30.

Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, président.

La Commission examine la proposition de loi, adoptée par le Sénat, relative à l’abrogation du conseiller territorial (n° 57) (Mme Nathalie Appéré, rapporteure).

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Mes chers collègues, nous devions entendre aujourd’hui M. Manuel Valls, ministre de l’Intérieur, sur le projet de loi relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme, mais cette audition a dû être reportée d’une semaine, le ministre représentant le Gouvernement à la cérémonie d’obsèques des deux pompiers morts en service le 3 novembre dernier. Mes chers collègues, vous souhaiterez sans doute comme moi associer la Commission à l’hommage qui est rendu en ce moment à la mémoire de ces deux pompiers.

À la suite de l’audition de M. le ministre mercredi prochain, nous examinerons le rapport de Mme Marie-Françoise Bechtel sur le projet de loi relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme.

Le jeudi 15 novembre, nous aurons le plaisir d’entendre à nouveau M. le ministre de l’Intérieur sur le projet de loi relatif à la retenue pour vérification du droit de séjour dont notre collègue Yann Galut est le rapporteur.

Auparavant, M. Lionel Jospin aura été auditionné par notre Commission, le mardi 13 novembre, non sur les conclusions de son rapport sur la rénovation et la déontologie de la vie publique dont nous aurons déjà été destinataires et qui aura été remis au président de la République, mais sur le cheminement intellectuel qui a conduit à ces conclusions. Le chef de l’État qui recevra ce rapport pourrait lancer des consultations début 2013.

La Commission examine, sur le rapport de Mme Nathalie Appéré, la proposition de loi relative à l’abrogation du conseiller territorial (n° 57).

Mme Nathalie Appéré, rapporteure. L’abrogation des dispositions de la loi du 16 décembre 2010 instituant le conseiller territorial, en lieu et place du conseiller général et du conseiller régional, revêt aujourd’hui un caractère symbolique fort. Il s’agit en effet du respect d’une promesse faite par la majorité parlementaire à nos concitoyens, mais aussi d’un geste décisif pour remettre sur les rails un processus de décentralisation qui ne peut reposer que sur des collectivités s’administrant « librement par des conseils élus », selon les termes de l’article 72 de la Constitution.

La création du conseiller territorial, conçue sans respect de l’avis des élus locaux intéressés et née au forceps à la suite d’une procédure d’examen parlementaire heurtée, représente bien la clé de voûte – si ce n’est d’ailleurs l’unique intention – de la loi dite de réforme des collectivités territoriales, qu’on pourrait d’ailleurs à bien des égards qualifier de « contre-réforme ». Il importait donc de l’annuler afin que, sur les ruines de cet édifice mal pensé et mal conçu, puisse être réellement mis en œuvre un « acte III de la décentralisation ».

C’est dans cet objectif que Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et les autres membres du groupe communiste républicain et citoyen, bientôt rejoints par deux autres groupes de gauche du Sénat, ont pris l’initiative de déposer la présente proposition de loi, montrant ainsi que la réorientation de la décentralisation vers un réel respect de la démocratie territoriale est une véritable priorité.

En reprenant à son tour ce texte, l’Assemblée nationale a l’occasion de montrer son attachement à la reconstruction d’un modèle de République décentralisée qui ne soit pas uniquement motivée par la recherche d’économies budgétaires – aussi légitime soit-elle –, mais par la volonté de permettre à toutes et tous de participer réellement à la gestion et au développement des territoires où ils vivent. Processus de modernisation politique, d’optimisation de la gestion publique, la décentralisation doit être pensée comme un moteur de croissance et de redressement.

La création du conseiller territorial a été présentée comme une tentative de rationalisation de l’action locale. Cependant, c’est avant tout une tentative de mettre en place un élu hybride…

M. Guy Geoffroy. C’est très écolo !

Mme la rapporteure. S’agissant des moteurs, oui, mais des élus, sans doute un peu moins, monsieur Geoffroy.

M. Guy Geoffroy. Les élus sont les moteurs de la démocratie.

Mme la rapporteure. …Il s’agissait, disais-je, d’une tentative de mettre en place un élu hybride, contre les territoires et pour réaliser des économies introuvables. Son mode d’élection institutionnaliserait à la fois le cumul des mandats et la tutelle entre collectivités et balaierait d’un trait dix années d’avancées de la parité, alors qu’il est nécessaire de renforcer la place et le rôle des femmes dans la démocratie territoriale.

En premier lieu, il n’est pas inutile de rappeler la genèse difficile de cet « élu hybride ».

Il a, tout d’abord, été l’objet de l’une des propositions du rapport du comité pour la réforme des collectivités locales présidé par M. Édouard Balladur en 2009. La traduction des conclusions du comité dans un ensemble de trois projets de loi s’est pourtant faite au prix d’une altération profonde de l’esprit et de la lettre de ces préconisations. Le conseiller territorial, qui devait être élu selon un mode de scrutin proportionnel et fléché, s’est retrouvé n’être qu’une version à peine retouchée du conseiller général.

Les auditions que j’ai menées ont été l’occasion de se rappeler que la création des conseillers territoriaux a été décidée sans véritable concertation avec les élus locaux. L’ensemble de la réforme a été même ressentie comme une entreprise de stigmatisation de ces élus, accusés d’être trop nombreux et trop coûteux, et décrits comme incapables de mener des politiques efficaces et cohérentes.

Le raisonnement économique est rapidement devenu le principal, voire le seul argument présenté par les défenseurs de la réforme : en remplaçant 4 118 conseillers généraux et 1 808 conseillers régionaux par 3 493 conseillers territoriaux, on allait économiser 40 millions d’euros par an ! Ce calcul à l’emporte-pièce n’a cependant pas résisté à l’avalanche des autres dépenses nouvelles à prévoir : les frais de transport d’un nombre important d’élus, les défraiements promis aux suppléants, les rémunérations des collaborateurs et la reconstruction des hémicycles régionaux, nécessaire à la réunion d’assemblées pléthoriques.

La création des conseillers territoriaux se solderait donc par une augmentation nette des charges de fonctionnement des conseils généraux et régionaux. Cela montre l’absurdité d’un raisonnement voulant faire des élus locaux un « coût », et non un avantage pour mener des politiques réellement décentralisées, alors que les indemnités et autres frais en relation ne représentent que 0,19 % du budget des départements et 0,20 % de celui des régions.

Tout cela explique que ce projet de loi de réforme des collectivités territoriales ait été discuté dans un climat particulièrement houleux, aggravé par l’attitude et par les revirements du Gouvernement de l’époque, avant qu’il ne soit finalement adopté au forceps.

Alors que le Gouvernement avait déposé un second projet de loi relatif au régime électoral des conseillers territoriaux – prévoyant un scrutin mixte –, il a finalement déposé des amendements visant à appliquer à ces nouveaux élus le régime électoral du conseiller général, avec un seuil d’accès au second tour remonté à 12,5 % des inscrits. Dans ces conditions, il n’est guère étonnant que le Sénat ait, en seconde lecture, supprimé les dispositions du texte relatives aux conseillers territoriaux puisqu’elles revenaient sur les engagements pris devant lui par le Gouvernement.

Au total, les dispositions disparates de la loi ne constituent qu’une ébauche très mal taillée de ce qui devait être un élément-clé d’une réforme de l’organisation de deux niveaux de collectivités territoriales.

On rappellera aussi qu’il n’a pas fallu moins de trois projets de loi successifs pour que le fameux tableau de répartition des conseillers territoriaux par région et par département respecte enfin la procédure constitutionnelle et le principe de l’égalité devant le suffrage.

En second lieu, le conseiller territorial procède d’un mode d’élection qui revient à institutionnaliser le cumul des mandats et la tutelle entre collectivités.

Étant amené à devoir cumuler deux mandats en un, le conseiller territorial n’aurait pu, par définition, assurer une présence effective auprès de ses mandants. Il suffit pour cela d’imaginer combien d’allers-retours incessants il aurait été contraint d’accomplir entre son canton d’élection, le chef-lieu de département et le chef-lieu de la région.

Alors que le cumul des mandats a montré ses limites et devrait prochainement appartenir au passé, conformément aux engagements du président de la République, le conseiller territorial l’institutionnalise en faisant d’un seul élu le détenteur de deux responsabilités.

La création des conseillers territoriaux a également pour corollaire l’inflation des effectifs des conseils régionaux et la diminution de ceux des conseils généraux. Le tableau de répartition prévoit la mise en place d’assemblées régionales pléthoriques, dépassant 200 membres dans cinq régions, et même 300 en Île-de-France. On peut donc craindre que la majorité des décisions ne soient prises par le bureau, l’assemblée plénière ne faisant ensuite que les avaliser. Le comité Balladur avait du reste reconnu ce risque, et proposé que seuls les premiers élus départementaux « fléchés » composent le conseil régional.

Ensuite, sur le fond, le rapprochement institutionnel entre département et région est en soi critiquable.

Les élus auditionnés ont montré qu’il existait dans les faits de réelles synergies entre l’Union européenne, l’État et les régions, en charge de la stratégie de développement et des investissements structurants ; qu’il en était de même entre les départements, les ensembles intercommunaux et les communes, en charge de la vie quotidienne, du lien social et des équipements de proximité. En revanche, entre ces deux échelons, l’existence de telles synergies étaient moins avérée.

Au vu du caractère artificiel du « couple » département-région et du manque de complémentarité entre l’action de ces deux niveaux de collectivités, la création des conseillers territoriaux est susceptible de mener à la dissolution d’un échelon au profit de l’autre et, en pratique, d’entraîner une tutelle d’une collectivité sur une autre.

En effet, la création des conseillers territoriaux porte en germe deux risques opposés mais réels : selon toute vraisemblance, elle se traduira par l’effacement des préoccupations départementales – au profit de la stratégie régionale – ou par une « cantonalisation » de la région qui ne serait plus qu’une fédération des départements ou, plus encore, des territoires cantonaux qui la composent. Dans un autre sens, l’examen de la répartition des conseillers territoriaux suffit à démontrer que, pour des raisons strictement arithmétiques, la création de ces élus impliquerait la mise en place d’une tutelle des départements les plus peuplés sur les autres.

Enfin, l’un des aspects les plus critiquables de l’institution du conseiller territorial est la régression démocratique que représente le choix d’un mode de scrutin balayant d’un coup dix années de progrès de la parité.

Le choix du scrutin majoritaire uninominal représente, en effet, une régression pour les régions, dans lesquelles la parité est en place depuis 2000. Grâce au scrutin proportionnel de liste, 48 % des conseillers régionaux sont aujourd’hui des conseillères régionales. Au contraire, 13,8 % seulement des élus aux élections cantonales de 2011 étaient des femmes. Les assemblées départementales sont bien les mauvaises élèves de la parité ; songez que dans trois départements – la Haute-Corse, les Deux-Sèvres et le Tarn-et-Garonne – le conseil général ne comprend aucune femme !

L’instauration, à partir de 2007, d’un suppléant obligatoirement de sexe opposé au candidat titulaire aux élections cantonales, n’a pas fondamentalement modifié les mœurs politiques.

Le scrutin choisi pour l’élection du conseiller territorial a montré ses limites à la fois pour le respect de la parité et du pluralisme ; cependant, le retour au statu quo ante, qu’organise la présente proposition de loi, ne résout pas tous les problèmes.

Pour les conseils généraux, le texte remet en vigueur le scrutin majoritaire à deux tours dans le cadre des cantons. Ce mode de scrutin présente plusieurs difficultés qui le rendent impropre à une véritable représentation démocratique : il ne garantit pas une représentation équitable des hommes et des femmes, non plus que des différentes sensibilités politiques ; par ailleurs, il n’est pas conforme au principe d’égalité du suffrage puisque la carte cantonale de certains départements repose encore largement sur le découpage réalisé en 1801 et 1802, ce qui se solde aujourd’hui par des écarts de population dans un rapport de 1 à 43,5 dans le Var et de 1 à plus de 20 dans dix-huit départements.

Votre rapporteure souhaite donc que le mode d’élection du conseiller départemental soit profondément revu afin qu’il respecte, comme l’a annoncé le président de la République devant les états généraux de la démocratie territoriale, un « ancrage territorial et en même temps [...] une exigence de parité ».

Il reste également à ouvrir un chantier sur la prise en compte des élections locales et des efforts en faveur de la parité dans l’attribution de l’aide publique aux partis politiques.

À la suite d’amendements d’origine parlementaire, la loi du 16 décembre 2010 avait prévu la prise en compte des élections locales dans la répartition de l’aide aux partis et groupements politiques – jusque-là uniquement distribuée en fonction des résultats des élections législatives –, ainsi qu’un mécanisme particulièrement pénalisant pour les partis qui ne respectaient pas l’objectif de parité des candidatures.

Si le Sénat a jugé que ce dispositif était largement « cosmétique » et ne méritait pas d’être sauvé, votre rapporteure juge que la prise en compte de la démocratie territoriale et de la nécessaire place à faire aux femmes dans celle-ci justifie de l’évaluer précisément, dans le cadre d’une « remise à plat » des systèmes électoraux, de leurs effets sur le financement public des partis et des pénalités. Un amendement en ce sens est en cours de rédaction et sera présenté ultérieurement.

Mes chers collègues, l’abrogation du conseiller territorial ne peut et ne doit être qu’un premier pas. Il convient, en effet, de remettre sur le métier la question des modes de scrutin – qui ne font pas tous leur place aux femmes et ne respectent pas toujours l’égalité devant le suffrage –, ainsi que celles des modes de gestion et de coopération, des compétences et des moyens nécessaires à l’ensemble des échelons d’administration locale. Ces sujets ont été utilement débattus lors des états généraux de la démocratie territoriale organisés localement, puis nationalement par le Sénat. Des attentes et des demandes se sont exprimées ; il importe désormais de les transformer en propositions dans le cadre d’un texte d’une tout autre ampleur que votre rapporteure appelle de ses vœux.

M. Guy Geoffroy. Je rejoins Mme la rapporteure sur certains points de son intervention, en particulier sur le fait que ce texte aborde peu de sujets et se contente de supprimer le conseiller territorial – position de principe que nous pouvons comprendre de la part de l’opposition parlementaire d’hier.

N’y voyez pas de malice, mes chers collègues de la majorité, mais l’heure est venue de passer à une autre étape de cette législature. En revenir toujours à un ton et à un argumentaire de campagne pour présenter vos projets est, six mois après la présidentielle, une attitude qu’il faudrait dépasser. Positivez ! Défendez votre politique de manière plus sereine et cessez de ne la concevoir que comme une antithèse de ce qui a été fait au cours des cinq années précédentes. Le peuple a tranché, nous sommes tous d’accord pour le constater. Vous auriez pu éviter, madame la rapporteure, la remarque sur une loi « née au forceps » et la suggestion selon laquelle elle serait issue d’un cheminement quelque peu tortueux, d’autant que, depuis le début de cette législature – vous ne le reconnaîtrez pas publiquement, monsieur le président, mais je sais que vous partagez ce constat –, nous n’avons pas connu de parcours législatif qui ne soit tortueux ni de texte qui ne soit né au forceps. Le décompte est simple : une seule des lois présentées depuis le début de la législature l’a été dans le cadre de la procédure ordinaire ; la procédure accélérée a été utilisée pour toutes les autres. Un record est d’ailleurs en train d’être établi par votre majorité : celui du nombre de lois publiées que le Conseil constitutionnel a déclarées contraires à la Constitution – ou est susceptible de le faire.

Cette observation s’adresse à l’ensemble de la majorité : ne la prenez pas, madame la rapporteure, pour une attaque ad feminam !

D’autre part, même si vous vous bornez aujourd’hui à reprendre une proposition de loi venue du Sénat, vous reconnaissez la nécessité d’un texte plus global. Dès lors, pourquoi accepter un « saucissonnage » des textes ? S’il est clair que cet article unique détricote le dispositif existant, ce qui nous attend par la suite est encore très imprécis. Puisque toutes ces questions se tiennent, pourquoi ne vous donnez-vous pas le temps de présenter un projet qui, après avoir supprimé, dans un premier article, le conseiller territorial, déclinerait les autres mesures dont vous avez vous-mêmes souligné la nécessité ? C’est un problème de méthode, mais aussi un problème de fond.

Vous annulez une loi dont vous ne vouliez pas, mais le débat ne gagne guère en clarté pour nos concitoyens puisque vous avez commencé à aborder le fond alors que la proposition de loi n’en dit rien. Soit vous assumez le saucissonnage, soit vous ne l’assumez pas et vous allez compléter ce texte. Mais si vous deviez procéder ainsi, je vous invite à la prudence : à enfiler ainsi des dispositions, à coups d’amendements, vous vous exposez à de nouveaux « couacs » qui, croyez-moi, ne me réjouiraient pas, mais qui sont inévitables tant est grande la complexité du sujet. Au lieu de proposer un projet qui pourrait faire l’objet d’un débat sérieux, vous menez un combat d’arrière-garde.

Le groupe UMP ne votera donc pas ce texte et attend la suite avec sérénité et vigilance, en espérant que vous aurez entendu dans mes propos quelque sagesse.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Je vous remercie, mon cher collègue, de vous faire l’interprète de ma pensée, mais je n’ai jamais caché que j’étais opposé à l’emploi soutenu de la procédure accélérée. Mon calcul en la matière est du reste moins complaisant encore que le vôtre, car j’ai compté qu’à l’exception évidente du budget, 100 % des textes avaient été examinés selon cette procédure depuis le début de la législature.

M. Paul Molac. Les députés écologistes voteront la suppression du conseiller territorial. L’instauration de cette fonction, dont on a pu se demander si elle visait à faire des économies ou à lier la région et le département pour parvenir, à terme, à l’effacement de l’une de ces collectivités, nous semble plutôt procéder d’un souci de recentralisation.

De fait, la petite taille des circonscriptions d’élection de ces conseillers rendrait difficile l’élaboration d’une pensée et de schémas à l’échelle des régions. Sans doute s’agissait-il aussi de mettre les régions et les autres collectivités locales sous la coupe de l’État, qui procède aux dotations : la recentralisation se serait alors faite par l’argent !

D’autre part, le texte instituant le conseiller territorial va contre la parité et n’assure pas la représentation de la diversité des tendances politiques.

Pour ce qui concerne le mode de scrutin qui s’appliquera à ces élections « cantonales » ou départementales, nous sommes favorables à un scrutin de liste à la proportionnelle, sur le modèle de celui qui s’applique aux élections municipales et régionales. Ce système est en effet le meilleur pour assurer la parité et la cohérence au sein de la collectivité locale concernée, ainsi que pour représenter les différentes tendances politiques.

Nous attendons maintenant le projet de loi relative à l’acte III de la décentralisation.

M. Jacques Valax. L’instauration du conseiller territorial était une mesure dispendieuse, qui aurait eu d’importantes conséquences. Le texte qui nous est soumis aujourd’hui rétablit le conseil général et le conseil régional dans la plénitude de leurs fonctions et leur rend l’indépendance que leur reconnaît la Constitution. C’est là une première étape vers une réorganisation de nos collectivités territoriales, auxquelles nous souhaitons rendre leurs compétences – qu’il conviendra néanmoins de clarifier. Il s’agit donc de reconstruire quelque chose que l’ancienne majorité était sur le point de déconstruire.

Enfin, madame la rapporteure, je regrette que, contrairement à l’usage établi, les noms des membres socialistes de la Commission ne figurent pas sur les amendements proposés. On aurait pu, à tout le moins, porter comme cosignataires « les autres membres du groupe SRC »…

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Monsieur Valax, les amendements proposés sont ceux de la rapporteure. Conformément à l’usage, les noms des autres membres de la Commission n’ont donc pas à y figurer.

M. Dominique Bussereau. J’ai toujours été opposé au texte instaurant le conseiller territorial, et je l’ai même fait savoir dans une enceinte où le secret des délibérations était de mise ! Cette loi me semblait en effet procéder d’une démarche quelque peu recentralisatrice et faisait présager des difficultés sur le plan politique comme sur le terrain. Je voterai donc la proposition de loi telle qu’elle nous est présentée par la rapporteure.

Je suis favorable à l’amendement CL 2, qui est astucieux et de bon sens, mais hostile à l’amendement CL 3, car il faut que les seuils d’accès au second tour soient fixés de manière à éviter les candidatures fantaisistes comme la présence au deuxième tour de certaines formations.

Pour ce qui est maintenant de l’avenir, et pour en avoir discuté au sein de l’Association des départements de France – et pour connaître aussi les propositions du sénateur Yves Krattinger –, je m’opposerai à l’absurdité que représenterait un mode de scrutin consistant à diminuer de moitié le nombre de cantons et à y élire deux représentants de sexes différents. Du reste, Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation parlementaire aux droits des femmes, y est, elle aussi, hostile, précisément au nom du droit des femmes. Ce système absurde rendrait très difficiles les relations des deux conseillers entre eux ainsi qu’avec le monde associatif et avec les autres élus, car on s’ingénierait à mettre ces deux représentants en contradiction sur n’importe quel sujet. J’espère donc que ce système ne sera pas retenu par le Gouvernement, étant entendu que je ne suis pas non plus pour une élection à la proportionnelle.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Comme M. Bussereau, je voterai le texte qui nous est soumis. J’avais en effet voté contre le texte instituant le conseiller territorial, qui présentait un danger réel pour la parité et induisait un cumul des mandats de conseiller général et de conseiller régional.

Comme M. Geoffroy cependant, et en dépit de ma farouche hostilité au conseiller territorial, je regrette que la proposition de loi que nous examinons se limite à un seul article. De fait, il aurait été souhaitable que nous ayons un aperçu du mode de scrutin que vous souhaitez instaurer, car les propositions formulées sont complexes et, comme le relève Mme Coutelle, l’élection de deux conseillers sur un canton élargi ne résout pas le problème de la parité. Je préfère le scrutin uninominal, qui crée une relation autrement plus forte aux territoires que le scrutin de liste à la proportionnelle.

M. Bernard Roman. Si nous nous souvenons des conditions dans lesquelles a été votée la création du conseiller territorial, les reproches de précipitation et de manque de clarté formulés par M. Geoffroy au nom de l’UMP ne sont guère acceptables. Nous avions déclaré notre opposition à la création de cette fonction et nous avons raison de la supprimer en un article tout en nous donnant le temps d’organiser la suite. La France des territoires a en effet besoin d’être rassurée sur le sort de cet animal hybride qu’aurait été le conseiller territorial, incapable au demeurant d’assumer à la fois la charge d’un conseiller général et celle d’un conseiller régional.

La création de ce conseiller mettait à mal le principe d’égalité. Ainsi la région Nord-Pas-de-Calais aurait comporté, pour 4 millions d’habitants, 130 conseillers territoriaux, soit autant que d’autres régions comptant seulement un million d’habitants : bravo pour l’égalité et pour la représentativité de ces conseillers !

Enfin, le mode de scrutin que vous aviez instauré s’écartait du principe que, nous, nous avons inscrit dans la Constitution, selon lequel la loi doit favoriser l’égal accès des hommes et des femmes aux mandats et aux fonctions. Il est donc bon de supprimer le conseiller territorial et de réfléchir à l’avenir en gardant à l’esprit les principes d’égalité et de parité.

M. Alain Tourret. La loi sur le conseiller territorial n’était pas dépourvue d’utilité, puisqu’elle nous a permis de prendre le Sénat ! J’en remercie l’UMP. Ce n’était peut-être pas son objectif, mais c’est un fait que l’histoire reconnaîtra. En outre, ce texte nous a été fort utile lors de la campagne pour les élections législatives ; personnellement, je n’ai pas cessé d’en parler : si je suis ici, mes chers collègues de l’opposition, c’est un peu grâce à vous !

Quel était par ailleurs le but de ce projet, sinon de préparer les esprits, par la désignation d’un conseiller commun, à la fusion des départements et des régions ? La stratégie n’était pas bête. De fait, je ne suis pas certain qu’il faille maintenir tous les niveaux de collectivités actuels. J’en suis toujours, pour l’instant, au stade de la réflexion. De ce point de vue, le projet en cours de réalisation en Alsace, où vont être fusionnés deux départements et une région, pourrait nous servir de laboratoire. N’oublions pas que d’importants élus des deux bords, dont Alain Juppé, se sont prononcés en faveur de la suppression des départements.

S’agissant en revanche de la parité, la loi représentait une insupportable régression. Sur ce point, je ne suis pas sûr que vous ayez compris à quel point vous vous étiez trompés, mes chers collègues, à quel point vous aviez méconnu un phénomène de société irréversible – comme le sera d’ailleurs la parité au sein du Gouvernement.

Ce n’est pas tout : en Basse-Normandie, la loi aurait fait passer le nombre de conseillers régionaux de 49 à plus de 100, sans aucune utilité et sans tenir compte de la superficie des locaux disponibles. L’abbaye aux Dames, où siège le conseil régional, est magnifique mais ne peut accueillir autant de conseillers. L’application de la loi aurait donc été extraordinairement coûteuse.

Mes chers collègues de l’UMP, vous avez fait une bêtise que vous avez maquillée en vérité. Je préfère m’en tenir à ma semi-vérité.

Mme Cécile Untermaier. Je salue l’abrogation d’une mesure-phare de la précédente législature, proprement abracadabrantesque et qui nous fut en effet fort utile pendant la campagne.

M. Guy Geoffroy. Notre tour viendra bientôt de profiter de vos erreurs !

Mme Cécile Untermaier. Nous n’en sommes pas là.

La loi de 2010 mettait en pièces les collectivités territoriales, notamment en préparant la suppression des départements. Surtout, elle éloignait l’élu du citoyen alors que leur proximité est une chance pour la France. Contrairement à son objectif affiché, elle ne rationalisait donc pas le mille-feuille institutionnel. Enfin, elle nuisait à la parité.

Sur ce dernier point, ne nous inquiétons pas trop du mode de scrutin : les femmes sont capables de gagner un scrutin uninominal, elles peuvent s’engager sur leur nom !

MM. Dominique Bussereau et Guy Geoffroy. Très bien !

M. Jean-Frédéric Poisson. Je ne sais si je dois retenir des propos de M. Tourret la cruauté ou la drôlerie mais, n’ayant guère le choix, je prends le tout !

Prématurément arraché à votre affection, je n’ai pu voter le projet de loi à l’automne 2010, et j’en suis fort aise car j’aurais été bien ennuyé de devoir me prononcer. D’un côté, le texte présentait l’important avantage – signalé de manière parfois sibylline par nos collègues – d’ouvrir le débat sur l’empilement des structures administratives et territoriales, problème auquel il nous faudra bien nous attaquer. Comme beaucoup d’entre vous sans doute, je ne sais du reste comment nous devrons procéder ; mon collègue Dominique Bussereau tient à son conseil général et les élus régionaux ici présents à leur conseil régional, ce qui est bien compréhensible dans les deux cas. Le problème se pose encore différemment à l’élu francilien rural que je suis – une espèce en voie de disparition. D’un autre côté, les inconvénients du texte, déjà énumérés, étaient nombreux. La méthode, notamment, était curieuse : comment aurait-on pu réfléchir sérieusement à la répartition des compétences entre les collectivités avant de se prononcer sur leur fusion puis sur les modes de scrutin ?

Sur la forme, tout a été dit sur la manière dont le présent texte nous arrive, même si nous étions prévenus. Je regrette comme M. Geoffroy l’abus du recours à la procédure accélérée, notamment pour les textes relevant de notre Commission. Quant au fond, je m’abstiendrai ici sur les amendements comme sur l’ensemble du texte, faute d’être en mesure de me faire une opinion bien fondée. Ce qui ne préjuge pas de mon vote en séance publique, lequel dépendra du débat.

M. Guillaume Larrivé. Sur la forme, si le président de la République avait les idées claires sur l’organisation des collectivités territoriales, il aurait présenté un projet de loi. La méthode est assez classique : c’est celle de la Ve République ! Au lieu de quoi arrive devant nous une proposition de loi du groupe communiste du Sénat, votée sous la précédente législature, ce qui est un peu surprenant.

Quant au fond – je le dis amicalement à mes collègues Dominique Bussereau et Marie-Jo Zimmermann –, je voterai contre cette proposition de loi, car je suis favorable au conseiller territorial comme première étape de la fusion de la région et du département, que je souhaite à titre personnel : nous ne ferons pas l’économie d’une réforme administrative profonde au cours des quinze à vingt prochaines années.

En ce qui concerne le mode de scrutin des conseillers généraux ainsi ressuscités, on croit comprendre, en lisant le discours de clôture des états généraux de la démocratie territoriale prononcé par le président de la République en Sorbonne, que c’est plutôt l’option Krattinger qui a été retenue : un mode de scrutin binominal, majoritaire, paritaire, dans des cantons renouvelés. N’oublions pas qu’il y avait, sous la République romaine, deux consuls désignés concomitamment et que l’histoire ne s’est pas très bien terminée pour l’un d’entre eux.

Mme Marietta Karamanli. Cela n’a rien à voir : révisez votre histoire romaine !

M. Guillaume Larrivé. Deux élus s’adresseraient ainsi aux mêmes interlocuteurs – chefs d’entreprise, maires, etc. Imaginez seulement, mes chers collègues, que votre suppléant soit un cotitulaire : ce serait pour le moins acrobatique. Mais si vous assumez ce choix, je vous souhaite bon courage !

M. Olivier Dussopt. Je voterai évidemment avec enthousiasme ce texte qui revient fort heureusement sur un triste symbole de la réforme de 2010. S’agissait-il alors de modifier un mode de scrutin par opportunité ou bien, comme cela vient d’être dit, de fusionner deux assemblées ? Ce n’était pas clair à l’époque.

Au premier orateur du groupe UMP – puisque les autres partagent assez largement nos vues –, qui souhaitait un débat serein, je rappellerai que nous avons examiné le texte créant le conseiller territorial au moment où l’ancien président de la République se livrait à une campagne de communication visant à stigmatiser des élus jugés trop nombreux, inefficaces, inutiles, dispendieux. Vous avez également souhaité, mon cher collègue, que l’on n’utilise pas les forceps. Dois-je vous rappeler notre découverte du tableau de répartition des conseillers territoriaux à l’occasion d’un amendement du Gouvernement déposé en séance de nuit ? Aurai-je la cruauté de souligner que cette précipitation a entraîné une invalidation partielle du texte par le Conseil constitutionnel ? Vous avez enfin parlé de saucissonnage, ce qui prête à sourire si l’on se souvient que la loi votée en 2010 ne prévoyait ni les modalités de scrutin ni la circonscription pour l’élection du conseiller territorial.

Nous abrogeons une mesure qui aurait donné naissance à des assemblées régionales pléthoriques, difficiles à gouverner et coûteuses ; une mesure qui aurait institué de facto une tutelle d’une collectivité sur l’autre, voire préparé leur fusion, comme cela a été dit – ou plutôt avoué ; une mesure, enfin, extrêmement défavorable à la parité, ainsi que nous l’avions souligné à l’époque sans parvenir à nous faire entendre de vous, obligés que vous étiez de l’adopter.

Ce texte constitue l’une des prémices d’une réforme bien plus vaste des territoires et de l’action publique. Au cours des semaines à venir, nous serons amenés à étudier ainsi divers modes de scrutin qui concernent non seulement le conseiller général ou départemental, mais aussi la démocratie dans l’intercommunalité, ce qui préparera la réforme de la décentralisation et de nos moyens d’action au niveau local.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. À l’exemple d’Alain Tourret, je ne bouderai pas mon plaisir. Opposé hier à la création du conseiller territorial, je le reste résolument aujourd’hui, comme Dominique Bussereau et Marie-Jo Zimmermann. Lorsque j’avais exprimé mon désaccord à l’époque, La Gazette des communes m’avait traité de sniper de la majorité, titre que j’avais bien volontiers endossé. Je reste d’ailleurs un sniper sur certains sujets, même dans l’opposition !

Les justifications de la réforme, qui se sont succédé de manière quelque peu byzantine, ne m’ont pas convaincu. Cet élu bicéphale, multicartes, « OGM juridique » ou « OVNI politique », je n’en voulais pas. Je vous renvoie à l’étude très fouillée de Géraldine Chavrier, doyen du département de droit public de la Sorbonne, sur le problème que pose l’instauration d’une tutelle au regard de l’article 72 de la Constitution, ainsi que sur l’atteinte au principe de libre administration des collectivités et à celui qui attribue à une assemblée distincte un élu distinct. Le Conseil constitutionnel a tranché et l’on ne critique pas les décisions du Conseil constitutionnel. Mais le droit n’est pas une science exacte, des thèses y cohabitent, et Géraldine Chavrier avait très clairement exposé l’inconstitutionnalité de cette création.

En ce qui concerne la ruralité, dont je suis issu, on envisageait un nombre minimal de 17 conseillers par département. Pourquoi pas 18, 19 ou 20 ? On a parlé de révolte des ruraux à propos de la victoire de la gauche au Sénat ; je m’étais pour ma part exprimé assez violemment sur ce point.

Je voterai donc cette proposition de loi. Mais maintenant, il faut construire. Et dans cette tâche, je vous souhaite bien du plaisir : qu’il s’agisse des structures de coopération intercommunale, de la répartition des compétences entre département et région, du cumul ou du statut de l’élu, entre l’Assemblée et le Sénat, les élus urbains et les ruraux, vous n’êtes pas sortis de l’auberge ! Nous verrons ce qu’il en est maintenant que vous êtes au pouvoir. Je n’oublie pas que j’ai subi non seulement la création du conseiller territorial, mais aussi le redécoupage électoral qui a privé la Lozère de l’une de ses deux circonscriptions, faisant aujourd’hui de moi le seul député d’un département de 5 100 kilomètres carrés, ce qui ne me facilite pas la tâche.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. On aura compris que votre acrimonie envers le Conseil constitutionnel avait deux sources, mon cher collègue !

M. Sébastien Denaja. Le fait même que nous discutions de cette proposition de loi témoigne de l’osmose entre la majorité nouvelle de l’Assemblée nationale et celle du Sénat. Notre majorité semble d’ailleurs gagner du terrain au sein de cette Commission, tout au moins sur ce texte !

Il faut abroger le conseiller territorial pour plusieurs raisons. D’abord pour respecter le vote des citoyens, puisque cette mesure faisait partie des engagements du président de la République. Ensuite parce que la réforme faisait reculer la démocratie en méprisant le pluralisme, en annihilant au niveau régional et départemental tous les efforts consentis depuis des années en matière de parité – comme tous ici le reconnaissent –, et en défendant une conception bien paradoxale de la démocratie locale et de la logique décentralisatrice elle-même : alors que la décentralisation consiste à rapprocher le lieu de décision des citoyens, on prétendait développer la démocratie en réduisant le nombre d’élus ! S’y ajoutait l’archaïsme d’une institutionnalisation du cumul des mandats au moment même où nos concitoyens attendent des élus, notamment des parlementaires, qu’ils y renoncent
– ce que nous ferons. La loi, a dit M. Poisson, avait le mérite d’ouvrir le débat. Mais la loi n’est-elle pas plutôt censée y mettre un terme, pour un certain temps au moins.

Le texte traduisait aussi une conception particulièrement hasardeuse de l’architecture institutionnelle locale. M. Morel-A-L’Huissier a opportunément rappelé l’article de Géraldine Chavrier dans l’Actualité juridique – Droit administratif, qui confortait d’ailleurs l’article de Gérard Marcou dans la Revue française de droit administratif, sur la tutelle de fait qu’instituait la réforme.

La logique de celle-ci, enfin, était indécelable et ses résultats très aléatoires. Certains signalaient le risque de « cantonalisation » de l’intérêt régional sous l’effet du mode de scrutin quand d’autres évoquaient l’absorption des départements par les régions. Nous ne saurons jamais ce qu’il en serait résulté – et tant mieux !

La loi n’est pas faite pour lancer des processus incrémentaux, aléatoires et hasardeux, mais pour fixer des cadres. On se demandait qui de la région ou du département serait le prédateur de l’autre. Le législateur doit toutefois demeurer modeste : nous ne légiférons sans doute pas pour l’éternité.

Cette réforme allait à l’encontre de la lisibilité et de toute volonté de clarification des compétences : comment les répartir de manière rationnelle, dès lors qu’on ignore si tel ou tel échelon sera maintenu ou supprimé à l’avenir ?

Elle était, en outre, particulièrement coûteuse. On mettait en avant la suppression d’un certain nombre d’élus, mais il allait falloir acheter, louer ou construire de nouveaux bâtiments pour installer des hémicycles locaux de la taille du Sénat – pour plus de 300 conseillers territoriaux en Île-de-France, par exemple – et l’indemnité du conseiller territorial allait être revalorisée de 20 % par rapport à celle d’un conseiller régional.

Son abrogation permet de poser des bases claires pour les débats à venir.

M. Jean-Frédéric Poisson. Vous venez de dire qu’il ne faut pas utiliser la loi pour engager des débats !

M. Sébastien Denaja. Ce n’est pas ce que j’ai dit : elle permettra de consolider les bases sur lesquelles nous construirons ensuite l’édifice territorial ; celui que vous aviez bâti reposait sur du sable. Nous nous engageons dès maintenant dans une démarche positive, sans le faire aux dépens du département. Nous ne nous contentons pas d’abroger, mais posons de premières pierres : avec le mode de scrutin proportionnel, nous réinstaurons les conditions du pluralisme et de la parité à l’échelon régional.

M. Jean-Frédéric Poisson. Présenterez-vous un nouveau texte bientôt ?

M. Sébastien Denaja. J’y viens.

Nous redonnons à chaque échelon territorial un élu qui lui est dédié et qui est spécifiquement chargé de défendre ses intérêts, quel que soit le mode de scrutin définitivement retenu pour le département.

Loin de procéder à son « saucissonnage », nous laissons le temps nécessaire à la discussion. Des repères ont déjà été donnés : le président de la République a fixé, le 5 octobre, des orientations pour les prochaines étapes.

M. Guy Geoffroy. Il aurait fallu un projet global !

M. Sébastien Denaja. Un projet peut aussi s’échelonner dans le temps ; cela n’interdit en rien une vision globale. Le Gouvernement pourra, lors du débat en séance publique le 15 novembre, nous éclairer davantage sur le chemin que nous allons suivre en matière de démocratie territoriale.

M. Pascal Popelin. M. Geoffroy a regretté que Mme la rapporteure ait parlé d’une « adoption au forceps ». Les propos de nos collègues de l’ancienne majorité suggèrent pourtant que cette adoption n’a pas été simple sur le plan politique. Sur le plan juridique, tout en comprenant les remarques sur l’usage de la procédure accélérée et sur les déboires qu’a connus un certain texte devant le Conseil constitutionnel pour vice de forme, je rappelle que les projets instituant le conseiller territorial ont subi deux censures consécutives – c’est un record – du même Conseil : le 9 décembre 2010 et le 23 juin 2011.

Pourquoi examinons-nous le présent texte, et seulement lui, à ce stade ? Un débat a eu lieu au sein de la majorité : c’est précisément le souci de respecter le Parlement qui a commandé le choix d’inscrire à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale la proposition de loi adoptée par le Sénat – dans un tout autre contexte politique – en novembre 2011. Cette solution présente un autre avantage : elle permet à certains de nos collègues de l’opposition d’exprimer de nouveau librement leurs objections au conseiller territorial, sans avoir à approuver pour autant nos propositions ultérieures.

À cet égard, les incertitudes ne sont pas si nombreuses : lors de ses conclusions à l’issue des états généraux de la décentralisation, le président de la République a donné des indications sur les intentions de l’exécutif. La question du scrutin régional est réglée par cette abrogation, qui revient à rétablir le mode de scrutin antérieur, d’ailleurs instauré par votre majorité en 2003. S’agissant du scrutin départemental, nous souhaitons concilier deux principes : l’ancrage territorial – qui sied aux élus départementaux – et la parité – les conseils généraux étant les dernières assemblées politiques où aucun progrès n’a été réalisé en la matière depuis le début des années 2000.

Si, par extraordinaire, la conciliation de ces deux objectifs – essentiels – devait amener le Gouvernement à proposer un scrutin binominal, vos inquiétudes ne me paraîtraient pas justifiées : les rivalités que vous craignez entre les deux élus d’une même circonscription peuvent très bien exister aujourd’hui entre deux membres d’un même parti, élus sur une même liste. Est-ce le contexte interne à l’UMP qui vous incite à penser que des candidats élus ensemble ne pourraient plus travailler ensemble par la suite ?

Mme Françoise Guégot. Je voterai contre cette proposition de loi, et ce pas seulement parce que j’avais voté la loi instituant le conseiller territorial.

Premièrement, nos concitoyens attendent depuis longtemps une simplification de l’organisation territoriale. La création du conseiller territorial allait dans ce sens. Elle permettait également un progrès en matière de non-cumul des mandats, même si j’aurais souhaité aller plus loin encore. Tel n’est pas le cas de la présente proposition de loi.

Deuxièmement, vous nous proposez une nouvelle fois de revenir sur une réforme adoptée au cours de la législature précédente. À ce stade, nous avons voté davantage de textes de suppression que de mesures nouvelles. Le débat aurait gagné en intérêt si vous aviez formulé une proposition alternative.

Troisièmement, je suis une fervente partisane de l’égalité entre les hommes et les femmes, y compris en matière de représentation politique. J’ai beaucoup travaillé sur la parité et sur l’égalité professionnelle au cours de la précédente législature, à la fin de laquelle nous avons d’ailleurs proposé d’imposer la parité totale pour l’accès aux postes d’encadrement supérieur dans la fonction publique.

Réduire la question de la parité à celle du scrutin de liste me paraît une erreur. C’est un argument trop souvent employé contre lequel je m’élève. Les élus au scrutin de liste n’ont pas la même visibilité et ne sont pas identifiés de la même manière que les autres. Interrogez nos concitoyens : connaissent-ils les vice-présidents de conseils régionaux ou les adjoints au maire dans les grandes villes ? Un élu n’est connu et n’a réellement sa place que lorsqu’il est élu sur son nom. Nous n’atteindrons donc l’égalité entre les hommes et les femmes en politique qu’à partir du moment où autant de femmes que d’hommes seront élues au scrutin uninominal.

M. Guy Geoffroy. J’invite notre Commission à prendre date : M. Popelin a employé l’expression « si, par extraordinaire » à propos de l’éventuelle instauration du scrutin binominal.

M. Dominique Bussereau. De nombreux collègues ont soulevé, à juste titre, la question de l’avenir de la région et du département. Notre Commission gagnerait, monsieur le président, à auditionner les différentes associations d’élus locaux. Le débat sur la place respective des régions et des départements pourra être tranché non par la fusion – c’est une idée technocratique et parisienne –, mais par la diminution du nombre de régions.

Le problème est, en réalité, le suivant : les départements et les régions interviennent dans les mêmes domaines, parce qu’ils sont d’importance comparable. Par exemple, le budget de mon département représente une fois et demie celui de la région à laquelle il appartient. Quelles que puissent être par ailleurs les rivalités entre personnes, chaque collectivité tend par nature à s’ingérer dans les affaires de l’autre.

Dès lors que les régions françaises auront une taille analogue à celle des Länder allemands ou des communautés autonomes espagnoles, les conflits de compétences entre départements et régions disparaîtront : chacun saura ce qu’il a à faire. La création d’une dizaine de grandes régions d’échelle européenne permettrait le maintien du département dans ses fonctions de proximité et donnerait aux régions les moyens d’agir en matière de développement économique et d’aménagement du territoire. Je suggère au Gouvernement et à la majorité d’inclure cette piste de travail dans leur réflexion.

Mme la rapporteure. Nous ne méconnaissons pas, monsieur Geoffroy, le caractère symbolique de cette abrogation. M. Dussopt a parlé, avec raison, d’un « triste symbole » : l’instauration du conseiller territorial a laissé des stigmates dans les territoires, en particulier chez les élus locaux, qui y ont vu une aberration, sinon une forme de recentralisation larvée – je rejoins M. Molac sur ce point.

L’adoption de la loi ne s’était pas faite sans difficultés – MM. Roman et Dussopt y ont fait allusion et je maintiens l’expression « au forceps » –, sans même parler des décisions du Conseil constitutionnel. En outre – comme l’avaient relevé notre groupe politique, mais aussi des personnalités de la majorité d’alors –, ce texte, mal conçu, posait de nombreux problèmes concrets : coûts induits qu’a rappelés M. Valax et qui vont à l’encontre de la nécessaire maîtrise des finances publiques ; cumul institutionnalisé ; illisibilité pour le citoyen, alors qu’il ne peut y avoir de démocratie sans imputabilité et sans principe de responsabilité ; caractère forcé et artificiel du mariage entre le département et la région, qui portait en germe la tutelle d’une collectivité sur l’autre ou la suppression de l’une des deux ; entorses au principe d’égalité ; coups portés à la parité, qu’ont soulignés Mmes Untermaier et Zimmermann.

À cet égard, madame Guégot, nous ne faisons nullement l’apologie du scrutin de liste. Nous constatons simplement que l’élection du conseiller territorial au scrutin uninominal majoritaire à deux tours aurait entraîné un recul grave par rapport aux conquêtes de la parité depuis dix ans.

L’abrogation du conseiller territorial permet de tenir un engagement du président de la République, M. Denaja l’a rappelé. Je me réjouis qu’elle fasse l’objet d’un quasi-consensus au sein de notre Commission. Surtout, elle rétablit la sérénité nécessaire aux débats à venir et assainit les bases sur lesquelles nous allons pouvoir – devoir – désormais construire. C’est à mes yeux l’argument principal, monsieur Poisson. Ce texte en appelle d’autres ; je ne doute pas qu’ils seront à la hauteur de l’ambition décentralisatrice que nous affirmons. Une « République des territoires » modernisée est indispensable au redressement et à la croissance.

La Commission en vient à l’examen de l’article unique.

Article unique (art. 1er, 3, 5, 6, 81 et 82 de la loi n° 2010-1563 du 16 décembre 2010 – art. L. 210-1 et L. 221 du code électoral) : Abrogation des dispositions relatives au conseiller territorial et rétablissement du droit antérieurement en vigueur

La Commission est saisie de l’amendement CL 1 de la rapporteure.

Mme la rapporteure. Cet amendement apporte plusieurs améliorations rédactionnelles et légistiques, le Sénat ayant omis de supprimer, d’une part, certaines références aux conseillers territoriaux, et, de l’autre, le tableau de leur répartition entre départements et régions.

Il convient par ailleurs de supprimer les dispositions codifiées d’ores et déjà entrées en vigueur, plutôt que les articles qui les ont créées.

M. Sébastien Denaja. Le groupe SRC approuve ces améliorations rédactionnelles et légistiques, qui tendent à supprimer les dispositions codifiées plutôt que les articles de la loi initiale. Nous votons trop souvent des dispositions juridiquement moins précises ; aussi un tel amendement doit-il nous servir de modèle.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CL 2 de la rapporteure.

Mme la rapporteure. Issu d’un amendement parlementaire, un article de la loi de 2010 prévoit que, dans le cadre de la refonte de la carte cantonale, les communes ayant aujourd’hui la qualité de chef-lieu de canton la conservent.

La qualité de chef-lieu de canton, bien que largement honorifique, emporte un certain nombre de conséquences juridiques : aussi il nous semble utile de la maintenir, nonobstant le futur redécoupage, jusqu’au terme des mandats municipaux en cours, afin de ne pas déstabiliser les communes concernées.

La Commission adopte l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL 3 de la rapporteure.

Mme la rapporteure. Cet amendement de clarification, monsieur Bussereau, n’introduit à proprement parler aucune disposition nouvelle : en abrogeant les modifications apportées par la loi du 16 décembre 2010, le Sénat a déjà souhaité revenir au statu quo ante. Cependant, notre production normative a entre-temps été telle que cette simple solution n’est pas applicable.

L’article L. 210-1 du code électoral a été complété par des dispositions que nous croyons utiles, relatives par exemple à la désignation des mandataires financiers. La meilleure solution est donc de conserver la rédaction actuelle tout en revenant au seuil de 10 % des inscrits, plus conforme à l’ambition pluraliste.

L’article 4 de la même loi de 2010 a par ailleurs modifié l’article L. 221 du code électoral, en prévoyant que le suppléant du conseiller général – qui, aujourd’hui, est une suppléante dans 86 % des cas – puisse remplacer le titulaire, quelles que soient les raisons de sa démission. Il nous semble utile de maintenir cette disposition.

M. Guy Geoffroy. L’exposé sommaire de l’amendement laisse entendre que le relèvement de 10 à 12,5 % du seuil de suffrages requis pour accéder au second tour a déstabilisé l’organisation du scrutin. Or c’est précisément l’inverse : en son état actuel, la réglementation des différents scrutins est quasiment illisible pour nos concitoyens. Pour les élections municipales, le seuil de maintien au second tour est fixé à 10 % des votants ; pour les cantonales, à 10 % des inscrits ; pour les législatives, à 12,5 % des inscrits. Comment justifier une telle complexité ?

La logique de la précédente réforme était de permettre des choix clairs au second tour, entre deux candidats, selon le modèle de scrutin majoritaire posé dès l’origine pour l’élection présidentielle. Qui imaginerait que le président de la République soit élu par une majorité relative, dans un second tour à trois candidats ? Personne. L’alignement du seuil sur celui des élections législatives, c’est-à-dire à 12,5 %, allait donc dans le bon sens.

Pour les élections municipales, la question se pose un peu différemment puisqu’elles relèvent du scrutin proportionnel de liste assorti d’une prime majoritaire, d’ailleurs tout à fait opportune. Quoi qu’il en soit, on peut se demander pourquoi les seuils permettant le maintien au second tour devraient être différents d’une élection à l’autre.

M. Sébastien Denaja. Le groupe SRC votera cet amendement, dont l’exposé sommaire lui semble d’une logique implacable. Au-delà de l’aspect juridique, un seuil de 10 % est un signe politique fort en faveur du pluralisme, même si les observations de M. Geoffroy méritent considération pour nos réflexions à venir. Qui sait, d’ailleurs, si le seuil de 10 % ne sera pas celui que l’on retiendra pour les prochaines législatives…

M. Jean-Frédéric Poisson. Je voterai contre cet amendement, pour les mêmes raisons que M. Geoffroy.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article unique de la proposition de loi modifié.

*

* *

Amendements examinés par la Commission

Amendement CL1 présenté par Mme Nathalie Appéré, rapporteure :

Article unique

Remplacer l’alinéa 1 par sept alinéas ainsi rédigés :

« I. – La loi n° 2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales est ainsi modifiée :

« 1° À l’intitulé du chapitre Ier du titre Ier, le mot : « territoriaux » est remplacé par les mots : « généraux et conseillers régionaux » ;

« 2° Les articles 1er, 3, 5, 6 et 81 sont abrogés ;

« 3° Le tableau annexé par la loi n° 2011-871 du 26 juillet 2011 fixant le nombre des conseillers territoriaux de chaque département et de chaque région est abrogé ;

« 4° Le I de l’article 82 est ainsi rédigé :

« L’article 7 entre en vigueur lors du prochain renouvellement des conseils régionaux. » ;

« I bis. –  à la première phrase de l’article L. 1111-9 du code général des collectivités territoriales, le mot : « territoriaux » est remplacé par le mot : « régionaux ».

Amendement CL2 présenté par Mme Nathalie Appéré, rapporteure :

Article unique

Après l’alinéa 1, insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Le second alinéa de l’article L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales est complété par les mots : « jusqu’au renouvellement général des conseils municipaux suivant la publication du décret prévu au premier alinéa. »

Amendement CL3 présenté par Mme Nathalie Appéré, rapporteure :

Article unique

Rédiger ainsi l’alinéa 2 :

« II. – Au neuvième alinéa de l’article L. 210-1 du code électoral, le taux : « 12,5 % » est remplacé par le taux : « 10 % ». »

Information relative à la Commission

La Commission désigne M. François Sauvadet, rapporteur sur sa proposition de loi visant à reconnaître le vote blanc aux élections (n° 107).

La séance est levée à 18 heures.

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Nathalie Appéré, M. Erwann Binet, M. Jean-Pierre Blazy, M. Jacques Bompard, M. Marcel Bonnot, M. Dominique Bussereau, M. Jean-Michel Clément, M. Sergio Coronado, Mme Pascale Crozon, M. Carlos Da Silva, M. Jean-Pierre Decool, M. Sébastien Denaja, Mme Françoise Descamps-Crosnier, M. Philippe Doucet, M. Olivier Dussopt, M. Hugues Fourage, M. Guy Geoffroy, M. Daniel Gibbes, M. Yves Goasdoue, M. Philippe Gosselin, Mme Françoise Guégot, M. Philippe Houillon, Mme Marietta Karamanli, M. Guillaume Larrivé, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, Mme Anne-Yvonne Le Dain, Mme Axelle Lemaire, M. Paul Molac, M. Pierre Morel-A-L'Huissier, Mme Corinne Narassiguin, Mme Nathalie Nieson, M. Sébastien Pietrasanta, M. Jean-Frédéric Poisson, M. Pascal Popelin, M. Bernard Roman, M. Alain Tourret, Mme Cécile Untermaier, M. Jean-Jacques Urvoas, M. Jacques Valax, Mme Marie-Jo Zimmermann

Excusés. - M. Marc-Philippe Daubresse, M. Marc Dolez, Mme Laurence Dumont, M. Matthias Fekl, M. Georges Fenech, M. Pierre-Yves Le Borgn', M. Alfred Marie-Jeanne, M. Didier Quentin, M. Roger-Gérard Schwartzenberg