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Commission des affaires sociales

Mercredi 19 février 2014

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 41

Présidence de Mme Catherine Lemorton, Présidente

– Examen, ouvert à la presse, de la proposition de loi relative aux effets de la prise d’acte de rupture du contrat de travail par le salarié (n° 1199) (M. Thierry Braillard, rapporteur).

– Information relative à la commission

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mercredi 19 février 2014

La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.

(Présidence de Mme Catherine Lemorton, présidente de la Commission)

La Commission des affaires sociales examine, sur le rapport de M. Thierry Braillard, la proposition de loi relative aux effets de la prise d’acte de rupture du contrat de travail par le salarié (n° 1199).

Mme la présidente Catherine Lemorton. Nous examinons aujourd’hui la proposition de loi de M. Thierry Braillard relative aux effets de la prise d’acte de rupture du contrat de travail par le salarié. En l’état actuel de la législation, cette forme de rupture du contrat de travail soulève en effet des difficultés quant à ses conséquences, de sorte que le salarié concerné et l’employeur se trouvent plongés dans l’incertitude jusqu’à la décision du conseil de prud’hommes. Dans le cas où ce dernier est saisi d’une telle demande par le salarié, il est donc proposé que l’affaire soit directement portée devant le bureau de jugement, lequel devra statuer au fond dans un délai d’un mois suivant sa saisine. Il s’agit d’un dispositif technique que va nous exposer notre rapporteur.

M. Thierry Braillard, rapporteur. Un contrat de travail peut être rompu de trois façons différentes. Tout d’abord, il peut l’être à l’initiative de l’employeur : c’est ce que l’on appelle le licenciement. Ce dernier peut survenir sans que le salarié ait commis de faute, par exemple en cas d’inaptitude à exercer son emploi à la suite d’une maladie. Lorsqu’il est prononcé pour un motif personnel, le licenciement doit reposer sur ce que le code du travail appelle une cause réelle et sérieuse, c’est-à-dire objective, exacte et d’une certaine gravité. Si ce motif est d’ordre disciplinaire, la faute peut être qualifiée de simple, grave ou lourde, avec des conséquences diverses en termes d’indemnités de départ.

Ensuite, le contrat de travail peut être rompu à l’initiative des deux parties. C’est ce que l’on appelait auparavant un « licenciement à l’amiable », devenu, depuis quelques années, « rupture conventionnelle ». Après signature par l’employeur et le salarié, et à l’issue d’un délai de réflexion, un tel acte doit être validé par l’inspection du travail, qui ne s’intéresse toutefois qu’aux modalités de la rupture et n’examine pas le dossier au fond. Cette procédure, qui a concerné près de 1,3 million de contrats entre 2008 et 2013, a l’avantage d’éviter les contentieux et de permettre au salarié de bénéficier d’une prise en charge par l’assurance chômage.

Enfin, l’initiative peut venir du salarié. Les formes de la démission n’ont pas été définies par le code du travail ; le salarié doit seulement manifester de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin à son contrat. Mais, dans ce cas, il doit respecter un délai de préavis, ce qui n’est jamais facile. C’est pourquoi la jurisprudence a créé la notion de la prise d’acte de rupture – par laquelle le salarié qui reproche des manquements fautifs à son employeur prend acte de la rupture de son contrat. Il appartient au conseil de prud’hommes de qualifier cette prise d’acte : si elle correspond à un licenciement sans cause réelle et sérieuse, le salarié aura droit à des indemnités de départ et à sa prise en charge par Pôle emploi ; si elle est qualifiée de démission par le juge, il n’aura droit à rien.

Rappelons que la procédure prud’homale est divisée en deux étapes principales, la conciliation et le jugement. L’audience devant le bureau de conciliation ne vise pas à entrer dans le fond du dossier : elle consiste en une discussion sur les conditions d’un arrangement amiable pouvant mettre un terme à la procédure. Faute de conciliation – qui concerne aujourd’hui 10 à 15 % des cas –, l’affaire est renvoyée devant le bureau de jugement qui va statuer au fond. Toute cette procédure demande aujourd’hui des délais très longs. Sur ce point, je citerai l’exemple assez représentatif d’un cadre licencié en juillet 2013 pour des motifs qu’il jugeait très discutables : il a saisi le conseil de prud’hommes de Nanterre en septembre de la même année et, le 10 février 2014, faute de conciliation, on lui a annoncé que son affaire serait plaidée devant le bureau de jugement le 8 septembre 2016. Et ce ne sera pas fini : suite aux plaidoiries, les juges mettront l’affaire en délibéré, ce qui demande un délai de huit semaines en moyenne. La décision ne sera donc pas prise avant la fin de l’année 2016, pour une affaire entamée en 2013. Tel est l’état actuel de la justice prud’homale !

Si un salarié décide, à la suite de manquements fautifs de son employeur, de prendre acte de la rupture de son contrat au sens donné par la Cour de cassation en 2003 et de saisir le conseil de prud’hommes, il risque donc d’attendre plus de trois ans pour savoir si son acte est qualifié de licenciement ou de démission par le juge. Le problème est que, dans l’intervalle, il ne bénéficiera pas d’une prise en charge de l’assurance chômage, car, au moins dans un premier temps, Pôle emploi considérera son acte comme une démission. C’est pourquoi les salariés dans une telle situation finissent souvent par vivre du revenu de solidarité active (RSA), à défaut d’autres ressources, et connaissent une grande précarité.

Lorsque les salariés concernés prennent conseil avant d’engager toute action, on les dissuade de recourir à la prise d’acte de rupture, jugée trop dangereuse pour leur situation personnelle. On leur conseille de ne pas quitter leur emploi et de formuler auprès du conseil de prud’hommes une demande de résiliation judiciaire du contrat. Ainsi, le temps que le conseil statue sur l’existence d’un manquement fautif de la part de l’employeur, le salarié reste au sein de l’entreprise. En théorie, il doit même conserver son emploi si sa demande est finalement rejetée, c’est-à-dire si le juge estime qu’aucun élément ne légitime la résiliation du contrat.

Bien entendu, la réalité est tout autre : la plupart du temps, les salariés qui entreprennent une telle démarche ne peuvent plus poursuivre leur activité sous le regard de l’employeur, au risque de subir des pressions. Beaucoup finissent en arrêt maladie pour syndrome anxio-dépressif. Et, à l’issue de l’affaire, qu’ils gagnent ou qu’ils perdent, il leur faut du temps pour se remettre de l’épisode et retourner sur le marché du travail.

La procédure actuelle paraît donc trop longue et inadaptée à la prise d’acte de rupture du contrat de travail. Il est nécessaire d’en instituer une autre, spécifique et plus rapide. C’est l’objet de la proposition de loi qui vous est présentée. Si elle est adoptée, en cas de prise d’acte de la rupture d’un contrat de travail par le salarié, l’affaire sera jugée par le conseil de prud’hommes dans un délai d’un mois suivant la saisine. Une telle procédure serait similaire à celle déjà applicable aux demandes de requalification d’un contrat de travail à durée déterminée (CDD) en contrat à durée indéterminée (CDI).

Cette proposition a reçu le soutien de l’ensemble des organisations syndicales. En ce qui concerne les organisations patronales, le Medef a exprimé son opposition, tandis que la CGPME s’est montrée plus mesurée. En effet, certains employeurs apprécient peu la procédure de prise d’acte de rupture qui les oblige à provisionner dans leur bilan la somme réclamée par le salarié pendant la durée de la procédure.

De même, cette proposition a reçu l’assentiment de tous les praticiens du droit du travail que nous avons pu consulter, qu’ils défendent des salariés ou des employeurs. Tous ont souligné le caractère inadéquat de la procédure de résolution judiciaire, tout en reconnaissant souvent que, faute de mieux, ils la conseillaient à leurs clients.

Le président du Conseil supérieur de la prud’homie, M. Merle, qui a participé à la rédaction du nouveau code du travail, a également apprécié cette proposition, tout en nous invitant à ne pas faire de la prise d’acte une catégorie de rupture du contrat de travail à part entière et à nous placer sur le terrain strictement procédural. Un amendement rédigé avec Denys Robiliard vous sera présenté pour tenir compte de ses remarques. Un autre amendement, rédactionnel, concerne le titre de la proposition de loi.

Ce texte est attendu par les professionnels du droit, les organisations syndicales et les juges prud’homaux. Il constitue une nouvelle occasion de discuter de la procédure prud’homale, laquelle mérite que notre assemblée se penche sur le sujet. On ne peut en effet admettre que des juges n’appliquent pas la loi. Or certaines dispositions, surtout d’ordre procédural, ne sont aujourd’hui pas appliquées. De même, on ne peut accepter de voir des questions de procédure empêcher certains salariés en détresse de relancer leur parcours professionnel.

M. Denys Robiliard. La proposition de loi vise à résoudre un problème bien connu des praticiens du droit du travail, celui posé par la prise d’acte de la rupture d’un contrat de travail. C’est au conseil de prud’hommes qu’il revient de dire à qui elle doit être imputée. Soit elle relève de la seule responsabilité du salarié qui en a pris l’initiative, soit elle est imputable à l’employeur, auquel cas elle produit les effets d’un licenciement dénué de cause réelle et sérieuse : le préavis et l’indemnité conventionnelle de licenciement sont alors dus, de même que d’éventuels dommages et intérêts.

Comme l’a bien montré le rapporteur, le salarié qui use de cette voie risque de rencontrer d’importantes difficultés. Dans la mesure où il est à l’origine de la rupture du contrat de travail, il ne bénéficie pas de l’allocation de retour à l’emploi, à une exception, toutefois : s’il peut produire une ordonnance en référé du conseil de prud’hommes démontrant qu’il n’a pas été payé, Pôle emploi, présumant que la rupture est imputable à l’employeur, liquidera les droits de la même façon qu’en cas de licenciement.

Le problème est que le juge du référé est juge de l’évidence et de l’incontestable. Le salarié peut donc se voir débouté malgré la solidité de ses arguments. En outre, le référé n’est pas adapté à toutes les situations, notamment en cas de rupture intervenue à l’initiative du salarié à la suite d’un harcèlement dont il aurait fait l’objet.

La proposition de loi vise donc à remédier à ce problème en s’inspirant de la procédure utilisée pour requalifier un CDD en CDI : l’affaire serait directement portée devant le bureau de jugement, lequel devrait statuer dans un délai d’un mois.

Bien sûr, il ne faut pas se leurrer. La proposition de loi est certes de nature à améliorer significativement la situation des personnes prenant acte d’une rupture de leur contrat de travail, et peut permettre aux employeurs de connaître plus rapidement les conséquences financières d’une telle situation. Mais les conseils de prud’hommes ont déjà le plus grand mal à tenir le délai d’un mois prévu pour requalifier un contrat à durée déterminée. En outre, ils ne statuent qu’en premier ressort : dans l’immense majorité des cas, l’examen par la chambre sociale d’une cour d’appel aura pour conséquence de prolonger le délai de jugement.

Même si tous les conseils de prud’hommes ne sont pas dans la situation de celui de Nanterre, cité par le rapporteur, l’examen de cette proposition de loi ne doit pas nous dispenser de nous pencher non seulement sur la situation des juridictions prud’homales, mais plus largement sur celle des juridictions sociales – comme le tribunal des affaires de sécurité sociale. Une réforme profonde est probablement nécessaire dans ce domaine, faute de quoi l’adoption de cette proposition de loi ne serait qu’un coup d’épée dans l’eau. Ainsi, dans certains conseils de prud’hommes – notamment en Île-de-France –, il n’est pas rare qu’un renvoi allonge d’un an le délai de jugement d’une affaire. Dans un tel cas, l’obligation de statuer dans un délai d’un mois n’aurait plus de sens.

Pour le groupe socialiste, cet examen constitue donc une première étape dans une entreprise plus large de réforme de la prud’homie.

M. Gérard Cherpion. Bien qu’elle ne comprenne qu’un seul article, cette proposition de loi a un caractère très complexe, parce qu’elle a recours à un procédé particulier, s’inscrivant de manière particulière dans le code du travail.

Ce texte, qui vient en réponse à un problème plus large se posant à l’ensemble des juridictions sociales, n’aurait pas lieu d’être si la prise d’acte de rupture pouvait être qualifiée par le juge dans des délais raisonnables. Il est vrai que la situation actuelle place le salarié comme l’employeur dans une situation d’insécurité, même si le premier peut, au bout du quatrième mois, réclamer à Pôle emploi le versement d’indemnités – quitte à devoir les rembourser en cas de jugement défavorable. Mais la réponse ici présentée est-elle vraiment appropriée ? Après avoir entendu l’ensemble des personnes auditionnées, je m’interroge, au nom du groupe UMP.

Tout d’abord, que devient l’audience de conciliation dans la procédure proposée ? Un délai d’un mois présente l’avantage de garantir une réponse rapide à la question posée, mais il ne laisse pas de temps pour la recherche d’un règlement amiable, ce qui me semble regrettable.

Ensuite, le choix de calquer la procédure sur celle de la requalification d’un CDD en CDI me semble problématique. Non seulement la complexité des affaires n’est pas la même, mais, comme le prévoit l’article R. 1245-1 du code du travail, lorsqu’un conseil de prud’hommes est saisi d’une demande de requalification en application de l’article L. 1245-2, « sa décision est exécutoire de droit à titre provisoire », ce qui n’est pas prévu par la proposition de loi et laisse donc, à nouveau, planer une incertitude sur l’issue du contentieux.

Certes, cette proposition est intéressante dans la mesure où elle se donne pour objectif de permettre au salarié comme à l’employeur d’obtenir une réponse rapide, sans remettre en cause l’ensemble de la procédure prud’homale. Pour autant, je ne suis pas certain qu’elle constitue une bonne solution. Mais, surtout, elle ne répond pas au problème de fond rencontré par les juridictions sociales.

M. Jean-Louis Roumegas. Cette proposition de loi arrive pour moi à point nommé dans la mesure où, à partir de cas similaires survenus dans ma circonscription, mon attention a été appelée sur ce qui constitue une forme de vide juridique. Ainsi, un salarié dont le salaire n’était plus versé depuis plusieurs mois s’est retrouvé privé d’indemnités de chômage après avoir adressé à son employeur, sur le conseil de la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRRECTE), un courrier prenant acte de la rupture de son contrat. Ce n’est que grâce au soutien de sa famille qu’il peut aujourd’hui payer son loyer. Sa situation professionnelle, dont il n’est pourtant nullement responsable, a ainsi des conséquences catastrophiques sur sa vie personnelle. De nombreux salariés se retrouvent dans une impasse comparable, peut-être plus du fait de la jurisprudence ou de la pratique judiciaire qu’à cause de la loi.

La proposition de loi constitue une réponse nécessaire et le groupe écologiste votera en sa faveur. Mais est-elle suffisante ? Il est vrai que la prise d’acte de rupture du contrat de travail peut avoir des causes très différentes – harcèlement moral, manquements aux obligations relatives à la médecine du travail, non-respect du repos hebdomadaire, absence de versement du salaire, etc. –, et tous ne peuvent pas être mis sur le même plan en termes d’urgence. Ne faudrait-il pas prévoir dans certains cas – je pense notamment au non-paiement du salaire – une prise en charge plus systématique des salariés par Pôle emploi et l’ouverture, ne serait-ce qu’à titre provisoire, des droits à l’indemnité de chômage ?

Mme Dominique Orliac. Au nom du groupe RRDP, je salue l’excellent travail fourni par notre collègue Thierry Braillard en qualité de rapporteur.

Cette proposition de loi est d’abord un signal destiné à appeler l’attention sur la durée des procédures prud’homales, tellement importante dans certains conseils qu’elle conduit parfois à des condamnations de l’État français devant des juridictions civiles. Certaines dispositions procédurales ne sont même pas appliquées. Par exemple, l’article R. 1454-29 du code du travail prévoit que, en cas de partage des voix, l’affaire est renvoyée à une audience ultérieure du bureau de conciliation ou du bureau de jugement, présidée par le juge départiteur et qui est tenue dans le mois suivant le renvoi. Or ce délai est loin d’être respecté : lors de la rentrée solennelle du conseil de prud’hommes de Marseille, en janvier dernier, on a appris que la durée moyenne d’une procédure était de 14,8 mois, et même de 29,9 mois en cas de départage.

C’est d’ailleurs pour cette raison que nos collègues du groupe GDR avaient réclamé, et obtenu le 28 février dernier, un débat sur la procédure prud’homale. À cet égard, et même si son objet peut paraître marginal, cette proposition de loi va dans le bon sens. Elle représente un signe envoyé aux salariés qui, malgré le comportement fautif de leur employeur, n’osent pas, à défaut d’une prise en charge par Pôle emploi, rompre leur contrat de travail de peur de se retrouver dans une situation de précarité.

Dans la mesure où le conseil de prud’hommes, statuant au fond, est seul juge de l’imputabilité de la rupture, et compte tenu de la situation précaire dans laquelle est placé le salarié dans l’attente de son jugement, il paraît nécessaire de mettre en place une procédure spéciale qui permette au juge de statuer dans de brefs délais. C’est pourquoi la proposition de loi prévoit de porter directement l’affaire devant le bureau de jugement, qui devra statuer en un mois.

Mais que pourriez-vous répondre, monsieur le rapporteur, à ceux qui estiment ce délai trop court, et donc intenable par des bureaux de jugement déjà surchargés ?

Mme Isabelle Le Callennec. Comme l’a expliqué le rapporteur, la prise d’acte de rupture du contrat de travail constitue pour le salarié une réponse à ce qu’il considère comme un manquement grave commis par son employeur. Je trouve cette proposition de loi intéressante même si, en écoutant mes collègues, j’ai conscience qu’elle est loin de résoudre tous les problèmes, à commencer par les délais de jugement des conseils de prud’hommes, sources d’attente insupportable pour les salariés comme pour les employeurs.

Combien de prises d’acte sont effectuées chaque année ? L’instauration de la rupture conventionnelle a-t-elle eu pour effet d’en augmenter ou d’en diminuer le nombre ?

Les exemples cités – harcèlement, atteinte à la dignité du salarié, manquement de l’employeur à ses obligations de sécurité – sont graves. Ils justifient que l’on sache le plus rapidement possible si la rupture peut être requalifiée en démission ou en licenciement. Et, dans l’hypothèse où elle peut être imputée au chef d’entreprise, il est légitime que le salarié concerné puisse bénéficier d’indemnités. Mais quel serait l’effet de la proposition de loi sur l’assurance chômage ?

Mme Véronique Louwagie. La proposition de loi s’intéresse au cas particulier de la rupture du contrat de travail effectuée à l’initiative du salarié, mais une réflexion plus générale sur la durée des procédures devant les juridictions sociales – notamment les conseils de prud’hommes – serait utile. Il faut résoudre ce problème qui laisse les salariés dans l’insécurité et sans ressources.

Par ailleurs, la proposition suscite un certain nombre de questions.

En premier lieu, ne risque-t-elle pas de produire un appel d’air en incitant les salariés désireux de quitter rapidement leur emploi sans accomplir la durée de préavis à recourir à la prise d’acte de rupture du contrat de travail ?

Deuxièmement, les conseils de prud’hommes sont-ils vraiment en mesure de respecter le délai d’un mois prévu par l’article unique ? Et, si c’est le cas, ne risquent-ils pas de traiter en priorité les demandes de qualification d’une prise d’acte de rupture du contrat de travail, au détriment des autres types de demande, dont le traitement, en conséquence, prendrait du retard ?

En troisième lieu, je m’interroge sur le sort du salarié qui aurait bénéficié d’indemnités à la suite d’une qualification de la rupture de son contrat de travail en licenciement, et qui se verrait débouté en seconde instance. Devra-t-il rembourser ces indemnités ?

M. Dominique Tian. Je rappelle que l’opposition de l’époque avait voté contre la rupture conventionnelle.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Non, monsieur Tian : le groupe socialiste s’était abstenu.

M. Dominique Tian. En tout cas, vous n’y étiez pas favorable.

Une telle procédure, qui a connu un grand succès, puisque 1 300 000 de ces ruptures ont été mises en œuvre depuis leur création, aurait dû permettre de désencombrer les prud’hommes. Il n’en fut rien. À Marseille, par exemple, il faut compter à peu près deux ans et demi pour obtenir un jugement !

Je partage l’inquiétude de mes collègues : la rupture conventionnelle a du succès, tout comme la résiliation judiciaire du contrat de travail qui est à l’origine d’une jurisprudence fournie. Pourquoi créer une procédure supplémentaire ? Cela ne fera qu’aggraver l’embouteillage des prud’hommes, le bureau de jugement étant, dans ce nouveau cas de figure, obligé de statuer dans un délai d’un mois. Nous devons nous attendre à un effet d’aubaine, et les autres affaires ne seront pas jugées plus rapidement.

La situation est en effet scandaleuse dans certains tribunaux, où des salariés licenciés doivent attendre un jugement pendant deux ou trois ans. Dans ces conditions, avez-vous pensé, pourquoi ne pas imaginer une procédure plus rapide ? Vous appliquez donc à la justice prud’homale la procédure de la comparution immédiate – que vous avez pourtant souvent contestée. Ce faisant, vous supprimez la phase de conciliation, ce qui est regrettable. En outre, avec des délais plus serrés, les salariés n’auront pas le temps de constituer un dossier pour prouver leur bonne foi : c’est une remise en cause de leurs droits. Ainsi, faute d’avoir le courage de vous attaquer à la réforme des prud’hommes, vous mettez en place une justice quelque peu expéditive.

M. Bernard Accoyer. Cette proposition de loi, qui risque bel et bien de créer un appel d’air, nous détourne des vrais problèmes des juridictions prud’homales. Plus globalement, alors que le code du travail a grand besoin de simplification, on lui ajoute un nouvel article. En 1973, il en comptait 600 ; aujourd’hui, 10 000 ! Saluons l’inventivité des parlementaires et des gouvernements de droite comme de gauche. Reste que la complexification administrative constitue un lourd handicap pour notre pays, notre économie et pour l’emploi. Chaque fois que l’on introduit un article dans le code du travail, nous devrions essayer d’en supprimer un.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je voudrais rappeler le contexte dans lequel notre groupe s’est abstenu sur la rupture conventionnelle : bien que les partenaires sociaux, à l’exception d’un syndicat, aient donné leur accord, le groupe socialiste avait émis des doutes sur les risques de contournement d’une telle procédure. Certes, on a assisté ensuite à une rapide montée en charge des ruptures conventionnelles, et on a pu croire qu’elles répondaient à une demande des partenaires sociaux. Mais, en pleine crise économique, nous avons vu que nos réserves étaient fondées : certaines ruptures conventionnelles, pour ne pas dire nombre d’entre elles, n’étaient que des licenciements économiques déguisés et une façon de dissimuler la faute de l’employeur. Cela a été prouvé par les prud’hommes, et les chiffres sont clairs.

M. Jean-Patrick Gille. En effet, nous ne nous étions pas opposés à la rupture conventionnelle, mais nous en avions indiqué les limites. Ainsi, il arrive souvent qu’une rupture conventionnelle ne soit qu’une préretraite déguisée : il suffit, pour s’en convaincre, d’étudier les statistiques qui font apparaître un pic de ruptures conventionnelles à cinquante-huit ans, c’est-à-dire à l’âge où un salarié peut bénéficier des trois ans d’indemnisation de l’UNEDIC ; après quoi, à soixante et un ans, un autre dispositif lui assure une prolongation d’une année.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Monsieur le rapporteur, je voudrais vous interroger sur une phrase qui figure dans l’exposé des motifs de votre proposition de loi : « Durant cette période d’attente que le juge statue sur les effets de cette rupture, le salarié ne bénéficie d’aucune protection sociale. » Je suppose que vous ne visez que les indemnités chômage et que le salarié a toujours droit aux prestations de soins de santé ?

M. le rapporteur. En effet.

Je répondrai à M. Accoyer que, lorsqu’il a voté les dispositions relatives à la rupture conventionnelle, il a ajouté des articles au code du travail. De même, nous en avons ajouté hier soir en examinant la proposition de loi visant à renforcer la responsabilité des maîtres d’ouvrage et des donneurs d’ordre dans le cadre de la sous-traitance et à lutter contre le dumping social et la concurrence déloyale. Mais il faut savoir : soit il vote pour, et il assume ; soit il vote contre, et il assume…

Monsieur Robiliard, il est exact que la conférence sur « La justice du XXIe siècle » a évoqué la réforme prud’homale, notamment la constitution d’une juridiction sociale intégrant les prud’hommes et les tribunaux des affaires de sécurité sociale.

Par ailleurs, si j’approuve l’ensemble de vos propos, je tiens à apporter une précision : le référé permet de trancher dans l’urgence et à titre provisoire. Le juge des référés n’étant pas juge de l’imputabilité, ce n’est pas à lui d’apprécier au fond la rupture du contrat de travail.

Monsieur Cherpion, vous avez dit que, si les délais étaient normaux, ma proposition de loi n’aurait pas lieu d’être, et vous vous êtes interrogé sur l’avenir de l’audience de conciliation. Mais, lorsqu’il y a prise d’acte de rupture et que le salarié a saisi le conseil des prud’hommes sur l’imputabilité de la rupture, à quoi pourrait servir cette audience ? Le salarié demande que la rupture soit jugée imputable à son employeur – ce qui lui permettra ensuite, par exemple, de demander des dommages-intérêts pour rupture abusive. Le bureau de conciliation a pour mission de rapprocher les parties, mais n’a pas le pouvoir de dire, à cette étape de la procédure, qui a raison ou qui a tort. Voilà pourquoi, dans le cas précis d’une prise d’acte de rupture, l’audience de conciliation n’a pas d’utilité. Autant aller directement, dans le mois qui suit, devant le bureau de jugement, qui est seul juge de l’imputabilité et qui pourra dire si la rupture est une démission ou un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Monsieur Roumegas, il est précisé, dans l’exposé des motifs, que Pôle emploi peut prendre en charge le salarié en cas de défaut de paiement de salaire. Encore exige-t-il que le salarié saisisse auparavant la formation des référés des prud’hommes, pour se présenter avec une ordonnance de référé condamnant l’employeur à payer le salaire qui lui est dû
– conformément à l’accord d’application n° 14 de l’UNEDIC. Dans ces conditions, Pôle emploi lui versera une allocation de chômage dans l’attente du jugement qui interviendra sur la prise d’acte de rupture. Le salarié est ainsi obligé de lancer deux procédures aux prud’hommes, une procédure en référé et une procédure au fond, alors même qu’il rencontre des difficultés et qu’il n’est pas forcément pris en charge par l’aide juridictionnelle. Ce n’est pas simple, mais c’est la seule méthode possible.

Madame Orliac, vous vous êtes interrogée à propos du délai d’un mois, que certains considèrent comme intenable. Il est vrai que tout le monde devra y mettre du sien, y compris les avocats, qui gagneraient à modifier un peu leurs habitudes : il serait sans doute utile que, au moment où ils saisissent la juridiction, ils fournissent des explications écrites – ce qu’ils ne font pas à ce jour – pour éviter des renvois et l’allongement de la procédure.

Madame Le Callennec, je n’ai pas la prétention de résoudre le problème des juridictions prud’homales avec cette proposition de loi. Mais celle-ci pourrait constituer un signal, comme le disait Mme Orliac, une occasion de montrer que nous sommes conscients de la réalité du problème et de la nécessité d’y remédier.

Ensuite, ni la Chancellerie ni le ministère du travail ne nous ont fourni de statistiques sur le nombre de prises d’acte de rupture. Nous n’en possédons que sur le nombre de ruptures conventionnelles, fournies par les DIRRECTE. Quant aux conseils de prud’hommes, ils ne précisent pas les motifs des recours engagés – licenciement, prise d’acte de rupture, etc.

Enfin, je répondrai par la négative à votre question sur l’impact que pourrait avoir cette proposition de loi sur l’assurance-chômage. Une plus grande rapidité dans le traitement des dossiers ne changera rien, dans la mesure où le fait de dire s’il s’agit d’une démission ou d’un licenciement continuera à relever de la libre appréciation des juges prud’homaux.

Madame Louwagie, vous avez craint que cette proposition constitue un appel d’air : mais, je le répète, c’est au juge qu’il appartient de trancher.

Sur les délais, il faut signaler que lorsqu’un salarié saisit le conseil de prud’hommes de Lyon ou celui de Paris d’une demande de requalification, il est convoqué en bureau de jugement dans le mois qui suit, voire dans les six semaines, conformément à la procédure. C’est ensuite que le traitement du dossier diffère. À Lyon, dans 99 % des cas, le renvoi, s’il est demandé, a lieu dans le mois qui suit. À Paris, le président du conseil de prud’hommes nous a dit que, si le renvoi était demandé, c’était que l’une des parties n’avait pas été diligente et que, par conséquent, le dossier était renvoyé à un an. Il est insupportable de constater que, pour une même demande, le dossier est traité différemment, selon que l’on se trouve à Lyon ou à Paris – d’autant que les différences de délais ne s’entendent pas en mois, mais en années…

Monsieur Tian, je ne peux pas vous laisser dire que les conseils de prud’hommes ne fonctionnent pas. Je veux saluer leurs juges, qui travaillent parfois dans des conditions difficiles et font de leur mieux. Pour autant, je pense qu’il y a des efforts d’organisation à faire, afin de respecter les délais.

Enfin, ne confondons pas la rupture conventionnelle qui est une procédure amiable, avec la prise d’acte ou la résiliation qui supposent l’existence d’un litige, ce qui signifie que l’on n’est pas capable de signer une rupture conventionnelle. On ne peut pas les traiter de la même façon.

Article unique

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l’amendement AS1 de suppression de l’article de M. Dominique Tian.

Elle examine ensuite l’amendement AS5 du rapporteur.

M. le rapporteur. Cet amendement vise à déplacer les dispositions de la proposition de loi de l’article L. 1237-1-1 du code du travail, dans la partie relative à la rupture du contrat de travail à l’initiative du salarié, à l’article L. 1451-1, dans la partie relative à la procédure devant le conseil des prud’hommes. L’objet de ce texte est bien de préciser la procédure prud’homale applicable, et non de créer ou de reconnaître une nouvelle modalité de rupture du contrat de travail à l’initiative du salarié.

Dans cette perspective, cet amendement reformule également le texte, afin d’expliciter la notion de prise d’acte, sans introduire pour autant dans le code du travail le terme même de « prise d’acte », qui est une construction jurisprudentielle.

Mme Isabelle Le Callennec. Certes, le bureau du jugement devra statuer dans le délai d’un mois. Mais vous ne dites rien des recours qui pourront être interjetés ensuite, et qui risquent d’allonger la procédure.

M. le rapporteur. Premièrement, rien n’empêche le juge d’ordonner l’exécution provisoire. Ensuite – et je réponds en même temps à la question de Mme Louwagie –, le salarié peut gagner en première instance et perdre en deuxième instance : cela vaut pour n’importe quel litige. Si le salarié a récupéré une somme dans le cadre de l’exécution provisoire, mais que la Cour d’appel décide de tout remettre à plat, il sera obligé de rembourser. Cela arrive dans tous les tribunaux. Ce n’est pas une nouveauté.

M. Denys Robillard. L’exécution provisoire est de droit pour une partie des sommes. En effet, à partir du moment où il a été jugé que la rupture était imputable à l’employeur, l’indemnité de préavis et l’indemnité conventionnelle ou légale de licenciement sont dues au salarié. Or ces indemnités, dans la limite de neuf mois de salaire, sont exécutoires de droit par provision. Par conséquent, une partie de la décision sera de plein droit assortie de l’exécution provisoire.

Ensuite, on peut considérer que, si Pôle emploi, sur la base d’une ordonnance de référé, accepte de considérer que la rupture est imputable à l’employeur et de faire produire à cette rupture les effets d’un licenciement, il n’y a pas de raison que, sur la base d’un jugement du conseil des prud’hommes statuant au fond, il n’adopte pas la même analyse. Cela me paraîtrait suffire à préserver le droit des salariés à être rapidement indemnisés et pris en charge au titre du chômage – qui est l’objectif de cette proposition de loi.

M. le rapporteur. Je rajouterai que, nonobstant l’exécution provisoire de droit, sur la base de l’article 515 du code de procédure civile, le salarié peut faire une demande d’exécution provisoire sur l’intégralité du jugement.

M. Dominique Tian. J’ai bien conscience que, si l’amendement AS5 est adopté, mon amendement AS2 tombera : j’aimerais néanmoins l’évoquer en quelques mots. Lorsque l’employeur envisage de rompre le contrat d’un salarié, il le convoque d’abord à l’entretien préalable, afin de lui faire part des griefs à son encontre et d’en discuter. Cet entretien peut aboutir à revenir sur la rupture envisagée. Selon moi, il est anormal qu’il en soit autrement dans le cadre d’une prise d’acte, par le salarié, de la rupture de son contrat qui, en l’état actuel de la jurisprudence, laisse l’employeur dans l’ignorance des griefs du salarié jusqu’à un éventuel contentieux. Voilà pourquoi j’avais proposé, par souci d’équilibre, que l’employeur soit informé des manquements graves que lui reproche le salarié.

La Commission adopte l’amendement AS5.

L’article unique est ainsi rédigé.

En conséquence, les amendements AS2 et AS3 de M. Dominique Tian tombent.

Titre

La Commission adopte l’amendement de cohérence AS4 du rapporteur.

Puis elle adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

——fpfp——

Information relative à la Commission

La Commission des affaires sociales a désigné Mme Bérengère Poletti rapporteure sur la proposition de loi de Mme Bérengère Poletti relative aux arrêts de travail et aux indemnités journalières (n° 1782).

La séance est levée à dix heures quarante.

Présences en réunion

Réunion du mercredi 19 février 2014 à 9 heures 30

Présents. – M. Bernard Accoyer, M. Gérard Bapt, M. Jean-Pierre Barbier, Mme Véronique Besse, Mme Gisèle Biémouret, Mme Kheira Bouziane, Mme Valérie Boyer, M. Thierry Braillard, Mme Sylviane Bulteau, Mme Fanélie Carrey-Conte, Mme Martine Carrillon-Couvreur, M. Gérard Cherpion, Mme Marie-Françoise Clergeau, M. Rémi Delatte, M. Dominique Dord, M. Richard Ferrand, Mme Hélène Geoffroy, M. Jean-Patrick Gille, Mme Linda Gourjade, M. Henri Guaino, Mme Sandrine Hurel, M. Michel Issindou, M. Denis Jacquat, Mme Chaynesse Khirouni, Mme Conchita Lacuey, Mme Isabelle Le Callennec, Mme Annie Le Houerou, Mme Catherine Lemorton, M. Jean Leonetti, M. Céleste Lett, Mme Geneviève Levy, Mme Véronique Louwagie, Mme Véronique Massonneau, M. Pierre Morange, M. Hervé Morin, Mme Ségolène Neuville, Mme Dominique Orliac, Mme Monique Orphé, Mme Luce Pane, M. Christian Paul, Mme Bérengère Poletti, M. Denys Robiliard, Mme Barbara Romagnan, M. Jean-Louis Roumegas, M. Gérard Sebaoun, M. Dominique Tian, M. Jean-Louis Touraine, M. Olivier Véran

Excusés. – M. Philippe Briand, Mme Gabrielle Louis-Carabin, M. Laurent Marcangeli, M. Jean-Philippe Nilor, M. Bernard Perrut, M. Arnaud Richard, M. Fernand Siré, M. Christophe Sirugue, M. Jonas Tahuaitu, M. Jean-Sébastien Vialatte