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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mardi 8 juillet 2014

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 70

Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, Président

– Audition de M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur, sur le projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral (M. Carlos da Silva, rapporteur) (n° 2100)

La séance est ouverte à 17 heures.

Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, président.

La Commission procède à l’audition de M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur, sur le projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral (M. Carlos da Silva, rapporteur) (n° 2100).

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Avant d’aborder, demain, la discussion des articles du projet de loi, nous entendons aujourd’hui le ministre de l’Intérieur qui présente ce texte, accompagné du secrétaire d’État chargé de la réforme territoriale. Nos échanges tiendront lieu de discussion générale.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur. Il n’a échappé à la sagacité d’aucun d’entre vous qu’à l’issue de son examen par le Sénat, le projet de loi était légèrement différent de celui que le Gouvernement avait originellement présenté…

Aussi insisté-je sur la cohérence globale d’une réforme territoriale qui trouvera sa traduction dans plusieurs textes, dont certains ne seront pas législatifs, et qui repose sur quatre piliers.

Elle vise tout d’abord à donner au pays des régions fortes qui accompagneront de façon efficace leurs filières d’excellence et qui pourront décider des investissements de compétitivité structurants dont les territoires ont besoin pour se moderniser. Sur le terrain, il s’agira par exemple de poursuivre les coopérations interrégionales dans le cadre des pôles de compétitivité ou d’investir dans la transition énergétique, les transports de demain ou l’équipement numérique du territoire.

La réforme favorise ensuite la montée en puissance des intercommunalités dans un pays qui compte quasiment autant de communes que tous ses partenaires européens réunis. Dans ce but, Mme Marylise Lebranchu, ministre de la Décentralisation et de la fonction publique, et M. André Vallini, secrétaire d’État chargé de la réforme territoriale, proposeront de fixer un nouveau seuil de population pour la création de l’intercommunalité.

À l’automne, un projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, présenté par Mme Lebranchu et M. Vallini, clarifiera les compétences entre les collectivités territoriales, et traitera de leurs personnels et de leur management. L’organisation territoriale deviendra plus lisible aux yeux de nos concitoyens.

Enfin, la réforme territoriale vise à donner plus de pouvoir aux administrations déconcentrées de l’État. Pour qu’aucune ambiguïté ne subsiste, je précise qu’il ne s’agit nullement de « recentraliser » en confiant à des administrations déconcentrées des compétences qui relevaient jusqu’alors des collectivités territoriales. Nous souhaitons seulement mieux organiser l’administration déconcentrée de l’État et favoriser le transfert en sa faveur des pouvoirs de l’administration centrale. Dans ce cadre, les préfets doivent bénéficier de davantage de pouvoirs d’intervention et de plus de moyens pour organiser les services localement.

Comme un point d’orgue à la réforme, qui projette celle-ci au-delà du quinquennat en cours, il faut ajouter la possible suppression des conseils départementaux à l’horizon de 2020. Cette évolution suppose que soit stabilisée l’architecture que je viens de décrire, dans le cadre d’une large concertation.

Le Gouvernement a conscience que les territoires ruraux s’inquiètent d’un éventuel « décrochage ». La réforme territoriale ne saurait se traduire par un recul des services publics dans des territoires qui ont déjà un sentiment de relégation. Elle ne peut en aucun cas constituer une marche supplémentaire vers leur désertification.

Cette réforme cohérente n’est donc pas improvisée. Elle a sa logique, ses articulations et ses objectifs. Nous voulons des territoires plus forts et mieux organisés qui mutualisent leurs frais de fonctionnement.

Cette réforme est par ailleurs urgente. En mars 2009, le « comité Balladur » pour la réforme des collectivités territoriales, remettait au président de la République un rapport intitulé : Il est temps de décider. Cinq ans après, l’organisation territoriale n’a pas été sensiblement modifiée. Nous considérons en conséquence qu’il est véritablement temps d’agir, temps de décider. Le Gouvernement, conscient que nul n’est jamais assuré de détenir seul la vérité, a donc pris le risque de soumettre au débat des orientations afin que tous les acteurs puissent cheminer ensemble et qu’une réforme aboutisse.

La semaine dernière, le Sénat, saisi en première lecture, a choisi d’ôter du projet de loi deux de ses principales dispositions : l’article prévoyant le regroupement des régions ainsi que le tableau de conseillers régionaux s'y rattachant. Sur ces deux sujets, il appartient maintenant à l’Assemblée nationale de prendre ses responsabilités, en tenant compte de l’urgence qu’il y a à moderniser nos territoires et de l’impératif de mener le débat à son terme.

J’en viens au projet de loi tel qu’il avait été présenté en Conseil des ministres. Je me félicite de l’ambition affichée par certains d’entre vous de reconstruire un texte « défait » par le Sénat tout en améliorant la version proposée par le Gouvernement. Cette dernière proposait de regrouper quinze de nos régions actuelles pour créer six nouvelles régions au périmètre élargi. Sept autres régions, disposant déjà d’une population nombreuse, demeuraient inchangées. Il en allait de même pour un certain nombre de collectivités en raison de leur spécificité, notamment la Corse. Pour des raisons géographiques évidentes, ce processus de regroupement ne s’appliquait pas aux régions ultramarines.

Au terme de ce processus, la France compterait donc quatorze régions métropolitaines. Ce chiffre est proche des recommandations du comité Balladur, qui appelait de ses vœux la création de quinze régions. Il est plus élevé que celui proposé dans le rapport d’information présenté en octobre 2013 au Sénat par M. Yves Krattinger à l’issue des travaux d’une mission d’information commune présidée par M. Jean-Pierre Raffarin, qui préconisait de revenir à une dizaine de régions. En réduisant leur nombre à quatorze, le Gouvernement a naturellement été amené à proposer une nouvelle carte des régions de France. Cette carte a particulièrement retenu l'attention des commentateurs et frappé l'imagination des Français. Je voudrais pourtant que nous l’examinions et, le cas échéant, que nous l’amendions, en conservant une certaine distance critique.

Nous savons tous en effet qu'il n'existe pas de carte idéale. Comme l’observait Fernand Braudel : « Nous ne sommes pas seulement de telle province, préférée dans notre cœur à toutes les autres, mais de telle région précise de cette province-là. » C'est pourquoi, à grande échelle, il n'existe pas de carte qui soit économiquement efficace tout en respectant les contours des fleuves et des vallées, les frontières linguistiques, l'unité des paysages, les formes de l'habitat, les voies de circulation, sans même parler de la préférence des cœurs. Croyez bien que nous nous serions empressés de vous proposer un tel découpage ! Le Gouvernement ne fait preuve d’aucune perversité ; il souhaite sincèrement que nous aboutissions ensemble à un compromis autour des propositions les plus pertinentes possibles. Il existe autant de cartes que de regards portés à partir de considérations locales. Ces regards ne sont d’ailleurs pas sans intérêt, car c’est dans le croisement et la multiplicité des points de vue que réside l’équilibre que nous recherchons.

Notre objectif n'est pas de créer des régions identitaires, comme peuvent l'être la Catalogne en Espagne, le Piémont en Italie, ou la Bavière en Allemagne, mais des régions économiques à la fois puissantes et respectueuses des identités locales. Je n'en comprends pas moins certaines réactions d’attachement aux circonscriptions régionales actuelles, soit parce qu’elles recoupent d'anciennes provinces, comme la Bretagne, l’Alsace ou la Franche-Comté, soit parce que, plus généralement, trente années de régionalisation ont fini par faire émerger une vraie culture régionale à laquelle les élus et les citoyens sont attachés et à laquelle ils craignent de devoir renoncer à l'occasion d'un regroupement.

Au Sénat, plusieurs amendements ont convergé, dans des rédactions et selon des modalités différentes, vers un objectif commun : déverrouiller le droit d’option pour les départements. Ces assouplissements, qui permettraient à un département de se rattacher à une région autre que sa région d'origine, peuvent être regardés avec intérêt dès lors, bien entendu, qu'une carte aura été adoptée. Il n’aurait en effet pas de sens d’ouvrir un droit d’option sans carte. Afin de garantir qu’une modification des limites régionales fait l'objet d'un consensus, il sera nécessaire que ce projet obtienne l'adhésion, à une majorité des trois cinquièmes des suffrages, du conseil général du département en question, ainsi que des deux conseils régionaux des régions concernées.

Notre objectif de regroupement de régions répond à une préoccupation ancienne. Il y a plus de cinquante ans, la création des vingt et une « régions de programme » traduisait déjà la volonté de définir un espace pertinent, plus vaste que le département, pour organiser le développement économique du pays dans le contexte des « Trente Glorieuses ». Le général de Gaulle pouvait ainsi déclarer à Lyon en 1968 : « L'effort multiséculaire de centralisation du pays, qui fut longtemps nécessaire pour réaliser et maintenir son unité malgré les divergences des provinces qui lui étaient successivement rattachées, ne s'impose plus désormais. Au contraire, ce sont les activités régionales qui apparaissent comme les ressorts de sa puissance économique de demain. » Or certaines de ces régions sont à leur tour devenues aujourd'hui trop étroites pour rivaliser avec leurs concurrentes européennes.

Rappelons que la population moyenne des Länder allemands est ainsi de 5,1 millions d'habitants, et celle des régions italiennes, hors régions à statut spécial, de 4,4 millions d'habitants. Quant à l’Espagne, elle compte quatre communautés autonomes de plus de 4 millions d'habitants. Il faut comparer ces chiffres à la population moyenne des régions françaises qui s’élève, hors Île-de-France, à 2,6 millions d'habitants.

Notre réforme diminuera par ailleurs considérablement les disparités démographiques entre régions. Aujourd’hui, la plus peuplée, hors Île-de-France, rassemble aujourd'hui neuf fois plus d'habitants que la moins peuplée – et ce rapport est de un à seize en tenant compte de l’Île-de-France. Demain, après la réforme, ce rapport de population sera ramené de un à trois sans tenir compte de l’Île-de-France, de un à quatre en l’incluant.

L’article 1er du projet de loi qui proposait une nouvelle carte des régions a été supprimé par le Sénat. Nous souhaitons que l’Assemblée nationale rétablisse une carte qui soit la plus proche possible de celle retenue par le Gouvernement. Le tableau relatif à l’effectif des conseils régionaux – qui pouvaient compter au maximum 150 conseillers – a également été supprimé. Le Gouvernement se montrera ouvert si des amendements proposent de dépasser ce plafond. Nous nous sommes opposés au passage d’un à cinq du nombre garanti de représentants des plus petites sections départementales des grandes régions car l’amendement sénatorial déposé en ce sens à l’article 7 ne respectait pas les règles constitutionnelles. Nous sommes toutefois favorables à une évolution de cette disposition.

Nous souhaitons que vous puissiez faire prévaloir vos points de vue. Nous posons comme seules limites que vous n’alliez pas au-delà du nombre de régions prévues dans le texte initial, et que l’éventuel droit d’option ne s’ouvre qu’au terme d’une période probatoire et dans les conditions que je vous ai indiquées.

Certaines dispositions de l’article 12 qui pourraient paraître marginales permettaient de régler des problèmes en suspens comme la fin du mandat des conseillers généraux de l’agglomération de la métropole lyonnaise après qu’une répartition des compétences est intervenue entre cette dernière et le département. Une disposition de cet article tirait par ailleurs les conséquences de la décision du 16 mai 2013 du Conseil constitutionnel relative au projet de loi instituant le scrutin binominal. Il était prévu d'attendre, en cas de vacance résultant par exemple de la démission d'un conseiller départemental, que le deuxième conseiller départemental du même canton démissionne pour organiser une élection partielle binominale. Le Conseil constitutionnel avait jugé ce dispositif contraire au principe de bonne administration des collectivités territoriales. L'article 9 prévoit donc que des élections partielles seraient organisées. Le Gouvernement considère que l'objectif de parité inscrit dans la Constitution n'implique pas que, dans le cas d'une élection partielle, des considérations liées au sexe du candidat puissent interdire à un homme ou à une femme de se présenter dans un canton.

Notre pays attend une réforme des territoires. Nous avons décidé de l’engager de façon globale dans un esprit de dialogue, de compromis et, si possible, de consensus, tout en tenant compte des urgences du temps, notamment celle, pour les collectivités locales, de s’organiser pour investir et soutenir l’économie de leurs territoires, comme cela se pratique ailleurs en Europe.

M. Carlos Da Silva, rapporteur. Le projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui porte désormais mal le nom que lui avait donné le Gouvernement. Si le Sénat a adopté, moyennant quelques modifications de forme, les dispositions relatives au remplacement des conseillers départementaux, il a substitué à celles relatives à la délimitation des régions – notamment au redécoupage effectué à l'article 1er du projet de loi – des considérations de principe. S’il a adopté la plupart des dispositions concernant les élections régionales, il a supprimé le tableau prévoyant la composition des conseils régionaux ainsi que les dispositions relatives au report du calendrier électoral. Nous ne pouvons que regretter qu’un certain nombre de nos collègues sénateurs – pour la plupart membres des groupes communiste et UMP – n’aient pas laissé la Chambre haute faire véritablement son travail. Cela n’est bon ni pour la représentation nationale ni pour les sénateurs.

Monsieur le ministre, le Sénat a quasiment fait de votre projet de loi une page blanche. Il revient donc à notre Commission de prendre sa plume pour esquisser ce que pourrait être, d’une part, une nouvelle carte de France avec des régions plus fortes, plus efficaces et plus cohérentes, et déterminer, d’autre part, le nombre d’élus par région et par département.

En tant que rapporteur, j’ai reçu au moins les quatre groupes politiques principaux de chacun des actuels conseils régionaux. Toutes les personnes que j’ai entendues m’ont dit leur attachement à leur région, et le travail engagé depuis des décennies en faveur du transport, du développement économique, de la solidarité ou du tourisme. Beaucoup a été fait par les régions ! J’ai aussi entendu des doutes nombreux et des analyses contradictoires. J’en ai tiré la conviction que la réforme proposée était attendue, et qu’il revenait bien à l’État d’agir et de le faire rapidement. J’ai en effet eu la certitude que l’addition des bonnes volontés individuelles n’aurait pas permis de construire un projet global.

Le Gouvernement a d'ores et déjà précisé qu'il n'était pas hostile à une modification de la carte présentée lors de l’adoption du projet de loi par le Conseil des ministres, pourvu que ce découpage s’appuie sur les périmètres des régions existantes et respecte l'objectif de réduction du nombre de régions.

Afin de permettre la plus large concertation possible, j’ai auditionné les élus régionaux de la majorité comme ceux de l’opposition. J’ai tiré de nos échanges un amendement qui reprend la carte présentée en conseil des ministres en la modifiant sur un point : la réunion du Limousin et de l’Aquitaine. Je souhaite que le Gouvernement s’exprime d’ores et déjà sur cette proposition.

Si le Sénat a par ailleurs affirmé son attachement aux régions existantes, il a choisi d’adopter un amendement permettant à un département de rejoindre une région contiguë par simples délibérations concordantes. S’il me semble possible d’envisager un tel « droit d’option », il doit à mon sens, pour garantir la préservation de l’intérêt général, être approuvé à la majorité des trois cinquièmes.

J’aimerais également connaître la position du Gouvernement sur la fixation du chef-lieu des nouvelles régions, même s’il s’agit avant tout d’une dénomination honorifique, le conseil régional pouvant organiser ses locaux et ses réunions sur l’ensemble du territoire régional. Quant aux noms des nouvelles régions, je proposerai par voie d’amendement de laisser aux conseils régionaux la possibilité de proposer au Gouvernement le nom qu’ils souhaitent adopter.

Le projet de loi, dans sa version initiale, prévoyait de plafonner à 150 le nombre de conseillers régionaux par région. Il est apparu, lors des différentes auditions, que cela créait des difficultés, notamment en Île-de-France ou en Auvergne-Rhône-Alpes, ce nombre étant difficilement conciliable avec la nécessité que le conseil régional soit représenté dans de nombreux organismes, par exemple les conseils d’administration des lycées. Le Gouvernement est-il prêt à envisager de relever ce plafond ?

Le projet de loi prévoyait en outre qu’il y ait au moins un conseiller régional par département. Je proposerai de porter ce plancher à deux conseillers régionaux, dans le respect du principe constitutionnel selon lequel il ne peut y avoir, au sein d’une même région, plus de 20 % d’écart, entre les différents départements, quant au nombre de conseillers rapporté à la population.

Le conseil des ministres a examiné le 18 juin deux projets de loi : celui dont il est question aujourd’hui, relatif à la délimitation des régions et à la modification du calendrier électoral, et celui portant sur la clarification des compétences des collectivités, qui sera rapporté devant notre assemblée par Olivier Dussopt. Nous entendons, lui et moi, travailler de concert ; dans cette optique, nous avons organisé en commun deux tables rondes, la première réunissant des démographes et des géographes, la seconde des acteurs du monde économique.

Nous attendons de vous, monsieur le ministre, que vous rassuriez notre Commission et, avec elle, l’ensemble de la représentation nationale, sur la cohérence entre ces deux lois, car la perspective de la réforme territoriale ne manquera pas d’innerver nos débats sur le redécoupage des régions, le nombre des élus et la date des élections. Je suis confiant néanmoins dans notre capacité à faire œuvre utile.

M. Jean-Frédéric Poisson. Nous voici donc conviés à un nouveau « happening » gouvernemental sur un texte institutionnel. Je voudrais faire ici deux ou trois remarques touchant, une fois encore, au calendrier, à la forme et à l’organisation de nos travaux.

Nous ne pouvons vous suivre, monsieur le ministre, lorsque vous parlez de cohérence. Comment en effet parler du découpage, alors que la question des compétences des collectivités – qui doit, selon le rapporteur, « innerver » nos débats – n’est pas réglée ?

Vous nous expliquez par ailleurs que ce projet de loi a pour objectif de renforcer les exécutifs régionaux en leur permettant d’investir ; vous invoquez les régions des pays alentour, plus grandes et plus puissantes. Il me semble cependant que la seule configuration territoriale n’explique pas cette puissance, certainement liée à d’autres facteurs.

En réduisant le nombre d’élus, vous vous rapprochez de la démarche qui avait présidé à la création du conseiller territorial, que vous avez pourtant supprimé sans que l’on comprenne bien pourquoi. Au lieu d’être élus dans les départements, vos conseillers seront élus dans les régions, ce qui ne constitue pas une différence de taille. Reste que, malgré vos assurances, je me demande comment ils pourront assumer leurs responsabilités lorsque certains d’entre eux ne seront que deux par département : cela me semble en contradiction avec l’exigence de proximité formulée par nos concitoyens à l’endroits de leurs élus locaux.

Sur la forme, vous avez recouru à la procédure accélérée, dans le seul but de vous exonérer du délai obligatoire de six semaines entre le dépôt du texte et son inscription à l’ordre du jour, pour détourner finalement cette procédure puisque vous avez annoncé une seconde lecture au Sénat puis à l’Assemblée nationale ! Ce sont des procédés peu respectueux du Parlement, quand bien même la seconde lecture nous permettra d’examiner un texte sans doute plus complet que celui qui nous est proposé aujourd’hui.

Le texte issu du Sénat a été transmis à l’Assemblée samedi dernier. La commission du Développement durable et de l’aménagement du territoire, saisie pour avis, l’examine en ce moment même, puis ce sera notre tour, dans des conditions peu favorables puisque la lecture des conclusions d’une commission mixte paritaire interrompra nos échanges mercredi soir.

Le rapporteur a reproché au Sénat de n’avoir su trouver de majorité, mais cette manière de vouloir faire porter le chapeau à la chambre haute cache mal l’incapacité de votre propre majorité à trouver les équilibres nécessaires pour défendre convenablement vos textes.

M. Guillaume Larrivé. C’est au ministre des élections que je m’adresse ici plutôt qu’au ministre de la réforme territoriale ou des collectivités locales. Alors que nous approchons de la mi-temps du quinquennat de François Hollande, la majorité a déjà fait voter plusieurs textes modifiant notre droit électoral. Elle a modifié le mode d’élection des sénateurs, mais aussi, partiellement, celui des conseils municipaux et communautaires et, plus radicalement, celui des élus départementaux. Elle a déjà reporté les élections départementales et les élections régionales de mars 2014 à mars 2015 et s’apprête, avec ce texte, à les reporter de nouveau à décembre 2015 sans que les motifs d’intérêt général qui président à cette décision soient très clairs. Nous sommes donc curieux de savoir si le quinquennat, qui s’accélère, nous réserve d’autres réformes électorales, un hebdomadaire ayant annoncé hier sur son site internet qu’une modification du mode de scrutin des élections législatives, avec l’introduction d’une dose de proportionnelle, était envisagée. Ce quinquennat sera-t-il donc celui du changement permanent des règles du jeu électoral, la majorité, effrayée de ne plus être la majorité, cherchant, par tous les moyens, à tordre les règles ?

M. Hervé Gaymard. Citant le rapport de la commission présidée par Édouard Balladur, vous avez dit, monsieur le ministre, qu’il y avait urgence à réformer nos collectivités territoriales. Pourtant, vous vous êtes empressés, à peine François Hollande élu, de faire voter l’abrogation en juillet 2012 de la loi créant le conseiller territorial, que nous avions adoptée en décembre 2010 et qui constituait une vraie réforme. Pourquoi une telle décision ?

Pourquoi, par ailleurs, avez-vous entrepris un redécoupage cantonal, qui vous a beaucoup occupé et qui occupe actuellement les juges du Conseil d’État, pour nous annoncer aujourd’hui la suppression des élus départementaux ?

Enfin, alors que votre Gouvernement transmettait en début d’année au Conseil d’État un projet de loi sur les collectivités territoriales qui renforçait singulièrement les compétences des conseils généraux, le Premier ministre recommandait, quelques semaines plus tard, dans sa déclaration de politique générale, la suppression de ces mêmes conseils généraux, ce qui achève de démontrer votre absence de vision stratégique à long terme.

Pour le reste, nous attendrons les amendements du Gouvernement et du rapporteur à ce texte très léger qui nous arrive du Sénat et qui s’appuie sur quelques chimères que j’aimerais dissiper ici. La première d’entre elles concerne la « grande région européenne », dont vous usez comme d’un mantra, statistiques territoriales et démographiques à l’appui. Je signale que vingt États américains ont moins de trois millions d’habitants et que la superficie moyenne des régions européennes est inférieure à celle de nos régions, lesquelles sont, pour certaines, plus grandes et plus peuplées que les petits pays de l’Union européenne.

Je dénonce également le mythe selon lequel des régions dotées de budgets publics importants dynamiseraient l’économie. Ce qui fait la force des Allemands, ce ne sont ni les Länder ni l’organisation administrative des territoires, mais l’existence d’un puissant capitalisme local, qui s’appuie sur l’alliance entre des entreprises de taille intermédiaire et le réseau des Sparkassen.

Enfin, alors que nous nous accordons tous sur la nécessité de réaliser des économies, cette réforme coûtera dans un premier temps plus qu’elle ne rapportera. Elle signe de surcroît la fin de la politique de proximité, compte tenu de la diminution du nombre d’élus.

La réforme instaurant les conseillers territoriaux divisait par deux le nombre d’élus territoriaux, ce qui avait poussé l’opposition d’alors à crier au scandale. Vous divisez aujourd’hui ce nombre d’élus par cinq, ce qui va inévitablement conduire à une technocratisation et à une recentralisation de notre organisation territoriale. À titre d’exemple, la Savoie compte aujourd’hui trente-huit conseillers généraux et douze conseillers régionaux ; à l’issue de la réforme, elle n’en comptera plus que sept ou huit, élus à la proportionnelle – donc désignés par les partis politiques – et qui, d’emblée absorbés par l’obligation qui leur est faite de siéger dans les conseils d’administration des collèges et des lycées, devront pratiquer la politique de la chaise vide s’ils veulent trouver le temps de s’occuper des autres sujets.

Nous devons en finir avec une vision trop jacobine de notre organisation territoriale. Si, dans certaines zones urbaines, le regroupement des collectivités ou la suppression des départements se justifie, cette suppression conduirait, dans les territoires ruraux ou montagnards qui n’ont pas et n’auront jamais de métropoles, à une réelle forme de déshérence.

Pour toutes ces raisons nous abordons l’examen de ce texte dans un esprit constructif mais en restant extrêmement vigilants à ce que cette réforme n’accroisse pas les fractures territoriales dans notre pays.

M. Michel Piron. Cette réforme devrait être appréhendée comme la mère de toutes les réformes structurelles touchant à l’organisation de nos territoires. Après le désordre qui a marqué ces deux dernières années en matière de politique territoriale, elle s’organise à bon escient autour des régions, soit l’échelon le plus large, sur lequel se sont en effet appuyés tous les pays qui nous entourent et qui ont réalisé dans les décennies écoulées leur modernisation territoriale. Elle s’articule par ailleurs avec le projet de loi portant clarification des compétences des collectivités, qui devrait achever de lui donner son sens.

Mes questions concernent la réforme de l’État, dont j’ai compris que vous souhaitiez qu’elle soit concomitante à la réforme territoriale.

Jusqu’où, en premier lieu, souhaitez-vous pousser la déconcentration des services de l’État ? Les préfets se verront-ils enfin concéder un véritable pouvoir d’arbitrage interministériel ? J’avais, dès 2003, proposé, en vain, de redéfinir le préfet comme le représentant de l’ensemble du Gouvernement et non de chacun de ses membres. La nuance est de taille.

En second lieu, peut-on moins attendre de l’État ? C’est toute la question de la décentralisation qui, tout en se traduisant par un allègement significatif de certaines directions centrales, pourrait également mettre un frein à notre inflation normative en autorisant des adaptations dans le champ réglementaire.

Enfin, comment peut-on envisager un nouveau système de péréquation entre des régions au périmètre redessiné ?

M. Marc Dolez. La « cohérence » proclamée de la réforme aurait justifié que le Parlement puisse en débattre dans sa globalité. Or ce n’est pas le cas, puisque, avec ce premier projet de loi, le Gouvernement souhaite faire avaliser un nouveau cadre régional, sans que nous ayons pu débattre au préalable de la redistribution des compétences induite par la disparition programmée des départements. Un tel bouleversement du paysage institutionnel mériterait pourtant à nos yeux un grand débat national et public, qui débouche sur un référendum.

Le projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui ne traite pas des départements. La question de leur suppression s’y inscrit cependant en filigrane, à travers la modification du calendrier électoral prévue à l’article 12. Normalement en effet, selon le code électoral, les conseillers régionaux et les conseillers départementaux devraient être élus pour six ans et donc renouvelés, après les élections de mars 2015, en mars 2021 ; or le projet de loi prévoit que le renouvellement des conseillers départementaux aura lieu en mars 2020. L’explication de ce décalage se trouve dans l’exposé des motifs, qui invoque la cohérence avec « la mise en place de la nouvelle organisation territoriale souhaitée par le président de la République et le Gouvernement ».

L’étude d’impact, validée par le Conseil constitutionnel, est plus explicite à ce sujet. Elle indique que le Gouvernement met en place les conditions nécessaires à la suppression des départements. Reste que le Parlement aurait pu débattre au préalable de l’opportunité de cette suppression.

J’en viens à ma deuxième question : quelles conséquences aura le nouveau cadre, élaboré sur un coin de table et dans les conditions qu’on sait, sur l’organisation de l’administration déconcentrée de l’État ?

M. Olivier Dussopt. Je remercie le ministre et le rapporteur d’avoir souligné la cohérence de projets gouvernementaux. Le texte en discussion s’inscrit dans une réforme globale de l’organisation territoriale : un lien indétricotable unit le dessin de nouvelles régions, le report du scrutin cantonal et régional, et la volonté de doter les collectivités d’une nouvelle organisation des compétences. C’est ce qui justifie, comme l’a relevé notre rapporteur, que nous réfléchissions conjointement aux deux textes.

Celui que nous examinerons à l’automne prévoit de modifier les compétences, ce qui répond au vœu de M. Piron. Il le fera autour du binôme région-intercommunalité. S’il existe une carte et des territoires, pour paraphraser le titre du roman de Michel Houellebecq, il y a aussi des compétences, qui doivent réduire les fractures territoriales et produire une meilleure organisation. Celle-ci s’ordonnera, de manière cohérente, autour de régions plus grandes, mieux armées, et d’intercommunalités plus fortes.

Certains orateurs se sont exprimés comme si les départements allaient disparaître. C’est faux : les Ardéchois resteront des Ardéchois. J’y veillerai ! La réforme vise à simplifier l’organisation administrative et à remettre en cause, chaque fois que c’est possible, la présence d’une administration départementale qui n’aurait plus lieu d’être. C’est dans ce but que nous élirons, en même temps que les nouveaux conseillers régionaux, les nouveaux conseillers départementaux – et non des conseillers territoriaux, comme je l’ai entendu dire.

À ce stade de nos débats, il faut une carte, sur laquelle l’Assemblée pourra travailler. Deux membres de notre groupe, M. Denaja et M. Fourage, auront l’occasion d’y revenir, mais je soutiens d’ores et déjà la démarche du rapporteur, qui proposera un découpage.

Je terminerai en formulant quatre interrogations.

Je partage l’objectif du rapporteur, qui souhaite supprimer l’administration départementale, mais je me demande, comme le responsable du président du groupe socialiste au Sénat, s’il ne faudrait pas, dans certaines zones rurales, trouver une organisation à une échelle plus vaste que l’intercommunalité, par exemple en créant des collaborations entre les intercommunalités, pour que s’exercent les compétences dévolues aujourd’hui aux départements.

N’est-il pas dangereux, par ailleurs, de mettre trop vite en œuvre un droit d’option, qui soulève des questions relatives au patrimoine et aux dotations ?

Quelle place doivent jouer les villes dans la nouvelle architecture ? Si les régions sont plus grandes et que les intercommunalités soient renforcées, les mesures annoncées par Mme Sylvia Pinel et les appels à projet sur les bourgs-centres doivent être complétés par une véritable politique visant à conforter la place de ces bourgs-centres et à traiter les questions liées aux centralités dans les bassins de vie.

Enfin, comment l’État va-t-il réformer son administration territoriale et maintenir, voire consolider sa présence dans les zones rurales qui en ont le plus besoin ?

Mme Cécile Untermaier. Je remercie le rapporteur et le Gouvernement de leurs efforts pour mener à bien une réforme courageuse, ambitieuse, urgente et nécessaire. Contrairement à ce qu’on a pu dire, la population est loin d’être indifférente au projet de loi. Elle sait que celui-ci parle de la France, et par conséquent d’elle-même.

La réunion de la Bourgogne et de la Franche-Comté me semble cohérente, mais, si la carte était modifiée au vu d’autres critères que ceux retenus dans l’étude d’impact, il faudrait que nous nous penchions à nouveau sur le dispositif.

La réforme me frappe par sa cohérence. Elle part des bassins de vie, c’est-à-dire des communes et des intercommunalités, en s’élargissant progressivement aux régions, à la nation et à l’Europe. Toutefois, il faudra faire monter en puissance les intercommunalités. En voyant s’agrandir le périmètre des régions, les conseillers généraux s’engouffrent dans la brèche pour faire valoir le caractère indispensable de leurs actions. Or celles-ci, pour importantes qu’elles soient, n’ont pas à bloquer toute évolution de l’institution départementale.

La réforme, que je voterai avec enthousiasme, doit répondre à certains impératifs, le premier étant le respect la démocratie. Aux élections de 2015, il faudra assurer un nombre minimum d’élus à chaque département. Si les conseillers généraux disparaissent en 2020, il faudra organiser une élection, pour partie au scrutin uninominal, garantie d’un ancrage local, et sur liste départementale, de manière à maintenir un nombre suffisant d’élus de proximité. Il faut aussi conserver un discours clair, dont la traduction législative soit suffisamment impérative pour décourager les blocs conservateurs qu’on rencontre sur nos territoires.

La vraie question est l’égalité entre ces territoires. Peu importe au fond de savoir qui fait quoi. L’essentiel est que les citoyens bénéficient de services publics de proximité. L’un des enjeux de la réforme est donc la garantie d’une péréquation plus juste que celle qui s’applique actuellement.

M. Alain Tourret. Seul l’État jacobin peut réformer et imposer, paradoxalement, la décentralisation et la réforme de l’État. Les élus locaux, qu’ils soient de droite ou de gauche, seront toujours des freins au progrès. Ils l’ont été depuis l’année 1715, lors de la cassation du testament de Louis XIV, durant laquelle la royauté a perdu contre les parlements le combat entrepris. Le Gouvernement rencontrera de multiples résistances, même dans les rangs de ses amis.

J’ai essayé de réunir la Normandie, ayant, pour ce faire, de solides appuis, à commencer par le député-maire de Cherbourg – n’est-ce pas, monsieur le ministre ? – et le président de la région de Basse-Normandie. L’opposition de quelques barons de Haute-Normandie a eu raison du projet. Je suis convaincu que la réforme que vous défendez s’impose, et qu’elle traduira dans les faits des options essentielles en matière de recomposition territoriale.

Chacun sait que M. Vallini s’adonne à la culture des roses. Pour sa réforme, s’orientera-t-il vers un jardin à la française ou à l’anglaise ? Plus précisément, la préfecture de région et l’assemblée départementale devront-elles être situées au même endroit ? En Normandie, l’une pourrait-elle être à Rouen et la seconde à Caen ?

Les services de l’État, qui doivent montrer l’exemple en matière de décentralisation, vont-ils se déplacer, ou bien rester où ils se trouvent aujourd’hui ? Les incidences de ce choix seront déterminantes sur l’emploi. L’inspection académique, qui représente la moitié des services de l’État dans ma circonscription, sera-t-elle regroupée dans un même lieu ? C’est au vu de ce critère que les électeurs se prononceront lors des élections. En Alsace, ils redoutaient que tous les services ne se concentrent en un seul endroit. C’est parce que Strasbourg a tué Colmar que la réforme préparée en Alsace n’a pas abouti.

Comment choisirez-vous les capitales de région ? Pourquoi ne pas interroger à ce sujet des académiciens comme Erik Orsenna ou Emmanuel Le Roy Ladurie, dont l’avis ne serait pas moins honorable que celui des membres du Conseil d’État ou de la Cour de cassation ?

Bien que j’aie lu le projet de loi avec attention, j’ai mal compris le rôle imparti aux départements. Si l’un d’eux se tourne détourne de sa région d’origine, sa décision s’imposera-t-elle à celle-ci ?

Enfin, ne sombrez pas dans le travers qui consiste à augmenter le nombre d’élus. Si l’on réduit à 150 l’effectif de chaque conseil régional, on atteindra déjà le nombre de 1 525 élus. Les assemblées trop nombreuses sont ingérables. Nous étions 49 en Basse-Normandie, ce qui suffisait largement. À mon sens, le chiffre de 100 conseillers pour les nouvelles régions est un maximum. Il permettrait de réaliser des économies et de gagner en efficacité.

Quoi qu’il en soit, mon soutien vous est acquis pour mener à bien cette vaste réforme.

M. Éric Straumann. J’exprime l’avis de nombreux Alsaciens, notamment de dix-huit parlementaires qui refusent la fusion des régions. La réforme s’inspire des Länder, reconnus comme des puissances régionales à l’échelle européenne. Mais, même la pragmatique Allemagne reconnaît la spécificité de certaines régions, compte tenu de leur histoire. La taille modeste de la Sarre, qui compte 1,1 million d’habitants, n’a jamais fait obstacle à son développement économique. Pour le PIB par habitant, elle arrive en septième position, après avoir surmonté sans difficulté la mutation structurelle imposée par la crise du charbon et de l’acier.

Le destin de l’Alsace ressemble à celui de ce Land. Aujourd’hui, un collègue socialiste affirme dans la presse régionale que l’Alsace ne doit pas être le Tyrol du Sud. Pour ma part, je serais heureux qu’elle affiche un niveau d’activité aussi élevé que cette région d’Italie, dont le PIB par habitant excède de 46 % la moyenne européenne, et où le taux de chômage est de 4,4 % !

Le 14 janvier, le président de la République a proposé de mettre un terme aux enchevêtrements et aux doublons. « Chiche ! », ont envie de répondre les parlementaires d’Alsace : fusionnons les deux départements et la région. Nous irions ainsi au bout de sa proposition.

En réponse à une question d’actualité que je vous ai posée sur l’éventualité d’un conseil unique, vous m’avez répondu, monsieur le ministre, que 55 % des Alsaciens y étaient défavorables, lors du référendum de 2013. En réalité, 58 % des Alsaciens ont voté « oui », mais les obstacles fixés par le Sénat – taux de participation minimum au scrutin, seuils départementaux – n’ont pas permis que le référendum aboutisse.

Je ne m’étendrai pas sur le sens qu’a pris cette consultation dans notre région. Ma question est plus simple : êtes-vous prêt à négocier avec l’immense majorité des parlementaires alsaciens pour un statut du conseil unique, ou allez-vous vous enfermer dans une logique partisane et imposer une règle uniforme sur le territoire national ?

Mme Marie-Jo Zimmermann. Je ne reprendrai pas les arguments développés par M. Gaymard. Lors de son discours de politique générale, M. Valls a annoncé une vaste réforme de l’organisation territoriale de la France, qui induirait à terme un regroupement des régions et la suppression des départements. L’an dernier, nous avons mis en place le système du binôme. Après les élections, sera-t-il pérennisé dans le projet de loi ou fonctionnera-t-il pour cinq ans seulement ?

Le projet de réforme territoriale annoncé le 2 juin par le président de la République est marqué par l’improvisation et le cafouillage. Une réforme de cette envergure appelait des consultations importantes. Jeudi dernier, le conseil municipal de Metz a adopté une motion demandant la création d’une grande région regroupant Champagne-Ardenne, la Lorraine et l’Alsace. La même motion a été votée par la communauté d’agglomération. Au lieu de prendre en compte le résultat des consultations, le Gouvernement a fait l’inverse : il a imposé une carte, que le Sénat a rejetée.

Les intentions du Premier ministre, qui semblent frappées au coin du bon sens, sont à l’opposé de celles que le président de la République a affichées en janvier. Se sont-ils mis d’accord, ou risquons-nous de voir surgir une nouvelle rédaction du projet de loi ?

La réforme vise à créer de grandes régions, ce qui entraînera la suppression des départements, et à permettre aux grandes intercommunalités d’absorber les communes. On oublie la proximité avec le terrain, dont nos concitoyens ont besoin.

Le conseiller général, ou territorial, ou le binôme, est nécessaire, comme l’est le maire dans une petite commune. Si l’on crée de grandes régions, il est indispensable de conserver un échelon de proximité tel que le département. Si l’on supprime celui-ci, il faut maintenir des régions peu étendues, ce qui correspond au statu quo.

Dans les communes rurales, l’absorption par les intercommunalités va beaucoup trop loin. Le seuil de 20 000 habitants doit être regardé de plus près. Peut-être devrait-on revenir aux réflexions développées en 1947 par Michel Debré qui, dans La Mort de l’État républicain, plaidait pour qu’on réduise le nombre des départements à cinquante, afin de concilier les impératifs de taille et de proximité.

Dans l’Est de la France, il était question de créer une grande région réunissant l’Alsace, la Lorraine et Champagne-Ardenne. Ce regroupement correspond à une logique, sur un territoire où passent les autoroutes A4 et A31, ainsi que le TGV Est. Autour des trois pôles que sont Reims, Metz-Nancy et Strasbourg, on peut créer une région pertinente économiquement.

Plusieurs majorités ont réfléchi à une recréation du territoire. Je n’y suis pas défavorable, à condition que l’on travaille davantage sur le projet, en faisant de la proximité un critère essentiel.

M. Patrice Verchère. Monsieur le ministre, la réforme de l’organisation territoriale de la France est un dossier important. De nombreuses réflexions ont été menées à ce sujet par toutes les tendances politiques. Je ne reproche pas à la majorité de vouloir avancer dans ce domaine. Cependant, sur un chantier qui engagera l’organisation de la France pour des décennies, je regrette qu’elle navigue à vue, au gré des vents, et en fonction du poids des ministres ou des « éléphants » du parti socialiste. Quoi que vous en disiez, la réforme a pâti d’une grande improvisation.

Sur quels critères objectifs – économiques, historiques, voire politiques – s’est fait le découpage des régions ? Le communiqué de presse du 2 juin, émanant de l’Élysée, se contentait d’indiquer leur nombre. Ses auteurs n’étaient pas parvenus à suivre l’évolution de la carte, qui évoluait chaque fois que le président de la République recevait une visite.

Monsieur le secrétaire d’État, le 9 mai, vous avez indiqué au Figaro que la réforme territoriale permettrait un gain annuel de 12 à 25 milliards d’euros. Sur quels documents financiers vous êtes-vous basé pour obtenir ce chiffre ?

M. Paul Molac. La réforme proposée est marquée par le souci de la cohérence et par la volonté d’introduire davantage de clarté dans les compétences. Elle pose le problème du pouvoir réglementaire. J’espère que le ministre nous en dira un peu plus à ce sujet.

L’économie reviendra aux régions. On sait que les Länder allemands investissent dans les entreprises, notamment dans les entreprises d’avenir, afin de leur donner une taille suffisante pour exporter. Mais de quel pouvoir disposeront les régions pour lever l’impôt ? À l’heure actuelle, leur budget, très contraint, provient essentiellement des dotations de l’État.

La cohérence concerne aussi l’aménagement du territoire. Vous avez parlé à juste titre du sentiment d’abandon, de périphéricité que l’on ressent dans certaines régions. La proximité sera sans doute assurée par les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Quelle sera leur légitimité ? Leurs représentants seront-ils élus au suffrage universel ? Quelles seront leurs compétences ? Il est probable que la région et les EPCI se partageront celles des départements. À l’intérieur des EPCI eux-mêmes, il faudra éviter le risque de la centralisation.

La cohérence joue un grand rôle dans le sentiment qu’on appartient à telle ou telle région. Si la Catalogne et l’Écosse posent problème au niveau européen, les autres régions fonctionnent bien. C’est parce qu’elle se sent bretonne et qu’elle veut développer sa région que l’entreprise Hénaff demeure tout à l’ouest de la Bretagne, alors qu’elle pourrait se rapprocher des marchés. Le sentiment d’appartenance, qui pose problème quand il est excessif, est le plus souvent un moteur.

La cohérence réside enfin dans le droit d’option reconnu aux départements. L’accroissement de la taille des régions incitera certains départements frontaliers d’une autre entité régionale à s’interroger sur leur rattachement. L’amendement voté au Sénat me paraît de bon sens, car il lève les obstacles qui conduisent à l’inaction ; dans cet esprit, il convient de limiter autant qu’il est possible les procédures de mise en œuvre de la réforme.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Je suis élue dans une circonscription située en Picardie, région qui offre le contre-exemple d’une carte rationnellement définie, puisqu’elle est composée de trois départements dont chacun a vocation à rejoindre un ensemble géographique différent. Ce découpage pourrait toutefois avoir un sens s’il reposait sur une logique claire. À ce propos, vous avez affirmé, monsieur le ministre, que la réforme ne visait pas à créer des régions répondant à un espace identitaire – ce que je salue –, mais à bâtir des zones économiques cohérentes, volontaristes et jouant un rôle dans le redressement économique du pays. Ne faut-il pas faire plus de place dans le projet de loi à ces deux paramètres : des régions vastes, hétérogènes et reposant sur certains sacrifices identitaires d’une part, et appelées à devenir de grandes circonscriptions économiques et d’aménagement du territoire, d’autre part ?

Est-il raisonnable que la région devienne un organe de gestion technique, quand la proximité avec les citoyens réclamerait que la compétence en matière de routes, de collèges ou d’aide sociale reste en grande partie située à un échelon territorial inférieur ? Des régions aussi grandes et aussi hétérogènes répondraient-elles encore à la définition des collectivités territoriales posée par la loi de 1982, maintenant très ancienne et qui reproduisait d’ailleurs les vieilles lois républicaines de 1871 et de 1884 sur le département et la commune ? L’article 72 de la Constitution dispose que les communes et les départements sont des collectivités territoriales qui « s’administrent librement par des conseils élus » : les régions appelées à devenir de grands espaces économiques – ce que j’approuve – entrent-elles dans cette catégorie ? Ne conviendrait-il pas de faire de la région nouvelle une émanation des territoires qui lui sont inférieurs, et notamment des départements – éventuellement regroupés deux par deux pour reprendre l’idée de Michel Debré –, des intercommunalités et des métropoles, ces deux derniers échelons représentant des éléments modernes de territorialisation ? Ainsi, on conserverait l’espace démocratique proche des citoyens et la proximité dans la gestion des services, tout en dégageant les régions de la gestion quotidienne de certaines compétences – celle des lycées, par exemple – afin qu’elles se consacrent davantage au pilotage économique des territoires. Une réforme ambitieuse, suivant votre conception, ne devrait-elle pas aller jusque-là ?

Il est opportun de procéder à la montée en puissance des intercommunalités, mais le rythme de ce mouvement ne doit pas être trop rapide car la vie communale, notamment dans les départements ruraux, reste un élément important de l’administration des services, de la cohésion territoriale et du lien entre les citoyens.

Je crains que les administrations déconcentrées n’effectuent qu’un service du pauvre en direction des territoires relégués, du fait de l’éloignement de ceux-ci des métropoles riches et des intercommunalités puissantes.

M. François de Rugy. Dans une plaquette présentant le château des ducs de Bretagne, on peut lire qu’« à partir de 1207, Guy de Thouars construit le premier château, dit de la Tour Neuve, et cherche à affirmer le pouvoir des ducs face à celui des comtes de Nantes et de l’évêque ». En remplaçant « duc », « comte » et « évêque » par « président de conseil régional », « président de conseil général » et « président de conseil métropolitain », on s’aperçoit que l’histoire se répète.

Le groupe écologiste soutient l’orientation générale qui consiste à simplifier et à clarifier l’organisation des collectivités locales autour des régions et des intercommunalités, les conseils généraux étant appelés, à terme, à disparaître. Les régions recevant davantage de pouvoirs, elles doivent être plus légitimes ; de même, les élus des intercommunalités devront être désignés au suffrage universel direct.

Il convient d’agir vite – d’ici à la fin de l’année comme le prévoit le projet de loi – pour que les élections régionales aient lieu dans le cadre du nouveau découpage et soient donc légitimes aux yeux de nos concitoyens. Or nous constatons malheureusement depuis trois mois – date à laquelle le Premier ministre a relancé cette réforme à l’arrêt depuis deux ans, démarche dont il faut le créditer – que les barons locaux n’ont émis aucune proposition, si ce n’est celle de regrouper la Bourgogne et la Franche-Comté. Je regrette que les exécutifs de collectivités ne se soient pas saisis de cette réforme.

La carte ne doit pas cacher l’importance de la question des compétences, mais elle ne doit pas non plus gâcher la réforme. Faisons attention aux conséquences d’une carte perçue comme illégitime et blessante pour certains. Je suis surpris d’entendre nos collègues de l’opposition faire des digressions sur les modes de scrutin alors que le projet de loi ne comporte aucune évolution en la matière, et j’attends qu’ils formulent des propositions. Nous avons pris le risque de tracer une carte – bien avant le dépôt du projet de loi – que nous soumettrons à votre examen par voie d’amendement ; il s’agit bien d’un risque car, comme l’a dit M. le ministre, aucune carte ne satisfera tout le monde, mais le débat parlementaire doit déboucher sur une évolution de la carte prévue actuellement par le projet de loi. Nous ne pouvons nous contenter ni de la carte du Gouvernement ni de celle de M. le rapporteur. Le découpage de la Picardie ne rencontre ni l’assentiment des Picards ni celui des Champardennais, et il est incompréhensible que le projet de loi n’apporte aucune évolution au tracé de la Bretagne, alors qu’il s’agit de la seule région de France où existe une revendication ancienne de redécoupage et de celle où le sentiment d’appartenance, selon toutes les études d’opinion, est le plus fort. Nous devons trouver un accord large sur une nouvelle carte dont le tracé apparaîtra légitime.

Nous souhaitons que le droit d’option – que nous préférons nommer droit pour les départements de choisir leur région – s’impose, car les projets et les solidarités territoriaux doivent reposer sur un sentiment d’appartenance régional.

M. Jean-Pierre Le Roch. Comme 77 % des Bretons et 70 % des habitants de Loire-Atlantique – chiffres d’un sondage publiés le 6 juillet par un quotidien régional –, je suis un fervent partisan de la Bretagne historique composée de cinq départements. Cette revendication ancienne s’est incarnée dans les vœux de réunification émis à plusieurs reprises par le conseil régional de Bretagne et relayés par des centaines de communes bretonnes, intégrant ainsi la notion de proximité.

Monsieur le ministre, quelle conception avez-vous du droit d’option, inscrit dans l’article 3 du projet de loi adopté par le Sénat, inspiré par le bon sens et simple d’application ?

M. Hugues Fourage. Ce projet de loi permettra de bâtir des territoires plus forts, mieux organisés, agissant grâce à des services mutualisés et atteignant une taille européenne. J’avoue donc ma surprise d’entendre M. Gaymard avancer toutes sortes de justifications pour ne pas faire la réforme. Le comité présidé par M. Édouard Balladur n’avait-il pas conclu – comme d’autres rapports postérieurs – à la nécessité de réduire le nombre de régions pour les renforcer ? Nous avons le courage de conduire cette réforme et nous devons la mener à son terme.

Monsieur le ministre, vous avez évoqué la réforme des services de l’État dans le département ; connaissant l’importance que vous attachez à la présence des services publics en zone rurale, je me permets d’attirer votre attention sur l’utilité de la présence des sous-préfectures, notamment pour lutter contre le sentiment d’abandon ressenti par les citoyens à l’encontre de l’État.

Les parlementaires doivent assumer leur vocation de législateur et s’emparer de ce texte pour le parfaire plutôt que de soumettre cette réforme au référendum. Il n’existe en effet pas de carte idéale, mais le Gouvernement aurait été critiqué si le projet de loi n’en avait pas comporté. En outre, cette carte ne résulte pas d’un dessin de coin de table, mais bien d’une réflexion ayant visé à garantir des équilibres servant l’intérêt général.

Si 90 % des Bretons disent vouloir une région qui épouse l’identité bretonne, les deux tiers d’entre eux souhaitent également que leur région se marie avec celle ces Pays de la Loire. Il faut en tout cas éviter l’écueil de la région identitaire.

Il y a quarante ans, au moment de la création des régions, on affirmait que l’ensemble régional « Pays de la Loire » n’avait aucun sens. Le travail effectué depuis nous donne aujourd’hui l’envie de continuer d’agir ensemble. Cela nous permet de prendre du recul par rapport à la réforme que nous examinons et de l’utiliser pour nous projeter dans l’avenir, en réfléchissant avant tout aux projets qui pourraient être élaborés.

M. Serge Grouard. De ce débat fort intéressant, j’ai retenu que les Pays de la Loire pourraient souhaiter se rapprocher de la Bretagne, le Limousin et le Poitou-Charentes pourraient regarder vers l’Aquitaine, ce qui permettrait à la région Centre de conserver son périmètre actuel. Pour des raisons de bon sens et non de baronnie, l’immense majorité des élus de la région – appartenant à l’ensemble des familles politiques – se réjouiraient de ce statu quo. En effet, cette région a fini par trouver, laborieusement, son identité, qui se diluerait dans un rattachement à Poitou-Charentes et au Limousin ; cette proposition ne repose sur aucune cohérence, et M. le rapporteur a d’ailleurs suggéré dans un tweet que le Limousin soit raccroché à l’Aquitaine… Cela donne le sentiment d’un découpage non maîtrisé qui a conduit le Sénat à supprimer le premier article du projet de loi.

Je souhaite depuis des années qu’une vraie réforme territoriale soit mise en œuvre et nous sommes prêts à accompagner le Gouvernement à condition que l’on trouve une cohérence, certes difficile à dégager, mais qui doit reposer sur la définition d’objectifs simples. Monsieur le ministre, vous en avez énoncé quelques-uns, comme l’harmonie entre l’organisation territoriale et la répartition des actions. Nous soutenons également l’effort de mutualisation pour diminuer les dépenses publiques, ainsi que l’entreprise de simplification qui doit améliorer la lisibilité de l’action territoriale pour nos concitoyens. Mais le découpage proposé ne répond pas à ces trois objectifs. Je salue, monsieur le ministre, votre abnégation à défendre ce découpage qui, je le crois, ne vous agrée pas vraiment, pas plus qu’à bon nombre de nos collègues, car qu’il ne correspond pas à la réalité de notre vie territoriale.

M. de Rugy a raison de souligner la nécessité d’émettre des propositions ; voici les miennes, que je porte depuis maintenant plusieurs années. Tout d’abord, il y a lieu de fusionner les départements avec leur région actuelle, cette évolution s’avérant aujourd’hui possible alors qu’elle était difficilement réalisable auparavant. Un tel mouvement créerait un effet de masse et de taille, et serait source d’économies substantielles. Ensuite, il faut avoir le courage d’inciter à la fusion des communes en milieu urbain, les délimitations actuelles n’ayant plus de sens. En revanche, dans les zones rurales, il convient de continuer à favoriser le développement des intercommunalités. Par ailleurs, on doit accompagner ce projet d’une réforme profonde de l’administration territoriale de l’État. Enfin, il faut se pencher sur l’autonomie financière et de gestion des collectivités territoriales, et traiter les questions de fonction publique qui sont toujours évacuées.

Monsieur le ministre, êtes-vous prêt à l’ouverture pour ne pas modifier les frontières de la région Centre ? On ne peut en effet justifier la création d’une région où deux endroits peuvent être distants de 500 kilomètres.

Quelle réforme de l’État, et notamment du corps préfectoral, envisagez-vous ?

Le projet de loi renvoie à un décret la désignation des chefs-lieux de région. Or, aucun des critères actuellement définis ne semble objectif, et l’on peut craindre que vous ne preniez ce décret en catimini. Êtes-vous prêt à la transparence ?

M. Sébastien Denaja. Le président de la République a souligné que cette réforme visait à transformer l’architecture territoriale de la République pour plusieurs décennies. Ce débat s’avère donc historique. Après le long prologue initié par les lois départementale et communale de la fin du XIXsiècle, Pierre Mauroy, Gaston Defferre et François Mitterrand avaient posé l’acte I de la décentralisation avant que Jacques Chirac et Jean-Pierre Raffarin n’élaborent l’acte II. C’est à nous d’écrire l’acte III, car les lois votées en 2010 et voulues par M. Sarkozy ne l’ont pas constitué.

Nous en sommes à la première scène de ce troisième acte – je note d’ailleurs que les députés UMP qui accusent le Gouvernement de pratiquer un « saucissonnage » en rédigeant plusieurs textes n’émettaient pas ces mêmes critiques en 2010 à l’encontre des trois projets alors soumis au Parlement –, mais, si ce texte se concentre sur le découpage régional, nous avons déjà identifié les compétences que les régions devraient exercer. Le Sénat a refusé de frapper les trois coups et a renoncé à assumer ses responsabilités alors qu’il se pose en permanence en représentant des collectivités territoriales. L’Assemblée nationale, elle, représente directement le peuple et, désormais, les collectivités territoriales. La majorité souhaite agir, alors que nos collègues de l’UMP ne font que défendre le statu quo.

Nous examinerons les articles demain en Commission, avec l’objectif d’adopter une carte des régions, la question électorale s’avérant bien secondaire. Monsieur le ministre, vous avez raison de nous inviter à créer ou à regrouper des régions qui ne reposent pas sur une sanctuarisation d’identités, celle-ci étant étrangère à la vocation de ces collectivités. Adopter une perspective inverse présenterait le danger de remplacer l’État unitaire décentralisé par un État régional, ce que refuse le président de la République. La réforme proposée est républicaine – à aucun moment, elle ne remet en cause l’unité du pouvoir normatif et législatif national – et évacue le spectre du fédéralisme ou du régionalisme.

Mme Marietta Karamanli. Les régions, circonscriptions administratives de l’action de l’État, mettent en œuvre des coopérations entre des opérateurs de l’État et des établissements publics locaux ; l’étude d’impact attachée au projet de loi n’évoque pas les conséquences de la modification de la carte régionale sur l’organisation des régions, sur leurs moyens et sur leur action de coordination. Monsieur le ministre, des éléments seront-ils communiqués à la représentation nationale sur ces effets collatéraux qui, bien pensés, pourraient participer à la modernisation de l’action publique ?

Ma deuxième question porte sur l’équilibre au sein des régions elles-mêmes. Au terme de la proposition du Sénat, un département pourrait rejoindre une autre région que la sienne après délibérations concordantes de leurs assemblées, par simple décision du pouvoir exécutif, c’est-à-dire par décret en Conseil d’État. La loi de 1996, modifiée en 2013, a sa logique mais pose un problème : si un département important sur le plan démographique ou économique rejoint une nouvelle région, sa région d’origine peut s’en trouver affaiblie. Il paraît donc inacceptable qu’un tel changement puisse avoir lieu dans les conditions, peu exigeantes, prévues par le Sénat, alors que, dans l’état actuel du droit, les populations concernées sont consultées. Ne pensez-vous pas utile de revenir à la version actuelle et de renforcer les garanties, pour éviter que des raisons éventuellement idéologiques ou ponctuelles ne conduisent à affaiblir une région entière ?

M. Jacques Valax. J’exprimerai un constat, un regret et un vœu.

Mon constat ne vise à agresser personne, puisqu’il vaut pour tous les bancs de l’Assemblée : je suis frappé par le conservatisme latent qui règne ici. En reprenant les débats de 2010 sur l’instauration du conseiller territorial, je suis effaré de constater que les quelques modestes arguments que j’avais alors avancés sont les mêmes que ceux qui émanent à présent des bancs de la droite. Monsieur le président, je vous assure que je n’étais pas à droite à l’époque (Sourires) : j’étais simplement dans la minorité. Quant à la droite, elle n’est pas passée à gauche : elle est simplement retombée dans la minorité. Nous devrions, sur le plan individuel et collectif, nous méfier de ce travers naturel.

Le fait que mon propos vaille aussi pour les élus régionaux et départementaux me conduit à regretter que la loi interdisant le cumul des mandats n’ait pas été applicable dès le mois de mars 2014 : d’une part, je ne me serais pas présenté aux élections municipales, ce qui m’aurait évité une défaite cuisante (Sourires) – cela me fait du bien de le dire – ; d’autre part et surtout, les députés actuels, de droite ou de gauche, seraient dégagés du prisme déformant et réducteur de leurs corps d’origine, c’est-à-dire des collectivités auxquelles ils appartiennent, et ils ne chercheraient qu’à simplifier ce millefeuille administratif dont chacun s’accorde à reconnaître qu’il constitue un véritable carcan. Voilà la réalité qui est la base de notre discussion.

Soyons donc courageux. Du courage, il m’en faut lorsque je reviens dans ma contrée, qui est de gauche à 80 % : dans mon conseil général, l’autre jour, j’ai été le seul à m’insurger contre ce que j’appelle une réaction de petits barons, de petits élus qui veulent conserver leur territoire, leur pré carré, oubliant l’avenir du pays. Je remercie donc le Gouvernement d’avoir fait preuve de courage en la matière : nous sommes ici pour légiférer afin que les régions puissent être fortes et novatrices, capables de favoriser l’investissement et d’accompagner les filières d’excellence.

M. Sylvain Berrios. Ce projet de loi laisse une impression de flou, notamment en ce qui concerne la redéfinition de la sphère d’intervention de l’État et la nouvelle implantation de ses services. La fameuse réforme de l’administration territoriale a redonné des compétences et des pouvoirs au préfet de région, puis aux préfets de département. L’État va-t-il se réorganiser de la même façon ? Quel sera le rôle du futur préfet de région ? Allons-nous voir disparaître les préfets de département ? Y aura-t-il une révision de la carte des sous-préfectures ? Y aura-t-il des superpréfets au-dessus des préfets de région ? Je ne crois pas que la seule réforme des collectivités permette d’atteindre les 12 à 25 milliards d’euros d’économies annoncés. Ira-t-on, par exemple, jusqu’à la disparition des sous-préfectures et des préfets de département, accompagnée d’une réforme des préfectures de région ?

M. Philippe Gosselin. Ne revenons pas sur le calendrier rock and roll, sur la carte dessinée sur un coin de table où n’apparaissait même pas le nombre de régions, sur l’amendement-tweet prévoyant le rattachement du Limousin à l’Aquitaine, pour nous en tenir à quelques remarques de fond sur un dossier qui nous arrive un peu vide. Pour ne citer que l’exemple de la Basse-Normandie, cela fait dix ans qu’Alain Le Vern et d’autres du même bord politique devaient s’entendre sur une réunification régionale qui n’a pas eu lieu, même si, heureusement, les léopards continueront à rugir avec fierté…

Au-delà de tout cela, j’aimerais entendre le ministre s’exprimer sur les critères qui détermineront le choix des chefs-lieux de région. Quelle sera, en parallèle, l’organisation déconcentrée de l’État ? Comme l’a souligné Hervé Gaymard, Malte, les pays baltes et la Sarre sont de petits territoires qui fonctionnent très bien, et il ne faut pas cultiver le mythe des grandes régions.

Quelles sont les économies escomptées de cette réforme ? On est passé de 25 milliards d’euros – soit 10 % des dépenses totales des collectivités territoriales – à une fourchette de 12 à 25 milliards d’euros, c’est-à-dire un montant qui varie du simple au double.

Je tenais aussi à vous faire part de mon inquiétude concernant les zones rurales. La métropolisation existe peut-être autour de Paris ou de Lyon. Qu’en est-il de la proximité pour les habitants des zones rurales ou montagneuses où il n’y aura pas de métropole ? C’est un vrai sujet, qui intéresse les élus de droite comme de gauche, pourvu qu’ils soient de bonne foi et de bonne volonté.

Quid de la réforme des intercommunalités ? Certes, ce n’est pas le sujet essentiel du jour car la suite de la décentralisation est renvoyée à l’automne, du fait du saucissonnage des textes. La population minimale d’une intercommunalité est fixée à 20 000 habitants, ce qui aura pour effet d’éloigner encore plus le chef-lieu des habitants. Quelle est la cohérence en termes de bassin de vie ou d’emploi ?

Au-delà de la polémique, des questions précises sur l’organisation de nos territoires se posent. À vrai dire, il n’y a pas d’objection politique ou intellectuelle à ce qu’on rebatte les cartes. Nous sommes loin des « régions Clémentel » du lendemain de la Grande Guerre comme des régions des années cinquante, circonscriptions administratives de développement économique et d’action de l’État. Nous sommes d’accord pour aller plus loin. Reste à développer de vrais arguments, à définir le projet, la méthode et le financement. Or, à ce stade, nous restons, de ce triple point de vue, réellement sur notre faim.

Mme Colette Capdevielle. Dans l’ensemble, je suis assez consternée par la nature des critiques portées contre cette réforme courageuse, nécessaire et très attendue : pour résumer la pensée de leurs auteurs, il serait urgent de ne rien faire ! Nous assistons à l’alliance des conservatismes, à des luttes de gouvernance, à la sauvegarde des positions établies, le tout sous prétexte de défendre les intérêts de nos concitoyens et la proximité de l’action publique. Si nous avons supprimé le député-maire, ce n’est pas pour recréer le maire-conseiller régional et faire rentrer par la fenêtre le cumul des mandats !

Monsieur le ministre, pensez-vous que les régions recomposées selon ce projet de loi peuvent comporter deux – ou plusieurs – métropoles ? Vous avez indiqué que l’objet du texte est de renforcer le développement économique des grandes régions, insistant sur la cohérence et surtout sur la nécessité de rassembler les filières d’excellence. Partagez-vous l’analyse de plusieurs parlementaires de la majorité qui plaident pour la fusion des régions Aquitaine et Midi-Pyrénées, se fondant sur leur cohérence géographique – bassin Adour-Garonne –, économique – pôle de compétitivité Aerospace Valley, filières agroalimentaires–, culturelle et linguistique ? Seriez-vous favorable à cette grande région Sud-Ouest que d’aucuns appellent de leur vœux car elle leur paraît plus cohérente, équilibrée et polycentrique ?

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Tout le monde s’accorde sur la nécessité de réformer le millefeuille institutionnel. Cher collègue Valax, il ne s’agit pas d’un débat entre réformateurs et conservateurs. Cette réforme est difficile, j’en conviens, mais la méthode que le Gouvernement a utilisée n’est pas très propice à son acceptation.

Quelle réflexion a-t-il menée sur les 36 800 communes, sur les milliers d’intercommunalités, syndicats intercommunaux à vocations multiples, syndicats intercommunaux à vocation unique, syndicats mixtes et autres « pays », qui polluent notre organisation institutionnelle ? Le problème essentiel ne vient-il pas de ce que la moitié de nos communes ont moins de 426 habitants ?

Quelles concertations a-t-il réellement conduites avec l’Association des maires de France, l’Assemblée des départements de France et l’Association des régions de France ? Sa méthode – procédure accélérée et absence de recours au référendum – n’a pas convaincu le Sénat. Que deviennent la clause générale de compétence et les compétences ? Quelle place est faite au rural où le conseil général est toujours une institution respectée ? Pourquoi passer, de façon quelque peu arbitraire, à quatorze régions plutôt qu’à quinze ou à seize ? Pourquoi supprimer la région Languedoc-Roussillon dont l’identité est profondément acceptée au sein des cinq départements, comme le démontre un récent sondage paru dans Midi Libre ? Quelle représentation ferez-vous à la Lozère, petit département, au sein des nouvelles régions ?

M. Guy Geoffroy. Monsieur le ministre, que pensez-vous de notre capacité à stabiliser les calendriers électoraux ? Un petit rappel historique éclairera mon propos. Nous avions décidé que les conseillers généraux élus en 1985 le seraient pour sept ans. Résultat : les élus de 1988 l’ont été pour six ans, mais les réélus de 1994 l’ont été pour sept ans. Ces derniers ont été renouvelés en 2001, initialement pour six ans et ensuite pour sept ans. Ceux qui ont été réélus en 2008 ont été élus initialement pour six ans, puis ensuite pour sept ans, et maintenant pour sept ans et demi. Et, finalement, on annonce à leurs électeurs que les futurs conseillers départementaux seront élus pour un peu plus de quatre ans seulement !

Ces changements ont des explications et sont le fait d’une majorité ou d’une autre. Certains sont intelligibles mais l’ensemble ne l’est plus du tout. Dans quelle mesure estimez-vous possible d’annoncer à nos concitoyens une stabilisation de la structuration de notre vie territoriale et par la même occasion une stabilisation des rendez-vous qu’ils auront avec leurs futurs élus ? Rappelons que pour être candidat, il faut avoir un projet inscrit dans une certaine durée qui, depuis près de trente ans est devenue totalement erratique. Cette loi permettra-t-elle de revenir à un calendrier plus sage et régulier ?

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Personne ne demandant plus la parole, le Gouvernement va maintenant répondre à nos collègues.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur. Merci pour ces interventions et interrogations utiles au débat, et auxquelles je vais m’efforcer de répondre. Veuillez m’excuser de ne pas être exhaustif, car énormément de sujets ont été évoqués et le débat va se poursuivre. Je vous propose de m’en tenir aux questions essentielles qui touchent à l’architecture et aux principes du texte, en m’engageant naturellement à répondre à toutes les autres au fur et à mesure qu’elles viendront dans le débat, que ce soit à la faveur d’amendements ou d’interventions.

Je répondrai d’abord à M. Gaymard dont l’intervention a synthétisé toutes les préoccupations exprimées par son groupe. Alors que nous pensons que plus les régions sont grandes, plus elles peuvent mutualiser leurs dépenses de fonctionnement et investir dans des domaines stratégiques – infrastructures ou filières d’excellence –, vous estimez, monsieur Gaymard, que le critère de la taille n’est pas pertinent. Je vais vous lire ce qu’écrivait Jean-Pierre Raffarin dans le rapport qu’il a rédigé avec Yves Krattinger.

M. Hervé Gaymard. Ce n’est pas la Bible !

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur. Non, mais Jean-Pierre Raffarin n’est pas non plus n’importe qui ! Il écrivait : « L’essentiel est de construire des régions de taille européenne. Ce n’est pas leur nombre mais leur taille qui reste l’objectif. » Cette déclaration a suscité beaucoup de commentaires, notamment à droite, sur la pertinence de l’idée et la légitimité de son auteur, qui fut un grand décentralisateur. Et voilà que, lorsque la majorité reprend l’idée à son compte et la développe, elle n’est plus pertinente ! J’en prends acte.

La taille des régions n’est pas le seul moteur d’une stratégie pertinente, mais c’est un critère important, j’en veux pour preuve la manière dont ont été créés les pôles de compétitivité sous l’ancienne majorité : très vite, nous nous sommes rendu compte qu’ils étaient judicieux dès lors qu’ils concernaient plusieurs régions. Les pôles de compétitivité ont démontré que l’intégration régionale et interrégionale permettait de renforcer les liens entre les filières d’excellence, les centres de recherche et les centres de transfert de technologie. Et, lorsque nous voulons appliquer cette logique, subitement elle n’est plus jugée pertinente.

La suppression des départements n’est pas une bonne idée parce que nous avons besoin de proximité, nous explique Hervé Gaymard. En général, cet argument de la proximité est juste, mais je lis ce qu’écrivent tous les responsables politiques sur le sujet, car on n’est jamais sûr d’avoir raison : il faut prendre son miel partout et réaliser les synthèses les plus opportunes. J’ai donc lu tout ce qu’a écrit l’UMP sur le sujet, monsieur Gaymard, et je vais vous faire passer la couverture d’un magazine paru au mois de janvier, où feu votre président de parti, M. Copé…

Plusieurs députés du groupe UMP : Il n’est pas mort !

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur. Je n’ai pas dit « feu M. Copé » mais « feu votre président de parti, M. Copé. » (Sourires.) Voilà le titre qui présentait en couverture l’interview de M. Copé : « Jean-François Copé nous dévoile son projet : une France sans départements. » L’interview, très roborative, va bien au-delà de ce que nous proposons en termes de calendrier et de rythme, puisque beaucoup de propos ne se soucient ni de proximité ni de solidarité, ni de rien de ce qui nous préoccupe dans cette salle aujourd’hui. Quand M. Copé propose urbi et orbi de supprimer sans délai les départements, c’est une excellente idée. Lorsque nous proposons de nous donner six ans, dans le cadre d’un débat, après avoir fait une réforme territoriale ambitieuse et ample, en concertation avec le Parlement, pour décliner simultanément efficacité et proximité, c’est une mauvaise idée…

M. Hervé Gaymard. Que disait M. Bartolone en 2010 ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur. Monsieur Gaymard, à mon humble avis, deux raisons majeures expliquent notre difficulté à adopter des réformes institutionnelles, notamment territoriales, en France. La première est que nous sommes incapables de parvenir à un compromis transcendant les clivages politiques traditionnels pour adopter une bonne réforme dont la France a besoin, par delà ce que nous pouvons penser les uns et les autres. La deuxième est la bipolarité qui caractérise la vie politique française : quand on n’exerce pas la responsabilité du pouvoir, on tape sur la tête de ceux qui l’exercent quoi qu’ils proposent, y compris quand ils s’inspirent de ses propres idées. D’autres comportements seraient nécessaires pour surmonter la crise que nous traversons.

Il faut, dites-vous, monsieur Gaymard, veiller à ce que la réforme n’accroisse pas les fractures territoriales et ne crée pas davantage d’éloignement là où nous avons besoin de proximité. Vous avez évoqué la question du nombre des élus, des départements ruraux et de montagne qui peuvent vivre cette fracture comme une relégation. Vous avez raison de vous poser ces questions, auxquelles le Gouvernement essaie d’apporter des réponses.

Concernant les départements, nous avons décidé d’engager une réforme qui a sa cohérence : elle consiste à créer de grandes régions pour les raisons économiques que je viens d’indiquer. Si elle n’est pas tout, la taille est l’un des sujets à traiter pour permettre des politiques pertinentes d’accompagnement des filières. Nous voulons des intercommunalités puissantes, notamment en milieu rural, précisément par souci de proximité. Comme Marie-Françoise Bechtel l’a indiqué, l’existence d’intercommunalités n’implique pas la disparition des communes en milieu rural, pas plus qu’elle n’annihile la capacité de ces dernières à développer des politiques publiques et à assurer la proximité des élus.

Sur les territoires ruraux où des intercommunalités se constituent, nous créons des occasions de mutualisation qui contribuent à dégager, sur les coûts de fonctionnement, les économies dont nous avons besoin compte tenu de la situation financière du pays. Nous créons, grâce au développement de ces intercommunalités et aux économies permises par la mutualisation, les conditions du développement de politiques publiques tout en garantissant la proximité dont vous parlez.

Les départements dont l’administration et l’assemblée délibérative sont situées dans le chef-lieu assureraient-elles la proximité alors que les intercommunalités, plus proches des communes et des populations, ne le pourraient pas ? Ce raisonnement n’a pas de sens. Certaines compétences exercées par les départements pourraient être transférées aux intercommunalités, notamment dans le domaine social qui exige la proximité, sans que l’efficacité de l’action publique s’en trouve obérée. Si l’on raisonne comme si les choses étaient figées à tout jamais, comme si rien ne pouvait évoluer, comme si aucune compétence ne pouvait redistribuée pour améliorer l’efficacité et la proximité, alors il ne faut pas faire de réforme.

Nous avons trois ans pour faire cette réforme et nous avons raison de prévoir ce délai parce que, quand je vous entends, je ne suis pas sûr que vous la feriez si nous devions quitter le pouvoir. Nous avons trois ans devant nous, et nous voulons faire cette réforme dont j’ai rappelé la cohérence globale. La proximité peut passer par le développement de l’intercommunalité ou par de nouveaux instruments d’organisation territoriale, que nous avons six ans pour inventer ensemble puisque l’existence des conseils départementaux n’est pas remise en cause avant 2020. Nous attendrons que la réforme que nous engageons soit stabilisée pour y apporter son point d’orgue. Ces six années de débats, de réflexion collective, démocratique et parlementaire, doivent nous permettre de trouver une bonne organisation, qui concilie proximité et efficacité. Le Parlement aura un rôle éminent à jouer. Vous ne pouvez pas dire à la fois que nous n’avons pas le temps de débattre et que six ans, c’est trop long. La proximité et l’efficacité sont donc conciliables, et notre volonté de les concilier explique le calendrier retenu.

Je veux aussi apporter des précisions sur l’administration déconcentrée de l’État, qui suscite deux inquiétudes, si j’en juge par les interventions : la déconcentration ne cache-t-elle pas une recentralisation ? Ne va-t-elle pas conduire à faire exercer au niveau régional, autour du chef-lieu de la nouvelle région, des missions jusqu’alors confiées au département ?

Nous souhaitons que l’administration déconcentrée régionale traite essentiellement des fonctions « régaliennes » de la région recomposée. Nous voulons que la région récupère les compétences infrarégionales en matière d’aménagement du territoire et de développement économique, pour parachever la loi du 13 août 2004. Loin d’être une rupture, c’est un aboutissement, une consolidation. Nous proposons que l’État déconcentré régional ait les compétences économique et d’aménagement du territoire, et que, par ailleurs, il y ait de grandes plateformes administratives mutualisées. Lorsque nous créons des plateformes interdépartementales de naturalisation, nous redéployons des emplois, nous mutualisons et nous développons des marges de manœuvre pour créer des emplois dans l’administration de proximité au plan départemental.

En ce qui concerne l’administration déconcentrée départementale, nous voulons donner plus de pouvoir aux préfets de département dans le domaine interministériel, en matière de nominations et de gestion budgétaire, afin qu’ils puissent, étant en grande proximité avec les élus, mieux répondre aux attentes des collectivités locales et des territoires. Cela vaut aussi en matière d’ingénierie territoriale, dont les communes et intercommunalité auront besoin pour développer leurs projets. Sans ce caractère interministériel de l’administration déconcentrée de l’État, nous aurons de plus en plus d’apories.

Quant à la localisation des chefs-lieux des régions issues de la fusion des régions actuelles, elle ne sera nullement déterminée par arrêté ministériel, mais par les élus du territoire concerné, dans le cadre d’un débat qui sera ouvert une fois la loi promulguée. Si un chef-lieu n’est pas établi au terme de cette consultation, il reviendra effectivement au Gouvernement de faire ce choix par voie réglementaire, mais c’est un choix qui devra être entériné par l’assemblée délibérante de la collectivité, une fois qu’elle aura été élue. Nous ne faisons donc aucunement preuve de jacobinisme ni d’autoritarisme. Les territoires pourront aussi décider de l’articulation entre l’administration régionale et l’administration déconcentrée de l’État, afin de créer des équilibres territoriaux. Car si certaines capitales administratives et économiques vont de soi, elles ne se superposent pas nécessairement. En revanche, la loi interdit de faire siéger l’assemblée délibérante d’une région dans une ville différente de la préfecture de région, cette dernière devant pouvoir exercer son contrôle de légalité dans des conditions satisfaisantes.

J’aborderai, pour terminer, la question des économies. Lorsque j’étais ministre du Budget, l’opposition me reprochait de ne faire que 50  milliards d’euros d’économies au lieu de 100 milliards. Et, bien qu’elle préconise d’y parvenir par des réformes structurelles, elle estime que celles que nous appliquons ne sont jamais les bonnes, pour mieux nous reprocher ensuite de ne pas en faire ! Mais, contrairement à ce qu’elle affirme, la réforme structurelle que nous proposons nous permettra de réaliser des économies significatives. En fusionnant les régions, nous mutualiserons leurs directions des ressources humaines et leurs directions financières. M. Philippe Gosselin, qui évoquait tout à l’heure les fusions de communes, sait parfaitement que la seule fusion importante qui ait eu lieu dans le département de la Manche est celle de Cherbourg-Octeville en 2000. En y rassemblant toutes les fonctions « support », nous y avons réalisé 25 % d’économies de fonctionnement en dix ans.

M. Philippe Gosselin. Il aura donc fallu tout ce temps !

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur. Oui car il s’agissait de collectivités de petite taille.

M. Philippe Gosselin. Vous ne pourrez faire d’économies sans licencier de fonctionnaires.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur. Nous ne licencierons pas de fonctionnaires ! Dans tous les services, beaucoup d’entre eux partent à la retraite, que nous n’aurons pas besoin de remplacer tous, du fait de la mutualisation et de l’optimisation des services, qui, contrairement à la révision générale des politiques publiques, s’opérera sans préjudice pour le fonctionnement du service public.

De même, dans la mesure où les nouvelles régions vont conclure des marchés publics pour la construction ou la rénovation de lycées dans un périmètre plus large qu’auparavant et se voir transférer les compétences des départements en matière de voirie et d’entretien des collèges, elles vont pouvoir regrouper leurs achats et réaliser des économies structurelles massives. Je vous rappelle que la réforme de sa politique des achats a permis à l’État d’économiser deux milliards d’euros en dix-huit mois.

Telles sont les réponses que je souhaitais apporter aux questions qui m’ont été posées. Je l’ai fait le plus sincèrement et le plus simplement possible, car une réforme d’une telle ampleur et d’une telle urgence ne me paraît envisageable que si chacun d’entre nous dépasse ses considérations locales et partisanes pour trouver un bon compromis.

M. André Vallini, secrétaire d’État à la Réforme territoriale. Je souhaite, pour ma part, répondre aux interpellations de MM. Gosselin et Verchère sur la question des économies. Certes, cette réforme vise à clarifier les compétences des collectivités, à accroître la compétitivité des régions et à renforcer les intercommunalités. Mais elle permettra aussi de réaliser des économies qui, selon tous les sondages, constituent pour les Français le premier effet attendu du dispositif.

Permettez-moi d’illustrer le propos que vient de tenir Bernard Cazeneuve concernant les économies d’échelle que nous allons permettre aux régions et aux intercommunalités de réaliser sur leurs fonctions support : depuis quelques années, les effectifs de la fonction publique territoriale s’accroissent de 1,6 % par an, pour s’élever aujourd’hui à 1,890 million d’agents. Si l’on stabilise ces effectifs, sans même aller jusqu’à les réduire, on parviendra à 5 milliards d’euros d’économies, d’augmentations évitées ce qui est la même chose, sur cinq ans. D’autre part, il est un critère que l’on ne prend pas suffisamment en compte tant il est difficile à quantifier : celui des économies de temps, donc d’argent, que nous allons permettre aux chefs d’entreprise, aux responsables d’associations et aux élus locaux de réaliser. Car lorsque ceux-ci demandent à plusieurs interlocuteurs des subventions pour concrétiser un projet, ils sont obligés de constituer de nombreux dossiers, dont le contenu diffère d’un financeur à l’autre.

Nous sommes évidemment incapables de chiffrer précisément ces économies, qui n’apparaîtront pleinement que dans une dizaine d’années, une fois réformées toutes les strates territoriales, et non pas seulement les régions. M. René Dosière chiffre les économies potentielles sur le bloc communal à 15 milliards d’euros. Or, dans dix ans, non seulement ce bloc aura été réformé et les compétences des communes et des intercommunalités mutualisées, mais en outre, sur les 13 400 syndicats intercommunaux que compte encore la France aujourd’hui, seront supprimés les 5 800 syndicats dont le périmètre est compris dans celui d’une intercommunalité. De surcroît, plusieurs compétences départementales auront été transférées aux régions. Enfin, certaines régions auront été fusionnées entre elles afin d’en réduire le nombre. L’ensemble de ces mesures permettra de réaliser des économies considérables.

Je tiens à votre disposition plusieurs documents illustrant, exemples à l’appui, les gisements d’économies qui existent dans tous les domaines et à tous les échelons : un document de travail de la Direction générale des collectivités locales, le rapport Malvy-Lambert remis au président de la République, le rapport Queyranne sur la compétence en matière de développement économique, aujourd’hui éclatée entre plusieurs niveaux de collectivités, et un rapport de l’OCDE. La direction générale des collectivités locales estime à 250 milliards d’euros le budget global des collectivités locales en France, toutes strates confondues. Selon les spécialistes en organisations complexes, en fusionnant les collectivités et en mutualisant leurs services, nous réaliserons entre 5 % et 10 % d’économies sur dix ans, soit entre 12,5 et 25 milliards d’euros.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Messieurs les ministres, je vous remercie.

La séance est levée à 19 heures 45.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Nathalie Appéré, M. Christian Assaf, Mme Marie-Françoise Bechtel, M. Erwann Binet, Mme Colette Capdevielle, Mme Marie-Anne Chapdelaine, M. Jean-Michel Clément, M. Carlos Da Silva, M. Sébastien Denaja, Mme Françoise Descamps-Crosnier, M. Marc Dolez, M. Olivier Dussopt, M. Georges Fenech, M. Hugues Fourage, M. Guy Geoffroy, M. Yves Goasdoué, M. Philippe Gosselin, Mme Marietta Karamanli, M. Guillaume Larrivé, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, M. Bernard Lesterlin, M. Patrick Mennucci, M. Paul Molac, M. Michel Piron, Mme Elisabeth Pochon,
M. Jean-Frédéric Poisson, M. Dominique Raimbourg, M. Bernard Roman, M. Alain Tourret, Mme Cécile Untermaier, M. Jean-Jacques Urvoas, M. Daniel Vaillant, M. Patrice Verchère, M. Alain Vidalies, Mme Marie-Jo Zimmermann, M. Michel Zumkeller

Excusés. - M. Sergio Coronado, M. Guillaume Garot, M. Daniel Gibbes, M. Alfred Marie-Jeanne, Mme Sandrine Mazetier, M. Roger-Gérard Schwartzenberg

Assistaient également à la réunion. - Mme Delphine Batho, M. Sylvain Berrios, Mme Sylviane Bulteau, M. Charles de Courson, M. Olivier Faure, M. Jean-Louis Gagnaire, M. Hervé Gaymard, M. Serge Grouard, Mme Sandrine Hurel, M. Jean-Pierre Le Roch, M. Pierre Morel-A-L'Huissier, Mme Christine Pires Beaune, M. Christophe Premat, M. François de Rugy, M. Éric Straumann, M. Jacques Valax