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Commission des affaires culturelles, et de l’éducation

Mercredi 29 octobre 2014

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 12

Présidence de M. Patrick Bloche, président

– Projet de loi de finances pour 2015 (n° 2234) (seconde partie) :

• Présentation, ouverte à la presse, des rapports pour avis sur les crédits de la mission Culture :

- Création ; Transmission des savoirs et démocratisation de la culture (Mme Annie Genevard, rapporteure pour avis)

- Patrimoines (Mme Sophie Dessus, rapporteure pour avis)

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION

Mercredi 29 octobre 2014

La séance est ouverte à neuf heures quarante.

(Présidence de M. Patrick Bloche, président de la commission)

——fpfp——

La Commission des affaires culturelles et de l’éducation procède à l’examen des rapports pour avis de Mme Annie Genevard (Création ; Transmission des savoirs et démocratisation de la culture) et de Mme Sophie Dessus (Patrimoines) sur les crédits pour 2015 de la mission « Culture ».

M. le président Patrick Bloche. Les rapports pour avis de Mme Annie Genevard et de Mme Sophie Dessus sur les crédits de la mission « Culture » du projet de loi de finances pour 2015 sont les derniers à être examinés par notre Commission. Nous poursuivrons néanmoins nos travaux sur le PLF 2015 en commission élargie et en séance publique. Je souligne par ailleurs que nous nous illustrons en matière de parité puisque nos deux rapporteures succèdent aux trois rapporteures qui ont présenté hier leurs rapports pour les crédits des missions « Enseignement scolaire » et « Enseignement supérieur et recherche ». Nous allons même au-delà puisqu’il y a eu, cette année, une majorité de femmes parmi les dix rapporteurs.

Je cède maintenant la parole à Mme Annie Genevard, qui a souhaité centrer son rapport relatif au programme 131 « Création » et au programme 224 « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture » sur les outils d’observation dont dispose le ministère de la culture pour assurer un aménagement équilibré du territoire en matière culturelle.

Mme Annie Genevard, rapporteure pour avis. J’ai souhaité aborder un sujet très peu étudié, sur lequel on ne dispose, par conséquent, que de peu de renseignements : l’observation par le ministère de la culture des politiques culturelles dans les petites villes rurales ou périurbaines et la mesure de leurs effets sur les territoires.

Ce choix a été dicté par un triple constat.

L’accès de tous à la culture est une priorité politique, comme l’a rappelé le projet annuel de performances de la mission « Culture » pour 2015. En septembre 2012 déjà, la précédente ministre de la culture invitait les directions régionales des affaires culturelles (DRAC) à définir une stratégie pour l’égalité des territoires.

Deuxièmement, il apparaît nécessaire de se doter d’outils de pilotage pour observer et analyser les pratiques. Or, les villes de moins de 10 000 habitants, qui représentent tout de même 97,5 % des communes de France et 50 % de la population nationale, demeurent dans l’angle mort des indicateurs du ministère.

Enfin, dernier constat, les petites communes ne ménagent pas leurs efforts en la matière. L’étude que nous avons menée dans trois communes du Doubs – deux en milieu rural, une en agglomération – a montré qu’elles jouaient un rôle essentiel dans le déploiement territorialisé d’une offre culturelle de qualité et de proximité, notamment grâce à la présence quasi systématique du triptyque d’équipements culturels que sont la médiathèque, la salle de cinéma et la salle de spectacle. Par ailleurs, il est apparu qu’elles consentaient un effort notable de professionnalisation de l’emploi culturel, phénomène relativement récent dans les petites villes.

Le sujet que j’ai retenu a déjà été partiellement évoqué en 2006 dans le rapport d’information sur l’action culturelle diffuse, instrument de développement des territoires, élaboré par Jean Launay et Henriette Martinez, au nom de la Délégation à l’aménagement et au développement durable du territoire. Il pointait déjà le manque d’instruments de mesure de l’action culturelle.

J’ai souhaité pousser plus loin l’analyse et présenter des pistes dont l’exploration permettrait au ministère de la culture de disposer d’outils de pilotage d’une politique de démocratisation culturelle.

En 2012, un rapport de l’inspection générale des affaires culturelles (IGAC) a constaté l’existence de « failles » dans l’aménagement culturel du territoire. Le terme est intéressant car il évoque à la fois la défaillance des politiques publiques, dont la mission est pourtant d’assurer l’égalité de territoires, et la faille au sens géographique, c’est-à-dire la rupture territoriale et la segmentation de l’offre culturelle. Il a établi un classement des régions en trois catégories qui montre que certaines d’entre elles cumulent plusieurs carences en matière d’aménagement du territoire, y compris dans le domaine de la culture.

Un autre facteur d’inégalités territoriales est peut-être à chercher du côté de l’orientation très forte des financements publics vers les grandes métropoles. L’IGAC a remis en juin 2014 à la ministre de la culture un rapport analysant les interventions financières et les politiques culturelles en région qui comporte une très intéressante étude de la répartition régionale des dépenses d’intervention du ministère – crédits centraux et déconcentrés. Elle montre qu’en 2013, avec 2,2 milliards d’euros sur 3,3 milliards d’euros, la région Île-de-France a concentré 66 % de la totalité des crédits du ministère destinés aux régions - 13 % des crédits déconcentrés et 77 % des crédits centraux. Une telle situation s’explique en grande partie par l’implantation majoritairement parisienne des établissements publics nationaux, qui a pour effet de surreprésenter dans cette région les dépenses culturelles du ministère alors même que celles-ci « ont vocation à couvrir l’intégralité du territoire national ou toucher un public non francilien », selon les auteurs du rapport. Encore faudrait-il disposer des éléments d’analyse de la fréquentation de ces équipements par des non-franciliens pour se persuader de la pertinence de ce déséquilibre des financements.

La lutte contre ces inégalités de traitement renvoie à des enjeux multiples.

Un enjeu de cohésion sociale, tout d’abord : la lutte contre les failles culturelles qui touchent une partie de notre territoire est avant tout une question d’équité entre nos concitoyens pour l’accès à la culture. C’est un problème politique et une exigence morale. Dans ses travaux récents, le géographe et chercheur Christophe Guilluy a souligné la persistance dans notre pays de fractures territoriales et fait le constat d’un phénomène de relégation d’une France périphérique des petites villes et des territoires éloignés des métropoles qui, elles, bénéficient de très nombreux équipements notamment culturels.

Un enjeu économique, ensuite : l’impact économique des implantations culturelles dans les petits bassins de vie a été souligné dans un rapport élaboré conjointement par l’inspection générale des finances et l’IGAC. Il établit une corrélation positive entre les initiatives culturelles et le développement local mais déplore le caractère disparate et non méthodique des études réalisées sur le sujet. Il met en évidence – un fait extrêmement important à mes yeux – la présence d’une implantation culturelle significative est d’autant plus importante que le bassin de vie est modeste en nombre d’habitants.

C’est dans cette perspective qu’il est nécessaire de disposer d’outils d’observation pour amplifier les effets de ce facteur de richesse.

Les auditions ont démontré que le ministère ne dispose que de très peu de connaissances sur la cible que nous avons retenue, à savoir les communes de moins de 10 000 habitants. Les analyses quantitatives restent concentrées sur les grands pôles urbains et les villes moyennes. En mars 2014, une grande étude portant sur les dépenses culturelles des collectivités territoriales en 2010 a montré que celles-ci s’élevaient à un total de 7,6 milliards d’euros et que la part de budget qui y était consacrée était de 2,7 % pour les régions, 2,1 % pour les départements et de 8 % pour les communes de plus de 10 000 habitants et leurs groupements. Que dépensent les 97,5 % communes restantes et pour quelles actions ? Nous ne le savons pas. Des études thématiques portant sur les pratiques culturelles des Français existent – surtout pour la lecture publique et le cinéma, les données faisant particulièrement défaut pour ce qui est du spectacle vivant –, toutefois, les enquêtes menées ne prennent que partiellement en compte les problématiques territoriales. Il ressort néanmoins que, même si la fréquentation en zone rurale progresse – et on le doit sans doute à l’effort de structuration culturelle consenti par les communes –, les taux de fréquentation restent bien moins élevés et moins réguliers que dans les zones urbaines. La politique culturelle est d’abord une politique de l’offre. Si celle-ci est abondante, la demande, c’est-à-dire la fréquentation, est là.

La question est de savoir quelle méthodologie d’observation mettre en place pour promouvoir la culture sur les territoires.

L’approche territorialisée développée par L’INSEE, service de la statistique publique, pourrait être transposée aux études du ministère de la culture.

Le Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET) mène des études sur l’accessibilité des services au public au travers de cinq dimensions, point qui nous a particulièrement intéressés lors des auditions : le temps et la facilité d’accès, la disponibilité du service, son coût, son niveau, le choix et l’information sur le service. Ainsi, une cartographie nationale de l’accès aux salles de cinéma en fonction des chronodistances a pu être établie par le CGET et l’Institut national de recherches agronomiques (INRA). Elle a permis d’identifier des territoires insuffisamment équipés et le Centre national du cinéma (CNC) a mis en place une commission d’aide sélective qui donne la priorité aux projets dans ces zones moins dotées. Cette démarche pourrait aisément être appliquée à d’autres services culturels, comme la lecture publique ou le spectacle vivant, grâce à une coopération, au niveau régional, des DRAC et de l’INSEE, en lien avec le CGET.

Remettre le territoire au centre de l’action publique en matière culturelle a du sens. C’est une logique plus transversale et susceptible de répondre aux enjeux de la démocratisation culturelle. Mais pour cela, il est crucial de mettre en place des outils de diagnostic territorial dans chaque région, par exemple, en établissant une cartographie des équipements culturels et de leur accessibilité selon la méthode utilisée par le CGET, ou en uniformisant la nomenclature d’observation des activités culturelles et de leur financement.

Lors des auditions, j’ai été particulièrement impressionnée par la méthode mise en place par la DRAC Rhône-Alpes qui a dressé un état des lieux des pratiques culturelles des villes les moins peuplées de la région, grâce aux données statistiques et cartographiques. C’est ainsi que quarante-neuf EPCI ont été identifiés comme territoires prioritaires auxquels la DRAC a proposé une convention de développement culturel ayant pour but de promouvoir la découverte et l’éducation à l’art et à la culture tout au long de la vie.

L’observation fine peut aider à ajuster les politiques culturelles aux territoires. Les auditions ont permis de dégager quelques lignes de force pour combler les failles culturelles dont souffre notre pays. J’en dénombrerai trois : encourager et soutenir la fonction d’appui des petits bourgs centres qui disposent d’équipements culturels ; concentrer les nouveaux équipements et les actions de médiation culturelle sur les zones blanches ; encourager l’itinérance artistique et la diffusion hors les murs.

Rompre avec une approche exclusivement centrée sur les différentes disciplines de la création pour adopter le territoire comme clé d’entrée des politiques culturelles est devenu un enjeu majeur de la démocratisation culturelle dans notre pays.

C’est grâce à la connaissance fine des territoires, à leur cartographie, à l’identification des zones les moins dotées, des zones blanches, des zones de relégation culturelle parfois, comme des zones d’appui culturel, que pourra plus efficacement être pilotée une politique culturelle appropriée.

Je vous remercie pour votre attention et surtout pour l’appui qui pourra être donné à la suite de ces travaux.

M. le président Patrick Bloche. Nul doute que nombre de nos collègues se montreront sensibles à la volonté d’assurer un aménagement équilibré du territoire en matière culturelle, enjeu dont l’importance se mesure aussi à l’aune de notre histoire récente : la politique de développement culturel, mise en œuvre dans les années quatre-vingts sous l’égide de Dominique Wallon, a sans doute été l’un des facteurs les plus marquants de la réorientation des politiques publiques en matière de culture.

Sophie Dessus va maintenant nous présenter son rapport sur le programme 175 relatif aux « Patrimoines », consacré plus spécifiquement à la protection et à la reconversion du patrimoine industriel des XIXe et du XXsiècles, sujet qui n’est pas sans rapport avec les travaux de la mission d’information sur la création architecturale, qui nous ont permis de montrer combien la réhabilitation était essentielle à la création.

Mme Sophie Dessus, rapporteure pour avis. Qui eût pu dire qu’en travaillant sur le budget du patrimoine, nous partions vers une étonnante aventure, qui nous a conduits des usines désaffectées au cœur de la création artistique et des utopies urbaines ?

On ne peut présenter le budget du patrimoine sans se poser la question : qu’est-ce que le patrimoine ? Patrimoine d’hier, patrimoine d’aujourd’hui, patrimoine de demain, patrimoines tout simplement réunis dans le temps par la création artistique.

Le patrimoine d’hier et son budget, nous l’évoquerons demain, à l’occasion de la commission élargie. Le patrimoine d’aujourd’hui, ou celui récemment considéré comme tel, j’y consacrerai mon intervention en m’attardant sur la réhabilitation de sites industriels des XIXe et XXsiècles et leur reconversion en sites culturels. Quant au patrimoine de demain, il renvoie à la question de savoir si l’on veut se donner les moyens d’avoir un patrimoine du XXIsiècle et si l’on laisse aux créateurs la possibilité de le bâtir dans une société où la diversité cède la place à la standardisation, standardisation qui, selon Rudy Ricciotti, est un « laminoir qui vous pèle l’âme jusqu’à l’os ».

Si le XIXe siècle a été marqué par l’invention des monuments historiques, encensés par une mémoire collective – loi de 1913, mesures de protection des années 1930 –, il faudra attendre André Malraux puis Jack Lang pour que notre patrimoine industriel, scientifique ou technique devienne objet de convoitise et que l’on bascule de la notion d’un patrimoine révéré mais figé à un patrimoine « recyclé », un patrimoine « de lieux vivants, pour des gens vivants, et porté par un projet collectif : une utopie urbaine », selon les termes de Fabien Jannelle de la Ferme du Buisson. Et c’est à travers l’exemple de quelques sites industriels que nous avons tenté de comprendre ce que cette utopie voulait dire.

À côté du plus emblématique d’entre eux, le Lieu Unique, ancienne biscuiterie de la famille Lefèvre-Utile à Nantes, citons entre autres la Ferme du Buisson à Marne-La-Vallée, ancienne chocolaterie de la famille Menier, le Channel, anciens abattoirs de Calais, la Papeterie à Uzerche, le Centquatre, anciennes pompes funèbres de la Ville de Paris, le Magasin, ancienne chaudronnerie à Grenoble, ou la Belle de Mai, ancienne usine d’allumettes, à Marseille.

Ce qui est frappant, c’est leur point commun à tous, le secret de la réussite de leur réhabilitation, qui tient à la réunion de trois éléments : un site, une équipe, un projet. S’il en manque un seul, la greffe prend plus difficilement et la réhabilitation perd de sa raison d’être.

« Pour réussir la grande aventure culturelle, il faut la sainte alliance entre le monde culturel et le monde politique », nous a expliqué Fabien Jannelle de la Ferme du Buisson. Il a estimé ne pas être parvenu à relever le défi jusqu’au bout parce que l’adhésion de la collectivité lui avait manqué. Peut-être n’a-t-il pas eu les élus locaux derrière lui autant qu’il l’aurait souhaité, mais il a eu l’appui du ministre de la culture, Jack Lang, et son utopie urbaine a pris corps.

Au Channel à Calais, un élu, l’architecte Patrick Bouchain, et Francis Peduzzi, l’initiateur du projet, ont formé une équipe soudée, investie, adaptant le chantier en permanence à l’évolution du projet, qui a permis la création, dans les anciens abattoirs, d’un lieu correspondant aux attentes du public, des initiateurs et des élus, pour 15 millions d’euros, soit un coût au mètre carré moins élevé que pour la construction de logements sociaux.

Le Lieu Unique, quant à lui, reste le plus exemplaire. À son origine, on trouve un élu, Jean-Marc Ayrault, un initiateur, Jean Blaise, un architecte, Patrick Bouchain. Et ces trois « allumés », titre que je leur donne en mémoire de l’histoire culturelle de Nantes qu’ils ont portée, ont conquis la ville à partir de leur projet culturel. En 1999, pour 60 millions de francs, ils ont créé le Lieu Unique, qui a été suivi par les spectacles de Royal de Luxe, les Machines de l’Île et le Voyage à Nantes. Ils avaient rêvé de faire de la politique culturelle l’épine dorsale de l’économie et de la redynamisation du territoire et ils l’ont fait.

Au Centquatre, la conception fut différente. Il n’y a pas eu d’équipe à proprement parler, mais un architecte qui a signé une belle restructuration. Toutefois ni la complicité politique, ni le projet n’étaient aussi présents qu’ailleurs. « On aurait dû être à la fois plus audacieux et plus modeste, on n’avait pas assez défini les besoins en amont, ce qui a entraîné un surcoût important, et des contraintes architecturales que les élus un peu trop éloignés du dossier n’ont pas pu négocier », nous a expliqué l’un des coordinateurs, Frédéric Fisbach. Ici a manqué au projet le rêve qui se doit d’aller avec le site, pour que l’âme et l’histoire de ce dernier soient respectées.

Ce mélange d’utopie et respect, on le retrouve à la Papeterie ou au Channel, où Francis Peduzzi explique qu’ « un milieu culturel au XXIe siècle n’est pas un théâtre, mais un lieu de vie, où l’on se rend sans avoir à assister à une pièce, où l’on trouve un resto, un bar, une librairie, une crèche, un lieu de rencontre et de création, un lieu au service de l’imaginaire ». Jean Blaise, pour sa part, parle d’un « lieu qui va transpirer l’art », et Patrick Guyer, actuel directeur du Lieu Unique, d’un « familistère toujours ouvert à tous ».

Ainsi, à la Ferme du Buisson, projet et site s’entremêlent. Dans ce village saint-simonien, on a appliqué les principes de l’abbaye de Thélème, chers à Rabelais. On y joue la carte patrimoniale, tout autant que celle de la création ; on n’y dissocie pas l’enseignement de la détente. Point de luxe ostentatoire, mais l’essentiel : dialogue et confrontation entre les artistes, les passants, les entreprises. Sur les chantiers, on ne danse pas avec les loups mais avec les pelleteuses. Sur le site, prime la volonté que les habitants s’approprient l’espace et réalisent l’utopie de croire en la culture pour changer le monde.

Pour réussir, explique Marc Warnery du cabinet d’architectes Reichen et Robert, « il ne faut pas démolir pour reconstruire, il faut faire avec », en s’adaptant aux territoires, en redonnant vie à des quartiers désertifiés, en aménageant des projets urbains dans des zones en friche, en évitant la banalisation, en réapprenant à vivre ensemble, en amenant une nouvelle identité à un lieu. Le site de DMC à Mulhouse en est un exemple.

Tout cela n’est que l’illustration des propos de Christian de Portzamparc selon lesquels « respecter le passé, c’est le faire revivre ». C’est ainsi que se dessinent aujourd’hui de grands projets qui feront les villes de demain, avec une autre façon de les habiter et de vivre ensemble, que ce soient le projet Darwin à Bordeaux ou Pompeia à São Paulo.

Vouloir des villes de demain, vouloir des utopies urbaines implique d’être prêts à se battre pour soutenir ce que sera le patrimoine de demain. Et vouloir un patrimoine demain, c’est laisser libre cours à l’imaginaire du créateur, ce qui, à écouter les porteurs de projets comme les architectes, est devenu très complexe dans la société standardisée qui est la nôtre, régie par un océan de normes. Certains s’y résignent, tels les membres de l’agence Reichen et Robert : « le problème des normes, c’est qu’elles sont aveugles, et qu’elles changent avant même que le projet ne soit terminé ; elles se cumulent, sont limitatives et non incitatives ». D’autres, plus philosophes ou plus aguerris, comme au Lieu Unique, contournent les obstacles, avec le soutien des municipalités qui décident de ramener la notion de bon sens là où elle n’est plus. D’autres encore, plus poétiques, comme Francis Peduzzi, réclament désormais une norme, mais une seule, la HQH, norme de « haute qualité humaine ».

Rudy Ricciotti quant à lui, y va à la marseillaise. Avec sa verve toute méditerranéenne, dans son ouvrage L’architecture est un sport de combat, il déclare la guerre au « salafisme architectural, à la pornographie réglementaire » ; il crie haro sur « les criminels de l’environnement, les déserts de la répétition, la perte des savoir-faire ». Il nous alerte enfin sur les abus du principe de précaution, « oxymore du cauchemar forniquant avec l’utopie » : « le principe de précaution provoque l’augmentation du consumérisme, avec à la clé un désastre environnemental ». « À qui profite, ajoute-t-il, ce principe de précaution qui permet de fabriquer des marchés ? Qui écrit les champs normatifs ? Qui les conseille ? Les sachants ne seraient-ils pas, en réalité, les fabricants ? Ceux qui jour après jours participent à l’exil de la beauté ? ». Et ces questions, il nous les pose à nous, députés, il nous demande de travailler sur ce sujet et d’y travailler vite, car « le suicide collectif est engagé, dans l’indifférence citoyenne ».

Excessif, allez-vous me dire. Pourtant, Rudy Ricciotti n’est pas le seul à sonner l’alerte. Sur un ton plus angevin, mais tout aussi catastrophé, Jack Lang nous rappelle que nous sommes responsables. Il importe selon lui que la future loi relative à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine s’attaque à ces problématiques, afin que le patrimoine ait un avenir. « Ouvrons les yeux, écrit-il. Arrêtons le massacre. Arrêtons d’anéantir les beautés du passé, nous dépouillons l’avenir. Ce n’est pas manquer d’imagination que de vouloir conserver des monuments qui ont perdu leur usage, c’est au contraire avoir confiance en celle des hommes pour les réinventer. Déclarons la guerre à la routine stérile et au byzantinisme. Nous avons laissé s’installer partout le même lotissement. Nous avons réussi à standardiser la périphérie des villes ; nous avons fait des zones commerciales des champs de tôles ondulées. Nos jardinières en granulo-béton sont devenues des tombeaux à mégots. Nous célébrons la dictature du thuya. Nous multiplions les ronds-points devenus la spécialité de l’art décoratif français. Ouvrons les yeux, il est grand temps d’utiliser le patrimoine comme un levier de l’aménagement du territoire et de l’urbanisation. Il est temps que le respect de la beauté passée se double d’une exigence de beauté à venir. » Et de conclure en citant René Char : « Dans nos ténèbres, il n’y a pas une place pour la beauté. Toute la place est pour la beauté ».

M. le président Patrick Bloche. Nous pourrions être, pour notre part, à l’initiative d’une nouvelle norme, la HQP, « haute qualité parlementaire ». Qu’en pensez-vous, chers collègues ?

Nous en venons aux orateurs des groupes.

Mme Marie-Odile Bouillé. Mesdames les rapporteures, je vous remercie pour le travail que vous avez réalisé et pour votre choix particulièrement pertinent en matière d’angles d’étude – d’un côté, l’aménagement équilibré des territoires en matière culturelle, de l’autre, le patrimoine industriel.

Mon intervention sera constituée davantage de remarques que de questions à proprement parler.

S’agissant de l’architecture industrielle, il faut noter que les bâtiments construits entre 1945 et 1990 sont encore peu labellisés. Mais au-delà de la mise en valeur de ce patrimoine, madame Dessus, vous insistez sur une autre voie, celle de la reconversion : « respecter le passé, c’est faire revivre les lieux ». Vous soulignez, à juste titre, l’importance de l’engagement des élus, du rôle de l’architecte et celui de l’appropriation des lieux par les habitants, facteurs essentiels de réussite pour redonner vie au patrimoine industriel. Mon seul regret, chère collègue, est que, de Nantes, vous n’ayez pas poussé jusqu’à Saint-Nazaire pour visiter le théâtre, installé dans une ancienne gare ferroviaire.

Madame Genevard, vous abordez une problématique à laquelle les uns et les autres nous sommes trouvés confrontés dans nos régions, départements ou communes : pour assurer un aménagement équilibré du territoire en matière culturelle, à quels outils d’observation le ministère de la culture doit-il avoir recours ?

Mais avant d’aborder ces questions avec vous, je voudrais revenir sur quelques points de votre analyse du projet de budget pour 2015.

Je me réjouis tout d’abord de la sanctuarisation du budget de la culture. Elle illustre une fois de plus l’engagement de notre gouvernement en faveur de la culture, malgré la situation économique difficile et très contrainte. Le budget total s’élève à 3,22 milliards d’euros, soit une petite augmentation – 0,31 % – par rapport à 2014. Les moyens en faveur des structures de création et des projets territoriaux sont consolidés, grâce notamment à une augmentation de 1,4 % des interventions pour le spectacle vivant et un effort particulier pour les scènes de musiques actuelles et les scènes nationales. Les DRAC connaîtront une augmentation de 1,2 % des moyens dévolus aux arts plastiques, au développement des lieux de présentation et aux dispositifs permettant de développer la scène artistique française.

Pour ce qui est des crédits relatifs à la transmission des savoirs et à la démocratisation de la culture, soulignons la priorité politique accordée à la mise en œuvre du plan en faveur de l’éducation artistique et culturelle, dont les dotations sont passées de 7,5 millions d’euros en 2014 à 10 millions en 2015, soit une augmentation de 6,5 %. Ce plan, qui doit permettre à chaque enfant ou jeune de rencontrer les acteurs de la culture tout au long de sa scolarité, est désormais inscrit dans le parcours d’éducation artistique de la programmation pour la refondation de l’école. À cela s’ajoutent les 36,33 millions d’euros de dotation alloués à l’ensemble des institutions culturelles subventionnées par le ministère mais aussi aux structures labellisées et réseaux soutenus par les régions.

Les crédits déconcentrés sont essentiellement délégués aux DRAC pour l’accompagnement des démarches des collectivités territoriales dans un cadre contractuel et pluriannuel comme les conventions de développement culturel. C’est à travers cette ligne budgétaire, madame Genevard, que les DRAC pourraient répondre à votre attente en matière d’équilibre des territoires.

Dans votre rapport, vous observez à juste titre la concentration des crédits à Paris par rapport à l’Île-de-France dans son entier. Le même constat s’impose à l’échelon du département de la Loire : sur un total de 6,4 millions d’euros, Saint-Étienne Métropole se voit allouer 5,7 millions d’euros, ce qui ne laisse que 700 000 euros pour le reste du département.

Nous pouvons tout à fait partager votre triple constat que vous faites sur la priorité politique que doit constituer l’accès à la culture pour tous, sur les petites communes qui ne ménagent pas leurs efforts pour la culture, et sur la nécessité de mettre en place des outils d’observation.

Se pose toutefois la question de la part de budget que les petites communes accordent à la culture ; celle-ci est hautement significative de la volonté politique des élus. Vous ne précisez de chiffres que pour une seule commune, la vôtre, je crois.

Autre élément que je voudrais mettre en avant et que vous n’abordez pas dans vos préconisations : le projet culturel construit par les élus. Cette dimension concerne les villes plus petites qui, dans le cadre des EPCI, mettent en place des conventions culturelles auxquelles participent les autres collectivités – département, région –, les acteurs culturels des territoires et les DRAC. À cet égard, la démarche de la DRAC Rhône-Alpes que vous citez est exemplaire : elle a dégagé 500 000 euros pour un conventionnement avec les EPCI constitués de communes éloignées des métropoles, en s’appuyant sur les scènes nationales ou conventionnées, en mutualisant les outils – médiathèques, écoles de musique, interventions d’artistes plasticiens –, en développant l’accueil d’artistes en résidence, pour faire vivre la culture dans tous les territoires.

L’approche que vous nous présentez, à savoir la superposition d’outils géographiques, est probablement nécessaire mais elle n’est pas suffisante. Pour mettre en place des projets culturels dans ces lieux que l’on dit éloignés, la volonté des élus au sein des EPCI est essentielle. Cela suppose de partager les compétences, les outils et de développer la solidarité. Je vous remercie de me dire ce que vous pensez de la contribution que pourrait apporter un projet culturel de territoire à l’aménagement équilibré des territoires.

M. Michel Herbillon. Faisant écho aux déclarations de Manuel Valls en juillet, la nouvelle ministre de la culture s’est félicitée, devant notre commission, de pouvoir annoncer la sanctuarisation du budget pour la période 2015-2017. Ce serait le signe tangible de la priorité donnée par le Gouvernement à la politique culturelle. Présentation des choses pour le moins audacieuse qui ne résiste pas hélas ! à l’examen des faits.

Audacieuse car cette promesse de sanctuarisation a un côté déjà-vu, séquence boîte à souvenirs du plus mauvais effet quand on sait que cet engagement de François Hollande pendant la campagne présidentielle s’est traduit depuis deux ans par une saignée des moyens dédiés à l’action culturelle de l’État, sans précédent depuis les débuts de la Ve République. Certes, en 2015, les crédits ne subiront pas les amputations des années passées. Néanmoins, cette stabilisation se fait à un étiage budgétaire très bas. Elle masque aussi de nouvelles baisses dans des secteurs déjà très affectés par les réductions antérieures.

Les travaux de nos deux collègues rapporteures, Annie Genevard et Sophie Dessus, sont tout à fait éclairants.

Concernant les crédits du patrimoine, le rapport de Mme Dessus illustre la chute vertigineuse des crédits depuis 2012. Si 5 millions d’euros supplémentaires seront dévolus au patrimoine en 2015, ce n’est qu’une goutte d’eau face à la baisse de 115 millions d’euros par an subie par le patrimoine entre 2012 et 2014. La situation est particulièrement préoccupante pour la restauration des monuments historiques, dont le budget continuera de décroître en 2015, diminution d’autant plus inquiétante que les collectivités locales se désengagent du financement de ces opérations du fait des baisses de leurs dotations budgétaires.

Dans le même esprit, soulignons que les moyens dédiés aux musées et à l’enrichissement des collections publiques seront étales l’an prochain, à des niveaux historiquement bas, après des baisses respectives de 10 % et 50 % de leur montant depuis 2012. Si l’on se félicite de la décision d’ouvrir sept jours sur sept les grands musées parisiens, on ne peut que s’inquiéter de la prolongation de la baisse des dotations des grands musées, je pense en particulier au musée d’Orsay. De même, la stagnation en 2015 des crédits compensant la gratuité, qui ont fortement baissé en 2014, pose la question de la sincérité du Gouvernement quand il dit vouloir privilégier l’accès des jeunes à la culture.

En matière de création, si la baisse des crédits a été moins marquée, elle est cependant bien réelle : 7 % depuis 2012. L’année 2015 marquera une situation contrastée. Des réductions budgétaires pour quelques opérateurs du spectacle vivant – l’Opéra de Paris et l’Orchestre de Paris, par exemple – permettront un saupoudrage de crédits pour d’autres. Seule la Cité de la Musique verra ses crédits croître sensiblement dans la perspective de l’ouverture de la Philharmonie. Toutefois, je demeure inquiet, comme Annie Genevard, concernant les moyens dont la Philharmonie bénéficiera pour remplir ses missions, du fait de la position de la Ville de Paris qui revient sur son engagement de financer ce nouvel équipement à parité avec l’État.

Sophie Dessus a excellemment souligné l’insuffisante implication des élus dans le projet du Centquatre, qui, doit-on le souligner, se situe à Paris. Ses propos sonnent comme un réquisitoire. Je ne voudrais pas que la Philharmonie pâtisse de ce même phénomène alors même que, du fait de sa situation géographique, elle constitue un accès privilégié à la culture, à la musique sous toutes ses formes, pour les populations de l’Est parisien, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne.

Le budget 2015 mettra certes un terme à l’hémorragie budgétaire subie par la culture depuis l’arrivée de la gauche au pouvoir mais il ne traduit à l’évidence aucune dynamique, encore moins une perspective claire et ambitieuse en matière de politique culturelle. Le groupe UMP se prononcera donc contre l’adoption des crédits des programmes « Création » et « Patrimoines ».

Je veux terminer en remerciant Annie Genevard et Sophie Dessus pour la qualité et l’intérêt des études qu’elles ont présentées sur les pratiques culturelles dans les petites villes rurales ou périurbaines et sur la protection et la reconversion du patrimoine industriel.

Les pistes qu’Annie Genevard trace pour l’accès de tous à la culture à travers l’égalité des territoires doivent, au-delà de nos sensibilités, nous réunir, mes chers collègues, tout comme nous devons adhérer à l’objectif de nous doter d’indicateurs pour mesurer l’effort des collectivités en matière culturelle. Notre collègue a eu raison de souligner combien le ministère manque d’outils pour suivre l’activité culturelle des communes de moins de 10 000 habitants, qui forment le maillage de notre pays.

Le rôle assez méconnu des petites communes en matière culturelle est crucial puisque la moitié de la population vit dans ces communes, qui font des efforts considérables pour faciliter l’accès à la culture. Hélas, une étude de l’Association des petites villes de France qui vient de paraître révèle que 95 % des petites villes de 3 000 à 20 000 habitants pensent réduire dès 2015 les moyens dédiés à la culture, compte tenu des réductions des dotations de l’État.

Mettre en exergue le rôle de ces petites villes et proposer une approche des politiques culturelles par territoire pour mieux adapter nos moyens aux besoins, comme le fait notre collègue Annie Genevard, paraît donc pertinent et répond à une vraie nécessité dans le contexte budgétaire actuel.

Enfin, je voudrais dire combien j’ai été sensible aux conclusions du rapport de Sophie Dessus lorsqu’elle insiste sur l’urgence de remettre la beauté et l’innovation au cœur de la création architecturale, en particulier en limitant la multiplication des normes qui poussent à une standardisation de mauvais aloi.

Monsieur le Président, mesdames les rapporteures, je souhaiterais profiter de cette occasion pour savoir si vous avez connaissance, à ce stade, des grandes orientations que Mme la ministre de la culture entend proposer dans le volet architectural qu’elle veut ajouter au projet de loi qui sera présenté au début de l’année 2015. Elle serait bien inspirée de s’appuyer sur les conclusions de la mission d’information sur la création architecturale présidée par notre président, Patrick Bloche.

Mme Isabelle Attard. À mon tour, j’aimerais féliciter nos deux rapporteures pour leur passionnant travail, qui nous oblige à nous poser des questions qui vont bien au-delà du domaine de la culture, en particulier pour ceux d’entre nous qui sont élus de territoires ruraux.

Annie Genevard a souligné la nécessité de cartographier nos territoires afin de fournir des outils d’aide à la décision pour l’attribution de subventions. À cet égard, nous pouvons déplorer que, de manière générale, les services de nos brillantes universités de géographie et des systèmes d’information géographiques, qui existent depuis plus de vingt ans, soient sous-utilisés par les administrations en matière d’aménagement du territoire.

Ces outils doivent permettre de déterminer quelles zones et quels équipements favoriser. Les villes sont suffisamment arrosées et nous avons coutume de dire, au groupe écologiste, qu’il ne faut pas arroser là où c’est déjà mouillé ! Mais en zone rurale, comment orienter l’argent public ? Vous avez cité, madame Genevard, le travail admirable effectué par la DRAC Rhône-Alpes ou encore l’étude fine menée par le CNC sur les salles de cinéma. De telles observations devraient être disponibles pour d’autres équipements : quel temps de trajet pour accéder à une salle de spectacle, une galerie d’art, un lieu d’exposition ?

Je citerai dans ma circonscription l’exemple incroyable du DOC, le Doigt dans l’Oreille du Chauve. Animé par des bénévoles, ce lieu de musiques actuelles repose sur un défi : dans une commune de 325 habitants, attirer des jeunes, pour qu’à leur tour ils attirent des plus âgés et transmettent des savoirs nouveaux. Si le conseil régional de Basse-Normandie a l’intention de subventionner de telles structures, il doit pouvoir s’appuyer sur une bonne connaissance du maillage territorial et savoir quelles distances séparent ce type d’équipement des bourgs les proches et des villes plus importantes.

Votre propos fait écho à la réforme territoriale en cours. Pourquoi, dans le cadre des discussions sur la nouvelle cartographie des régions, n’avons-nous pas sollicité en priorité nos géographes ? Pourquoi n’avons-nous pas procédé à la superposition de cartes produites par les systèmes d’information géographiques ? Croiser les cartes des densités, des bassins d’emploi, des réseaux de transports, des lieux de culture, voilà qui nous aurait permis de procéder à un découpage territorial pertinent tenant compte des réalités des bassins de vie d’aujourd’hui et non de ceux du début des années 1980, voilà qui nous aurait permis de mener une réflexion plus ancrée dans les besoins des Français.

Sophie Dessus, vous avez choisi d’axer votre propos sur la réhabilitation du patrimoine industriel. De manière générale, nous aurons à faire des choix. Nous ne pourrons pas mettre en valeur toutes les anciennes mines de charbon cévenoles. Nous ne pourrons pas non plus sauver toutes les églises et les chapelles de France qui menacent de s’effondrer. Nous sommes tous ici concernés par la rénovation d’un clocher, d’une nef ou d’un chevet, même si, en milieu urbain, le problème se pose moins, les cathédrales relevant de l’État. De quels outils disposerons-nous pour procéder aux choix qui s’imposent ? Quel budget accorderons-nous ? Tout n’est cependant pas une question d’argent, pensons aussi aux idées nouvelles. Dans ma commune de Rosel, il a été ainsi proposé d’utiliser l’église comme salle des fêtes tout en continuant à y célébrer des mariages.

En France, nous manquons cruellement de lieux de création. Toute personne se rendant à Londres, au Leake Street Tunnel, près de la gare de Waterloo, pourra constater ce qu’est la liberté de créer en regardant les artistes s’activer jour et nuit pour peindre des graffs appelés à être remplacés par d’autres le lendemain, à la suite de l’artiste Banksy dont les œuvres sont aujourd’hui cotées à plus de 500 000 euros. Lorsque nous aurons en France des lieux comparables, nous pourrons enfin sentir un libre bouillonnement de créativité. Et comme nous le savons, la culture rapporte déjà à notre pays plus que l’industrie automobile.

M. Rudy Salles. Aux yeux du groupe UDI, la préservation des crédits de la mission « Culture » et la hausse des moyens du ministère de la culture et de la communication pour l’exercice budgétaire 2015 ne feront oublier ni les deux baisses successives subies précédemment ni le reniement de François Hollande qui avait promis, durant la campagne pour les élections présidentielles, que ce budget serait sanctuarisé pendant le quinquennat.

J’ajoute que, pour 2015, les crédits du programme « Création » enregistrent un recul de 12 millions d’euros en crédits de paiement, soit une diminution de 1,7 % sur un an. En outre, comment ne pas souligner, comme le fait notre rapporteure, que la stabilisation globale des crédits cache des évolutions contrastées selon les programmes. Je pense notamment à la réduction sensible des crédits de paiement dédiés au soutien à la création, à la production, et à la diffusion du spectacle vivant pour 2015.

Madame Genevard, vous avez consacré la partie thématique de votre rapport aux inégalités territoriales en matière d’accès à la culture. La lutte contre les déserts culturels constitue un impératif de cohésion sociale. Vous préconisez de rompre avec une approche exclusivement centrée sur les différentes disciplines de la création pour adopter le territoire comme clé d’entrée des politiques culturelles. Comment les priorités de ce programme pourraient-elles traduire ces objectifs l’année prochaine ?

Pour 2015, le programme 175 « Patrimoines », qui préfigure la politique de l’État en matière de patrimoine culturel, connaît une progression de ses crédits de 0,6 %, soit 4,4 millions d’euros de crédits de paiement supplémentaires. Nous ne pouvons que saluer cet effort dans un contexte de tension budgétaire extrême tant le patrimoine, sa préservation et sa valorisation, sont au cœur du rayonnement culturel de la France. Le patrimoine est en effet le visage de l’histoire séculaire de notre pays, l’expression de son génie créatif. Il a façonné nos villes, nos paysages, et incarne notre identité singulière. Il est enfin un moteur de développement économique puisqu’il contribue à renforcer notre attractivité touristique.

Ainsi que notre rapporteure le souligne, la réduction des crédits alloués par l’État demeure préoccupante du fait du désengagement progressif des collectivités territoriales. Ces dernières doivent contribuer à hauteur de 11 milliards d’euros aux 50 milliards d’euros d’économies annoncées dans le cadre du programme de stabilité budgétaire 2014-2017. Ces coupes claires dans les dépenses des collectivités territoriales ne permettent pas de distinguer les dépenses allouées à leur fonctionnement et celles dévolues à la préservation et à la valorisation du patrimoine. L’effort demandé par l’État aux collectivités territoriales apparaît disproportionné au regard des charges toujours plus nombreuses qu’il leur impose d’assumer. Notre groupe craint par conséquent que ce mouvement de désengagement ne s’accentue et ne s’aggrave.

Enfin, nous saluons la possible ouverture sept jours sur sept des musées, annoncée par le Président de la République. Cette mesure présente un intérêt culturel, touristique et économique évident. Aurait-elle un impact sur l’action 3 « Patrimoine des musées de France » qui représente 44,4 % de l’ensemble des crédits du programme finançant notamment la politique de promotion d’un égal accès à la culture ?

M. Jean-Noël Carpentier. Au nom du groupe RRDP, j’exprime ma satisfaction quant à la décision du Gouvernement de vouloir « sanctuariser » les crédits dédiés à la culture dans son ensemble : le soutien à la culture a déjà suffisamment fait les frais du « sérieux budgétaire », pour reprendre une expression que certains affectionnent. Cet engagement financier de l’État doit perdurer dans le temps car la culture est indispensable à une société démocratique.

Je remercie moi aussi nos deux collègues pour la qualité de leurs rapports. Je traiterai principalement de celui consacré par Mme Annie Genevard aux programmes « Création » et « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture ».

Parce que la culture doit être accessible à tous, quelle que soit l’origine sociale ou géographique des personnes concernées, j’ai apprécié le choix de Mme Genevard de consacrer cette année une partie de son rapport aux communes de moins de 10 000 habitants. Parce qu’une grande partie de la population française vit en dehors des grandes métropoles, on comprend l’enjeu que représente l’aménagement du territoire en matière d’équipements culturels dans des zones qui, trop souvent, se sentent légitimement délaissées. Les « failles de l’aménagement culturel du territoire » constatées par l’IGAC doivent être comblées.

S’il est indéniable que, depuis la décentralisation, les collectivités territoriales s’impliquent pour la culture et qu’elles contribuent à la vivacité culturelle de notre pays dans sa diversité, des disparités territoriales dans l’offre culturelle persistent, dues notamment à l’inégalité des implantations des infrastructures – ces disparités existent évidemment dans de nombreux autres domaines. Comme le constate Mme Annie Genevard, plus les équipements de culture sont éloignés du lieu de vie, plus il est difficile de se familiariser avec cette culture. Ni la télévision, ni la radio, ni internet ne peuvent procurer les mêmes sensations que la relation directe avec les arts vivants ou les arts plastiques.

Pour améliorer le réseau des équipements culturels existants, une meilleure répartition des dotations de l’État sur le territoire national paraît indispensable. Une plus grande synergie entre les différentes collectivités locales constituerait également un levier financier efficace. Il faudrait surtout que les collectivités aient les moyens d’investir, ce qui aujourd’hui n’est malheureusement pas évident. L’amélioration de la connaissance de l’offre culturelle dans les territoires ruraux que la rapporteure appelle de ses vœux serait aussi particulièrement utile pour parvenir à l’indispensable mutualisation entre les territoires et mettre en place des projets culturels régionaux.

Dans ce contexte, l’école joue un rôle majeur. Il faut donner envie aux élèves de se rendre à des expositions, de voir des pièces de théâtre, ou encore de se déplacer dans des bibliothèques, et peut-être ainsi réduire un peu la fracture culturelle dont on parle souvent.

De ce point de vue, même si les programmes scolaires ont la responsabilité de l’éducation à la culture, les activités périscolaires mises en place par la réforme des rythmes scolaires, largement décriée par la formation politique à laquelle vous appartenez, madame la rapporteure, constituent une opportunité nouvelle pour donner aux élèves, grâce à l’action des communes, la possibilité de se consacrer à des pratiques culturelles que l’école n’a pas forcément le temps d’organiser.

Si, comme vous le soulignez, le manque d’équipements culturels dans certaines zones du territoire est problématique, ne pensez-vous pas qu’une relation plus étroite entre les élus locaux, l’État et l’institution scolaire en matière de pratiques culturelles permettrait une fréquentation plus régulière des infrastructures culturelles déjà existantes, même si elles sont un peu éloignées géographiquement ?

Mme Marie-George Buffet. Madame Genevard, votre rapport pose fort justement la question de l’aménagement équilibré du territoire et de l’accès de tous et partout à la culture. Les fractures territoriales existent bien. Vous l’avez rappelé, 60 % de nos compatriotes vivent dans une France « périphérique ». En Île-de-France, entendre parfois parler des communes situées « au-delà du périphérique » n’est-il pas le symptôme d’une sorte de relégation ? Le sentiment d’abandon se nourrit du manque d’équipements sur ces territoires – cela ne concerne évidemment pas le seul secteur culturel mais également le sport, les transports et de nombreux autres services.

Si la volonté politique est bien l’élément fondateur de la politique culturelle d’une collectivité locale, cette dernière ne peut agir sans disposer de moyens. Or la baisse de la dotation globale de fonctionnement obligera les communes à effectuer certains arbitrages dont je crains qu’ils ne soient pas favorables à la culture.

La réforme territoriale constitue également un enjeu. Je m’interroge notamment sur le rôle des métropoles. À mon sens, la question du découpage est moins importante que celle des compétences qui doivent être partagées.

Au-delà de cette réforme, pour assurer la cohésion de notre République, nul n’est mieux placé que l’État à qui il revient d’assurer l’accès de tous à la culture. Le ministère doit donc jouer son rôle, et les DRAC doivent disposer de moyens pour agir et corriger les inégalités – la réduction de leurs crédits dans les deux précédents budgets les a empêchées de soutenir de nombreux équipements locaux comme les conservatoires.

Le patrimoine des XIXe et XXe de notre pays doit être regardé sans nostalgie. Il ne faut pas faire comme si l’histoire industrielle ou minière de la France était seulement derrière nous. De grandes choses peuvent sortir de ce passé et pourraient se situer dans sa continuité. Construit en 1932 par les mineurs eux-mêmes, le vélodrome des Taillades à seize kilomètres d’Alès vit ainsi, depuis quelques années, une nouvelle jeunesse, en partie grâce aux crédits débloqués par la préfecture pour la réhabilitation des friches industrielles. Si la reconversion culturelle peut constituer une solution, le ressort vers l’avenir peut aussi être industriel et économique, comme ce fut le cas pour les Grands moulins de Pantin qui ont retrouvé une activité de service créatrice d’emplois après l’arrêt de la minoterie, mais aussi de la ville de La Courneuve qui a su installer sur ses friches industrielles divers services, administrations, et centres de production.

M. Hervé Féron. Nos rapporteures ont fait un excellent travail ; il leur manque seulement peut-être d’avoir visité, en Meurthe-et-Moselle, la commune de Tomblaine, dont je suis le maire : son projet urbain a permis la requalification d’une friche industrielle que je les invite à découvrir.

À la lecture d’une grande enquête menée en 2010 par le magazine Télérama, intitulée Comment la France est devenue moche, nous constations que les paysages français avaient beaucoup changé ces trente dernières années du fait de la multiplication des zones commerciales et industrielles à l’entrée des villes. Ces constructions modernes faisant la part belle aux halles et autres hangars disgracieux seraient le fait de l’avènement du consumérisme de notre société, mais aussi de décisions politiques. S’il est sûr que nous « libérerons » la création artistique et architecturale en simplifiant les normes qui pèsent sur elles, pensez-vous que cela suffise à endiguer cette tendance de long terme d’enlaidissement d’un territoire sur lequel se sont bâtis non seulement le renom touristique et pittoresque de la France, mais aussi sa légende de pays de l’art de vivre ?

Madame Dessus, en lisant votre projet de rapport, qui ne laisse aucun doute concernant l’intérêt de la valorisation du patrimoine industriel français, je n’ai pu m’empêcher de penser aux expositions universelles. Comme vous le savez, une mission d’information a travaillé à l’Assemblée nationale sur les enjeux et la faisabilité du projet de l’accueil en France de l’exposition universelle de 2025. Hier, alors que notre commission examinait les avis budgétaires relatifs à l’enseignement supérieur et à la recherche, les députés membres de cette mission d’information adoptaient le rapport qui sera bientôt transmis au Gouvernement. Vos travaux, madame la rapporteure, me font tout particulièrement penser à ce projet car l’un des axes envisagés consiste à utiliser exclusivement les infrastructures existantes sans procéder à aucune nouvelle construction. La valorisation du patrimoine industriel aurait donc toute sa place dans une future exposition universelle. Comme le dit M. Jack Lang, que vous citez, « notre pays a la chance extraordinaire d’être un manuel d’histoire de l’art et de l’architecture à ciel ouvert » et « nul besoin d’effacer des pages pour écrire un nouveau chapitre ». Quel est votre avis sur ce sujet ?

M. Christian Kert. Mme Sophie Dessus semble avoir été sensible au charme romantique et galvanisant de M. Rudy Ricciotti dont elle reprend les propos enflammés. Élu d’une circonscription proche de Marseille, je relève que cet architecte n’est pas le plus à plaindre en matière de commande publique !

Mme Sophie Dessus, rapporteure pour avis. Il en est d’autant plus crédible !

M. Christian Kert. Je m’interroge sur l’initiative publique que nos deux rapporteures appellent de leurs vœux. Alors qu’une réforme territoriale est en cours, Mme Marie-George Buffet a raison de poser la question en termes de compétences : à quel niveau de collectivité faut-il agir ? Une réglementation plus contraignante est-elle nécessaire comme semble le suggérer Mme Dessus ? Une cartographie des zones blanches de la culture, telle que la souhaite Mme Genevard, doit-elle se traduire par une politique incitative ou par de nouvelles obligations imposées aux collectivités ? Les rapporteures peuvent-elles nous en dire plus ?

M. Stéphane Travert. Je me félicite de la sanctuarisation du budget de la culture pour l’année 2015 après deux exercices budgétaires au cours desquels le secteur culturel a fortement contribué au redressement économique de notre pays.

Mon propos se concentrera sur le rapport de Mme Sophie Dessus relatif au programme 175 « Patrimoines ». Madame la rapporteure, vous traitez en particulier de la reconversion du patrimoine industriel des XIXe et XXe siècles. Ce sujet, plus que jamais d’actualité, incite à poser de nombreuses questions. Comment redonner vie à des lieux de production industrielle parfois situés en périphérie de nos villes et délaissés ? Comment les intégrer au cœur du tissu culturel et inviter les publics à les découvrir sous un nouveau jour ? Comment leur redonner de l’éclat, et transmettre cet héritage passé en le renouvelant sans pour autant le dénaturer ?

Dans votre projet de rapport, vous nous proposez un historique de l’intérêt croissant pour ces lieux depuis les années 1970 ainsi que des exemples de reconversion réussie : le Lieu Unique à Nantes, le Centquatre à Paris… Il existe aujourd’hui de nombreux lieux de dimensions très diverses sur tout le territoire, destinés à différents usages culturels comme des lieux d’exposition – je pense aux Abattoirs à Toulouse qui ont conservé un nom en lien avec l’ancienne fonction du site –, ou encore des lieux de concerts, comme le Channel de Calais.

Vous proposez la « recette idéale » d’une reconversion réussie. À vous lire, on comprend que lorsque les parties prenantes, l’architecte, les élus, les porteurs de projet, s’inscrivent dans une dimension transversale des politiques publiques prenant en compte, non seulement l’aspect culturel d’une reconversion, mais aussi son versant économique et social, elles peuvent agir pour le désenclavement des zones réinvesties, auparavant délaissées.

Ne pensez-vous pas qu’au-delà même d’une volonté architecturale et d’un projet culturel, une politique d’aménagement du territoire incitative doit accompagner ces projets culturels afin que la « greffe prenne » et que ces lieux rencontrent tous les publics ?

M. Paul Salen. La réforme territoriale constitue un réel sujet d’inquiétude pour la conservation du patrimoine. Dans le département de la Loire, où je suis élu, le conseil général est propriétaire de sites remarquables qui sont certes une véritable richesse pour le territoire mais aussi un gouffre financier. Lorsque le conseil général aura disparu, qui financera l’entretien de ce patrimoine qui ne se situe pas sur le territoire d’une communauté d’agglomération ? Mme Sophie Dessus peut-elle nous rassurer sur ce sujet ?

M. William Dumas. Les Cévennes qui disposent d’un patrimoine minier exceptionnel ont depuis longtemps entrepris de réhabiliter des friches industrielles. Une mine témoin a été créée à Alès, et le puits Ricard, dernier puits en service du bassin houiller cévenol, a été classé monument historique en mai 2008. Les touristes nombreux découvrent notre riche passé dans le musée du mineur situé à côté de ce puits.

En tant que président de l’établissement public de coopération culturelle (EPCC) du Pont du Gard, je ne peux que me féliciter de l’augmentation des crédits du programme 175 « Patrimoines » dans un contexte économique et budgétaire difficile.

La question se pose cependant du désengagement progressif des collectivités locales, véritables cofinanceurs de la culture aux côtés de l’État. Depuis 2010, les départements n’ont eu d’autres choix que de se concentrer sur leurs compétences obligatoires. Il est aujourd’hui urgent de stabiliser les crédits alloués à la protection du patrimoine monumental. Les différents acteurs ont besoin de visibilité à moyen et long terme.

Je me félicite de l’engagement fort en faveur de l’Institut de recherches archéologiques préventives (INRAP). Cet opérateur public unique intervient sur tout le territoire en s’intéressant à toutes les périodes de l’histoire. Il permet de sauvegarder notre patrimoine historique.

Défenseur des langues régionales qui constituent un élément du patrimoine culturel national, je suis satisfait de constater la progression des crédits de l’action 7 « Patrimoine linguistique ».

Mme Martine Martinel. Madame Genevard, votre passionnant rapport aurait sans doute pu faire une place plus grande au rôle des centres dramatiques nationaux (CDN), subventionnés à la fois par l’État et les collectivités territoriales avec lesquelles ils nouent des partenariats. Une décentralisation à plusieurs échelles se met ainsi en place.

Madame Dessus, en conclusion du projet de rapport qui nous a été remis, vous associez les propos de M. Rudy Ricciotti à ceux de M. Jack Lang qui semblent s’inquiéter de l’inflation des normes à l’origine d’un mauvais goût standardisé. Vous laissez le dernier mot à René Char, citant Les feuillets d’Hypnos : « Toute la place est pour la beauté. » Selon vous, les normes entravent-elles nécessairement la beauté architecturale ?

Mme Annie Genevard, rapporteure pour avis. Je reviendrai demain soir, lors de la réunion de la commission élargie, sur les questions strictement budgétaires que certains d’entre vous ont soulevées.

Madame Bouillé, je ne peux qu’adhérer à l’idée des projets culturels de territoire qui se fondent sur l’approche territoriale que je recommande. La méthode mise en œuvre par la DRAC de Rhône-Alpes, grâce à la merveilleuse énergie de M. Jean-François Marguerin, directeur régional des affaires culturelles devrait servir d’inspiration.

Si je reconnais que l’approche cartographique est a priori un peu aride, j’estime, comme vous, madame Attard, que, de façon générale, les politiques publiques n’explorent pas assez l’extraordinaire potentiel des systèmes d’information géographique. La superposition des données révèle des informations précieuses et les explorations en ce domaine devraient être poursuivies.

Monsieur Carpentier, vous avez raison : rien ne remplace le contact direct avec les œuvres. Cette rencontre rend nécessaire une meilleure allocation des ressources sur tout le territoire. L’école doit évidemment jouer un rôle pour réduire la fracture culturelle. Nous n’avons jamais remis en cause le bien-fondé de l’éducation artistique et culturelle – élue de Morteau, j’ai mis en place il y a plus de quinze un partenariat culturel avec les écoles –, ni même celui de l’esprit de la réforme des rythmes scolaires que vous évoquiez. Ses modalités de mises en œuvre nous ont en revanche paru poser des problèmes, notamment en ce qui concerne le financement des activités périscolaires.

Pour réduire les failles territoriales, la question des transports, citée par Mme Marie-George Buffet, est essentielle. Le travail du Commissariat général à l’égalité des territoires sur l’accessibilité des équipements montre combien la cartographie dynamique peut être utile. Les distances ne se mesurent pas seulement en nombre de kilomètres : un lieu apparemment isolé mais correctement relié par les transports peut rayonner sur une vaste aire géographique, contrairement à un lieu qui se trouverait à proximité de tout mais se révélerait difficilement accessible. Comme Mme Buffet, je suis favorable aux compétences partagées, mais il ne faut pas que l’arbre cache la forêt. Détenir une compétence et ne pas pouvoir l’exercer est à mon sens presque pire que de ne pas du tout disposer de cette compétence. L’État doit évidemment demeurer un pilote actif des politiques, notamment en région. Enfin, je suis moi aussi convaincue que les friches industrielles doivent d’abord rechercher leur avenir dans la sphère économique mais je ne veux pas trop empiéter sur le domaine de ma collègue rapporteure.

Madame Martinel, dans ma ville, l’accueil des spectacles du CDN ne coûtent pas moins cher sous prétexte qu’ils viennent d’un lieu plus proche de nous que s’ils avaient été montés à Paris. L’ « itinérance » depuis les scènes labellisées doit être privilégiée mais elle ne peut constituer l’alpha et l’oméga d’une politique culturelle. Les CDN n’en sont d’ailleurs pas si friands car elle est également onéreuse pour eux. Il faut que les collectivités locales aient le choix entre des spectacles provenant de plusieurs lieux. Je note que le ministère est aujourd’hui dans l’incapacité de faire le tri entre les spectacles de CDN joués dans d’autres CDN, et ceux qui se donnent dans des communes ne disposant pas de cette structure. À nouveau, il est clair qu’il faut affiner le recueil de données relatives à la vie culturelle en France. Nous manquons d’outils d’analyse qui permettraient de mieux ajuster les politiques publiques.

Mme Sophie Dessus, rapporteure pour avis. À l’ère du recyclage, il n’est pas absurde de souhaiter que le patrimoine évolue et qu’il poursuive sa vie. Il serait vain de tout démolir en espérant faire mieux ; il est préférable de construire sur les fondements solides du passé. Ce n’est pas une question de nostalgie !

Je n’ai évoqué que les sites industriels anciens utilisés à des fins culturelles parce qu’ils se trouvent précisément dans un environnement qui ne permet plus d’en faire un usage marchand et productif dans la vie économique moderne. Imagine-t-on aujourd’hui de réinstaller une usine fabriquant du papier, avec toutes les pollutions et nuisances qu’elle génère, au cœur d’un bourg au bord de l’eau comme on le faisait autrefois ? La Papeterie à Uzerche a pris le relais sur un lieu où l’économie n’a pas pu reprendre ses droits. Cela dit, ces lieux culturels deviennent créateurs d’emplois et irriguent aussi la vie économique.

S’il est vrai que la volonté politique constitue l’une des clés de la réussite en matière de traitement du patrimoine, M. Michel Herbillon s’est peut-être introduit un peu rapidement dans une brèche de mon intervention relative au Centquatre. Je ne faisais que citer les propos de l’un des coordonnateurs du projet. Simplement, ce site ne fonctionne peut-être pas aussi bien que certains autres…

M. Michel Herbillon. Mme Dessus a le sens de la litote !

Mme Sophie Dessus, rapporteur pour avis. Pour paraphraser Jean Jaurès – cité désormais par tous –, je dirai qu’il faut aller à l’idéal en passant par le réel. Le Centquatre marche malgré tout ! J’ai évoqué le problème des coûts ; il est certain qu’il est plus facile de surveiller un architecte et un chantier en milieu rural que dans une immense collectivité.

M. Michel Herbillon. C’est une question de volonté politique !

Mme Sophie Dessus, rapporteure pour avis. C’est vrai, et je l’ai dit : la complémentarité avec les élus est essentielle.

J’ai été interrogée sur l’impact de l’éventuelle disparition des conseils généraux sur le patrimoine qu’ils gèrent, des bâtiments les plus emblématiques d’un département jusqu’aux moulins, aux petits ponts ou aux fours à pain qui constituent notre histoire. Il semble d’abord que ce niveau de collectivité ne disparaîtra pas totalement en milieu rural, comme le Premier ministre l’a indiqué hier au Sénat. Il faut ensuite insister sur le fait que les pouvoirs publics locaux ne sont pas seuls à lutter pour préserver le patrimoine. Des instances comme le conseil d’architecture d’urbanisme et de l’environnement (CAUE) continueront d’aider gratuitement les petites communes. Il ne faut pas non plus négliger le mécénat qui a un rôle important à jouer, notamment grâce à la Fondation du patrimoine.

La différence de coûts entre la réalisation du Lieu unique à Nantes et celle du Centquatre à Paris a plusieurs explications. Il est évidemment essentiel de veiller à éviter tout débordement des budgets. Il faut aussi globalement les réduire en remettant à plat certaines des normes en vigueur parfois très coûteuses pour ne conserver que celles qui sont indispensables. Pour certaines d’entre elles, les prescripteurs ne sont autres que les agents économiques qui y trouvent un intérêt – dans un autre domaine, les fabricants d’alcootests étaient les premiers à inciter le législateur à les rendre obligatoires dans tous les véhicules.

Les normes sont-elles un obstacle à la beauté architecturale ? Elles ont, en tout état de cause, couvert notre pays de ronds-points magnifiquement décorés de leurs amphores de style, de leurs fausses ruines ou de voitures calcinées. Nous frisons le ridicule sans même nous en apercevoir ! Pour le prix d’un rond-point, soit 500 000 à 800 000 euros, ne ferait-on pas mieux de financer la réhabilitation du patrimoine ? La ministre nous répondra demain, mais le seul fait que le patrimoine ne soit pas relégué dans un texte autonome, et que le prochain projet de loi qu’elle nous présentera porte à la fois sur la liberté de création, sur l’architecture et sur le patrimoine montre une évolution très positive. Évidemment, il ne s’agit que d’un premier pas et du chemin reste à faire : il nous faudra traiter des plans locaux d’urbanisme (PLU), des zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP), des aires de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine (AVAP), et simplifier la réglementation en vigueur sans oublier la mission protectrice de la puissance publique.

Monsieur Hervé Féron, il serait merveilleux de faire revivre lors d’une future exposition universelle en France des sites dont l’appartenance à notre patrimoine vient d’être reconnue. En leur apportant une touche contemporaine, il serait aisé de montrer que le XXIe siècle hérite du passé et construit aussi le patrimoine du futur.

M. le président Patrick Bloche. Je remercie vivement nos deux rapporteures pour l’énergie avec laquelle elles nous ont présenté un travail approfondi et passionnant.

Même si j’évite dans cette commission de me référer à mon département d’élection, je signale tout de même que le Centquatre a déjà eu deux vies. Le deuxième Centquatre dirigé par M. José-Manuel Gonçalvès, dont la renommée est internationale, n’est plus celui de la première période.

La séance est levée à onze heures quinze.

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Présences en réunion

Réunion du mercredi 29 octobre 2014 à 9 heures 30

Présents. – M. Jean-Pierre Allossery, M. Benoist Apparu, Mme Laurence Arribagé, Mme Isabelle Attard, M. Patrick Bloche, Mme Marie-Odile Bouillé, M. Emeric Bréhier, Mme Marie-George Buffet, M. Jean-Noël Carpentier, Mme Valérie Corre, M. Laurent Degallaix, M. Pascal Deguilhem, M. Pascal Demarthe, Mme Sophie Dessus, Mme Sophie Dion, Mme Sandrine Doucet, Mme Virginie Duby-Muller, M. William Dumas, Mme Martine Faure, M. Hervé Féron, M. Michel Françaix, Mme Annie Genevard, Mme Claude Greff, M. Michel Herbillon, M. Patrick Hetzel, M. Guénhaël Huet, M. Christian Kert, Mme Anne-Christine Lang, Mme Colette Langlade, M. Dominique Le Mèner, Mme Annick Lepetit, Mme Martine Martinel, M. Michel Ménard, Mme Maud Olivier, M. Christian Paul, Mme Barbara Pompili, M. Michel Pouzol, Mme Régine Povéda, M. Franck Riester, M. Marcel Rogemont, M. Paul Salen, M. Rudy Salles, Mme Claudine Schmid, M. Claude Sturni, Mme Sylvie Tolmont, M. Stéphane Travert

Excusés. – Mme Huguette Bello, Mme Brigitte Bourguignon, M. Bernard Brochand, M. Ary Chalus, M. Bernard Debré, Mme Gilda Hobert, Mme Sonia Lagarde, Mme Lucette Lousteau, M. François de Mazières, Mme Dominique Nachury, M. Frédéric Reiss, Mme Julie Sommaruga, Mme Michèle Tabarot, M. Patrick Vignal

Assistait également à la réunion. – M. Luc Belot